Notes
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[*]
Ce dossier a été réalisé dans le cadre du projet financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity basé à l’université de Fribourg dans le cadre du programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne Horizon 2020 (contrat de financement no 741520) [ www.locusludi.ch].
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[1]
Cette définition, qui fait toujours consensus, est posée par Huizinga 1988 [1938] et Caillois 1958.
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[2]
Sur la notion de « contrat ludique » et les nuances à y apporter, voir Wendling sous presse.
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[3]
Sur la dimension universelle du « jouer », partagée par les animaux, et ses déclinaisons culturelles, voir en dernier lieu la synthèse de Hamayon 2021 ; sur son application aux pratiques ludiques antiques, Dasen & Vespa 2021. Sur les animaux et le jeu, Chevalier & Wendling 2018. Sur les rapports entre jeu et sport en Grèce classique, voir l’analyse de Golden 2021.
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[4]
Comme Élisabeth Belmas le relève dans son introduction (2006 : 6-15), le jeu est un objet d’histoire, mais le thème fut longtemps « relégué au musée des curiosités historiques » et très peu d’historien·nes s’en sont saisi, contrairement aux philosophes, sociologues, psychologues et anthropologues. Pour les ouvrages de synthèse, hormis l’œuvre de Louis Becq de Fouquières (1869), et la thèse inédite sur les poupées romaines de Michel Manson (1978, voir infra note 10), les médiévistes, tel Jean-Michel Mehl (1990), font figure de pionniers. À côté de catalogues ponctuels d’expositions, la publication régulière d’articles et volumes collectifs témoigne toutefois d’un intérêt continu parmi les historien·nes.
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[5]
Huizinga 1988 [1938] : 1-12.
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[6]
Costanza 2019 : 295. Avec la liste (non exhaustive) des jeux du livre IX explicitement désignés comme réservés aux garçons ou aux filles. La distribution des activités selon le sexe ne correspond cependant pas toujours aux données d’autres sources, notamment iconographiques. Cf. l’absence des filles dans les jeux de la guerre, Dasen 2022. Pour la distribution des jeux par classe d’âge, voir aussi Costanza 2019 : 298-299.
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[7]
Par exemple de’Siena 2009 ; Crist, Vaturi & de Voogt 2016. Becq de Fouquières 1869, constitue une exception remarquable en développant une histoire de la vie privée qui distingue explicitement les activités ludiques selon l’âge et le sexe. Sur la place du jeu dans l’histoire de l’éducation, voir par exemple Aceto & Kopp 2015-2016 et 2017 ; Caflisch 2018. Sur la fonction du jeu dans la société de manière large, voir aussi Lhôte 1994 ; Schädler 2007 ; Schädler & Strouhal 2010. Pour un bilan, Dasen & Schädler 2018.
-
[8]
Baerlocher 2006 et plus largement sur la littérature enfantine, Dafflon-Novelle 2006.
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[9]
Charles & Girveau 2011. Le masculin générique du titre faisait référence à l’ouvrage fondateur de Caillois, 1958 : Des Jeux et des hommes. Sur l’installation de Chloé Ruchon : https://www.chloeruchon.com/art/barbie-foot/.
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[10]
Manson 1983 et 2001. Les recherches récentes confirment que ces figurines anthropomorphes ne sont pas ludique
sau sens moderne, mais des formes de « petites divinités », des objets transitionnels articulant monde humain et divin ; voir Bianchi 2022 ; Dasen & Verbanck-Piérard 2022. -
[11]
Bayless 2021 ; Rühl 2006 ; Vaucelle 2006. Voir aussi les études rassemblées par Aceto & Lucioli 2019 et Kopp & Lapina 2021 qui abordent la question du genre.
-
[12]
Fenech 2017. Voir aussi : http://www.centrechastel.paris-sorbonne.fr/membres/antonella-fenech-kroke
-
[13]
Voir dans ce volume la bibliographie rassemblée par Fanny Lignon.
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[14]
Pasquier 2010 ; Lignon 2015.
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[15]
Voir par exemple Lopez-Fernandez et al., 2019 et Kuss et al. 2022.
-
[16]
Voir note 3 supra.
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[17]
Costanza 2019 ; sur les survivances possibles de ces jeux et de leurs stéréotypes en Grèce moderne, Costanza 2021.
