Couverture de CJUNG_105

Article de revue

Bloc-notes

Pages 91 à 100

Notes

  • [1]
    « Le Congrès de Versailles », Cahiers jungiens de psychanalyse, n101, 2000.
  • [1]
    M. Sandor-Buthaud, « La shoah et l’exil. Où est l’humain ? », Cahiers jungiens de psychanalyse, n95, été 1999.

Florence PAZZOTTU, L’accouchée, Chambéry, Éditions Comp’act, 2002.

1 Comment maintenir intact le vivant, la venue du vivant, le tenir, le mettre à l’abri des défigurations auxquelles le soumettent avec une constance implacable les savoirs établis et leurs formulations assorties ? (Au point que c’est cette défiguration que nous apprenons à identifier comme les différentes figures du vivant.)

2 Sara, l’accouchée du récit de Florence Pazzottu, est de ces êtres qui, parce qu’elle ne saurait faire autrement, ressuscitent cette question, toujours menacée d’être couverte, comme une voix singulière par le chœur du convenu.

3 La venue du vivant, c’est cela que vit Sara qui accouche d’une petite fille, son deuxième enfant : celle-ci naîtra à l’aube, à l’issue de la nuit qui a convoqué toutes les forces de Sara. Celles qu’exigent d’elle la traversée du vivant – et l’insoutenable douleur les épuise jusqu’à la dévastation – et celles qu’il faut mettre en œuvre (donc distraire de l’essentiel) pour contrer ce qui veut empêcher le vivant inconnu de cette traversée – césarienne et péridurale, par exemple, brandies comme les instruments indiscutables de ceux qui savent et veulent contraindre au lieu d’assister l’expérience de celle qui met au monde un être nouveau.

4 C’est parce que Sara parvient à soutenir ces deux luttes en même temps qu’elle accède à ce qu’on pourrait appeler l’esprit de la douleur : « [...] il y a quelque chose à apprendre de la douleur [...] on ne peut pas chercher la douleur pour cette chose qui peut-être nous serait révélée dans la douleur, mais on ne peut pas ne pas avoir fait cette expérience de la douleur [...] je ne veux pas qu’on me prive de la fin de la traversée de ma douleur [...] je veux qu’on laisse d’abord me parler ma douleur, il se peut que ce soit le mal absolu ma douleur [...] mais il se peut malgré tout que je supporte, il se peut que je dispose en moi d’une oreille pour entendre la parole fraternelle et terrible de ma douleur [...]. »

5 On pourrait dire que la question est encore plus vaste et profonde que celles qui scandent cette nuit d’accouchement – si cette nuit précisément ne convoquait, dans le récit de Florence Pazzottu, toutes les instances de sa vie confrontées à la même menace : que ce qu’il y a à vivre soit étouffé, étranglé par le regard, le discours momifiants qui dénient l’inconnu du vivant – qui dénient la nécessité de porter et de mettre au monde sa propre vie dans l’étonnement et l’écoute (et du corps et de l’esprit) – ceux-là mêmes que requiert la venue de l’enfant.

6 À ce déni – qui prétend assigner à résidence connue et repérable les mouvements du vivant – se conjoint un autre mépris, une autre ignorance : ceux de cette connaissance intuitive qui habite Sara et qui la fait, à condition qu’elle la laisse éclore sans vouloir s’en emparer, savoir que l’enfant va naître cette nuit-là, ou savoir distraitement retrouver un chemin qu’elle n’a emprunté qu’une fois. Parce que c’est un savoir qui « résiste à la saisie », parce que, dit Sara, « n’est pas une possession mon je sais [...], se partage autrement je le sais, se manifeste en creux mon je sais, car je n’est pas le lieu clos du je sais, c’est un non-lieu, une traversée que je sais », il fait scandale dans une civilisation qui croit à la toute-puissance de ses maîtrises : ainsi le jeune chercheur du CNRS qu’a un jour rencontré Sara se met-il en colère parce que « cela parle contre tout (son) travail » ; ou bien la sagefemme stagiaire qui, après examen, « ne voit rien du tout » s’apprête, tranchante, à renvoyer celle qui va accoucher.

