Cliopsy 2021/1 N° 25

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Article de revue

Introduction aux textes de Nicole Mosconi

Pages 103 à 106

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1Nicole Mosconi nous a quittés le 6 février 2021.

2Pour moi, c’est tout un pan de ma vie professionnelle qui disparaît avec elle ; notre compagnonnage de travail s’est poursuivi depuis son choix d’entrer dans l’équipe de recherche créée par Jacky Beillerot en 1990 alors même qu’il lui était proposé de construire une nouvelle équipe autour de la formation des enseignants. Dès son entrée dans cette équipe du Centre de Recherche Éducation et Formation (CREF) de l’université Paris-X Nanterre, nous avons formé avec Jacky Beillerot un trio amical et complémentaire qui nous a portés et stimulés pendant de nombreuses années autour de la recherche qu’il avait initiée sur la notion de rapport au savoir. Je ne crois pas idéaliser cette situation du passé ; Nicole elle-même en témoigne dans l’entretien qu’elle a donné à la revue Cliopsy dans lequel elle dit : « Jacky Beillerot a fait son équipe Savoirs et rapport au savoir […]. Et là, on a fonctionné à trois, avec Claudine Blanchard-Laville et c’était vraiment vraiment extraordinaire. » (2020, p. 94)

3Nos passages respectifs à l’éméritat ne nous ont pas empêchées de poursuivre cette collaboration jusqu’à sa disparition. Nicole nous a quittés de manière inattendue alors que nous étions en pleine interaction de travail pour la collection Savoir et formation des éditions l’Harmattan dont nous avions repris la direction avec notre collègue Patrick Geffard en juin 2017. Au moment de sa disparition, nous étions d’ailleurs en lien toutes les deux autour d’un manuscrit dont la publication lui tenait à cœur ; il faut dire que, lorsque Nicole percevait un certain potentiel chez un·e auteur·e, elle ne ménageait pas sa peine pour lui indiquer les améliorations possibles de son écrit. Elle lisait les manuscrits qui se présentaient pour une publication dans la collection avec un sérieux et une gourmandise toujours renouvelés.

4Nous partagions toutes les deux, je crois, ce même souci de coopération respectueuse dans tous les groupes de travail et de recherche qui nous ont réunies tout au long de notre compagnonnage au long cours, lequel s’est étendu à l’université sur plus de trois décennies de nos parcours professionnels respectifs ; un esprit que nous avions hérité de notre collègue et ami Jacky Beillerot dont nous avons partagé le chagrin de la disparition prématurée. C’est avec lui que, sans nous en rendre compte, nous avons « appris » ensemble le « métier » d’universitaire ; la transmission s’est effectuée en douceur dans un partage au quotidien des manières de travailler et de penser pour un collectif d’enseignants-chercheurs attaché à défendre une discipline encore jeune et à plusieurs reprises menacée ; sans doute, un métier d’universitaire que nos plus jeunes collègues pourraient nommer aujourd’hui « à l’ancienne », car il n’est pas sûr que ce métier soit encore praticable de la même manière aujourd’hui.

