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Article de revue

Les enfants otages d’une séparation parentale conflictuelle : quel impact sur leur psychisme ? Regards cliniques sur 10 ans de pratique du groupe thérapeutique en équipe SOS enfants

Pages 6 à 26

Notes

  • [1]
    La tradition psychanalytique l’entend dans le sens « d’appui sur »
  • [2]
    Le détail de ce travail et les illustrations avec les productions d’enfants ont fait l’objet d’une première publication dans Garbar, S. et Plennevaux, V. (2014). Les dynamiques d e séparations parentales conflictuelles : quel impact sur le psychisme des enfants ? Le thérapeute face aux crises. Revue Psycorps Volume 18.
  • [3]
    Hormis pour les enfants présentant une fragilité de type psychotique ou état abandonnique, pour lesquels le groupe tel qu’il est pensé n’est pas indiqué.
  • [4]
    Il s’agit des influences réciproques de la vie émotionnelle du bébé et de celle de sa mère. Stern (1989) parle d’accordage affectif ou harmonisation affective entre la mère et l’enfant.
  • [5]
    Dans le sens de résister à la destructivité.
  • [6]
    Gavin, V.J. La thérapie individuelle par le Jeu et la Créativité chez l’enfant et le jeune victime d’abus sexuels. Bulletin de l’Action Enfance maltraitée, n°69. 2014
  • [7]
    Le détail de ces profils et les illustrations avec les productions des enfants se retrouvent dans la revue Psycorps, op.cit. ainsi que dans l’ouvrage collectif Garbar, S. et Plennevaux, V. (2012). Le groupe comme outil thérapeutique pour l’enfant dans les séparations parentales conflictuelles. Fruits de l’amour, pommes de discorde. Paroles d’enfants.

Introduction

1Il y a quelques années, nous avons rencontré deux petits patients issus d’un couple séparé, et en conflit depuis plus de deux ans. Lors d’un entretien avec cette fratrie, Raphaël (qui avait à l’époque 10 ans), et son frère Joachim (8 ans) disent : Une semaine on prépare la guerre, l’autre semaine on la fait.

2Confrontées à de tels vécus, nous nous sentions en manque d’outils thérapeutiques pour aider l’enfant à métaboliser sa souffrance et prendre conscience de la place active ou passive qu’il occupe dans la cristallisation des relations familiales autour de la dynamique conflictuelle.

3La mise en place d’un groupe thérapeutique pour les enfants victimes de conflit parental au sein d’une équipe SOS Enfants a émergé suite à différents constats :

  • Au-delà de la séparation parentale, les enfants qui nous sont adressés sont ou ont été également bien souvent aux prises avec les violences conjugales, ou témoins de transactions familiales violentes. Ces modes relationnels ont en commun que l’autre n’est pas respecté dans son identité et son individualité. Dès lors, dans ce contexte, les enfants sont utilisés comme une arme de guerre dans les enjeux de garde dont ils sont l’objet. Ce climat génère une négligence affective délétère pour leur développement et représente, en conséquence, une maltraitance psychologique sévère.
  • De nombreux intervenants psycho-sociaux ou judiciaires nous alertent régulièrement quant aux dégâts constatés chez ces enfants : échec ou décrochage scolaire, symptômes dépressifs, automutilation, tentative de suicide, fugue, délinquance,… Nous sommes également aussi interpellées par une symptomatologie beaucoup plus diffuse et moins perceptible que sont les enfants sur-adaptés, désaffectisés.
  • Nous sommes souvent confrontées à la grande difficulté de mobiliser ces parents. Nous constatons combien il est difficile pour les parents de reconnaître et de verbaliser leur propre souffrance tant ils sont dans la disqualification de l’autre. L’histoire et la souffrance qui sont réactivées par la séparation mettent alors les adultes en difficulté dans leur capacité d’être à l’écoute de la souffrance de leur enfant.
  • Nous observons que le cadre thérapeutique individuel amplifie ou maintient à minima le jeu relationnel duel, empêchant ainsi à l’enfant l’accès à l’ambivalence et à la symbolisation de sa souffrance. De ce fait, ces enfants ne profitent pas de l’espace neutre individuel qui leur est proposé.

4Ces différents constats nous ont donc amenées à réfléchir à une prise en charge plus adaptée à cette problématique. Notre postulat de travail est que l’approche thérapeutique groupale est d’une part une voie d’accès privilégiée à la réalité psychique et relationnelle de l’enfant, et d’autre part, est mobilisatrice d’un potentiel créatif favorisant une expérience d’étayage [1] dans un cadre de pensée contenant et sécurisant.

5Notre cadre d’intervention thérapeutique est pensé comme un emboîtement de poupées russes, au sein desquelles l’enfant peut rencontrer cinq principaux niveaux de contenance dépendant les uns des autres.

6Notre hypothèse est que la manière dont les enfants interagissent au sein du groupe et ce qu’ils réalisent au niveau créatif nous éclairent quant à leur mode de fonctionnement psychique et relationnel, et ce, en lien avec leur dynamique familiale, souvent préexistante à la séparation [2].

7Chaque niveau de contenance est donc une voie d’accès spécifique à la dynamique psychique et relationnelle dans laquelle l’enfant otage du conflit est englué. Nous proposons au lecteur de commencer par déployer ces éléments de cadre qui constituent nos outils.

8Ensuite, nous rendons compte en quoi la clinique du groupe nous amène à établir cinq profils de fonctionnement psycho-affectif des enfants qui viennent s’y déposer.

