Cliniques 2011/1 N° 1

Couverture de CLINI_001

Article de revue

Introduction

Pages 10 à 16

Notes

  • [1]
    A. de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1999, p. 16.
  • [2]
    S. Décobert, « Contenant (le groupe comme…) », Familles en péril, Gruppo, revue de psychanalyse groupale, n° 2, 1986, p. 81.
  • [3]
    S. Freud (1923), « Le moi et le ça », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 230-239.
  • [4]
    Ibid., p. 230.
  • [5]
    Ibid., p. 238.
  • [6]
    E. Bick (1967), « L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces », dans Les écrits de Martha Harris et d’Esther Bick, Lanor-Plage, Éditions du Hublot, 1998. p. 136.
  • [7]
    C. Malpique, « La fonction contenante du regard », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, numéro spécial congrès, Paris, puf, 1994, p. 1647.
  • [8]
    F. Wedekind, La boîte de Pandore, une tragédie monstre, acte iii, Paris, Éditions théâtrales Maison Antoine-Vitez.
  • [9]
    F. Guignard, « Sigmund Freud et Wilfred W.R. Bion : filiation et commensalité », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, op. cit, p. 1633.
English version
« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! […]
Alors j’ai dessiné […]
“Non ! Celui-là est déjà très malade […]
Ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes […]
Celui-là est trop vieux” […]
Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer
le démontage de mon moteur […] “C’est la caisse.
Le mouton que tu veux est dedans !”
Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :
“C’est tout à fait comme ça que je le voulais !” »
A. de Saint-Exupéry [1]

« Si le fait psychique procède à partir d’un contenant, c’est alors ce contenant qui permet le fantasme et l’expérience d’une intériorité singulière. »

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« Si le fait psychique procède à partir d’un contenant, c’est alors ce contenant qui permet le fantasme et l’expérience d’une intériorité singulière. »

© Pierre Georges Despierre

1À travers leurs expériences cliniques au sein de diverses structures de soins, les auteurs qui contribuent à ce numéro montrent toute l’importance de cette notion de contenance dans le cadre du soin psychique en institution, qu’elle soit psychiatrique, pédopsychiatrique, gériatrique, ou encore en clinique de soins de suite. La multiplicité des lieux d’exercice et des voies thérapeutiques nourrit un dialogue implicite entre praticiens de divers horizons autour de cet axe de réflexion.

2Avant d’entrer au cœur de la pratique clinique en institution et d’interroger cette notion dans ses retentissements sur le travail à plusieurs, tel qu’il se pratique dans ces lieux de soin, revisitons brièvement l’historique du concept. De quels grands courants de pensée résulte-t-il ?

3Si le fait psychique procédait comme dans l’histoire du Petit Prince, c’est-à-dire à partir d’un contenant, ce serait alors l’existence de ce contenant qui permettrait le fantasme, autrement dit une vie psychique féconde et l’expérience d’une intériorité singulière…

Les prémisses de cette notion

Point de vue topique et lieu frontière

4S. Freud n’emploie pas à proprement parler le terme de contenance. Pourtant, comme le souligne S. Décobert [2], s’il ne nomme pas le concept, il en dessine les contours dans « Le moi et le ça [3] » en faisant de la conscience, ou plutôt du système perception-conscience, la frontière entre le monde externe et le monde interne : « La conscience est la surface de l’appareil psychique [4]. » Plus encore, il pose les bases de ce que sera plus tard le Moi-peau de D. Anzieu lorsqu’il désigne le moi comme étant « avant tout un moi corporel, […] dérivé des sensations corporelles, celles principalement qui ont leur source dans la surface du corps. Il peut ainsi être considéré comme une projection mentale de la surface du corps [5] ».

5La notion de contenance renvoie donc implicitement à un lieu, une surface, une limite, une frontière qui marque un seuil entre un dehors et un dedans.

L’essor de la notion de contenance dans la pédiatrie et la périnatalité : ancrage de sa constitution dans l’histoire infantile et les interactions mère-bébé

6Les courants psychanalytiques anglo-saxons ont fait la part belle à la notion de contenance, inscrivant ses racines originelles dans les premières interactions mère-bébé. C’est le cas d’E. Bick qui, dans le cadre de sa méthode d’observation des premières interactions entre le nourrisson et sa mère mise en place à la Tavistock Clinic, dégage un certain nombre de notions parmi lesquelles l’importance de « l’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces » (Bick, 1967). Dans le cas d’un « développement défectueux de cette fonction contenante [6] », le bébé adopte une série de mécanismes défensifs, recours au comportement le plus souvent, qu’elle considère comme de véritables « secondes peaux » : c’est le cas par exemple de l’hyperactivité, qui forme alors une véritable gaine musculaire, une armature tentant de pallier les défaillances des capacités de contenance de la première peau. Ici, le contenant-peau constitue le véritable prototype de la contenance interne.

