1Au cours des dernières décennies, une intense activité politique, soutenue par un débat public à la fois vif et fortement médiatisé, a produit de nombreuses politiques et réformes éducatives, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, dans le prolongement d’évolutions importantes de la société globale. Mais qu’advient-il de ces politiques et de ces réformes ? Comment sont-elles reçues par le personnel scolaire, et au premier chef, par les enseignants ?
2Que savons-nous de l’implantation des politiques, de son déroulement, et de leur résolution, des logiques et des jeux d’acteurs, etc. ? Le propos de ce texte est de recenser, d’ordonner et de synthétiser les écrits sur ce sujet délimité par la jonction des travaux sur l’implantation des politiques et de ceux portant sur le rapport des enseignants à celles-ci et sur le travail qu’ils effectuent en réponse aux injonctions de modification de leurs pratiques qu’elles véhiculent.
3Notre recension cherche donc à comprendre comment des chercheurs étudient l’interaction, l’arrimage ou le divorce, l’adhésion ou le rejet, l’appropriation ou la résistance des personnels de l’éducation, et au premier chef des enseignants, aux réformes et aux politiques et leurs effets sur les pratiques et les représentations des métiers de l’éducation. Comment, c’est-à-dire à partir de quelles approches, et avec quels outils conceptuels et méthodologiques, des chercheurs étudient la rencontre (ou la non-ren-contre) entre les politiques et les pratiques, afin de produire quel type de propositions ou de discours sur ces objets de recherche ? Il s’agit d’identifier les principales dimensions et axes qui structurent ce champ de recherche, et d’indiquer les pistes de recherche prometteuses.
4Le texte est structuré de la manière suivante. Dans une première partie, nous présentons l’évolution du domaine, clarifions les termes utilisés, notre méthodologie de travail ainsi que nos parti-pris. Dans une seconde partie, nous cartographions le champ des recherches et identifions quatre principales approches. Dans une troisième partie, nous dégageons quelques dimensions et axes qui nous semblent importants dans la structuration du champ. Pour conclure sur les questions de recherche qu’il importe d’aborder.
Première partie : l’évolution du domaine et clarification de notre démarche
5Les chercheurs oeuvrant dans le champ de l’analyse des politiques (ou « policy analysis ») conviennent qu’elles comportent plusieurs étapes : élaboration, décision, implantation, suivi et évaluation. Or si beaucoup de travaux ont été consacrés à l’élaboration et à la décision politique selon diverses perspectives dont les plus classiques renvoient à l’étude des coalitions d’intérêts et de groupes à l’origine d’une politique, ces dernières années, les chercheurs se sont davantage souciés de l’implantation des politiques.
6Force est de constater qu’historiquement, on a accordé beaucoup d’importance à l’étude de l’élaboration des politiques et de la décision les concernant. Cela tient à des traditions disciplinaires, à l’importance de l’État comme producteur de politiques et notamment de l’État-Providence et de son activité interventionniste dans la plupart des secteurs institutionnels, dont celui de l’éducation. Il y avait là aussi le souci de la part des chercheurs de contribuer à la clarification des enjeux qui confrontaient une société et d’éclairer les choix qu’elle devait faire. Plus récemment, l’étude de l’élaboration des politiques est liée au double mouvement de globalisation et de décentralisation : le premier donne à voir la contribution d’instances internationales dans l’élaboration de politiques valables pour un grand nombre de sociétés et le second encourage un foisonnement de politiques aux paliers intermédiaires et locaux dans chaque société, produisant au total, comme le souligne Van Zanten (2004 :4) à propos du champ éducatif, une image brouillée de l’école, de ses orientations et de son fonctionnement.
7L’élaboration des politiques et l’étude du sens de ce qu’elles proposent ont donc pris beaucoup de place dans l’activité scientifique. Reléguant au second plan les phases d’implantation et de suivi. Comme si la suite des choses était d’une importance mineure, relativement « technique », de l’ordre de l’exécution et donc moins « noble » que les étapes associées à la conception de la politique et à ses fondements. Or, on constate que les politiques, dans plusieurs secteurs institutionnels, si bien pensées soient-elles, « atterrissent » mal sur le terrain des pratiques et qu’elles y perdent beaucoup de leur sens et par là de leurs effets recherchés. Le récit des réformes, celui de leur mise en oeuvre et de leurs résultats, est souvent celui d’espoirs déçus, voire de désillusions profondes, à tel point qu’un sentiment de scepticisme, voire de cynisme est fort répandu dans les milieux institutionnels ayant subi des réformes ou des cascades de réformes. Il en est ainsi du milieu de l’éducation où s’exprime couramment dans les médias et dans les salles de profs, le sentiment que l’école est depuis quarante ans dans un état de « réformite aiguë », une réforme n’attendant pas la suivante, décidée au gré des humeurs de politiciens désireux de faire leur marque lors de leur passage à la tête du ministère, inspirée par des « gourous » d’ici ou d’ailleurs, et faite rapidement, trop rapidement, sans souci véritable des agents à la base du système, engagés dans une « galère » qu’ils n’ont pas librement choisie et dont ils ne perçoivent pas toujours le sens…
8C’est dans ce contexte de perception de plus en plus généralisée que les politiques ne donnent pas les fruits escomptés, qu’elles n’aboutissent jamais, tel Sisyphe recommençant sans cesse son ascension, que de nombreux chercheurs ont décidé d’accorder une plus grande attention aux processus d’implantation des politiques, à la fois pour mieux comprendre l’articulation élaboration/implantation des politiques et celles des politiques et pratiques.
Clarification des termes
9Mais avant de procéder, clarifions quelques termes. Dans cette recension, le vocable politique est ici utilisé au sens de Meney et Thoenig (in Van Zanten, 2004). Il recouvre le vocable anglosaxon de « policy », i.e. une orientation gouvernementale ou institutionnelle explicite, souvent consignée dans un document, une loi, des règlements, et qui engage, une fois promulguée, les instances responsables, notamment au plan des ressources, des actions et des effets désirés. Idéalement, une politique commande l’allocation et la mobilisation de ressources importantes, comprend un programme d’actions relativement spécifiques, articulé à une orientation normative explicite et, dans le meilleur des cas, elle comporte un suivi de leur mise en œuvre et une évaluation de leurs effets.
10L’implantation d’une politique correspond à cette étape dite « post-décision-nelle », au cours de laquelle différents acteurs, prenant le relais des décideurs, sont formellement mandatés afin de réaliser ou de faire réaliser le programme d’actions contenu dans la politique. L’implantation comporte donc nécessairement une mobilisation d’acteurs, de ressources matérielles et financières, de connaissances et de pouvoir afin qu’une politique advienne. Elle comporte aussi un travail d’interprétation de la politique et de son contenu par les acteurs, une confrontation entre les états de système désirés et les contraintes objectives, un effort plus ou moins grand et plus ou moins couronné de succès de couplage de la politique et des pratiques en vigueur dans le secteur institutionnel visé par la politique. Au sens strict, l’implantation d’une politique n’est pas l’évaluation de la politique, même si dans la réalité ces deux étapes sont parfois jumelées ou imbriquées l’une dans l’autre.
11La notion de pratique renvoie à des façons d’agir dans une situation donnée. Elle est une manière concrète de s’acquitter d’une tâche spécifique. Elle comprend donc des actions et des représentations.
La synthèse : les écrits retenus et nos parti-pris
12Nous avons concentré nos efforts sur des écrits relativement récents (depuis le milieu des années quatre-vingt-dix). Les travaux sur l’implantation des politiques sont surtout (mais non exclusivement) anglo-saxons, tant la production anglophone dans ce domaine est abondante et riche. Ceux portant sur le rapport des enseignants aux politiques et sur le travail enseignant en contexte de transformation participent à une mouvance plus large, tant nord-américaine qu’européenne, tant anglo-saxonne que francophone ou hispanophone, voire lusophone (Borges et Oliviera, 2006). Nous avons retenu surtout des recherches empiriques, par exemple des études de cas uni ou multi sites d’implantation de politiques spécifiques. Nous avons aussi retenu des analyses critiques incorporant des données de terrain, des études sur les effets (perçus, observés, induits) des politiques sur le personnel scolaire et sur son travail, ainsi que des essais plus généraux sur le sens des transformations envisagées du travail enseignant. Nous avons recensé des handbooks, des articles provenant des revues dominantes du champ, ainsi que des thèses récentes, des ouvrages collectifs et des livres (i.e. bibliographie). Le choix de ces textes a obéi à un souci de rassembler, d’ordonner et de faire sens de ce que la recherche nous dit de l’implantation des politiques nées des dernières réformes de l’éducation dans les pays développés, et particulièrement dans les pays du Nord, en lien avec l’évolution du travail enseignant.
13Soulignons que la grande majorité des études d’implantation des politiques participent à la grande mouvance qualitative, surtout des études de cas uni ou multi sites. Elles présentent donc les qualités et les limites de ce type d’études, notamment au plan de la généralisation. Dans l’espace imparti, il apparaît impossible de procéder à une critique méthodologique détaillée de chacune des recherches recensées. Nous avons plutôt décidé de nous centrer sur leur problématique et leurs résultats. Il nous semble que la qualité des revues ou des maisons d’édition dans lesquelles ces recherches sont publiées, la stature intellectuelle de la plupart des chercheurs du domaine, la pertinence incontestable d’une méthodologie qualitative multi niveaux et multi sites, ainsi que la vivacité du débat à laquelle donne parfois lieu leur diffusion, constituent des assurances de la qualité de la recherche produite. Néanmoins, lorsque nous discuterons des dimensions et des axes, ainsi que des recherches à faire, nous serons amenés à souligner certaines carences de la recherche actuelle, carences qui ne sont pas sans lien avec des considérations méthodologiques.
14Cette recension ne se prononce pas explicitement sur le bien-fondé des réformes et des politiques éducatives des dernières décennies, ni n’entend discuter de leurs effets potentiels ou réels sur l’apprentissage des élèves ou sur ce qui compte désormais comme apprentissage et comme savoir. Le propos des auteurs n’est pas de participer de manière citoyenne au débat sur les finalités éducatives en proposant un argumentaire favorable ou opposé aux politiques et réformes en cours, en tout cas pas dans le cadre de ce travail. Néanmoins, comme tous les chercheurs dans les sciences humaines et sociales, nous ne prétendons pas être neutres et parfaitement objectifs. Afin de clarifier notre angle d’entrée dans le champ, trois constats nous apparaissent incontournables et servent d’appui à l’explicitation de nos options :
- Les politiques présentent parfois une relative indétermination. Mais elles ne sont pas que des textes pouvant être lus de manière subjective et relative par les différents acteurs. Nous adoptons donc ici un point de vue socio-constructiviste modéré, et non pas une position post-moderniste ou radicalement relativiste.
- La recherche sur l’implantation des politiques participe de la discussion du rôle de l’État dans l’implantation de politiques, ou plus globalement, dans la fournitures des services. Tout en reconnaissant la pertinence de certaines critiques sur la bureaucratisation de l’État, nous sommes d’avis que le caractère public des politiques éducatives, comme des organisations qui en assument l’implantation, doit être sauvegardé, au nom même de la démocratie et de l’égalité. Par conséquent, comme plusieurs chercheurs ici recensés, nous sommes inquiets de certaines dérives « marchandes » en éducation et de leurs effets à la fois socialement inégalitaires et pédagogiquement réducteurs, voire réactionnaires.
