1La nouvelle venait de tomber pour Stef. Il l’avait dans le cul pour Kyoto. Après la villa Médicis à Rome, des milliers d’heures de boulot qui partaient en fumée. Sa légende qui s’éloignait un peu de sa fabrication dictionnoriale. Héros de sa propre déchéance et humiliation. Stef était obsédé, excité, emprisonné et traversé par la même question récurrente : avait-il du talent ? Finirait-il dans le dictionnaire ? Pour aujourd’hui, l’échafaudage en prenait un coup sur le citron. Il fallait penser (panser ?) les plaies et assez vite. Direction le pays de l’alcool et de l’ivresse. Avec un bon cassoulet de chez Lidl. Et aussi un saucisson.
2Et merde, je vais encore rester à Nantes. Pas près d’aller chez Matsuya, fast-food japonais bas de gamme. Comme tout le monde, Stef a ses obsessions et préférences, il aime le rock blanc anglais et les femmes asiatiques. Attiré par l’Asie, c’est son exotisme. Mon petit frère, plongé dans Burroughs et Bukowski, ne rêve que d’Amsterdam et de défonce. En retournant au Japon, Stef fuirait en même temps la misère sexuelle qui règne en France. Tirer ses dernières cartouches et chances de pratiquer les jeux de l’amour. La japonaise aime le « gadjin » et se fout de la surcharge pondérale. Au pays du regard bridé, le sumo est superstar. La fainéantise et la pauvreté n’aident pas Stef à garder un corps d’athlète ; la succession de cassoulet et de pizzas Lidl ont entamé sa résistance et sa silhouette. Un jour, courageux, nounours tente un footing. Se retrouve étalé de tout son gras au bout de cinquante mètres. Comme disait Churchill : « No sports ». Ceux qui nous gonflent avec le Paris-Dakar devraient essayer de manger Lidl pendant quatre ans, c’est aussi un exploit.
3L’alcool n’avait rien dissipé. Et merde je suis qu’une merde. Fallait envisager une thérapeutique plus radicale. Houellebecq dit que les occidentaux se servent du Tiers-monde comme réservoir à bites et à chattes. Soulignant aussi qu’ils ne veulent plus baiser à la cosaque et animalement, préfèrent le cérébral tendance SM. Et merde, dans ma situation, il ne faut pas penser au cul. Un problème à la fois. Comment mondaniser le manque de talent. Falloir retrouver un projet. Rien de telle que l’activité pour se relever. Ce soir, encore une bouteille de cidre. Aller traîner dans un bar pour se finir. Heureusement, en ce moment, les autorités ne font pas trop chier avec mon RMI. Fils de Debord, ne travaillez jamais, c’est aussi une épreuve au pays du sarkozysme florissant. Un peu de télé pour se détendre. Le bouffon imperator occupe l’espace. J’éteins la télé. Et je pars dans la nuit nantaise à la recherche d’un je ne sais quoi.
4Regard furtif, au Melting-Pot, une fois de plus cela sent la gouine. Une bière bretonne au bar. Y aura peut-être un concert minable de rap ou Bruno l’architecte et tante geignarde. Rien de tout cela. Juste des corps saouls qui rient, dansent, draguent et picolent. Cela me réchauffe un brin. Et visualise deux idées. D’abord celle d’Elias Canetti. Au contact d’une foule, on ressent une décharge, un vague sentiment d’égalité. Début de « Masse et puissance ». Deuxième idée de William Saroyan ou d’Erskine Caldwell. J’aime l’humain cette ordure. Il est là près de moi ami et adversaire. Ne pas juger.
5Plein d’ardeur, je décide de me rapprocher du lieu unique. Je contemple La Loire. Et finalement, je pourrais régler le problème en sautant. Se suicider c’est comme éteindre la télé quand elle fait chier. Changer de programme définitivement. Je viens de lire une citation que je réserve pour le jury de Kyoto : « Je prétends qu’il n’y a pas de honte pour un homme à avoir un singe pour grand-père. Si je devais avoir honte d’un ancêtre, ce serait plutôt un homme. » Thomas Huxley, zoologue et grand-père d’Aldous Huxley.