1 – Les cinq niveaux de contenance du groupe thérapeutique

Cadre temporel et spatial

9Nous garantissons la cohérence du cadre de chaque groupe au travers d’un dispositif spatial et temporel immuable qui est soutenu par des règles. Ce dispositif structurant est fondamental pour favoriser un sentiment de sécurité, et donc l’émergence de la parole.

10Le groupe est fermé et organisé sur cinq séances de deux heures. Il est animé en co-intervention et est destiné à des enfants entre 6 et 13 ans, en fonction de leurs ressources cognitives et affectives.

11Au niveau de l’espace, nous accueillons les enfants dans un local à l’écart des autres bureaux, et auquel les parents n’ont pas accès. Cela symbolise la bulle que nous souhaitons préserver, voire souvent créer chez l’enfant.

12Les règles du groupe soutiennent également notre cadre. Nous définissons celles-ci en co-construction avec les enfants, à partir des règles qu’ils estiment essentielles pour se sentir en sécurité dans le groupe.

13Nous constatons que deux règles reviennent systématiquement à chaque nouveau groupe : celle de garder secret ce qui se dit et se fait et celle de ne pas se disputer. Nous interprétons cette préoccupation comme le reflet de ce qu’ils vivent dans leur quotidien, à savoir notamment des menaces d’éclatement face au conflit parental constant.

14Nous sommes vigilantes à ne pas rejouer ce qu’ils vivent au quotidien, à savoir des règles arbitraires, modifiées au gré des événements ou du bon vouloir des adultes, dans ce climat où tous les coups semblent permis. Nous veillons toutefois à ce que les enfants puissent vivre dans le groupe une expérience où le désaccord est permis, non-menaçant et nommé par les co-animateurs. Nous prenons conscience que pour eux, envisager qu’il y ait des différends dans le groupe, les plonge dans une certaine angoisse.

15En effet, la mise en groupe thérapeutique permet d’observer rapidement les modes relationnels des enfants dans leurs échanges avec les adultes et leurs pairs.

16En ce sens, la co-intervention montre aux enfants un mode de fonctionnement relationnel qu’ils n’ont pas nécessairement rencontré. Nous sommes attentives à verbaliser en séance nos points de vue différents, nos avis contradictoires, les nuances aux interprétations de l’autre collègue, sans que cela ne mène au conflit ou à la rupture du lien.

17Les mécanismes de défense des enfants dans le groupe sont moins massifs [3], les pairs étant investis sur un mode d’identifications et de projections, constitutif d’un véritable moi-auxiliaire. Le groupe aide à remettre en question les systèmes défensifs habituels, puisque l’étayage sur les autres rend la déstabilisation moins dangereuse. Nous pensons qu’un tel espace les aide à symboliser leurs expériences propres et donc, à donner du sens à leur vécu sans prendre le risque de se sentir anéantis.

Les rituels

18Les séances sont ritualisées par des activités d’entrée et de sortie ainsi qu’un moment de goûter.

Le rituel d’entrée

19Nous commençons toutes les séances par le partage d’un évènement positif et d’un événement négatif survenus entre les séances et ce, pour chaque enfant. Cet exercice permet de re-situer le temps groupe dans une temporalité et une réalité extérieure, tout en sollicitant l’émotion propre de l’enfant. Cet exercice est d’autant plus fondamental que les enfants confrontés à un couple parental en conflit sont, en permanence, en souffrance dans la question du passage, notamment lors de l’échange de l’un à l’autre parent, au moment du changement de garde.

20Le conflit amène les parents à se déchirer les enfants. Les enfants nous relatent combien ces moments de transition sont niés par les adultes. Nous faisons un parallèle avec les processus d’accordage[4] et de désaccordage affectif développés par Daniel Stern.

21Nous pensons que ces moments d’accordage et de désaccordage manquent aux enfants pris dans ces conflits. Les moments de séparation sont brutaux, non nommés, et parfois ressentis, au propre comme au figuré, comme un arrachement.

22Comment l’enfant peut-il dès lors intégrer la permanence de l’autre parent s’il doit le quitter de manière aussi brutale ? A quelle image interne de son parent peut-il faire confiance, et ce d’autant plus lorsque son autre parent souhaite l’annihilation de celui-ci ?

23Nous constatons chez les enfants que nous rencontrons combien ils ont peu accès à ces transitions. Le conflit entre leurs parents fait qu’ils doivent passer de l’un à l’autre brutalement sans avoir le droit de jeter un regard en arrière, ou de faire un bisou au parent qu’il quitte, car ce geste est interprété par l’autre parent comme étant contre lui-même.

24Tel Boris qui explique que le passage de l’un à l’autre se fait sur une aire d’autoroute. Je descends de la voiture de papa, et je ne peux pas me retourner pour lui faire signe au revoir, sinon, maman me dit que je le préfère à elle !

25Certains enfants n’ont pas le droit d’emporter un objet transitionnel comme leur doudou, leur GSM, sous prétexte que l’autre parent ne le rendra pas.

26Ceci représente un déni des besoins psychiques et émotionnels de l’enfant.

27Une autre illustration de ce vécu d’arrachement est une discussion avec les parents de Sarah, âgée de 6 ans. Le papa de Sarah nous dit que la maman refuse que sa fille emmène son doudou « Lapinou » chez lui. Lorsqu’à la séance suivante nous reprenons cela avec la maman, celle-ci est fière de nous dire qu’elle a trouvé la solution. Elle a coupé les oreilles de Lapinou et sa fille peut les emmener chez son père. Ceci est à l’image de ce que ces enfants peuvent vivre.