- Nous prenons acte de la diversité des objets des politiques : curriculum, structures scolaires, financement, évaluation, place et pouvoir des acteurs, technologies de la communication, etc., de leurs interactions et de leurs impacts différenciés sur le travail des personnels scolaires. Cette diversité contribue à une image brouillée de l’école et de son fonctionnement et pose des questions importantes : les politiques s’empilent-elles de manière désordonnée ou participent-elles et contribuent-elles à l’émergence d’une nouvelle forme scolaire, dont les traits sont encore difficiles à saisir et nommer ? Pour nous, cette question demeure ouverte et doit être objet de recherches empiriques.
Deuxième partie : les principales approches
15Les écrits retenus ont des orientations différentes en relation avec le but poursuivi par leurs auteurs.
16Certains décrivent le contexte, le contenu des politiques et des réformes et les conséquences voulues ou anticipées des réformes ; d’autres analysent des conditions, des processus, des stratégies et des résultats de l’action réformatrice ; enfin, d’autres, de type interprétatif, visent la compréhension du sens des transformations induites par les politiques et les réformes, en lien avec des évolutions globales de la société, tout en prenant en compte la production de sens par les acteurs impliqués.
17L’orientation des écrits est importante, particulièrement en ce qui concerne les écrits sur l’implantation des politiques car elle structure de façon nette et profonde ce domaine d’étude. En effet, bon nombre d’auteurs cherchent avant tout à identifier les facteurs de réussite (« what works ») ou les obstacles qu’il importe de prendre en considération, intégrer ou contourner, voire éliminer pour qu’une politique donne les fruits escomptés. Ces auteurs, que nous qualifions de fonctionnalistes pragmatiques, produisent ainsi des analyses de processus d’implantation, des descriptions de cas de réussite ou d’échecs, qui leur permettent de dégager des prescriptions pour l’action, des mises en garde, des conditions essentielles et nécessaires pour assurer la réussite d’une réforme. S’ils produisent des éléments théoriques, ils sont de l’ordre de ce que Durkheim appelait, en référant à la pédagogie, une théorie prescriptive. D’autres auteurs, d’orientation critique, cherchent plutôt à dégager le sens des transformations en cours, en contextualisant les politiques et les réformes. Ils tentent de situer les politiques et les réformes dans des évolutions sociales fortes et de longue durée, en interprétant leurs effets d’abord sur l’institution scolaire, puis ensuite, sur le travail enseignant, et ce, à partir de cadres conceptuels critiques. Entre ces deux grands courants difficilement conciliables, une troisième voie est-elle nécessaire et possible ? Si oui, quelles en sont les caractéristiques émergentes ? La recension des écrits qui suit pose cette question et propose quelques éléments de réponse. C’est par l’entremise de deux autres approches présentes dans la littérature que nous tentons de présenter les alternatives possibles. En effet, outre les deux approches dominantes énoncés ci-dessus, nous distinguons également les approches centrées sur les acteurs et leur travail de construction de sens (« sensemaking »), et l’approche historique et institutionnaliste. La première privilégie l’examen de la réalité située des enseignants, et la manière dont ils s’approprient les réformes en fonction de cette réalité. La seconde consiste à examiner le rapport des enseignants aux réformes à long terme et permet de constater les grandes forces de résistance au changement, notamment institutionnelles.
18Abordons à tour de rôle chacune de ces approches et leur point de vue sur l’articulation des politiques et des pratiques.
L’approche administrative ou le fonctionnalisme pragmatique : les principes et les règles d’une implantation réussie
19L’approche administrative ou le fonctionnalisme pragmatique est la plus optimiste. Elle puise ses outils au sein des sciences administratives et des sciences sociales et politiques appliquées à l étude des organisations, de leur gouvernance et direction, du comportement administratif, notamment du leadership, et des rapports entre l’organisation scolaire et son environnement. Elle examine les conditions de réussite du changement et prend donc pour acquis que le changement est possible lorsqu’il est bien planifié. Il s’agit de comprendre ce qui marche (« what works »).
Une bonne réforme est systémique, à grande échelle (« largescale ») et centrée sur la performance (« performance-based »).
20Une réforme est dite systémique si elle mobilise l’ensemble des niveaux, paliers et acteurs du système éducatif (Huberman et Miles, 1992). Ce n’est pas une entreprise isolée, circonscrite et nichée à l’intérieur du système, comme dans des écoles dites alternatives ; elle n’est pas non plus limitée à la bonne volonté d’enseignants innovants ou militants. Aussi, une réforme systémique est basée sur l’idée qu’il importe, pour améliorer l’apprentissage des élèves, que l’école tout entière soit mobilisée. L’école devient l’unité objet de la politique, et ce dans les dimensions essentielles retenues par la recherche sur les écoles efficaces. i.e. le curriculum, l’enseignement, l’organisation, le développement professionnel, la participation des parents (Desimone, 2002). Elle est dite à grande échelle en ce sens qu’elle entend interpeller et rejoindre tous les acteurs du système. Finalement, elle est axée sur une obligation de résultats accompagnée d’une certaine flexibilité des moyens et des processus, au nom de la prise en compte des réalités locales. (Huberman et Miles, 1992).
21Afin de déterminer les lignes directrices et les conditions de succès durable de l’implantation d’une telle réforme (systémique, à large échelle, et centrée sur la performance), Leithwood et al. (1999) ont construit un cadre d’analyse suggérant que la variation du succès est fonction de trois ensembles de facteurs : 1) la volonté/ motivation des acteurs, 2) la capacité (individuelle et collective) de ces acteurs et 3) la situation (contexte/infrastructure). Dans une étude comparative de cinq cas de réformes (Kentucky, Californie, Nouvelle Zélande, Victoria (Australie), et Chicago), ils observent l’importance des incitatifs pour favoriser l’adhésion et la place centrale du perfectionnement professionnel. Les auteurs notent également que la motivation pour réussir une réforme dépend de la perception de la compatibilité entre les buts personnels de l’enseignant et ce qu’il comprend des objectifs de la réforme, ainsi que de son sentiment d’efficacité potentielle devant les exigences. Huberman et Miles (1992) soulèvent également l’importance des représentations des enseignants par rapport au changement de leurs pratiques. Ils expliquent qu’elles sont associées à l’étape de carrière, la motivation, la vision de soi, le sentiment de maîtriser ou non le changement ainsi qu’à des caractéristiques de l’institution dans laquelle ils travaillent comme l’appui de la direction, la reconnaissance des progrès individuels, le soutien des collègues, les ressources allouées, etc. Il importe donc que les réformes soient participatives et toujours en redéfinition, que les réformateurs soient au fait des processus d’apprentissage dans différentes unités organisationnelles (individuelle, petit groupe et école entière) (Leithwood et al., 1999). Cela rejoint les propos d’Huberman (1995) sur l’importance des réseaux d’apprentissage comme source d’amélioration des pratiques. Selon Huberman, il importe que ces réseaux débordent une école particulière, qu’ils regroupent des enseignants partageant en commun un degré scolaire ou une matière et qu’ils fonctionnent comme des cycles ouverts et collectifs d’expérimentation (1995 :202).
22Il existe un certain consensus sur l’efficacité des réformes systémiques. Toutefois, certains auteurs insistent sur des composantes plus particulières qui leur paraissent particulièrement névralgiques pour assurer une implantation réussie des politiques publiques. Desimone (2002) par exemple insiste sur les attributs que devrait revêtir la politique elle-même.
Les attributs d’une « bonne » politique éducative
23Desimone (2002) examine la littérature sur les conditions de réussite de l’implantation des « comprehensive school reform », prenant appui sur la théorie des attributs d’une politique développée par Porter. Selon cette théorie, cinq attributs seraient reliés à la réussite de l’implantation d’une politique :
- La spécificité (ou la « prescriptivité ») : cet attribut réfère à l’extension et à la précision de la politique. Par exemple, un nouveau curriculum sera considéré comme plus spécifique qu’un autre s’il est accompagné des guides et de matériels supplémentaires fournissant aux enseignants des suggestions précises pour la planification de leur enseignement.
- La consistance : cet attribut concerne la cohérence entre les politiques, le degré de leur renforcement mutuel ou au contraire de leur opposition. Comme il y a souvent plusieurs politiques sollicitant en même temps l’activité des personnels scolaires, il importe de s’assurer de leur intégration et synergie.
- L’autorité : une politique a du poids, est crédible et légitime, lorsqu’elle s’appuie sur une législation, est cohérente avec des normes sociales, repose sur le savoir et le soutien d’experts reconnus et lorsqu’elle profite de la mobilisation engagée de leaders charismatiques.
- Le pouvoir : cela renvoie aux incitatifs et aux sanctions associées à la politique. Il ne suffit pas de convaincre, il faut récompenser la conformité et sanctionner ce que plusieurs appellent « l’inattention » aux politiques. C’est la dynamique du soutien et du contrôle dont nous reparlerons.
- La stabilité : cet attribut réfère à la durée et attire l’attention sur le degré de constance dans le temps des acteurs, des circonstances et des politiques.
Le rôle du palier et des acteurs intermédiaires dans l’implantation réussie des politiques
24Anderson (2005) a également travaillé à une recension des écrits sur les « comprehensive school reform ». L’auteur emploie l’expression « restructuring reform » pour y référer mais l’objet est le même. Comme nous l’avons souligné, ces réformes prennent l’établissement scolaire comme unité de changement et tentent d’en modifier plusieurs dimensions, dont des dimensions dites « structurelles », afin de développer une capacité locale de changement. De l’analyse des écrits recensés, Anderson identifie une douzaine d’éléments dans le rapport entre l’instance intermédiaire et l’établissement de nature à contribuer à l’implantation réussie de changements. Retenons l’importance du capacity-building, de la centration sur l’accroissement de la réussite scolaire, d’énoncer des objectifs clairs et cohérents dans l’ensemble d’un district par exemple, de mettre en place des systèmes de reddition de comptes et de développement professionnel efficaces, d’encourager un leadership partagé et la collaboration, de trouver un equillibree viable entre le soutien et le contrôle, etc.
25Selon Anderson, les différentes études réalisées dans des districts scolaires et des États différents convergent et corroborent ainsi le rôle crucial des instances intermédiaires dans l’implantation d’une réforme. Aussi valorisent-elles leur rôle actif (beaucoup plus que celui d’une simple courroie de transmission), c’est-à-dire leur rôle dans la construction du sens de la réforme définie par l’État et dans la conciliation de ses priorités à l’histoire et au contexte du district (c’est ce que les auteurs appellent un rapport stratégique à l’égard des politiques de l’État). Elle met également de l’avant le délicat équilibre que doit trouver l’instance intermédiaire entre le soutien et la pression ou le contrôle des établissements. En effet, Anderson explique que les études américaines sur la décentralisation vers les établissements concluent que, si ces composantes du « restructuring » ne sont pas accompagnées d’une forte dose de soutien et de contrôle du palier intermédiaire, elles n’auront pas des effets positifs. D’où l’importance du leadership distribué et de la compétence pédagogique et didactique des personnes qui l’assument.
26Cette recherche révèle aussi l’importance du développement professionnel conçu à l’échelle du district et permettant aux enseignants de s’insérer dans des réseaux qui débordent l’univers des relations de travail de leur école. Il perdure et devient presque une activité courante de l’organisation, indépendante de l’implantation des réformes. Il prend diverses formes (coaching par les pairs, intervisitation, séminaires, écoles d’été, échanges et discussions, formation sur la réforme, démonstration de pratiques exemplaires, etc.) et se soucie de son auto régulation, i.e. du maintien de sa pertinence et de son lien avec les pratiques que l’on désire voir évoluer ou se transformer. Nous ne sommes pas loin ici des réseaux qui réussissent à transformer l’enseignement dont parlait Huberman en 1995.