7Avec D. W. Winnicott, la contenance renvoie aux notions de « holding », « handling » et « object-presenting », au maternage suffisamment bon et aux aspects cliniques de la transitionnalité.

Sa fonctionnalité individuelle et groupale

Points de vue dynamique et économique

8La contenance, comme lieu réceptacle de dépôts multiples, ne suffit pas en tant que telle. Ce n’est pas tant ce qui est reçu qui compte, mais plutôt comment ce qui est reçu est compris au sens propre du terme et transformé. Ainsi, la contenance ne sera-t-elle véritablement opérante que si elle occupe activement certaines fonctions : lorsqu’elle devient une capacité fonctionnelle.

9La capacité de contenance d’un individu pour lui-même, de la mère pour son bébé ou d’une institution pour les personnes accueillies, procède alors d’une architecture complexe où différentes fonctions s’articulent :

  • en premier lieu, celle d’accordage, qui permet le simple dépôt ;
  • celle de lier, d’unifier et de tenir ensemble du jusque-là informe, du projeté, du débordant ;
  • celle de protéger un moi immature des conséquences de brèches et d’effractions qu’il va immanquablement connaître dans son développement ;
  • celle de calmer et réguler le flux d’excitations par un pare-excitation efficace ;
  • et enfin, celle de transformer et de symboliser de l’archaïque en représentations, du non-sens en signification…
C’est en fait avec W.R. Bion que la contenance apparaît véritablement comme une fonction occupant une place décisive dans la qualité du fonctionnement et de l’appareil psychiques : la fonction contenante, ou « fonction alpha » de la mère de la préhistoire infantile, devient une fonction de transformation, de digestion psychique des éléments bruts, impensés, et ouvre la voie à la symbolisation et à une vie fantasmatique interne féconde. En effet, la mère, grâce à sa propre capacité de contenance interne, digère et élabore les projections chaotiques de son enfant et les lui restitue dans un format pensable et assimilable. La fonction contenante est donc avant tout, avec W.R. Bion, une fonction transformatrice, « une fonction qui élabore les expériences sensorielles et émotionnelles chaotiques et dispersées pour les rendre tolérables en leur donnant une signification [7] ». L’appareil psychique se dote alors d’une digue, véritable barrage qui œuvre :
  • à contenir les débordements d’excitations en tout genre, assurant de la sorte le pare-excitation ;
  • à transformer de l’excitation informe et débordante en courants pulsionnels organisés (par des but, des objets…), à mêmes de drainer une vie fantasmatique de bonne qualité ;
  • à garantir ainsi la voie ouverte sur le champ de la représentation et de la symbolisation ;
  • à tarir conjointement les voies de décharge dans le comportement, ou celles de l’expulsion projective.
« Personne n’avait rêvé sa vie pour lui. Personne ne se pencha sur son berceau en lui prêtant le succès, le brillant ou les plus belles amours. Les fous sont toujours des enfants que personne n’a rêvés » (Schmitt, 1993). Dans un autre registre, F. Wedekind dira par la voix d’un de ses personnages : « Je dois donner vie à mes rêves si je ne veux pas qu’ils fassent de moi un criminel sadique [8]. » C’est dire combien la qualité de contenance nous préserve du déchaînement agi. C’est donc, aux origines du sujet, par la voie de l’identification projective normale que les contenus bruts sont « en quête d’un penseur externe [9] »… d’un « appareil à penser les pensées » (Bion, 2004, 2005).

De l’appareil à penser les pensées au Moi-peau

10C’est à D. Anzieu en particulier que l’on doit l’accent mis sur l’ancrage du Moi-pensant dans le corps et en particulier sur la peau : les fonctions de maintenance, de pare-excitation et de contenance ont un retentissement considérable sur la vie de l’âme, et donc dans l’instauration d’un sentiment de sécurité interne, base narcissique suffisante à la maturation du moi. L’intérêt grandissant des praticiens comme D. Anzieu vers l’ancrage somatique du fonctionnement psychique et le nécessaire recours à des métaphores topographiques (frontières, limites…) pour décrire le fonctionnement psychique de certains patients va de pair avec l’émergence du champ d’une clinique aux limites, des pathologies du comportement, lorsque le fait psychique déborde ses frontières

11D’autre part, si D. Anzieu insiste sur la concordance entre les fonctions du moi et celle de la peau, il montre également que si l’appareil psychique est entouré d’une enveloppe qui comporte un double feuillet – l’un en contact direct avec la vie psychique interne, l’autre aux prises avec la perception externe, assurant lui-même deux fonctions majeures, celle de relier et celle de différencier – il en va de même pour la peau : elle est la barrière de contact qui relie et différencie à la fois soi et l’autre, le dedans le dehors… qui sépare et relie monde interne et monde externe.