28C’est dans le souci que les enfants puissent ré-éprouver ces processus d’accordage-réaccordage, que nous sommes attentives à respecter ces exercices-rituels, dont fait partie l’événement positif et négatif de ce qu’il s’est passé entre les séances.

29Nous remettons ainsi un peu de lien et de continuité entre les séances, et entre eux et nous. Cet exercice est aussi l’occasion pour les animateurs de percevoir les ressources émotionnelles ainsi que les défenses propres à chaque enfant, telles que la fascination, la sidération, les comportements héroïques, la banalisation d’évènements traumatiques, etc.

30Ce rituel d’entrée met aussi en évidence la difficulté pour certains enfants de trouver un évènement personnel, montrant à quel point ils sont dans le désir de l’autre et peu dans leur vécu propre.

Les rituels de fin de séance

31Le rituel de fin de séance, quant à lui, se déploie à partir de deux outils : d’une part, la chenille et d’autre part, le visage de fin de séance.

32Le visage de fin de séance part d’un visage vierge (un rond vide) que chacun doit remplir en fonction de comment il se sent à la fin de la séance (figure 1). Cet exercice montre comment chacun réagit lors du moment de la séparation, mais aussi de l’adéquation entre les émotions ressenties lors de la séance et celles exprimées en fin de séance.

Figure 1

Visage de fin de séance vierge

Figure 1

Visage de fin de séance vierge

33En tant que thérapeutes, nous réalisons également un visage de fin de séance, ce qui permet de renommer parfois certains moments qui ont été perçus comme plus angoissants ou plus éprouvants émotionnellement durant la séance. Cela nous permet également de faire part de certaines questions ou réflexions : Je me demande comment chacun va faire avec ces images difficiles dont on a parlé aujourd’hui. Je suis épatée par votre créativité et l’imagination que vous avez montrée durant cette séance, etc.

Figure 2

Dessins de fin de séance réalisés par un groupe d’enfants - 2ème séance

Figure 2

Dessins de fin de séance réalisés par un groupe d’enfants - 2ème séance

34Cette photo illustre les visages remplis par les enfants et nous-mêmes à la fin de la deuxième séance d’un groupe. Nous pouvons percevoir, à travers ces visages, les différentes émotions suscitées par la séance, mais aussi par la fin de la séance, et donc la séparation avec le groupe. Nous attirons l’attention particulièrement sur le visage de fin de séance de Lucien (visage vert en haut à droite), dont nous reparlerons dans la deuxième partie de notre article. Lucien nous a inquiétées tout au long du groupe par son insécurité importante et sa difficulté à canaliser ses émotions. Enfin, cette photo montre notre participation à l’exercice, en reprenant ici en l’occurrence les choses positives vécues dans la séance afin d’atténuer la difficulté de la séparation.

La co-animation

35Il est évidemment fondamental que les co-thérapeutes travaillent dans une confiance mutuelle. La confiance permet des ajustements dans les différentes positions que nous sommes amenées à prendre en fonction de ce qui est apporté par les enfants. Tel un jeu d’équilibriste, nous jonglons subtilement avec les mouvements transférentiels et contre-transférentiels dans lesquels nous sommes prises.

36La co-intervention est essentielle dans le travail de groupe car elle représente la différenciation et montre aux enfants un mode de fonctionnement relationnel auquel ils n’ont pas toujours nécessairement accès.

37La fonction de l’adulte dans le groupe est importante puisqu’il se trouve à la fois dans et hors du groupe. Il occupe donc une certaine position méta.

38L’adulte est également un réceptacle privilégié pour que les enfants expérimentent la survivance de l’objet[5]. En effet, quel que soit le groupe, après chaque séance, nous nous sentons particulièrement épuisées. Animer un tel groupe demande énormément d’énergie tant physique que psychique tant les enfants testent la solidité du cadre, mais aussi notre capacité à contenir leurs débordements émotionnels malgré leurs attaques du cadre. En ce sens, c’est essentiel pour eux de pouvoir retrouver les co-thérapeutes à la séance suivante, reposées, à nouveau disponibles et heureuses de les accueillir.

La dynamique propre à chaque groupe

39Chaque séance nécessite un ajustement continuel des animateurs aux mouvements psychiques individuels et de groupe.

40Ce mouvement d’accordage est à l’image du fonctionnement maternel dans l’ajustement aux émotions des enfants. Il vise, en outre, à permettre aux enfants de faire l’expérience de l’identification à la souffrance de l’autre, et dans le même temps, de s’en dégager et reconnaître leur propre souffrance.

41Par ailleurs, aux différents temps du groupe, la dynamique s’amorce par une alternance entre des moments de fusion et des moments de rupture, de mise à distance. Certains groupes tentent de gommer les différences intergénérationnelles par une entrée en relation de type fusionnelle, où l’autre et soi ne font plus qu’un. Ce type de dynamique de groupe se joue avec des enfants qui, par exemple, souhaitent notre participation active aux différents exercices, identique à la leur, ou encore en nous renvoyant différentes questions proches de leur propre vécu, comme par exemple : Et vous, vos parents sont séparés ? Nous expérimentons alors la nécessité de maintenir notre cadre et ainsi, la différence inter-générationnelle. Répondre positivement à leur fantasme de fusion risquerait de plonger le groupe dans l’angoisse de l’indifférenciation.

42Nous retrouvons ces dynamiques dans les coalitions entre les enfants. Certains ne se sentent rassurés que s’ils peuvent investir un autre, une sorte de double, qui leur sert de support narcissique pour se sentir valorisés. Ceci peut se faire au détriment des autres enfants.