27Les éléments identifiés par les chercheurs et regroupés par Anderson sont d’autant plus efficace qu’existe entre eux une forte synergie, que dans l’esprit des acteurs, aucun élément, pris un à un, ne suffit à engendrer durablement le changement souhaité et qu’il faut donc travailler sur l’ensemble des dimensions retenues à la fois. Il ne suffit pas de changer les enseignants un à un, ou l’enseignement des matières une à la fois ; ce sont les établissements en tant qu’unités structurelles qu’il faut faire évoluer, et cela exige un travail d’encadrement du palier intermédiaire, et donc sa propre transformation. C’est ici qu’une approche dite de « restructuring » rejoint nécessairement une approche de « reculturing », ce que nous discuterons plus loin. Il faut comprendre que ce courant fonctionne en cumulant les résultats de recherche. Une « preuve » se construit ou en tout cas, les résultats prennent du poids et acquièrent de la crédibilité. Cela aide à comprendre que ces recherches sont à la base de la formation initiale et continue des administrateurs scolaires en Amérique du Nord, de même que du travail de consultant et de ce que Rowan (2006) appelle l’industrie américaine de l’amélioration des écoles. C’est sur la base de ces recherches que les dirigeants américains appuient leur politique globale (NCLB), c’est-à-dire qu’ils enjoignent aux gestionnaires scolaires et aux enseignants d’appuyer leurs pratiques sur des recherches « evidence-based ».
28Anderson (2002) estime que cette recherche, si elle propose des pistes d’action intéressantes, comporte des limites et doit être poursuivie sur les aspects suivants :
- La dynamique du soutien et du contrôle : il ne suffit pas prescrire les deux, il faudrait mieux connaître l’équilibre heureux et satisfaisait, les interrelations fécondes, la synergie productrice de entre ces deux composantes de la fonction d’encadrement du palier intermédiaire.
- Il ne suffit pas de constater que les districts performants se soucient du développement professionnel de leurs personnels ; encore faut-il que la recherche montre en quoi et comment celui-ci à un effet durable sur les pratiques des enseignants.
- Enfin, il ne suffit pas d’insister sur le caractère distribué du leadership ; il importe d’être en mesure de comprendre comment il se développe, fonctionne en synergie et se maintient en se ressourçant régulièrement.
29En somme, pour Anderson, cette recherche se doit de mieux saisir l’activité réelle des cadres scolaires, des chefs d’établissement et des enseignants, dans leur travail d’appropriation des politiques et des réformes. Sur ce point, on le verra plus loin, les travaux de Spillane, d’inspiration socio-cognitive, sont d’un apport significatif.
Conclusion
30La recherche recensée par Desimone, Anderson, Leithwood et Fullan, représentative du courant fonctionnaliste pragmatique, est liée au mouvement de l’École Efficace (« school effectiveness ») et à celui de l’amélioration de l’école (« school improvement »). Le premier procède de la conviction que nous commençons à avoir une idée claire de ce qui fait une bonne école et le second estime que si nous cherchons bien, nous saurons aussi comment faire advenir et durer de telles écoles. C’est ainsi qu’elle remplit ainsi sa fonction « programmatique » : montrer que l’école peut faire une différence dans la réussite des élèves et que des politiques qui poursuivent ce type d’objectif peuvent arriver à des résultats positifs. Ce n’est pas négligeable si l’on croit aux vertus de l’action volontaire et à l’intervention concertée. Et c’est probablement le sens le plus important des politiques pour les fonctionnalistes pragmatiques : on sait quoi et comment améliorer l’école ; on peut agir. Toutefois, on a reproché à ce courant de « vendre une salade de fictions de bons sentiments », de constituer une « pseudo-science ethnocentrique », d’être tout le contraire de l’empowerment, d’incarner un cas de « policy entrepreneurship » intégré au mouvement de la marchandisation de l’éducation et aux discours ambiants de la dérision. Enfin, et cette critique nous semble fondée, d’avoir complètement évacué de son cadre analytique le contexte et au premier chef, les appartenances sociales des élèves (cf. à ce propos, Thrupp, 2001 :8). Pour sa part, Thrupp, qui a analysé les réponses des chercheurs de ce courant aux critiques ici résumées, insiste sur trois critiques : la trop grande prétention de ce courant de recherche (« overclaiming »), la sous théorisation des recherches, et l’incapacité du mouvement à contrôler les usages politiques « néo-libéraux » de leurs recherches. Néanmoins, cette approche décline ce que l’on pourrait appeler une ingénierie de l’implantation des politiques qui pour reprendre les catégories de l’approche institutionnaliste cherche à mieux aligner les paliers ou les sous-systèmes organisationnels et ainsi réduire le « loose coupling ». L’optimisme dont elle fait preuve peut paraître à certains égards naïf dans la mesure où il s’agit d’une approche qui accepte la forme scolaire prescrite de manière non problématique. Cette vision positive ne se préoccupe pas du sens profond des changements pour le travail, l’identité et la réalité de l’enseignant, ou des implications pour la définition et les visées du système d’éducation privilégiées. Le changement prescrit est perçu comme un objectif nécessairement souhaitable et bien pensé. Or, ce point de vue est grandement contesté, notamment par les chercheurs d’orientation critique qui voient dans ces transformations des menaces importantes pour l’avenir du système éducatif et de la société dans son ensemble.
Les approches critiques post-marxistes et post-structuralistes
31Les sociologues critiques reconnaissent, comme les pragmatiques fonctionnalistes, que les politiques et les réformes ont des effets réels sur le travail enseignant. Cependant, ils insistent sur les dérives et effets nocifs qui ont tendance à se profiler, notamment dans la mesure où elles sont le reflet de tendances macrosociales qu’ils considèrent discutables (mondialisation, néo-libéralisme, new public management…). Dans cette optique, il faudrait donc les combattre ou à tout le moins chercher à en atténuer l’ampleur.
32La plupart des auteurs regroupés sous le vocable critiques appartiennent à la mouvance post-marxiste ou post-structuraliste. Tout en demeurant soucieux de produire un discours critique (i.e. qui remet en cause l’ordre établi et cherche des voies émancipatoires), ils ont renoncé à travailler à partir d’une seule perspective théorique englobante. C’est en ce sens qu’ils prennent leurs distances à l’égard du marxisme ou du structuralisme, sans pour autant renoncer à leur visée critique. Dans le cas du post-marxisme, on retrouve les auteurs proches du « Labor process theory » (Reid, 2003), i.e. de la théorie marxiste de l’évolution du capitalisme en terme de polarisation du monde du travail entre les mondes de la conception et de l’exécution, de prolétarisation, d’intensification et d’aliénation du travail. Sans nécessairement croire en l’inévitabilité de cette évolution, les auteurs n’en attirent pas moins l’attention sur des phénomènes inquiétants de la transformation récente du monde du travail, dans le contexte de la mondialisation de l’économie. Et selon eux, le monde de l’éducation n’échappe pas à ces tendances.
33Les postructuralistes, dont Ball (1994) et Popkewitz (1997) sont des représentants éminents, entendent aller au-delà de l’analyse de l’État et inclure l’étude des réseaux de pouvoir, des discours et des technologies qui traversent le champ éducatif et ces différents paliers (jusqu’à la classe). L’accent est mis sur les discours et les textes qui constituent les institutions et les produits culturels et la référence au travail de Foucault et de Bernstein est explicite.
34Dans l’espace imparti, il est impossible de rendre justice à ces deux perspectives. Néanmoins ce qui suit donne un aperçu de la thèse qu’elles soutiennent sur les politiques éducatives actuelles et sur leurs effets sur le travail enseignant.
Les effets des politiques sur les conditions et le travail enseignant
35Au cœur de ces analyses, plusieurs concepts ou plusieurs dimensions du travail permettent de cerner les effets des politiques actuelles sur le travail enseignant :
- L’intensification du travail enseignant liée à des demandes accrues de temps de
travail, à une pression forte pour davantage d’efficacité et d’efficience au travail
(faire plus avec moins), cela conduisant à la surcharge du travail (avec les risques
que la recherche documente de maladies professionnelles, de burn-out, de désengagement ou d’abandon du métier) (Bartlett, 2002 ; Easthope et Easthope, 2000).
Cette intensification du travail est paradoxalement accompagnée par la précarisation croissante de l’emploi, et le recours à un personnel sous-qualifié. - L’intensification du contrôle de ce travail (Case, Case et Cathling, 2000 ; Forrester, 2000 ; Reid, 2003), notamment par les chefs d’établissements et les inspecteurs dont les rôles sont dorénavant davantage managériaux. Dans le cas des chefs d’établissement, ils doivent aussi se concevoir comme des entrepreneurs agissant sur des quasi-marchés éducatifs concurrentiels et transigeant avec des acteurs économiques pour des services (notamment des services de communication et de relations publiques, des services de développement professionnel des enseignants). Cette intensification du contrôle du travail enseignant est liée à la publication des résultats des élèves, aux audits d’établissements et au suivi des plans d’amélioration de la réussite des élèves. Cette intensification du contrôle trahit une perte de confiance à l’égard des enseignants, entraîne parmi eux la généralisation du sentiment d’être de plus en plus sous la surveillance de tous (des parents, des collègues, des administrateurs) (Monceau, 2004) et génère du stress. La gestion de ce stress devient une dimension importante du travail de prendre soin de soi comme professionnel (Keller et Colquhiun, 2005 ; Troman, 2000).
- L’élargissement du travail et l’obligation faite aux enseignants d’étendre leur champ d’activité de la classe à l’établissement (Kherroubi, 2004) et à se concevoir comme membre d’un collectif engagé dans le projet institutionnel dont chacun est redevable. Lawn (1995) va plus loin et stigmatise les efforts de restructuration de l’enseignement aux USA et en Angleterre qu’il estime vouloir faire naître l’enseignant « flexible » et différencié, i.e. de l’enseignant collégial, collaborant, dont le travail est de moins en moins isolé et les responsabilités de plus en plus étendues, et dont le statut est différencié selon l’offre, la compétence et le salaire.
- La responsabilisation professionnelle individuelle et collective pour la réussite des élèves, ou la reddition de comptes du personnel enseignant. La professionnalisation et l’appel au professionalisme enseignant apparaissent ici comme des discours managériaux visant à responsabiliser les enseignants pour les difficultés des élèves. Ils participent donc de l’intensification du contrôle du métier et de ceux qui l’exercent.
- La rationalisation technique du travail, par des constructions curriculaires précises et détaillées, spécifiant les contenus à enseigner, leur séquence, les méthodes et techniques éprouvées et les modes d’évaluation standardisée (Apple, 1980). Cette rationalisation a pour effet non seulement de rétrécir l’autonomie curriculaire de l’enseignant mais aussi de ramener le curriculum lui-même autour de quelques matières de base (par exemple, au primaire la langue maternelle et les mathématiques). Dit autrement, le travail devient de plus en plus prescrit précisément et le coût de l’« inattention » à la prescription augmente. Cette rationnalisation technique du travail est cohérente avec l’intensification du contrôle et la responsabilisation du travail.
