Notes
- [1]Jacky BEILLEROT, Claudine BLANCHARD-LAVILLE, Nicole MOSCONI (1996), Pour une clinique du rappor au savoir, Paris, L’Harmattan.
- [2]Jacky BEILLEROT (ed.) (1992), Savoir et rapport au savoir, Paris, éd. Universitaires, p. 165-202.
- [3]Bernard CHARLOT (1998), Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Anthropos.
- [4]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 35.
- [5]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 36.
- [6]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 38-39.
- [7]Nicole MOSCONI (1996), Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, Paris, L’Harmattan, chap. III, p. 15.
- [8]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 49.
- [9]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 38.
- [10]Ibidem
- [11]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 47.
- [12]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 40.
- [13]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 41.
- [14]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 39.
- [15]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 54.
- [16]Cf. à ce sujet le travail critique de Gérard Mendel dans son livre de 1988, La psychanalyse revisitée, Paris, Éd. La Découverte.
- [17]Gérard MENDEL (1988), La psychanalyse revisitée, Paris, Éd. La Découverte, p. 89.
- [18]Lucien SEVE (1968), Marxisme et théorie de la personnalité, Paris, Éditions sociales, p. 277
- [19]Lucien SEVE, op. cit., p. 591.
- [20]
- [21]Cf. Serge BOIMARE (1999), La peur d’apprendre, Paris, Dunod.
- [22]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 49.
- [23]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 55.
- [24]Cf. Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure. Du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir, Paris, La Découverte.
- [25]Cf. Gérard MENDEL, (1988), La psychanalyse revisitée, Paris, Éd La Découverte, chapitre 12, p. 113 et sq.
- [26]Gérard MENDEL (1999), Le vouloir de création. Autohistoire d’une œuvre en collaboration avec Roger Dosse. Éditions de l’Aube, p. 107.
- [27]Le texte de Jacky BEILLEROT, dans ce même volume, cherche à répondre à cette question.
- [28]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 107.
- [29]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 470.
- [30]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 114.
- [31]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 118.
- [32]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure. Du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir, Paris, La Découverte, Partie V, chapitre 29, p. 405-423.
- [33]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 485.
- [34]Donald WINNICOTT (1971), Jeu et réalité. L’espace potentiel, trad. franç, 1975, Paris, Gallimard, p. 22.
- [35]Donald WINNICOTT (1971), op. cit., p. 22.
- [36]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 460.
- [37]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 411.
- [38]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 466.
- [39]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 410.
- [40]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 467.
- [41]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 443.
- [42]Donald WINNICOTT (1971), op. cit., p. 25.
- [43]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 468.
- [44]Gérard MENDEL, (1988), La psychanalyse revisitée, op. cit., p. 150 et sq.
- [45]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 411.
- [46]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 413.
- [47]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 409.
- [48]Donald WINNICOTT (1971), Jeu et réalité, op. cit., p. 13.
- [49]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 413.
- [50]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 413.
- [51]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 411.
- [52]Ibidem.
- [53]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 421.
- [54]Cf. Claude POULETTE.
- [55]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 422.
- [56]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 430.
- [57]Ibidem.
- [58]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 407.
- [59]
- [60]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), Naissance à la vie psychique, Paris, Dunod.
- [61]Piera AULAGNIER (1975), op. cit., À propos de l’activité de penser, p. 70-71.
- [62]On connaît ce souvenir d’enfance de Freud, où en l’absence de sa mère, il se met à pleurer, exigeant de son demi-frère Philippe qu’il ouvre un coffre où le jeune Freud s’imagine que sa mère pourrait avoir été « coffrée », comme Nanie, sa bonne bien aimée, emprisonnée pour vol, et où l’apparition de sa mère, jeune et svelte (n’ayant pas d’enfant enfermé dans son ventre-coffre) suffit à le calmer. Ne pourrait-on pas voir par ailleurs dans ce souvenir mythique une des sources du désir de savoir si puissant de Freud ?
- [63]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 20.
- [64]Ibidem.
- [65]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [66]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), Ibidem.
- [67]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), Ibidem.
- [68]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 31.
- [69]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [70]Nicole MOSCONI (1996), Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, Paris, l’Harmattan, p. 273.
- [71]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [72]Simone DE BEAUVOIR (1958), Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Ed. Gallimard, Folio, p. 56.
- [73]Simone DE BEAUVOIR (1958), op. cit., p. 118-119.
- [74]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 29.
- [75]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 19-31.
- [76]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 23.
- [77]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 22.
- [78]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 31.
- [79]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 460.
- [80]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 9.
- [81]Ibidem.
- [82]Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, p. 420.
- [83]Voir mon article « Relation d’objet et rapport au savoir », in Jacky BEILLEROT, Claudine BLANCHARD-LAVILLE, Nicole MOSCONI (1996), Pour une clinique du rapport au savoir, Paris, L’Harmattan, p. 75-118.
- [84]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), Naissance à la vie psychique, op. cit., p. 21.
- [85]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), op. cit., p. 23.
- [86]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), op. cit., p. 20.
- [87]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 396.
- [88]Gérard MENDEL (1998), op. cit., chapitre 27.
- [89]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 354.
- [90]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 35.
- [91]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 25 et sq.
- [92]
- [93]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 46.
- [94]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 112.
- [95]Cf. Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, p. 103. Castoriadis entend par « faire » toutes les activités sociales, aussi bien les pratiques techniques et économiques qui agissent sur la nature matérielle pour la transformer et assurer ainsi la vie matérielle de la société que les pratiques qui agissent sur autrui ou sur la société, que Castoriadis nomme « praxis » (politique, éducative, médicale), « faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes ».
- [96]Cf. Jérôme BRUNER (trad. franç. 1983), Savoir dire, savoir faire, Paris, PUF.
- [97]Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 103.
- [98]Sur cette division socio-sexuée des savoirs et du travail, cf. mon livre Femmes et savoirs. L’école, la société et la division socio-sexuelle des savoirs, Paris, L’Harmattan, 1994.
1La notion de rapport au savoir est de plus en plus utilisée aujourd’hui dans les travaux de sciences de l’éducation, que ce soit dans le champ des apprentissages familiaux et scolaires ou dans le champ de la formation des adultes. Ces utilisations multiples ne contribuent pas forcément à la clarté et à la précision de la notion. Deux équipes de chercheurs s’efforcent d’en pousser la théorisation, l’équipe Escol à Paris 8 et l’équipe « Savoirs et rapport au savoir » à Paris X.
2En 1996, l’équipe de Paris X publiait Pour une clinique du rapport au savoir [1], où la première partie tentait de présenter quelques éléments de théorisation, après le premier texte fondateur de Jacky Beillerot, inclus dans le premier volume collectif de l’équipe [2]. En 1998, Bernard Charlot publiait un texte qui avait pour objectif de faire un point théorique sur la notion du point de vue de l’équipe Escol [3]. Il y prenait position sur nos propres théorisations, énonçant ses accords et désaccords.
3Ces débats ont le grand intérêt de permettre à chacun de pousser plus avant sa réflexion, d’approfondir sa propre position et ainsi d’apporter une certaine clarification dans les élaborations théoriques en cours.
Une théorie du sujet comme théorie sociologique ?
Qu’est-ce qu’un sujet ?
4Un point d’accord fondamental entre les deux équipes est sans doute l’affirmation que « on ne peut faire l’économie du sujet quand on étudie l’éducation » [4] et que, si l’idée d’éducation renvoie nécessairement à la notion de rapport au savoir, il n’y a pas de rapport au savoir sans sujet et « pas de théorie du rapport au savoir sans théorie du sujet ». Les caractéristiques que Bernard Charlot dégage concernant le sujet pourraient rencontrer notre accord : un sujet en relation avec d’autres sujets, pris dans la dynamique du désir, parlant, agissant, se construisant dans une histoire articulée sur celle d’une famille, d’une société, de l’espèce humaine elle-même, engagé dans un monde où il occupe une position sociale et où il s’inscrit dans des rapports sociaux.
5Pourtant, ces éléments ne nous paraissent pas encore suffisants pour caractériser le sujet. Nous ajouterions, pour notre part, que le sujet est aussi un être pourvu d’une vie psychique fondée sur les systèmes Inconscient/Préconscient-Conscient et même sur des « vouloirs » antérieurs à la mise en place de ces systèmes, que sa vie ne se limite pas à un langage et à une action organisés par la rationalité consciente, mais qu’il a aussi toute une vie imaginaire et fantasmatique, liant représentations et affects, qui échappe en grande partie au contrôle de la conscience, mais qui est agissante sur une grande partie de sa vie et, en particulier, sur ses pratiques en lien avec le savoir et les savoirs.
6C’est pourquoi nous ne pouvons donner notre accord à l’idée qu’une théorie du sujet puisse se limiter à une « sociologie du sujet », autrement dit à une théorie uniquement ancrée dans la sociologie. Certes, un sujet humain ne peut se comprendre sans la société et le groupe social et familial dans lequel il est inclus. Mais cela ne peut signifier, pour nous, qu’il n’y ait pas d’autre source d’intelligibilité pour le sujet humain qu’une théorie sociologique.
7Bernard Charlot marque bien le paradoxe de sa position en rappelant que « la sociologie s’est construite en se démarquant des théories du sujet » [5]. La critique qu’il fait, dans le chapitre III, des sociologies de l’éducation, en montrant les manières diverses dont elles ont « évacué » le sujet, soit en « rejetant le psychique à l’extérieur dans le social » (Durkheim), soit en « mettant le social à l’intérieur » [6] (Bourdieu), soit en réduisant le sujet à un pur processus de subjectivation (Dubet) sont très convaincantes. On peut trouver très convaincante aussi la critique que fait Bernard Charlot des notions d’intériorisation ou d’incorporation, telles que les utilisent les sociologues. J’avais moi-même esquissé une telle critique dans mon livre Femmes et savoir [7]. Comme l’écrit Bernard Charlot, « penser en termes d’intériorisation aboutit toujours à constituer un psychisme qui n’en est pas un, une subjectivité qui n’en est pas une » [8]. En effet, l’individu « n’intériorise pas le monde, il se l’approprie et ceci parce que le sujet a sa logique propre » : lorsque l’extérieur (social) devient intérieur (psychique), « il ne change pas seulement de place mais de logique » [9] ; penser en termes d’intériorisation, c’est en effet « négliger le fait que “l’intérieur”, le psychique, la subjectivité, a des lois propres d’organisation et de fonctionnement, irréductibles à celles de “l’extérieur”, du social » [10].
8Comme Bernard Charlot, nous affirmons que le sujet, le psychisme a ses modes spécifiques d’organisation et de fonctionnement et on pourrait même ajouter que la constitution du rapport au savoir dans le sujet est l’un de ces modes d’organisation et de développement.
9Mais alors on ne comprend plus pourquoi Bernard Charlot va entreprendre ensuite de faire une théorie du sujet qui se limite à une sociologie et n’inclut pas – tout autant – une psychologie. Le sujet, affirme Bernard Charlot, est « un être à la fois singulier et social ». Mais alors, si une sociologie du sujet peut le saisir en tant que social, comment peut-elle le saisir en tant que singulier ? La sociologie étudie des formes générales d’individualités, des types, elle considérera l’individu comme agent social, acteur social, moi social ou « addition de moi sociaux », mais comment pourrait-elle, de son point de vue, se donner pour objet les individus singuliers ? Habituellement on admet plutôt qu’en tant qu’être singulier, le sujet est l’objet de la psychologie et non pas de la sociologie. Le sujet, affirme Bernard Charlot, est « un être singulier qui s’approprie le social sous une forme spécifique, transmuée en représentations, en comportements, en aspirations, en pratiques, etc ? » [11]. Ces termes de représentations, comportements, aspirations ne sont-ils pas plutôt des concepts de la psychologie que de la sociologie ?
10La raison pour laquelle Bernard Charlot affirme que la théorie du sujet doit être, malgré tout, une sociologie, c’est sa thèse que le sujet « est social de part en part ». Mais n’y a-t-il pas un paradoxe à affirmer à la fois que le sujet a sa logique propre et ses lois propres d’organisation et de fonctionnement et à vouloir les appréhender par une science qui considère d’autres lois et une autre logique ? De deux choses l’une, en effet : ou bien on définit le sujet de telle sorte qu’il est intelligible uniquement à travers des processus sociaux, mais alors on ne voit pas comment on pourrait reconnaître et sauvegarder sa singularité ; ou bien on reconnaît sa singularité, on admet la spécificité des processus psychologiques et, dans ce cas, on ne voit pas pourquoi une psychologie ne serait pas nécessaire pour les étudier et les comprendre.
11En réalité, la formule « le sujet est de part en part social » est très équivoque. Elle peut signifier ou bien que les processus sociaux imposent leur détermination à tous les aspects du psychisme humain, mais que ces processus psychiques gardent une autonomie relative et doivent être étudiés comme tels, ou bien que ces processus psychiques n’existent pas comme ordre de réalité spécifique et que par conséquent une science spécifique n’a pas lieu d’être pour les étudier. Bernard Charlot soutient une position tout à fait paradoxale, puisqu’à la fois il reconnaît aux phénomènes psychologiques une autonomie relative, une « logique propre », des « lois propres d’organisation et de fonctionnement », mais qu’en même temps il soutient que c’est une science qui étudie un autre type de phénomènes, les phénomènes sociaux, qui doit être à même de les prendre pour objet.
Sujet et rapport au savoir
12De même qu’une théorie sociologique est insuffisante en elle-même pour définir le sujet, elle est insuffisante pour définir le rapport au savoir de ce sujet. Bernard Charlot critique Bourdieu en lui reprochant de confondre, dans La misère du monde, le rapport au savoir d’un groupe et celui d’un individu, de faire comme si le rapport au savoir de l’élève x appartenant à une famille populaire pouvait se définir de la même façon que le rapport au savoir de « l’élève de famille populaire » comme type spécifique. Cela reviendrait à dire que l’élève x est un simple prétexte pour « donner forme individuelle à une position sociale » [12], cet élève n’étant rien de plus par lui-même que cette position sociale qu’il occupe. Contre cette réduction, Bernard Charlot s’insurge, à juste titre, en affirmant que le sujet singulier « interprète cette position, fait sens du monde, y agit, y est confronté à la nécessité d’apprendre et à diverses formes du savoir – et son rapport au savoir est l’effet de ces multiples processus » [13]. Mais préciser la nature de ces multiples processus ne supposerait-il pas de faire une théorie psychologique du sujet et du rapport au savoir ?
13C’est ici que se situe le point central de divergence entre notre équipe et l’équipe Escol. Tout en acceptant la proposition qui affirme que « le sujet est social, y compris dans ce qu’il semble avoir de plus intime » [14], nous affirmons que le sujet, donnant une forme psychique aux rapports sociaux dans lesquels il se constitue, est le siège de processus psychiques qui, ayant une consistance propre, doivent être étudiés comme tels. Et que, pour faire la théorie du sujet et du rapport au savoir, il est nécessaire de se référer aussi à une théorie psychologique.
Psychanalyse et rapport au savoir
14Notre choix s’est porté sur la psychanalyse parce que celle-ci représente, à nos yeux, la théorie du sujet la plus consistante proposée jusqu’à ce jour, même si, nous le verrons, des éléments indispensables doivent lui être adjoints du côté de l’organique et surtout de la socio-culture et de l’histoire, pour composer une théorie non-tronquée du sujet. Peut-être peut-on aborder ces questions avec d’autres théories psychologiques de référence, comme le suggère Bernard Charlot, mais il nous semble en tout cas qu’une théorie psychologique est nécessaire. Ne pas se référer à une telle théorie, en effet, c’est risquer de s’en tenir à une psychologie spontanée – comme on parle de « sociologie spontanée » ou encore, en psychologie sociale de « cognition sociale implicite » – qui véhicule des notions vagues, polysémiques, pleines d’ambiguïtés, d’impensé et d’idéologie. Sans doute loin de nous l’idée que la théorie psychologique serait suffisante et que la sociologie ne doit pas avoir sa place, nous affirmons seulement qu’une théorie sociologique du sujet et du rapport au savoir ne saurait se présenter comme autosuffisante ou comme hégémonique, réduisant les autres disciplines à un rôle secondaire et subordonné.