43D’autres dynamiques de groupes sont propices à exacerber chez certains enfants la jouissance que procure la théâtralisation de scènes traumatiques qu’ils ont vécues, comme des scènes de tentative de meurtre, de tentative de suicide, de fugue, de menace de leur intégrité physique, de l’utilisation de couteau… Ceci peut également favoriser un sentiment de fascination par rapport à ce que cela provoque chez leurs pairs. Il est donc fondamental de cadrer ces mouvements afin d’éviter la répétition morbide et/ou la reviviscence de leur propre trauma avec le risque de porter atteinte aux défenses de chacun et de provoquer ainsi soit de la sidération, soit de l’anéantissement.

44Pour permettre au lecteur de mieux appréhender ces processus, nous relatons un exercice, en l’occurrence la réalisation du panneau stop, qui montre comment la dynamique se met en place par l’effet du groupe.

45Cette séquence illustre comment le groupe est partagé dans un premier temps entre la sidération et l’excitation. Ces émotions réactivent chez certains enfants des scènes traumatiques, dont ils vont faire part au groupe, parfois dans un mouvement de surenchère. Notre rôle est à la fois de permettre la verbalisation, tout en veillant à ce que cela ne suscite pas trop d’angoisses chez les enfants. La fin de la séquence se termine sous un mode d’expression d’affects plus dépressifs.

46Cette séquence éclaire quant au vécu psychique des enfants, et notamment quant à leur détresse face au non-respect de la loi ainsi qu’à leur confrontation aux scènes traumatiques amenées par le conflit parental.

47La séquence se déroule au moment où nous proposons à chaque enfant de réaliser un panneau stop. Nous détaillons dans le cinquième niveau de contenance la fonction de cet outil. A chaque enfant, nous demandons : A quels moments pensez-vous que chacun utiliserait son panneau stop ?

48Au sujet du panneau de Karina, Charlotte dit : elle l’utilise quand son papa ne respecte pas le code de la route, elle se dit alors qu’il est fou !

49A cela, Caroline ajoute : ma maman aussi est folle, Jonas (son beau-père) l’enferme dans sa chambre, il dort avec un couteau, j’ai peur pour ma maman.

50Charlotte surenchérit, voyant que cela provoque l’excitation et de l’amusement chez les autres. Elle fait le clown et répète plusieurs fois : mon papa est fou, mon papa est fou !

51Noéline explique alors les disputes où le vase vole par la fenêtre et l’ordinateur par terre.

52Charlotte crie à tue-tête qu’elle a une blague à raconter aux autres, et, reprenant les paroles de son père à sa mère, dit : si ta fille dit non (à la garde alternée) je te tue et je la tue !

53A ce moment-là, une de nous interpelle l’autre animatrice en lui disant : Je me demande comment elles se débrouillent avec toutes ces images très dures !

54La collègue acquiesce en ajoutant : oui, ce sont des choses très graves, que la loi interdit !

55Cela permet à Noéline de quitter le mouvement de surenchère, et de dire : quand ils se disputent, je reste au milieu, c’est difficile de choisir quand on les aime tous les deux.

56Ce changement de registre permet à Anna, silencieuse jusque-là, d’enfin intervenir en disant qu’elle voudrait dire stop quand on lui demande de choisir, ou qu’elle aimerait avoir 4 ans pour ne pas devoir choisir.

57On recadre à nouveau en ramenant la loi, qui permet effectivement au Juge d’entendre l’enfant, mais c’est lui seul qui peut décider au sujet de la garde.

58Par ailleurs, nous soulignons combien nous sommes touchées par le fait qu’elles pensent qu’elles doivent choisir, alors que les enfants ont le droit d’aimer et de vivre avec leurs deux parents.

59Cette séquence se termine alors par l’expression d’affects de tristesse. Caroline dit : Quand je suis chez papa, je veux aller chez maman et quand je suis chez maman, je veux aller chez papa.

60Anna poursuit en disant : quand je reviens chez papa, je suis triste, et quand je suis chez maman je suis triste.

61Charlotte termine en disant : heureusement, j’ai mon doudou !

La créativité et les médias favorisant sa mobilisation

62Notre travail s’inspire d’une citation de Verity Gavin, thérapeute anglo-saxonne, pour enfants victimes de maltraitance, qui suggère que le meilleur moyen d’encourager l’enfant à aborder ses conflits les plus profonds est de l’aider à capter sa créativité innée. Le courage d’affronter les anxiétés et les épreuves est fondé sur la capacité créative de l’être[6].

63Tous nos exercices sont pensés sur base de cette créativité, qui est vraiment le fil conducteur de notre travail. Nous n’offrons pas de modèles de création aux enfants. La consigne est de créer un petit quelque chose de lui, avec le matériel à disposition.

64Nous nous centrons sur le dessin d’un enfant à la fois, et proposons à chaque membre du groupe, à tour de rôle, de dire quelque chose du dessin de son camarade avec la consigne : Qu’est-ce que tu penses deviner de lui à travers son dessin ou son bricolage ? Qu’a-t-il voulu montrer de lui ? Pourquoi, selon toi, a-t-il voulu faire ça ? etc.

65Cet exercice nous laisse entrevoir, pour chaque enfant, à la fois une part de projection de son propre monde interne dans le dessin de l’autre, une certaine identification à la souffrance de l’autre et sa capacité d’empathie. Selon nous ce qui fait réellement la richesse et le potentiel thérapeutique de tels outils, c’est d’être attentif non seulement à ce que chaque enfant projette de lui-même dans la production de l’autre, mais aussi que l’enfant, qui présente sa production, puisse se sentir compris et reconnu dans sa souffrance. En ce sens, la richesse de ce travail réside dans les ressources thérapeutiques du groupe qui sert à la fois d’expérience de liaison psychique et de moi auxiliaire dont la finalité est de créer un espace de pensée propre, déployé à partir de la créativité des enfants.

