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Article de revue

Figures de la victime de la traite des êtres humains : de la victime idéale à la victime coupable

Pages 127 à 146

Notes

  • [1]
    Cf. notamment Conseil de l’Europe, Recommandation 1450, Strasbourg, 2000 ; Recommandation 1545, Strasbourg, 2002 ; Joanna Apap and Felicita Medved (International Organization for Migration, 2003 ; Barbara Limanowska, 2003.
  • [2]
    La définition juridique sur laquelle nous nous appuyons, établie par la Convention des Nations Unies contre la Criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, définit la traite comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie ou abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». La « traite » se distingue ainsi de l’ « esclavage », qui constitue l’une de ses finalités, et du « trafic illicite de migrants » qui relève des politiques migratoires et de la lutte contre l’ « immigration clandestine ». La « traite » renvoie davantage au commerce des personnes.
  • [3]
    Nous nous plaçons ici dans la perspective développée par Ian Hacking dans ses travaux sur l’enfance maltraitée. Cf. notamment, La fabrication d’un genre : le cas de l’enfance maltraitée, in Hacking, 2001.
  • [4]
    Les apports de la sociologie politique et morale de Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont été largement mobilisés dans la réalisation de cette recherche (Bolstanski, 1993).
  • [5]
    Mary Douglas [1967], 2001.
  • [6]
    Cette question a été problématisée par Gérard Noiriel dans ses travaux sur les politiques à l’égard des demandeurs d’asile (Noiriel, 1991).
  • [7]
    Pour une analyse détaillée de cette question, cf. Milena Jaksic, 2004.
  • [8]
    La Convention des Nations Unies contre la Criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé à Palerme en décembre 2000.
  • [9]
    Le CCEM est créé en 1994 à l’initiative de deux journalistes, Dominique Torrès et Sylvie O’Dy.
  • [10]
    Bolstanski, op. cit., p. 79.
  • [11]
    Raymond Depardon accepte ainsi de réaliser un film de promotion du CCEM auquel le chanteur Renaud prête sa voix. Le film dénonce la réalité de l’esclavage.
  • [12]
    Georgina Vaz Cabral, 2002.
  • [13]
    Bolstanski, op. cit., p. 142.
  • [14]
    Cf. troisième partie de cette contribution pour le détail de l’action menée auprès des prostituées par ces associations.
  • [15]
    Le MAPP, créé en 1998, est le représentant européen de la Coalition contre la traite des femmes (CATW, Coalition Against Trafficking in Women), fondée en 1989 à l’initiative de Kathleen Barry, l’une des plus ferventes abolitionnistes.
  • [16]
    Le Bus des Femmes est une association de prostituées, créée en 1989. Elle a facilité l’accès aux soins et aux droits des prostituées. En janvier 2001, elle s’est rangée aux côtés de la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations qui élaborent une plate-forme contre la traite en vue d’exercer une pression plus forte sur les pouvoirs publics.
  • [17]
    Cf. Cabiria, 2004.
  • [18]
    Françoise Guillemaut, 2004.
  • [19]
    Pierre Bourdieu, 1987, p. 193.
  • [20]
    La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre hommes et femmes du Conseil économique et social se saisit du problème en décembre 2000. Ce travail se concrétise par l’ouverture, en mars 2001, d’une mission d’information à l’Assemblée nationale.
  • [21]
    Pour un aperçu plus complet des controverses qui ont animé l’adoption de la Convention de Palerme, cf. Melissa Ditmore et Marjan Wijers, 2003 et Jo Doezema, 2002.
  • [22]
    Cf. supra, n. 2, p. 128.
  • [23]
    Débats parlementaires. Compte rendu intégral. Séance du jeudi 24 janvier 2002, in Journal officiel de la République française, Assemblée nationale, le 25 janvier 2002.
  • [24]
    Dans son travail sur l’enfance maltraitée Ian Hacking souligne lui aussi le rôle de la « technologie statistique dans la légitimation des passions ».
  • [25]
    Cf. Noiriel, op. cit. ; sur l’administration de la preuve, voir aussi Georges Vigarello, 1998.
  • [26]
    Débats parlementaires. Compte rendu intégral. Séance du jeudi 24 janvier 2002, op. cit.
  • [27]
    Albert O. Hirschmann, 1991, p. 21.
  • [28]
    Robert Merton, La prédaction créatrice, in Merton, 1997.
  • [29]
    L’article 225-10-1 du Code pénal définit le « racolage public » comme « le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue d’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération », faits passibles de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 E d’amende.
  • [30]
    Pour une analyse détaillée des politiques à l’égard de la prostitution, cf. Lilian Mathieu, in Didier Fassin, Dominique Memmi, 2004.
  • [31]
    Gérard Noiriel, 2001, p. 347.
  • [32]
    Les étrangers semblent être parmi les principaux boucs émissaires des politiques de « criminalisation de la misère » (Loïc Wacquant, 1999).
  • [33]
    Wendy Chapkis, 2003.
  • [34]
    Gail Pheterson, 2001, p. 30.
  • [35]
    Pour une approche historique de cette question, cf. Alain Corbin, 1982 [1978].
  • [36]
    La situation n’est guère différente en Grande-Bretagne. Cf. Johanna Kantola, Judith Squires, 2004, p. 77-101. Même les Pays-Bas, le premier pays européen a avoir accordé à la prostitution le statut de « métier », se sert de la lutte antitraite pour distinguer les prostituées dites nationales des prostituées étrangères. En analysant le processus législatif à l’origine de la loi régularisant l’exercice de la prostitution, Joyce Outshoorn souligne comment les arguments antitraite sont mobilisés pour légitimer le « retour volontaire » de prostituées étrangères, présentées tantôt comme des victimes innocentes – le retour constitue alors une forme de protection –, tantôt comme des travailleurs clandestins (Outshoorn, 2001, p. 472-490).
  • [37]
    Erving Goffman définit le stigmate en termes de relations et non d’attributs fixes qui figent les personnes dans une identité immuable : « Le normal est le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue. Ces points de vue sont socialement produits lors des contacts mixtes, en vertu des normes insatisfaites qui influent sur la rencontre » (Goffman, 1963, p. 161).
  • [38]
    Philippe Robert, René Zauberman, Marie-Lys Pottier, 2003, p. 358.
  • [39]
    L’OCRETH est créé par un décret interministériel le 31 octobre 1958, deux ans avant que la France ne ratifie la Convention du 2 décembre 1949 sur la traite et l’exploitation de la prostitution d’autrui des Nations Unies.
  • [40]
    Nous reprenons ici la distinction devenue classique de Max Weber formulée dans son ouvrage Le savant et le politique (1963, p. 206).
  • [41]
    Sur le pouvoir d’interprétation du juge, voir « Qui dit légiste, dit le pouvoir. Entretien avec Pierre Legendre », Politix, 1995, no 32. Pierre Bourdieu note également comment les juristes et les juges ont le pouvoir « d’exploiter la polysémie des formules juridiques en recourant soit à la restrictio, procédé nécessaire pour ne pas appliquer une loi, qui entendu littéralement devrait l’être [...] soit à l’extensio, procédé permettant d’appliquer une loi qui, prise à la lettre, ne devrait pas l’être [...] soit toutes les techniques qui, comme l’analogie, la distinction de la lettre et de l’esprit, etc., tendent à tirer le maximum de l’élasticité de la loi, et même de ses contradictions, de ses ambiguïtés et de ses lacunes » (Bourdieu, 1986, p. 7).
  • [42]
    Denis Salas, 2003.
  • [43]
    La Circulaire d’application de la Loi pour la sécurité intérieure prévoit les mesures suivantes en matière d’expulsions : « Dans le cas où la personne qui se prostitue est en situation irrégulière, ou lorsqu’il s’agira d’un étranger en situation régulière mais dont le permis de séjour doit être retiré en application des dispositions précitées par l’article 12 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 « [...], il n’y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l’enquête, la personne fasse l’objet d’une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales” » [souligné par nous] (Circulaire d’application, 3 juin 2003, date d’application immédiate).
  • [44]
    Entretien réalisé le 14 février 2004.
« Mais ce qui est absent, vois-le, malgré tout, pour la pensée ferme présence. »
Extrait du fragment IV de Parménide, traduction de Jean Beaufret, Paris, PUF, 1955.
— « On ne peut pas à la fois se féliciter du nouveau statut accordé à ces victimes et, dans le même temps, dire qu’il est dangereux. »
Mme Christine Lazerges, rapporteure.
— « Si ! »
Mme Bernadette Isaac-Sibille, Compte rendu du débat parlementaire de la proposition de Loi sur la traite des êtres humains, Journal officiel de la République française, le 25 janvier 2002.