- La dépossession du métier : les politiques dont les effets apparaissent au total négatifs ne sont pas le fait des enseignants en exercice. Ils sont le fruit des instances politiques en rupture avec une vision providentialiste de l’État, proches des intérêts économiques dominants qu’elles servent et d’acteurs externes à l’école voulant accroître leur pouvoir sur l’école. Au total, les enseignants perdent le contrôle de leur métier. C’est le thème de l’externalisation de l’éducation, de sa soumission à une logique productiviste incarnée par le nouveau management public, contraire à une vision humaniste et à la notion de service public qui étaient traditionnellement constitutives de l’identité du métier.
- La fragmentation du corps professoral : les nouvelles politiques hiérarchisent les établissements et accroissent entre elles à la fois la concurrence et les écarts de performance. Le métier se différencie de façon nette et forte en fonction de son lieu d’exercice, i.e. en fonction des écoles de plus en plus homogènes au plan de l’origine sociale et du capital culturel des élèves (Barrère, 2000 ; Lessard et Levasseur, sous presse).
Les sens des politiques est dans le contexte
36Ce sont là, suivant des recherches typiques de cette approche, des effets réels d’un ensemble de politiques qui prennent leur sens dans des évolutions sociales d’envergure. Ces évolutions portent divers noms, appartenant tous cependant à la même famille : la mondialisation économique, le néo-libéralisme et le démantèlement de l’État-Providence, l’État évaluateur, la généralisation à travers les secteurs institutionnels du nouveau management public (New Public Management), la montée du marché, l’économie du savoir et le post-fordisme, l’évolution des classes sociales et notamment des classes moyennes. Celles-ci poursuivraient leurs intérêts égoïstes définis en référence aux possibilités de promotion sociale par l’école ou à tout le moins, à leur capacité de lutter contre la crainte répandue de chute sociale.
37Ces perspectives sont dites critiques en ce sens qu’elles ont une affinité certaine avec les théories critiques traditionnelles axées sur l’analyse de l’économie et des structures de pouvoir, sur les classes sociales et leurs rapports conflictuels, et sur la mise en relation de l’éducation avec ces variables externes structurantes. Certes, ces perspectives actuelles sont historiquement post-marxistes et post-structura-listes, mais elles produisent néanmoins un discours qui s’appuie sur l’idée que le sens des politiques et des réformes éducatives est à chercher dans des évolutions macrosociales fortes et enracinées dans des rapports sociaux qui structurent la dynamique sociale et politique. Cette idée de base force les chercheurs à placer l’école au cœur de ces rapports sociaux (État, marché, société civile). C’est ce que font les chercheurs qui examinent ce qu’ils appellent « une nouvelle régulation de l’éducation ».
38Suivant ces approches critiques, les politiques et les réformes ont un sens précis que le chercheur dégage. À moins d’être des idiots politiques, les acteurs sont capables de le décrypter aussi, de se l’approprier, s’y adapter, en tirer parti stratégiquement, ou si tel est leur volonté, d’éventuellement construire une capacité de résistance, parmi eux ou en s’alliant avec des groupes sociaux aussi malmenés que les enseignants par ces politiques et ces nouvelles régulations.
Conclusion
39Si les recherches des sociologues critiques ont le mérite de nous mettre en garde contre les dérives potentielles du système et les dangers d’actions politiques souvent biaisées vers des nouveaux modes de régulation marchande ou trop centré sur l’efficacité administrative, elles ont toutefois le défaut de mener à l’impasse. En effet, et c’est souvent le lot des théories critiques, elles parviennent difficilement à proposer des solutions de rechange. Car les transformations actuelles, ancrées dans de vastes mouvements sociaux et mondiaux, sont incontournables. La mondialisation, la montée de l’économie du savoir, les aspects de la modernité avancée… sont des phénomènes dont les États ont le devoir de tenir compte. Ainsi faut-il admettre que la plupart des réformes actuelles ont leur raison d’être, bien qu’elles engendrent sans conteste des effets qu’il est normal de craindre. Considérant ceci, les approches centrées sur les acteurs et leurs processus d’interprétation des réformes apparaissent intéressantes et fort utiles. Elles permettent, tout en tenant compte des limites des réformes actuelles, notamment en insistant sur l’importance de comprendre les acteurs du système, leur travail et leur réalité quotidienne, de proposer des pistes de réflexion constructives pour améliorer la qualité des réformes et de leur implantation.
Les approches centrées sur les acteurs et leur travail individuel et collectif de « sensemaking »
40Dans ce qui suit, nous présentons une vision que l’on pourrait qualifier de « par le bas », ou socio-constructiviste, voire symboliste interactionniste, ou encore socio-cognitive. Il y a en effet une mosaïque assez diversifiée de chercheurs qui se retrouvent autour d’une centration sur les acteurs en situation et sur leur travail quotidien de construction de sens des politiques et des réformes, ce que Spillane appelle l’activité de « sensemaking ». On introduit ainsi dans l’analyse la pluralité du sens et la prise en compte de ses sources individuelles (les trajectoires et les identités personnelles et professionnelles), socialement construites (par exemple, les disciplines, les communautés de pratiques) et incorporées ou pas dans les stratégies d’implantation.
Une vision d’« en bas » : la pluralité du sens et ses sources locales
41Une abondante littérature s’attarde à décrire en détail la diversité possible des interprétations locales d’une même politique. Laguardia, Brink et Wheeler (2002) ont montré, à partir de trois études de cas d’enseignantes du primaire et de leur pratique d’enseignement de la littéracie, comment une même réforme curriculaire prend un sens différent selon les personnes concernées. Pour l’une, la réforme est avant tout l’occasion de se perfectionner et se professionnaliser. Pour une autre, la réforme est légitime, elle y adhère donc entièrement. Enfin, pour la troisième, il importe de demeurer en contrôle de sa pratique, elle adhère donc avec réserve. Seashore, Febey et Shroeder (2005) ont réalisé une recherche similaire, mais en prenant trois écoles secondaires soumises au même type de réforme curriculaire. Elles constatent dans les trois cas des degrés variables du travail collectif de « sensemaking ». Dans une école, la réforme est collectivement perçue comme inutile, voire déprofessionnalisante. Dans une autre, la dynamique est davantage marquée par un consensus sur la valeur théorique ou potentielle de la réforme, mais aussi par un engagement craintif dans son implantation, faute de capacité organisationnelle. Enfin, dans la troisième école, il n’y a pas de travail collectif de construction du sens de la réforme. Il y a plutôt de la confusion installée et non dissipée qu’atténue quelque peu la reconnaissance minimaliste que la réforme offre un cadre pour améliorer l’enseignement. Finalement, Daniels (1997), dans une étude de la réception d’une politique d’évaluation incorporant le portfolio, montre aussi que celle-ci varie selon les enseignantes, leurs croyances et leurs pratiques établies. Et que les usages du portfolio revêtent des significations différentes.
42Les auteurs qui adoptent une perspective locale prennent en compte certains aspects socio-cognitifs dans leurs analyses. Ainsi, Supovitz & MacGowan (1996), qui ont étudié le point de vue des enseignants sur la conception et la mise en place d’un portfolio de tests à Rochester (New York), estiment que les enseignants n’ont pas compris l’ampleur du sens de la réforme. Ils mettent de l’avant l’importance de prévoir des stratégies de retour réflexif sur l’interrelation entre lee composantes de la réforme, soit le curriculum, l’enseignement et l’évaluation. DeBray (2005), dans son article sur les débuts d’implantation d’une politique d’évaluation des apprentissages, décrit et analyse l’échec d’une école secondaire de New York à construire un système d’action cohérent par rapport à la politique. Debray constate que les enseignants jugent de la politique en fonction de leurs perceptions des élèves, de leur capacité et motivation, liées à leur environnement social.
43Parmi les auteurs soucieux de la construction du sens, il faut certes reconnaître l’apport de J. Spillane. Le vocable « sociocognitif » (ou situated cognition) est d’ailleurs associé à l’approche qu’il essaie de développer depuis une dizaine d’années. Cette approche intègre l’étude des processus intra-individuels à celle de l’implantation des politiques et met de l’avant la prise en compte du « faire-sens » des acteurs. C’est ainsi que Spillane (1998,2000,2002), le représentant actuel le plus reconnu et le plus prolifique du faire sens, montre comment la compréhension d’une réforme par les agents qui la vivent se construit.
Le faire-sens ou le « sensemaking »
44Dans une importante revue de littérature sur l’implantation des réformes, Spillane, Reiser et Reimer (2002) ont entrepris de développer un cadre théorique (cognitive framework) qui permette d’analyser ces processus complexes de faire-sens. Ils expliquent d’abord qu’il existe trois dimensions déterminantes dans ce processus et en constante interaction : les structures cognitives des acteurs, leur situation, et les signaux politiques. Les auteurs développent ce cadre en trois stades :
- La cognition individuelle renvoie à l’interprétation individuelle des acteurs d’une nouvelle politique, influencée par leurs connaissances antérieures, leurs croyances, et expériences personnelles. Dit autrement, les acteurs possèdent tous des cadres de référence ou structures cognitives qui délimitent leurs possibilités interprétatives. Modifier ces structures peut cependant s’avérer très difficile. Il existe aussi des dimensions affectives liées aux valeurs et émotions de l’acteur qui influencent leur appropriation d’une nouvelle information. Spillane, Reiser et Reimer parlent du coût affectif sur l’image de soi que peut représenter l’adoption d’un changement, car ce dernier représente toujours des remises en question de ses valeurs ou pratiques existantes.
- La cognition située complexifie le processus de faire-sens puisque les acteurs sont également influencés par le contexte spécifique dans lequel ils se trouvent. Le contexte n’influence pas le faire-sens simplement de l’extérieur, il en est constitutif. En ce sens, il existe un processus social ou collectif de « sensemaking » où les acteurs co-construisent le sens des politiques lors de communications formelles ou informelles. Le sens d’une politique est ainsi appréhendé aux travers de visions du monde ou de savoirs tacites partagés, ou négociés dans un groupe ou une organisation. Les auteurs ajoutent que les enseignants ont tendance à éviter les conflits, ce qui contribue à renforcer le statu quo.
- Le rôle des représentations renvoie au rôle des stimuli politiques dans le processus de faire sens, et principalement au rôle des représentations extérieures, c’est-à-dire que le message ou le design d’une politique peuvent influencer le sens qu’un acteur va donner à une initiative politique. C’est ainsi que les auteurs expliquent comment les changements substantiels sont difficiles à implanter (car ils impliquent une restructuration des systèmes de croyances). Ils soulèvent aussi la difficulté de concilier le besoin de spécificité et le besoin de généralité d’une politique. En effet, une politique doit être générale pour ne pas être réduite à des prescriptions techniques mais doit également être spécifique pour éviter le « flou artistique ». Elle doit affecter le système global des pratiques.
45L’intérêt principal de l’approche mise de l’avant par Spillane, Reiset et Reimer (2002) est d’insister sur l’incontournable besoin des acteurs de faire sens des politiques qui leur sont présentées. Il ne suffit pas de communiquer une politique et de mettre en place un système de récompenses, il faut structurer des opportunités d’apprentissage pour en assurer l’appropriation. Il importe d’amener les enseignants à adhérer au changement suggéré, de bouleverser suffisamment leurs préjugés pour qu’ils entrevoient l’ampleur du changement demandé, mais sans susciter chez eux le rejet.
Le faire-sens et la médiation des instances et des leaders intermédiaires
46Dans des recherches de nature empirique (Spillane et Thompson, 1997 ; Spillane, 1998,2000 ; Spillane et al., 2002), Spillane et ses collaborateurs ont mis en évidence l’importance du rôle des instances intermédiaires (districts scolaires, LEAs, directeurs d’école) dans l’activité de faire-sens.