66Nous présentons deux outils que nous utilisons dans le groupe, que nous avons appelés respectivement le panneau STOP et le dessin de soi.

Le panneau STOP

67C’est une des premières choses que nous proposons aux enfants de réaliser après l’élaboration des règles du groupe. La symbolique qui s’y réfère est essentielle dans le travail que nous tentons d’atteindre.

68Nous partons du postulat que les enfants qui participent au groupe n’ont pas souvent, dans leurs expériences de vie quotidienne, l’opportunité de dire non ou stop aux différents enjeux dont ils sont l’objet.

69Dans le groupe, nous envisageons le STOP comme la possibilité pour l’enfant d’être acteur d’un temps d’arrêt dans le déroulement du groupe, mais aussi comme un indice de sa capacité de se différencier, que ce soit de l’autre (pair) ou de l’adulte (thérapeute).

70Par ailleurs, nous réfléchissons avec les enfants quant au moment où ce panneau peut être utilisé et terminons souvent par la question : Et à la maison, si vous deviez l’utiliser, quand et comment auriez-vous envie de le faire ?

71Au-delà de l’utilisation du panneau stop dans le groupe et de la symbolique qui s’y réfère, il est particulièrement intéressant d’observer comment les enfants réalisent concrètement leur panneau : est-ce facile ou difficile pour eux de réaliser un tel panneau ? Quelle en est la solidité ? Quel message ajoutent-ils sur leur panneau ? Quelle couleur choisissent-ils ?

72Nous présentons ci-dessous quelques panneaux réalisés par les enfants.

73Voici l’exemple de Louis âgé de 7 ans (Figure 3). Il réalise cinq petits panneaux stop, comme s’il fallait ajuster à chaque destinataire le langage approprié pour se faire comprendre. Louis verbalise le fait qu’il se sent démuni de ne pas savoir quel panneau utiliser pour se faire entendre. Le groupe lui renvoie que ses panneaux ne sont pas solides, qu’on ne voit pas le message stop. Nous lui proposons alors de les consolider. Il y ajoute un bâton à l’arrière.

Figure 3

Panneau stop de Louis

Figure 3

Panneau stop de Louis

74La figure 4 représente le panneau d’Alec, 9 ans. Lorsqu’il montre son panneau, le groupe réagit en disant que c’est comme si Alec pensait qu’il faut tirer à la carabine pour que ses parents entendent son stop. Alec acquiesce mais ajoute, découragé : Même la mort ne les arrêtera pas !

Figure 4

Panneau stop d’Alec

Figure 4

Panneau stop d’Alec

Le dessin de soi

75L’objectif de ce deuxième outil est de réaliser avec le matériel mis à la disposition, un dessin ou une production qui parle de soi : la consigne est : Fabriquez, dessinez, mettez en scène quelque chose qui raconte au groupe quelque chose de vous, ce que vous aimez, ou que vous n’aimez pas, un rêve… Cette production est tout à fait libre et individuelle.

76Voici le dessin de soi de Fiona, 8 ans (Figure 5). Les réactions des enfants illustrent la projection de leur vécu sur ce dessin puisque Léonie (10 ans) commente le dessin de Fiona : Elle a fait deux cœurs un pour son papa et un pour sa maman, comme ça elle peut découper son amour et le distribuer à son papa et à sa maman, ou encore le commentaire de Noéline : Sa maman la veut (en parlant de Fiona) et son papa aussi, ils se l’arrachent !

Figure 5

Dessin de soi de Fiona

Figure 5

Dessin de soi de Fiona

2 – Cinq profils d’enfants confrontés à une séparation parentale conflictuelle [7]

77Au fur et à mesure de notre expérience de la clinique du groupe thérapeutique, nous avons mis en évidence cinq profils d’enfants en fonction des mécanismes de défense que ces enfants mettent en place face à l’angoisse que provoque le conflit massif entre leurs parents.

L’enfant sparadrap

78La catégorie que nous rencontrons le plus fréquemment concerne les enfants qui n’ont d’autre issue que de choisir un camp, soit celui de leur père, soit celui de leur mère, soit une alternance liée aux évènements de vie.

79Nous observons chez ces enfants un collage massif au parent choisi, sans aucune possibilité de différenciation, ni de pensée propre. Ils sont aspirés dans l’incapacité de leur parent à supporter la triangulation, et donc, l’existence d’un autre dans la vie de leur enfant.

80Ce type de fonctionnement cache souvent une pathologie chez l’adulte, en lien avec ses propres figures d’attachement. L’enfant perçoit la menace d’effondrement chez son parent et tente, de manière illusoire, de colmater la brèche réactivée par le départ de l’autre parent. C’est en ce sens que nous parlons d’enfant sparadrap.

81Par ailleurs, ce choix d’un camp provoque chez l’enfant des angoisses liées à son impuissance, mais aussi, à la culpabilité d’abandonner l’autre parent. Pris dans cette illusion d’être tout pour son parent, l’enfant développe une angoisse d’engloutissement contre laquelle il lutte, souvent, par une compensation alimentaire importante.

82De plus, nous constatons régulièrement que des troubles de la relation parents-enfant et de l’attachement semblent préexister à la séparation.