1À ce jour, il n’y a en France aucune affaire de traite à finalité sexuelle portée en justice. Pourtant, ce délit est reconnu depuis mars 2003 à la suite d’une forte mobilisation associative qui a amené la question dans les arènes publiques. Pourtant, de nombreux rapports et études attestent de l’ampleur du phénomène [1]. Pourtant, les politiques clament haut et fort leur volonté de mettre un terme à la traite. Et pendant ce temps, la victime se voit barrer l’accès à toute reconnaissance par les tribunaux et subit une métamorphose qui, de victime idéale au regard des droits de l’homme, la transforme en coupable devant le juge.

2L’objet de notre contribution est de faire l’analyse de cette production sociale de l’absence de la victime de la traite. À cette fin, nous nous appuyons sur la définition juridique de la traite et de ses victimes [2] et nous nous limitons à l’étude de la seule traite à finalité sexuelle. Mais loin de nous cantonner à une sous-population appréhendée comme marginale et anecdotique, celle des prostituées victimes de la traite, nous nous trouvons devant un phénomène dont l’étendue et les conséquences dépassent, et de beaucoup, les seules « personnes concernées ». La construction de l’absence, en notre présence, est plus que le repérage d’un vide, d’un effacement, d’un manque, elle s’articule à d’autres questions, celles notamment de l’immigration, de la prostitution, de l’ordre social et sexuel. Elle travaille en profondeur les mondes sociaux puisqu’elle est produite par eux et comporte des effets en retour sur eux [3]. Le policier, le juge, le militant associatif, le riverain, la Loi et le député contribuent chacun à leur mesure à cette production sociale de l’absence.

3La première étape de la réflexion engagée ici porte sur les motifs qui animent les acteurs associatifs et parlementaires mobilisés contre la traite. Nous nous intéressons notamment aux ressources employées pour la transformation d’une souffrance individuelle en cause collective par le recours et la construction d’une représentation de la victime idéale [4]. Cette mise en perspective des actions menées nous invite à examiner, dans un deuxième temps, les effets des formes juridiques déployées en direction des victimes de la traite. Leur statut est jugé problématique puisque ces personnes endossent une double étiquette : victimes, en raison des sévices subis (traite), elles n’en sont pas moins considérées comme délinquantes lorsqu’elles commettent des infractions pour racolage ou entrée irrégulière. Elles sont à la fois objet de « souillure » et source de danger [5]. Participantes de la production sociale de l’absence, les conditions juridiques posées nous conduisent, dans un troisième temps, à saisir le bouclage de cette production par l’action des policiers, juges et militants associatifs.

4Partis sur les traces d’une victime idéale nous avons croisé le chemin d’une fugace victime suspecte pour nous arrêter sur une victime coupable bien réelle. Ce cheminement recouvre la tension entre l’universel et le national [6]. Cette tension, en apparence insoluble, est relâchée par la production sociale de l’absence du délit de traite et de la victime [7].

I. DE LA VICTIME IDEALE A LA VICTIME IMPOSSIBLE :VERS LA RECONNAISSANCE LEGISLATIVE

5La reconnaissance législative de la traite des êtres humains est précédée d’une mobilisation associative qui s’est attachée à promouvoir une représentation de la victime sous une forme idéale. Cette conception de la victime, pour efficace qu’elle ait été dans l’interpellation de l’opinion et des pouvoirs publics, pose les linéaments d’une victime impossible à saisir judiciairement. Le premier temps de cette contribution présente les principaux traits de cette idéalité de la victime et examine sa transformation en impossibilité.

La construction de la victime idéale dans les mobilisations associatives

6La mobilisation des associations – accompagnée de la volonté de transposer en droit français des dispositions issues d’une convention internationale [8] signée par la France – a été déterminante dans la reconnaissance législative du délit de traite. La manière dont les associations s’emparent de la question de la traite, la façon dont elle est portée dans les arènes publiques et la nature des ressources mobilisées constituent le cadre par lequel la victime est appréhendée. Ce cadre permet de représenter la victime en la stylisant, de la construire comme objet de mobilisation puis éventuel sujet de droit.

7La question est posée, dans un premier temps, à partir de celle de l’esclavage par le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) [9]. Si le travail du CCEM concerne uniquement la lutte contre l’esclavage domestique, les actions déployées connaîtront un grand retentissement médiatique qui posera, dans un second temps, par d’autres associations et dans une chronologie qui se recoupe, la question de la traite.

