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Article de revue

Introduction. Le langage inclusif est politique : une spécificité française ?

Pages 5 à 29

Notes

  • [1]
    Les autrices remercient Gaël Pasquier pour la relecture de cette introduction, ainsi que pour ses remarques avisées.
  • [2]
    Féminisation des noms, accord de proximité, emploi de mots épicènes, point médian, etc.
  • [3]
    « Un manuel scolaire écrit à la sauce féministe », Le Figaro, 22 septembre 2017.
  • [4]
    « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin », Slate.fr, 7 novembre 2017.
  • [5]
    Nous utilisons ici plusieurs formes d’écriture inclusive : le point médian (écrivain·es), la double flexion (femmes et hommes politiques), des mots épicènes (universitaires) ou des néologismes (acteurices ou actaires, iels) pour rendre compte de la grande diversité des graphies possibles et en vigueur aujourd’hui (Alpheratz, 2018 ; Haddad, 2016 ; Viennot, 2018a) (cf. Gérardin-Laverge, ce numéro). La pratique du langage non sexiste n’étant pas stabilisée, les autaires du dossier ont choisi les formes qu’iels souhaitaient utiliser dans leur contribution.
  • [6]
    Pour faire face aux critiques de certain·es collègues et mieux expliquer ce qu’est le langage non sexiste, nous avons organisé en mars 2018 une table ronde réunissant plusieurs spécialistes de différentes disciplines (https://citedugenre.fr/wp-content/uploads/2018/02/Affiche_Pour_un_langage_non_sexiste_Paris13.pdf). (consulté le 26/11/2020)
  • [7]
    Voir par exemple l’interview de Jean-Michel Blanquer, BFM TV, 16 octobre 2017.
  • [8]
    Cf. Michael Edwards évoquant un « français défiguré, atteint d’une maladie qui couvre la page d’une sorte d’eczéma » ; « C’est la chair même du français qui est rongée », Le Figaro, 5 octobre 2017.
  • [9]
    Cf. « L’écriture inclusive est contre-productive pour l’apprentissage et la compréhension du français », RMC.fr, 27 septembre 2017.
  • [10]
    Ibid. note 9.
  • [11]
    Voir néanmoins cette tribune : « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive », Marianne, 18 septembre 2020. Elle a suscité plusieurs réponses dont celle d’un collectif de linguistes : « Au-delà de l’écriture inclusive : un programme de travail pour la linguistique d’aujourd’hui », Mediapart, 25 septembre 2020.
  • [12]
    Programm für Deutschland. Wahlprogramm der Alternative für Deutschland für die Wahl zum Deutschen Bundestag am 24 September 2017.
  • [13]
    Cf. « Les femmes, victimes de la société ? » (Notre traduction) : https://www.cuncti.net/gesellschaft/199-frauen-opfer-der-gesellschaft (consulté le 26/11/2020)
  • [14]
    Comme le montre la récente proposition de loi déposée au Parlement et portée par un député du Rassemblement national (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3273_proposition-loi) (consulté le 26/11/2020)
  • [15]
    Expression utilisée dans l’article déjà cité « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” ».
  • [16]
    « Écriture inclusive : des manuels scolaires tentent l’expérience », Franvetvinfo.fr, 27 septembre 2017.
  • [17]
    « La querelle du neutre », Le Monde, 31 juillet 1998. Voir aussi Didier Desrimais : « Le mal est profond et la recherche scientifique a d’autres chats à fouetter en ce moment. Mince, j’ai failli écrire “d’autres chattes à fouetter”. Simple réflexe de vicelard ou premier symptôme de cette nouvelle pathologie linguistique ? » (« Écriture inclusive : une obsession pathologie », Causeur, 20 mai 2020).
