Cités 2001/2 n°6

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Article de revue

Les chefs, une question pour l'histoire du XXe siècle

Pages 67 à 83

Notes

  • [1]
    Conférence Marc Bloch, 1994 (l’école ou l’usine peuvent être vus comme de tels « systèmes », mais en plus d’y exercer l’autorité et d’encadrer, on y enseigne ou on y produit).
  • [2]
    Inventée par Gavriil Kharitonovich Popov dans « S tochki zreniia ekonomista » ( « Du point de vue de l’économiste » ), Nauka i zhizn’, no 4, avril 1987, p. 54-65, cité par Alexis Berelowitch (in À l’Est, la mémoire retrouvée, Alain Brossat et al. (dir.), Paris, 1990, p. 437-438), l’expression est inspirée du roman d’Alexandre Bek, La nouvelle affectation (Paris, Messidor, 1988, trad. par Marianne Gourg de Novoe naznachenie, publié en 1986 dans la revue Znamia), roman écrit sur la base de souvenirs et d’archives à propos du grand patron d’un gigantesque édifice d’administration industrielle sous Staline.
  • [3]
    Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, 843 p.
  • [4]
    Hubert Lyautey, « Du rôle social de l’officier », Revue des Deux-Mondes, t. CIV, 15 mars 1891, p. 443-459 ; A. B., « L’ingénieur et son rôle social », Études religieuses et philosophiques, 1895, I, p. 213-219 (auteur probable, le P. Pupey-Girard selon André Grelon, « L’ingénieur catholique et son rôle social », in Les chantiers de la paix sociale, 1900-1940, Yves Cohen et Rémi Baudouï (dir.), Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions - Fontenay-Saint-Cloud, 1995, p. 167-184) ; Émile Cheysson, Le rôle social de l’ingénieur, Paris, Librairie Guillaumin & Cie, 1897, 17 p. Inspiré par Lyautey en personne, Georges Lamirand écrit un best-seller industriel, Le rôle social de l’ingénieur. Scènes de la vie d’usine, Paris, Éd. de la Revue des Jeunes, Desclée & Cie, 1932, 255 p. (suivi de nombreuses rééditions). Raoul Dautry, l’un des premiers grands technocrates français, se place également sous le signe de Lyautey dans Métier d’homme, Paris, Plon, 1937, 331 p.
  • [5]
    Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, PUF, 1895 (rééd. PUF, 1963, 132 p.). Sur Le Bon, voir Robert A. Nye, The Origins of Crowd Psychology : Gustave Le Bon and the Crisis of Mass Democracy in the Third Republic, London et Beverly Hill, Sage, 1975, 225 p. et Benoît Marpeau, Gustave Le Bon. Parcours d’un intellectuel, 1841-1931, Paris, CNRS Éditions, 2000, 374 p.
  • [6]
    Susanna Barrows, Miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1990, 226 p. (trad. de Distorting Mirrors. Visions of the Crowd in Late Nineteenth-Century France, New Haven, Yale University Press, 1981).
  • [7]
    Joseph Wilbois et Paul Vanuxem, Essai sur la conduite des affaires et la direction des hommes. Une doctrine française : l’administration expérimentale, Paris, Payot, 1919, 236 p.
  • [8]
    Henry Bordeaux, Joffre ou l’art de commander, Paris, Grasset, 1933, 222 p.
  • [9]
    Michel Foucault, De la gouvernementalité. Leçons d’introduction aux cours des années 1978 et 1979, Paris, Le Seuil, 1989, 2 cassettes audio. Entre autres textes publiés dans Dits et écrits, voir « La gouvernementalité » (1978), vol. 3, Paris, Gallimard, 1994, p. 635-657 ou « Omnes et singulatim : vers une critique de la raison politique » (1981), vol. 4, p. 134-161. Voir Michel Senellart, Les arts de gouverner, Paris, Le Seuil, 1995.
  • [10]
    Eberhard Laux, « Führung und Verwaltung in der Rechtlehre der Nationalsozialismus », in Verwaltung contra Menschenführung im Staat Hitlers, Dieter Rebentisch et Karl Teppe (dir.), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1986, p. 34 ; Hannes Siegrist, « Geschichte der Führung – Industrialisierung », in Handwörterbuch der Führung, Alfred Kieser, Gerhard Reber et Rolf Wunderer (dir.), Stuttgart, Poeschel Verlag, 1987, p. 1006.
  • [11]
    « L’organisation apparaît avant tout comme la science du commandement », écrit Stéphane Rials, Administration et organisation, 1910-1930. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977, 271 p. En Allemagne, le commandement est traité dans les livres d’organisation comme un thème à part entière bien avant qu’il n’apparaisse en France, voir par exemple A. Emminghaus, Allgemeine Gewerkslehre, Berlin, Herbig, 1868, 328 p.
  • [12]
    Theodor Lüddecke, Das amerikanische Wirschaftstempo als Bedrohung Europas, Leipzig, 1925, p. 10-43, cité par Mary Nolan, Visions of Modernity. American Business and the Modernization of Germany, New York - Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 25.
  • [13]
    M. Nolan, op. cit., p. 180.
  • [14]
    Le ministre du Reich Franz Seldte, préface à Paul Grabein, Ewiges Deutsches Volk. Ein Geschichte deutscher Führung, Leipzig, Grethlein & Co, 1933, p. 5.
  • [15]
    Karl Dietrich Bracher, La dictature allemande. Naissance, structure et conséquences du national-socialisme, Toulouse, Privat, 1986, p. 456-568 (trad. de Die deutsche Diktatur, Enstehung, Strukturen, Folgen des Nationalsozialismus, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1969).
  • [16]
    Jürgen Fijalkowski, Die Wendung zum Führerstaat, Ideologische Komponenten in der politischen Philosophie Carl Schmitts, Cologne et Opladen, 1958, cité par E. Laux, op. cit.
  • [17]
    Anson Rabinbach, The Human Motor. Energy, Fatigue, and the Origins of Modernity, New York, Basic Books, 1990, p. 287.
  • [18]
    Ian Kershaw, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995, p. 13 (trad. de Hitler, Londres, Longman, 1991, 230 p.).
  • [19]
    Max Weber, Économie et société, Paris, Pocket, 1995, vol. 1, 410 p. (trad. de Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie, 1re éd., 1921-1922).
  • [20]
    Voir aussi Ian Kershaw, « “Working towards the Führer” : Reflections on the nature of the Hitler dictatorship », in Stalinism and Nazism, Ian Kershaw et Moshe Lewin (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 88-106.
  • [21]
    Philippe Burrin, « Charisme et radicalisme dans le régime nazi », in Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées, Henry Rousso (dir.), Bruxelles, Complexe, 1999, p. 79-95.
  • [22]
    Voir par exemple Wolfgang J. Mommsen, Max Weber et la politique allemande, 1890-1920, Paris, PUF, 1986, 552 p. (trad. de Max Weber und die deutsche Politik, 1890-1920, Tübingen, Mohr, 1974, 1re éd., 1959).
  • [23]
    Avec d’autres œuvres venues de France aussi comme La suggestibilité d’Alfred Binet (Paris, Schleicher, 1900, 393 p.).
  • [24]
    Archives Mattern, Cahier de conférences.
  • [25]
    Claude-Joseph Gignoux, Patrons, soyez des patrons !, Paris, Flammarion, 1937, 48 p. Voir Ingo Kolboom, La revanche des patrons. Le patronat français face au Front populaire, Paris, Flammarion, 1986, 384 p. (trad. de Frankreichs Unternehmer in der Periode der Volksfront, 1936-1937, Rheinfelden, Schäuble, 1983, 2 vol., 424 p.).