8Premier temps donc, la mobilisation associative autour de l’esclavage. Toute une série de dispositifs sont mis en œuvre pour « nourrir l’imagination des spectateurs » lorsqu’ils sont confrontés à la souffrance à distance [10]. « Imaginer la souffrance des malheureux » nécessite, comme le montre Luc Boltanski, le recours à plusieurs « formes d’expression ». La médiatisation des violences frappant les individus devenus esclaves constitue la principale forme utilisée. Lancée en 1998, en pleine commémoration du bicentenaire de l’abolition de l’esclavage, la campagne d’affichage met en scène un pied inerte, celui d’un cadavre, une étiquette d’identification attachée à la cheville où l’on peut lire : « Nom : inconnu, âge : indéfini, profession : esclave, lieu de décès : Paris », sous le slogan « L’esclavage en France n’est pas mort, vous êtes libre de ne rien faire ». Ces effets de dramatisation et de mise en intrigue constituent les ressources employées pour sensibiliser les spectateurs passifs et transformer leur mutisme en parole agissante, leur cécité en regard critique.

9Puis le CCEM, pour appuyer, élargir et durcir cette campagne médiatique, sollicite des célébrités du monde du spectacle [11], qui par leur soutien à la cause viennent légitimer le bien-fondé des actions menées. Cette médiatisation de l’injustice s’accompagne, pour gagner la faveur des pouvoirs publics, d’un travail d’expertise. Le CCEM recourt à la constitution de preuves. Ainsi, la deuxième étape de la dénonciation comporte un important travail d’enquête qui confère aux associations le rôle d’interlocuteur légitimé par le savoir produit. L’étude réalisée par Georgina Vaz Cabral sur les « nouvelles formes d’esclavage dans six pays de l’Union européenne » [12] constitue le document de référence en la matière, un instrument de mobilisation et une base de proposition pour une réforme de la législation.

10La médiatisation, l’expertise et le lobbying forment les ressources exploitées par le CCEM. Elles dessinent le visage d’une victime idéale décrite comme une jeune femme étrangère en situation irrégulière. L’accent est mis sur la vulnérabilité liée au sexe – femmes –, à l’âge – mineures –, et sur la précarité de sa condition matérielle : « La jeune fille en détresse [qui] associe l’attendrissement sentimental et la dénonciation sociale » permet la formation de « sensibilités communes » [13]. Définie dans l’espace d’une émotion partagée et forte, la victime subit une opération radicale et concomitante de son apparition en public. Elle est placée dans une idéalité qui la hisse vers l’universalité pour interpeller tout un chacun. La victime ainsi idéalisée est stylisée, elle n’est pas là, mais tout entière contenue dans sa représentation et par l’indignation.

11Avec le CCEM se constitue une grammaire dans laquelle est parlée la victime. Le cadre et la grammaire posés par les mobilisations initiées par le CCEM seront réinvestis par des associations qui agissent dans le champ de la prostitution [14]. Elles portent l’accent sur la traite en vue de l’exploitation sexuelle, mais le terrain sur lequel ces acteurs s’engagent est littéralement miné par les controverses qui opposent les défenseurs de la prostitution libre et les détracteurs de l’activité prostitutionnelle dans son ensemble, considérée comme une violence envers les femmes per se. Les positions du Mouvement pour l’abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et de discriminations sexistes (MAPP) [15] reflète ici l’utilisation de la victime idéale pour légitimer un tout autre combat, mené contre le système prostitutionnel dans son ensemble. La défense d’une victime idéale permet au MAPP de rappeler la condition subordonnée de la femme dans nos sociétés, dont la victime de la traite est la figure paroxystique de par la violence des sévices qui lui sont infligés. Le danger et la dépravation vont ici de pair, puisque la traite est un danger pour les femmes, mais représente par son caractère inhumain un risque de corruption de la famille, de la sexualité et de la société tout entière. La défense des victimes de la traite apparaît ici comme le paravent du maintien d’un ordre moral et sexuel.

12Par contraste et en parallèle, les associations engagées sur le terrain de la reconnaissance de la prostitution comme métier légitime insistent sur la distinction entre « prostitution libre » qui serait une particularité des « nationales » ou des prostituées dites « traditionnelles », et « prostitution contrainte » qui concernerait essentiellement les femmes étrangères. La position du Bus des Femmes est celle qui reflète le mieux la nécessité de formuler cette séparation. En accusant les abolitionnistes d’amalgamer la prostitution et la « traite des femmes », elles prônent la défense des victimes pour marquer la distinction entre une activité librement choisie et un travail sous contrainte, conduisant nécessairement à l’esclavage des femmes étrangères [16].

13Un troisième acteur vient brouiller ce paysage marqué par cette dichotomie inconciliable. Pour Cabiria [17], la lutte contre la traite des êtres humains n’est « qu’une hypocrisie au service des pays riches » visant à se débarrasser des indésirables, des prostituées ou des sans-papiers [18]. Elle dénonce en conséquence les « hidden agendas » des politiques antitraite qui s’articulent selon un double objectif : « Keep your women home », pour les prostituées migrantes, et « not-in-my-back-yard » pour le crime considéré comme un « mal importé ». Cette association, favorable au libre exercice de la prostitution, se refuse à participer à la logique de « victimisation » des femmes migrantes et des prostituées, auxquelles conduisent les positions antitraite.

14Les associations, dans leur ensemble, apparaissent néanmoins comme porte-parole des victimes. Pierre Bourdieu qualifie d’ « effet d’oracle » ce procédé qui consiste à parler pour d’autres et par lequel « le porte-parole fait parler le groupe au nom duquel il parle, parlant ainsi avec toute l’autorité de cet absent insaisissable » [19]. Dans la mobilisation des associations, au-delà des seules conséquences de l’effet d’oracle, la stylisation de la victime par son idéalisation la rend insaisissable. Du CCEM à Cabiria, selon des conceptions certes très différentes, la mobilisation associative a fait apparaître la victime de la traite au grand jour. Cette opération rend plus proche une « souffrance à distance » en l’idéalisant, mais distancie la victime ainsi stylisée des schèmes par lesquels elle sera appréhendée lors, par exemple, de gardes à vue motivées par le délit de racolage (cf. la 3e partie). La procédure législative engagée en 2001, en réponse à la mobilisation associative, vient prolonger cette idéalisation jusqu’à marquer son absence.