7 Il y a beaucoup de paresse dans ce monde de certitudes et d’assignations – qui se veut si productif et efficace. Une mauvaise paresse qui interdit de travailler à inventer les formes qui donneront forme au vivant dans sa venue imprévisible (« [...] la forme / geste précis du risque/[...] fuyant les zones sûres/est le soutien fidèle / de l’élan qui éprouve / une pensée qui dure », dit, ailleurs, un poème de Florence Pazzottu). Dans l’histoire de Sara, « au commencement » – lorsque quelque chose de la conscience surgit – « au commencement est le langage » et c’est, dit-elle, « par le langage, et dans le silence soudain du langage, (que) deviennent possibles la vue, l’écoute ». C’est pourquoi L’accouchée invente sa langue, sa pulsation propres, qui traversent le lecteur en l’élargissant, en dissolvant les parois qui enserrent ce qu’il croyait être sa pensée.

8 Christiane Veschambre

Luigi ZOJA, Il gesto di Ettore. Preis toria, storia, attualità e scomparsa del padre, Torino, Bollati Boringhieri, 2000.

9 Il s’agit d’un ouvrage qui va certainement devenir une référence dans son domaine, d’abord pour la relative absence des monographies sur le père dans l’univers « psy », mais aussi pour son style clair et agréable qui permet au lecteur de suivre aisément une réflexion rigoureuse, exhaustive et bien documentée.

10 Dans le premier chapitre, la question de la paternité est abordée depuis l’origine. Une synthèse bien documentée souligne le rôle, pour mieux dire le « non-rôle », du mâle dans le règne animal, avec un intérêt spécifique pour nos cousins phylogénétiques, les grands singes.

11 Dans le second chapitre, Luigi Zoja aborde l’hypothèse d’une société matriarcale originaire, question qui a animé longtemps un vif débat entre anthropologues. Habilement, l’auteur n’entre pas dans ce débat, mais souligne, selon une tradition proprement jungienne, que « la psychologie devrait repenser le mystère matriarcal de ce point de vue : comme une production imaginaire », notamment du psychisme masculin primitif, dominé par les images de génération, d’accouchement, de renaissance, comme le montrent les statues du néolithique. Il s’agit de la « trace de l’inutilité qui avait marqué le singe mâle », c’est-à-dire d’un signe du travail psychologique et culturel des hommes pour arriver à construire symboliquement la paternité, notion absente du stade animal.

12 Le « geste d’Hector », c’est-à-dire l’image du père qui élève à bout de bras son enfant, serait l’image qui représentait et représente dans notre culture la « marque du père ».

13 Avec un saut de quelques siècles, dans le troisième chapitre, l’auteur expose la thèse selon laquelle la Révolution française d’abord, et la révolution industrielle ensuite, auraient bouleversé l’image et le rôle du père. Il s’agirait, depuis, d’une vraie disparition du père, d’une absence qui aurait marqué et continuerait de caractériser la société européenne et nord-américaine.

14 Le quatrième chapitre, « Le père aujourd’hui », débute ainsi : « On avait l’impression que, avec la civilisation européenne, le père avait conquis le monde. Au contraire, dans un nombre impressionnant de cas, il a déjà cessé d’exister. Le monde s’en rend compte seulement après coup. » Pour l’auteur, « la prolifération d’études sur le père nous communique, plus qu’une analyse globale de son personnage, une nostalgie globale de lui ». Il conclut : « Le père s’aperçoit qu’il a un problème avec les parties les plus féminines et adolescentes de sa personnalité, personnalité de moins en moins unitaire. »

15 Dans le dernier chapitre, l’auteur ne donne pas une conclusion à sa réflexion, pour bien marquer qu’il n’a pas à proposer de solutions ni de prévisions, ce qui est encore à mettre à l’avantage et à la qualité de cet ouvrage.

16 Malgré les mérites de ce livre, qui connaît déjà un large succès en Italie (il existe déjà une traduction en anglais), nous ne pouvons pas nous abstenir de quelques critiques.

17 Il ne s’agit pas d’un simple ouvrage de divulgation, grâce à sa richesse, sa complexité et la profondeur de sa réflexion, toujours bien appuyée du point de vue bibliographique. Par ailleurs, son style clair et agréable le rend accessible à un large public : pour suivre la pensée de Luigi Zoja, il n’est pas nécessaire d’être spécialiste en ce domaine, une bonne culture générale peut suffire. En outre, pour d’évidentes exigences de clarté, l’auteur a volontairement limité le champ de ses dissertations, évitant ainsi une lecture trop lourde. Mais on peut regretter l’absence d’un chapitre plus spécifique sur l’importance psychologique et symbolique du père. Évidemment ce sujet est évoqué tout au long du livre, mais l’auteur considère comme escomptées par son lecteur des notions de psychologie, comme par exemple celle de « tiers », qui devraient, à notre sens, être plus développées, au moins pour le lecteur non-spécialiste. En effet, le risque existe que le lecteur non averti en déduise que la figure du père se réduit à celle d’un modèle, aujourd’hui dramatiquement absent.