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[18]
Comparer par exemple avec DeBoer 2001.
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[19]
Dasen & Mathieu 2021.
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[20]
Hamayon 2021.
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[21]
Sur le sujet, voir par exemple Vespa 2021 ; Vespa 2022.
1 Sortie en 2020 sur la plateforme Netflix, la mini-série The Queen’s Gambit (Le Jeu de la dame) raconte l’histoire d’une prodige du jeu d’échec qui, dans l’Amérique des années 1960, s’impose face aux plus grands champions, tous des hommes. La série, qui connaît un succès critique et populaire retentissant, pourrait laisser penser que l’irruption de femmes dans le jeu est récente. Il n’en est rien. Ce dossier, consacré aux joueuses, explore sur le temps long l’attitude des sociétés, passées et présentes, face au jeu : quelle place y ont tenue les femmes ? Quel impact le genre a-t‑il sur l’accès au jeu, sur les manières de jouer, sur les moments et les lieux du jeu ? Est-ce les joueuses qui transforment le jeu en levier d’affirmation de soi ?
2 Mais qu’est-ce que le jeu ? La question reste débattue face à la multiplicité culturelle du « jouer ». En tentant de dépasser la diversité de ses manifestations dans l’espace et le temps, il est possible de définir le jeu comme une activité volontaire et temporaire, distrayante – c’est-à-dire qui absorbe des joueuses et joueurs consentants, momentanément éloignés de préoccupations extérieures – et sans enjeu matériel, à moins qu’il ne soit accompagné d’un pari [1]. Cette activité est parfois compétitive, mais distincte du sport, bien que les pratiques sportives et ludiques puissent partager une dimension de performance physique. Les jeux sont en effet pratiqués d’ordinaire dans la sphère privée, sans dimension institutionnelle, qu’il s’agisse de l’entraînement, du choix des partenaires ou de la périodicité, sans récompense ni prix officiel. Comme dans la vie sociale, ils suivent des règles qui reflètent un système de valeurs et fédèrent des partenaires – c’est une forme de « contrat ludique » [2] –, mais ils se situent dans un espace-temps qui, tout en étant ancré dans la réalité matérielle des joueuses et des joueurs, incarne un univers de fiction autorisant l’exploration des limites et de la transgression [3].
3 Explorés de manière très inégale par les historien.nes [4], longtemps négligés car trop souvent perçus comme anecdotiques ou infantiles, les jeux constituent pourtant une clef d’accès privilégiée à l’organisation et aux dynamiques des sociétés, qu’ils les reflètent ou les renversent : hiérarchie sociale, croyances religieuses, contacts interculturels. C’est tout particulièrement vrai en ce qui concerne le genre.
Jeu et genre : un état de l’art
4 Des parties de jeu de pions antiques aux consoles vidéo contemporaines, les jeux ont toujours été omniprésents dans la vie quotidienne : encouragés, tolérés, dénigrés ou interdits, visibles ou dissimulés, ils s’inscrivent de manière plus large dans une histoire globale des pratiques sociales. Johan Huizinga, dans son ouvrage fondateur Homo Ludens (1938), est le plus radical : la culture est fondamentalement ludique, c’est-à-dire qu’elle naît dans le jeu et comme jeu [5]. Les activités ludiques, réelles ou en représentations (textes, images), se prêtent à la mise en œuvre d’une lecture utilisant les apports théoriques et méthodologiques du genre. Les différents types de jeux sont souvent catégorisés de manière sexuée, car ils induisent des pratiques différenciées selon le genre, mais aussi l’âge, le statut social, et l’identité, humaine ou divine. Plusieurs jeux se pratiquent avec les mêmes objets, mais de manière différente en fonction du genre, comme les jeux d’osselets. Dans le dictionnaire de Julius Pollux, rédigé au iie s. apr. J.‑C. pour enseigner la beauté de la langue grecque au futur empereur Commode, le « jeu des cinq cailloux », pentelitha, est réservé aux parthenoi, les jeunes filles encore non mariées, et possède une dimension divinatoire, tandis que les garçons ont des jeux de compétitions basés sur l’obtention du maximum de points (Onomasticon, IX 126-127) [6].