83Nous observons également que ces enfants ont souvent un de leurs deux parents extrêmement angoissé, ce qui a perturbé le processus d’intégration de la permanence de l’objet chez l’enfant et donc la garantie inébranlable que l’autre survit et reste malgré l’absence.

84En situation de séparation parentale conflictuelle et dans ce contexte d’impossibilité de penser l’absence, la solution psychique pour l’enfant est de rester collé à l’un de ses parents, souvent le plus fragile narcissiquement, ou le plus enclin à s’effondrer psychiquement. En contrepartie, l’enfant se voit psychiquement obligé d’abandonner son autre parent, puisqu’il lui est impossible de quitter des yeux son parent fragile, sous peine (fantasmatique) de le perdre à jamais.

85Ces enfants développent, en conséquence, des capacités de mentalisation pauvres, une insécurité massive et des angoisses d’abandon importantes.

Figure 6

Dessin de soi de Bryan, 7 ans

Figure 6

Dessin de soi de Bryan, 7 ans

Bryan vit principalement chez sa mère, qui est en conflit avec son père depuis trois ans. Sa maman est dépressive et souffre d’alcoolisme. Bryan refuse d’aller chez son père les WE.
Bryan illustre sa mère comme étant dans la Tour Eiffel, et lui, seul, dans l’avion, comme unique moyen de « surveiller » sa mère.

L’enfant soldat

86Le deuxième type de profil clinique concerne des enfants qui, bien souvent, ont face à eux des parents qui paraissent moins fragiles. L’enjeu du conflit s’y définit en termes de gagnant et de perdant. L’enfant est utilisé comme arme de guerre dans la lutte contre l’autre parent. Dans ce combat, tous les coups semblent permis, y compris celui de sacrifier l’enfant en annulant ses besoins et son droit à être reconnu dans ses propres émotions et ressentis.

87Le fonctionnement relationnel parental amène ce type d’enfants à douter de la capacité des lois à protéger les humains, et donc de le protéger lui-même. Il expérimente que tout est permis, que rien n’arrête ses parents, et que le tiers est nié, ou saboté. Il n’est pas surprenant, dès lors, que ces enfants, dans leur développement, s’inscrivent dans une défiance des lois. De plus,

88il leur est difficile d’intégrer la notion de respect de l’autre, puisqu’ils ont été confrontés à des parents qui leur ont montré une faible capacité d’empathie, notamment par rapport à leur propre souffrance.

89Dans un certain nombre de cas, on observe même chez ces parents une certaine jouissance face à la souffrance de l’autre parent. Dans cette lutte de pouvoir, l’enfant est appelé à participer activement à la guerre. Il se voit utilisé et se retrouve vite dépassé par sa mission.

90Cette instrumentalisation et la négation d’eux-mêmes provoquent chez ces enfants une détresse qui s’exprime soit sous forme d’une colère retournée contre eux-mêmes, soit par un vécu de toute puissance vis-à-vis des adultes et des lois, avec comme conséquence des mises en danger diverses : fugues chez des enfants de huit ans, attaques fantasmatiques mortifères, décrochage scolaire, tentatives de suicide, acte de délinquance, …

Figure 7

Dessin de soi de Lucien, 11 ans

Figure 7

Dessin de soi de Lucien, 11 ans

L’enfant ping–pong

91Un troisième profil que nous mettons en évidence concerne les enfants qui présentent une hyper-agitation. Celle-ci a, selon nous, deux fonctions essentielles : d’une part, lutter contre des affects dépressifs qu’il perçoit chez son parent, et d’autre part, détourner l’attention des adultes du conflit.

92Ces enfants semblent ne pas avoir suffisamment expérimenté un environnement pare-excitant et ce, dès leur toute petite enfance. Nous émettons l’hypothèse que l’agitation vient en réponse au fond dépressif perçu par le petit chez son parent et provoque, comme bénéfice secondaire, de recentrer l’attention de son parent sur lui-même. En s’agitant, l’enfant occupe son parent, et le maintien en vie psychique, voire parfois réelle. C’est en cela que nous l’appelons enfant ping-pong.

93Ce type d’enfant est dans la crainte de quitter son parent fragile, car il doute de la capacité qu’a ce parent de prendre soin de lui-même en l’absence de l’enfant. On perçoit bien comment les troubles de la relation se sont structurés très tôt, bien avant la séparation du couple. La fragilité liée à la séparation accentue les inquiétudes de l’enfant concernant son parent.

94En situation de conflit parental, ce mécanisme est en effet exacerbé et non contenu par l’environnement. Au contraire, la réalité de la séparation vient confirmer la victimisation et la faiblesse du parent. La culpabilité de ne pas pouvoir soigner ce parent provoque un vécu dépressif chez l’enfant, qui peut passer inaperçu tant les difficultés de comportement occupent toute la place. L’agitation est alors aussi un mécanisme de défense aux allures maniaques pour tenter d’annuler ces affects désagréables. Ces enfants présentent une pulsionnalité importante, ils sont dans le tout, tout de suite, avec une tolérance à la frustration très faible.

95Comme dans le premier profil, on observe chez ces enfants des capacités de mentalisation qui sont fragiles et des angoisses importantes.

Figure 8

Dessin de soi de Laurent, 11 ans

Figure 8

Dessin de soi de Laurent, 11 ans

Laurent est en garde alternée. Sa maman est gravement dépressive, et lui a été diagnostiqué hyperactif.
Dans ce dessin, on perçoit le côté éclaté de Laurent, que nous avons retrouvé dans toutes les séances du groupe. Des éléments plus persécutifs sont aussi présents, comme les requins, qui rendent l’environnement menaçant. Il n’y a pas de contenant au dessin à part la « feuille ».