La victime idéale à la source de la reconnaissance législative de la traite

15En mars 2001 se constitue une Mission d’information [20] à l’Assemblée nationale, qui s’attache à étudier la nature et l’ampleur de ce phénomène qualifié de « nouveau ». Le tableau qui se présente à elle, dans le domaine de la traite à finalité sexuelle, est marqué par l’opposition tranchée entre les associations qui prônent l’abolition et les partisans de la prostitution choisie. Cette opposition n’est pas propre à la France, elle recoupe et prolonge des divisions associatives qui existent au niveau international et ont pesé lors des débats [21] qui précèdent l’adoption, en décembre 2000, de la Convention de Palerme [22].

16Les informations recueillies par la Mission débouchent sur la formulation d’une proposition de Loi « renforçant la lutte contre les différentes formes d’esclavage aujourd’hui » qui concerne principalement la traite. Elle met la protection des victimes au cœur des nouvelles dispositions législatives envisagées.

17Lors du débat [23] qui s’ouvre à l’Assemblée nationale, la nécessité de légiférer est justifiée par les insuffisances juridiques considérées comme un obstacle dans la lutte contre la traite et par l’ampleur du phénomène « qui selon l’Organisation internationale pour les migrations, touche 4 millions de personnes » [24] (d’après les propos du garde des Sceaux de l’époque). Le législateur s’affirme déterminé à respecter la dignité humaine contre une criminalité « barbare et inadmissible ». Il répond ainsi à la nécessité de prendre acte de la Déclaration des droits de l’homme qui figure en préambule de la Constitution. Le débat s’inaugure sous les auspices de principes universels à défendre.

18Dans le prolongement de ces principes, la victime idéale, initialement construite par la mobilisation associative, fait son entrée à l’Assemblée. Elle est présentée comme une jeune, voire très jeune femme « poussée par la misère et la pauvreté vers un eldorado qui n’ouvrait que les portes de l’enfer ». La victime apparaît, dans une grande ressemblance avec l’image prônée par les associations, comme un sujet passif, vulnérable, innocent et naïf, figure presque angélique auquel l’État se doit d’octroyer son assistance et sa protection inconditionnelles. Le législateur n’hésite pas à susciter la stupeur, à laisser libre cours à son émotion lorsqu’il évoque les « situations inimaginables, comme le cas de cette jeune Algérienne restée enfermée sept ans dans un appartement à Marseille avant de sauter dans le vide du quatrième étage ». Un autre député dit ne pas pouvoir oublier les rencontres « avec cette prostituée croisée sur les trottoirs de Nice évoquant les yeux pleins de larmes son petit garçon laissé au pays avec ses grands-parents, avec ses jeunes mineurs laissés à Marseille, complètement déstructurés et désocialisés ». Fondée sur des cas bien réels, la victime subit une stylisation dramatique déjà rencontrée lors de l’analyse de la mobilisation associative.

19À plusieurs reprises le législateur se fait le porte-parole des malheureux. Ses propos ne sont plus nourris d’une éthique du droit, mais d’une éthique qu’on peut qualifier de messianique : il sait ce qui est bon pour la victime. C’est ainsi, par exemple, qu’un député s’exclame : « Qui peut prétendre préférer vivre à l’étranger plutôt que dans le pays où sont ses racines ? Personne », la victime doit avoir la possibilité de retourner dans son pays d’origine pour des raisons humanitaires, pour son propre bien.

20À ce stade, et avant d’analyser le basculement survenu dans le débat parlementaire, il importe de restituer le portrait de la victime idéale, commun aux mobilisations associatives et aux arènes législatives. En arrière-fond des droits et des principes universels, c’est le cadre dans lequel cette victime est située. Jeune femme, vulnérable, innocente, naïve, dépersonnalisée et abstraite, voilà les principales formes qu’elle revêt. Mais sous ces formes se profile le visage de l’absente lorsque les nécessités nationales prennent le pas sur l’universel. La victime idéale reste contingente de ce cadre qu’elle représente en négatif photographique.

II. LA VICTIME IDEALE EST DISSOUTEPAR LES PRIORITES NATIONALESET SE TRANSFORME EN VICTIME-COUPABLE

21Cette deuxième partie s’ouvre sur la dissipation de la victime idéale qui avait été au cœur de la mobilisation des associations et à l’origine du travail législatif. Sa disparition prend corps au sein du même débat parlementaire qui se trouve scindé en deux mouvements successifs. La Loi est justifiée par la défense des droits de l’homme, au nom de principes universels et pour une victime idéale. Mais la discussion du détail des dispositions légales place au premier plan des nécessités nationales et emporte avec elles cette victime idéale au profit d’une victime suspecte. Il se joue avec limpidité, dans la question de la traite, des questions plus vastes qui se posent, avec plus d’opacité, à propos notamment des sans-papiers, des prostituées en général ou de l’éthique médicale. L’opposition frontale entre l’universel et le national n’est jamais posée en des termes clairs. Le second se substitue au premier, comme la victime suspecte à l’idéale, en vertu de deux opérations : l’application des formes de gouvernement, c’est le principe de l’État, et les nécessités du national.

22L’une comme l’autre posent les conditions juridiques et sociales de la production de l’absence de la victime, c’est l’objet de cette partie. Dans un troisième temps de la présente contribution, les modes de production effectifs de cette absence sont analysés, mais il importe de souligner ici que c’est dans le corps même du dispositif juridique et lors des débats parlementaires qu’une telle production est fondée. La Loi reconnaît tout à la fois le délit de traite, soumet la victime à une administration de la preuve et rend sa reconnaissance improbable.

La victime suspecte au regard des priorités nationales

23Dans un deuxième temps du débat parlementaire – lorsque la traduction en droit national des dispositifs de protection de la victime se pose, en particulier en ce qui concerne son séjour sur le territoire, et l’activité exercée – la victime idéale se transforme en victime suspecte. Les législateurs décrivent les victimes comme étant « dans leur grande majorité des étrangers ou des étrangères en situation irrégulière qui n’ont aucune possibilité d’échapper à l’emprise de leurs souteneurs ». Présentée sous des traits similaires, mais en insistant sur sa vulnérabilité, la victime idéale nécessitait protection. Placée maintenant sous le prisme des intérêts nationaux cette personne, marquée par les mêmes traits, est frappée de suspicion en raison de l’insistance sur les infractions qu’elle pourrait commettre. Il s’agit notamment des délits de racolage, d’entrée irrégulière ou de travail illégal. L’enjeu pour le législateur consiste dès lors à tenter de concilier les priorités nationales de défense de l’ordre public avec celles de protection des droits de l’homme de manière à ce que les victimes d’actes illégaux (traite) ne soient pas poursuivies pour d’autres actes illégaux (racolage, entrée irrégulière). Cette tâche s’annonce particulièrement ardue dans un climat où la répression de l’immigration clandestine constitue l’un des principaux axes des politiques nationales en matière de gestion des « flux migratoires ». Elle est d’autant plus difficile depuis que la présence accrue et plus visible des prostituées étrangères arpentant les trottoirs nationaux a donné lieu à des plaintes répétées des riverains dénonçant le « tapage nocturne » et l’ « exhibitionnisme sexuel » dont ils se disent, eux aussi, « victimes » au quotidien.

