Notes
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[1]
Claudia Von Werlhof est également représentante de cette école.
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[2]
Voir Merchant (2021 [1980]). La mort de la nature. Marseille, Wild Project.
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[3]
Littéralement « femme-au-foyérisation » traduisible par « ménagérisation » ou « domestication du travail des femmes » (p. 80).
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[4]
Voir Karl Polanyi (1983 [1944]). La grande transformation. Paris, Gallimard.
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[5]
Voir Hardin (2018 [1968]). La tragédie des communs. Paris, PUF.
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[6]
Si le capitalisme touche ici à sa contradiction inhérente, car il a besoin de ressources qu’il ne peut régénérer, les autrices avancent, en prolongeant les analyses de Rosa Luxembourg, que cette contradiction est dépassée par un constant « phénomène de naturalisation » (p. 327) de la main-d’œuvre des populations les plus précaires.
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[7]
Les autrices se défendent ici de la critique d’essentialisme habituellement adressée aux écoféministes en pointant que si, pour elles, on ne peut séparer les femmes de leur capacité à enfanter, on ne peut pas non plus les y réduire (p. 348-349).
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[8]
Geneviève Pruvost agrège dans la catégorie « féminisme de la subsistance » quelques autres figures : voir Geneviève Pruvost (2021). Quotidien politique. Féminisme, écologie, subsistance. Paris, La découverte, p. 91.
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[9]
Les éditions La Lenteur qui publient cette traduction sont spécialisées dans les textes anti-industriels et techno-critiques.
1 La subsistance. Une perspective écoféministe est la traduction de l’édition anglaise (1999) de l’ouvrage de Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen, originellement paru en 1997 en allemand et enrichi. Ce livre, émanation de « l’école de Bielefeld » [1], témoigne d’une orientation spécifique du féminisme marxiste, articulé à l’écologie et au postcolonialisme, ainsi que de l’écoféminisme dont les autrices se revendiqueront dans la suite des travaux de Carolyn Merchant [2]. Dans cette œuvre qui synthétise leurs recherches depuis les années 1970, les sociologues défendent la « perspective de la subsistance » à partir d’une réévaluation des économies paysannes qui assurent aux communautés et, particulièrement, aux femmes une souveraineté alimentaire soutenable, au fondement de leur autonomie. Le livre s’appuie sur le travail de terrain des deux chercheuses, en Inde pour Maria Mies et au Mexique pour Veronika Bennholdt-Thomsen, ainsi que sur de nombreux travaux en sciences sociales et témoignages qui illustrent la « guerre contre la subsistance » (p. 51) ainsi que les différentes formes de résistances qui lui ont été opposées, notamment dans les Suds. C’est une œuvre ample, à la fois sociologique et économique, qui propose des voies pour un changement social à partir d’analyses tantôt très larges (l’économie-monde depuis 1945), tantôt très fines par le biais d’études de cas.
2 Dans le premier chapitre, les autrices présentent la généalogie de leur approche ainsi que ses premières réceptions. Conceptualisant la subsistance, elles montrent ensuite comment « tout ce qui est en lien avec la création et la préservation immédiate de la vie a été dévalorisé », et celles et ceux qui, méprisé·es, effectuent ces « activités vitales » (p. 51). Ce renversement de la perception sociale de la subsistance, historiquement situé et relativement récent, va de pair avec l’illusion que ce sont l’argent et le capital qui « cré[ent] et entret[iennent] la vie » (p. 54) dans le cadre du marché de consommation.
3 Dans le chapitre Deux, les autrices analysent les conditions de possibilité de la mondialisation économique néolibérale incarnée dans les institutions internationales ainsi que ses conséquences : le « progrès » des un·es ne peut se faire qu’aux dépens de ce qu’elles nomment les « colonies de l’homme blanc » (p. 77). Le concept de housewifization [3], forgé à partir de la redéfinition de la division du travail dans le patriarcat moderne, permet de décrire cette active dés-économisation du travail des femmes, de la nature, des peuples et territoires colonisés, structurellement nécessaire à l’accumulation. Les autrices contestent enfin les présupposés idéologiques du capitalisme, à l’origine de « gouffres » (p. 67) que les États-providence sont de plus en plus impuissants à combler.
4 Dans le troisième chapitre, les autrices se concentrent sur l’agriculture, au centre de leur approche. Là où le modèle industriel intensif orienté vers l’exportation aboutit à la destruction des sols, à la faim et à une perte d’indépendance pour les femmes, elles montrent, en dialoguant avec les peasant studies, comment une agriculture paysanne diversifiée et régionalisée peut être source d’abondance et de liberté.