L’enfant conjoint

96Ce profil reprend les enfants qui sont dans une dynamique relationnelle de séduction importante vis-à-vis des adultes. Selon nos observations, ces enfants grandissent dès le départ dans un climat incestuel, où les adultes les maintiennent dans une ambiguïté quant à leur place de petit homme ou de petite femme, sans que la barrière intergénérationnelle ne soit clairement définie. Par le conflit, ils sont maintenus dans l’illusion d’être à une place de partenaire émotionnel privilégié. Renforcés narcissiquement, ces enfants participent au dénigrement de l’autre parent, pensant ainsi garantir la réalisation de leurs fantasmes œdipiens.

97Ces enfants sont dès lors en décalage au niveau relationnel avec leurs pairs, et sont souvent adultifiés.

98Nous pensons que le risque majeur pour ces enfants se situe à l’adolescence. En effet, confrontés à la réalité de l’impossible inceste, ils sombrent dans un sentiment d’abandon majeur entremêlé à un vécu d’avoir été utilisés par ce parent. Une fois adolescents, ils sont à risque d’être soit dans une sexualité compulsive pour lutter contre ce sentiment d’abandon, soit dans une soif d’être aimé qui font d’eux une proie sexuelle facile.

Figure 9

Thermomètre des émotions de Dorianne, 9 ans

Figure 9

Thermomètre des émotions de Dorianne, 9 ans

Le conflit majeur perdure depuis 4 ans. Dorianne vit chez son père suite à des révélations d’attouchements de la part de son beau-père, qui s’avèreront fausses. Dorianne dit qu’elle a inventé ça pour attirer l’attention et qu’elle préfère être « la petite chérie » de son père. Le père a eu une relation avec la fille aînée (d’une précédente union) de la Maman de Dorianne.
Nous observons qu’elle choisit des images chargées au niveau de la sexualité, mais relativement neutres et homogènes au niveau de l’expression des émotions de leur visage.

L’enfant oublié

99Le dernier profil concerne les enfants qui apparaissent comme sur-adaptés, et dont le risque pourrait être de les oublier. Nous l’avons d’ailleurs nommé : l’enfant oublié.

100Ce type d’enfant ne présente ni trouble du comportement, ni du développement. Il semble se construire sans trouble affectif apparent. Toutefois, nous sommes interpellées par l’énergie psychique déployée pour maintenir un tel équilibre. Ces enfants sont comme un équilibriste sur son fil, pouvant s’effondrer à tout moment, sans que l’environnement direct n’ait perçu le moindre signe avant-coureur. Ils nous apparaissent être au-dessus des enjeux du conflit, flottant de l’un à l’autre sans jamais s’arrêter sur leur ressenti, ne pouvant s’appuyer sur des bases solides.

101Ils nous semblent chercher leurs modèles identificatoires chez leurs pairs, ou dans leur fratrie. Ils montrent une certaine banalisation des évènements et des affects, et font preuve d’un certain détachement émotionnel.

102Nous observons aussi des capacités d’adaptation importantes vis-à-vis de l’environnement. Leurs mécanismes de défense favorisent donc le risque qu’ils passent inaperçus. Dans les cas les plus graves, le danger est soit qu’ils se développent en mode faux self, soit qu’ils développent, en secret, une colère importante envers le monde adulte. La construction des images du couple est également malmenée.

103Ces enfants ont tendance à développer la croyance de devoir s’en sortir seul, ne pouvant compter sur personne d’autre qu’eux-mêmes !

Figure 10

Panneau STOP de Charlotte, 7 ans

Figure 10

Panneau STOP de Charlotte, 7 ans

Chacun des parents est convaincu que Charlotte va très bien. Elle est brillante à l’école et ne montre aucun signe de souffrance apparent.
Elle réalise un panneau STOP assez bien construit, où on perçoit clairement le message. Charlotte doit toutefois ajouter Papa et Maman sur son panneau, et de nombreuses plumes qui illustrent bien l’énergie et le côté « trop » qu’elle doit faire. Cet enfant dans le groupe faisait « le clown » et racontait en riant des évènements très graves. Son panneau « stop » est en soi un panneau « clown », où elle surajoute avec des plumes, des paillettes et des cœurs.

Conclusions

104Il y a plus de dix ans, lorsque nous avons mis en place nos groupes thérapeutiques, nous estimions que le vécu de ces enfants relevait de faits de maltraitance de type psychologique, impactant gravement leur psychisme et nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire. C’est pourquoi nous avons défendu ce dispositif thérapeutique plus spécifique qu’est celui du groupe.

105La souffrance des enfants que nous rencontrons au quotidien nous confirme la violence sous-jacente à ces enjeux de couple parental.

106Aujourd’hui, ce constat semble acquis au niveau de la société, suscitant même une large vague de mises en place de cette approche thérapeutique dans les équipes de soin.

107Notre réflexion se poursuit par ailleurs et nous concluons cet article par quelques-unes de nos dernières observations concernant les couples parentaux englués dans la violence d’une séparation conflictuelle. En effet, nous constatons la récurrence de trois problématiques relationnelles ou psychiques chez ces adultes :

  • La première concerne une difficulté (plus fréquente chez la mère), à supporter la triangulation. Le parent cherche à rester dans une relation duelle avec son enfant, à l’image de ce qu’il a connu dans ses propres modèles parentaux.
  • Le deuxième cas de figure que nous observons est lorsque la séparation du couple parental favorise l’émergence d’un nouveau « couple » grand-mère/ père ou grand-père/mère. Ceux-ci semblent se liguer contre l’ex-conjoint. Le conflit vient alimenter une tentative de réappropriation incestueuse inconsciente d’une grand-mère avec son fils, ou d’un grand-père avec sa fille.
  • Dans la troisième problématique rencontrée, le conflit semble permettre au nouveau couple père/ belle-mère ou mère/beau-père de se solidariser contre l’autre parent, donnant ainsi une existence et/ou une illusion de légitimité au nouveau couple.