15Quel est l’intérêt de prendre la psychanalyse comme théorie de référence ? Tout d’abord sa méthode clinique nous paraît la mieux adaptée à l’étude du sujet singulier, pourvu qu’on ne l’ampute pas de sa dimension sociale. De plus, la psychanalyse, comme théorie, nous donne des clefs pour répondre à la question de la genèse du rapport au savoir ou encore de ce que nous appelons sa constitution.
Désir de savoir et pulsion
16Dès lors quand on cherche à comprendre cette constitution, invoquer le terme de « pulsion » fait-il « régresser vers une interprétation biologisante du désir » et utiliser ce concept a-t-il pour conséquence nécessaire de supposer que le sujet « ne rencontrera l’autre que dans un deuxième temps et le social dans un troisième » [15] ?
17Il est vrai qu’il y a un biologisme freudien lié, d’une part, à l’hypothèse d’une sexualité à fondement organique dès la naissance et d’une détermination essentiellement organique du psychisme et, d’autre part, à celle d’une transmission héréditaire de fantasmes originaires ; ce qui conduit Freud à postuler une nature fixe de l’être humain, des fantasmes et un complexe d’Oedipe immuables [16]. Mais est-ce bien au concept de pulsion que ce biologisme se rattache ? Autrement dit, est-il légitime de parler de biologisme dès qu’est employé le terme de pulsion ?
18Pour Freud lui-même, le concept de pulsion n’est pas un concept biologique, c’est, a-t-il toujours affirmé, « un concept-limite entre le somatique et le psychique ». La pulsion provient, certes d’une « poussée » somatique, mais elle est liée à la représentation, à l’affect et au fantasme, qui sont des produits déjà élaborés de la vie psychique.
19Mais c’est ici, plus généralement, la question des rapports entre l’organique et le psychique en l’homme qui est posée. Il est certain qu’il est hors de question de ne pas distinguer rigoureusement le niveau de l’infrastructure organique, des processus neurophysiologiques et celui du psychisme, qu’il soit conscient ou inconscient. Le psychisme ne représente pas le produit brut d’un processus organique et ne se réduit pas à l’existence et au fonctionnement d’un certain type de neurones. Pour autant, refuser d’admettre que les processus psychiques ont un support organique, c’est faire preuve d’une « mentalité fakiriste » [17], selon l’expression de Gérard Mendel, c’est imaginer le psychisme sans lien avec le corps, comme suspendu au-dessus d’un vide organique. Comme l’a dit si justement Lucien Sève, « il n’est aucunement question de proposer à la psychologie de mépriser le rôle des “données” biologiques – le conditionnement du “biologique” et du “psychologique” ne cesse bien entendu jamais » [18], le biologique étant ainsi le « support » et la « condition de possibilité » [19] de la psychologie et de la personnalité humaines.
20Certes, nous savons très peu de choses sur les liens entre la neurophysiologie du cerveau et la vie psychologique, mais il serait paradoxal d’affirmer qu’ils n’existent pas. Cela ne signifie pas que l’on réduise la vie psychique à ces processus biologiques et que l’on prétende les expliquer uniquement par eux. Sans doute si l’affect, la représentation, le fantasme inconscient, et même la pensée inconsciente, ont pour support le corps et la neurophysiologie du cerveau, ils ne peuvent s’y réduire : le produit n’est pas assimilable au processus. Car ils sont aussi en même temps le produit d’autres processus faisant intervenir d’autres facteurs, liés à l’histoire singulière du sujet et par conséquent à des facteurs culturels et sociaux. Et l’on peut même penser que ces facteurs sont plus essentiels et plus importants que les facteurs organiques pour comprendre la vie psychique en tant que processus et produit.
21Il en est de même pour la question de la pulsion. La pulsion est avant tout un processus psychique, puisqu’elle comporte représentations et affects. Elle ne saurait se confondre avec des processus physiologiques sous-jacents. Comme telle, elle est déjà liée à l’histoire singulière du sujet et aux facteurs socioculturels qui y interviennent. Mais refuser la pulsion et en déconnecter le désir, afin de dénier que celui-ci ait une base organique, me semble procéder de cette mentalité « fakiriste » dénoncée plus haut. Nous verrons d’ailleurs plus loin que, dans le modèle anthropologique que nous adopterons, la pulsion n’est pas un phénomène primitif. Il existe, plus primitifs que les pulsions, des « vouloirs » auxquels on peut d’ailleurs aussi supposer un support somatique, tant il est vrai que, si l’homme ne saurait exister sans une société, il ne saurait non plus vivre sans son corps et sans un système corps-cerveau.
22On ne peut nier, ni que l’être humain soit un animal, puisqu’il a un organisme, ni qu’il soit un animal radicalement autre, puisque, non seulement il est un animal social, mais que surtout il produit sa société et que sa société en retour le produit dans une interaction historiquement évolutive. L’être humain est un animal sans instinct, au sens strictement biologique du terme – sauf peut-être celui de la succion. Chez lui, la place de l’instinct est tenue par l’éducation et la transmission sociale d’une culture. C’est pourquoi l’être humain a capacité à évoluer quand change sa socio-culture. Pour nous donc, le psychisme humain individuel se développe à l’articulation du cerveau organique et de la culture familiale et sociale du sujet. Et c’est cette articulation qui produit un champ nouveau, le psychisme, distinct à la fois du biologique et du social, même si l’on n’est pas plus fondé à déconnecter les processus psychiques de leurs liens avec les processus organiques qu’avec les processus sociaux.
Sujet et socialisation
23Il est faux de dire que, dans une telle théorie, le social ne s’introduit que dans un second temps. Je serais tout à fait d’accord pour dire que l’enfant est d’emblée en rapport avec « l’autre ». Simplement, je souhaiterais être plus concrète et dire que cet « autre » abstrait est en réalité la mère ou un personnage maternant, ainsi que d’autres personnages significatifs de l’entourage, père, frères et sœurs, autres membres de la parenté, professionnel-l-es de la petite enfance, etc. Si ces « autres » sont déjà socialisés et représentent la société auprès du jeune enfant, si l’enfant en rapport avec eux est d’emblée sociable – il suffit de voir la précocité du sourire et les multiples compétences du nourrisson que la psychologie nous fait de mieux en mieux connaître – il n’est pas pour autant d’emblée un être social, au sens plein, ce que Bernard Charlot lui-même reconnaît lorsqu’il affirme que l’enfant a besoin pour cela d’être socialisé ou plutôt de se socialiser. Bien plus, si la famille opère dès le premier jour une socialisation primaire, dans aucune société celle-ci n’est considérée comme suffisante pour constituer l’être humain comme être social à part entière ; car, dans toutes les sociétés, sous une forme ou une autre, est reconnue la nécessité d’une séparation d’avec la mère et la famille restreinte, quelle que soit la procédure par laquelle celle-ci s’opère : initiation, intégration dans un groupe d’âge ou, dans nos sociétés, entrée à la crèche et scolarisation. Ce n’est pas en un autre sens que doit s’entendre cette socialisation en plusieurs temps. Il est difficile de mettre à la fois – à juste titre – l’accent sur l’éducation et de ne pas reconnaître que l’intégration dans la société – la socialisation – si elle commence dès la naissance – et peut-être avant –, ne se fait que progressivement pour l’enfant jusqu’à l’âge adulte et même se continue sans doute tout au long de la vie.
24C’est ce travail sur la genèse qui nous amènerait à nuancer la formule : « étudier le rapport au savoir, c’est étudier ce sujet en tant qu’il est confronté à la nécessité d’apprendre et à la présence dans le monde de “savoirs” » [20]. Ne se retrouve-t-on pas proche du modèle des sociologues que Bernard Charlot va critiquer ultérieurement ? On pose un sujet d’un côté et un savoir de l’autre et une nécessité qui lui advient de l’extérieur et s’impose à lui d’apprendre. Le rapport au savoir désignerait alors la manière dont un sujet se positionne et s’oriente par rapport à un objet de savoir extérieur à lui. Si cette présentation peut correspondre à l’expérience de l’enfant à son arrivée à l’école, celui-ci a eu cependant auparavant tout un vécu par rapport au savoir et aux apprentissages. Tout d’abord, il a déjà « appris » sans « nécessité » ou du moins sans contrainte extérieure, ces savoirs fondamentaux que sont le jeu, la marche, le langage et de nombreuses pratiques culturelles présentes dans son milieu familial.
25Et surtout, quand on conçoit la genèse du rapport au savoir dans le cadre d’une théorie du sujet à référence psychanalytique, on est amené à concevoir la constitution du rapport au savoir comme un processus psychique complexe, dont les origines sont antérieures chronologiquement et logiquement à l’entrée à l’école et qui se déroule au sein même de la constellation familiale ou des institutions de garde du jeune enfant. Le désir de savoir fait partie de processus psychiques propres au sujet, par qui les savoirs culturels et sociaux sont réinterprétés : qu’on le fasse naître dès les débuts de la vie, comme Bion ou très précocement, comme Mélanie Klein, dès la première année, comme curiosité concernant l’intérieur de la mère, ou, plus tardivement, comme Freud, au moment de la crise œdipienne, le désir de savoir apparaît comme un processus où le sujet met en jeu, comme nous le verrons plus en détail ultérieurement, des pulsions complexes (pulsion de voir, pulsion d’emprise, pulsion d’agressivité, curiosité sexuelle), y compris la recherche du plaisir et se satisfait lui-même par la création d’un premier « savoir », proche du fantasme et que Freud, a dénommé – à tort, sans doute, nous y reviendrons – « théories » sexuelles infantiles. Le sujet est donc tout d’abord auteur d’un premier savoir, création fantasmagorique à partir de sa propre constitution psychique d’enfant et de son propre désir de savoir.
26La nécessité d’apprendre et la présence d’un savoir social qui s’impose à l’enfant n’est donc pas l’étape première de la constitution du rapport au savoir, mais une étape seconde qui est dépendante de la manière dont se sont déroulés, dans l’histoire du sujet, les processus antérieurs. En particulier, c’est de cette première étape que proviennent les dimensions inconscientes du désir de savoir. Ce désir, en effet, s’est heurté d’emblée à des énigmes, souvent interprétées comme liées à un interdit parental (« tu ne dois pas savoir » ou « tu sauras plus tard, quand tu seras grand ») et a été conflictualisé. Par suite de ce conflit, le désir de savoir peut connaître des destins divers que Freud a décrits dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci : l’inhibition, l’obsession ou la sublimation. Ainsi cette nécessité d’apprendre, le désir d’apprendre même, peuvent entrer en conflit avec des désirs inconscients (le désir de « ne pas savoir », la peur, le refus d’apprendre [21], se heurter à des refoulements, à des inhibitions.
27Indépendamment des destins qu’a pu subir le rapport au savoir au cours de cette étape première de sa constitution, l’étape seconde qu’est l’entrée en institution et la scolarisation constitue une rupture. C’est ce passage que j’avais essayé de penser dans mon article « De la relation d’objet au rapport au savoir », dans Pour une clinique du rapport au savoir. J’y postulais que le passage à l’école, non pas comme premier milieu socialisant, puisque la famille est déjà un milieu socialisant, mais comme premier milieu socialisant non familial, était aussi le moment d’une mutation dans la constitution du rapport au savoir, moment où l’enfant devait renoncer à ses premières constructions de savoirs fondées sur le principe de plaisir, ce que j’avais appelé, en m’inspirant de Castoriadis, son « savoir privé », pour accéder aux savoirs culturels de sa société, au « savoir commun ». On peut imaginer un conflit entre ces deux types de savoirs, un conflit aussi entre savoirs familiaux et savoirs scolaires et enfin un conflit entre savoir et apprendre. Vouloir apprendre suppose de reconnaître que l’on ne sait pas, c’est-à-dire de renoncer au savoir premier que l’on a créé ou acquis. En ce sens, il est vrai que le savoir de l’école s’impose de l’extérieur comme une contrainte à laquelle l’enfant est confronté. L’apprentissage n’est possible que si ce conflit est dépassé. Le conflit est d’ailleurs plus facile à dépasser si la culture et le savoir présents dans la famille ont une certaine proximité avec le savoir transmis à l’école, alors qu’il peut devenir difficilement surmontable si la distance est trop grande entre les deux types de savoirs, nous y reviendrons.
28Pour résumer, on peut être d’accord que « l’enfant est jeté dans un monde qu’il doit s’approprier par son activité et qu’il y est confronté en permanence à la question du savoir » [22] ; mais cette question n’est pas une question qui s’impose seulement à lui de l’extérieur, il la porte en lui de l’intérieur. Le savoir n’est pas présent seulement dans le monde hors du sujet, il est présent en lui. Il ne s’impose pas seulement de l’extérieur par la contrainte, mais il est aussi une création du sujet lui-même et les savoirs sociaux rencontrent, pour le meilleur et pour le pire, un désir en lui et les conceptions singulières que ce désir à suscitées.
29De cette discussion, nous conclurons qu’une véritable théorie du sujet ne peut être que pluridisciplinaire et doit intégrer les acquis de l’ensemble des sciences sociales et humaines, en particulier de la psychologie et de la sociologie. De plus, nous serons d’accord avec Bernard Charlot pour dire que cette théorie du sujet doit reposer sur une anthropologie et que celle-ci manquait à notre précédent livre [23]. C’est pourquoi nous allons tenter maintenant d’esquisser cette anthropologie.
Hypothèses de base pour une anthropologie du sujet
30Pour constituer cette théorie du sujet, nous reprendrons les hypothèses anthropologiques de base de Gérard Mendel [24]. Celui-ci postule qu’on pourrait rendre compte de la vie d’un sujet à partir de l’interaction entre, d’une part, un certain nombre de ce qu’il appelle des « universels empiriques », composantes psychiques de base, données de bases – forces et structures – présentes en tout sujet, et, d’autre part, les composantes sociales, économiques et politiques de son époque. Car, si le sujet individuel d’aujourd’hui est le fruit de son histoire personnelle, il ne peut se comprendre que si l’on admet qu’il est influencé par les composantes sociales, économiques et politiques de son temps. On ne peut donc parler du sujet sans le localiser dans une culture précise. La notion de sujet elle-même, comme forme générale, supposant une intériorité, est le fruit de l’histoire occidentale. Il n’y a pas de sujet universel ni de nature humaine invariante. C’est à partir de ce modèle du sujet de notre culture que nous tenterons de reconsidérer la théorie du rapport au savoir.
31Quels sont ces universels empiriques, ces composantes psychiques de base qui constituent un sujet concret aujourd’hui ? Gérard Mendel les présente dans leur ordre d’apparition chez l’enfant.
Le vouloir de plaisir
32Tout d’abord un vouloir de plaisir, ancré dans le biologique, comme le montre la découverte d’« hormones de plaisir », existant d’une manière précoce chez l’enfant [25]. Ce vouloir de plaisir est le moteur d’une recherche de plaisir qui existe dès la naissance et du développement de stratégies de plaisir. Gérard Mendel substitue le terme de vouloir à celui de pulsion, parce qu’il estime, avec Winnicott, que les processus pulsionnels sont secondaires dans le temps, dans la mesure où ils sont liés à la formation de l’inconscient qui se situe à l’amorce de la crise œdipienne. « Le terme vouloir signifie qu’il s’agit là d’une force agissant de manière non consciente et non volontaire » [26]. Ce vouloir de plaisir joue un rôle fondamental dans la temporisation de la frustration.