5 Toutefois, les modalités de la dimension genrée des jeux aux époques historiques ont jusqu’ici été rarement abordées. La grande majorité des ouvrages sur l’histoire du jeu établissent de précieux répertoires, reconstruisent les règles et le contexte socio-culturel, mais sans utiliser le genre comme outil d’analyse [7]. Les jouets d’enfants constituent une exception, surtout pour l’époque moderne et contemporaine. Leur importance dans la reproduction des rôles sexués et des stéréotypes de genre a été souvent avancée, tout comme celle d’autres éléments de la culture matérielle des jeunes (vêtements, couleurs, ornements, etc.) [8]. L’exposition montrée au Grand-Palais à Paris en 2011, Des Jouets et des hommes, questionnait la distribution genrée des jouets occidentaux aux époques moderne et contemporaine. Plus de neuf-cents objets (hochets, poupées, nounours, maisonnettes, dînettes, voitures, etc.) témoignaient de la permanence et des discontinuités de la culture matérielle enfantine en s’attachant à déconstruire les modes d’apprentissage des normes de genre qui modèlent les comportements sociaux (jeux d’infirmière pour les filles, de pompier ou de soldat pour les garçons). Elle s’ouvrait avec un Barbie foot – pendant du baby-foot – de couleur rose, une installation de l’artiste Chloé Ruchon, où des poupées Barbie au corps sexué, cheveux longs, maquillées, en jupette rose, se substituaient aux footballeurs virils attendus, afin d’interpeller la construction des codes genrés contemporains [9]. L’exposition était accompagnée d’un catalogue avec une couverture à choix bleu ou rose renvoyant aux stéréotypes de couleurs pour les filles ou les garçons. Pour les autres périodes historiques, citons les travaux pionniers de Michel Manson sur les poupées et les jouets de l’Antiquité à l’époque moderne, qui y voit, pour l’Antiquité, des objets associés aux rites de passage des filles à la veille du mariage [10]. Mentionnons aussi les recherches menées par les médiévistes et les spécialistes de la Renaissance qui concernent le genre de manière ponctuelle, comme les travaux de Martha Bayless sur l’image courtoise du jeu d’échec comme métaphore amoureuse entre femme et homme, ou de Serge Vaucelle et Joachim Rühl sur l’imperméabilité des cercles féminins et masculins dans les tournois, avec une distribution rigoureuse des rôles féminins (spectatrices, distributrices des prix, parade, etc.) et masculins (les protagonistes de la compétition), et l’entrée progressive des femmes dans le milieu sportif [11]. Les études d’Antonella Fenech sur le jeu de cartes au féminin au début de l’époque moderne ont aussi ouvert de nouvelles perspectives sur l’identification de formes d’agentivité féminine, associées à la reconnaissance de leurs compétences intellectuelles, deux aspects qui sont approfondis dans ce dossier [12]. Citons enfin les études qui fleurissent pour l’époque contemporaine à propos des jeux vidéo [13]. Si la moitié des joueurs de jeux vidéo sont aujourd’hui des joueuses, leurs créateurs restent en majorité des hommes, et l’industrie reproduit volontiers les clichés de genre [14] : les personnages féminins sont souvent sexualisés à outrance, en fonction de critères hétéronormés ; les joueuses subissent une discrimination qui relève souvent du harcèlement, notamment en ligne ; les compétitrices professionnelles perçoivent un salaire plus bas que les compétiteurs, etc [15]. L’émergence d’un courant féministe dans cet univers sexiste, émanant de conceptrices politiquement engagées, contribue cependant à faire bouger les lignes. On prendra pour exemple la Québécoise Stéphanie Harvey, joueuse professionnelle, ancienne développeuse chez le géant Ubisoft et fondatrice de Misscliks, une plateforme prônant la diversité au sein du jeu vidéo. Celui-ci devient même un outil de lutte, et l’on pense en particulier au jeu en ligne et gratuit Dykie Street, produit en 2018 par le collectif D.I.Y.K.E., qui proposait de sensibiliser joueurs et joueuses au sexisme et à la lesbophobie dans l’espace public.
Joueuses ! De la reproduction des normes de genre à leur renversement
6 Ce dossier diachronique examine les pratiques ludiques féminines, petites filles et femmes adultes, à partir de documents textuels, iconographiques et archéologiques ; l’Antiquité (proche-orientale, égyptienne, grecque et romaine) y occupe une place de choix. Il bénéficie en effet du travail engagé par plusieurs des chercheuses et chercheurs du projet ERC Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity qui s’attache, depuis 2017, à reconstruire la culture ludique dans le monde grec et romain. Ce numéro de Clio a pour objectif de questionner la distribution des jeux et des pratiques ludiques entre les hommes et les femmes, explorant en particulier la notion de risque et de transgression au féminin et au masculin, et la valeur symbolique à attribuer au jeu en fonction du genre.