108Ces observations cliniques nécessitent bien sûr d’être étoffées et approfondies. Il nous semble intéressant d’approcher les enjeux relationnels et psycho-affectifs sous-jacents chez les adultes afin d’éclairer le thérapeute et les parents quant à la fonction du conflit, au regard de l’histoire de chacun.

109En effet, cela permettrait d’améliorer la prise en charge des enfants et de ces parents en grande souffrance, d’autant plus dans les situations de conflit qui ne s’apaisent pas dans le temps.

1102019 reste l’occasion, pour l’équipe de Charleroi, de se pencher sur ces questions afin de trouver les clés nécessaires pour désamorcer ces conflits.

111Enfin, notre pratique de groupe a fait l’objet de plusieurs rencontres avec d’autres professionnels souhaitant mettre en place un groupe similaire. Nous les en remercions et espérons que cette pratique leur permette, à eux aussi, d’alimenter leur créativité et ainsi aider à tenir psychiquement face à ces situations tellement dévastatrices.

Bibliographie

Références

  • Ainsworth, M. (1978). La situation étrange. Identification des modes d’attachement.
  • Berger, M. (2003). L’enfant et la souffrance de la séparation. Divorce, adoption, placement. Collection Enfances, Editions Dunod.
  • De Lara, A. et De Lara, P. (2003). L’enfant, objet transitionnel de la médiation familiale. DIALOGUE. Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille.
  • Drory, D. L’enfant et la séparation parentale. Temps d’Arrêt.
  • Garbar, S. et Plennevaux, V. (2014). Les dynamiques de séparations parentales conflictuelles : quel impact sur le psychisme des enfants ? Le thérapeute face aux crises. Revue Psycorps Volume 18.
  • Garbar, S. et Plennevaux, V. (2014). Groupes thérapeutiques à destination d’enfants victimes de séparations parentales conflictuelles au sein de l’équipe SOS Enfants de Charleroi. Le groupe dans tous ses débats. Revue Mille lieux ouverts, N°51.
  • Garbar, S. et Plennevaux, V. (2012). Le groupe comme outil thérapeutique pour l’enfant dans les séparations parentales conflictuelles. Fruits de l’amour, pommes de discorde. Paroles d’enfants.
  • Garcia, V. Comment garder le lien conjugal et/ou parental. Informations sociales, n 144.
  • Gavin, V.J. Etre en relation de manière créative avec des jeunes victimes d’abus sexuels. Bulletin de l’Action Enfance maltraitée, n°68.
  • Gavin, V.J. La thérapie individuelle par le Jeu et la Créativité chez l’enfant et le jeune victime d’abus sexuels. Bulletin de l’Action Enfance maltraitée, n°69.
  • Golse, B. et Roussillon, R. La naissance de l’objet. Editions Le fil Rouge.
  • Goncalves, P. et Grimaud De Vincenzi, A. (2003). D’ennemis à coéquipiers, le difficile apprentissage de la coparentalité après un divorce conflictuel. Thérapie familiale, Genève, Vol.24, No 3, pp. 239-253.
  • Grechez, J. (2005). Le maintien des relations enfants-parents à l’épreuve de la séparation. DIALOGUE. Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille.
  • Malagoli Togliatti, M., Lubrano Lavedera, M. et Franci, M. (2005). Les enfants du divorce comme protagonistes actifs de la séparation conjugale. Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, n° 34.
  • Roisin, J. (2010) De la survivance à la vie, essai sur le trauma. Les presses universitaires de France.
  • Stern, D. (1989). Le monde interpersonnel du nourrisson. Editions Le fil Rouge.
  • Winnicott D.W. (2002). Jeu et réalité. Editions Gallimard.

Notes

  • [1]
    La tradition psychanalytique l’entend dans le sens « d’appui sur »
  • [2]
    Le détail de ce travail et les illustrations avec les productions d’enfants ont fait l’objet d’une première publication dans Garbar, S. et Plennevaux, V. (2014). Les dynamiques d e séparations parentales conflictuelles : quel impact sur le psychisme des enfants ? Le thérapeute face aux crises. Revue Psycorps Volume 18.
  • [3]
    Hormis pour les enfants présentant une fragilité de type psychotique ou état abandonnique, pour lesquels le groupe tel qu’il est pensé n’est pas indiqué.
  • [4]
    Il s’agit des influences réciproques de la vie émotionnelle du bébé et de celle de sa mère. Stern (1989) parle d’accordage affectif ou harmonisation affective entre la mère et l’enfant.
  • [5]
    Dans le sens de résister à la destructivité.
  • [6]
    Gavin, V.J. La thérapie individuelle par le Jeu et la Créativité chez l’enfant et le jeune victime d’abus sexuels. Bulletin de l’Action Enfance maltraitée, n°69. 2014
  • [7]
    Le détail de ces profils et les illustrations avec les productions des enfants se retrouvent dans la revue Psycorps, op.cit. ainsi que dans l’ouvrage collectif Garbar, S. et Plennevaux, V. (2012). Le groupe comme outil thérapeutique pour l’enfant dans les séparations parentales conflictuelles. Fruits de l’amour, pommes de discorde. Paroles d’enfants.
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