33Avec le plaisir, apparaît l’angoisse qui en est le négatif. La frustration, le manque de plaisir fait surgir l’agressivité, d’où naît l’angoisse qui est une agressivité retournée contre soi. Au fur et à mesure du développement de l’enfant, ce vouloir de plaisir va investir les comportements sociaux et les conduites relationnelles, y compris sexuelles. C’est ici qu’il faudra comprendre comment peut naître peu à peu un plaisir (et une angoisse) attaché à l’apprendre et au savoir [27].
Le vouloir de création
34La deuxième composante de base est ce que Gérard Mendel nomme « vouloir de création », désignant par ce terme « l’ensemble des phénomènes transitionnels et leur ligne évolutive » [28]. Reprenant la théorie de Winnicott, dont il dit que c’est la deuxième grande découverte de la psychanalyse, après Freud et sa découverte de l’inconscient et du complexe d’Œdipe, Gérard Mendel nous rappelle que, selon Winnicott, entre six et douze mois, pour supporter la perception progressive de la séparation entre le monde (représenté essentiellement par la mère) et lui, l’enfant se fabrique l’illusion que c’est lui qui crée le monde. Si la mère réelle est « suffisamment bonne » et apporte dans la relation soins et amour (holding et handling), un « soutien enveloppant et léger » [29] et un amour non possessif qui rassurent l’enfant, celui-ci peut jouer avec le corps de la mère, son sein, la nourriture et se donner l’illusion que la réponse à ses besoins vient de lui et non d’elle. Il se crée l’illusion que le soi et le non-soi sont à la fois confondus et distincts. L’objet transitionnel, l’ours en peluche, intermédiaire entre le soi et le non-soi, est un objet « trouvé-créé », à la fois déjà là et créé par l’enfant. Il s’agit là d’un temps d’avant l’inconscient qui est tout aussi lourd de conséquences pour l’avenir du sujet que le complexe d’Œdipe. Nous aurons en particulier à préciser le rôle qu’il joue dans la naissance et l’évolution du désir de savoir.
Le schéma psychofamilial inconscient
35La troisième composante de base est le schéma psycho-familial inconscient, tel qu’on peut le tirer des découvertes de Freud – indépendamment de son naturalisme. Ce schéma s’est mis en forme intérieurement entre la première et la cinquième année, à partir des relations familiales et des structures de parenté, variables toutes deux selon la période historique et la culture. C’est dans ce schéma que se situe le complexe d’Œdipe, les diverses identifications parentales, mais aussi la séparation entre Conscient et Inconscient, la formation du Surmoi et de l’Idéal du Moi. Et, comme Freud l’a bien montré, cette étape et la structure qui en est résultée sont capitales dans la constitution du désir de savoir et du rapport au savoir d’un sujet. Nous y reviendrons.
36L’existence d’un tel schéma psycho-familial explique l’intensité du lien social dans les différentes micro ou macro-sociétés. Il faut noter aussi que ce schéma psycho-familial est une source d’illusion. Il apparaît comme structure élémentaire de la socialité, ce qui fait que chacun, enfant et adulte, est amené à le projeter sur le milieu social dans lequel il vit et à avoir de celui-ci une « vision familialiste » [30].
La rationalité instrumentale
37Gérard Mendel mentionne encore, comme universel humain essentiel, la rationalité instrumentale. Depuis les origines de l’humanité, les hommes ne parviennent à survivre que grâce à la rationalité instrumentale, en intégrant à la culture les éléments de conduite considérés comme efficaces. L’enfant apprend cette rationalité instrumentale au cours de sa socialisation : il apprend à obéir à une logique instrumentale de l’acte, à atteindre des buts en utilisant les moyens que le milieu social met à sa disposition.
La coopération structurale
38Un autre universel humain serait la coopération structurale, c’est-à-dire la capacité à agir avec d’autres, non seulement en prenant en compte l’addition des individus, mais en manipulant dans sa tête les interrelations entre eux. Si on peut imaginer que cette capacité est à l’origine de l’hominisation, dans nos sociétés, ce sont les rapports sociaux qui permettent l’exercice de cette capacité structurale et qui imprègnent l’individu de contenus culturels et historiques. Cette capacité serait aussi à l’origine du dernier universel humain : le langage.
Le langage
39« C’est dans le déploiement d’un processus de coopération structurale que les hommes ont inventé puis développé le langage » [31]. Le langage, dans sa triple fonction, référentielle (désigner des réalités objectives), communicationnelle (rendre possible la coopération dans l’action) et imaginaire (créer un monde d’illusion), fonctionne soit comme mode de relation au réel, soit comme auto-efficient et auto-suffisant dans l’intersubjectivité. Ces deux aspects du langage sont essentiels aussi dans le rapport au savoir.
L’éducation et la transmission socioculturelle
40À ces six universels humains, il nous semble qu’un septième devrait être ajouté, sur lequel Bernard Charlot insiste à juste titre : la nécessité de l’éducation comme transmission socioculturelle d’une génération à la génération suivante. C’est ce qui fonde l’existence et la nécessité du savoir. Le fait que l’homme naisse prématurément et dépourvu des comportements instinctifs nécessaires à sa survie, en effet, entraîne la nécessité que ces comportements soient appris et donc transmis. Ils peuvent l’être soit directement par le faire ou l’acte : l’enfant est peu à peu intégré aux faire et aux actes, tant techniques que rituels, qui se pratiquent dans sa propre culture ; soit indirectement : un savoir comme discours sur ces faire et sur ces actes, ou même un savoir qui trouve sa finalité en lui-même, est élaboré, formalisé, exprimé dans un langage pour être transmis et appris comme tel, afin que les enfants deviennent membres à part entière, efficients et coopérants, de leur société et de leur groupe social.
Personnalité psycho familiale et personnalité psychosociale
41À partir de ces hypothèses de base, on pourrait postuler qu’il existe deux temps essentiels dans la constitution d’un sujet, dans notre société, deux stades successifs. Par l’interaction entre l’individu et son milieu familial, lui-même déterminé par les rapports sociaux et les composantes sociales, économiques, culturelles de ce milieu, se constitue la personnalité psychofamiliale, dans laquelle l’élément inconscient et fantasmatique est essentiel, mais dans lequel s’opère aussi l’apprentissage de faire et de pratiques de base.
42Par l’entrée de l’individu dans un milieu social plus large, dont la première forme est la crèche ou l’école et ensuite surtout le milieu de travail, se constitue la personnalité psychosociale. Celle-ci est liée avant tout au faire et à l’agir social qui comportent d’autres composantes sociales, économiques et culturelles que le milieu familial, mais, dans nos sociétés qui, par la scolarisation, retarde considérablement l’entrée de l’enfant dans le travail, l’école apparaît comme la première étape d’accès aux faire sociaux, puisque des savoirs préalables sont nécessaires pour y accéder.
43Comment se constitue le rapport au savoir dans ces deux stades successifs de constitution du sujet, tel sera maintenant notre objet d’étude, en précisant que cette étude est une esquisse qui demandera à être approfondie, complétée en fonction d’études empiriques ultérieures.
Le rapport au savoir dans la personnalité psycho-familiale
Rapport au savoir, vouloir de plaisir et vouloir de création
44Le premier lien, le plus fondamental peut-être, entre rapport au savoir et vouloir de plaisir, se noue au niveau de ce que Gérard Mendel appelle vouloir de création. Considérons donc comment le savoir apparaît dans ses relations avec le vouloir de création.
Vouloir de création : objet et aire transitionnels
45Nous reprendrons ici les hypothèses de Winnicott et leur réinterpétation par Gérard Mendel [32]. « Le vouloir de création qui, jusqu’à la mort, participera à la substance générique humaine n’est que la forme que prend la force mue par le vouloir de plaisir se modelant dans le cours des processus transitionnels » [33]. La prématurité du nourrisson humain et sa dépendance vitale vis-à-vis de sa mère permettrait d’expliquer le décalage temporel entre un développement sensoriel précoce et un développement moteur plus tardif ainsi que, fondé sur ce développement sensoriel, l’apparition précoce d’un monde de fantasmes, non verbal, sensoriel et sensuel, déconnecté de l’épreuve de réalité.
46Parmi ces fantasmes, un vécu de totalité, une sensation d’unité entre le nourrisson et sa mère est un élément central. Selon la formule de Winnicott, « l’enfant tète un sein qui fait partie de lui-même et la mère allaite un enfant qui fait partie d’elle-même » [34]. Dans les mois qui précèdent la fin de la première année, cette unité imaginaire va se rompre ; les progrès maturatifs de la perception, de la motricité et enfin de la pensée vont amener le petit enfant à prendre conscience que l’autre (la mère) et lui-même ne sont pas une seule et même réalité, que la mère ne fait pas partie de lui, de son soi, mais qu’ils sont distincts et séparés.
47Winnicott fait l’hypothèse que cette découverte provoque un traumatisme et que ce traumatisme de la séparation ne sera jamais vraiment « intégré » par les êtres humains, ni individuellement, ni collectivement ; mais qu’il peut être « apprivoisé ». Telle est la fonction de l’espace transitionnel et des phénomènes transitionnels, selon Winnicott.
48Au moment où l’infans découvre que le soi et le monde (représenté par la mère) ne font pas une réalité mais deux et n’ont pas une volonté mais deux – moment où le soi doit advenir comme sujet distinct de l’objet – il ne parvient, selon Winnicott, à supporter cette réalité insupportable que grâce aux phénomènes transitionnels, par lequel l’enfant se crée l’illusion que l’objet trouvé est créé par lui. Le premier objet transitionnel est le sein maternel : « si la mère s’adapte suffisamment bien aux besoins de l’enfant, celui-ci en tire l’illusion qu’il existe une réalité extérieure qui correspond à sa capacité de créer » [35], dit Winnicott. Ce que Gérard Mendel interprète ainsi : « je ne peux supporter l’existence d’un monde qui se crée sous mes yeux en me niant que si je pense que c’est moi qui l’ai, ce monde, créé » [36]. Pour qu’il puisse accepter le fait qui commence à être perçu par lui que le monde n’est pas le soi, « le petit enfant remplace l’illusion d’être le monde par l’illusion qu’il peut créer ce monde, qu’il le crée réellement » [37]. Illusion qui lui donne un sentiment de toute-puissance : « Dans l’interactivité avec sa mère, en laquelle se résume à ce moment encore le monde, il faut qu’il puisse se penser…tout-puissant ». Le sevrage de l’illusionnement ne deviendra possible que dans et par le passage par l’illusion. Avant d’atteindre à une relative adaptation à la réalité partagée avec d’autres, il faut que l’infans pense qu’il est le dieu créateur de cette réalité » [38].
49Winnicott insiste sur l’importance de la réalité externe, c’est-à-dire de la mère réelle et de sa personnalité. Pour que cet espace transitionnel se constitue, il faut la participation de la mère réelle. « L’un des grands mérites de Winnicott est d’avoir su réintégrer la réalité objective à l’intérieur de la théorie psychanalytique », souligne Gérard Mendel [39]. La mère réelle doit être « suffisamment bonne ». La mère « suffisamment bonne » est celle qui s’adapte à ce qui se révèle nécessaire à son enfant. Ce qui se révèle nécessaire, c’est le holding : soutenir sans dominer ; ce n’est pas un amour excessif, intrusif, « son amour doit prendre la forme de la discrétion, pour ne pas écraser l’infans, pour laisser la place (l’aire intermédiaire) à l’expression de sa créativité » [40].
50Mais cette capacité de la mère « à vivre les interactivités avec son enfant au sein de l’“aire intermédiaire” » [41] existe chez les mères à des degrés objectivement différents, dépendant de leur propre personnalité ; et ces différences auront des effets sur les modes d’apparition de l’aire transitionnelle, sur les capacités de jeu de l’enfant et, plus tard, sur ses capacités créatives et sur son goût de vivre. S’il y a déficit de cette création première, une réaction défensive va se mettre en place et se développera ce que Winnicott appelle un « faux-soi » qu’accompagnent un refus chagrin de la réalité et, à la place de l’amour, la haine de la vie. Sur la constitution d’un soi authentique repose, au contraire, la capacité du jeu créatif avec le monde, le faire, la pensée, la coopération, l’art, la création théorique et scientifique, l’amitié, l’amour.
Vouloir de création, jeu et symbole
51Si le premier objet transitionnel est le sein, la seconde forme des phénomènes transitionnels est le jeu. L’enfant se crée un espace transitionnel par le jeu. Cet espace dans lequel l’enfant joue avec des objets réels dits « transitionnels » (dont le symbole est l’ours en peluche), est vécu par l’enfant comme à la fois intérieur et extérieur, soi et non-soi. L’« aire intermédiaire » permet au petit enfant de concilier sa vie psychique purement fantasmatique avec la réalité objective : « cette zone intermédiaire pour laquelle ne se pose pas la question de savoir si elle appartient à la réalité intérieure ou extérieure (partagée) constitue la partie la plus importante de l’expérience infantile » [42].
52Ce qui est important, ce n’est pas l’objet transitionnel en soi, mais le jeu avec lui. « Ce jeu marque que la réalité ne peut être acceptée authentiquement que dans une attitude créative avec elle » [43]. Le jeu est en fait un jeu avec l’absence de la mère : en jouant en acte la présence-absence de la mère, le tout jeune enfant se donne à lui-même l’illusion de maîtriser cette présence et cette absence. Il passe ainsi de la passivité à l’activité et retrouve une joie à vivre. Gérard Mendel avait commenté en ce sens le célèbre jeu de la bobine [44] : « L’enfant apprend par soi-même à se passer physiquement de sa mère en créant des équivalents symboliques, “culturels” de celle-ci » [45]. Mais il fait remarquer, dans son nouveau livre, que le jeu décrit par Freud « représente par sa répétitivité compulsive et indépassable un relatif échec de cette phase transitionnelle » [46]. Le jeu n’est positif que s’il est créatif et évolutif. Grâce au jeu, l’enfant parvient à trouver – ou à créer – « des objets de substitution, de plus en plus éloignés du point de départ et de plus en plus inscrits dans la réalité extérieure et objective » [47]. Car le destin de l’objet transitionnel est d’être abandonné, désinvesti. Il aura de nombreux substituts et, de déplacements en déplacements, l’enfant accédera au monde spécifiquement humain du symbole. L’aire intermédiaire va alors s’élargir peu à peu, jusqu’à recouvrir, comme le dit Winnicott, « tout le domaine de la culture » [48], jusqu’à l’âge adulte, où les héritiers de cette aire de l’illusion seront la religion, les arts et toutes les formes de théories. L’enfant y accédera progressivement, avec le patrimoine culturel, comme environnement soutenant.
53Ainsi la sublimation serait à comprendre, non plus, à la manière de Freud, comme un recentrage des pulsions partielles sous le primat des pulsions génitales, mais « comme la mobilisation de l’ensemble de la personnalité sous le primat créatif de l’aire intermédiaire » [49]. Car « la satisfaction liée à la création originelle de l’objet transitionnel est indépendante de la tension et de la détente pulsionnelle : l’aire intermédiaire ne concerne pas les pulsions de formation ultérieure » [50]. Les pulsions se formeront, à partir de la deuxième année, lors du stade phallique préœdipien, puis de la phase œdipienne et de ses suites. Elles seront en lien avec la fantasmatisation concernant les figures parentales, et se formeront du lien entre des représentations et des affects concernant ces figures, nourris de toute l’ambivalence de sentiments d’amour, de haine et de culpabilité qui les caractérisent. Puis viendront, après cette mise en place de l’appareil psychique, inconscient et conscient, des identifications et des refoulements, la reconnaissance de la réalité naturelle et sociale et l’apprentissage de la rationalité instrumentale.