24La victime idéale devient ainsi une victime suspecte à partir du moment où elle endosse une double étiquette, celle de victime et de délinquante. Pour que sa qualité de victime l’emporte sur celle de délinquante, il lui faudrait apporter la preuve du préjudice subi. Une administration de la preuve se met en place afin de distinguer les « vraies » victimes des « fausses », comme on le fait par ailleurs pour les demandeurs d’asile [25].

25L’administration de la preuve, sous forme de dépôt de plainte ou par témoignage, est légitimée par la crainte de « détournements de procédure », d’ « effet pervers » ou d’ « appel d’air » [26] que pourrait provoquer l’octroi de titre de séjour. Autrement dit, les députés cherchent à se prémunir contre l’arrivée de personnes qui se feraient passer pour de fausses victimes dans le seul but de régulariser leur situation administrative.

26La peur de détournements de procédure relève de ce qu’Albert O. Hirschmann qualifie de « rhétorique réactionnaire » – fondée sur la dynamique de l’effet pervers – thèse qui pose « que toute action qui vise directement à améliorer un aspect quelconque de l’ordre politique, social ou économique ne sert qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger » [27]. Ici, la protection des victimes se traduirait par l’effet « pervers » de l’accroissement du nombre des prostituées et des personnes en situation irrégulière, considéré comme une nuisance. Mais la conséquence directe des mesures mises en place pour pallier l’effet pervers supposé dresse un obstacle sérieux à toute reconnaissance juridique de la victime. Sa protection est sacrifiée au profit du contrôle de l’immigration et de la prostitution, la logique de gouvernement l’emporte et occulte les principes universels.

27La crainte de l’effet pervers justifie l’accusation et la suspicion qui pèsent sur les membres de l’hors-groupe, étrangers, prostituées, ou délinquants, et conduit comme le souligne Robert Merton à « la condamnation systématique du membre de l’hors-groupe [qui] joue presque indépendamment de ce qu’il fait. Bien plus : par un effet capricieux de la logique judiciaire, la victime est punie du crime qu’elle a subi » [28]. À l’évidence, dans un contexte où le crime est qualifié de « mal importé », où les politiques de « tolérance zéro » et de « vitre cassée » deviennent une priorité en matière de protection de l’ordre public et de sécurisation du territoire national, où l’immigration est considérée comme une « invasion », la pénalisation de l’infraction commise l’emporte sur les violences endurées et le stigmate de « putain » ou de « sans-papiers » sur celui de victime.

28Nous venons de montrer l’enchaînement qui conduit de la victime idéale à la victime suspecte. En réprimant la victime d’actes illégaux (la traite) pour avoir commis un acte illégal, les législateurs, attachés à la lutte contre la traite, fabriquent une victime impossible d’un crime qu’ils se disent déterminés à poursuivre au nom des droits de l’homme.

La victime-coupable

29Interrompue par la procédure électorale de mai 2002, la proposition de Loi, votée en première lecture à l’unanimité par l’Assemblé nationale, ne sera jamais adoptée sous cette forme par le Parlement. Avec le changement de législature, elle subit quelques modifications, notamment en matière de protection des victimes et s’inscrit dans le cadre d’une Loi plus large, la Loi pour la sécurité intérieure (LSI) du 18 mars 2003. L’incrimination pour « traite des êtres humains » est reconnue, mais, dans la LSI, la protection des victimes par l’octroi du droit à un titre de séjour est désormais soumise au pouvoir discrétionnaire du préfet de police.

30Outre cette modification qui vise directement la protection des victimes, l’incrimination pour traite se voit accompagnée, en vertu de la même Loi, d’une réintroduction dans le Code pénal du délit de « racolage passif » [29], considéré comme l’un des éléments essentiels de la lutte contre l’exploitation sexuelle. En poursuivant les prostituées, le législateur entend non seulement rétablir l’ordre public, mais aussi remonter les filières et les réseaux de proxénétisme par le biais de dépôt de plainte ou de témoignage. Dans un contexte où l’on observe le passage d’un abolitionnisme de contrôle vers un abolitionnisme de répression, ou vers un prohibitionnisme masqué [30], la protection des victimes et la répression du délit sont reléguées au second plan.

31Il n’est pas étonnant de constater à cet égard qu’en France, comme cela a été souligné dans l’introduction, aucune mise en examen pour traite des êtres humains à finalité sexuelle n’est encore engagée en justice. Pourtant la LSI marque la reconnaissance du délit de traite, mais elle pose aussi les conditions qui vont permettre de forclore la victime dans son absence et, de manière plus précise et très concrète, de la faire advenir sous un autre visage, celui de la coupable de racolage et de franchissement illégal de frontières. Tout cela se produit par juxtaposition de mesures dont chacune comporte des objectifs spécifiques et révèle, par un patient travail d’analyse, des logiques déjà évoquées (effet pervers et mise à l’écart des membres de l’hors-groupe notamment). Le travail d’analyse et de synthèse comporte toutefois des limites qui valent, en tant que telles, comme des explications lourdes de conséquences. La notion de victime-coupable, contradiction apparente, rend compte du manque de cohérence de la LSI, mais ce manque de cohérence reflète et exprime les principes qui fondent l’État-nation. Comme le constate Gérard Noiriel dans ses travaux [31] sur l’attribution des passeports et des cartes de séjour, « le fait d’accueillir ou de refouler un étranger constitue un [...] acte de souveraineté fondamental de l’État-nation ».

32S’il est possible tout à la fois de reconnaître la victime de la traite au nom de principes universels (la victime idéale), de soumettre sa protection à une épreuve de vérité destinée à écarter de potentiels passagers clandestins de la régularisation (la victime-suspecte) et d’offrir des moyens, qui seront effectivement utilisés, pour la criminaliser (la victime-coupable), c’est que l’État-nation existe dans et par ces dispositions légales, du moins tel qu’il se présente à nous à partir de la question de la traite. Le réel ainsi découpé permet tout, la répression et la compassion à l’égard de la même personne. Une victime sacrée sous le prisme des principes universels se voit sacrifiée dès lors qu’il est estimé que les intérêts de la nation sont mis en cause [32].