18 En réalité, nous savons très bien que la dynamique intergénérationnelle est extrêmement complexe pour les garçons, encore plus pour les filles. On a l’impression que les considérations de Luigi Zoja sont plus appropriées pour l’analyse dynamique de la psychologie masculine, et on peut se sentir un peu perdu si l’on recherche dans cet ouvrage une vision exhaustive de la fonction du père pour la fille.

19 Nous nous réjouissons de l’apparition de cet ouvrage où l’auteur intègre brillamment l’analyse de mythes anciens avec la littérature moderne et l’évolution phylogénétique avec les phénomènes sociaux actuels, tout en gardant le point de vue de la psychologie analytique selon la meilleure tradition jungienne et post-jungienne.

20 Mario Castello

Christian GAILLARD, Donne in mutazione, Bergamo, Moretti & Vitali, 2001.

21 Le livre de Christian Gaillard, Donne in mutazione (Femmes qui changent), se prête à de multiples lectures et sa synthèse n’est pas aisée à faire. Nous sommes en présence de plusieurs noyaux thématiques qui s’entrecroisent, s’agrègent et se répondent, déterminant une lecture tout à fait particulière : l’attention du lecteur est peu à peu déportée d’un thème à l’autre, parfois avec délicatesse, parfois, au contraire, brutalement, et il en ressort alors une sorte de vertige. Ce qui constitue le liant du livre est représenté non par son contenu, il s’agit de commentaires de tableaux, mais par une méthode de réflexion conduite de manière très personnelle et singulière, et en même temps très « jungienne ». On pourrait dire que l’approche de Christian Gaillard peut évoquer celle de Jung qui s’est, lui aussi, immergé dans un nombre important d’œuvres littéraires et picturales, se penchant sur chacune avec un regard « presbyte » pour y poser un commentaire radicalement psychologique. Jung ne s’est jamais intéressé de manière explicite à l’esthétique en tant que telle. La lecture des essais sur Joyce et Picasso le prouve amplement. Ce qui fascine Jung n’est pas tant la qualité esthétique de l’œuvre d’art que le témoignage qu’elle donne d’un formidable travail endopsychique.

22 Christian Gaillard se situe pleinement à l’intérieur de cette position jungienne. Le lecteur est ainsi conduit à parcourir, seul, nombre de peintures appartenant à diverses époques de l’histoire qui sont choisies à cause d’une cohérence de contenus agissant simultanément, et d’autres, à cause de leur correspondance avec ce qui intéresse le regard curieux de l’auteur, en particulier, comme l’indique le titre, le développement des représentations du féminin et des femmes en tant que telles.

23 Au début de son livre, Christian Gaillard se pose la question de savoir comment il est possible qu’une œuvre d’art, née dans des conditions précises qui nous sont inconnues, puisse donc toucher, activer et également transformer celui qui vit en un temps et un contexte qui en est souvent extrêmement éloigné. Il se demande également comment il peut se faire qu’une œuvre d’art entre en contact avec ce qui est important et central pour celui qui l’observe, comment elle peut l’accrocher, peut-être seulement en partie, précisément dans ce qui est au centre de l’élaboration et de l’organisation de cet individu-là. C’est dans la réponse à ces questions que Christian Gaillard ouvre le discours de Jung en proposant une thématique inattendue et des solutions qui tiennent compte des développements de la psychanalyse moderne. Il dit, par exemple : « Ce qui tend à se produire semble être plutôt l’expression reflétée par la peinture du rêve, de la rêverie ou du fantasme. » C’est-à-dire qu’il propose en substance une psychanalyse de l’art et une méthode spécifique du psychanalyste de l’art.

24 À la différence de l’historien ou du critique d’art « qui ont pour tâche d’élargir leurs fréquentations des œuvres d’une culture et d’une époque idéalement jusqu’à l’exhaustivité [...] le psychanalyste de l’art, au contraire, a tout le temps d’attendre qu’une œuvre d’art s’impose à lui avec une insistance suffisante pour qu’il s’y arrête vraiment et se mette à y travailler ». Il semble que ce « vraiment » soit essentiel : le psychanalyste de l’art attend que l’impact de l’œuvre d’art détermine un vrai contact psychique, semblable à celui qui peut s’établir avec les patients. « L’analyste apprend, dans sa pratique spécifique, à soutenir et à laisser vivre longtemps dans son silence, la pression énigmatique d’une représentation. »

25 Christian Gaillard s’avance au-delà du registre émotionnel et visionnaire, et introduit alors le monde de la sensation. En fait, la peinture réveillerait les toutes premières sensations inscrites dans la mémoire du corps. Il faut, dit-il, laisser jouer nos sens en rêvant.