Vouloir de création et outil
54La thèse de Gérard Mendel, à partir de là, c’est que l’outil et surtout l’acte qui l’utilise sont des prolongements de l’objet et de l’aire transitionnels. Comme l’objet transitionnel, qui n’est pas un substitut de la mère, ni du soi, qui est un « soi/non-soi », l’outil est à la fois moi et non-moi : « si je n’étais pas du tout l’outil, je serais incapable de l’utiliser dans le prolongement de mon corps et du soi-sujet », mais je ne m’identifie pas entièrement à lui, car il peut se dissocier de mon geste et exister indépendamment de lui de manière permanente. Mais aussi l’usage de l’outil me permet de façonner la matière, de modifier le monde et à la fois, en me faisant rencontrer les contraintes et la résistance de la matière, il me fait découvrir que le réel, le monde, ce n’est pas moi, qu’ils sont séparés de moi et pas forcément conformes à mes vœux – vérité insupportable – de sorte que le sujet, pour s’y confronter, a besoin d’une certaine confiance en soi, qui n’existe que grâce au souvenir inconscient de l’expérience positive de la prime enfance.
55L’outil et son usage ne sont qu’un des substituts de l’objet et des phénomènes transitionnels. Plus largement, c’est « l’intelligence rationnelle-pratique » qui « naît et se développe à partir de l’espace transitionnel » [51]. L’intelligence pratique, que Gérard Mendel caractérise comme étant « à prédominance visuelle, intuitive, analogique, préverbale » [52], déborde largement le domaine du travail manuel ; elle concerne les pratiques dans tous les domaines, économique, thérapeutique, politique, éducatif, jusqu’à celles qui mènent à la création artistique et scientifique. Mais on verra que, dans ces domaines, le langage aussi et les savoirs formalisés interviennent.
56Si l’intelligence pratique, « l’inventivité du faire » sont des substituts de l’objet et de l’espace transitionnels, on peut suivre leur développement génétique à partir du jeu avec l’objet transitionnel. Ce développement est lié à celui de la psychomotricité des premières années qui est favorisée dans tous les milieux sociaux (gestes de saisie et de manipulation d’objets, station debout, marche). À l’origine, ce développement est étroitement lié au jeu, dans lequel l’enfant apprend à manipuler des objets et des outils, dans des jeux et des gestes qui, peu à peu, tendent à imiter les objets et les outils des adultes. Une première forme de savoir va apparaître, le savoir-faire ou savoir pratique. Le premier volet de la constitution du rapport au savoir, c’est le développement de ce savoir-faire pratique qui s’exprime à travers la manipulation habile de l’objet-outil.
Vouloir de création et langage
57Mais il y a un autre prolongement de l’objet transitionnel, c’est le développement de l’outil-langage. Le langage – la compétence linguistique, le savoir linguistique – est par excellence l’exemple de l’objet trouvé-créé. À la fois le langage est, comme la culture en général, une réalité déjà là, puisqu’il suppose un code social, la langue, au sens saussurien du terme, création et expression du groupe social, et l’enfant le découvre, parlé par les membres significatifs de son entourage, et en particulier par la mère ; c’est en ce sens que l’on parle de « langue maternelle ». Mais, en même temps, l’enfant s’approprie le langage sans que l’entourage organise un apprentissage formel, comme si celui-ci lui venait peu à peu, de l’intérieur de lui-même, comme s’il l’avait créé lui-même, puisque parfois même il manie les règles du code à sa manière et fabrique des formes morphologiques ou syntaxiques non conformes à l’usage. C’est peut-être là les racines des théories innéistes du langage, sur le modèle de Chomsky. En tout cas, il est certain que l’enfant peut ressentir le langage à la fois comme lui venant de l’extérieur, comme un don de la mère, mais aussi comme venant de lui-même, comme la production d’objets-phrases qu’il crée de lui-même, comme un objet qui est donc à la fois intérieur et extérieur et dont on n’a pas à savoir en définitive s’il est intérieur ou extérieur.
58C’est pourquoi le langage est peut-être plus proche que l’outil de l’objet transitionnel. L’objet-outil se confronte à la matière, à la réalité externe, il est amené à se heurter à la résistance du réel et à sa sanction : celui qui en fait usage doit subir « l’épreuve de la réalité ». Il acquiert aussi à cet usage le sens de la réalité. Le sujet peut aussi confronter ses productions langagières à la réalité, mais il n’est pas en rapport direct avec celle-ci. Il ne rencontre pas forcément sa résistance et sa sanction. Il peut fonctionner en circuit fermé et même croire que les mots suffisent à créer ou à transformer la réalité, comme l’enfant du jeu de la bobine, qui, en prononçant son fort-da, se donne l’illusion de maîtriser ou même de créer l’absence ou le retour de la mère. Tel est l’usage magique du langage : les mots comme défense contre le réel, comme refus du réel. L’outil-langage reste donc plus proche de l’illusion que l’outil matériel.
59Par opposition à l’outil, le langage permet une autre forme de savoir, proprement humain – on discute pour savoir s’il y a des techniques animales et on tend aujourd’hui à répondre positivement –, le savoir mis en forme langagière, nommé, discouru, formalisé, voire mis en forme théorique. Le savoir, par l’outil et par le langage, est donc issu de l’objet transitionnel, et en tient son paradoxe : pour pouvoir tolérer la réalité trouvée – si contraire à nos vœux – la dire et la recréer, ou refuser la réalité et créer, par la magie des mots, une réalité conforme à nos vœux. Le savoir qui substitue les mots aux choses peut alors apparaître comme une modalité de refus du réel et de l’interactivité avec lui dans l’acte. Mais le sujet peut aussi, par le langage, chercher à rejoindre la réalité et à l’exprimer. En même temps, le savoir, comme le langage, est création collective, sociale et culturelle. Il arrache l’enfant à son univers fantasmatique singulier pour le confronter au langage et aux savoirs communs, comme nous le verrons plus loin, après avoir considéré le moment œdipien et le schéma psycho-familial inconscient.
Rapport au savoir pratique - rapport au savoir théorique
60Si l’objet-outil conduit au développement de l’intelligence rationnelle pratique, l’outil-langage mène à celui de l’intelligence rationnelle-théorique. Avec l’acquisition du langage se constitue en germe, une autre forme de rapport au savoir, qui n’est plus rapport au savoir-faire, mais rapport au savoir énoncé, discouru. C’est ici que, dans le développement de l’enfant, les modèles parentaux, ainsi que les différences de milieux sociaux vont très rapidement intervenir. Dans les milieux populaires, les enfants verront les parents bricoler « savoir tout faire avec leurs mains » et valoriser ce savoir ; ils apprendront par identification et imitation des schémas et modèles de savoir-faire manuel : l’intelligence pratique occupera une grande place dans leur personnalité. Leur rapport au savoir se constituera plutôt comme rapport aux savoirs pratiques. Mais, nous l’avons vu, l’intelligence pratique déborde largement le domaine de l’acte manuel et concerne les actes en général. L’intelligence pratique s’exerce dans tous les domaines de travail où l’acte, comme interactivité avec le réel, est central. Il y aura donc continuité entre jeu transitionnel, apprentissage de la motricité et apprentissage du faire et du faire professionnel.
61Mais, dans d’autres milieux sociaux, où l’habileté langagière, par opposition à l’habileté manuelle est plus considérée, un autre scénario peut se dérouler. Le savoir-faire manuel se trouve peu valorisé pour des raisons socioculturelles. « L’enfant entre alors dans un univers autant magique que rationnel, celui des mots » [53]. On peut penser ici à l’autobiographie de Sartre, qu’il a précisément intitulée Les Mots et qui est analysée dans un autre article de ce livre [54]. Dès lors, ce sera le rapport au langage et le rapport au savoir théorique qui se trouveront investis et favorisés. De plus, à l’école, l’enfant va trouver confirmation de cette orientation, puisque c’est aussi l’intelligence verbale, abstraite qui se trouve valorisée. Autant donc l’enfant de milieu populaire risque d’y trouver – sauf position contre-identificatoire – un univers déconcertant, éloigné de son univers familial habituel, autant l’enfant de milieu socioculturel dit privilégié – et peut-être surtout ceux des milieux enseignants et intellectuels – va y trouver confirmation de son propre univers familial et des modes de savoirs qui y sont valorisés.
62En même temps, le faire, l’acte est une manière de se confronter au réel, d’entrer en interactivité avec lui et donc d’être poussé à l’accepter pour pouvoir agir sur lui, gagner un pouvoir, certes limité, mais relativement efficace sur lui, alors que l’univers du langage et des mots, « constitué d’une manière indépendante du réel immédiat et des référents concrets » [55] risque de faire perdre au sujet le contact avec la réalité et de le faire régresser vers l’irréalité. L’intellectuel pur se trouve contraint de nier la réalité du monde.
63Ainsi ne pourrait-on pas dire que l’enfant « théoricien » du complexe d’Œdipe se trouve engagé dans cette tentation de devenir un « intellectuel pur » ?
Rapport au savoir et schéma psycho familial inconscient
64Le moment du complexe d’Œdipe est le deuxième grand moment de séparation. L’un et l’autre « correspondent chacun à la méconnaissance nécessaire d’une réalité insupportable, impossible, inacceptable, bien que devant être assumée » [56]. Pour le premier moment, cette réalité se résumait en la contradiction suivante : « Le cosmos et moi, nous sommes un, je l’ai expérimenté au tout début de ma vie ; pourtant nous faisons deux » ; et, pour le second moment, elle se résume en deux contradictions : tout d’abord, je désire être – et pour l’éternité – l’objet du désir de ma mère et/ou de mon père et pourtant l’objet de son désir est autre ; deuxièmement, « je suis intérieurement (par les identifications) les deux parents, mère et père ; pourtant extérieurement je ne possède qu’un seul sexe anatomique et vais ne devoir assumer qu’un seul genre social » [57].
65La création de l’aire transitionnelle était le moyen d’assumer la séparation de la première année entre la mère et l’enfant, le moi et le non-moi, le sujet et l’objet, – par lequel le sujet constitue son identité de base. Le dépassement de l’Œdipe représentera un second moment de séparation, celui où, entre quatre et cinq ans, l’enfant va se séparer de son objet d’amour primitif et de sa bisexualité psychique initiale et où il va devoir constituer son identité sexuée en se séparant de son désir œdipien et de cette identité psychique double, non-différenciée, masculine et féminine et en reconnaissant la réalité : le désir de la mère ou du père pour l’autre et son appartenance à un seul des deux sexes existants [58].
66Alors que le premier moment peut être considéré comme la source des savoirs et de l’intelligence rationnels-pratiques, dans toute leur extension, le second moment pourrait être représenté comme l’origine des savoirs et de l’intelligence rationnels-théoriques. Alors que le savoir-faire est lié à l’acte qui participe de la première séparation (entre le sujet et l’objet), le savoir rationnel théorique est plutôt lié, nous allons le voir, à la seconde : la question du désir et de la différence des sexes, avec sa problématique de la castration et de la mort. Cependant, sous ses aspects créatifs, il reste lié au vouloir de création. Auparavant, il nous faut voir le lien entre désir de savoir et vouloir de plaisir.
Plaisir de penser et désir de savoir
67Comment le rapport au savoir est-il en lien avec le vouloir de plaisir ? On peut avec Sophie de Mijolla-Mellor, faire l’hypothèse qu’il existe un « plaisir de pensée », une fonction d’intellection, pensée ou jugement, dont l’exercice suscite un plaisir spécifique, avec ses manifestations, ses avatars et ses inhibitions. En ce sens, et malgré sa précocité, le désir de savoir, qui naît – nous y reviendrons plus loin – de ce que Freud appelle « les problèmes sexuels », est second par rapport au développement de la pensée. Il est second aussi par rapport à un vouloir d’investigation qui s’appuie sur le vouloir voir et l’emprise. Il suffit d’observer le nourrisson pour constater à quel point il est avide de regarder tout ce qui l’entoure et de s’emparer de tous les objets qui sont à sa portée pour les manipuler et les mettre à sa bouche. Le vouloir d’investigation précède donc la pulsion ou le désir de savoir qui vont être liés au désir œdipien.
68Le vouloir d’investigation est à l’origine du développement de la pensée et en lien avec la création de l’espace transitionnel. On pourrait dire qu’au point de vue génétique, le désir de pensée naît au moment de ce que Gérard Mendel a appelé la Grande Séparation, le moment de séparation entre l’enfant et sa mère, que nous avons décrit plus haut. On a vu l’importance qu’avait dans cette phase le jeu avec l’objet transitionnel et on pourrait supposer que l’activité de pensée est liée à celui-ci.
69Par quel processus s’est mis en place le développement de la pensée ? La pensée, comme fonction nouvelle, est liée à la possibilité de se représenter l’objet absent. Avant de pouvoir penser, le bébé, en proie au besoin, sensation mauvaise combinée au vécu de l’absence de l’objet, inscrit comme source de satisfaction, hallucine, afin d’éviter cette sensation mauvaise, le sein et la « gestalt » d’expériences satisfaisantes, dans un mouvement d’auto-engendrement de la part du nourrisson omnipotent [59]. En fait, il est lui-même le sein, sa psyché se rassemble à l’intérieur de cet objet incorporé en lui.
70Ce n’est qu’après un long travail d’introjection, de construction d’objets internes suffisamment intégrés, fortifiés et secourables, que ces processus hallucinatoires céderont peu à peu la place à la pensée, c’est-à-dire à la possibilité pour la psyché de se représenter l’objet absent et préoccupé par un ailleurs encore irreprésentable, sans que cette absence ni l’irreprésentabilité de cet ailleurs constituent un danger d’anéantissement pour la psyché du sujet [60].
71En somme, la naissance de la pensée se rapproche des processus du travail de deuil. Elle correspond, selon Piera Aulagnier [61], à la mise en place d’une nouvelle zone-fonction érogène : les activités du je sont accompagnées d’une sorte de commentaire du vécu qui est l’œuvre et le but même de l’activité de penser. Et cette activité apparaît d’emblée « comme un plaisir partiel lié à la fonction d’intellection par laquelle le sujet traduit en idées ce qu’il vit ». Ce plaisir de penser peut engendrer un désir de penser, mais celui-ci n’est pas l’origine du désir de savoir, car le désir de pensée a pour objet l’idée, alors que le désir de savoir, nous allons le voir, a pour objet l’énigme. Le désir de savoir, lui, est lié à la crise œdipienne. Il est pulsion de recherche, pulsion de voir et de saisir, suscitée par l’énigme de la sexualité adulte, et doit se distinguer de la pensée, même si la curiosité sexuelle pourra utiliser l’énergie du plaisir de penser et aussi du vouloir de création, afin de ne pas se laisser inhiber par le refoulement.
Écroulement de l’évidence et désir de savoir
72On ne peut comprendre la naissance du désir de savoir, sans se référer au schéma psycho-familial inconscient. Freud supposait que cette « pulsion de savoir » naissait uniquement d’un souci intéressé et d’un besoin pratique, celui, à la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur, de faire disparaître ce ou cette rival-e. C’est probablement sous l’influence de son histoire personnelle que Freud a été amené à cette idée [62]. Sophie de Mijolla-Mellor s’inscrit en faux contre cette thèse ; pour elle, la « pulsion de savoir » naît de cet « écroulement de l’évidence » qui se produit dans toutes les circonstances qui amènent le sujet à prendre conscience « de la non-évidence du lien d’amour qui l’attache à ses parents et dans lequel il puise son identité » [63]. Ce que la naissance d’un puîné fait découvrir, c’est que l’amour des parents n’est pas une donnée immuable qui fait partie de l’existence de l’enfant, mais un bien contingent, c’est aussi l’énigme de la sexualité adulte pour l’enfant. Et cette découverte se traduit par une nécessité de savoir, « un besoin de causalité pour rétablir le sens qui s’est effondré » [64]. Après avoir découvert, dans la première année, que sa mère et lui ne sont pas un mais font deux, l’enfant découvre que l’amour de la mère, des parents, peut venir à manquer.