  • [26]
    « En faisant strictement son devoir professionnel (l’ingénieur) aura rempli la partie principale de son rôle social, puisque tout en réalisant la gestion la meilleure des capitaux dont il a la garde, il aura créé un esprit de collaboration grâce à la conception sociale de son commandement » (p. 93).
  • [27]
    Le commandement est une affaire d’hommes, aucun indice jamais que les femmes pourraient y participer quoique l’industrie connaisse contremaîtresses, contredames et autres exemples de femmes pourvues d’autorité. Mais le ton est donné par ce contact d’embauche d’un jeune ingénieur avec Louis Renault en 1935, où celui-ci dit à l’un de ses collaborateurs à propos du postulant : « Non, Riolfo. Vous ne le voyez pas, avec son air de jeune fille, commander à tous ces sidis... Ils lui feraient un mauvais sort » (Fernand Picard, L’épopée de Renault, Paris, Albin Michel, 1976, p. 35, cité par Alain Michel, « Les plans et la mise en place d’un travail à la chaîne », texte multigraphié, EHESS, 2000, p. 10).
  • [28]
    La CEGOS est la Commission générale d’organisation scientifique. Voir Antoine Weexsteen, Le conseil aux entreprises et à l’État en France. Le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, thèse d’histoire, Paris, EHESS, 1998, 1 091 p. La série des Conférences de service social est publiée par les Éditions Sociales françaises en 1938, 1939 et 1940. Voir Yves Cohen, « L’invention des techniciens sociaux. Du commandement social après juin 1936 chez Peugeot », Actes de la recherche en sciences sociales, no 114, septembre 1996, p. 30-43.
  • [29]
    Véronique Moulinié, « La passion hiérarchique. Une ethnographie du pouvoir en usine », Terrain, no 21, octobre 1993, p. 129-142.
  • [30]
    Un auteur américain, qui est l’un et l’autre, est particulièrement clair sur cette question : Chester Irving Barnard, The Functions of the Executive. Wild Ideas about Organization and Administration, Cambridge, Harvard University Press, 1968, 334 p. (1re éd., 1938).
  • [31]
    Voir entre autres J. Wilbois et al., op. cit., ou E. Nusbaumer, L’organisation scientifique des usines, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1924, 366 p.
  • [32]
    M. Weber, op. cit., p. 291.
  • [33]
    E. Nusbaumer, op. cit., p. 314. Sur le rapport entre sécurité et responsabilité, voir François Caron, Histoire des chemins de fer en France, t. 1 : 1740-1883, Paris, Fayard, 1997, 700 p.
  • [34]
    Philippe Manigart, « L’impact de l’innovation technologique dans les organisations militaires », in L’innovation technologique, facteur de changement (XIXe-XXe siècles), Ginette Kurgan - Van Hentenryk et Jean Stengers (dir.), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1986, p. 221-222.
  • [35]
    Général Gabriel Rouquerol, 1914. Le Troisième Corps d’Armée de Charleroi à la Marne. Essai de psychologie militaire. Les combattants et le commandement, Paris, Berger-Levrault, 1934, p. 113-114. Le Charles de Gaulle auteur lebonien du Fil de l’épée (1932) et de L’Armée de métier (1934) n’appartient pas à un autre courant. Voir sur les Polytechniciens, particulièrement sensibles à la question, Yves Cohen, « Les polytechniciens dans le discours sur le commandement (1891-1940) », in La France des X. Deux siècles d’histoire, Bruno Belhoste, Amy Dahan-Dalmenico, Dominique Pestre et Antoine Picon (dir.), Paris, Economica, 1995, p. 157-168.
  • [36]
    Je m’accorde ici avec Moshe Lewin, « Stalin in the Mirror of the Other », Stalinism and Nazism, op. cit., p. 109.
  • [37]
    L’URSS en construction, par exemple.
  • [38]
    Henri Fayol, Administration industrielle et générale, in Bulletin de la Société de l’industrie minérale, no 3, 1916, 156 p. (suivi de nombreuses rééditions). Voir le chapitre « Rukovodstvo », dans Iosif Mikhailovich Burdianskii, Osnovy ratsionalizatsii proizvodstva [Fondements de la rationalisation de la production], Moscou, OGIZ « Moskovskii Rabochii », 2e éd., 1931, 384 p.
  • [39]
    VKP(b), « Postanovlenie TsK VKP(b) o merakh po uporiadocheniiu upravleniia proizvodstvom i ustanovleniiu edinonachaliia (5 sentiabria 1929 g.) » [Décret sur les mesures de réglementation de la gestion de la production et de mise en place de la direction unique], KPSS v rezoliutsiiax i resheniiakh s"ezdov, konferentsii i plenumov TsK (1898-1970), Moscou, Izd. Polit. Lit., 8e éd., t. 4 (1927-1931), 1970, p. 310-317 ; Hiroaki Kuromiya, « Edinonachalie and the Soviet Industrial Manager, 1928-1937 », Soviet Studies, vol. 36, no 2, avril 1984, p. 185-204 et id., Stalin’s Industrial Revolution : Politics and Workers : 1928-1932, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, 364 p.
  • [40]
    Voir les débats entre les dirigeants de l’usine Poutilov de Leningrad en 1930, Gosudarstvennyi arkhiv Sankt-Peterburga (GASP), fonds 1788, inv. 23, dos. 123.
  • [41]
    Cité par Dmitri Volkogonov, Staline. Triomphe et tragédie, Paris, Flammarion, 1991, p. 52 (trad. de Triumf i tragedia : politicheskii portret I. V. Stalina, Moscou, Novosti, 1989, 2 vol.).
  • [42]
    Iossif Visarionovich Stalin, Pis’ma I. V. Stalina V. M. Molotovu. 1925-1936 gg. [Lettres de Staline à Molotov], Moscou, Rossiia molodaia, 1995, 303 p. ; Oleg Khlevniouk, Le Cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années 30 : les jeux du pouvoir, Paris, Le Seuil, 1996, 331 p.
  • [43]
    Voir la thèse de Sabine Dullin sur Litvinov et l’histoire du ministère des Affaires étrangères, Université Paris I - Sorbonne, 1998.
  • [44]
    Sur les dirigeants régionaux, Oleg Khlevniouk, « Sovetskie regional’nye rukovoditeli : politizatsiia nomenklatury » [Les dirigeants soviétiques régionaux : la politisation de la nomenklatura], Kuda idet Rossiia ? [Où va la Russie ?], t. I, Zaslavskaia (dir.), Moscou, 1999, p. 97-101.
  • [45]
    Voir pour Poutilov, GASP, fonds 1788.
  • [46]
    Voir la dernière synthèse dans Moshe Lewin, « Bureaucracy and the Stalinist state », Stalinism and Nazism, op. cit., p. 53-74.
  • [47]
    Henry Mintzberg, Le pouvoir dans les organisations, Paris, Éd. d’Organisation, Montréal, Agence d’ARC, 1986, 679 p. (trad. de Power In and Around Organizations, Englewoods Cliffs (NJ), Prentice Hall, 1983, 700 p.) (je remercie Pap Ndiaye à qui je dois cette référence).
  • [48]
    Boris Bajanov (Bajanov révèle Staline. Souvenirs d’un ancien secrétaire de Staline, Paris, Gallimard, 1977, 300 p.) assure avoir appris d’une secrétaire de Lénine que celui-ci possédait Psychologie des foules (on dit la même chose de Staline, sans plus de preuves). Quoi qu’il en soit, Que faire ? porte les marques d’une lecture fructueuse.
  • [49]
    Les histoires de la technocratie s’intéressent trop peu à cette question du commandement et du chef.
  • [50]
    Voir Annick Ohayon, L’impossible rencontre. Psychologie et psychanalyse en France, 1919-1969, Paris, La Découverte, 1999, 438 p.