26 La peinture met ainsi ceux qui l’observent en contact explicite avec les expériences psychiques les plus archaïques. « Au point de ne plus rien comprendre ? Oui, pour qui aurait la prétention, ou céderait au mirage d’un savoir apparemment d’autant plus assuré qu’il se ferait plus abstrait. Qui chercherait donc à fuir la perception des sens, en faisant recours à une formule définitive, à une lettre ou un chiffre, alors qu’elle est plurielle, hésitante et jusqu’à en être trop bouleversante. » Mais pour celui qui n’a pas cette prétention, n’est-ce sans doute pas « à travers le contact sensoriel qu’opère la peinture et qu’elle nous aide à retrouver et n’est-ce pas à travers la distance à laquelle elle nous oblige à nous tenir face à l’objet qu’elle nous fait passer d’un plaisir immédiat à l’expérience de la vie symbolique ? Et n’est-ce peut-être pas à cela que se consacre également le rêve dans les conditions qui lui sont propres ? » Ce qui a été dit jusqu’ici met en lumière quelques-uns des intéressants présupposés théoriques du travail de Christian Gaillard. Mais le livre ne se limite pas à un discours théorique car il nous fait assister au travail tout à fait plaisant d’un psychanalyste de l’art occupé à fouiller les racines et les ramifications infinies des œuvres singulières. Les différentes œuvres examinées acquièrent ainsi, de manière inattendue, une infinie richesse.

27 La pensée de Christian Gaillard renvoie à celle de Jung pour qui il est possible de lire, dans l’histoire de l’homme, une tendance à l’évolution de sa psyché détachée des contraintes de la réalité mais liée à un principe « naturel » immanent. Le livre de Christian Gaillard a de nombreuses autres facettes et croisements ; les quelques réflexions qui ont été développées jusqu’ici montrent suffisamment la richesse de ce mycelium.

28 Giuseppe Maffei

29 Traduit de l’italien

30 par Brigitte Allain-Dupré.

Alain DELOURME (sous la dir. de), Pour une psychothérapie plurielle, Paris, Retz, 2001.

31 Un peu à la manière d’une revue, Alain Delourme, psychologue, psychothérapeute et formateur de praticiens, réunit 13 intervenants, universitaires pour la plupart et issus de courants psychothérapeutiques divers, avec l’idée de « créer une rencontre entre les différents modèles possibles », « en encourageant à la fois l’intégration et la pluralité ». Le projet présente donc un intérêt certain au regard d’une actualité traversée par de nombreux débats concernant les pratiques, les formations, leur évolution. Structuré autour de trois grands thèmes portant successivement sur la nécessité d’un « décloisonnement théorique », puis de la « diversité des pratiques » et enfin des « formations pluri-référentielles », ce livre offre une plate-forme de données précieuses qui ont au moins en commun le désir « de rejeter tout dogmatisme, toute exclusive et de risquer l’aventure des rencontres ».

32 À ce titre, il est donc satisfaisant pour l’esprit de retrouver, parmi ces intervenants, Christian Gaillard et son texte « Psychanalyse ou psychanalyses ? » qui reprend pour l’essentiel la communication exposée à Versailles, en juillet 2000, lors de la VIIIe rencontre de l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse [1]. Son intervention, dans ce cadre-là, le positionnait déjà dans cette perspective d’échanges, mais aussi d’invite à tenir compte des « différentes traditions qui composent le mouvement psychanalytique » et leurs différentes élaborations théoriques. Quant au pluriel de cet intitulé interrogatif, tout en faisant mouche d’emblée, il est assorti de développements et de propositions pour que s’engage, effectivement, un autre débat autour de l’inconscient qui ne saurait donc faire allégeance aux seules approches freudiennes ou celles qui s’en inspirent.

33 Christian Gaillard cherche notamment, autour de la « compétence à l’expression de l’inconscient » qui ne relève pas du seul refoulement, à retrouver et garder ce « vrai goût pour la surprise » qui pourrait être aussi un des ferments aidant à se « départir des facilités de l’orthodoxie, de toute espèce d’orthodoxie ».