73Diverses situations peuvent être à l’origine de cet « écroulement de l’évidence » : la naissance d’un puîné, certes, mais aussi celle qui est désignée comme « scène primitive », mais aussi la découverte de la différence des sexes et enfin celle de la mort, à travers l’inquiétude éveillée par la mort d’un proche. Sophie de Mijolla-Mellor insiste sur le trouble que peut susciter cette confrontation à la mort, que Freud a négligée, lui dont un frère puîné est mort, alors qu’il était encore tout petit, car l’interrogation de l’enfant sur la vie et son origine est indissociable d’une interrogation sur la mort, la représentation de n’avoir pas toujours existé se relie irrésistiblement à celle de ne pas être assuré d’exister toujours, surtout que cette représentation s’accompagne de la prise de conscience par l’enfant de la non-évidence du lien d’amour qui l’attache à ses parents. Toutes ces situations ont en commun de plonger l’enfant dans le désarroi et dans l’angoisse.
Énigme et désir de savoir
74Cette angoisse, suscitée par telle ou telle de ces situations ou par toutes peut être tellement forte qu’elle devient insurmontable : « au point que la seule solution possible devienne l’inhibition de pensée sous toutes ses formes » [65].
75Si l’angoisse au contraire n’est pas trop forte, « le premier acte de la démarche de l’enfant consiste d’abord à passer du désarroi à la constitution d’une énigme » [66]. Le terme d’énigme est très intéressant et la définition qu’en donne Sophie de Mijolla-Mellor plus encore : le « savoir, au sens de la “sensation intellectuelle”, qu’il y a quelque chose de capital, de vital, qu’on ne sait pas, qu’il serait très excitant de savoir, même si cela peut être aussi interdit voire dangereux » [67]. Ce savoir est celui qui résoudrait la question de l’origine et celle du sexuel en général. L’énigme ne découle pas d’un désir de savoir préalable, c’est l’énigme qui fait désirer un savoir pour la résoudre. Donc la « pulsion de savoir » est une pulsion de recherche (tentative « d’aller y voir » ou d’y « voir clair »), où l’activité de penser s’oriente de telle sorte qu’elle investit et érotise l’énigme.
76On se souvient que c’est justement une énigme qu’Œdipe avait à résoudre face à la Sphinge et que c’était une question de vie ou de mort. Mais aussi bien on est très proche du mythe biblique d’Adam et Eve où goûter au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal aura pour conséquence le travail, la domination masculine, la souffrance de l’enfantement et la mort.
77Cette énigme peut revêtir, pour l’enfant, plusieurs formulations, en fonction des formes que peut prendre cet « écroulement de l’évidence » : par rapport à la naissance d’un cadet, « Où est-ce qu’il était celui-ci qui n’était pas là avant et que je voudrais renvoyer d’où il vient ? » et, plus narcissiquement, « où étais-je quand je n’étais pas là ? » ; par rapport à la scène primitive, « Que font les parents quand ils sont seuls dans leur chambre le soir ? » ; par rapport à la différence des sexes, « Pourquoi ne puis-je pas posséder les deux sexes ? Qui suis-je sexuellement ? Semblable sexuellement à ma mère ou bien à mon père ? Destiné à trouver ma complémentarité avec ma mère ou avec mon père ? » ; par rapport à la question de la mort, « Où serai-je quand je ne serai plus là ? ».Face au désir d’être l’objet du désir de la mère, et à sa question « comment conserver entier l’amour de la mère ? », l’énigme formulée dans la question « comment naissent les enfants ? » opère un premier déplacement. Par le biais de cette question, c’est la sexualité qui est posée comme énigme, mais c’est aussi ne pas en jouir. Autrement dit, pour que surgisse la question « quelle est la cause du désir de la mère (du père) ? », il faut que le sujet ait ressenti qu’il n’en était pas lui-même la cause, qu’il n’était pas l’objet du désir de sa mère. La motion amoureuse « être l’objet du désir de la mère (du père) » s’est déplacée et transformée en désir de savoir : « savoir quel est l’objet du désir de la mère (du père) ».
78Ainsi l’énigme peut apparaître comme l’équivalent, dans le champ du savoir théorique, de l’objet transitionnel. Dans l’énigme, le sujet reconnaît l’absence de l’objet et le caractère définitif de cette absence, il renonce à la quête de l’objet lui-même, mais il maintient en même temps cette quête de l’objet – qui cause à la fois son désir et sa souffrance – sous une forme dérivée, en s’interrogeant sur la cause de cette absence et de cette souffrance, pour tenter de les maîtriser. L’énigme permet donc de faire le deuil de l’objet aimé, mais en même temps de le conserver, en suscitant une production psychique qui aura pour fonction de donner un sens à ce deuil et évitera d’avoir à partir en quête d’un objet substitut. En ce sens la pulsion de savoir va se constituer secondairement à l’énigme comme assomption active d’un destin où le savoir peut apparaître comme ce qui va combler ce manque.
79C’est donc la formulation de l’énigme qui constitue comme tel le désir de savoir et qui opère le passage du désir de penser au désir de savoir. L’étape ultérieure sera la tentative que va faire l’enfant pour créer un savoir qui donne une réponse à l’énigme.
« Théories sexuelles infantiles » ou conceptions magico-sexuelles ?
80C’est ce savoir que Freud avait nommé « théories sexuelles infantiles ». Sophie de Mijolla-Mellor critique cette terminologie freudienne, arguant que « toute tentative d’explication n’est pas une théorie » [68], car « la théorie, qu’elle soit infantile ou adulte, a une forme hypothético-déductive » [69], ce qui n’est pas le cas de ces conceptions que Freud appelle « théories sexuelles infantiles ».
81De mon côté, j’avais fait une objection analogue à Freud dans mon livre Femmes et savoir [70], où je faisais remarquer que la théorie cherche à tenir compte de la réalité, tandis que l’enfant opère sa construction selon le principe de plaisir. C’est pourquoi, j’avais proposé d’appeler « fantasmes » ces théories sexuelles infantiles. Sophie de Mijolla-Mellor écarte cette dénomination en faisant remarquer que, dans le scénario fantasmatique, le sujet est présent, ce qui n’est pas le cas dans ces conceptions infantiles, qui se veulent générales. C’est pourquoi, elle propose le terme de « mythes magico-sexuels ». Comme elle l’écrit, « le mythe est un récit invérifiable car il porte sur l’origine » [71] et les « mythes sexuels », « ce sont des intuitions ayant valeur de certitude, en dehors de toute démarche théorisante » ; ils fonctionnent comme une révélation ; après l’effondrement de l’évidence, il s’agit de retrouver un avant de la certitude, « bref retour à l’évidence originelle ».
82Ce qui les caractérise comme mythes, c’est leur logique différente de la logique de la non-contradiction, qu’ils procèdent par association de contraires, faisant coïncider l’origine et la fin, la vie et la mort, et le fait qu’ils associent des bribes d’éléments hétéroclites d’observation, des fragments d’explications données par des adultes ou d’autres enfants, qu’ils utilisent des « mots magico-sexuels mystérieux », des représentations associées à des mots-clés, utilisés, non parce qu’ils sont éclairants, mais parce qu’ils sont « excitants à penser ».
83J’aurais pourtant une objection à l’usage de ce terme de mythe. C’est qu’un mythe renvoie généralement à une création collective d’un peuple ou d’un groupe social et non à une création individuelle. Sans doute, on pourrait faire remarquer que, pour Freud, les « théories sexuelles infantiles » étaient « typiques », semblables chez un grand nombre de sujets, comme si elles venaient d’un fonds commun à tout être humain. Mais, précisément, Sophie de Mijolla-Mellor, contre Freud, défend, à juste titre, la thèse inverse et insiste sur le caractère individuel de ces conceptions sexuelles, liées à l’histoire singulière des sujets, à leurs expériences vécues et à leur expression singulière dans le langage. Dès lors, on peut se demander si le terme de mythe est adéquat ; plutôt que de parler de « mythe », ne faudrait-il pas plutôt parler de « conceptions magico-sexuelles » ?
84Ce qui est essentiel, en effet, ce n’est pas leur caractère « théorique », c’est plutôt leur forme à la fois magique et sexuelle ; ce que l’on appréhende sous le terme de scène primitive est au centre de cette énigme qui motive les conceptions magico-sexuelles. Le désir de voir va s’y métamorphoser en désir de savoir, parce que, observée ou imaginée, cette scène fait l’objet d’une représentation inquiétante où l’enfant est à la fois concerné, parce qu’il ressent des émois sexuels, et exclu, parce que cette scène le laisse seul devant des éprouvés intenses et inconnus : elle se donne comme une masse fantasmatique qui submerge l’enfant et dépasse sa capacité à mettre en mots. Cette impossibilité de fixer l’image, sous la forme symbolique des mots de la langue et de donner une traduction littérale de la scène vue ou imaginée, de trouver les mots pour exprimer l’indicible et les images pour figurer l’irreprésentable se traduit par la création de ces conceptions magiques par l’enfant : à la manière dont on peut admettre que d’une citrouille peut sortir un carrosse, il admettra que d’une graine enfouie dans la terre sortira un être humain, ou brodera autour des mots entendus « liens du sang ».
85On peut donner pour exemple la conception que Simone de Beauvoir relate dans son autobiographie, Les mémoires d’une jeune fille rangée. Élevée par une mère très catholique, elle est intriguée, comme beaucoup d’enfants de ce milieu par la formule de la prière à Marie : « Jésus, le fruit de vos entrailles » [72], mais surtout par les expressions incluant le mot « sang » et c’est à partir d’eux qu’elle produira sa conception personnelle de l’origine des enfants : « Les expressions “liens du sang”, “enfants du même sang”, “je reconnais mon sang”, me suggérèrent que le jour des noces et une fois pour toutes on transfusait un peu de sang de l’époux dans les veines de l’épouse ; j’imaginais les mariés debout, le poignet droit de l’homme lié au poignet gauche de la femme ; c’était une opération solennelle, à laquelle assistaient le prêtre et quelques témoins choisis » [73]. Le mystère se rattachait au fait que l’acte procréateur devait être une cérémonie exceptionnelle où la solennité et le sacrifice sont à la mesure du narcissisme de la petite fille qui s’expliquait ainsi sa venue au monde, tout en déniant les rapports sexuels entre les parents ; elle garantit que cette venue n’est pas l’effet d’un hasard et que les parents qui l’ont faite l’ont aussi désirée et devant témoins.
86La magie, dans ces conceptions, s’exprime aussi par les contraires qui s’engendrent l’un l’autre et, en particulier, par l’affirmation que la vie sort de la mort ou coïncide avec elle, comme lorsque l’enfant fantasme que l’enfant nouveau-né va le faire disparaître, lui qui est déjà là, ou que lui-même réincarne d’anciens morts de la famille, qu’il imagine enfouis dans un lieu concret de la maison, tel cet enfant, dont parle Sophie de Mijolla-Mellor, qui creusait le tas de charbon de la cave, persuadé que ses ancêtres y étaient enfouis.
87Mais, en même temps. c’est leur qualité sensuelle qui donne du prix à ces conceptions, car ces mots ou ces représentations d’actes valent par leur caractère excitant : « On peut penser que c’est le caractère mystérieux de certains mots qui, joints à un contexte significatif d’un propos sur l’origine ou la différence des sexes, va en faire les mots sacrés d’un mythe qui est à la fois éclairant, incompréhensible, excitant et terrifiant » [74]. Ils sont des modalités d’appréhension mais aussi de jouissance de l’énigme. Dans ce que Freud appelle des « théories sexuelles infantiles », le mot « sexuelles » doit être pris en son sens strict : ce qui fait l’attrait de ces « théories » pour l’enfant, c’est l’excitation qu’elles lui procurent et ce qui fait leur plus ou moins grande valeur, c’est la plus ou moins grande quantité de plaisir que l’enfant ressent à se les formuler [75].
88C’est aussi dire que nous sommes dans un fonctionnement au niveau du principe de plaisir et non pas du principe de réalité. Il n’y a pas d’autre critère de vérité de ces « théories » que le plaisir qu’elle procure. La source de ces théories est donc bien dans ce « vouloir de plaisir » présent en l’être humain depuis le début de sa vie. Mais aussi bien n’ayant pas de rapport à la réalité, ces théories se nient elles-mêmes comme théories.
89On peut comprendre aussi pourquoi une telle hédonisation de la pensée et du savoir, avec les affects contradictoires qui l’accompagnent peut dans certains cas être facteur d’inhibition ou de difficultés intellectuelles.
90Mais on voit bien aussi en quoi ces conceptions magico-sexuelles apparaissent en même temps comme des modes de déni et de refus du réel. Le réel, c’est le fait d’être né du rapport sexuel procréateur des parents, sans pouvoir être assuré du caractère indéfectible de leur amour, de ne posséder qu’un seul sexe anatomique, alors qu’il en existe deux, ce qui entraîne pour chacun un manque inévitable, et de ne posséder en définitive qu’une existence contingente et mortelle, qui suppose l’ignorance sur ce que serait une avant-vie et une après-vie.
91Les conceptions magico-sexuelles substituent à ce réel un monde conforme à nos désirs : un monde qui garantirait la non-contingence de notre existence et de l’amour parental (la naissance vient d’un rite magique et solennel qui garantit l’éternité de l’amour parental) ; un monde où n’existerait qu’un seul sexe et non deux, (« théorie » du « monisme sexuel phallique » : il n’existe qu’un seul organe sexuel que certains possèdent et d’autres pas) ; un monde où notre existence n’aurait ni commencement ni fin.
92Sophie de Mijolla-Mellor fait remarquer que déjà formuler l’énigme sous la forme : « D’où viennent les enfants ? », c’est supposer qu’ils viennent de quelque part, donc qu’ils existaient déjà d’une certaine façon avant leur naissance, donc qu’ils ont toujours existé, ce qui permet aussi d’espérer qu’ils existeront toujours (les bébés venant d’un monde d’avant la vie qui garantissait déjà leur existence, on peut espérer que les morts poursuivent aussi la leur dans un monde d’après-vie).
93Les « théories » sexuelles infantiles découvertes par Freud pourraient alors être définies comme l’équivalent, pour la période œdipienne, de l’objet transitionnel, pour la période de la première séparation, en ce sens que l’un et les autres, ignorant le principe de non-contradiction, prétendent être à la fois une chose et son contraire. Comme l’objet transitionnel est à fois intérieur et extérieur (il nie et reconnaît la séparation sujet-objet), les « théories » sexuelles infantiles, de la même façon, représentent une défense contre le réel. Elles sont des conceptions intellectuelles qui permettent de tolérer le réel, c’est-à-dire d’interposer de l’illusion entre le désir (d’être et pour l’éternité l’objet du désir de la mère/du père et d’exister toujours) et la réalité (l’objet de leur désir est autre et ailleurs et ils ne nous protégeront pas ou pas toujours de la mort). Elles consistent à substituer à ces réalités la création d’un monde conforme à nos vœux.
94Pour Sophie de Mijolia-Mellor, on ne peut pas non plus affirmer, comme Freud, que ces « théories » sexuelles infantiles aboutissent régulièrement à un échec déprimant, base de futures inhibitions intellectuelles. Ne pouvant être considérées comme de véritables solutions de l’énigme qui, par définition, n’en comporte aucune, elles n’apportent qu’une réponse approximative, qui donne indéfiniment l’impression de quelque chose d’ignoré ou d’incompréhensible, et elles préservent le désir de savoir sous la forme d’une quête indéfiniment relancée. Représentant, d’autre part, un effort pour parer l’« effondrement- du sol de l’évidence » et une expérience de retour à l’évidence première, source de plaisir, ces conceptions magico-sexuelles sont sans cesse reprises pour réitérer cette brève expérience et elles se poursuivront comme une quête sans fin d’un objet qui, « promesse de plaisir, ne peut être que brièvement entrevu » [76]. Ainsi les conceptions magico-sexuelles procurent une jouissance non de l’objet (la mère-le père) mais de la quête, qui garde indirectement celle-ci (celui-ci) comme visée.