1Le nazisme organise tout pouvoir au sein du IIIe Reich selon le Führerprinzip, le principe du chef. L’historien américain Robert Paxton a pu donner du fascisme une définition qui le présente d’abord comme un « système d’autorité et d’encadrement » [1]. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, l’expression de « système de commandement administratif » a largement prévalu, en Russie mais aussi ailleurs, pour désigner le régime qui disparaissait [2]. Il s’en faut que la question du commandement n’ait été centrale, au cours du siècle passé, que pour les régimes fascistes et communistes. C’est par exemple le chef de la France libre qui se dresse en 1940 contre celui qui s’est fait accorder le titre de chef de l’État français. L’idéal du chef, l’obsession du chef étaient présents simultanément, dans les années 1930 et 1940, sous des formes extrêmement différentes dans les pays les plus variés mais, s’ils ont connu durant cette période leur apogée, ils se sont constitués bien antérieurement comme phénomène historique et le sont restés bien après. Ce phénomène, me semble-t-il, est l’un de ceux qui singularisent le XXe siècle, mais son historicisation, sa saisie par une démarche historienne, est susceptible de passer par des voies très nombreuses, dont certaines seulement seront ici non pas même explorées, mais indiquées. Dans ce qui n’est encore qu’un écheveau d’hypothèses, je n’aborderai pas la Seconde Guerre mondiale ni la période postérieure, m’accordant toutefois avec Luc Boltanski et Ève Chiapello pour dire que les termes de la question changent profondément après 1968 et non pas seulement en France [3].

UNE PRéOCCUPATION COLLECTIVE DEPUIS LA FIN DU XIXe SIèCLE

2En France, une quantité considérable de textes paraissent à partir de la dernière décennie du XIXe siècle, relatifs au commandement, aux foules, aux meneurs. Ils signalent la formation d’une préoccupation collective comme, au même moment, celles pour la natalité ou pour l’organisation qui sont très directement exprimées en rapport à une volonté de revanche sur l’Allemagne. La notion de préoccupation est intéressante parce qu’elle désigne la manière dont des acteurs composent, construisent une question en amont de la programmation de l’action. La préoccupation est une modalité de l’attention au réel qui n’est pas de l’ordre du savoir mais de la délibération sur l’orientation à donner à une action encore à venir. Elle n’est cependant intéressante que si elle ne cantonne pas l’étude aux pratiques discursives qui la portent, mais au contraire éclaire l’exploration des pratiques dans la réalité sociale, et donc le lien entre la discursivité et les formes de l’action. Le commandement et les foules apparaissent comme une préoccupation qui est collective, car autour de ces termes se déploient des discours aussi variés qu’ils sont contemporains, et dont l’ensemble provoque un effet dans le social.

3Deux textes presque concomitants restent tout au long du XXe siècle emblématiques de cette préoccupation collective. Il s’agit d’un court texte du capitaine et futur maréchal Hubert Lyautey, « Du rôle social de l’officier », publié dans La Revue des Deux-Mondes en 1891 et de l’immédiatement célèbre Psychologie des foules du médecin polygraphe Gustave Le Bon publié en 1895. Leurs propos sont différents. Le premier s’adresse à la « jeunesse cultivée » pour lui rappeler que « la conduite des hommes crée des devoirs » et l’inviter à devenir l’éducatrice des ouvriers à l’occasion du service national qui vient de passer à trois ans. Or, la formule du « rôle social » a un succès instantané, en particulier chez les ingénieurs puis parmi d’autres professions d’autorité [4]. La Psychologie des foules vient de son côté indiquer les raisons du comportement déraisonnable des foules et fournir un vocabulaire stabilisé à ceux qui cherchent à se repérer en leur sein, sinon à les gouverner. Le livre est traduit sans délai en une douzaine de langues dans le monde entier, démontrant par les faits à quel point il répond à une question internationale [5]. Or, tous deux énoncent un diagnostic commun : les problèmes à résoudre sont ceux, selon la formule de Lyautey, de la « révolution industrielle et économique de ce temps » ou, selon le second, de « la création de conditions d’existence et de pensée entièrement nouvelles, engendrées par les découvertes modernes des sciences et de l’industrie », liées à un sentiment d’effondrement concomitant de toutes les « croyances ». Ces auteurs centraux nous invitent eux-mêmes à prendre en considération la relation entre le développement scientifique et industriel et la question des chefs (usines réunissant des masses de plus en plus grandes d’ouvriers à l’amorce de ce qu’il est convenu d’appeler la seconde révolution industrielle, formes de la prolifération des sciences dans les mondes de l’efficacité, syndicats et plus largement mouvement ouvrier déployant leur puissance, rassemblements urbains apparemment non maîtrisables...). Si nous désirons ne pas nous contenter de l’étude de la nappe discursive, ce qui paraît en cette matière de la première exigence, nous devrons aller y voir de plus près dans les quartiers, les laboratoires et les ateliers, sinon sur les places publiques [6].

4La préoccupation pour le commandement s’infléchit à partir de la Première Guerre mondiale. D’une part, elle se concentre plus nettement sur les chefs, sur la « nécessité de chefs », comme le disent deux auteurs influents dans les mondes administratif et industriel et, d’autre part, elle prend une tonalité plus politique encore [7]. La radicalité issue des tranchées, et dont l’écho le plus extrême prend forme dans le parti communiste, confirme toutes les craintes conservatrices tandis qu’elle s’incarne à l’est en tant que bolchevisme au pouvoir dans le plus vaste pays du monde (d’ailleurs ce que le bolchevisme prouve à partir de 1917, c’est l’étonnante efficacité d’un système de commandement dont les principes avaient eux aussi été formulés au tout début du siècle dans le Que faire ? de Lénine publié en 1902). L’acuité durable que la confrontation sociale acquiert dès lors vient participer à la complexité croissante de la gestion des grandes entreprises. La littérature réactionnaire en résonne de mille manières qu’exprime fortement cette dédicace du livre d’Henry Bordeaux, Joffre ou l’art de commander : « Au soldat inconnu qui au nom de ses camarades, les morts et les vivants, et au nom même du pays, réclame des chefs. » [8]

5La question du commandement nous fait ainsi traverser un grand nombre de domaines d’action, le militaire, l’industrie, la politique, la science, et elle mobilise des sciences humaines et sociales à qui elle donne au moins partiellement motif à se définir, comme la psychologie, la sociologie et l’anthropologie. En elle se déplacent à mon sens en grande partie les réflexions séculaires sur l’art de gouverner. C’est en grande partie dans les termes du commandement et de l’éthique du chef que s’énonce au XXe siècle ce que Michel Foucault avait entrepris de penser sous la formule du « gouvernement de soi-même et des autres », bien que sa plume ne trace apparemment jamais ces mots de commandement ni de chef [9].