47Pour réussir une implantation, Spillane (2000) recommande de démarrer l’implantation d’une réforme par le sensemaking des leaders dans les districts et dans les écoles pour ensuite étendre correctement la réforme à l’ensemble des acteurs, partant de ces connaissances partagées. Les leaders seront dès lors à même de produire une sorte d’« accessibilité cognitive » de la réforme pour l’ensemble des acteurs concernés, permettant alors une application plus souple et flexible, mais aussi plus riche de sens et plus ouverte au développement autonome d’activités pertinentes. Cette étape du sensemaking est important car comme l’observe Spillane (1998), les leaders de district et locaux ont une propension à réduire des réformes curriculaires d’envergure (dans ce cas-ci, en mathématiques et en sciences) à des outils ou des techniques pédagogiques, et évacuent leur véritable sens et portée culturelle. Cela s’expliquerait par leur obligation de trouver un dénominateur commun au sein d’un groupe d’enseignants dont les cultures disciplinaires sont variées.
48Dans une étude de cas d’une politique d’imputabilité et de reddition de comptes à Chicago, Spillane et al. (2002) se penchent cette sur le rôle du directeur d’école dans la perception et la compréhension par les enseignants de la politique d’imputabilité. Le rôle de celui-ci est en effet d’aider les enseignants à saisir l’articulation entre les demandes politiques externes et les besoins internes ou locaux. Les auteurs montrent que le faire sens des directeurs d’écoles s’inscrit dans le contexte de l’équipe école. Spillane et al. (2002) observent que les directeurs ont tendance à utiliser résultats standardisés bruts des élèves pour saisir leurs difficultés et les améliorations à apporter la pratique enseignante (outcomes-based management). De même, les auteurs remarquent que la réforme est utilisée comme un levier de changement et de transformation, pensée dans le sens d’une pratique plus efficace localement. Aussi, les politiques centrales d’imputabilité tendent à faire travailler les leaders dans le sens d’une amélioration de la performance mais seulement dans les matières qui sont visées par les tests standardisés nationaux, ayant pour conséquence que le système d’imputabilité transfère les priorités éducatives des équipes vers des matières particulières (par exemple lecture et mathématiques). Pour une des directrices toutefois, la clé pour atteindre les objectifs de la politique est d’améliorer le moral de l’équipe d’enseignants. Elle a donc suspendu les processus d’évaluation des enseignants jusqu’au milieu de l’année scolaire afin d’encourager leurs efforts sans appliquer une pression supplémentaire de performance personnelle. Elle s’est ainsi préoccupée de la construction d’une capacité d’agir (capacity-building process).
49Pour leur part, Spillane et Thompson (1997) insistent sur l’importance du capital social pour faciliter le sensemaking au sein d’une école. Les auteurs estiment nécessaire de combiner le capital humain (l’engagement, la connaissance, la prédisposition) et le capital social (le réseautage par exemple avec les universités, la collaboration, le dialogue, la confiance), car leur synergie est déterminante dans la poursuite et la réussite d’une réforme. Ils vont jusqu’à avancer que l’absence de capital social au sein d’une école ou d’un district scolaire annule l’effet des ressources ou les rend improductives. L’expérience du District de Riverville (nom fictif) décrite par Spillane et Thompson (1997) illustre bien ce propos : les chercheurs y ont rencontré des directeurs ayant réussi l’implantation de l’ambitieuse réforme de leur district avec des moyens beaucoup plus restreints que d’autres, en capitalisant notamment sur le leadership de certains enseignants et sur leurs réseaux établis avec des sources externes, afin de compenser le manque de matériel pédagogique et d’expérience au sein du corps enseignant (ibid., p 198-199). Toutefois, les auteurs reconnaissent là ni plus ni moins qu’une nouvelle forme d’inégalités entre les écoles, fonction de leur richesse relative en capital humain et social, alors que tout un potentiel d’équité sociale se cache derrière ces deux éléments vitaux d’un système éducatif.
Médiation des communautés professionnelles
50Pour Galucci (2002), Duggan (2002) ou Mc Laughlin (1998), il importe de porter une attention particulière aux communautés de pratiques locales (professionnelle et disciplinaire) pour connaître les conditions et actions locales lors de l’implantation des réformes. Gallucci (2002) analyse une réforme axée sur les résultats (standard-based reform) et suggère, pour pallier au manque de cohésion entre les politiques et les pratiques locales, d’améliorer l’usage potentiel des communautés de pratiques en suscitant notamment une adhésion forte des enseignants novices. Pour lui, la force, la cohésion, l’ouverture aux nouvelles idées et la conception partagée du rôle des enseignants par rapport aux réformes sont des caractéristiques des communautés de pratiques qui influencent grandement le type de réponse des enseignants face aux réformes.
51Plus tôt, les travaux de McLaughlin (1998) qui portaient sur les réformes des années 1990, établissaient déjà que le succès de leur implantation furent en grande partie lié aux communautés professionnelles et disciplinaires qui, dans certains cas, ont permis aux enseignants de discuter entre eux des objectifs de réformes et ainsi de les matérialiser à même leur pratique. Certaines de ces communautés (pas toutes) permettent en effet à la vision de la réforme de devenir la vision d’une collectivité locale, au lieu de demeurer un simple agrégat de demandes gouvernementales à appliquer dans la classe (McLaughlin, 1998). Elles sont cruciales car les enseignants sont influencés par les pratiques et représentations professionnelles prévalant au sein de sa communauté (McLaughlin, 1998). Cependant, toutes les communautés professionnelles et disciplinaires ne sont pas des creusets du changement et de l’innovation. Elle ne sont pas toutes des communautés d’apprentissage arrimées aux exigences des politiques et des réformes. Et lorsqu’elles le sont, elles ne peuvent non plus à elles seules assurer la réussite des réformes et des politiques. Des facteurs spécifiquement organisationnels sont aussi importants (Corrie et Hargreaves, 2006). Corrie et Hargreaves (2006) soutiennent que les réformes durables s’appuient sur une communauté professionnelle robuste, active et ouverte.
Conclusion
52Ainsi, la recherche située qui s’intéresse aux processus réels d’implantation des politiques ouvre-t-elle des voies intéressantes pour la réflexion. En présentant des expériences concrètes d’implantation, elle donne à voir les facteurs qui influencent l’appropriation des politiques par les enseignants. Elle met en évidence la complexité de ces processus et donc, l’impossibilité de contrôler tous les facteurs à la fois. Cette vision n’entraîne toutefois pas un pessimisme débilitant. Au contraire, elle permet d’insister sur la capacité des enseignants et des communautés professionnelle de faire sens des politiques dans le contexte particulier de leur école. Elle invite ainsi à faire confiance aux acteurs en favorisant la concertation collective, l’action réfléchie et l’apprentissage collectif.
Histoire et néo-institutionnalisme anglo-saxon
53Nous avons décidé de présenter ces deux approches simultanément parce qu’elles sont en réalité très proches l’une de l’autre. En effet, lorsque les historiens cherchent à expliquer l’échec ou le faible impact des politiques et des réformes éducatives, ils développent le plus souvent un raisonnement institutionnaliste. C’est ainsi que les historiens de l’éducation (Tyack, Cuban, Ravitch) sont assez proches des néo-institutionnalistes américains, i.e. des chercheurs du domaine de l’administration et de l’étude des organisations (Meyer, Dimagio, Rowan, Bidwell, Scott). En effet, tout comme les historiens, ces derniers accordent beaucoup d’importance au cadre institutionnel et organisationnel de l’action et aux éléments culturels sur lequel ce cadre repose et qu’il met en scène et en acte, contribuant ainsi à leur reproduction. Les historiens qui ont montré la résilience de la forme scolaire tout au long du XXe siècle sont assez proches d’une vision institutionnaliste des choses qui par exemple, estime que le type de gouvernance traditionnelle du système éducatif américain et le niveau de décentralisation de l’organisation scolaire obligent les écoles et leurs agents à constamment se soucier de maintenir leur légitimité dans leur environnement local, et à travailler sans relâche à conserver la confiance du public. Cet impératif et ce besoin de légitimité, constitutif de la dimension institutionnelle des organisations, contribueraient à les rendre conformistes au plan des valeurs et des normes, et conservatrices dans leurs façons de faire.
L’apport des néo-institutionnalistes : le concept de « loose coupling » ou de couplage lâche entre paliers et dimensions organisationnelles
54Rappelons que l’institutionnalisme anglo-saxon s’est développé en réaction aux modèles explicatifs dits de choix rationnels, i.e. posant comme principe explicatif l’existence d’une rationalité transcendante. L’institutionnalisme a plutôt cherché à montrer que les organisations sont tributaires de mythes, savoirs légitimes et modèles cognitifs, de structures normatives et de régulations de divers ordres (le droit, les professions, l’opinion publique). Il a insisté sur le fait que ces forces influent sur les choix faits par les organisations (cf. le concept de dépendance de sentier ou path dependency) et rendent compte pour une bonne part de la stabilité et de l’isomorphisme organisationnel, ainsi que de la reproduction des pratiques au sein d’un secteur institutionnel.
55Les institutionnalistes ont repris de Parsons l’idée que les organisations pouvaient être analysées à partir d’une approche systémique. Parsons proposait d’étudier la dynamique organisationnelle en fonction principalement de trois sous-systèmes, un sous-système institutionnel, un sous-système administratif et un sous-système technique. Les sous-systèmes accomplissent pour l’organisation des fonctions différentes, obéissent à des logiques distinctes, théoriquement interreliées mais parfois antinomiques. Pour Parsons, l’intégration fonctionnelle des trois sous-systèmes est problématique (toute différentiation structurelle engendre des problèmes de coordination de l’action), elle sera plus ou moins forte ou lâche selon les organisations étudiées. Les institutionnalistes ont appliqué cette approche au secteur éducatif et ont cherché à montrer qu’il se caractérisait par une intégration relativement lâche des trois sous-systèmes. Les institutionnalistes insistent par exemple sur le fait que le sous-système institutionnel se soucie de la légitimité de l’école alors que le sous-système technique (dans ce cas-ci l’enseignement) obéit davantage à un impératif d’efficacité. C’est l’idée que véhicule et a rendu célèbre le concept de loose coupling ou de loosely coupled organization (couplage lâche) (Weick, 1976). Poussé à l’extrême, le loose coupling donne à penser que le système éducatif est composé de classes parfaitement étanches et imperméables à toutes influences des autres sous-systèmes. Cela correspond au mythe de la classe fermée et intouchable, et de la capacité des travailleurs de la base à contrer toute prescription extérieure qu’ils jugeraient incompatible avec l’accomplissement efficace de leur travail ; ou à l’inverse, à l’idée que les enseignants sont laissés à eux-mêmes, les autres paliers du système étant accaparés par des logiques déconnectées du travail de base de l’organisation.
56Les institutionnalistes prétendent que tout au long du XXe siècle, l’école s’est davantage souciée de sa légitimité que de son efficacité. Cela serait cependant en train de changer, sous l’impulsion de certaines politiques dont nous parlerons plus loin. D’ailleurs, dans leurs écrits plus récents (Rowan, 2006), les institutionnalistes reconnaissent qu’ils ont probablement exagéré l’étanchéité des frontières entre les sous-systèmes organisationnels. Il importerait dorénavant de davantage prendre acte du fait que le sous-système technique est « travaillé » tout autant que les autres sous-systèmes organisationnels, par les forces institutionnelles (les mythes, les savoirs légitimes ou naturalisés, les encadrements normatifs et les régulations, etc.) caractéristiques du secteur et de son évolution.