12Une contenance fonctionnelle permet donc non seulement de différencier monde interne et monde externe, vie fantasmatique et perception externe, mais aussi de réunir et de faire co-exister des mouvements contraires. En cela, elle ouvre la voie aux prémices de l’ambivalence, à la saine conflictualité qui ouvre ou ré-ouvre le sujet à la capacité de penser, lorsque la symbolisation est en faillite plus particulièrement, ou pas encore opérante, comme c’est le cas du nourrisson.

13On comprend dès lors quelle peut être la fonction première d’un lieu de soin lorsque est indiqué une hospitalisation ou un placement en institution : elle sera avant toute chose de suppléer des systèmes de pare-excitation saturés, défaillants ou tout au moins fragilisés suffisamment pour que le recours à une institution tierce soit nécessaire. Cette suppléance, cette fonction contenante auxiliaire transitoire, consiste alors à contenir les projections des patients, c’est-à-dire à pouvoir endiguer tout ce dont ils se délestent d’éléments impensés, indigestes, inassimilables, tels de véritables corps étrangers à expulser.

14Les auteurs qui contribuent à cet ouvrage explorent donc cette notion sous l’angle de la clinique en institution. Tout au long du parcours dans le lieu de soin, la question se pose des capacités de contenance d’une institution, tant elle est mise à l’épreuve de l’archaïsme et du chaotique : de l’arrivée de la personne au seuil de sa prise en charge, de la prise en compte de sa demande singulière, dans tous les lieux d’accompagnement thérapeutiques, dans les espaces interstitiels, subsidiaires, au quotidien de la vie institutionnelle.

Bibliographie

Bibliographie

  • Anzieu, D. 1995. Le Moi-peau, Paris, Dunod.
  • Bick, E. 1967. « L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces », dans Les écrits de Martha Harris et d’Esther Bick, Éditions du Hublot, 1998.
  • Bion, W.R. 2004. Éléments de psychanalyse, Paris, puf.
  • Bion, W.R. 2005. Aux sources de l’expérience, Paris, puf.
  • Décobert, S. 1986. « Contenant (le groupe comme…) », Familles en péril, Gruppo, revue de psychanalyse groupale, n° 2.
  • Freud, S. 1923. « Le moi et le ça », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981.
  • Guignard, F. 1994. « Sigmund Freud et Wilfred R. Bion : filiation et commensalité », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, numéro spécial congrès, Paris, puf.
  • Malpique, C. 1994. « La fonction contenante du regard », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, numéro spécial congrès.
  • Saint-Exupéry, A. (de) 1999. Le Petit Prince, Paris, Gallimard.
  • Schmitt, É.-E. 1993. Le visiteur, Arles, Actes Sud Papiers.
  • Wedekind, F. 1997. La boîte de Pandore, une tragédie monstre, traduit de l’allemand par Jean-Louis Besson et Henri Christophe, Paris, Éditions théâtrales Maison Antoine Vitez.

Notes

  • [1]
    A. de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1999, p. 16.
  • [2]
    S. Décobert, « Contenant (le groupe comme…) », Familles en péril, Gruppo, revue de psychanalyse groupale, n° 2, 1986, p. 81.
  • [3]
    S. Freud (1923), « Le moi et le ça », dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 230-239.
  • [4]
    Ibid., p. 230.
  • [5]
    Ibid., p. 238.
  • [6]
    E. Bick (1967), « L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces », dans Les écrits de Martha Harris et d’Esther Bick, Lanor-Plage, Éditions du Hublot, 1998. p. 136.
  • [7]
    C. Malpique, « La fonction contenante du regard », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, numéro spécial congrès, Paris, puf, 1994, p. 1647.
  • [8]
    F. Wedekind, La boîte de Pandore, une tragédie monstre, acte iii, Paris, Éditions théâtrales Maison Antoine-Vitez.
  • [9]
    F. Guignard, « Sigmund Freud et Wilfred W.R. Bion : filiation et commensalité », Travail du contre-transfert et fonction contenante, rfp, op. cit, p. 1633.
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