L’ALLEMAGNE, LE PRINCIPE DU CHEF ET L’INTERPRÉTATION WÉBÉRIENNE

6Le nazisme a constitué l’expérience la plus extrême et la plus pernicieuse de cette manie du commandement et du chef apparue dans les dernières années du XIXe siècle, au point que les termes de Führung et de Führer, surtout ce dernier, sont longtemps restés impraticables en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale [10]. En matière industrielle pourtant, avant la Première Guerre mondiale, la question ne s’était pas posée d’une autre manière que dans les autres pays. Comme ailleurs, les méthodes d’organisation systématique de la production et en particulier le système Taylor sont apparus comme une des solutions à ce problème de commandement formulé en raison d’un certain stade atteint par la révolution industrielle, moment où l’autorité directe fondée sur la naissance, l’argent ou le titre ne paraissait plus garantir le maintien de la discipline ni la conduite de projets complexes [11]. Des compétences spécifiques devaient se constituer, être pensées et transmises. Après la guerre au contraire, en Allemagne, dans des cercles de la droite industrielle, l’organisation scientifique du travail semble insuffisante pour assurer la paix sociale. Henry Ford est valorisé pour son leadership en ce domaine [12]. Des thématiques locales sont parallèlement appelées à la rescousse comme la « rationalisation humaine » (menschliche Rationalisierung), l’économie humaine (Menschenökonomie), la gestion humaine (Menschenwirtschaftung) et enfin la conduite des hommes (Menschenführung) [13]. Il se forme en 1925 dans la Ruhr une organisation spéciale dont l’un des objets principaux est d’éduquer au commandement le personnel industriel de tous grades, la Dinta (Deutsches Institut für technische Arbeitsschulung). Pour la partie de l’Allemagne qui ne reconnaît pas la défaite mais aussi pour ceux qui jugent les crises de 1923 et de 1930 comme des crises de la Führung, la « nécessité de chefs » prend des formes plus aiguës et violentes qu’en France, ce que le nazisme cherche à capter quand il ne s’en trouve pas à l’origine. Un idéologue nazi écrit en 1933 que « la guerre ne pouvait s’achever en 1918 comme elle s’est achevée que parce qu’il nous manquait un grand chef (Führer) politique », que l’Allemagne a désormais trouvé en Hitler : « Le commandement (Führung) faisait défaut, le commandement le plus rigide et le plus ferme. » [14] Le Führerprinzip étend son règne à partir de 1933. Il est la traduction organisationnelle stricte du racisme et de l’antisémitisme : tout Allemand est destiné à obéir, mais le dernier Allemand de race sera encore un chef et trouvera à qui commander [15]. Des juristes qui ont rejoint le nazisme comme Carl Schmitt inscrivent le Führerprinzip dans la constitution [16]. Au fur et à mesure, des institutions de toujours plus nombreuses répondent directement devant le Führer ; on prête de plus en plus serment au Führer duquel procède le droit et qui manifeste une autorité « libre et indépendante, exclusive et illimitée », comme le stipule désormais la constitution. Le Führerprinzip s’oppose aux traditions administratives et industrielles. La Dinta, intégrée dans le Front du travail en 1935, rencontre une nette hostilité à son endoctrinement systématique de la part de nombreux industriels [17]. Mais la destruction des normes institutionnelles est accélérée par la guerre au profit de l’autorité concentrée du Führer.

7C’est précisément à ce « pouvoir tout à fait particulier dont disposait son chef » que l’historien britannique Ian Kershaw attribue « le caractère exceptionnel de l’État nazi » [18]. Contre les interprétations totalitaires, Kershaw recourt avec une grande efficacité à une interprétation du pouvoir de Hitler par le charisme qui lui est attribué par ceux qui ne demandaient qu’à y succomber. Le pouvoir charismatique, tel que le pense Max Weber, multiplie les liens de dépendance personnelle, dissout les formes traditionnelles de domination, méprise toute logique économique pour accomplir la mission proclamée reposant en la personne du chef [19]. On a certainement dans l’essai de Kershaw une des réussites les plus marquantes d’une démarche wébérienne en histoire [20]. Ce régime d’interprétation fait toutefois problème. Philippe Burrin remarque à bon droit que Hitler ne manque pas non plus de recourir aux deux autres types de domination énoncés par Weber, l’autorité de la tradition, en tentant de s’appuyer sur le passé allemand, et l’autorité légale rationnelle, en tenant compte au moins un temps de la volonté de la population de conserver un système de normes [21]. On se retrouve dès lors devant un composé des trois types d’autorité identifiés par Weber, qu’il nous est loisible de redistribuer en des proportions différentes pour un quelconque objet d’étude (ce qu’on ne manque d’ailleurs pas d’effectuer à propos du stalinisme). Le procédé fait à son tour problème car il affadit la vertu explicative de l’interprétation. Aussi puissant que soit le cadre wébérien qui énonce les « fondements de la légitimité » des dominants, il ne peut nous économiser la réflexion sur d’autres modes interprétatifs. Ceci importe d’autant plus que la théorie wébérienne est prise dans l’objet même : elle est un effort de compréhension exactement contemporain de ces crises diagnostiquées du leadership, du commandement ou de la Führung, et cet effort n’a pas manqué d’avoir des effets sur la situation même, comme les historiens l’ont déjà montré [22]. Avec un système interprétatif contemporain des phénomènes étudiés, l’histoire ne saurait se cantonner à un rapport d’usage : les modes d’interprétation font partie des événements qu’elle tente d’historiciser. De même, la Psychologie des foules de Le Bon, par exemple, reconnue dans le monde entier comme le point de départ de la psychologie sociale [23], est lue par nombre d’entrepreneurs, d’administrateurs, de chefs et de dictateurs.

8Or, à changer d’échelle, à explorer comment vient émerger la question qui nous occupe non pas dans la considération macroscopique des histoires nationales mais dans l’intimité des pratiques de direction, le besoin d’autres instruments de classement se fait également jour.

ÉTHIQUE, TECHNIQUE ET RESPONSABILITÉ DES CHEFS

9Il est des modalités d’émergence de la question du commandement qui, tout en interrogeant directement la légitimité des chefs, peuvent difficilement se ranger dans les boîtes de Petri inspirées de Weber. Ainsi, en 1938, dans une série de conférences données à la maîtrise, le directeur des usines d’une grande firme automobile française répète à ses interlocuteurs : « Tout chef, à n’importe quel échelon, est un chanceux, car il aura souvent sous ses ordres des gens aussi capables que lui. Aussi, il doit, vis-à-vis de ses subordonnés, s’employer de toutes ses forces pour que ce facteur “chance” soit réduit le plus possible. Il est donc nécessaire qu’il fournisse plus de travail que son personnel ; qu’il donne l’exemple de l’honnêteté, de la probité ; qu’il étudie sans arrêt pour chercher à connaître tout ce qui se rapporte à sa profession. Il est ainsi en mesure d’apprécier avec justesse la peine et les efforts de ceux qui sont placés sous ses ordres. Il doit être indulgent et humain, garder le contact avec son personnel en étant le plus souvent dans les ateliers et les services, au lieu de s’enfermer dans un bureau. » [24] Dans ce discours parfaitement classique, dont on peut trouver de nombreux équivalents ailleurs, il n’est demandé de faire appel ni à la tradition, ni à l’effet d’un titre, ni à un quelconque charisme pour justifier l’état de chef. C’est un travail qui est requis, un travail dans l’ordre de l’éthique et de la présentation de soi, un travail sur soi pour une meilleure confrontation avec les autres.

10Ce discours de l’éthique du commandement prend en France des formes exacerbées après 1936 : la crise sociale est très largement interprétée par la droite et le patronat comme une crise de commandement et d’autorité. « Patrons, soyez des patrons ! », appelle Claude-Joseph Gignoux, le président de la Confédération générale du patronat français (prédécesseur du CNPF et du MEDEF) [25]. Le Rôle social de l’ingénieur, de Georges Lamirand, qui est un livre sur la nécessaire humanité du commandement, est réédité en 1937 avec un très fort succès [26]. Raoul Dautry publie son Métier d’homme – qui est d’abord celui de commander [27]. Les sessions de formation se multiplient au sein des entreprises comme dans des cycles spécialement conçus par des organismes comme la CEGOS ou les très lyauteysiennes Conférences de service social [28]. Ce mouvement court sur son erre propre, dans sa logique d’efficacité industrielle, ce qui ne signifie pas qu’il soit étanche à l’exaltation politique du chef – et les passerelles sont nombreuses par exemple entre le grand patronat organisateur de formations au commandement et les Croix-de-Feu.