7 Ce dossier n’est pourtant pas limité à l’Antiquité. Il propose des études portant sur les joueuses du Moyen Âge, de la Première Modernité, et de l’époque contemporaine. Il ne se cantonne pas à une aire géographique particulière. Il s’agit, tout en soulignant les spécificités propres à chacun des contextes culturels abordés, de tenter de dégager des points communs. De l’ancienne Mésopotamie, en passant par l’Irlande médiévale et jusqu’au Japon ou au Maroc contemporains, ils se sont révélés (étonnamment) nombreux.
Le jeu, un univers strictement genré ?
8 Dès l’Antiquité, le discours sur l’univers ludique est pensé de manière genré, femmes et hommes, filles et garçons semblant pratiquer des jeux strictement différents. Les écrits de certains auteurs grecs et romains paraissent en témoigner. Dans le monde classique et parmi de nombreux exemples, le dictionnaire de Julius Pollux (iie s. ap. J.‑C.), qui réunit et commente des textes plus anciens, montre un partage très marqué des activités selon le sexe et l’âge [16]. Aux garçons reviennent des jeux de force et d’adresse susceptibles de constituer un entraînement sportif et militaire, et ceux comportant une forme de violence qu’ils doivent apprendre à endurer ; aux filles, les jeux érotiques mêlés à des procédures divinatoires permettant de connaître leur avenir nuptial, ou instruisant les joueuses encore non mariées à leur rôle d’épouse [17]. Anne-Caroline Rendu Loisel, se fondant sur le texte littéraire Nergal et Ereškigal, montre bien que, dès l’ancienne Mésopotamie, certains jeux étaient aussi spécialement dédiés aux petites filles et aux jeunes femmes, avec une distinction entre classes d’âge.
9 Mais ces textes sont souvent normatifs et parfois en décalage avec les pratiques sociales réelles : certaines images et certains objets archéologiques le révèlent en particulier. Ainsi, plusieurs textes grecs tendent à montrer que les normes de respectabilité interdisaient aux femmes d’Athènes de participer de manière active au banquet grec, le symposion. Pourtant, elles sont représentées y participant sur les vases attiques et italiotes, comme le montre Alexandra Attia à travers les images qu’elle a réunies, et y participent au jeu du lancer du vin, le kottabos.
10 Si les études sur les jeux de hasard et d’argent dans le monde romain se sont principalement concentrées sur les joueurs masculins de l’élite, donnant ainsi l’impression qu’eux seuls les pratiquaient, Summer Courts montre au contraire que les sources écrites et iconographiques antiques fournissent de nombreuses preuves de la présence de joueuses de tous horizons, et confirment que les femmes romaines s’adonnaient sans interdits particuliers aux jeux de dés [18] et de paris.
Enfermement et apprentissage des normes de genre
11 La distribution des jeux en fonction des rôles sociaux se trouve aussi dans les poèmes de l’Anthologie Palatine traités par Sophie Laribi Glaudel. Les épigrammes grecques, de brefs poèmes transmis par la tradition littéraire, associent les jeux des filles à leur destin de femmes mariées. Leur charme est souligné, elles prennent soin de petits animaux en cage, comme la sauterelle ou la cigale de Philainis et Myrô, deux parthenoi, tandis que les garçons sont décrits jouant librement à l’extérieur, sans craindre de prendre des risques qui peuvent pourtant leur être fatals. Ce motif de la cage se retrouve dans les otome gēmu, ces jeux vidéo si populaires auprès des femmes célibataires du Japon contemporain, à la différence près que c’est bien la joueuse qui est cette fois prise au piège. Agnès Giard, dans l’étude qu’elle leur consacre, souligne combien ces jeux reproduisent les poncifs de genre : les personnages masculins collent aux stéréotypes d’une virilité abusive et dominatrice, tandis que les personnages féminins, incarnés par les joueuses, apparaissent dociles et sans défense. L’autrice soutient la thèse que les otome gēmu sont le reflet d’aspirations contradictoires face au mariage, qui est souhaité pour répondre aux normes sociales japonaises, mais aussi redouté car synonyme de perte quasi-totale d’autonomie : c’est à travers le jeu que les jeunes Japonaises appréhenderaient cette ambivalence. Le jeu serait donc à la fois un moyen d’appropriation des codes et normes de genre, et une façon d’exprimer la contrainte que le genre – l’injonction au mariage et l’aliénation qui lui est consubstantielle – fait peser sur les individus, ici les jeunes femmes.