33La production d’une victime-coupable n’est pas une spécificité de la France. Le gouvernement des États-Unis mobilise les mêmes arguments de lutte contre l’ « esclavage sexuel » pour s’attaquer aux immigrés clandestins ou aux « guilty sex workers », prostituées coupables de revendiquer la reconnaissance de la prostitution comme métier [33]. Gail Pheterson note à ce propos comment « les États-Unis et le Japon refusent officiellement des visas aux prostituées, utilisant cette politique de façon discriminatoire pour contrôler certaines femmes étrangères. De façon classique, ce contrôle est rationalisé sous forme d’une “protection des femmes vulnérables” par le contrôle des “femmes corrompues et malades” et des “éléments masculins subversifs” » [34]. Comme au début du siècle dernier [35], la lutte contre l’ « esclavage sexuel » devient simultanément un instrument légitime de normalisation de la sexualité, de contrôle de l’immigration et de libre circulation des personnes [36].

III. LES PRODUCTIONS SOCIALES DE L’ABSENCE PAR LE POLICIER,LE JUGE ET LE MILITANT ASSOCIATIF

34Il convient maintenant d’engager la troisième étape de notre analyse, où nous examinons comment la production sociale de l’absence de la victime est aussi le résultat d’une relation sociale qui met côte à côte policiers, juges, militants associatifs, victimes de la traite et prostituées. Autrement dit, elle n’est pas uniquement le produit d’une volonté politique délibérément discriminatoire à l’égard des étrangers ou de tout autre membre appartenant à l’ « hors-groupe », mais s’appuie aussi sur des nécessités professionnelles. Des formes juridiques de l’absence à sa production effective, une boucle se dessine (qui pourrait se transformer). Confrontée aux nécessités professionnelles, elle installe le visage d’une victime-coupable. L’analyse de sa fabrication prend sens lorsque l’on étudie les motifs qui animent les acteurs en position de qualifier les personnes et les situations, de distinguer le « propre » du « sale », le licite de l’illicite [37], comme nous nous y attachons à présent.

La production de l’absence de la victime par le traitement réservé aux sans-papiers et aux prostituées

35Dans la conception d’une administration de la preuve, la victime de la traite apparaît, dans le champ policier, comme un spectateur silencieux des décisions prises pour elle. Telle est le constat rapporté par Philippe Robert et son équipe dans l’étude des divergences entre le point de vue profane et le point de vue professionnel sur les délits commis : « La victime n’est considérée ni comme client, ni comme un usager ; elle fait partie du public, elle est spectatrice du traitement de sa propre cause. La victime n’apporte au policier qu’un récit et c’est lui, le professionnel, qui va déterminer si l’on doit y reconnaître une infraction et sous quelle qualification. » [38] Le classement des affaires par le policier joue un rôle prépondérant dans le statut octroyé à la victime de la traite, or sa relation avec la police s’établit principalement, sinon exclusivement, dans une situation où elle est interpellée pour racolage ou entrée irrégulière.

36Son statut dépend alors de sa volonté à déposer plainte ou à témoigner contre son souteneur. Dans le cas d’un refus de coopérer avec les autorités compétentes, la victime est désignée comme coupable puisque sans papiers ou prostituée. À la suite du vote de la LSI, les policiers se voient dotés d’un important arsenal de répression de la prostitution de rue, et c’est l’Unité de soutien aux investigations territoriales (USIT) qui se charge de poursuivre les prostituées, de rédiger les procès-verbaux ou de les placer en garde à vue pour « racolage passif ». C’est dans un contexte particulièrement inadapté, lors des gardes à vue, où la prostituée est considérée coupable d’infraction, qu’elle pourrait « décider » de coopérer avec les agents de l’USIT. Dans le cas d’un dépôt de plainte ou de témoignage, elle se voit transférée de l’USIT à la Brigade de répression de proxénétisme (BRP), et c’est précisément dans ce passage que s’opère son changement de statut, de coupable en témoin. Il revient aux brigadiers de la BRP de vérifier la véracité de ses propos et de procéder à une enquête pour proxénétisme. Dans ce cadre, la victime apparaît comme simple témoin, et jamais à ce jour comme « victime de la traite ».

37Les poursuites pour « traite » ne relèvent pas du champ des compétences de la BRP mais de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRETH) [39], qui se montre réticent à poursuivre les coupables pour le délit de traite à finalité sexuelle, estimant que les incriminations pour « proxénétisme aggravé » satisfont amplement les exigences de justice. Les policiers invoquent plusieurs raisons pour expliquer l’absence de mise en examen pour traite : les réseaux difficiles à démanteler, les victimes hostiles à dénoncer, la pénurie des moyens mis à leur disposition, bref, toute une série d’arguments justifiant leur décision de qualification des délits.

38Nous sommes en face d’une situation pour le moins paradoxale : alors que les dispositifs juridiques pour lutter contre la traite des êtres humains existent, la victime de cette incrimination spécifique est occultée lors des procédures de classement des délits. Il y a une victime-coupable du délit de racolage, une victime-témoin dans les procès pour proxénétisme, mais la victime de la traite n’existe pas.

39Résultat principal de notre recherche, la production sociale de l’absence, des victimes et du délit commence par la mobilisation associative, s’inscrit dans les dispositions légales et se réalise effectivement par le travail quotidien de la police et par ses nécessités professionnelles.

L’impuissance du juge face à l’absence

40Les juges, quant à eux, s’estiment impuissants à procéder aux mises en examen pour traite puisque l’instruction judiciaire dépend, en grande partie, de la qualification policière du délit élaborée en amont. Ils évitent néanmoins de poursuivre avec fermeté les personnes prostituées. Les peines prononcées s’élèvent à 300 E d’amende, parfois avec sursis, et les peines de prison sont une exception. Les juges, plus que les policiers, semblent partagés entre l’ « éthique de la conviction » (ne pas poursuivre les plus démunis) et l’ « éthique de la responsabilité » (faire respecter le droit) [40]. Nous avons pu observer dans un grand nombre de cas comment l’éthique personnelle du juge l’emporte souvent sur le respect stricto sensu du droit. Il n’est pas question ici de l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais de la règle cardinale de l’exercice du droit qui est que la Loi s’applique en s’interprétant. Le juge est un lecteur et un interprète du droit [41], il dispose ainsi du pouvoir de nommer des situations, des êtres et des groupes. Cette potentia est prise dans des nécessités et des tensions qui traversent le champ juridique dans son ensemble. Il s’agit notamment, comme le note Denis Salas, des tensions entre « les acteurs et l’appareil décisionnel, la défense des droits et les enjeux politiques, la singularité des cas et la pénalisation anonyme » [42]. Le contentieux des étrangers est sans doute la sphère où ces tensions atteignent un paroxysme. Nous avons assisté à de nombreuses audiences où la personne n’est pas poursuivie pour le délit de racolage, mais reçoit en revanche une invitation à quitter le territoire français, ou se voit expulser par voie administrative [43]. Le stigmate de sans-papiers se substitue ici à celui de « putain ».