11Le discours éthique du chef ne date pas de 1936. Il est déjà présent dans les adresses aux cadres d’entreprise à l’issue de la Première Guerre mondiale. C’est précisément parce qu’un mouvement social aux tonalités parfois révolutionnaires remet frontalement en cause les légitimités fondées sur quoi que ce soit, le titre, l’argent, la naissance, qu’il convient d’élaborer un propos éthique. La moralité des chefs, surtout en régime démocratique, est une condition politique de l’efficacité. Il faut d’autant plus contribuer à renforcer « les structures élémentaires de l’autorité », formelles, que l’expérience des dirigeants leur a montré que « la seule autorité vraie au sein des ateliers » est ailleurs, pour reprendre le langage d’un article lumineux de l’anthropologue Véronique Moulinié [29] : elle appartient à des opérateurs silencieux ou râleurs qui maîtrisent le mieux les façons de faire, à des femmes actives qui composent leur puissance sur l’aveuglement qui leur en dénie, à des révoltés plus ou moins organisés qui proposent d’autres logiques et d’autres normes. Le traitement du « non-formel » est le pain quotidien des praticiens tout comme des théoriciens du commandement [30]. Mais ce n’est pas seulement une éthique qui est bâtie contre la prolifération des autorités parasites locales. On fournit aussi des techniques (l’éthique des chefs, d’ailleurs, peut être considérée comme une technique autant que comme une politique).

12Ces techniques s’ajustent aux divers niveaux d’autorité. Il peut s’agir de l’optimisation du nombre des subordonnés, de la confection adaptée des hiérarchies, du maintien de l’unité de direction et de commandement, du rapport optimal entre le travail de conviction et l’émission d’ordres, de la rapidité de réponse aux questions posées, des règles de la dévolution de l’initiative et de la délégation, des modalités de la conciliation des intérêts particuliers et de l’intérêt général, des jeux de la justice, de l’organisation de « causeries de circonstance » dont peut dépendre la considération portée aux chefs [31]. Toute une littérature et des pratiques de formation sont consacrées à ces techniques. Plutôt que leur contenu, c’est l’apparition de ces mises en forme qui fait histoire au début du XXe siècle, permettant de transformer les recettes en pratiques conscientes. Des trucs et des ruses moins formalisés, de véritables savoir-faire souvent tacites, se transmettent plus par les récits : la décision de rendre ou non publique une mesure sociale, les initiatives suggérées aux subordonnés et mises à leur actif, le jeu sur le temps de réaction supposé des « sous-ordres », la tenue des équilibres délicats dans les apprentissages collectifs, les règles de l’attribution des succès, les ficelles de l’encouragement et du découragement...

13On voit que dans les bureaucraties industrielles, il appartient aux chefs de justifier leur commandement de façon répétée : le titre doit être associé à des qualités spécifiques et à un travail continu, sinon savant. L’incessante mise en cause du lien social capitaliste qui inquiète les élites oblige à nouer l’obéissance avec la personne du chef, ce qui infléchit le propos de Weber lorsqu’il écrit que « les membres du groupement, en obéissant au détenteur du pouvoir, n’obéissent pas à sa personne mais à des règlements impersonnels ». Le lien bureaucratique ou « légal-rationnel » se fait partiellement lien personnel [32].

14Parmi la foule d’aspects qu’il faudrait encore évoquer pour épuiser les manifestations de cette question, je ne mentionnerai brièvement encore que la distance et la complexité. D’une certaine manière, ce qui précède se rapporte aux chefs de contact. Ainsi, les gains de productivité ne reposent pas seulement sur l’accélération de la mécanisation ou sur le renforcement de l’organisation, mais sur l’intensification du travail réclamé des personnes. Dans les grandes usines, il faut obtenir des ouvriers les efforts que les bureaux des méthodes, où s’exerce la science taylorienne du travail, prétendent possibles. Cette extraction repose en large partie sur le commandement rapproché par des chefs qui doivent transmettre des ordres dont la rationalité leur échappe comme aux ouvriers qu’ils dirigent. De tels chefs sont « nécessaires », mais il en est d’autres. Dans la grande entreprise organisée de la seconde révolution industrielle, les dirigeants des projets de réorganisation exigent l’autorité dont ils pensent qu’elle doit accompagner leur responsabilité (le vieux couple autorité/responsabilité reprend du service à nouveaux frais). L’intégration de tâches et de fonctions multiples, la coordination de savoirs et de savoir-faire les plus divers, l’ajustement des installations matérielles (de la conception d’un poste à l’incorporation dans un territoire) aux ressources humaines et inversement, les exigences de la sécurité et la gestion de systèmes, toutes ces activités managériales constituent autant de raisons de demander « la direction totale des services », dans des ajustements subtils avec la passion croissante pour l’organisation fonctionnelle [33]. Le mouvement industriel est ici tout à fait parallèle à l’une des conséquences militaires de la Première Guerre mondiale. Cette guerre intensifie considérablement « le glissement des fonctions de combat vers des fonctions de support, administratives, logistiques et techniques » [34]. Quelques penseurs militaires postérieurs à la guerre théorisent cette évolution et élaborent ses effets sur le commandement : à côté des chefs de contact qui doivent faire preuve de bravoure au feu, elle insiste sur les « chefs stratégiques » tenus d’avoir « le courage des responsabilités et des décisions » [35].

15Par l’étude de l’entrelacement des pratiques discursives, des pratiques d’organisation, des pratiques d’atelier ou de champ de bataille et des formes de l’engagement des personnes dans la matérialité et la spatialité des actes, il semble qu’on compose des modes d’interprétation suggestifs, où technique, éthique et personne ne sont pas sans jouer un certain rôle.

CHEFS SOVIÉTIQUES

16La question du commandement et des chefs dans l’histoire soviétique est sans doute plus décisive encore que pour l’Allemagne et la France, tout en étant certainement plus difficile à aborder en raison de la complexité de cette période, de sa durée et de ses rythmes. Elle est actuellement parmi les plus importantes de l’historiographie.

17À partir de la fin des années 1920, Staline se fait appeler le Vozhd’, vocable imparfaitement traduisible, entre chef et führer, plus proche en fait de Dux et de sa notion de guide [36]. La presse soviétique publiée en France traduit par chef [37]. Le terme de vozhd’ est anciennement pratiqué dans la littérature bolchevique et il figure à de nombreuses reprises à propos des militants du parti dans Que faire ? Ce que le terme transporte et le fait de s’attribuer ce titre importent dans la posture qu’entend prendre Staline au cours de son affirmation comme dirigeant suprême au long des années 1920. Mais avec lui et avec le culte du chef qu’il suppose et que dénonçait déjà Georges Friedmann dans De la sainte Russie à l’URSS en 1938, c’est l’histoire de tout un mode de commandement qu’il convient d’élucider, et nous n’indiquerons ici que quelques éléments.

18Comme tous les pays industriels ou en voie d’industrialisation, l’URSS est saisie dans les années 1920 d’une frénésie d’américanisation. Taylorisme, fordisme, système fonctionnel d’administration deviennent plus qu’ailleurs des affaires d’État, à la fois parce que l’industrie est nationalisée et devient une part de l’État (un peu moins durant la période de la NEP) et parce qu’en général toutes les administrations d’État sont sujettes à la rationalisation. Lorsque le commandement est discuté en tant que tel, la controverse est menée dans les termes proposés par Henri Fayol, l’initiateur français d’une science de l’administration dont la réflexion sur le commandement forme un chapitre majeur [38]. Un principe de commandement distinctif et spécifique est relancé à la fin des années 1920, celui de la direction unique (edinonachalie). L’argumentaire du décret rappelle l’insistance de Lénine sur la « subordination inconditionnelle durant le temps du travail à la volonté d’une seule personne, le dirigeant soviétique », que les « masses travailleuses » doivent observer et qui doit être unie à la pratique la plus libre de la démocratie en politique. La forme adoptée jusqu’à l’imposition de la direction unique était le « triangle » où un poids formellement égal est donné au responsable du parti, à celui du syndicat et au dirigeant technique. C’est à ce dernier que le edinonachalie, cherchant à résoudre l’entrecroisement des autorités, donne la primauté [39]. La directive n’est pas sans engager dans une inextricable confrontation avec l’organisation fonctionnelle qu’on tente au même moment de généraliser dans l’industrie [40].