12 Le jeu des jeunes filles possède une dimension d’instruction et d’expérimentation qui trouve un écho dans les pratiques contemporaines du Haut Atlas marocain que Jean-Pierre Rossie documente depuis de nombreuses années. Les filles exercent leurs compétences domestiques et se projettent dans leur avenir marital au travers de différents jeux, imitant les cérémonies du mariage avec des poupées qu’elles fabriquent elles-mêmes afin d’intégrer les normes de genre (« la mariée », arousa en arabe, tislit en amazigh). Cependant, dans la distribution des activités, on trouve aussi la fabrication d’accessoires du ménage en miniature, également fabriqués et manipulés par les garçons.
Joueuses et érotisme : entre joug et équilibre
13 Dans Nergal et Ereškigal, c’est en affirmant n’avoir pas goûté aux jeux des petites filles ni à ceux des jeunes femmes que la déesse Ereškigal, régnant sur les Enfers, plaide sa cause auprès de la communauté divine, afin que lui soit renvoyé, comme une sorte de compensation, son amant Nergal auprès duquel elle veut « s’étendre ». Dès l’ancienne Mésopotamie se dessine donc un rapport étroit liant jeux des femmes et sexualité, que Marie-Lys Arnette développe aussi à partir de documents de l’ancienne Égypte, et en particulier, de deux scènes de senet sises au temple de Ramsès III à Médinet Habou. Dans ce contexte particulier, les joueuses et leur jeu ne semblent être que des éléments d’un décor chargé de références érotiques, qui viserait avant tout à célébrer la puissance sexuelle du roi, comme d’autres scènes célèbrent sa puissance guerrière.
14 Dans le monde grec, ainsi que le montre Flavien Villard, les images de « jeu du porteur » – en particulier les figurines de terre cuite – mettent en scène des filles soumises au pouvoir d’Éros et Aphrodite ; le contact physique intime des joueuses traduit aussi l’éveil des sens et de l’émotion amoureuse chez les jeunes filles. Au contraire, pour les garçons, ce jeu d’équilibre est d’abord pensé comme un exercice physique d’adresse, comme on peut le lire chez Pollux (Onomasticon, IX 119 et 122) et Hésychius (Lexique, ε 7363), des auteurs qui utilisent toujours le masculin neutre pour les joueurs d’ephedrismos – comme si les filles en étaient exclues, ce qui est contredit par l’iconographie. Au contraire, l’ephedrismos constitue un bon exemple des différents usages métaphoriques d’un même jeu, pratiqué par des jeunes filles ou des jeunes garçons. Ces images de l’ephedrismos de la Grèce ancienne, où les jeunes filles semblent symboliquement placées sous la contrainte d’Éros qui les mène au mariage, pensé comme la mise sous le joug d’une pouliche, peuvent être rapprochées de la pratique des otome gēmu du Japon contemporain, lesquels expriment le même joug pour Agnès Giard.
15 Mais l’érotisation du jeu des femmes n’est pas toujours synonyme de contrainte ni de passivité. Au cœur des scènes de jeu du kottabos étudiées par Alexandra Attia, les femmes ne se contentent pas de manipuler les accessoires des jeux des hommes, ni de représenter les enjeux de leurs paris – le joueur gagnant la partie remportant aussi les faveurs de la dame présente au symposion. Elles sont aussi joueuses, dépeintes comme les actrices du lancer du vin. Sur les vases attiques, des dédicaces qui accompagnent parfois ces scènes montrent que le lancer des joueuses aurait pu servir d’oracle amoureux, et l’environnement iconographique offre un cadre propice à cette interprétation (présence d’Eros, jeux de regard, nudité, baisers, etc.), c’est-à-dire que les jeux des femmes et leur sexualité se trouvent ici encore étroitement imbriqués.