Conceptions magico-sexuelles et formations de pensées dérivées
95Mais au fur et à mesure du développement psychique de l’enfant, ces conceptions magico-sexuelles vont être à l’origine d’autres formations de pensée : une activité fantasmatique « qui va broder, à partir du mythe qui en constitue l’ombilic, d’infinies variations dont l’enfant est le centre » ; une activité historisante où l’enfant s’intéresse au passé de la famille, en espérant qu’il va lui expliquer son présent. Cette activité peut, elle aussi, revêtir une allure fantasmatique sous la forme du « roman familial », où l’enfant se reconstruit une origine et une identité glorieuses ; enfin l’activité théorisante qui « cherche des règles déterminant l’ordre de succession des faits et la causalité qui les unit » [77]. Dans la conception magico-sexuelle, l’attitude théorisante n’est présente qu’en germe seulement ; pour qu’elle se développe, il faudra « que l’épreuve du doute suivie du plaisir de la mise en doute active vienne transformer le mythe en objet de réflexion » [78].
96Ces diverses formations de pensée trouveront leur prolongement chez l’adulte dans les diverses productions de la culture. C’est ici qu’interviendront à nouveau l’aire transitionnelle et son vouloir de création. On pourrait dire que les formations de pensée que l’adulte va construire dans le prolongement de ces conceptions infantiles se trouvent toujours dans cette aire de l’illusion, à mi-chemin entre le monde imaginaire et le monde réel et sont des objets transitionnels, plus ou moins proches du monde réel, plus ou moins éloignés du monde imaginaire. Mais une différence essentielle surgit dans ces conceptions adultes, c’est qu’elles se créent dans un monde de la culture, qui est un monde social et collectif.
Conceptions magico-sexuelles et productions de culture
97Les conceptions magico-sexuelles se prolongeront directement dans les mythes, par lesquelles les sociétés cherchent à rendre compte de leur origine et de leur organisation. Les mythes d’une société tendent à englober l’ensemble de l’ordre social et naturel et à intégrer les différents domaines de significations dans une totalité symbolique qui constitue et légitime l’unité de la société. Ils construisent un imaginaire « familialiste » du réel, puisque les dieux ont aussi, comme les hommes, leur généalogie et leurs rapports de parenté ; et des formes de déni de la réalité : ainsi les mythes d’origine de l’homme, tels les mythes grecs de l’autochtonie, ou le mythe juif d’Adam et Eve, sont des prolongements des constructions enfantines tendant à denier la réalité du rapport parental procréateur. Nous sommes ici dans l’univers de la croyance.
98La fantasmatisation se prolongera dans la création romanesque ou la création artistique en général. La création artistique se présente explicitement comme illusion, refus du monde réel – « aucun artiste ne peut tolérer le réel », disait Nietzsche – et comme l’affirmation de l’omnipotence du sujet qui veut créer un monde propre, conforme à ses vœux, au plus près du monde imaginaire, au plus éloigné de la réalité sur laquelle il pense ne pas avoir de pouvoir. Gérard Mendel propose de la définir comme un « délire réussi, c’est à-dire qui intègre le dialogue avec la tradition acceptée-refusée » [79].
99L’activité historisante se prolongera dans la recherche historienne, sachant que celle-ci pourra prendre une double direction, celle du mythe, dans la création collective d’une histoire de l’origine d’un peuple, requérant la croyance des membres du groupe ou celle de la recherche objective d’une histoire réelle. On rejoint alors le troisième domaine, celui où l’attitude théorisante se prolonge dans l’activité théorico-scientifique.
100À l’inverse de la création artistique, la démarche théorique se présente comme une tentative pour tenir compte du réel et en rendre compte. La théorie est bien un objet transitionnel, au sens de Winnicott, un objet trouvé-créé. Elle ne cherche pas à transformer la réalité, comme la rationalité pratique, elle cherche à en rendre compte, donc à la trouver ; mais elle en rend compte avec un langage dont l’usage et l’agencement sont précisément la création du sujet qui connaît. La théorie cherche à rejoindre la réalité, mais les mots créent une distance à la réalité et théoriser plutôt qu’agir peut être un moyen de s’en éloigner, dès lors qu’elle peut paraître intolérable.
101C’est pourquoi cette activité théorique pourra prendre deux directions opposées. Elle peut tenir compte du réel de la pensée, en tant que pensée rationnelle, obéissant aux lois de la logique, sans tenir compte de la réalité extérieure : elle aboutira aux mathématiques, à la logique ou à la spéculation philosophique, qui est plus proche de l’imaginaire que du réel. Gérard Mendel fait remarquer que la philosophie est sans doute une manière de sortir des mythes – comme imaginaire familialiste du réel [80] – et de construire une forme de pensée « abstraite, conceptuelle, dépersonnalisée, non-anthropomorphe, an-affective ». Mais on pourrait se demander si le concept d’« être », « premier-né des concepts philosophiques et le premier d’entre eux par sa place au centre de la métaphysique » [81] n’est pas une manière de dénier la réalité de la vie et de la mort, le néant d’avant la vie et d’après la mort et donc de préserver une sécurité existentielle de base. Si l’activité théorique tient compte en plus du réel comme réalité naturelle et sociale, extérieure à la pensée, elle devient activité théorico-scientifique. Les sciences empiriques sont des tentatives pour se rapprocher au plus près du monde réel. La théorie devient un ensemble d’hypothèses qui cherche sa validation dans le réel. Tel est l’objectif de l’activité théorico-scientifique : s’éloigner des apparences de la réalité pour mieux la rejoindre et se confronter avec elle, selon la démarche, qui crée une théorie scientifique dans le langage, mais retrouve la confrontation au réel et le savoir rationnel pratique dans l’acte du recueil de données empiriques et de l’expérimentation scientifique.
102Nous avons montré plus haut que les conceptions sexuelles infantiles se tiennent dans l’aire que Winnicott a appelé l’aire de l’illusion, à mi-chemin d’une réalité sur laquelle le sujet est sans pouvoir et d’un monde imaginaire où tous ses désirs peuvent être réalisés. Il passe du désir de l’objet, la mère, le père, au désir de savoir, lorsqu’il a compris que, sur cet objet, son désir est sans pouvoir, mais il recrée par ses conceptions magico-sexuelles un monde qui satisfait ses désirs narcissiques. Et, d’autre part, même si ses créations sont faites de pièces et de morceaux et empruntent des éléments de sa culture familiale, des mots et des idées fournies par des adultes ou d’autres enfants, elles restent des créations singulières, secrètes et non partagées, qui renferment l’enfant sur son imaginaire individuel et sur ses fantasmes personnels, liés à son histoire singulière. Pour entrer véritablement dans la culture et dans les savoirs de sa société, l’enfant va devoir renoncer à ces « théories », à ces créations de savoir idiosyncrasiques, ou les refouler, afin d’accéder à ce que Castoriadis appelle le « savoir commun » [82].
Rapport au savoir et constitution de la personnalité psychosociale
103Cette transformation sera liée à la constitution de la personnalité psychosociale qui, par-de-là la personnalité psycho-familiale, se constituera en prenant appui en outre sur les trois universels empiriques que sont le langage, la rationalité instrumentale, la coopération structurale. Nous situerons dans l’entrée en institution, éducative et scolaire, la première étape de cette constitution de la personnalité psychosociale. Si la socialisation primaire s’accomplit dans la famille, un individu humain, pour devenir membre à part entière de sa société, doit sortir de celle-ci et participer à des groupes et à des institutions qui contribuent à cette socialisation secondaire, en lui permettant d’accéder aux pratiques et aux savoirs propres, non plus seulement à son groupe familial, mais à sa société et à son groupe social.
104Dans nos sociétés, la scolarisation représente une étape essentielle de cette socialisation. Car l’entrée de l’enfant à l’école, pour s’approprier des savoirs scolaires, constitue un pas décisif et amorce la constitution de la personnalité psychosociale.
105La deuxième étape essentielle de cette constitution est le travail, avec la formation professionnelle qu’elle implique éventuellement et la nouvelle transformation du rapport au savoir qu’entraîne l’acquisition de savoirs professionnels, dans la formation et les pratiques de travail.
Rapport au savoir et scolarisation
106J’avais montré, dans le précédent livre de l’Équipe [83], en quoi la scolarisation pouvait apparaître comme un élément déterminant dans la transformation du rapport au savoir de l’enfant. Jusque-là l’acquisition du savoir s’était opérée pour lui par deux voies : l’identification aux figures parentales, ou aux figures adultes significatives de l’entourage, et par une quête solitaire de savoir – en transgression des interdits parentaux – sur les énigmes de la vie et de la mort aboutissant à des conceptions magico-sexuelles, comme créations singulières de savoir privé. Par rapport à ces savoirs acquis ou construits dans le milieu familial, la scolarisation, même si elle ne suffit pas à elle seule à constituer une personnalité psychosociale entièrement développée – ce que seul le travail permet de réaliser – va toutefois permettre d’opérer deux transformations radicales, concernant le rapport au savoir : la première concerne le langage. L’enfant ne devra plus se faire comprendre seulement de sa mère ou des personnes significatives de son entourage, mais aussi d’autres enfants et de tout autre membre de sa société, locuteur de sa langue, en tout premier, son enseignant-e. L’enfant va donc devoir substituer à son « parler-bébé », qui comprenait l’usage de signes et de mots « privés », le langage public, le langage commun parlé par tous.
107Une transformation analogue va devoir se produire pour le savoir. Aux premiers « objets » de la pulsion de savoir, les « énigmes », concernant l’origine, les rapports sexuels, la vie et la mort, qui donnent lieu à l’activité de pensée créatrice des conceptions magico-sexuelles (les « théories sexuelles infantiles » de Freud), le sujet va devoir substituer des objets de savoir qu’il ne peut créer de lui-même, que la société lui propose et lui impose et qu’elle a institués comme objets du savoir commun, liés à des pratiques sociales communes. Ainsi la scolarisation va pousser l’enfant à substituer à ses objets privés de savoir des objets du savoir commun qui valent, dans sa société, par leur institution sociale et, en tout premier lieu, par l’institution scolaire.
108C’est en ce sens que l’on peut dire, avec Bernard Charlot, que l’enfant à récole est « confronté… à la présence dans le monde de “savoirs” » et « soumis à l’obligation d’apprendre ». Mais ce n’est pas cette obligation qui crée le désir de savoir, c’est plutôt parce que le désir de savoir est déjà là qu’il peut se déplacer sur de nouveaux objets. Et c’est aussi parce que le sujet doit se détacher de ses anciens objets de savoir par lui créés qu’il y a contrainte et donc conflit et opération complexe de réélaboration et remaniement du désir de savoir et du rapport au savoir.
109C’est cette métamorphose de l’objet à investir qui transforme la relation primitive au savoir privé, créé par le sujet, conformément à ses désirs – relation où le savoir est partiellement au moins le produit de l’imaginaire individuel, la création singulière du sujet, dans ses conceptions magico-sexuelles – en un « rapport au savoir », au savoir comme échappant précisément à l’emprise du sujet, au savoir comme ensemble de savoirs déjà là, produits par la culture de sa société, des savoirs qui existent et valent dans et par leur institution sociale, comme savoirs communs, dans cette société précise.
110Cet « objet savoir », en tant qu’il échappe à la toute-puissance et à l’emprise du sujet, devient, non plus ce que le sujet « crée » par l’activité spontanée de ses propres représentations, mais « ce à quoi » le sujet « se rapporte », puisqu’il était déjà présent dans le social comme savoir institué, valable dans cette société donnée, dans ses objets, ses modalités, ses modes de vérification et de validation. En même temps que s’opère la transformation de la relation primitive à l’objet de connaissance en rapport au savoir et que se transforme la nature de l’objet savoir, se transforme aussi la nature de la satisfaction. Au plaisir que donnait au sujet, dans les théories sexuelles infantiles, une élaboration de la représentation qui était une réalisation de désir de nature magico-sexuelle, l’individu substitue un plaisir qu’il tire du fonctionnement du Moi, de la perception du réel ou de son élucidation en vue de sa modification. Il peut même arriver qu’il trouve un plaisir particulier dans ce « faire » spécifique qu’est le savoir théorique, lorsque l’élucidation est séparée d’une visée pratique et érigée en projet pour elle-même. C’est à nouveau un plaisir lié aux représentations qui est là recherché, mais la différence est dans le souci de confronter ces représentations à la réalité par des modes de validation codifiés.
111Si l’on veut définir la manière dont le premier rapport au savoir constitué dans le milieu familial, se transforme et se remanie dans le milieu scolaire, il est donc nécessaire de considérer quatre niveaux : le niveau strictement psychique qui est celui du fantasme, où le savoir et le rapport au savoir sont pris dans un imaginaire déterminé par le psychofamilialisme inconscient ; un niveau intermédiaire entre la subjectivité et la réalité externe où le sujet, par l’acte d’apprendre met en jeu son vouloir de création ; un niveau institutionnel où le sujet dans cet acte se confronte à son enseignant-e et à ses pairs, pouvant ou non mettre en jeu des formes de coopération ; un niveau social qui, conditionnant la fois les significations que l’on donne au savoir dans le milieu familial et celui que lui donnera le sujet lui-même et, d’autre part, la manière dont, à partir de là, il se rapportera aux savoirs scolaires, constitue l’élément de base du rapport au savoir. Mais on ne peut pour autant négliger les trois autres niveaux.
Scolarisation et fantasme
112Au niveau fantasmatique, nous avons vu que l’apprendre reste pris dans un système d’identifications ou de contre-identifications aux figures significatives de l’entourage familial. L’enfant apprend pour être (savant) comme les parents, puis comme l’enseignant-e, leur délégué-e ou, pour être comme l’idéal de ceux-ci. Il apprend aussi pour leur faire plaisir et trouver son plaisir de leur propre plaisir, à condition que ceux-ci soient capables d’en témoigner authentiquement.
113Ces phénomènes identificatoires pourraient être décrits à partir des fantasmes d’incorporation et des processus d’identification projective et introjective, tels que les définit Melanie Klein. Le premier modèle de l’apprentissage serait oral : le savoir est nourriture qui comble l’avidité d’un sujet qui se vit comme vide et qui tire sa satisfaction de cette sensation nouvelle d’être rempli. Mais ce modèle implique aussi toute l’ambivalence de l’oralité : « La tétée, comme acte de vampirisme qui consiste à épuiser le sein permet à l’enfant de nourrir le fantasme de se frayer un chemin jusqu’à l’intérieur du sein, puis à l’intérieur du corps de la mère » [84]. Cette « incorporation » est un processus d’identification projective. Dans un premier temps, le sujet s’identifie projectivement au maître, il nourrit le fantasme de penser ou d’être comme s’il était le maître, ou même, si l’agressivité est très forte, comme s’il était mieux que le maître. Il nourrit le fantasme d’entrer dans le corps du maître : je me place à l’intérieur de l’autre, le maître, et je lui dérobe son savoir comme s’il était mien, « comme si instantanément ou magiquement je devenais aussi puissant, aussi savant, aussi adulte que l’autre » [85]. Telle est l’incorporation.
114Mais c’est un leurre ; « elle se propose comme équivalent d’une introjection immédiate, mais qui n’est qu’hallucinatoire et illusoire » [86] ; identification projective pathologique, elle empêche l’apprentissage.