19Le parti bolchevique est de son côté en proie à ses propres débats sur son mode de commandement. Au nom de l’unité du parti, toute fraction est interdite dès 1921, au moment où la Nouvelle politique économique est lancée. La mort de Lénine engage dans un long processus où non seulement le pouvoir sur le parti et le pays est en jeu, mais le mode de gouverner. Au Xe Congrès du parti communiste en 1925, Kamenev, alors dans l’opposition, déclare : « Nous sommes contre la création d’une théorie du “chef”, nous sommes contre la fabrication d’un “chef”. Je pense personnellement que notre secrétaire général n’est pas la figure qui peut unir autour d’elle le vieil état-major bolchevik... Je le répète au Congrès : je suis parvenu à la conclusion que le camarade Staline ne peut pas remplir le rôle d’unificateur de l’état-major bolchevique. » [41] Les vieux bolcheviks qui vont bientôt être balayés détectent sous la montée du pouvoir de Staline, nommé en 1922 au secrétariat général, non pas seulement la puissance d’un homme qui a constitué ses réseaux de féaux dès les premiers postes de responsabilité et s’est chargé de tout le sale boulot et jusqu’au pire durant la guerre civile et après, mais l’apparition d’un principe de commandement qui a pu, comme d’autres courants, émerger du sein du bolchevisme, au centre duquel se tient le chef.

20Or, lorsque Staline traduit sa victoire définitive sur toutes les oppositions, non seulement il installe en 1930 son vieux compagnon Molotov au poste de président du conseil des commissaires du peuples (SNK) à la place de l’ « opposant de droite » Rykov mais, dans le même mouvement, il instaure une forme de direction qui va percoler dans l’ensemble de l’appareil d’État, c’est-à-dire dans toute forme de groupement organisé en URSS [42]. Au-delà même d’un principe de direction unique, Staline interdit toute réunion des adjoints sans leur chef. Le principe est appliqué à la présidence du SNK et progressivement à tous les ministères et à leurs appareils [43]. Toute rencontre horizontale non provoquée par un chef direct est bannie, comme celles, par exemple, de dirigeants régionaux à l’occasion de congrès tenus à Moscou [44]. Dans l’industrie, l’organisation fonctionnelle est liquidée au début des années 1930 et les titulatures autrefois complexes et intriquées sont simplifiées à l’extrême, le titre de nachal’nik, « chef », étant le seul à subsister en une cascade impavide composant les pyramides hiérarchiques [45].

21Il serait trop facile d’assimiler cette recherche de la verticalité absolue au principe hitlérien du chef. Staline cherche sans cesse à éviter la submersion par la prolifération bureaucratique renaissant de toute purge, cette rage antibureaucratique n’étant pas sans jouer un rôle dans la Grande Terreur des années 1937-1938 [46]. Après s’être employé de la façon la plus violente à détruire toute solidarité sociale ou professionnelle et en général toute relation sociale qui ne soit pas dans la dépendance du parti, c’est à toute possibilité de nouage de liens à l’intérieur même du parti-État que s’en prend Staline, qui n’est pas sans combattre là, lui aussi, « la seule autorité vraie » qui n’est pas d’ordre structurel mais d’une nature mystérieuse et insaisissable. Il n’y a pas de racisme sous le mode de commandement stalinien mais la volonté de le protéger à toute force contre toute « coalition horizontale », c’est-à-dire de toute alliance au sein de l’organisation, même non formalisée, susceptible de mettre en question le pouvoir, selon l’expression du chercheur en gestion Henry Mintzberg [47]. Le système qui est issu de ce processus n’est pas un gouvernement de l’idéologie. Il s’appuie cependant sur un travail constant d’ordre idéologique qui vise à arrimer toutes les mesures qu’il prend pour s’édifier à une philosophie édifiante et, en l’occurrence, à attacher son régime de commandement à une philosophie du rapport entre l’individu et les masses dans l’histoire. Ce système survit à son inventeur. Depuis le Que faire ? qui assurait le vozhd’, bientôt bolchevik, de la raison de son action sur les masses spontanément « trade-unionistes » et non révolutionnaires, jusqu’au « système de commandement administratif » – dont la formulation est plutôt bien ajustée – qui s’effondre à la fin des années 1980, la cohérence n’est pas absente. Le passage par Staline est pourtant essentiel, amarrant jusqu’au bout le parti, avec l’ensemble du système dont il est la colonne vertébrale, au sort de son chef.

LA PERSONNE ET LE TITRE DE CHEF

22Le XXe siècle a accordé aux personnes de l’importance et du plaisir à être chef dans des organisations. Le Bon fournissait à tous les termes qui permettaient de penser la chose : émerger des foules, se faire meneur, leader, Führer, chef [48]. Cette transversalité du langage lebonien de la foule (qui n’est pas sans évoquer celle contemporaine de l’organisation scientifique du travail) doit cependant être pensée en termes de réception, et non en termes de diffusion ou d’influence. C’est-à-dire qu’il vaut mieux partir de l’analyse de situations singulières et localisées, même pour reconstituer la concomitance de phénomènes comme celui dont nous traitons : en de nombreux lieux sur la planète, le titre de chef aurait permis aux personnes de s’affirmer, sinon de s’épanouir, au sein des bureaucraties, un titre non seulement acquis au mérite mais accompagné de discours qui justifient sans cesse et plus ou moins scientifiquement la subordination des inférieurs et la nécessité de supérieurs (éventuellement, mais pas forcément moraux). Mais il convient sans doute de porter l’accent historien sur le fait que l’idéal du chef, ou les éthiques du chef, ont constitué de véritables politiques après la Première Guerre mondiale, dans des configurations et sous des formes très différentes toutefois. Parallèlement, le terme de chef a recouvert la nécessité éprouvée de concentrer dans les mains d’un seul les capacités de coordination de systèmes complexes au sein d’environnements industriels, militaires et scientifiques. Il n’est pas exclu que cette dernière modalité ait joué un rôle dans l’affirmation de Staline comme seule alternative politique possible dans le courant des années 1920 – au point de finir par étouffer, d’ailleurs, toute politique [49]. On serait dès lors invité à approfondir une enquête sur les pratiques qui inclue tout autant leur matérialité que les discours qui les nomment, les calculs qui les pilotent, les techniques sur quoi repose leur efficacité et l’éthique qui les gouverne.

23L’engagement des sciences humaines et sociales dans cette histoire est frappant. Il est clair pour la sociologie et la psychologie, quoique j’aie peu évoqué ici la psychologie du commandement, du leadership ou de la Führung qui se développe depuis le début du XXe siècle tant en Allemagne qu’aux États-Unis (beaucoup moins en Union soviétique et dans une France qui s’éloigne peu de Le Bon en cette matière [50]). On pourrait inclure au tableau au moins l’anthropologie et l’histoire. Il conviendrait de même d’approfondir la relation entre commandement et gouvernement dans les pratiques mêmes, discursives ou non. Les intensifications techniques et politiques du dernier siècle ont eu recours à ces langages et à des disciplines du commandement et du chef mais, en amont et en aval, s’agit-il d’une histoire du seul XXe siècle ?