  • [18]
    « Écriture inclusive : une obsession pathologie », Causeur, 20 mai 2020.
  • [19]
    Le Nouvel Observateur, 7 septembre 1984.
  • [20]
    « La langue peut-elle faire avancer l’égalité », La Croix, 22 novembre 2017 ; « Grammaire : “Masculin et féminin n’ont rien à voir avec les sexes” selon un linguiste », RTL, 9 novembre 2017.
  • [21]
    « L’écriture inclusive, ça ne marchera jamais », Slate.fr, 4 octobre 2017.
  • [22]
    « Je considère que la question de l’égalité homme-femme est une question cruciale, fondamentale à notre époque et que c’est dommage de la dévoyer vers ces sujets-là qui ne sont pas les vrais sujets du féminisme dont nous avons besoin. » Jean-Michel Blanquer, dans l’article « “L’écriture inclusive, c’est très laid” », Valeurs actuelles, 20 novembre 2017.
  • [23]
    « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive », Marianne, 18 septembre 2020
  • [24]
    Dans la droite ligne des travaux de nombreux linguistes (Chomsky, 1969), anthropologues (Sapir, 1985) et philosophes (Austin, 1962 ; Butler, 2006) ainsi que des expériences menées par exemple par Sato, Gygax et Gabriel (2013) qui montrent comment la langue façonne la pensée des locuteurices.
  • [25]
    Cf. par exemple l’article cité note 27.
  • [26]
    Voir par exemple (Bernstein, 1975) ou les travaux pionniers en science du langage intégrant la question du genre (Houdebine-Gravaud, 1997 ; Irigaray, 1990 ; Khaznadar, 1989 ; Marchal et Ribery, 1979 ; Yaguello, 1978). Voir également Gérardin-Laverge, ce numéro.
  • [27]
    Cf. par exemple Marie-Estelle Pech, journaliste au Figaro, qui présente la règle dite « scélérate » comme « une simple règle grammaticale », niant ainsi la dimension agonistique qui a prévalu à son instauration (« Écriture inclusive : de quoi parle-t-on ? Le débat sur TV5Monde et Terriennes », TV5Monde, 17 octobre 2017).
  • [28]
    Dès la Renaissance on trouve des discours misogynes virulents utilisant ces registres discursifs, et notamment la raillerie, pour dénigrer les femmes et l’égalité des sexes (Clavier, 2016).
  • [29]
    Ce fut notamment le cas en France lors des controverses sur la « théorie du genre » à l’école (Gallot et Pasquier, 2018).
  • [30]
    « Alain Rey : “Faire changer une langue, c’est un sacré travail !” », Le Monde, 23 novembre 2017.
  • [31]
    L’argument selon lequel le langage non sexiste serait d’une « complexité incroyable » (« Roselyne Bachelot s’en prend à l’écriture inclusive, une “démarche élitiste” », Le Point, 7 septembre 2020) a été invalidé par les travaux de Yannick Chevalier (2016).
  • [32]
    Le linguiste Alain Bentolila explique ainsi : « Nous sommes très attachés, nous Français, au lien entre la langue et la pensée – une pensée forte et précise – quand les pays francophones ont un rapport plus utilitariste à la langue. Nous sommes le peuple des Lumières. Nous n’avons pas la même histoire... », extrait de « Dans le monde francophone, la France dernier héraut de sa grammaire », Le Figaro, 7 septembre 2018.
  • [33]
    Fatima Aït-Bounoua dans l’émission des Grandes gueules sur RMC, 27 septembre 2017.
  • [34]
  • [35]
    Cet argument a d’ailleurs été brandi pour délégitimer les revendications pour la parité en France (Lépinard et Bereni, 2004).
  • [36]
    « Féminisations des titres et des métiers : l’Académie française cède au conformisme », Le Figaro, 6 mars 2019.