Le point de vue des historiens : la résilience de la « grammaire » de l’école
57Les historiens de l’éducation qui se sont penchés sur l’évolution des politiques et des pratiques éducatives ne sont guère positifs ou optimistes. En fait, ils donnent une bonne douche d’eau froide aux apôtres du changement et aux tenants du volontarisme politique, ou en tout cas, ils soulignent la difficulté d’assurer la durabilité (Hargreaves utilise le terme sustainability of change) ou l’institutionnalisation forte des politiques ou des réformes, notamment de celles qui tentent de transformer en profondeur l’enseignement. C’est ainsi que Tyack et Cuban (1994), étudiant l’évolution de l’enseignement aux États-Unis au cours du XXe siècle, montrent qu’il y a bel et bien eu des tentatives importantes de réformer l’enseignement, au moins trois majeures, mais qu’elles n’ont pas réussi à modifier de manière substantielle et durable ce qu’ils appellent la « grammaire » de l’école et que d’autres nomment la forme scolaire.
58Il y a donc, constatent des historiens chevronnés, des cycles, des vagues, des montées en puissance du changement, puis des périodes de remise en question, de ressac, de désintérêt et d’abandon des idées et des pratiques nouvelles. Notons au passage que ces analyses font dorénavant partie du patrimoine professionnel des enseignants en exercice et qu’elles rationalisent le scepticisme d’une portion non négligeable. Car ils ont vécu, au moins une fois au cours de leur carrière, ces espoirs et désillusions, ces périodes d’intense activité et d’expérimentation suivies d’un retour au statu quo ante. La recherche Change Over Time, de Hargreaves et Goodson (2006), montre justement que les enseignants réagissent mal à l’aspect cumulatif et récurrent des réformes. Ainsi, l’élan et la légitimité des réformes s’estompent et au final, il ne reste plus que des bribes, habituellement ce qui s’avère compatible avec les habitudes des enseignants et la forme ou la « grammaire » de l’école déjà en place. Par exemple, le rétroprojecteur est entré dans la classe, puis plus récemment, les présentations de type Power Point, mais le passage du tableau au rétroprojecteur puis à l’ordinateur ne manifeste pas une modification fondamentale dans les modes de transmission du savoir.
59La grammaire ou la forme scolaire de base est résistante parce qu’elle s’appuie sur des mythes importants de la société, qu’elle est soutenue pas de longues années de légitimation et parce qu’elle est perçue comme fonctionnelle, c’est-à-dire adaptée à l’éducation de masse, à un État-nation soucieux de sa cohésion démocratique, et à l’organisation dominante du travail dans l’économie capitaliste contemporaine. Historiquement, l’école c’est d’abord un professeur et des élèves regroupés dans une classe. Le professeur y transmet des savoirs, savoir-faire et savoir-être dont il est le dépositaire autorisé et qui sont légitimés par la société. Cette transmission est une épreuve imposée aux jeunes car elle est l’occasion pour la société de faire le tri au sein d’une génération en fonction du talent et de la motivation, c’est-à-dire en fonction du mérite, et de procéder sur cette base à l’organisation de cheminements scolaires différenciées et à l’orientation des jeunes sur le marché du travail. Cette transmission tire aussi sa légitimité du désir des État-nations d’être forts, d’assurer l’homogénéité culturelle et la citoyenneté commune.
60De plus, la massification de l’éducation a engendré une inévitable bureaucratisation et rationalisation du travail scolaire : pour scolariser toute une génération, il a fallu tout à la fois standardiser et différencier le curriculum et en assurer l’application uniforme, par le biais de manuels et d’examens communs dont la science (celle des tests) garantit la validité et par là, la valeur démocratique. Le curriculum est construit selon un découpage disciplinaire et socioprofessionnel que la formation des maîtres reproduit. Cette logique que les historiens américains associent au mouvement du management scientifique (le taylorisme) et à la disciplinarisation des contenus s’est institutionnalisée au début du XXe siècle aux États-Unis et pour l’essentiel, est toujours vivante. Elle combine tout à la fois, légitimité culturelle, égalité et méritocratie sociale, économie d’échelles et une certaine efficience civique.
61Cette grammaire de l’école constitue la culture générique de l’école, le cadre commun et partagé tant par les acteurs internes que par les acteurs externes qui y reconnaissent la vraie nature de l’école, et le fondement de son autorité. Cette grammaire est institutionnalisée et elle explique l’inertie du système, ou plutôt le fait que seules les politiques et les réformes compatibles avec elle et avec les habitudes des enseignants s’institutionnalisent.
Autres phénomènes de résilience
62Pour leur part, Hargreaves et Goodson (2006), dans une importante étude Change Over Time, portant sur l’évolution de réformes sur une période de trente ans, mettent en évidence certains phénomènes de résistance liés au simple passage du temps. Ainsi, Hargreaves et Goodson (2006) expliquent que la culture générationnelle, celle des baby-boomers par exemple, constitue présentement une force de résistance au changement. Cette génération d’enseignants, numériquement dominante, a construit son identité autour d’une mission éducative de justice sociale qui demeure toujours son principal modèle de référence. Or, les politiques actuelles s’écartent de ce modèle, ce qui choque les valeurs et les croyances des baby-boomers.
63L’étude Change Over Time démontre également la présence d’un phénomène d’attrition des innovations même lorsque celles-ci sont instiguées de l’intérieur (Giles et Hargreaves, 2006) au sein de véritables communautés d’apprentissage. Ces innovations ne s’institutionnalisent pas, elles s’essoufflent, et sont mises en veilleuses ou abandonnées, récemment à cause de la présence de réformes exogènes imposées uniformément à toutes les écoles et qui contrecarrent souvent les processus endogènes d’innovation. Si la présence de communautés d’apprentissage fortes et robustes permet de résister au rouleau compresseur des réformes uniformisantes et standardisantes, elles ne sont pas cependant toutes puissantes et finissent avec le temps par céder, telle une digue sous la pression des eaux qui montent.
64Enfin, Dean et Brayman (2006) notent pour leur part que les successions de directeurs d’établissement peuvent engendrer des ruptures si elles ne sont pas bien planifiées. Ces ruptures ont pour effet de déstabiliser, ralentir et ultimement d’interrompre les efforts réformateurs en place dans une école. De plus, on remarque actuellement dans plusieurs systèmes une accélération du roulement des directeurs, ce qui multiplie les risques de discontinuités et de ruptures (voir aussi Hargreaves et Goodson, 2006)
Le concept d’hybridation des politiques et des pratiques
65Peut-être y a t-il un lien entre l’évolution récente de l’institutionnalisme et la conclusion de Tyack et Cuban (1994), au terme de leur étude de l’histoire éducative du XXe siècle américain. En effet, Tyack et Cuban y ont remis en question certains présupposés des analyses classiques de politiques. Ils ont proposé que soit reconnue comme légitime et nécessaire ce qu’ils ont appelé l’hybridation des politiques et des réformes, ce qui est suppose un travail de « traduction », d’« interprétation » et d’opérationnalisation, voire de révision et de transformation des politiques et des réformes au fur et à mesure qu’elles s’éloignent de la sphère politique pour se rapprocher de la sphère technique, c’est-à-dire du travail réel effectué par les enseignants.
66En effet, ils estiment que trop souvent, tout se passe comme si les chercheurs pensaient que les réformes sont bien construites et rationnelles, comme si la conception précédait et déterminait l’implantation, qui ne serait que la mise en œuvre relativement technique « en bas » par des exécutants de ce qui a été préalablement décidée « en haut » par les élites pensantes (la noosphère). Dans cette vision, le sens d’une réforme ou d’une politique est prédéterminé et univoque et tous les acteurs doivent y adhérer sans discussion, sans appropriation, sans médiation, sans transformation ou évolution. Ou à l’inverse, adoptant plutôt une perspective critique, les chercheurs penseront que les réformes sont mal pensées ou dangereuses ; elles passent à côté des véritables enjeux ; elle sont déconnectées des situations véritablement problématiques : dans ce cas, heureusement que les acteurs qui les subissent sont en mesure de le mettre en échec ! Mais, que d’énergies dépensées pour rien et de temps inutilement gaspillé !
67En vérité, selon Tyack et Cuban (1994), il serait plus juste d’envisager une réforme comme un projet de changement qui doit nécessairement être transformé au fur et à mesure de sa réalisation, lorsque des visées et des programmes rejoignent et au mieux pénètrent le champ des pratiques et les représentations des acteurs. Non seulement ce processus d’hybridation est-il inévitable, mais il est nécessaire dans un secteur institutionnel où la technologie de base est peu développée et repose essentiellement sur des rapports sociaux et sur leur signification négociée et partagée (Tardif et Lessard, 1999). L’hybridation est fort probablement une bonne chose, surtout si elle est soutenue et accompagnée, rendant légitime une appropriation par les acteurs qui comprenne une construction du sens du changement par ceux-là même qui doivent l’implanter, construction qui lorsqu’elle est réussie, renouvelle (au sens de redonner de la vigueur et aussi d’y introduire du nouveau) leur pratique. Cette hybridation implique des allers-retours entre l’élaboration et l’implantation de la politique, entre la politique et la pratique, et des boucles de rétroaction efficaces. Elle est facilitée par un pilotage négociée du changement (Perrenoud, 1999).
68Récemment, Cuban (2003) a repris cette idée, mais sous un angle légèrement différent, adoptant un point de vue pédagogique. Pour lui, le XXe siècle est traversé par un conflit entre « traditionalistes » et « progressistes », caractérisé par des cycles tantôt innovants et progressistes, tantôt conservateurs et rigoureux. Les premiers valorisent la flexibilité du système, les seconds la condamnent. Selon Cuban, les données scientifiques démontrant la supériorité d’une thèse sur l’autre sous prétexte de la preuve sont trop inflexibles, d’ailleurs elles sont aussi controversées, incomplètes et souvent trop généralisées. De plus, la littérature sur l’innovation montre de manière assez convaincante que dans le monde de l’éducation, l’imposition ne fonctionne pas durablement, que des stratégies bottom up ont de meilleures chances de succès que les approches top down. Enfin, il n’est pas certain que ces décisions en matière de curriculum et de pédagogie doivent en dernier ressort reposer sur la science, fût-elle de l’éducation ! Alors ce débat étant en quelque sorte sans issue, il conviendrait que l’État prenne acte de cette absence de consensus et de certitude et qu’il encourage jusqu’à un certain point (c’est-à-dire à l’intérieur d’un cadre civique commun) la diversité des écoles, cette diversité s’enracinant dans les valeurs et les pratiques des agents scolaires, des parents usagers et de la communauté locale. Reconnaissons donc, suggère Cuban, qu’il n’y a pas une et une seule bonne école et une et une seule bonne pédagogie, ou dit autrement qu’il y a diverses manières de statuer en cette matière. L’État doit dès lors encourager la délibération collective locale sur la bonne école et la bonne pédagogie que les acteurs concernés désirent, et non pas imposer son point de vue. Mettons ainsi fin à l’État pédagogue !
69Cuban (2003) tient ce raisonnement et cherche à définir des critères de la bonne école et de la bonne pédagogie qui puissent faire à peu près consensus et mettre fin aux guerres idéologiques du dernier siècle. Il en propose trois qu’il formule sous forme de questions :
- Les parents, le personnel scolaire et les élèves sont-ils satisfaits de ce qui se passe dans l’école ?