34 Si chacun des autres intervenants œuvre, à sa manière, dans le sens d’une sortie du dogmatisme, chacun n’en apporte pas moins une contribution singulière et souvent éclairante sur certains courants majeurs de la psychothérapie, tous n’étant cependant pas représentés avec ces seuls 13 intervenants.

35 S’il est bien impossible, ici même, d’entrer davantage dans le propos de chacun, il serait malgré tout dommage de ne pas en nommer certains et leurs contributions puisqu’il en va de François Roustang, « Tout fait ventre », à Max Pagès, « Complexité, conflictualité, intégration » et aussi « Un cadre à géométrie variable » ; d’Edmond Marc, « Filiations, ruptures, novations » et encore « Quels changements en psychothérapie ? », à Claude Rabant, « La psychanalyse opérée par l’art » ; de Philippe Grauer, « Pratique du multiple : les formations extra-universitaires », à Jean-Pierre Klein, « Psychothérapeute au-delà des diplômes », en passant par Jean-Michel Fourcade, « Psychothérapie émotionnelle intégrative des patients-limites ».

36 Devant tant d’abondance et de qualité aussi, le mieux à l’évidence est de prendre le temps de lire et relire ces textes, d’être à l’écoute de ce qui est en germe là, y compris à partir des témoignages de patients aux parcours thérapeutiques multiples qui trouvent également leur place dans ces pages.

37 Mais serait-il déjà possible que cette « diversité sans adversité » puisse exister, selon l’expression d’Alain Delourme auquel revient le mérite non seulement d’avoir dirigé cette initiative, mais aussi d’y avoir contribué avec un texte, « Le travail du lien », et un autre « Combinaisons thérapeutiques », qui montrent à quel point il est lui-même partie prenante dans cette approche plurielle.

38 Marie-Christine Malfilâtre

Jean-Claude ROUCHY (sous la dir. de), La psychanalyse avec Nicolas Abra ham et Maria Torok, Ramonville-Saint- Agne, Érès, 2001.

39 Cet ouvrage, composé d’articles d’auteurs divers (psychanalystes, universitaires, philosophes...), fait suite à un colloque organisé sur l’intérêt toujours stimulant de la pensée de Nicolas Abraham et de Maria Torok. On sait l’enthousiasme de ces deux chercheurs pour l’œuvre de Ferenczi et, en particulier pour ses articles sur l’introjection. On sait ce qu’on leur doit, en théorie comme en clinique : le fantôme, la crypte, la maladie du deuil, l’incorporation... Ces notions sont reprises et interrogées. L’importance des traumas, des « catastrophes » (pour reprendre le titre d’une lettre de Maria Torok), ainsi que le travail de mémoire (différent du devoir de mémoire) et de transmission sont au centre des diverses réflexions portant sur la clinique et sur l’histoire, la Shoah en particulier.

40 On sait peut-être moins, et c’est là un intérêt particulier de ce livre, leur refus de tout dogmatisme, leurs critiques à l’égard de l’institution analytique et des dangers qu’elle peut présenter, leur vigilance en ce qui concerne la « transmission » lors du transfert au patient- « élève ». L’ensemble de cet ouvrage composite reste dans cette lignée.

41 Dominique Guilbault

Nicholas RAND, Quelle psychanalyse pour demain ? Voies ouvertes par Nico las Abraham et Maria Torok, Ramon ville-Saint-Agne, Érès, 2001.

42 Connaissons-nous vraiment la théorie et les concepts élaborés par Nicolas Abraham et Maria Torok ? Connaissons-nous le parcours de ces deux auteurs ? Le livre de Nicholas Rand, qui fait agréablement suite au précédent, en permet une approche vivante avec, notamment, un conte de Guy de Maupassant, « En mer », exemplaire quant à l’introjection d’une catastrophe, et un roman de Raymond Queneau, Les Fleurs bleues, mettant en scène une autoguérison (équivalent d’une introjection) à la suite d’un traumatisme ignoré en tant que tel par le héros.

43 Ajoutons que ce livre fait une large place à des textes inédits.

44 Dominique Guilbault

Josy-Jeanne GHÉDIGHIAN-COU RIER, Avortement : impossible avenir, Paris, L’Harmattan, 2000.