41En pénalisant ou en expulsant les prostituées de rue, parmi lesquelles il peut y avoir des victimes de la traite, il participe à la production sociale de l’absence d’un délit qu’il se devrait de reconnaître.

Le traitement associatif de l’absence et des victimes

42Les associations qui agissent auprès des personnes prostituées avaient été, pour certaines d’entre elles, actives dans l’introduction de l’incrimination pour traite en droit français. Elles interviennent selon deux modalités, à l’initiative des prostituées elles-mêmes qui tentent par exemple de régulariser leur situation au regard du séjour en fonction des dispositifs existants ; ou bien, elles sont saisies par les magistrats ou policiers dans le cadre d’enquêtes et d’affaires de proxénétisme. Mais en l’absence d’affaire de traite, ces associations s’appliquent à tenter d’obtenir des autorisations provisoires de séjour (APS) pour ces victimes d’exploitation. Elles sont alors amenées à participer à l’administration de la preuve de manière à distinguer les « vraies » des « fausses » victimes. Le « bon » classement des personnes s’avère indispensable pour conserver leur crédibilité d’ « experts » auprès des pouvoirs publics. La constitution de dossiers impose une spécialisation des compétences qui nécessite un important travail d’investigation. Bon nombre de militants associatifs interviewés s’attachent à repérer les déclarations mensongères : « On les fait passer par des audiences, qui peuvent durer cinq heures, pour être bien sûrs... Si vous voulez, moi, ça m’est arrivé plusieurs fois, en règle générale elles exagèrent... Il y a des gens qui vont vous raconter des trucs horribles et en fait il n’y a rien... Dès que vous essayez de les questionner c’est des vagues de larmes mais il n’y a rien du tout... » [44]

43Distinguer les « vraies » des « fausses » victimes constitue une étape importante de leur travail au sens où cela permet de défendre, avec preuves à l’appui, les dossiers des « vraies » victimes, et d’écarter tout soupçon d’excès de militantisme et de partialité de la part de la police ou des juges. C’est en tant que professionnels du traitement de la misère, en tant que vrais connaisseurs du « terrain » qu’elles deviennent des interlocuteurs privilégiés des services de police ou des juges d’application des peines.

44Certains policiers n’ont d’ailleurs cessé de nous répéter comment le dialogue permanent avec les associations leur a « ouvert les yeux » sur la « réalité » de la traite et du système prostitutionnel. Une approche excessivement « engagée » leur apparaît comme désavantageuse au regard des objectifs poursuivis. Outre la spécialisation de leur activité, la défense de la cause des plus démunis implique l’acceptation de compromis avec les agents de police ou de négocier les dossiers individuels avec suffisamment d’arguments à l’appui. Ce n’est qu’avec la méthode du « cas par cas » et l’art de la négociation que certaines d’entre elles obtiennent des autorisations provisoires de séjour (APS).

45Mais l’attention portée à l’obtention d’APS les conduit à intérioriser les nécessités nationales au détriment de la reconnaissance juridique des victimes de la traite. Elles participent ainsi, à leur mesure, à la production sociale de l’absence d’un délit qu’elles se sont efforcées d’introduire dans les arènes publiques.

***

46Nous avons montré par la présente contribution comment la production de l’absence de la victime se décline en trois moments successifs : la victime idéale des droits de l’homme et des mobilisations associatives se transforme, dans la tension entre le national et l’universel, en victime suspecte, pour devenir coupable une fois cette tension éclipsée au profit des primautés nationales et des nécessités professionnelles. À ces trois visages de la victime, incorporés pourtant dans la même personne, correspondent trois modes de gouvernement de la traite : appréhendée d’abord en termes de droits de l’homme, elle devient rapidement une problématique de gestion des « flux migratoires » et de protection de l’ordre public. Lorsque les intérêts nationaux sont considérés comme menacés, les politiques de suspicion viennent se substituer à celles de la compassion pour finir par fabriquer une victime impossible, socialement produite dans son absence.

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Mots-clés éditeurs : Universel, Mots clés : Traite des êtres humains, Contraintes, Victime, National, Migrations