5Nous avons ainsi partagé nombre de ces moments où s’exerçaient pleinement son souci éthique, son respect de l’autre et de sa pensée, en même temps que son agilité intellectuelle, en particulier au sein de plusieurs équipes co-disciplinaires que j’ai animées et auxquelles elle a participé avec détermination et plaisir – ce dont elle a souvent témoigné publiquement. On peut lire ses contributions dans deux des ouvrages qui sont issus de ces recherches : Analyses d’une séquence : « L’écriture des grands nombres » (Blanchard-Laville, 1997) et Une séance de cours ordinaire – « Mélanie, tiens, passe au tableau » (Blanchard-Laville, 2003). Son implication dans ces aventures co-disciplinaires a été importante pour moi ; elle partageait avant tout l’intérêt épistémologique de ces modalités de recherche et les a souvent défendues à côté de moi à l’intention de nos évaluateurs de l’époque – comme par exemple devant l’instance du CNCRE en 1999 – et elle a pleinement su profiter de la niche stimulante que ce dispositif de recherche représentait pour chacun·e des chercheur·e·s qui y participaient. Je me souviens que nous sommes allées ensemble à Bordeaux pour parler de nos résultats de recherche à l’enseignante de l’école Michelet qui avait accepté de nous laisser travailler sur sa leçon portant sur les grands nombres et, qu’à cette occasion, nous avons beaucoup appris toutes les deux, à la fois sur un plan d’éthique de la recherche et sur le plan de la différenciation de la place et du rôle des chercheur·e·s par rapport à la place et au rôle des enseignant·e·s observé·e·s, tout du moins dans une démarche clinique à orientation psychanalytique.

6Nous partagions également un même souci de nous inscrire dans une généalogie théorique à laquelle nous nous référions précisément, tout en essayant de prolonger les travaux des prédécesseurs dans lesquels nous nous reconnaissions, comme on peut le voir en considérant ses références bibliographiques de l’article « Pour une clinique du rapport au savoir à fondation anthropologique » que nous republions dans les pages qui suivent. Ce texte me semble un modèle de débat dans lequel la pensée de l’autre n’est jamais disqualifiée, mais où les convergences et divergences sont démontrées avec une argumentation que je dirais tranquille. Ce qui a d’ailleurs conduit notre équipe à plusieurs rencontres de travail non polémiques avec l’équipe de Paris 8 autour de cette question du rapport au savoir, bien après les départs de Bernard Charlot et de Jacky Beillerot de nos équipes respectives.

7Sur la question du rapport au savoir, nous étions déjà toutes les deux de l’aventure lors du premier livre initié par Jacky Beillerot et publié en janvier 1989 aux éditions universitaires (repris ensuite par les éditions L’Harmattan) : Savoir et rapport au savoir. Élaborations théoriques et cliniques. Deux autres livres collectifs ont suivi : Pour une clinique du rapport au savoir en 1996 et Formes et formations du rapport au savoir en 2000. Nous avons ensemble participé à l’analyse collective de la constitution du rapport au savoir de Carl Rogers à partir de l’autobiographie que ce célèbre psychologue américain avait rédigée lors de ses 67 ans (Autobiographie de Carl Rogers. Lectures plurielles, 2004). D’ailleurs nous nous sommes aussi succédé dans nos voyages à Buenos Aires, invités par Marta Souto dans le cursus qu’elle avait créé à la UBA à l’image de nos enseignements cliniques nanterrois, ce qui a permis que nos textes soient réunis par ses bons soins dans un livre publié en Argentine en 1998. Si nos trois noms ont rarement été réunis seuls, je pense cependant à un article sur le rapport au savoir qui cerne la spécificité de notre point de vue dans un dossier de La nouvelle revue de l’AIS dirigé par Isabelle Vinatier et intitulé « La question des savoirs » (1998, p. 59-70).

8Nicole et moi venions de deux disciplines différentes : pour elle, la philosophie et, pour moi, les mathématiques. Mais nos exigences communes de rigueur nous faisaient nous rejoindre sur l’écriture : pour elle, des développements argumentatifs précis comme je viens de l’indiquer et, pour moi, certaines formes de démonstration. Sans doute cette proximité faisait que chacune de nous appréciait l’écriture de l’autre et nous nous le disions souvent. Elle m’a transmis le goût de la lecture de Gérard Mendel et moi je pense lui avoir transmis celui de la lecture de W. R. Bion. L’approche clinique d’orientation psychanalytique était l’un de ses axes de réflexion épistémologique comme on le verra dans le prochain numéro où nous publierons un texte inédit dans lequel elle a eu à cœur de témoigner de son soutien à cette approche. Nombre d’étudiants se souviennent aussi de l’intérêt et de la pertinence du séminaire sur les questions épistémologiques qu’elle avait construit dans le DEA à Nanterre quand les professeurs qui nous ont précédés ont accepté de nous faire une place au niveau de l’enseignement en troisième cycle (DEA devenu par la suite Master recherche). Je retiendrai aussi sa coopération avec Jacky Beillerot pour la publication du Traité des sciences et pratiques de l’éducation (2006) dont elle a dû assurer seule la confection après la disparition de Jacky. Tous les deux ont « choisi » ensemble les auteurs auxquels ils ont proposé d’écrire dans cet ouvrage et je crois qu’on peut dire aujourd’hui que ce choix reflète certaines de leurs affinités scientifiques principales dans la discipline sciences de l’éducation de l’époque.