16 Les conseils que prodigue Ovide à une femme dans l’Art d’aimer ne sont pas une fiction littéraire ; il enjoint d’apprendre à pratiquer divers jeux, notamment de dés et de pions, pour séduire et établir une relation entre les genres qui semble équilibré. Les scènes de jeu entre hommes et femmes en contexte funéraire montrent cette relation idéale et traduisent de manière métaphorique l’harmonie d’un couple séparé par la mort, mais réuni par un plaisir présenté comme partagé [19].
Pouvoir d’agir et capacités intellectuelles
17 Roberte Hamayon a montré que l’activité ludique est un moyen privilégié d’exprimer l’agentivité [20] : plusieurs contributions vont aussi en ce sens, confirmant pour d’autres ères culturelles ce que l’anthropologue a observé chez les Bouriates de Sibérie.
18 Dans un hymne dédié à Ishtar et étudié par A.-C. Rendu Loisel, la déesse guerrière mésopotamienne manipule les armes comme des instruments de jeu sur le champ de bataille. Cette rencontre entre les univers ludique et militaire n’a rien de surprenant : par exemple, au ve siècle av. J.‑C., Sophocle attribue au héros de la guerre de Troie, Palamède, l’invention des jeux de pions – une tradition présente dans plusieurs textes ultérieurs de la Grèce antique [21]. Mais dans l’ancienne Mésopotamie, c’est une divinité féminine qui établit ce lien, renversant alors les normes de genre qui ont cours dans la société des mortels.
19 L’univers fictionnel du jeu est propice à un tel bouleversement, et les scènes ludiques favorisent sa mise en scène. Concernant l’Égypte ancienne, M.-L. Arnette propose de voir dans les peintures des tombes de Deir el-Médina montrant des joueuses un reflet des responsabilités particulières prises par les femmes du village. Celles-ci, semble-t‑il, prenaient seules en charge leur maisonnée lorsque leurs époux étaient retenus sur leur lieu de travail, comme peut-être d’autres aspects de la vie communautaire. Fait exceptionnel, dans la tombe d’Inherkhâouy, l’épouse assise la première devant la table de jeu, prend activement part à la partie en manipulant les pions, tandis qu’Inherkhâouy se contente d’être assis, passif, derrière elle : la joueuse occupe dans cette scène la première place habituellement réservée aux hommes. Cette interprétation n’écarte pas la possibilité d’une certaine ironie de la part des peintres, tous des hommes et membres de la petite communauté.
20 À travers le jeu, en particulier les jeux de pions où la stratégie tient une bonne place, les capacités intellectuelles s’expriment de manière privilégiée. Les joueuses ne font pas exception. Ainsi, Katherine Forsyth et Geraldine Parsons s’attachent à démontrer que la littérature irlandaise du Moyen Âge (viie-xiiie s.) utilise le motif du fidchell, un jeu de plateau de pure stratégie qui fait partie de la famille du jeu romain des latroncules, pour exprimer les compétences intellectuelles féminines, qu’elles jouent entre elles ou avec un partenaire masculin, sans craindre de consommer du vin, et dans les mêmes lieux que les hommes, privés ou publics.
21 Au début de l’époque moderne, les peintres de l’Europe septentrionale (xvie et xviie s.) mettent en scène le goût du défi et l’audace de joueuses de carte, dont la tricherie n’est pas le signe d’un « besoin inné de tromper ». Comme l’analyse Antonella Fenech, ces scènes de genre suscitent un « plaisir du spectacle », celui de femmes audacieuses dont la tricherie démontre l’habilité et la capacité d’anticiper et d’agir.
Jeu, genre et numérique : vers une redistribution des cartes ?
22 L’essor du numérique semble, de prime abord, bouleverser la sphère ludique en y introduisant de nouvelles pratiques et de nouveaux objets. Pourtant, ces jeux d’un nouveau genre ne sont pas si éloignés des jeux traditionnels, comme le démontre Elizabeth Nelson dans l’étude qu’elle consacre aux jeux d’enfants dans les cours d’école de l’Écosse contemporaine. Se fondant sur une vidéo réalisée par Olivia, petite fille de 9 ans qui se filme dansant au son de musiques sélectionnées sur YouTube, l’autrice souligne deux aspects fondamentaux : d’une part, Olivia se situe dans la tradition genrée des jeux de danse et de chansons, pratiqués par les petites filles et inspirés par des femmes adultes, et d’autre part, le jeu d’Olivia est un bricolage qui lui permet de mélanger divers éléments, numériques et non numériques. Il est d’ailleurs frappant de voir combien les enfants participants à l’étude prennent spontanément en compte des critères de genre, dans lesquels ils se situent eux-mêmes de manière binaire. Ils décrètent ce qu’il convient de visionner sur YouTube, et de reproduire dans la cour de l’école. Olivia fait de même : elle se met en scène en tant que petite fille.