45 Plutôt que d’un « livre sur », il s’agit d’un important dossier, constitué à la Faculté de médecine de Bobigny, dans le cadre de l’espace transdisciplinaire qu’offre la collection « Sexualité humaine ». Cet ouvrage, fruit du travail, de la réflexion et de la discussion de plusieurs personnes impliquées à des titres divers dans le problème de l’avortement, a été organisé et réalisé par Josy-Jeanne Ghédighian-Courier... et cette gageure est parfaitement réussie car l’information diffusée tout au long de l’ouvrage, en différents domaines, retient l’attention et capte l’intérêt de façon croissante.

46 Les deux premiers chapitres de ce texte, clairs, précis et bien documentés, sont dus à Josy-Jeanne Ghédighian-Courier. Une sorte de « prologue » précise l’origine et l’enjeu du document, puis un rappel historique de la question retrace l’origine et l’évolution du contrôle de la fécondité. Vient ensuite une réflexion intitulée « L’avortement entre résistance et symptôme ». Sa position de psychanalyste permet à l’auteur de faire une étude objective très fine des éléments psychiques et physiques mis en jeu au cours de ces grossesses non acceptées aboutissant à l’IVG. La question est fort complexe, et notre collègue en fait magistralement le tour.

47 « L’avortement aux prises avec la loi » est l’intéressant chapitre suivant. Il est dû à une avocate, Lucienne Orléan-Léger. Elle fait le rappel de toutes les lois qui ont précédé la loi Veil, votée le 17 janvier 1975. Cette loi est, elle-même, reprise et commentée point par point, pour en souligner les manques et les abus. Ce texte juridique est ponctué par le bref récit d’une histoire clinique, fait par Nathan Wrobel, gynécologue-accoucheur.

48 Le chapitre « L’IVG chez les mineures et le consentement parental » est signé par Marie-Laure Brival, gynécologue-accoucheur, et Corina Pallais, psychologue clinicienne, toutes deux travaillant au Centre orthogénique de la maternité des Lilas. Partant de leur expérience, elles clarifient une question jusqu’ici « si lourdement politisée qu’elle en devient maudite ». Elles replacent dans une perspective historique l’évolution de ce que l’on considère comme « minorité légale » et soulignent quelques contradictions de la loi Veil. Sans jugement, sans véhémence mais dans une juste distance, elles proposent des solutions pour sortir des impasses créées par les paradoxes de la loi. Les mêmes auteurs, avec Jean-Claude Haddad, gynécologue-accoucheur, s’interrogent sur leur pratique clinique et la question de savoir si l’IVG est ou non du domaine de la pathologie. Ils concluent sur l’idée qu’« il y a là un message à déchiffrer ».

49 La cinquième partie est consacrée à des « témoignages pluriels » introduits par Josy-Jeanne Ghédighian-Courier. Après un témoignage clinique, complexe et instructif, André Durandeau, médecin directeur de l’enseignement « Sexualité humaine », expose sa propre trajectoire à la fois théorique et pratique vis-à-vis de l’IVG, puis dialogue avec notre collègue sur les interprétations psychologiques et/ou pathologiques de l’IVG. Ce débat est tout à fait enrichissant. À leur tour, Nathan Wrobel et notre collègue réfléchissent ensemble sur cette même question, à un niveau plus personnel, m’a-t-il semblé.

50 La conclusion est laissée à Josy-Jeanne Ghédighian-Courier qui explique la structure de l’ouvrage en se référant à la nature même de l’avortement. Bien loin d’être haché ou fragmenté, le sujet est ici exploré sous toutes ses facettes, objectivement et rigoureusement. Il donne à réfléchir à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent, de quelque point de vue que cela soit, aux grands thèmes de l’existence humaine : vie, mort, transmission...

51 Qu’il me soit permis d’emprunter à notre collègue les mots de la fin : « Nous sommes convaincus que tout avortement est l’aboutissement d’un conflit, d’une crise ou d’une souffrance qui n’a trouvé pour issue que cette autre souffrance, plus ou moins consciente, considérée comme un moindre mal. L’avortement est un droit pour la femme ; pour que sa douleur ne soit pas une dette, il nous faut la penser. »

52 Monique Leterrier

Michel FARUCH, Jean VERGNES, La bouteille à l’amer, Toulouse, Métro poles Éditions, 2000.

53 Du « qui est qui ? » au « Qui suis-je ? » au « De qui et de quoi suis-je fait ? », que d’épreuves surmontées par ces héros de La bouteille à l’amer pour apprivoiser une souffrance venue du fond des âges et retrouver la parole originaire !

54 À travers ce livre, quatre malades alcooliques dépendants abstinents témoignent de leur parcours aride, de leur « survivance », puis de leur inscription dans la vie.