1Prenant appui sur des controverses récentes, ce dossier réunit des contributions de disciplines différentes (philosophie, droit, sociologie, science politique, linguistique) et interroge les mobilisations autour de l’usage du langage non sexiste dans plusieurs pays (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Québec, Suède et Brésil) [1]. Le langage non sexiste utilise différentes techniques, graphiques et syntaxiques [2], pour « assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes » (Haddad 2016, p. 4) et lutter contre le sexisme et les inégalités de genre. Il s’agit donc de rendre visibles des femmes et des personnes non binaires, à l’oral ou à l’écrit, en s’opposant à l’idée que le masculin et les hommes représenteraient l’universel. Les termes langage non discriminant, épicène, égalitaire, inclusif, dégenré, non sexiste, démasculinisé, etc. renvoient au même enjeu : bannir l’emploi d’un langage qui reproduit les rapports de genre.

Enjeu de mobilisation futile ou « péril mortel » ?

2À l’automne 2017, deux événements successifs mettent à l’agenda médiatique français le langage non sexiste : le 22 septembre, Le Figaro publie un article dénonçant l’emploi de l’écriture inclusive dans un manuel scolaire à destination d’élèves de CE2 [3] ; le 7 novembre, 314 enseignant·es déclarent dans un manifeste paru sur Slate.fr : « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin » [4]. Dans ce contexte, des enseignant·es, journalistes, écrivain·es, universitaires, militant·es, acteurices institutionnel·les, hommes et femmes politiques [5] publient des tribunes, organisent ou participent à des débats télévisuels, radiophoniques ou sur internet. Des syndicats, universités, médias, entreprises… décident également d’utiliser davantage le langage non sexiste. Iels contribuent ainsi à déclencher et à alimenter une controverse qui se déploiera en particulier sur les scènes médiatiques et politiques.

3Signataires du manifeste contre cette « règle scélérate », nous avons été partie prenante du débat. Une polémique a éclaté dans notre université quand nous avons relayé sur l’une de ses listes de diffusion ce manifeste et la pétition l’accompagnant [6]. La virulence de certains échanges est à l’origine de ce dossier : nous avons voulu comprendre pourquoi cette question déclenchait autant d’animosité alors même que certain·es détractaires du langage non sexiste arguent de la futilité qu’il y aurait à se mobiliser sur des questions linguistiques et à s’investir sur un terrain symbolique, dénué d’incidence sur l’égalité de fait entre les femmes et les hommes. Si le langage est une question subalterne comparée aux luttes « concrètes » pour l’égalité, pourquoi les débats sur l’écriture inclusive suscitent-ils autant de violence ? Ce paradoxe nous est apparu d’autant plus pertinent à éclaircir que la violence exprimée et l’affirmation selon laquelle le langage jouerait un rôle mineur dans la (re)production des rapports sociaux de sexe ne sont pas nouvelles. Une certaine agressivité s’était déjà déversée dans l’espace public lors des précédentes « batailles pour la féminisation » de la langue au début des années 1980 puis à la fin des années 1990. D’un côté, on a pu entendre que la cause féministe méritait des combats plus « nobles », plus pertinents ou plus urgents que celui de l’action sur la langue française [7]. De l’autre, plusieurs prises de position reflétaient celle de l’Académie française selon laquelle, « devant cette aberration “inclusive”, la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures » (Académie Française 2017). Ainsi la violence s’est-elle exprimée à travers une dramatisation des enjeux [8], mais aussi dans la menace de sanctions à l’encontre des signataires du manifeste, demandées par des député·es au ministre de l’Éducation nationale (Viennot 2018b, p. 71).

4Comment expliquer la coexistence, dans l’espace discursif de cette controverse, de la violence de certains échanges et des prises de positions pointant le caractère « purement symbolique » de la pratique d’un langage non sexiste ?

Une exception française ?

5Cette virulence des débats pourrait ne pas surprendre. Les Français·es ne sont-iels pas particulièrement attaché·es à leur langue ? « Dans cette “nation de grammairiens” […], l’orthographe est constituée en un “sport national” dont les “championnats” recueillent un impressionnant succès » (Dubois 2003, p. 461). Éliane Viennot évoque dans l’entretien qu’elle nous a accordé pour ce dossier le caractère incongru que peut revêtir la dictée de Bernard Pivot pour des personnes étrangères. Les controverses autour du langage non sexiste ne s’inscrivent-elles pas en outre dans la lignée d’autres débats linguistiques, relatifs aux langues régionales, aux « parlers jeunes », aux anglicismes ou aux réformes de l’orthographe ? Finalement, si le langage non sexiste dérange, ce serait tout simplement qu’il existe en France un attachement « viscéral » [9] à la langue.