- L’école atteint-elle les buts explicites qu’elle s’est fixés ?
- Des comportements, valeurs et attitudes démocratiques sont-ils observables chez les élèves ?
70On peut trouver Cuban minimaliste ou pragmatique. On peut aussi estimer qu’il y a là un pari à la fois sur l’intelligence des acteurs et sur leur capacité de construire des « hybrides », c’est-à-dire des pratiques qui se construisent dans l’effort de mise en tension, voire de réconciliation des pôles et des valeurs éducatives et pédagogiques qui structurent le débat éducatif contemporain. Il est en tout cas certain que Cuban propose une voie de légitimation de l’école et qu’ainsi il rappelle l’importance de la variable légitimité.
Conclusion
71Les recherches historico-institutionnelles indiquent dans l’ensemble la forte inertie du système. Plusieurs rendent compte des grands facteurs de résistance qui sont à l’oeuvre : la force de l’institution et de sa grammaire de base, le scepticisme engendré par les vagues de réformes successives, l’importance des croyances générationnelles, les phénomènes naturels d’attrition, etc. Toutefois, malgré ce pessimisme général, certaines avancées permettent de maintenir un certain optimisme. Ainsi, Cuban (2003) met en évidence la présence de bonnes écoles, et insiste sur la capacité des enseignants à réconcilier les tensions inhérentes au champ éducatif. Hargreaves et Goodson (2006) défendent la valeur du modèle de la communauté apprenante pour implanter mais aussi pour maintenir à long terme des changements dans la forme scolaire. Ils soulignent toutefois que cela n’est possible que si le système éducatif laisse aux établissements suffisamment de marge de manœuvre. Pour sa part, Miles (1998) suggère que l’histoire des quarante dernières années permet de maintenir un certain optimisme, car, au cours de cette période, la recherche sur le changement a progressé, et que certains invariants peuvent être désormais identifiés (notamment les idées de choix rationnel, d’analyse des processus et de capacité organisationnelle locale). Il ajoute qu’il existe manifestement une infrastructure de plus en plus sophistiquée et surtout, une volonté politique soutenue pour le changement.
72Les recherches de nature historique ou institutionnelle sont incontournables car elle nous rappellent que le changement des structures et des mentalités est un défi considérable et encore loin d’être relevé. Toutefois, elles ne nous laissent pas tout à fait sans espoir pour l’avenir.
Troisième partie : les dimensions qui structurent la problématique de l’articulation entre les politiques et les pratiques
73La description des différentes approches nous a permis d’identifier certains grands axes structurants de la recherche, ainsi que certaines dimensions transversales. Nous les présentons dans le tableau synthèse reproduit en annexe. Dans les paragraphes qui suivent, nous explicitons le contenu de ce tableau.
74Si les approches identifiées se différencient au plan de la finalité poursuivie (recherche de l’efficacité, dévoilement des effets néfastes, compréhension de l’appropriation et explication de la résilience de la grammaire de l’école), au plan de la focalisation (de la description à l’explication en passant par l’interprétation), ainsi qu’à celui des concepts privilégiés (la bonne politique et la bonne pratique evidence-based, l’approche managériale et la déprofessionnalisation, le faire sens ou sensemaking et ses médiations, le couplage lâche ou loose coupling et l’hybridation ou la médiation créatrice), elles se différencient surtout sur le sens donné aux politiques éducatives, la conception de l’articulation des politiques et des pratiques et sur la vision de la nature du travail enseignant. Abordons à tour de rôle chacune de ces dimensions.
Le sens des politiques éducatives
75Les recherches et les approches se distinguent de manière significative à propos de la question du sens des politiques et des réformes. En effet, les tenants de l’approche fonctionnaliste pragmatique, en lien avec leur souci de construire une ingénierie efficace de l’implantation des politiques, cherchent à identifier les mécanismes et les dispositifs qui assurent que du haut en bas de l’organisation le sens des politiques et des réformes soient partagés par tous les acteurs. L’équivocité du sens d’une politique est source d’inefficacité. Il importe donc que le sens des politiques soit clair. Et ce sens, il est à trouver dans la recherche produite par le courant de l’École Efficace. En effet, cette recherche nous dit ce qu’est une bonne école et un enseignement efficace. Il importe donc d’aligner tous les paliers et tous les acteurs sur ces evidence-based politiques et pratiques dites exemplaires. Pour les tenants des approches critiques, le sens des politiques et des réformes est aussi univoque ; il se trouve dans les évolutions sociales extérieures à l’institution scolaire et qui réussissent à y avoir des effets réels, durables et nocifs. À la différence des historiens et des institutionnalistes, les tenants des approches critiques estiment que les politiques ont changé au fil des décennies, parce que la société a changé, sous l’effet de la mondialisation de l’économie, du néo-libéralisme triomphant et pénétrant l’ensemble des secteurs institutionnel, du démantèlement de l’État-Providence, de la montée du marché et de l’« égoïsme » des classes moyennes. Si le sens des politiques est à trouver dans ce qui se passe à l’extérieur de l’école, ce sens est relativement univoque. Il appartient aux chercheurs de le débusquer, de le faire connaître aux acteurs du système éducatif et de le critiquer, voire de travailler au développement d’une capacité de résistance. Par contre, pour les chercheurs des approches centrées sur les acteurs et sur leur travail de faire-sens, le sens des politiques et des réformes est pluriel ; il n’est pas donné d’avance ; il est produit dans le processus même d’implantation, par les acteurs eux-mêmes, ceux des instances intermédiaires, les leaders locaux les enseignants. Ici implanter une politique ou une réforme, surtout si elle est ambitieuse et d’envergure, c’est d’abord et avant tout travailler le sens, davantage que des comportements ou des techniques. Enfin, dans l’approche historique, le sens des politiques tout au long du XXe siècle, est en dernier ressort, univoque : on a voulu transformer la grammaire de l’école et celle-ci, pour les raisons formulées par les institutionnalistes, a su résister. Il n’y aurait eu qu’une réforme, renouvelée à plusieurs reprises, avec des habits différents, mais pour l’essentiel identique à elle-même. Cependant, ces réformes, soutiennent historiens et institutionnalistes, ont échoué en grande partie parce qu’elles sous-estimaient l’importance d’une approche plus dialectique du rapport entre les politiques et pratiques, ce que ces chercheurs nomment l’hybridation.
L’articulation ou le couplage des politiques et des pratiques
76Les approches présentées différent aussi sur la question de l’articulation des politiques et des pratiques. Ainsi, l’approche fonctionnaliste pragmatique pense que cette articulation peut et doit être forte, qu’il est possible de réduire le loose-coupling au sein du système éducatif et par là d’accroître l’efficacité de l’organisation. C’est ce que les chercheurs appellent « l’alignement » des paliers et des acteurs, c’est-à-dire un couplage plus serré, plus étroit des moyens et des fins, de l’autorité et de la technologie du travail, de la classe et des autres paliers, etc. À cet égard, les instances intermédiaires et les leaders locaux ont un rôle crucial à jouer. L’approche critique est d’avis que cette réduction du loose coupling est en effet la visée des politiques actuelles, mais que celle-ci est le propre d’un pouvoir managérial renforcé pour qui la contrainte imposée aux enseignants, le faux discours sur le professionnalisme et l’encadrement serré du travail enseignant ainsi déprofessionnalisé, correspondent à une modification des rapports de force entre les acteurs internes et les acteurs externes de l’institution scolaire, ces derniers étant imbriqués dans les rapports sociaux dominants (État, marché, société civile). À leurs yeux, ce n’est évidemment pas la bonne articulation à promouvoir. Les tenants des approches centrées sur les acteurs sont aussi soucieux du loose coupling, mais ils veulent travailler à une meilleure articulation entre les politiques et les pratiques à partir du point de vue des acteurs, des contextes locaux et des communautés de pratiques existantes et à renforcer. Il y a du bon dans le couplage lâche et une meilleure articulation passe par une plus forte capacité à la base (capacity-building), et par davantage d’empowerment, ce qui suppose en même temps que cela y contribue, une professionnalité plus forte parmi les enseignants. Mais ce point de vue n’est pas sans ambiguïtés : l’empowerment valorisé et la capacité d’action développée se construisent à l’intérieur du corridor des politiques et doivent y demeurer. Il y a certes possibilité de médiation entre les politiques et les pratiques, mais avec des degrés de liberté somme toute comptés et délimités par l’appropriation proprement cognitive des politiques. Les historiens qui ont parlé de la nécessaire hybridation des politiques et des pratiques sont assez proches de ce dernier point de vue. Mais à notre sens, ils le poussent plus loin, en reconnaissant la valeur d’une véritable dialectique entre le bas et le haut du système éducatif, ou la possibilité d’une médiation créatrice. En ce sens, leur point de vue nous apparaît plus ouvert sur de possibles émergences d’« hybrides » que celui des chercheurs du sensemaking peut-être trop centrés sur l’appropriation cognitive des politiques.
77Les écrits recensés donnent lieu à des discussions sans cesse renouvelées et portant sur un ensemble d’axes, d’oppositions ou de doublets que nous reprenons ici sous forme de questions : pour assurer une implantation réussie d’une réforme ou d’une politique, faut-il reconnaître la spécificité de cette étape par opposition à l’étape de l’élaboration et institutionnaliser des boucles de rétroaction entre les deux ? Faut-il privilégier le changement exogène ou endogène, l’imposition ou la coconstruction du changement, le pouvoir ou l’autorité diffuse ? À ce propos, on peut dire qu’il existe un consensus quasi général à l’effet qu’un couplage fort entre l’extérieur et l’intérieur, entre l’exogène et l’endogène est garant de succès. Au cours de l’implantation, doit-on se centrer davantage sur la structure (restructuring) ou sur la culture (reculturing), le premier élément référant à des éléments organisationnels (répartition des pouvoirs, décentralisation, organisation du travail, ressources matérielles et financières, incitatifs financiers ou de carrière, sanctions, concurrence entre établissements, reddition de comptes, etc.), le second portant sur la vision, les valeurs et les normes, les représentations, les savoirs et les savoirs faire, le développement professionnel et le sensemaking au sein de communautés professionnelles ? S’il y a un relatif consensus à l’effet que structure et culture sont tous les deux des ingrédients incontournables de toute implantation réussie, les manières de les traiter varient d’une approche à l’autre : ainsi, la culture ou les cultures (institutionnelle, professionnelle, disciplinaire, etc.) sont tour à tour comprises comme un obstacle à éliminer ou à contourner et une variable à manipuler, la source d’une résistance souhaitée, une capacité à développer et à partager, la source de la résilience de la grammaire scolaire et une capacité d’hybridation à valoriser. Faut-il travailler de manière globale et systémique ou plutôt à la pièce et de manière ciblée ? Dans une perspective temporelle à court terme ou à long terme ? En prescrivant en détail les pratiques valorisées ou en laissant les enseignants relativement autonomes sur ce plan ? En les soutenant de diverses manières ou en exerçant une pression relativement forte sur eux ? En privilégiant les processus d’apprentissage et de développement professionnel collectifs ou en insistant sur l’obligation de résultats et des mécanismes efficaces de reddition de comptes de chaque enseignant et de chaque établissement ainsi tenus responsables des apprentissages des élèves ? En somme, en contribuant à la professionnalisation du métier ou à sa déprofessionnalisation ?