55 Leurs propos évoquent la transmission du côté du négatif et le défaut d’Éros. Dès lors, la problématique identitaire se trouve posée au niveau des identifications, des activités défensives et intégratives du moi, de la délimitation entre le monde interne et celui, externe, de la personne.

56 Aussi, pour s’inscrire dans une filiation instituée et éviter de transmettre à leur tour cette dette par corps, ces sous-marins errants ont entrepris, accompagnés de leur thérapeute, de s’approprier leur propre histoire. Par le sacrifice de l’objet alcool, cette femme et ces trois hommes ont émergé du froid psychique pour Renaître à la Vie, Exister, Être...

57 Aujourd’hui, ces Anciens n’oublient pas que le combat pacifique qu’ils ont choisi de mener, la source claire qui désaltère, côtoie celle qui « dés-alter ».

58 Janine Lerigoleur

André VIREL, Les univers de l’ima ginaire, Daillencourt, Éd. de l’Arbre vert, 2000.

59 André Virel revisite quelques grands aspects de l’histoire de la pensée humaine. L’espace, le temps, la symbolique génétique, le schème corporel reviennent tout au long de son ouvrage comme autant de thèmes qui lui sont chers.

60 Lorsqu’il avait 10 ans, écrit-il, il aimait à se retrouver sous un grand chêne, laissant alors vagabonder son regard de la multitude périphérique des branches à l’unicité du tronc. Il choisissait deux rameaux écartés, puis allait à rebours chercher leur commune origine. Ainsi, d’années en années, de rêveries en connaissances, d’arbres en arbres, il structura peu à peu son imaginaire.

61 Ce livre nous met à son tour dans ce jeu : les rameaux écartés sont les mythes, le corps, le chef, la tête, la graine, l’œuf, le Ka égyptien. C’est parfois étourdissant, voire déconcertant.

62 Ce va-et-vient entre rêverie et connaissance se retrouve quand il précise que l’intériorisation des cadres spatio-temporels requiert l’intervention d’une dialectique de l’imaginaire et du réel. Les dimensions du monde extérieur ne retournent au monde qu’après avoir été mûries, stade après stade, par une conscience en développement.

63 Dans son dernier chapitre, André Virel met en lien la mythologie anthropomorphe et la psychopathologie. Pour lui, les trois « régimes » successifs d’Ouranos, de Cronos et de Zeus vont correspondre à trois stades de l’évolution biologique comme de l’évolution humaine et décrire la filiation constante d’un état cosmogonique, d’un état schizogénique et d’un état autogénique.

64 Pour l’auteur, l’état ouranien est fait de pulsions inorganisées, de mobilité cyclothymique. Il se présente comme un état chaotique initial. L’individu s’y trouve entraîné et n’y accroche nulle part son contrôle. Par rapport à ce stade ouranien, le retrait schizoïdique se présente comme une antithèse, constructive à certains égards, et stérilisante à d’autres. Cet état qu’il apparente à Cronos voit l’individu s’isoler du monde, échapper au temps vécu qui le portait à suivre les avatars d’un univers anarchique pour subir une autre oppression.

65 Il y aurait, d’un côté, la cyclophrénie et son absence de focalité sous le régime mythologique d’Ouranos. Et, de l’autre côté, la schizophrénie et son absence de syntonie sous le régime de Cronos. Zeus correspondrait, quant à lui, à l’état de conscience vigile individuateur et socialisateur. Soulignons, par ailleurs, que la focalité serait représentée par Hermès et la syntonie par Héphaïstos.

66 Je terminerai par une idée qui m’a beaucoup plue, c’est celle de la pierre langée, symbolisant le jeune Zeus, comme l’origine de l’objet transitionnel !

67 André Virel est mort en août 2000. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont un Vocabulaire des psychothérapies, paru chez Fayard en 1977, que les jungiens peuvent d’autant plus saluer qu’ils y sont inclus.

68 Françoise Bruley

De l’Histoire ancienne, film d’ORSO MIRET, 2000.

69 Encore un film sur le souvenir, sur la Résistance, sur la France en guerre – dira-t-on (bien qu’il y en ait eu peu de réalisés, si l’on cherche bien...). Non, il ne s’agit pas de cela ; la mémoire, certes, mais, ici, ce qui est évoqué c’est le poids de cette mémoire sur la génération suivante. Nous ne verrons pas le héros, mais suivrons ses enfants dans leur dur chemin pour trouver leurs marques dans la vie. Évocation taboue ? La question peut se poser devant le peu d’audience rencontrée par ce très beau film...