5 Dans le chapitre 4, s’inscrivant dans la lignée des travaux de Karl Polanyi [4], les autrices critiquent la naturalisation du marché comme nécessairement orienté vers la maximisation des profits, reflet de l’idéologie patriarcale. Elles montrent comment d’autres formes d’échange économique sont possibles : à Juchitán par exemple (société matrifocale au Mexique), les femmes sont au centre d’un « commerce de subsistance » (p. 224), régi par la satisfaction des besoins élémentaires et la réciprocité.
6 Les autrices poursuivent sur la question des villes (chapitre 5), dont la relation avec les campagnes est définie comme « parasitaire » (p. 242). Il est dès lors nécessaire de mettre en place une « économie de subsistance urbaine » (p. 244), dont les autrices trouvent des germes dans les coopératives d’auto-approvisionnement ou dans diverses initiatives de jardinage urbain.
7 Le chapitre 6 s’intéresse aux communs, dont la privatisation, calquée à nouveau sur le modèle de l’housewifization, connaît une nouvelle phase depuis l’avènement des biotechnologies. À l’opposé des « biens communs mondiaux » et en critiquant l’analyse de Garrett Hardin [5], les autrices plaident pour la nécessité de défendre et d’inventer de nouveaux communs inscrits dans des communautés, où peut se développer le sens de la responsabilité dans une « économie morale de subsistance » (p. 288).
8 Les sociologues s’intéressent ensuite au régime du salariat (chapitre 7), défini comme une conception réductionniste du travail, pourtant largement intériorisée. Ce rapport de travail sert l’idéologie patriarcale, en ce que tout ce qui relève de la nécessaire reproduction des cycles de la vie n’est pas pris en charge [6] et s’apparente, en dernier ressort, à un moyen de contrôle.
9 Le chapitre 8 revient sur la dépolitisation du mouvement féministe des années 1970, accentué par le choix de certaines militantes de s’intégrer aux structures de pouvoir. En critiquant vivement ce qu’elles nomment le « féminisme postmoderne », elles plaident pour une perspective émancipatrice valable pour toutes, orientée vers le respect pour la symbolique de la « mère-matière » [7] (p. 366) et la solidarité internationale.
10 Enfin, l’ouvrage se clôt sur une défense de la dimension politique de leur perspective (chapitre 9). Les autrices prennent position, à partir du cas des Palaos (archipel du Pacifique), pour « la politique des champs de taros » (p. 385), c’est-à-dire non séparée du travail et de la quotidienneté, fondée sur l’autogouvernement, et donnant prise à la résistance.
11 Contre les hypothèses du solutionnisme technologique ou du « développement de rattrapage » (p. 32), les autrices en appellent donc à un changement non seulement économique, mais également politique, moral, culturel et social, dont la clef de voûte réside dans la réappropriation collective des moyens de subsistance, indépendamment du sexe et de la classe sociale. Cette option [8], pourtant toujours d’actualité, est restée très marginale dans les champs féministes européen et états-unien, où l’assignation des femmes à la (re)production de la vie a fait l’objet de critiques concurrentes (par exemple autour de la définition du travail domestique ou reproductif entre matérialistes et marxistes) rarement doublées d’un geste de réappropriation. C’est à la faveur de la redécouverte récente des écoféminismes et de l’accentuation des problématiques écologiques [9] que ce « document historique » (p. 7) fait son entrée dans le paysage français, laissant envisager des dialogues féconds entre études de genre, environnementales et postcoloniales.
Notes
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[1]
Claudia Von Werlhof est également représentante de cette école.
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[2]
Voir Merchant (2021 [1980]). La mort de la nature. Marseille, Wild Project.
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[3]
Littéralement « femme-au-foyérisation » traduisible par « ménagérisation » ou « domestication du travail des femmes » (p. 80).
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[4]
Voir Karl Polanyi (1983 [1944]). La grande transformation. Paris, Gallimard.
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[5]
Voir Hardin (2018 [1968]). La tragédie des communs. Paris, PUF.
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[6]
Si le capitalisme touche ici à sa contradiction inhérente, car il a besoin de ressources qu’il ne peut régénérer, les autrices avancent, en prolongeant les analyses de Rosa Luxembourg, que cette contradiction est dépassée par un constant « phénomène de naturalisation » (p. 327) de la main-d’œuvre des populations les plus précaires.
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[7]
Les autrices se défendent ici de la critique d’essentialisme habituellement adressée aux écoféministes en pointant que si, pour elles, on ne peut séparer les femmes de leur capacité à enfanter, on ne peut pas non plus les y réduire (p. 348-349).
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[8]
Geneviève Pruvost agrège dans la catégorie « féminisme de la subsistance » quelques autres figures : voir Geneviève Pruvost (2021). Quotidien politique. Féminisme, écologie, subsistance. Paris, La découverte, p. 91.
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[9]
Les éditions La Lenteur qui publient cette traduction sont spécialisées dans les textes anti-industriels et techno-critiques.