Date de mise en ligne : 01/02/2008

https://doi.org/10.3917/cite.006.0067

Notes

  • [1]
    Conférence Marc Bloch, 1994 (l’école ou l’usine peuvent être vus comme de tels « systèmes », mais en plus d’y exercer l’autorité et d’encadrer, on y enseigne ou on y produit).
  • [2]
    Inventée par Gavriil Kharitonovich Popov dans « S tochki zreniia ekonomista » ( « Du point de vue de l’économiste » ), Nauka i zhizn’, no 4, avril 1987, p. 54-65, cité par Alexis Berelowitch (in À l’Est, la mémoire retrouvée, Alain Brossat et al. (dir.), Paris, 1990, p. 437-438), l’expression est inspirée du roman d’Alexandre Bek, La nouvelle affectation (Paris, Messidor, 1988, trad. par Marianne Gourg de Novoe naznachenie, publié en 1986 dans la revue Znamia), roman écrit sur la base de souvenirs et d’archives à propos du grand patron d’un gigantesque édifice d’administration industrielle sous Staline.
  • [3]
    Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, 843 p.
  • [4]
    Hubert Lyautey, « Du rôle social de l’officier », Revue des Deux-Mondes, t. CIV, 15 mars 1891, p. 443-459 ; A. B., « L’ingénieur et son rôle social », Études religieuses et philosophiques, 1895, I, p. 213-219 (auteur probable, le P. Pupey-Girard selon André Grelon, « L’ingénieur catholique et son rôle social », in Les chantiers de la paix sociale, 1900-1940, Yves Cohen et Rémi Baudouï (dir.), Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions - Fontenay-Saint-Cloud, 1995, p. 167-184) ; Émile Cheysson, Le rôle social de l’ingénieur, Paris, Librairie Guillaumin & Cie, 1897, 17 p. Inspiré par Lyautey en personne, Georges Lamirand écrit un best-seller industriel, Le rôle social de l’ingénieur. Scènes de la vie d’usine, Paris, Éd. de la Revue des Jeunes, Desclée & Cie, 1932, 255 p. (suivi de nombreuses rééditions). Raoul Dautry, l’un des premiers grands technocrates français, se place également sous le signe de Lyautey dans Métier d’homme, Paris, Plon, 1937, 331 p.
  • [5]
    Gustave Le Bon, Psychologie des foules, Paris, PUF, 1895 (rééd. PUF, 1963, 132 p.). Sur Le Bon, voir Robert A. Nye, The Origins of Crowd Psychology : Gustave Le Bon and the Crisis of Mass Democracy in the Third Republic, London et Beverly Hill, Sage, 1975, 225 p. et Benoît Marpeau, Gustave Le Bon. Parcours d’un intellectuel, 1841-1931, Paris, CNRS Éditions, 2000, 374 p.
  • [6]
    Susanna Barrows, Miroirs déformants. Réflexions sur la foule en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Aubier, 1990, 226 p. (trad. de Distorting Mirrors. Visions of the Crowd in Late Nineteenth-Century France, New Haven, Yale University Press, 1981).
  • [7]
    Joseph Wilbois et Paul Vanuxem, Essai sur la conduite des affaires et la direction des hommes. Une doctrine française : l’administration expérimentale, Paris, Payot, 1919, 236 p.
  • [8]
    Henry Bordeaux, Joffre ou l’art de commander, Paris, Grasset, 1933, 222 p.
  • [9]
    Michel Foucault, De la gouvernementalité. Leçons d’introduction aux cours des années 1978 et 1979, Paris, Le Seuil, 1989, 2 cassettes audio. Entre autres textes publiés dans Dits et écrits, voir « La gouvernementalité » (1978), vol. 3, Paris, Gallimard, 1994, p. 635-657 ou « Omnes et singulatim : vers une critique de la raison politique » (1981), vol. 4, p. 134-161. Voir Michel Senellart, Les arts de gouverner, Paris, Le Seuil, 1995.
  • [10]
    Eberhard Laux, « Führung und Verwaltung in der Rechtlehre der Nationalsozialismus », in Verwaltung contra Menschenführung im Staat Hitlers, Dieter Rebentisch et Karl Teppe (dir.), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1986, p. 34 ; Hannes Siegrist, « Geschichte der Führung – Industrialisierung », in Handwörterbuch der Führung, Alfred Kieser, Gerhard Reber et Rolf Wunderer (dir.), Stuttgart, Poeschel Verlag, 1987, p. 1006.
  • [11]
    « L’organisation apparaît avant tout comme la science du commandement », écrit Stéphane Rials, Administration et organisation, 1910-1930. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977, 271 p. En Allemagne, le commandement est traité dans les livres d’organisation comme un thème à part entière bien avant qu’il n’apparaisse en France, voir par exemple A. Emminghaus, Allgemeine Gewerkslehre, Berlin, Herbig, 1868, 328 p.
  • [12]
    Theodor Lüddecke, Das amerikanische Wirschaftstempo als Bedrohung Europas, Leipzig, 1925, p. 10-43, cité par Mary Nolan, Visions of Modernity. American Business and the Modernization of Germany, New York - Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 25.
  • [13]
    M. Nolan, op. cit., p. 180.
  • [14]
    Le ministre du Reich Franz Seldte, préface à Paul Grabein, Ewiges Deutsches Volk. Ein Geschichte deutscher Führung, Leipzig, Grethlein & Co, 1933, p. 5.
  • [15]
    Karl Dietrich Bracher, La dictature allemande. Naissance, structure et conséquences du national-socialisme, Toulouse, Privat, 1986, p. 456-568 (trad. de Die deutsche Diktatur, Enstehung, Strukturen, Folgen des Nationalsozialismus, Cologne, Kiepenheuer & Witsch, 1969).
  • [16]
    Jürgen Fijalkowski, Die Wendung zum Führerstaat, Ideologische Komponenten in der politischen Philosophie Carl Schmitts, Cologne et Opladen, 1958, cité par E. Laux, op. cit.
  • [17]
    Anson Rabinbach, The Human Motor. Energy, Fatigue, and the Origins of Modernity, New York, Basic Books, 1990, p. 287.
  • [18]
    Ian Kershaw, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995, p. 13 (trad. de Hitler, Londres, Longman, 1991, 230 p.).
  • [19]
    Max Weber, Économie et société, Paris, Pocket, 1995, vol. 1, 410 p. (trad. de Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden Soziologie, 1re éd., 1921-1922).
  • [20]
    Voir aussi Ian Kershaw, « “Working towards the Führer” : Reflections on the nature of the Hitler dictatorship », in Stalinism and Nazism, Ian Kershaw et Moshe Lewin (dir.), Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 88-106.
  • [21]
    Philippe Burrin, « Charisme et radicalisme dans le régime nazi », in Stalinisme et nazisme. Histoire et mémoire comparées, Henry Rousso (dir.), Bruxelles, Complexe, 1999, p. 79-95.
  • [22]
    Voir par exemple Wolfgang J. Mommsen, Max Weber et la politique allemande, 1890-1920, Paris, PUF, 1986, 552 p. (trad. de Max Weber und die deutsche Politik, 1890-1920, Tübingen, Mohr, 1974, 1re éd., 1959).
  • [23]
    Avec d’autres œuvres venues de France aussi comme La suggestibilité d’Alfred Binet (Paris, Schleicher, 1900, 393 p.).
  • [24]
    Archives Mattern, Cahier de conférences.
  • [25]
    Claude-Joseph Gignoux, Patrons, soyez des patrons !, Paris, Flammarion, 1937, 48 p. Voir Ingo Kolboom, La revanche des patrons. Le patronat français face au Front populaire, Paris, Flammarion, 1986, 384 p. (trad. de Frankreichs Unternehmer in der Periode der Volksfront, 1936-1937, Rheinfelden, Schäuble, 1983, 2 vol., 424 p.).
  • [26]