Date de mise en ligne : 04/07/2008

https://doi.org/10.3917/cis.124.0127

Notes

  • [1]
    Cf. notamment Conseil de l’Europe, Recommandation 1450, Strasbourg, 2000 ; Recommandation 1545, Strasbourg, 2002 ; Joanna Apap and Felicita Medved (International Organization for Migration, 2003 ; Barbara Limanowska, 2003.
  • [2]
    La définition juridique sur laquelle nous nous appuyons, établie par la Convention des Nations Unies contre la Criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, définit la traite comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie ou abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». La « traite » se distingue ainsi de l’ « esclavage », qui constitue l’une de ses finalités, et du « trafic illicite de migrants » qui relève des politiques migratoires et de la lutte contre l’ « immigration clandestine ». La « traite » renvoie davantage au commerce des personnes.
  • [3]
    Nous nous plaçons ici dans la perspective développée par Ian Hacking dans ses travaux sur l’enfance maltraitée. Cf. notamment, La fabrication d’un genre : le cas de l’enfance maltraitée, in Hacking, 2001.
  • [4]
    Les apports de la sociologie politique et morale de Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont été largement mobilisés dans la réalisation de cette recherche (Bolstanski, 1993).
  • [5]
    Mary Douglas [1967], 2001.
  • [6]
    Cette question a été problématisée par Gérard Noiriel dans ses travaux sur les politiques à l’égard des demandeurs d’asile (Noiriel, 1991).
  • [7]
    Pour une analyse détaillée de cette question, cf. Milena Jaksic, 2004.
  • [8]
    La Convention des Nations Unies contre la Criminalité transnationale organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, signé à Palerme en décembre 2000.
  • [9]
    Le CCEM est créé en 1994 à l’initiative de deux journalistes, Dominique Torrès et Sylvie O’Dy.
  • [10]
    Bolstanski, op. cit., p. 79.
  • [11]
    Raymond Depardon accepte ainsi de réaliser un film de promotion du CCEM auquel le chanteur Renaud prête sa voix. Le film dénonce la réalité de l’esclavage.
  • [12]
    Georgina Vaz Cabral, 2002.
  • [13]
    Bolstanski, op. cit., p. 142.
  • [14]
    Cf. troisième partie de cette contribution pour le détail de l’action menée auprès des prostituées par ces associations.
  • [15]
    Le MAPP, créé en 1998, est le représentant européen de la Coalition contre la traite des femmes (CATW, Coalition Against Trafficking in Women), fondée en 1989 à l’initiative de Kathleen Barry, l’une des plus ferventes abolitionnistes.
  • [16]
    Le Bus des Femmes est une association de prostituées, créée en 1989. Elle a facilité l’accès aux soins et aux droits des prostituées. En janvier 2001, elle s’est rangée aux côtés de la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations qui élaborent une plate-forme contre la traite en vue d’exercer une pression plus forte sur les pouvoirs publics.
  • [17]
    Cf. Cabiria, 2004.
  • [18]
    Françoise Guillemaut, 2004.
  • [19]
    Pierre Bourdieu, 1987, p. 193.
  • [20]
    La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre hommes et femmes du Conseil économique et social se saisit du problème en décembre 2000. Ce travail se concrétise par l’ouverture, en mars 2001, d’une mission d’information à l’Assemblée nationale.
  • [21]
    Pour un aperçu plus complet des controverses qui ont animé l’adoption de la Convention de Palerme, cf. Melissa Ditmore et Marjan Wijers, 2003 et Jo Doezema, 2002.
  • [22]
    Cf. supra, n. 2, p. 128.
  • [23]
    Débats parlementaires. Compte rendu intégral. Séance du jeudi 24 janvier 2002, in Journal officiel de la République française, Assemblée nationale, le 25 janvier 2002.
  • [24]
    Dans son travail sur l’enfance maltraitée Ian Hacking souligne lui aussi le rôle de la « technologie statistique dans la légitimation des passions ».
  • [25]
    Cf. Noiriel, op. cit. ; sur l’administration de la preuve, voir aussi Georges Vigarello, 1998.
  • [26]
    Débats parlementaires. Compte rendu intégral. Séance du jeudi 24 janvier 2002, op. cit.
  • [27]
    Albert O. Hirschmann, 1991, p. 21.
  • [28]
    Robert Merton, La prédaction créatrice, in Merton, 1997.
  • [29]
    L’article 225-10-1 du Code pénal définit le « racolage public » comme « le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue d’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération », faits passibles de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 E d’amende.
  • [30]
    Pour une analyse détaillée des politiques à l’égard de la prostitution, cf. Lilian Mathieu, in Didier Fassin, Dominique Memmi, 2004.
  • [31]
    Gérard Noiriel, 2001, p. 347.
  • [32]
    Les étrangers semblent être parmi les principaux boucs émissaires des politiques de « criminalisation de la misère » (Loïc Wacquant, 1999).
  • [33]
    Wendy Chapkis, 2003.
  • [34]
    Gail Pheterson, 2001, p. 30.
  • [35]
    Pour une approche historique de cette question, cf. Alain Corbin, 1982 [1978].
  • [36]
    La situation n’est guère différente en Grande-Bretagne. Cf. Johanna Kantola, Judith Squires, 2004, p. 77-101. Même les Pays-Bas, le premier pays européen a avoir accordé à la prostitution le statut de « métier », se sert de la lutte antitraite pour distinguer les prostituées dites nationales des prostituées étrangères. En analysant le processus législatif à l’origine de la loi régularisant l’exercice de la prostitution, Joyce Outshoorn souligne comment les arguments antitraite sont mobilisés pour légitimer le « retour volontaire » de prostituées étrangères, présentées tantôt comme des victimes innocentes – le retour constitue alors une forme de protection –, tantôt comme des travailleurs clandestins (Outshoorn, 2001, p. 472-490).
  • [37]
    Erving Goffman définit le stigmate en termes de relations et non d’attributs fixes qui figent les personnes dans une identité immuable : « Le normal est le stigmatisé ne sont pas des personnes mais des points de vue. Ces points de vue sont socialement produits lors des contacts mixtes, en vertu des normes insatisfaites qui influent sur la rencontre » (Goffman, 1963, p. 161).
  • [38]
    Philippe Robert, René Zauberman, Marie-Lys Pottier, 2003, p. 358.
  • [39]
    L’OCRETH est créé par un décret interministériel le 31 octobre 1958, deux ans avant que la France ne ratifie la Convention du 2 décembre 1949 sur la traite et l’exploitation de la prostitution d’autrui des Nations Unies.
  • [40]
    Nous reprenons ici la distinction devenue classique de Max Weber formulée dans son ouvrage Le savant et le politique (1963, p. 206).
  • [41]
    Sur le pouvoir d’interprétation du juge, voir « Qui dit légiste, dit le pouvoir. Entretien avec Pierre Legendre », Politix, 1995, no 32. Pierre Bourdieu note également comment les juristes et les juges ont le pouvoir « d’exploiter la polysémie des formules juridiques en recourant soit à la restrictio, procédé nécessaire pour ne pas appliquer une loi, qui entendu littéralement devrait l’être [...] soit à l’extensio, procédé permettant d’appliquer une loi qui, prise à la lettre, ne devrait pas l’être [...] soit toutes les techniques qui, comme l’analogie, la distinction de la lettre et de l’esprit, etc., tendent à tirer le maximum de l’élasticité de la loi, et même de ses contradictions, de ses ambiguïtés et de ses lacunes » (Bourdieu, 1986, p. 7).
  • [42]
    Denis Salas, 2003.
  • [43]
    La Circulaire d’application de la Loi pour la sécurité intérieure prévoit les mesures suivantes en matière d’expulsions : « Dans le cas où la personne qui se prostitue est en situation irrégulière, ou lorsqu’il s’agira d’un étranger en situation régulière mais dont le permis de séjour doit être retiré en application des dispositions précitées par l’article 12 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 « [...], il n’y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l’enquête, la personne fasse l’objet d’une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales” » [souligné par nous] (Circulaire d’application, 3 juin 2003, date d’application immédiate).
  • [44]
    Entretien réalisé le 14 février 2004.

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