115Celui-ci n’est possible que lorsque, dans un deuxième temps, l’incorporation cède la place à l’introjection et l’identification projective à l’identification introjective. Le sujet renonce à être le maître et se propose de devenir comme lui. Il ne se projette plus dans le maître, il reconnaît son existence séparée de lui, mais il établit l’image du maître à l’intérieur de lui-même comme une image bonne, gratifiante. Celle-ci va permettre de reconnaître le désir et la dépendance vis-à-vis du maître et d’accepter de recevoir de lui la nourriture mentale, le savoir. C’est cette fantasmatique inconsciente qui ouvre les conditions de l’apprentissage.
116C’est pourquoi aussi autour du savoir se déploie toute la fantasmatique orale de la nourriture, que le langage exprime bien avec ses aspects ambivalents, avoir « soif » de savoir, ou faire l’âne qui n’a pas soif, se sentir « nourri » par l’enseignant-e, se sentir vide et « rempli » par le savoir bon, ou mauvais, quand on parle d’« ingurgiter » les cours, de lui « recracher » son cours (à l’enseignant-e), d’avoir une « indigestion » de telle ou telle matière, ainsi que la fantasmatique anale et urétrale, « pisser de la copie », « torcher une copie », « rendre un torchon »… Dans l’apprentissage qui est vécu au niveau inconscient comme une relation duelle entre l’enseignant-e et l’élève, cette fantasmatique est quasiment irrépressible et joue un rôle très important dans l’apprentissage. « Dans tout rapport duel, la force de l’inconscient reste prévalente » [87] et, en particulier, dans les rapports duels d’apprentissage. Et l’on est loin d’avoir épuisé l’analyse de ses diverses composantes.
L’acte d’apprendre
117Mais l’apprentissage ne se place pas seulement sur ce plan fantasmatique, mais aussi sur un autre plan : il est l’héritier de l’aire transitionnelle au sens de Winnicott. Car on peut dire qu’apprendre est un acte, au sens que Gérard Mendel, dans la filiation de Winnicott, donne à ce terme [88]. Certes, cette affirmation peut au premier abord sembler paradoxale : apprendre, pense-ton, se passe « dans la tête », c’est un phénomène intérieur qui se produit dans la pensée, un processus psychique. Certes, cela est vrai, en un sens ; apprendre ne produit pas d’objet matériel, mais peut-on dire qu’il n’agit que sur la réalité psychique ? Dans le cadre scolaire, il produit des manifestations extérieures objectivables : répondre à des questions, faire des exercices, résoudre des problèmes, écrire des textes de diverses sortes, dessiner, faire des évaluations et des contrôles font partie de l’apprendre. Et ces manifestations produisent des effets intersubjectifs et sociaux : l’enseignant-e sera satisfait-e ou mécontent-e, approuvera ou désapprouvera, évaluera positivement ou négativement, félicitera ou réprimandera ; les autres élèves admireront, se moqueront ou seront indifférents.
118Or, comme le dit Gérard Mendel, « l’intelligence rationnelle pratique [celle qui préside à l’acte] nous paraît également nécessaire dans un travail intellectuel pur » [89]. Nous allons donc montrer en quoi apprendre est, selon nous, un acte, tel que le définit et le caractérise Gérard Mendel. Apprendre est un acte, comme interactivité entre un sujet et une réalité, la réalité étant ici les savoirs scolaires et les tâches scolaires, comme réalités extérieures au moi du sujet apprenant, imposées par l’institution scolaire, représentante de la société. Et apprendre possède tous les caractères de l’acte. Il n’y a pas d’apprentissage sans un sujet qui apprend, c’est lui qui déclenche le début de son acte et qui se fixe des objectifs (se débarrasser au plus vite de la leçon ou de l’exercice, ou au contraire l’apprendre ou le faire consciencieusement ou encore approfondir, aller plus loin, explorer, chercher diverses questions ou solutions). Il ne faut pas oublier que ce sujet est le produit d’un corps, d’une histoire concrète, d’une société ayant elle-même développé des formes historiques concrètes de savoir sur la longue durée, nous y reviendrons.
119D’autre part, l’acte d’apprendre, comme tout acte, est toujours unique, singulier [90]. Seul un sujet singulier peut apprendre, nul ne peut apprendre pour lui et à sa place ; et chacun a des manières d’apprendre qui lui sont propres. Comme dans tout acte aussi, on observe, dans l’acte d’apprendre, un clivage : le sujet est clivé entre une partie de lui-même, consciente et volontaire qui a voulu et engagé l’acte et qui reste à l’extérieur de l’acte, fixant son sens d’ensemble et maintenant son objectif, et une partie, qui est à l’intérieur de l’acte, engagée dans l’acte, tout entière présente dans le vécu de ce qui se dit ou s’écrit dans l’instant et qui n’est plus entièrement consciente et n’obéit plus vraiment à la la volonté du sujet et dont il n’a plus l’entière maîtrise. Il n’existe pas de régulation spontanée qui serait interne à l’acte d’apprendre, celui-ci une fois engagé échappe en partie à la volonté du sujet, la seule régulation pourra venir de la partie du sujet qui n’est pas engagée dans l’acte, qui est porteuse du projet d’apprendre et qui peut maintenir l’objectif final.
120Apprendre est un phénomène inscrit dans le temps et l’espace ; dans le temps et l’espace de l’institution scolaire, d’abord, quand il s’agit de l’apprentissage scolaire, puisque c’est l’institution qui fixe les rythmes et, partiellement, ses propres lieux. Mais apprendre suppose aussi que le sujet fixe ses propres rythmes et ses propres lieux. L’acte d’apprendre se manifeste comme mouvement, mouvement de parole et d’écriture, avec la pensée qui s’exprime dans le discours ou « qui court sous la plume » et produit une trace dans l’espace externe de la classe ou de la feuille de papier. C’est le sujet qui s’engage dans l’acte d’apprendre à un moment donné (plutôt que de rêver, de bavarder ou de chahuter avec ses camarades) ; son acte se déroule au présent et n’existe qu’en cours de réalisation. Apprendre est irréversible, quand on a appris quelque chose, on ne peut pas faire qu’on ne l’ait pas appris. On peut l’oublier, certes, mais on sait bien que, lorsqu’on doit réapprendre un savoir oublié, le deuxième apprentissage n’est pas identique au premier, au moment où ce savoir était encore inconnu et inédit pour nous. Et on sait aussi que lorsque l’on a compris quelque chose, il est très difficile de faire comme si on ne l’avait pas encore compris, en particulier, il est difficile de se mettre à la place et dans la pensée d’un sujet qui, lui, n’a pas encore compris. D’où la difficulté de l’enseignement.
121Quand il apprend, le sujet s’engage dans une rencontre interactive avec le savoir, comme réalité hors sujet. Cette réalité, en tant qu’elle est hors-sujet représente quelque chose d’inconnu, de non-maîtrisable et peut susciter de l’angoisse. Si celle-ci est trop forte, le sujet préférera esquiver la relation et renoncer à apprendre. Si celle-ci n’est pas trop forte, il pourra assumer, sinon pleinement, du moins partiellement, ce rapport avec l’inconnu et engager la rencontre avec le savoir à apprendre. La manière dont se sont déroulés les phénomènes transitionnels de la toute-petite enfance est déterminante dans cette capacité à affronter l’inconnu avec suffisamment de confiance.
122Quand on commence à apprendre, on ne sait jamais à quoi l’on s’engage, il est malaisé de savoir à quoi cet engagement nous conduira. Comme tout acte, l’acte d’apprendre suppose de prendre des risques [91], risque de ne pas parvenir à apprendre, risque de rencontrer des obstacles dans l’apprentissage et de prendre conscience de la résistance du savoir à se laisser maîtriser et de ses moyens intellectuels limités, risque de se trouver soi-même transformé par un apprentissage réussi, jusqu’à ne plus tout à fait se reconnaître. La diversité de nature des différents savoirs rencontre plus ou moins le désir du sujet singulier ou ses inhibitions. Les différentes sortes de savoirs font différemment obstacle aux possibilités d’apprendre de chacun. De plus, il y a une énorme disproportion entre le sujet singulier et l’énorme quantité de savoirs que les sociétés ont accumulé depuis des siècles, produits par un grand nombre de personnes et de groupes et qui sont aujourd’hui à la disposition de qui voudrait les apprendre. Par l’acte d’apprendre, le sujet sera donc mis nécessairement en face de ses capacités limitées d’apprentissage. Dans l’acte d’apprendre, le sujet est amené à prendre acte de la dimension d’une réalité de savoir étrangère à son moi et qui résiste très déplaisamment à ses désirs, à ses idées, à ses projets.
123Un autre caractère a trait à l’interactivité entre le sujet et le savoir. Dans l’acte d’apprendre sujet et savoir deviennent mêlés et indémêlables, ils « composent organiquement une réalité d’un nouveau type » [92], qui est précisément l’acte d’apprendre. Apprendre n’est pas un simple acte de remplissage d’un savoir contenu, déversé dans un sujet contenant. Le sujet ne pourra apprendre que s’il s’approprie et fait siens les savoirs imposés ou proposés par l’enseignant-e et l’institution, que s’il recrée pour lui-même les idées, les procédures, les raisonnements inhérents aux savoirs enseignés. On se trouve donc bien en présence d’un objet trouvé-créé. Le savoir est là présent et présenté dans l’institution scolaire qui l’impose ou le propose, mais en même temps pour qu’il le fasse sien, le sujet apprenant doit nourrir l’illusion qu’il en est l’auteur, que c’est lui qui l’a créé ou recréé dans son esprit. Apprendre, c’est retrouver ces processus décrits par Winnicott dans l’aire transitionnelle.
124C’est pourquoi aussi l’acte d’apprendre retrouve un caractère fondamental de l’aire transitionnelle : il prendra soit des formes de jeu répétitives qui ne développent pas la créativité et donnent naissance à un faux-self, soit des formes de jeu créatives. Ainsi, on peut observer dans l’acte d’apprendre des processus d’apprentissage donnant lieu à des faux-savoirs, savoirs distanciés du sujet, d’acquisition toute mécanique et provisoire, pseudosavoirs n’ayant d’autre sens pour le sujet que de satisfaire aux exigences et aux normes des contrôles et épreuves scolaires, ou d’être la pilule amère qu’il faut « avaler » à son corps défendant pour avoir, plus tard, un « bon métier » ; ou au contraire des apprentissages qui aboutissent à des savoirs vrais, qui s’intègrent véritablement à la personnalité au point de la travailler en permanence et finalement de la transformer. Par cette rencontre authentique avec le savoir, avec un savoir, le sujet s’auto-modifie et se transforme dans sa personnalité profonde.
125Il peut aussi, à partir de cette appropriation, aller au bout de son vouloir de création et prendre sa place dans la production sociale de nouveaux savoirs, instituer de nouveaux contenus ou modes de savoir, ce qui supposera qu’il s’intègre, d’une manière ou d’une autre, aux institutions de la société chargées de créer ces nouveaux savoirs.
126Comme tout acte, l’acte d’apprendre est donc une « aléatoire aventure » [93].
Dimension institutionnelle de l’acte d’apprendre
127En même temps, comme l’affirme le titre d’un livre du CRESAS, « on n’apprend pas tout seul ». À l’école l’acte d’apprendre, même s’il est strictement personnel, s’exerce dans un cadre institutionnel. Il se fait dans le cadre de cette réalité collective qu’est la classe, elle-même insérée dans une structure plus large, l’établissement scolaire, l’institution éducation nationale. Même si l’école française a une forte tendance individualiste et conçoit souvent l’apprentissage du seul point de vue du sujet individuel, déjà la présence du groupe des élèves lui donne une dimension collective, ne serait-ce que sous la forme de la concurrence et de la compétition scolaires. Mais surtout, sous l’influence de la psychologie, de la psychologie sociale et des pédagogies nouvelles, des tendances se sont fait jour dans les dispositifs pédagogiques pour exploiter d’une manière pédagogiquement plus efficace, et plus satisfaisante éthiquement, la réalité de la classe comme groupe et comme collectif. Des méthodes pédagogiques de travail en petits groupes permettent de mettre en jeu des conditions d’apprentissage fondées sur le conflit socio-cognitif : l’acte d’apprendre implique, comme la production de la science elle-même, de sortir du monde de la croyance, de la simple affirmation et de l’argument d’autorité et de s’essayer à la libre discussion avec des pairs, à propos d’un problème ou d’une tâche. Il s’agit de convaincre les autres de ses idées par des arguments rationnels et de se laisser éventuellement convaincre par ceux des autres, si on les juge rationnels et justes, au risque de devoir renoncer à ses propres conceptions ou idées. L’apprentissage est alors inclus dans un processus de coopération collective, qui préfigure les situations futures du travail, car celles-ci sont presque toujours des situations de production organisées collectivement. Ainsi l’acte d’apprendre s’exerce dans l’interactivité groupale avec d’autres sujets et pas seulement dans l’interactivité duelle avec l’enseignant-e. On peut supposer que ces dispositifs pédagogiques différents agissent sur la constitution du rapport au savoir : « L’organisation du travail (scolaire) qui, avant d’être une représentation, existe comme facteur objectif et comme fait extérieur au sujet et à sa psychologie agit profondément sur le sujet et sa psychologie » [94].
Dimension sociale de l’acte d’apprendre
128À travers ces organisations institutionnelles, c’est aussi l’influence du social qui s’exerce. L’apprentissage concerne des savoirs dont la dimension première est sociale-historique, qui sont des productions collectives de groupes sociaux et qui ne se sont développés que dans le contexte d’une société donnée, à un moment donné. Ils sont proposés ou imposés au sujet, à un moment historique donné, dans la mesure où il a été jugé nécessaire, dans un cadre politico-institutionnel, qu’ils soient transmis, dans une institution formelle, à la génération suivante. Tout acte d’apprentissage réalisé se trouve très vite intégré dans le social : ajouté à tous les autres actes d’apprentissage du sujet, il décidera d’une position de ce sujet, dans la classe, puis dans l’institution scolaire qui, elle-même, décidera de son orientation scolaire et donc, en partie, de sa position professionnelle et sociale future dans la société. Et ces actes d’apprentissage participent à la production de nouveaux sujets sociaux qui contribueront eux-mêmes, à leur tour, grâce à leurs savoirs et à leurs savoir-faire à la production de leur société.
129Il faut noter cependant que l’école représente une institution spécifique de nos sociétés modernes qui a pour particularité de dissocier le temps de l’apprentissage des savoirs du temps de l’apprentissage des « faire » sociaux [95], c’est-à-dire du travail et des pratiques sociales propres à notre société. Dans la plupart des sociétés, l’accession au savoir n’est pas dissociée de l’accession au « faire » social, aux pratiques sociales, dont aujourd’hui la forme essentielle est le travail. Car tout « faire » social, tout travail implique un savoir. Si la plupart des activités ne repose pas sur un savoir exhaustif qui commanderait le faire, elles supposent cependant une certaine élucidation du réel dans le contexte et à propos du faire, un certain mode de représentation de l’état de choses à modifier, en vue de sa modification et des modalités de cette modification. Mais souvent ce savoir reste savoir pratique et savoir-faire et n’est pas formalisé dans un langage ou du moins il ne l’est que dans un langage qui correspond à l’expression de l’expérience quotidienne et ne contient que des propositions théoriques rudimentaires, directement reliées aux activités concrètes, sous forme de proverbes, adages et maximes morales. Tels sont les savoirs rationnels pratiques.
130C’est pourquoi leur apprentissage passe le plus souvent par le faire lui-même. Pour apprendre, le novice doit essayer de faire, en imitant l’expert, quitte à ce que celui-ci opère des démonstrations, par simplification et schématisation des actes de la pratique [96], pour la rendre accessible au novice. Mais c’est aussi pour cela que la pratique est nécessaire dans l’apprentissage ; c’est que seule la pratique peut donner au novice le sens de la complexité de l’acte et du réel sur lequel il doit agir.