    « En faisant strictement son devoir professionnel (l’ingénieur) aura rempli la partie principale de son rôle social, puisque tout en réalisant la gestion la meilleure des capitaux dont il a la garde, il aura créé un esprit de collaboration grâce à la conception sociale de son commandement » (p. 93).
  • [27]
    Le commandement est une affaire d’hommes, aucun indice jamais que les femmes pourraient y participer quoique l’industrie connaisse contremaîtresses, contredames et autres exemples de femmes pourvues d’autorité. Mais le ton est donné par ce contact d’embauche d’un jeune ingénieur avec Louis Renault en 1935, où celui-ci dit à l’un de ses collaborateurs à propos du postulant : « Non, Riolfo. Vous ne le voyez pas, avec son air de jeune fille, commander à tous ces sidis... Ils lui feraient un mauvais sort » (Fernand Picard, L’épopée de Renault, Paris, Albin Michel, 1976, p. 35, cité par Alain Michel, « Les plans et la mise en place d’un travail à la chaîne », texte multigraphié, EHESS, 2000, p. 10).
  • [28]
    La CEGOS est la Commission générale d’organisation scientifique. Voir Antoine Weexsteen, Le conseil aux entreprises et à l’État en France. Le rôle de Jean Milhaud (1898-1991) dans la CEGOS et l’ITAP, thèse d’histoire, Paris, EHESS, 1998, 1 091 p. La série des Conférences de service social est publiée par les Éditions Sociales françaises en 1938, 1939 et 1940. Voir Yves Cohen, « L’invention des techniciens sociaux. Du commandement social après juin 1936 chez Peugeot », Actes de la recherche en sciences sociales, no 114, septembre 1996, p. 30-43.
  • [29]
    Véronique Moulinié, « La passion hiérarchique. Une ethnographie du pouvoir en usine », Terrain, no 21, octobre 1993, p. 129-142.
  • [30]
    Un auteur américain, qui est l’un et l’autre, est particulièrement clair sur cette question : Chester Irving Barnard, The Functions of the Executive. Wild Ideas about Organization and Administration, Cambridge, Harvard University Press, 1968, 334 p. (1re éd., 1938).
  • [31]
    Voir entre autres J. Wilbois et al., op. cit., ou E. Nusbaumer, L’organisation scientifique des usines, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1924, 366 p.
  • [32]
    M. Weber, op. cit., p. 291.
  • [33]
    E. Nusbaumer, op. cit., p. 314. Sur le rapport entre sécurité et responsabilité, voir François Caron, Histoire des chemins de fer en France, t. 1 : 1740-1883, Paris, Fayard, 1997, 700 p.
  • [34]
    Philippe Manigart, « L’impact de l’innovation technologique dans les organisations militaires », in L’innovation technologique, facteur de changement (XIXe-XXe siècles), Ginette Kurgan - Van Hentenryk et Jean Stengers (dir.), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 1986, p. 221-222.
  • [35]
    Général Gabriel Rouquerol, 1914. Le Troisième Corps d’Armée de Charleroi à la Marne. Essai de psychologie militaire. Les combattants et le commandement, Paris, Berger-Levrault, 1934, p. 113-114. Le Charles de Gaulle auteur lebonien du Fil de l’épée (1932) et de L’Armée de métier (1934) n’appartient pas à un autre courant. Voir sur les Polytechniciens, particulièrement sensibles à la question, Yves Cohen, « Les polytechniciens dans le discours sur le commandement (1891-1940) », in La France des X. Deux siècles d’histoire, Bruno Belhoste, Amy Dahan-Dalmenico, Dominique Pestre et Antoine Picon (dir.), Paris, Economica, 1995, p. 157-168.
  • [36]
    Je m’accorde ici avec Moshe Lewin, « Stalin in the Mirror of the Other », Stalinism and Nazism, op. cit., p. 109.
  • [37]
    L’URSS en construction, par exemple.
  • [38]
    Henri Fayol, Administration industrielle et générale, in Bulletin de la Société de l’industrie minérale, no 3, 1916, 156 p. (suivi de nombreuses rééditions). Voir le chapitre « Rukovodstvo », dans Iosif Mikhailovich Burdianskii, Osnovy ratsionalizatsii proizvodstva [Fondements de la rationalisation de la production], Moscou, OGIZ « Moskovskii Rabochii », 2e éd., 1931, 384 p.
  • [39]
    VKP(b), « Postanovlenie TsK VKP(b) o merakh po uporiadocheniiu upravleniia proizvodstvom i ustanovleniiu edinonachaliia (5 sentiabria 1929 g.) » [Décret sur les mesures de réglementation de la gestion de la production et de mise en place de la direction unique], KPSS v rezoliutsiiax i resheniiakh s"ezdov, konferentsii i plenumov TsK (1898-1970), Moscou, Izd. Polit. Lit., 8e éd., t. 4 (1927-1931), 1970, p. 310-317 ; Hiroaki Kuromiya, « Edinonachalie and the Soviet Industrial Manager, 1928-1937 », Soviet Studies, vol. 36, no 2, avril 1984, p. 185-204 et id., Stalin’s Industrial Revolution : Politics and Workers : 1928-1932, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, 364 p.
  • [40]
    Voir les débats entre les dirigeants de l’usine Poutilov de Leningrad en 1930, Gosudarstvennyi arkhiv Sankt-Peterburga (GASP), fonds 1788, inv. 23, dos. 123.
  • [41]
    Cité par Dmitri Volkogonov, Staline. Triomphe et tragédie, Paris, Flammarion, 1991, p. 52 (trad. de Triumf i tragedia : politicheskii portret I. V. Stalina, Moscou, Novosti, 1989, 2 vol.).
  • [42]
    Iossif Visarionovich Stalin, Pis’ma I. V. Stalina V. M. Molotovu. 1925-1936 gg. [Lettres de Staline à Molotov], Moscou, Rossiia molodaia, 1995, 303 p. ; Oleg Khlevniouk, Le Cercle du Kremlin. Staline et le Bureau politique dans les années 30 : les jeux du pouvoir, Paris, Le Seuil, 1996, 331 p.
  • [43]
    Voir la thèse de Sabine Dullin sur Litvinov et l’histoire du ministère des Affaires étrangères, Université Paris I - Sorbonne, 1998.
  • [44]
    Sur les dirigeants régionaux, Oleg Khlevniouk, « Sovetskie regional’nye rukovoditeli : politizatsiia nomenklatury » [Les dirigeants soviétiques régionaux : la politisation de la nomenklatura], Kuda idet Rossiia ? [Où va la Russie ?], t. I, Zaslavskaia (dir.), Moscou, 1999, p. 97-101.
  • [45]
    Voir pour Poutilov, GASP, fonds 1788.
  • [46]
    Voir la dernière synthèse dans Moshe Lewin, « Bureaucracy and the Stalinist state », Stalinism and Nazism, op. cit., p. 53-74.
  • [47]
    Henry Mintzberg, Le pouvoir dans les organisations, Paris, Éd. d’Organisation, Montréal, Agence d’ARC, 1986, 679 p. (trad. de Power In and Around Organizations, Englewoods Cliffs (NJ), Prentice Hall, 1983, 700 p.) (je remercie Pap Ndiaye à qui je dois cette référence).
  • [48]
    Boris Bajanov (Bajanov révèle Staline. Souvenirs d’un ancien secrétaire de Staline, Paris, Gallimard, 1977, 300 p.) assure avoir appris d’une secrétaire de Lénine que celui-ci possédait Psychologie des foules (on dit la même chose de Staline, sans plus de preuves). Quoi qu’il en soit, Que faire ? porte les marques d’une lecture fructueuse.
  • [49]
    Les histoires de la technocratie s’intéressent trop peu à cette question du commandement et du chef.
  • [50]
    Voir Annick Ohayon, L’impossible rencontre. Psychologie et psychanalyse en France, 1919-1969, Paris, La Découverte, 1999, 438 p.

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