70 Le début du film fait référence à l’« Histoire » ; un ami du plus jeune fils – Guy – prépare une thèse sur la Résistance et plus précisément sur les fusillés de la Résistance. Il visionne des bandes d’actualité de novembre 1944, cérémonies d’hommage aux fusillés du mont Valérien... « Revenons en arrière », demande-t-il ; oui, revenons en arrière... Un peu plus tard, nous le voyons avec Guy dans un cimetière où se trouve le « Carré des Fusillés », sans doute ceux qui ont été les compagnons du père, évocation brève du drame dont ce père semble avoir été le seul rescapé (drame qui, dans la réalité, s’est déroulé en Sologne en juin 1944). Un rescapé représente-t-il une figure de Héros au sens classique du mot ? Guy ressasse les paroles du père, retrouvées dans un petit livre rédigé plus tard, ces paroles d’effroi et de surprise, devant le sentiment de vivre – de revivre – quand il se réveille du massacre, au milieu de ses camarades morts... Il semble qu’à ce moment seulement Guy prenne conscience de l’aspect « survivant » de ce père sans doute considéré jusque-là comme un pur héros de la lutte.

71 Ce père héros-survivant vient donc de mourir ; il reste omniprésent. Les trois enfants vont continuer à vivre comme ils peuvent leurs échecs sentimentaux ou professionnels ; nous voyons Guy – se croyant chargé d’une mission héroïque – se retrouver, lui aussi, rescapé et plonger dans le délire... La mère, elle, se laisse aller à une douce amnésie.

72 Tout cela est évoqué par des images sévères, par une mise en scène rigoureuse, certains plans butant brusquement sur un vide, sortes de passages « au “noir” » qui me font penser à ces « blancs » décrits par Martine Sandor-Buthaud à propos des thérapies d’enfants de rescapés de la Shoah [1].

73 Le film nous fait participer de manière très sensible au drame de ces jeunes adultes, écrasés par la personnalité de ce mort, leur père, et les lourds symboles qu’il représente, ce héros qui doit être vécu comme un modèle, modèle qu’ils refusent aussi inconsciemment... Jamais une parole n’est échangée entre eux, ni avec la mère, à son propos ; c’est impossible. Nous sommes dans le « mythe du Héros » – selon Jung – avec toute la fascination qu’il exerce sur le conscient, la tentation de s’y identifier et l’inflation psychique que cela peut entraîner, avec ses conséquences, la mort, la folie... On pourrait aussi parler d’« Idéal du moi »... Mais le père admiré est aussi un héros mis en doute, peut-être également un père redouté. Les enfants sont partagés, écartelés entre ces images. Ils ne peuvent se fabriquer leur propre image intérieure.

74 Les derniers plans nous ramènent à des sentiments plus simples. Un canoë-kayak, filmé « en plongée », les rameurs – des enfants – aux gestes simples et efficaces, les reflets de l’eau... une image très stylisée. Puis deux des enfants sur le quai, paraissant attendre ; le garçon demande à la petite fille : « Ton grand-père ne vient plus te chercher ? » Celle-ci répond tranquillement : « Mon grand-père, il est mort. » Voilà ; la vie paraît reprendre son cours... Mais souterrainement, qu’en est-il ?

75 Monique Henry-Séjouné

Parmi les ouvrages reçus

76 Robert D. HINSHELWOOD, Le génie clinique de Melanie Klein, Paris, Payot & Rivages, 2001.

77 Darian LEADER, La question du genre, Paris, Payot & Rivages, 2001.

78 Catherine CLÉMENT, Les révolutions de l’inconscient. Histoire et géographie des maladies de l’âme, Paris, Éditions de La Martinière, 2001.

79 Ronald SCHENK, The Sunken Quest, the Wasted Fisher, the Pregnant Fish, Wilmette (Ill.), Chiron Publications, 2001.

80 Rose-Emily ROTHENBERG, The Jewel in the Wound : How the Body expresses the Needs of the Psyche and offers a Path to Transformation, Wilmette (Illi.), Chiron Publications, 2001.


Date de mise en ligne : 23/07/2012

https://doi.org/10.3917/cjung.105.0091

Notes

  • [1]
    « Le Congrès de Versailles », Cahiers jungiens de psychanalyse, n101, 2000.
  • [1]
    M. Sandor-Buthaud, « La shoah et l’exil. Où est l’humain ? », Cahiers jungiens de psychanalyse, n95, été 1999.

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