9Je citerai pour terminer ces quelques mots qu’elle adressait à notre équipe de recherche lors de journées que nous avions nommées avec Dominique Fablet « États généraux du département » en janvier 2006, dans lesquelles elle avait été partie prenante comme moi un peu avant de quitter l’université : « Je souhaite à cette équipe, que je vais bientôt quitter, de garder cet esprit qui faisait son prix et sa richesse, fait de respect et d’estime réciproques. J’émettrai juste un souhait limité : je souhaiterais que l’axe “Genre et éducation” sous ce nom ou sous un autre ne disparaisse pas du Centre de recherche après mon départ, car il me semble qu’il représente une des originalités de notre équipe de recherche et son importance n’est pas appelée à décroître dans les années à venir, bien au contraire. » Cette équipe s’est modifiée, je l’ai moi aussi quittée un peu plus tard, mais les recherches sur la question du genre articulées à la question de l’éducation et de la formation se poursuivent et se développent. Elle avait vu juste.

Pour citer ce texte :
Blanchard-Laville, C. (2021). Introduction aux textes de Nicole Mosconi. Cliopsy, 25, 103-106.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Beillerot, J., Blanchard-Laville, C., Bouillet, A., Mosconi, N. et Obertelli, P.(1989). Savoir et rapport au savoir. Élaborations théoriques et cliniques. Paris : Ed. universitaires.
  • Beillerot, J., Blanchard-Laville, C. et Mosconi, N. (1996). Pour une clinique du rapport au savoir. Paris : L’Harmattan.
  • Beillerot, J., Blanchard-Laville, C. et Mosconi, N. (1998). Rapport au savoir : éléments théoriques et illustrations cliniques. Nouvelle Revue de l’adaptation et de l’intégration scolaire, 1-2, 59-70.
  • Beillerot, J., Blanchard-Laville, C. y Mosconi, N. (1998). Saber y relación con el saber. Buenos Aires : Paidós Educador.
  • Beillerot, J. et Mosconi, N. (2006). Traité des sciences et pratiques de l’éducation. Paris : Dunod.
  • Blanchard-Laville, C. (dir.) (1997). Analyses d’une séquence : « L’écriture des grands nombres ». Paris : L’Harmattan.
  • Blanchard-Laville, C. (dir.) (2003). Une séance de cours ordinaire. « Mélanie tiens passe au tableau ». Paris : L’Harmattan.
  • Collectif « Savoirs et rapport au savoir » (2004). Autobiographie de Carl Rogers. Lectures plurielles. Paris : L’Harmattan.
  • Mosconi, N. (2020). Entretien avec Laurence Gavarini et Philippe Chaussecourte. Dans L.-M. Bossard, Histoire de la Clinique d’orientation psychanalytique en éducation et formation – Parcours de témoins (p. 77-107). Paris : L’Harmattan. (Texte original publié en 2011).
  • Mosconi, N., Beillerot, J. et Blanchard-Laville, C. (2000). Formes et formations du rapport au savoir. Paris : L’Harmattan.

Date de mise en ligne : 10/05/2021.

https://doi.org/10.3917/cliop.025.0103
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