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Article de revue

Vie et mort de la commission Jaurès

Pages 35 à 37

English version

1Nous n’avons que trop tardé à rendre compte pour nos Cahiers de cet important petit livre, mais il n’est pas trop tard, car le dossier mérite d’être connu. De quoi s’agit-il ? Non pas du Jaurès auteur de la Révolution française, la plus belle réussite de l’Histoire socialiste, plusieurs fois rééditée et commentée.

2Il s’agit du Jaurès homme politique, à l’apogée de son influence, et initiateur de la création par le Parlement d’une « Commission historique de la Révolution française » pour prendre place au sein du vénérable et toujours actif « Comité des travaux historiques et scientifiques ». On était en 1903, Jaurès, réélu député en 1902, était l’un des piliers de la majorité de gauche qui soutenait le ministère Combes, il était même, cette année là, l’un des vice-présidents de la Chambre.

3Il voulait tout à la fois honorer la Révolution française comme source reconnue des institutions et des principes de la République, filiation dont personne ne doutait (fût-ce pour la regretter…), et améliorer objectivement ses moyens d’étude. Certes la décennie révolutionnaire était bien connue dans ses grandes lignes pour avoir fait l’objet déjà de tant de récits célèbres depuis Thiers, Michelet, Louis Blanc, Lamartine…, mais la densité des événements, le bouleversement des institutions et l’universalité territoriale de leurs perturbations diverses avait forcément suscité une profusion de documents d’archives et une diversité de problèmes encore bien peu explorés. Notamment dans l’ordre économique et social, puisque ces termes figuraient dans le premier intitulé de la commission, car c’est là que les sources en profondeur sont naturellement le plus massives. Mais il ne s’agissait pas de promouvoir ou favoriser une philosophie de matérialisme historique. Il s’agissait bien de la Révolution française (républicaine) et non pas d’une lecture particulière (socialiste).

4Le grand spécialiste universitaire qui soutient Jaurès dès ces débuts dans cette initiative était Alphonse Aulard, radical homme de la majorité, et non pas le socialiste Albert Mathiez, encore bien jeune à l’époque.

5Décision prise, travail lancé, un siècle ou presque s’écoule en travaux et publications, et puis, en 2000, voilà que la Commission est supprimée du fait d’une réorganisation ad hoc du Comité des travaux historiques et scientifiques. Le moment était venu de raconter l’histoire, désormais close, de la Commission Jaurès.

6L’ouvrage de Christine Peyrard et Michel Vovelle, assisté de six coéquipiers tous aussi connus et estimés (nommons-les tous, à commencer par l’éminente collègue italienne Anna-Maria Rao, avec Jean-Paul Bertaud, Françoise Brunel, Claude Mazauric, Pierre Villard et Bernard Vinot), comporte donc deux histoires : le bilan de la Commission Jaurès et du travail accompli par elle avec ceux de son presque siècle d’existence, et le dossier de sa suppression malgré l’éloquent combat en défense mené notamment par Michel Vovelle.

7Vovelle et ses coauteurs n’ont aucun mal à nous convaincre sur le premier point que le bilan était bon en la matière de publication d’ouvrages, d’édition de documents, et même de rentabilité financière (car cet aspect des choses a aussi existé dans les rapports complexes du CTHS et de la Commission Jaurès devenue une sorte de sous commission).

8Des hommes aussi éminents et respectés (et politiquement non extrémistes) que le doyen de Toulouse Jacques Godechot ont toujours soutenu et cautionné ce plaidoyer, nos lecteurs en verront le détail, qui serait ici fastidieux.

9Le deuxième point de la discussion porte sur l’épilogue. Pourquoi at- on voulu la fin de l’institution créée en 1903 ? Il s’agissait en principe d’une rationalisation, en forme de simplification historiographique. L’existence d’une spécialité chronologique « Révolution française » faisait exception dans la succession classique des « époques » (« moderne », « contemporaine ») et des siècles. La Révolution mériterait-elle d’être une sorte de « siècle » à elle seule ? Ou devait-elle se partager en un aboutissement un peu agité du xviiie siècle et l’entrée dans une séquence des « révolutions du xixe siècle » ?

10Le plaidoyer de l’ouvrage consiste à dire 1) que l’argument de simplification n’est pas justifié : la spécificité de la décennie révolutionnaire en fait de densité d’événements et d’originalité d’institutions et de profusion de luttes locales ou frontalières, donc en termes d’organisation d’archives, etc. reste un fait. 2) à dire donc que l’argument de réorganisation du temps ne faisait que couvrir un motif réel de rabaisser moralement la Révolution comme exception française et comme foyer de ce que la République a de meilleur.

11Michel Vovelle qui fut, on s’en souvient, l’animateur principal du Comité du bicentenaire du CNRS, d’abord comme secrétaire général aux côtés du président Ernest Labrousse, puis comme président luimême, est bien placé pour savoir combien ces préparatifs, comme ceux de la Mission nationale officielle (Michel Baroin, Edgar Faure, Jean- Noël Jeanneney) ont été traversés par les péripéties politiques (élections de 1986, leur revanche en 1988). Il sait bien aussi que dans les débats informels de presse et d’édition entre historiens le même entrelacement de débats d’idées et d’impulsions politiques a eu lieu. Il a été au cœur de ces débats et ces agitations.

12Pour en avoir été aussi un acteur (dans le même camp que Vovelle, mais à un niveau beaucoup plus modeste), je puis en témoigner. Michel Vovelle a certainement raison de dire que la fin de la Commission Jaurès appartient au même tourbillon politique que le débat général sur la révolution relancé dans les années 1980 et culminant en 1989. Mais – et c’est ici le fait nouveau qui distingue l’an 2000… de l’an 1903 – ce débat était désormais à l’intérieur même de la gauche. Né à droite, un certain révisionnisme « antijacobin » a si bien pénétré dans la mouvance socialiste que ce sont des ministres socialistes qui ont dit à Vovelle le non définitif !

13On conçoit son amertume, on a compris que nous la partageons. On a compris aussi, j’espère, que, abstraction faite du jugement personnel que je viens d’énoncer sur le fond du problème, le document Révolution-Jaurès-Vovelle constitue un dossier à conserver sur un moment de l’histoire intellectuelle de notre pays et de notre République.

Bibliographie

  • Christine Peyrard et Michel Vovelle (sous la direction de), Héritages de la Révolution française à la lumière de Jaurès, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2002, 194 p., 20 euros.
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