23 Si l’univers du jeu vidéo s’avère encore fortement marqué par les normes de genre, Fanny Lignon souligne dans l’entretien qu’elle a donné à Clio que cette famille de jeux, précisément, pourrait permettre de les dépasser. Prenant pour exemple le dernier volet de la série à succès Assassin’s Creed, Valhala, elle brosse le portrait du personnage principal, Eivor, que ses concepteurs ont voulu non binaire : Eivor peut être joué au féminin ou au masculin, ou les deux, en fonction des missions dans le jeu. Malgré cela, c’est bien un modèle masculin qui inspire ce personnage prétendu neutre, et si Valhala repousse « les injonctions du genre, il ne les franchit pas ». F. Lignon propose une autre solution, celle de permettre au joueur ou à la joueuse de créer son propre avatar : ainsi, le scénario du jeu proposé par les concepteurs serait nécessairement indépendant du genre du personnage, sur lequel il ne pourrait plus reposer. Un tel modèle pourrait bien devenir une source d’inspiration, et l’on se souviendra désormais, en raison de la présence bien attestée de joueuses dans le passé comme aujourd’hui, qu’Homo Ludens – au même titre que Sapiens ou Faber – désigne tout autant les femmes que les hommes.
Bibliographie
Bibliographie
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- —, 2017, « Jeux éducatifs et savoirs ludiques dans l’Europe médiévale/Educative Games and Ludic Knowledge in Medieval Europe », Ludica. Annali di storia e civilità del gioco, 23, p. 94-180.
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- Chevalier Sophie & Thierry Wendling (dir.), 2018, Ethnographiques.org, 36. [En ligne : https://www.ethnographiques.org/2018/numero-36/]
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- Dafflon-Novelle Anne (dir.), 2006, Filles-garçons : socialisation différenciée ?, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
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- Dasen Véronique & Nicolas Mathieu, 2021, « Margaris ou l’amour en jeu », Mètis. Anthropologie des mondes grecs et romains, 19, p. 123-146.
- Dasen Véronique & Ulrich Schädler, 2018, « Le jeu, révélateur des sociétés », Textes et Documents pour la Classe, 119, p. 28-33.
- Dasen Véronique & Annie Verbanck-Piérard, 2022, « Poupées grecques en images : du jeu au rite », Pallas, 119, p. 349-78.
- Dasen Véronique & Marco Vespa, 2021, « Ancient Play and Games: in Search of a Definition », in Véronique Dasen & Marco Vespa (dir.), Play and Games in Classical Antiquity: definition, transmission, reception, Liège, PUL, coll. « Jeu/Play/Spiel, 2 », p. 5-16.
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- de’Siena Stefano, 2009, Il gioco e i giocattoli nel mondo classico: aspetti ludici della sfera privata, Modena, Mucchi.
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- Hamayon Roberte, 2021, Jouer, une autre façon d’agir. Étude anthropologique à partir d’exemples sibériens, Lormont, Le Bord de l’eau.
- Huizinga John, 1988 [1938], Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, trad. Cécile Seresia, Paris, Gallimard.
- Kopp Vanina & Elizabeth Lapina (dir.), 2021, Games and Visual Culture in the Middle Ages and the Renaissance, Turnhout, Brepols.
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- Wendling Thierry, sous presse, « Contrat ludique, violence et jeux impairs », in Véronique Dasen & Typhaine Haziza (dir.), Violence et jeu de l’Antiquité à nos jours, Caen, Presses universitaires de Caen.
Date de mise en ligne : 17/05/2023.
Notes
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[*]
Ce dossier a été réalisé dans le cadre du projet financé par le Conseil européen de la recherche (ERC) Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity basé à l’université de Fribourg dans le cadre du programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne Horizon 2020 (contrat de financement no 741520) [ www.locusludi.ch].