131Les sociétés où les pratiques et les savoirs mythico-religieux sont centraux et structurent la société ont institué aussi des modes de transmission adéquats à ces pratiques et à ces savoirs, comme, par exemple, l’initiation ou l’éducation religieuse qui joignent des pratiques rituelles à des transmissions de savoirs mythiques, mythico-religieux ou théologiques.
132Mais les sociétés modernes ont institué des faire et des savoirs d’une nature nouvelle, où beaucoup de pratiques reposent sur des savoirs conscients d’eux-mêmes et voulus comme tels, constitués en corps de connaissances contenant des théories explicites, en particulier scientifiques. L’institution de ces nouveaux savoirs rationnels, théoriques ou scientifiques, contemporaine de l’avènement du capitalisme et de la démocratie, et l’importance considérable qu’ils ont acquise dans les sociétés d’aujourd’hui, ont amené la nécessité d’une nouvelle forme de transmission : la forme scolaire. Celle-ci se caractérise par la dissociation entre le temps de l’accès aux savoirs théoriques et celui de l’accès aux faire. La forme scolaire est la forme qui institue cette dissociation, rendant l’accès à certains savoirs préalables à l’accès aux faire sociaux qui prennent, dans nos sociétés, les différentes formes du travail professionnel. Alors que, dans les sociétés traditionnelles, comme le dit Castoriadis [97], c’est l’accession au « faire » comme social qui rend possible et nécessaire l’accès au savoir, comme savoir commun – le savoir n’étant pas dissocié du « faire » social – dans nos sociétés, au contraire, l’accès au savoir précède l’accès au faire et peut même se dissocier de ce dernier, les savoirs théoriques et scientifiques se prenant eux-mêmes pour fin, ne se donnant pas d’autre projet que le savoir lui-même, sans visée pratique directe. Ainsi l’école est amenée à favoriser un rapport au savoir rationnel théorique au détriment du rapport au savoir rationnel pratique.
133On peut donc s’attendre à ce que cette confrontation avec de nouvelles figures du savoir crée des conflits identificatoires chez certains élèves. Les premiers savoirs et savoir-faire acquis dans la famille le sont très largement par identification aux figures significatives de l’entourage, en particulier aux figures parentales. Nous avons dit plus haut en quoi, selon les classes sociales, ces figures peuvent incarner et valoriser des types de savoir différents et en quoi l’école, par les savoirs qu’elle valorise, rationnel pratique ou rationnel théorique, et de par la séparation temporelle et spatiale qu’elle instaure entre savoir et faire, peut apparaître en continuité ou au contraire en contradiction avec le milieu familial. On peut donc supposer que l’enfant et l’adolescent ne vivront pas l’école de la même façon selon que leur propre milieu familial lui-même privilégie et favorise – en contradiction avec l’école – les savoir-faire et les savoirs pratiques ou au contraire – en accord avec l’école – le langage et les savoirs théoriques, culturels ou scientifiques.
134L’acquisition du savoir à l’école risque d’être pris dans cette structure psycho-familiale inconsciente où l’enseignant-e apparaîtra en continuité avec les figures parentales et l’enfant apprendra en s’identifiant à lui-elle, comme figure dérivée-déléguée des figures parentales ou, au contraire, incarnant ou représentant des modes de savoir trop différents de ceux du milieu familial, l’enseignant-e ne pourra pas représenter une figure identificatoire possible sans conflit avec les premières identifications, il en résultera alors, pour le sujet, sauf cas de contre-identification aux figures parentales, une impossibilité ou une difficulté plus ou moins grande d’apprendre.
135Ces différences dans le rapport au savoir des sujets qui reflètent des différences de milieux sociaux et de classes sociales entraînent aussi des différences et des inégalités dans l’accès au « savoir commun » et au « faire » social. Car, si l’institution scolaire, création de la société démocratique, se donne bien pour fin la diffusion d’un savoir commun, elle échoue à la mener entièrement à bien, du fait de l’existence de cursus et filières différenciées et hiérarchisées, correspondant aux grandes divisions sociales et sexuelles des savoirs, liées elles-mêmes aux divisions sociales et sexuelles du travail propres à cette société. Or, c’est la manière dont le sujet se rapportera aux savoirs que l’école lui propose ou lui impose qui, décidant de la réussite ou de l’échec dans l’acquisition des savoirs, décidera aussi de sa place dans les filières hiérarchisées. Et, dès lors que les procédures d’orientation lui auront assigné une place dans une filière déterminée, les savoirs auxquels le sujet aura accès se différencieront et reconstitueront des hiérarchies sociales et socio-sexuées. En somme, dans son rapport à l’objet commun « savoir », c’est aussi un rapport social que l’individu apprend, un rapport au savoir qui est une certaine position dans une hiérarchie sociale et socio-sexuée [98] des savoirs.
Rapport au savoir et travail
136Pour terminer ce parcours concernant la constitution du rapport au savoir, il faudrait étudier la manière dont le passage au travail, à l’activité professionnelle, transforme à nouveau le rapport au savoir. Nous nous contenterons ici de quelques indications qu’il serait nécessaire de longuement développer. On peut dire que ceux dont le milieu familial et eux-mêmes privilégient l’intelligence rationnelle pratique de l’acte vivront la sortie de récole qui privilégie l’intelligence théorique comme une délivrance et la mise au travail comme la véritable réalisation de leur rapport au savoir, essentiellement conçu comme rapport au savoir rationnel pratique.
137Ceux, au contraire, qui privilégient, en accord avec l’école, l’intelligence rationnelle théorique, vivent la mise au travail et la nécessité de l’acte, comme rencontre avec la réalité non-soi, sans la médiation des mots, comme une expérience difficile et déconcertante. C’est peut-être pourquoi ils choisiront plutôt des professions où la parole est centrale.
138Et c’est peut-être aussi pourquoi les enseignants trouvent la prise de fonction si angoissante et si difficile pour eux, car la rencontre avec la réalité (institution scolaire, classe et élèves) est bien la rencontre avec une réalité étrangère et étrange sur laquelle les savoirs théoriques appris à l’université ne donnent pas directement prise.
139Pour conclure, il n’y a pas de théorie du rapport au savoir sans théorie du sujet et pas de théorie du sujet sans une anthropologie. S’il est vrai que le sujet se constitue à partir de l’interaction entre un certain nombre de composantes psychiques de base, ayant un support biologique et les composantes sociales, économiques et politiques de son époque, celui-ci va constituer aussi son rapport au savoir par l’interaction de ces diverses composantes. De son vouloir de création, tel qu’il se constitue à l’issue de la première année de sa vie, et dans l’interactivité avec la réalité de son environnement maternel, le sujet tirera une capacité de se lancer dans l’aventure des actes d’apprentissage – apprentissage de savoirs pratiques et/ou apprentissage de savoirs théoriques – et de produire des actes de savoir créatifs ; de son schéma psychofamilial inconscient, selon les aléas de son histoire œdipienne, le sujet tirera un rapport complexe et conflictuel au savoir, pétri d’imaginaire et de fantasmes, dépendant des identifications maternelles et paternelles qu’il tendra à répéter tout au long de sa vie, mais dont il tirera une pulsion de savoir comme énergie d’une quête indéfiniment relancée : le désir de savoir.
140De la conjonction entre ce rapport au savoir pétri d’imaginaire et ce vouloir de création sera issue la manière dont le sujet va rencontrer les savoirs scolaires, comme savoirs communs et la manière dont il va s’y rapporter pour entrer dans des apprentissages purement passifs et répétitifs, voire stériles ou dans des actes d’apprentissage constructifs et créatifs et donc pourvus de sens pour lui.
141Le rapport au savoir n’a pas seulement à faire avec les processus individuels de l’acte d’apprendre, avec leur dimension imaginaire, mais aussi avec les positionnements institutionnels, sociaux, économiques et culturels des individus, chaque sujet étant inclus dans des rapports sociaux qui sont à la fois des rapports de classe et de sexe.
142Pas de théorie du rapport au savoir, non plus, sans théorie du savoir. Le savoir a à la fois des dimensions psychologiques avec leurs deux versants, rationnelles-cognitives et imaginaires-fantasmatiques. Mais le savoir a aussi des dimensions collectives. Il est une création des sociétés et des groupes sociaux dans leurs différences, leurs inégalités et leurs conflits. Le savoir, c’est, dans les « faire » sociaux, un moyen de résoudre les problèmes qui se posent aux sociétés et aux groupes sociaux, c’est l’expression de la rationalité instrumentale, dans les problèmes posés par les rapports à la nature et l’expression de la rationalité stratégique dans les problèmes posés par les rapports entre groupes sociaux. Du vouloir de création sort aussi bien le savoir rationnel pratique par l’accomplissement de l’acte et le savoir rationnel théorique par la création et l’invention intellectuelles et le rapport au savoir qui s’instaure avec ces deux types de savoir est de nature différente et induit des rapports différents, selon les groupes sociaux.
143Enfin, le savoir n’existe que par et pour sa transmission : le rapport au savoir met donc en jeu un rapport entre générations où il est question de domination et de soumission, de fidélité et de rivalité, de croissance et de déclin, de vie et de mort. Le rapport au savoir se construit donc dans une histoire qui est à la fois histoire intime, personnelle, consciente et inconsciente, et une histoire collective marquée par les temps historiques, ainsi que par les rapports et les conflits entre groupes sociaux.
1. Les notes conservées dans leur version d’origine ont été regroupées en fin d’article.
Pour citer ce texte :
Mosconi, N. (2021). Pour une clinique du rapport au savoir à fondation anthropologique. Cliopsy, 25, 135-176.
Notes
- [1]Jacky BEILLEROT, Claudine BLANCHARD-LAVILLE, Nicole MOSCONI (1996), Pour une clinique du rappor au savoir, Paris, L’Harmattan.
- [2]Jacky BEILLEROT (ed.) (1992), Savoir et rapport au savoir, Paris, éd. Universitaires, p. 165-202.
- [3]Bernard CHARLOT (1998), Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie, Paris, Anthropos.
- [4]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 35.
- [5]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 36.
- [6]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 38-39.
- [7]Nicole MOSCONI (1996), Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, Paris, L’Harmattan, chap. III, p. 15.
- [8]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 49.
- [9]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 38.
- [10]Ibidem
- [11]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 47.
- [12]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 40.
- [13]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 41.
- [14]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 39.
- [15]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 54.
- [16]Cf. à ce sujet le travail critique de Gérard Mendel dans son livre de 1988, La psychanalyse revisitée, Paris, Éd. La Découverte.
- [17]Gérard MENDEL (1988), La psychanalyse revisitée, Paris, Éd. La Découverte, p. 89.
- [18]Lucien SEVE (1968), Marxisme et théorie de la personnalité, Paris, Éditions sociales, p. 277
- [19]Lucien SEVE, op. cit., p. 591.
- [20]
- [21]Cf. Serge BOIMARE (1999), La peur d’apprendre, Paris, Dunod.
- [22]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 49.
- [23]Bernard CHARLOT (1998), op. cit., p. 55.
- [24]Cf. Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure. Du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir, Paris, La Découverte.
- [25]Cf. Gérard MENDEL, (1988), La psychanalyse revisitée, Paris, Éd La Découverte, chapitre 12, p. 113 et sq.
- [26]Gérard MENDEL (1999), Le vouloir de création. Autohistoire d’une œuvre en collaboration avec Roger Dosse. Éditions de l’Aube, p. 107.
- [27]Le texte de Jacky BEILLEROT, dans ce même volume, cherche à répondre à cette question.
- [28]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 107.
- [29]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 470.
- [30]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 114.
- [31]Gérard MENDEL (1999), op. cit., p. 118.
- [32]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure. Du sujet métaphysique au sujet de l’actepouvoir, Paris, La Découverte, Partie V, chapitre 29, p. 405-423.
- [33]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 485.
- [34]Donald WINNICOTT (1971), Jeu et réalité. L’espace potentiel, trad. franç, 1975, Paris, Gallimard, p. 22.
- [35]Donald WINNICOTT (1971), op. cit., p. 22.
- [36]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 460.
- [37]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 411.
- [38]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 466.
- [39]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 410.
- [40]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 467.
- [41]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 443.
- [42]Donald WINNICOTT (1971), op. cit., p. 25.
- [43]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 468.
- [44]Gérard MENDEL, (1988), La psychanalyse revisitée, op. cit., p. 150 et sq.
- [45]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 411.
- [46]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 413.
- [47]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 409.
- [48]Donald WINNICOTT (1971), Jeu et réalité, op. cit., p. 13.
- [49]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 413.
- [50]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 413.
- [51]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 411.
- [52]Ibidem.
- [53]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 421.
- [54]Cf. Claude POULETTE.
- [55]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 422.
- [56]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 430.
- [57]Ibidem.
- [58]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 407.
- [59]
- [60]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), Naissance à la vie psychique, Paris, Dunod.
- [61]Piera AULAGNIER (1975), op. cit., À propos de l’activité de penser, p. 70-71.
- [62]On connaît ce souvenir d’enfance de Freud, où en l’absence de sa mère, il se met à pleurer, exigeant de son demi-frère Philippe qu’il ouvre un coffre où le jeune Freud s’imagine que sa mère pourrait avoir été « coffrée », comme Nanie, sa bonne bien aimée, emprisonnée pour vol, et où l’apparition de sa mère, jeune et svelte (n’ayant pas d’enfant enfermé dans son ventre-coffre) suffit à le calmer. Ne pourrait-on pas voir par ailleurs dans ce souvenir mythique une des sources du désir de savoir si puissant de Freud ?
- [63]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 20.
- [64]Ibidem.
- [65]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [66]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), Ibidem.
- [67]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), Ibidem.
- [68]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 31.
- [69]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [70]Nicole MOSCONI (1996), Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, Paris, l’Harmattan, p. 273.
- [71]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 21.
- [72]Simone DE BEAUVOIR (1958), Mémoires d’une jeune fille rangée, Paris, Ed. Gallimard, Folio, p. 56.
- [73]Simone DE BEAUVOIR (1958), op. cit., p. 118-119.
- [74]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 29.
- [75]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 19-31.
- [76]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 23.
- [77]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 22.
- [78]Sophie DE MIJOLLA-MELLOR (1999), op. cit., p. 31.
- [79]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 460.
- [80]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 9.
- [81]Ibidem.
- [82]Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, p. 420.
- [83]Voir mon article « Relation d’objet et rapport au savoir », in Jacky BEILLEROT, Claudine BLANCHARD-LAVILLE, Nicole MOSCONI (1996), Pour une clinique du rapport au savoir, Paris, L’Harmattan, p. 75-118.
- [84]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), Naissance à la vie psychique, op. cit., p. 21.
- [85]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), op. cit., p. 23.
- [86]Albert CICCONE, Marc LHOPITAL (1991), op. cit., p. 20.
- [87]Gérard MENDEL (1998), L’acte est une aventure, op. cit., p. 396.
- [88]Gérard MENDEL (1998), op. cit., chapitre 27.
- [89]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 354.
- [90]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 35.
- [91]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 25 et sq.
- [92]
- [93]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 46.
- [94]Gérard MENDEL (1998), op. cit., p. 112.
- [95]Cf. Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, p. 103. Castoriadis entend par « faire » toutes les activités sociales, aussi bien les pratiques techniques et économiques qui agissent sur la nature matérielle pour la transformer et assurer ainsi la vie matérielle de la société que les pratiques qui agissent sur autrui ou sur la société, que Castoriadis nomme « praxis » (politique, éducative, médicale), « faire dans lequel l’autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes ».
- [96]Cf. Jérôme BRUNER (trad. franç. 1983), Savoir dire, savoir faire, Paris, PUF.
- [97]Cornélius CASTORIADIS (1975), L’institution imaginaire de la société, op. cit., p. 103.
- [98]Sur cette division socio-sexuée des savoirs et du travail, cf. mon livre Femmes et savoirs. L’école, la société et la division socio-sexuelle des savoirs, Paris, L’Harmattan, 1994.