6Me suicider ? La mort me dégoûte plus que la vie par moments. Et les raisons de vivre sont mon activité ; finir dans le dictionnaire. J’avais retrouvé du peps. Snap it up en anglais. De toute façon, trop lâche et peureux pour en finir, je pourrais me blesser ou me louper. Humiliation en travers de la gorge. Il y a quelques années, j’ai pratiqué et j’étais assez doué. Humiliation succédant à une autre. Librement consentie. Et recherchée. Démons de l’intérieur. D’ailleurs, les anarchistes ont du mal à appréhender le SM ou les tendances destructrices, car pour les tenants de Bakounine tout le monde veut être libre. L’humain est moins transparent et plus tordu qu’ils ne le pensent.
7Retour dans la nuit nantaise et assez éméché. Je passe devant Bacco. Endroit mythique où mon frère jumeau se jetait à corps dénudé dans le plaisir éphémère. Il a écumé de la bite le frangin, des centaines et des milliers. Il y a un abîme entre la sexualité débridée des homos et les relations hétéros coincées. On élève les petites filles dans le mythe du prince charmant. Je préférais celui de la pine facile et du braquemard géant. Je suis vraiment bourré et je ne dois pas penser au cul. Un problème à la fois, là c’est la blessure narcissique et éloignement de mon exotisme. On pense au cul souvent, c’est à cause du cerveau reptilien, celui des pulsions et instincts.
8Quand j’y pense, on m’a souvent traité de pédé dans ma vie. Même Sawako, que je baisais à couilles rabattues, me faisait chier avec cette étiquette. (A cause d’une tentative de sodomie refusée). Et sa mère aussi. Deux parmi une litanie de maniaques de l’étiquetage. Ce soir, comme Jean Genet, j’allais leur donner raison à ces concierges. Je filais vers Bacco. Le jeu de regards et de passages avait commencé ; pas grand monde. J’allais me dépuceler le derche. Et puis, avec de l’arabe en plus ou du nègre.
9La sexualité n’échappe pas au règlement des dominations politiques. Tout cela est symbolique et un peu con. On ne peut reprocher à un individu les conneries d’un état. Mais cela existe, comme cette africaine qui m’interpellait après la victoire du Sénégal sur la France en 2002. Retour du colonisé et du refoulé. « Tu as perdu petit blanc » hurlait-elle. Ils sont pitoyables certains anciens colonisés. Beaucoup de blancs ont abandonné depuis longtemps les niaiseries religieuses. Et ce sont eux qui remplissent les églises évangélistes et autres. Les Antilles sont la plus grande concentration au monde de Témoins de Jéhovah.
10À Bacco, je tombe sur un Rebeu. Il joueson rôle ressentimental. « Lèche-moi les pieds et le cul, sale fromage blanc » Je rigole à l’intérieur et m’exécute. C’est la première bite que je suce et je ne mets pas les dents. Je me débrouille, il grogne de plaisir.
11« Tourne toi et montre ton cul. » Il prend mon anus avec force et profite de la largesse de mon fion. Cet idiot ne peut s’empêcher de m’insulter : « sale fiotte, petit pédé, prends ça » Selon les mœurs du bassin méditerranéen, si tu encules tu n’es pas pédé, si tu es enculé t’es pédé. Misère de la morale. Il se barre honteux sans rien dire. J’ai trouvé cela marrant. Mais la pseudo-humiliation n’a rien réglé.
12Mon rebeu est, comme les africains ou antillais, qui sont venus en Métropole se venger de la colonisation en se tapant de la blanche. J’ai réglé mon problème de blessure narcissique en me tapant une race dite inférieure. Y a bon. Des milliers d’années d’évolution et on se trimballe les problèmes de race. D’ailleurs, au début, ils se sont tapés les boudins d’Occident, évitant dépressions et suicides à ces corps détestés. Mon programme politique est simple ; donner les femmes blanches aux bicots et aux nègres. Trois ou quatre cents femmes blanches envoyées tous les mois dans les foyers Sonacotra. Et voilà le travail.
13Je rentre et je m’endors en écoutant la musique du film « Into the Wild ». Il assure Eddie Vedder. Je pars vers l’Ouest. L’errance a toujours été, pour nous, un moyen de fuir l’oppression, l’Histoire, les tracasseries, les soucis. La liberté absolue. Et cette route mène toujours vers l’Ouest.