-
[1]
Cette définition, qui fait toujours consensus, est posée par Huizinga 1988 [1938] et Caillois 1958.
-
[2]
Sur la notion de « contrat ludique » et les nuances à y apporter, voir Wendling sous presse.
-
[3]
Sur la dimension universelle du « jouer », partagée par les animaux, et ses déclinaisons culturelles, voir en dernier lieu la synthèse de Hamayon 2021 ; sur son application aux pratiques ludiques antiques, Dasen & Vespa 2021. Sur les animaux et le jeu, Chevalier & Wendling 2018. Sur les rapports entre jeu et sport en Grèce classique, voir l’analyse de Golden 2021.
-
[4]
Comme Élisabeth Belmas le relève dans son introduction (2006 : 6-15), le jeu est un objet d’histoire, mais le thème fut longtemps « relégué au musée des curiosités historiques » et très peu d’historien·nes s’en sont saisi, contrairement aux philosophes, sociologues, psychologues et anthropologues. Pour les ouvrages de synthèse, hormis l’œuvre de Louis Becq de Fouquières (1869), et la thèse inédite sur les poupées romaines de Michel Manson (1978, voir infra note 10), les médiévistes, tel Jean-Michel Mehl (1990), font figure de pionniers. À côté de catalogues ponctuels d’expositions, la publication régulière d’articles et volumes collectifs témoigne toutefois d’un intérêt continu parmi les historien·nes.
-
[5]
Huizinga 1988 [1938] : 1-12.
-
[6]
Costanza 2019 : 295. Avec la liste (non exhaustive) des jeux du livre IX explicitement désignés comme réservés aux garçons ou aux filles. La distribution des activités selon le sexe ne correspond cependant pas toujours aux données d’autres sources, notamment iconographiques. Cf. l’absence des filles dans les jeux de la guerre, Dasen 2022. Pour la distribution des jeux par classe d’âge, voir aussi Costanza 2019 : 298-299.
-
[7]
Par exemple de’Siena 2009 ; Crist, Vaturi & de Voogt 2016. Becq de Fouquières 1869, constitue une exception remarquable en développant une histoire de la vie privée qui distingue explicitement les activités ludiques selon l’âge et le sexe. Sur la place du jeu dans l’histoire de l’éducation, voir par exemple Aceto & Kopp 2015-2016 et 2017 ; Caflisch 2018. Sur la fonction du jeu dans la société de manière large, voir aussi Lhôte 1994 ; Schädler 2007 ; Schädler & Strouhal 2010. Pour un bilan, Dasen & Schädler 2018.
-
[8]
Baerlocher 2006 et plus largement sur la littérature enfantine, Dafflon-Novelle 2006.
-
[9]
Charles & Girveau 2011. Le masculin générique du titre faisait référence à l’ouvrage fondateur de Caillois, 1958 : Des Jeux et des hommes. Sur l’installation de Chloé Ruchon : https://www.chloeruchon.com/art/barbie-foot/.
-
[10]
Manson 1983 et 2001. Les recherches récentes confirment que ces figurines anthropomorphes ne sont pas ludique
sau sens moderne, mais des formes de « petites divinités », des objets transitionnels articulant monde humain et divin ; voir Bianchi 2022 ; Dasen & Verbanck-Piérard 2022. -
[11]
Bayless 2021 ; Rühl 2006 ; Vaucelle 2006. Voir aussi les études rassemblées par Aceto & Lucioli 2019 et Kopp & Lapina 2021 qui abordent la question du genre.
-
[12]
Fenech 2017. Voir aussi : http://www.centrechastel.paris-sorbonne.fr/membres/antonella-fenech-kroke
-
[13]
Voir dans ce volume la bibliographie rassemblée par Fanny Lignon.
-
[14]
Pasquier 2010 ; Lignon 2015.
-
[15]
Voir par exemple Lopez-Fernandez et al., 2019 et Kuss et al. 2022.
-
[16]
Voir note 3 supra.
-
[17]
Costanza 2019 ; sur les survivances possibles de ces jeux et de leurs stéréotypes en Grèce moderne, Costanza 2021.
-
[18]
Comparer par exemple avec DeBoer 2001.
-
[19]
Dasen & Mathieu 2021.
-
[20]
Hamayon 2021.
-
[21]
Sur le sujet, voir par exemple Vespa 2021 ; Vespa 2022.