78Les approches dégagées et les travaux recensées constituent des réponses à ces questions, quoiqu’on ne puisse dire que les approches se distinguent et s’opposent nettement sur toutes ces questions. C’est souvent davantage une affaire d’accent privilégié, lié à la période historique ou au type de réformes et de politiques étudiées. Ainsi, les réformes américaines actuelles, prescrites par le No Child Left Behind Act, apparaissent aux chercheurs comme étant de type exogène, top-down, structurelles et systémiques, à court terme et prescriptives, et pressant fortement pour des résultats. Cette caractérisation produit parmi les chercheurs une réaction contraire, favorable à des politiques valorisant le changement endogène, bottomup, culturel et local, à long terme et ouvert, axé sur les processus et le développement de véritables communautés professionnelles autonomes. Ce qu’expriment assez bien les chercheurs associés à la troisième approche, de même que certains valorisant l’hybridation des politiques et des pratiques.
La nature du travail enseignant
79Les approches véhiculent-elles des perspectives différentes sur le travail enseignant ? Oui, serait-on tenter de répondre. En effet, pour les fonctionnalistes pragmatiques, le métier évolue, sa technologie se développe, la recherche sur les écoles efficaces et les pratiques exemplaires progressent et est en mesure de dire ce qui marche et ne marche pas, et donc permet de prescrire un peu mieux le travail enseignant, contribuant ainsi à une efficacité accrue et à une réduction du couplage lâche. Une base de connaissances se développent, émancipant le métier des routines séculaires et des évidences du sens commun. Les tenants des approches critiques craignent les dérives réductrices de cette vision fonctionnaliste pragmatique, qu’ils qualifient de techniciste, d’apolitique, d’anti-humaniste et de contraire à la vocation historique de l’enseignement. Quant aux tenants des approches centrées sur les acteurs et sur leur travail de faire sens, ils ont plutôt tendance à considérer que les enseignants travaillent à se construire une identité professionnelle à partir de l’ensemble des matériaux culturels soulignés par les trois autres approches, l’humanisme et la vocation traditionnelle, les développements techniques et la pression pour une efficacité accrue et une certaine conscience sociale. Enseigner aujourd’hui, suivant ce dernier point de vue, comporte une certaine dose d’indétermination. C’est nécessairement devoir se construire une identité composite, plurielle, en recomposition constante. Pour les historiens et les institutionnalistes, enseigner est un métier artisanal ou une vocation à faible composante technique ou technologique : il est organisé autour des conceptions culturelles fortes sur la société, le savoir et l’autorité ainsi que sur une vision de la contribution de l’école au progrès des individus comme de la collectivité. Les tours de main du métier sont de type artisanal et le fruit d’une socialisation forte des recrues par les anciens au début de la carrière, sans oublier la longue observance à titre d’élève des professeurs (Lortie, 1975).
Conclusion
80Si la recherche démontre que les réformes produisent rarement les effets prévus et espérés dans les pratiques effectives, certaines recherches (Seashore et al., 2005 ; DeBray, 2005 ; Firestone et al., 1998 ; Woods et Wenham, 1995) insistent sur le caractère déclencheur des politiques, elles servent de levier et de guide au changement et à la mise en mouvement d’équipes enseignantes, ce qui explique le rapport stratégique à leur égard de bon nombre de directions d’écoles. Les politiques suscitent la réflexion et la discussion sur les changements proposés, et suscitent des opportunités d’apprentissage en induisant une organisation collective du travail. Elles permettent aussi de fournir aux enseignants des directives pour guider leur propre pratique. La réforme ou la politique vient alors clarifier pour l’enseignant les normes et pratiques valorisées (Seashore et al., 2005 ; Laguardia et al., 2002 ; Daniels, 1997). Laguardia et al. (2002) démontrent comment une clarification du curriculum et des critères d’évaluation permet dans certains cas d’améliorer la qualité de l’instruction, car elles permettent aux enseignants de s’autoévaluer suivant les normes et critères prescrits.
Conclusion-discussion
Une problématique de la médiation
81Nous avons demandé plus haut si, entre l’optimisme et le volontarisme des fonctionnalistes pragmatiques et la dénonciation et le pessimisme des sociologues critiques, une troisième voie était possible. Elle nous semble être à chercher et à trouver dans les approches orientées sur le sensemaking des acteurs et dans l’apport des historiens et des néo-institutionnalistes. Elle est aussi à développer autour du concept de médiation. Car en définitive la problématique de l’implantation des politiques et de leur pénétration dans l’univers des pratiques est une problématique de médiation. À cet égard, les approches ont des contributions variables. Ainsi, chez les fonctionnalistes pragmatiques, la médiation des politiques et des pratiques est directe : les politiques sont transmises par les paliers intermédiaires aux acteurs concernés. Il importe de susciter l’adhésion, l’engagement, la capacité, la persévérance, notamment par des activités de développement professionnel. Chez les tenants de l’approche critique, les politiques sont imposées aux acteurs ; il n’y a pas de médiation parce qu’il n’y a pas d’autonomie ou celle-ci est considérablement réduite. Une possibilité de médiation apparaît au sein des deux dernières approches : pour les tenants du sensemaking, puisque les politiques sont nécessairement interprétées par les acteurs intermédiaires et locaux, des dimensions cognitives, affectives et sociales (des communautés professionnelles et disciplinaires) servent de médiations dans l’interprétation. Les paliers intermédiaires et le leadership local, les croyances et savoirs de la pratique, les réseaux d’appartenance et de développement professionnel, les communautés professionnelles et disciplinaires sont autant de médiations entre les politiques et les pratiques. Étudier l’implantation des politiques c’est nécessairement étudier ces multiples médiations, leurs interrelations et leurs effets. Enfin, les historiens et les néo-institutionnalistes, surtout ceux qui prennent acte de la contribution de la recherche produite dans le cadre de la troisième approche et qui réintroduisent donc dans l’analyse l’agentivité (agency) des acteurs, semblent évoluer vers une approche plus ouverte, plus dialectique des rapports entre les politiques et les pratiques : c’est ce que tente de cerner le concept d’hybridation, l’idée que du choc entre ces deux ordres de réalité, puisse naître à certaines conditions des formes mixtes ou hybrides, à la fois modernes et traditionnelles, dépassant en quelque sorte de simples ajustements pratiques à des contraintes imposées par les politiques, et contribuant à une adaptation créatrice. Suivant ce point de vue, il importerait de reconnaître le caractère inévitable et nécessaire du dialogue et de la confrontation entre les politiques et les pratiques. Peut-être est-ce là un sens possible à donner à la notion de pratique réflexive.
82Pour mieux saisir le concept de médiation, nous référons au Dictionnaire historique de la langue française, selon lequel le mot médiation vient du latin mediatio et signifie être au milieu. Son sens moderne est celui d’une « entremise destinée à concilier des personnes ou des partis, d’abord en religion dans une relation entre l’homme et Dieu, puis surtout en droit et en diplomatie » (1998 :2 179). Dans le monde juridique, où elle est très présente, la médiation exprime l’idée de dispute ou de conflit entre des partis et celle de recherche d’une solution négociée, facilitée par un tiers ou un médiateur, mais non imposée par lui. La médiation renvoie donc à l’idée d’une rencontre entre deux univers distincts, mais imbriqués, et qui désirent ou doivent trouver un modus vivendi minimalement acceptable aux deux ou, au mieux, de nature à permettre à chacun de se développer de manière créatrice.
83La médiation concerne donc 1) deux partis distincts, aux orientations et intérêts divergents ; 2) une instance (ou un médiateur) de médiation ; 3) un ou des processus de médiation.
84Les approches mises de l’avant dans cette recension nous ont sensibilisé au rôle de diverses instances de médiation et notamment des paliers intermédiaires, des leaders locaux, des communautés professionnelles et disciplinaires. Et il faut savoir gré aux chercheurs de nous avoir montré hors de tout doute que l’implantation des politiques ne procède pas linéairement, à partir d’un sens prédéterminé et univoque, et que les acteurs nichés à divers niveaux et paliers du système, modifient en les interprétant et en partageant ces interprétations, les politiques qu’imposent les décideurs.
85Sans doute la recherche pourrait être complétée en documentant la contribution d’autres possibles médiateurs ou instances de médiation : les associations syndicales, les producteurs de matériel d’enseignement, les formateurs oeuvrant sur le marché de la formation continue, les parents engagés dans les structures de gouvernance scolaire, des instances de consultation comme des conseils supérieurs de l’éducation, des thinks tanks spécialisés en éducation, des leaders d’opinion des médias spécialisés, etc. Nous pourrions aussi tenter de mieux comprendre comment les médiateurs assurent leur légitimité auprès des enseignants, quelle place et quel rôle joue quelle recherche dans ce processus de légitimation.
86À nos yeux, les processus de médiation mériteraient une bien plus grande attention. La recherche recensée dans cette synthèse donne à penser qu’il est possible de concevoir deux types de médiation, l’un de type incorporation d’une politique à une pratique et l’autre de type médiation créatrice. Dans le premier cas, propre à la fois à l’approche fonctionnaliste pragmatique et à l’approche du sensemaking, tout se passe comme si les instances de médiation et les ressources disponibles (cognitives, affectives et sociales) contribuaient à construire un rapport aux politiques de type « incorporation », celle-ci ne comportant pas une transformation créatrice ni de la pratique, ni de la politique. Dans ce cas, en définitive, la médiation est en quelque sorte instrumentalisée dans un souci de conformité des pratiques aux politiques. Alors que la médiation de type créatrice se veut résolument dialectique et refuse cette instrumentalisation. Prenant acte des imperfections des politiques (cf. Desimone), et de leur relative indétermination, elle tenterait de faire advenir une forme de pratique nouvelle, adaptée et « hybride ». Comment cela se passe-t-il dans les faits, au sein de communautés professionnelles ou disciplinaires fortes et robustes, sur du moyen terme ? Tenter d’étudier ce type de médiation permet aussi de redonner un sens à la capacité de résistance valorisée par les sociologues critiques. Car, pour qu’il y ait médiation créatrice, il faut un espace d’autonomie et de responsabilité, à la fois institutionnelle et professionnelle, qui permette de créer à partir des matériaux disponibles, ceux de la tradition institutionnelle, ceux des réseaux d’appartenance, ceux de la politique décidée et ceux de la recherche reconnue légitime. Mais on ne peut créer que si on résiste au pouvoir. D’où l’importance de cette espace d’autonomie et des luttes pour le maintenir et la nécessité de prêter une oreille malgré tout attentive au discours critique.
87La recherche, tout en insistant sur le travail d’interprétation des acteurs, nous apprend peu de choses sur ce que les politiques font véritablement advenir dans l’activité enseignante. Nous sommes ici confrontés à une grande difficulté méthodologique et conceptuelle. Le travail enseignant ne parle pas de lui-même. Ce que nous en connaissons est souvent directement le produit d’un discours sur ce travail, le discours de l’enseignant repris par le chercheur. Et souvent le discours enseignant est relativement pauvre, les enseignants ayant tendance, un peu comme les sujets de Lave (1988) dans son étude sur les mathématiques dans la vie quotidienne, à banaliser ce qu’ils font et en laissant de grands pans dans l’ombre et le non-dit. Étudier les médiations créatrices commande donc du travail de longue haleine et une façon de faire l’histoire du métier et de son évolution sur le moyen terme. Un immense travail, mais ô combien fascinant !
Annexe
L’articulation des politiques et des pratiques éducatives
L’articulation des politiques et des pratiques éducatives
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Mots-clés éditeurs : États-Unis, Sens critique, Politique en matière d'éducation, Médiateur, Angleterre
Mise en ligne 16/06/2008
https://doi.org/10.3917/cdle.025.0155