6Pourtant, la composition fortement internationale de ce dossier permet de relativiser la spécificité de l’opposition française au langage non sexiste. Loin d’être une énième querelle franco-française, le langage non sexiste est également débattu dans d’autres pays. Au Brésil, la volonté de Dilma Rousseff d’afficher ostensiblement la marque du genre féminin dans la désignation du titre habituellement épicène de « presidente » pour lui préférer celui de « presidenta » a déclenché les foudres d’une partie de la société et des élites brésiliennes, sensible aux discours misogynes, sexistes et LGBTQI-phobes de la droite conservatrice incarnée par Jair Bolsonaro (Paz, Pelúcio et Borba, ce numéro). On a pu voir en Italie des réactions similaires quand Laura Boldrini, ancienne présidente de la Chambre des député·es, a introduit dans le débat public la question de l’écriture inclusive et de la féminisation des titres. En Allemagne, plusieurs linguistes et personnalités issues du milieu littéraire ou enseignant se sont alarmées des dangers que feraient courir à la société les revendications féministes et les initiatives des pouvoirs publics en faveur d’un langage non sexiste (Hergenhan dans ce dossier). De même, si « l’égalité des sexes est depuis longtemps au cœur des préoccupations politiques, sociales et éducatives suédoises », la promotion et l’usage du pronom neutre hen à la troisième personne du singulier ne va pas sans heurts. Nathalie Le Bouteillec (dans ce dossier) évoque ainsi les voix de plusieurs linguistes, écrivain·es ou journalistes qui se sont élevées pour dénoncer l’usage de ce pronom, perçu comme dangereux pour la langue suédoise et ses locuteurices. Si le langage égalitaire fait moins l’objet de débats publics en Grande-Bretagne et au Québec, il n’y fait pas non plus consensus. Étonnamment, la dimension internationale de ces débats est peu relevée dans les débats politiques et médiatiques en France, quand elle n’est pas totalement niée [10]. Or en enfermant les controverses sur le langage non sexiste dans un débat sur la langue et sur le rapport des Français·es à celle-ci, on occulte un enjeu politique central : celui de la transformation des normes de genre dans de nombreuses démocraties contemporaines.

L’institutionnalisation des questions de genre

7La lecture croisée des contributions du dossier montre qu’il est important d’éclairer les conditions politiques et sociales dans lesquelles le langage non sexiste devient l’objet de débats publics. Quels que soient les pays ou les époques, les résistances à ce langage s’expriment en effet dans des contextes où la norme d’égalité des sexes progresse.

8Elle progresse d’abord sur le plan linguistique. Si « de nombreux collectifs féministes utilisent et promeuvent des formes non-sexistes ou queer, dans des textes, des brochures et des fanzines, des affiches, des tracts, des slogans », ce langage « se généralise [également] dans l’espace non militant (dans les campagnes d’affichage public, les universités, etc.) » (Gérardin-Laverge, ce numéro). Diverses institutions et organisations françaises, parmi lesquelles le Conseil économique, social et environnemental (Cese), la sncf, des syndicats, ou encore le journal Slate.fr, recourent désormais à certaines formes de ce langage. Plusieurs ministères, collectivités territoriales, établissements d’enseignement supérieur, organismes publics et associatifs ont signé la convention d’engagement pour une communication sans stéréotype de sexe du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes de 2016. En octobre 2017, en pleine polémique sur l’écriture inclusive, la ministre du Travail publie avec sa collègue en charge des droits des femmes un guide recommandant l’usage d’une écriture non sexiste aux pme et tpe. D’autres pays francophones ont vu l’emploi de ce langage progresser plus précocement dans les cercles du pouvoir : c’est le cas de la Suisse, où « les autorités s’efforcent de rédiger les textes officiels, au niveau fédéral comme cantonal, en suivant les règles du guide Écrire les genres », paru en 2002 (Bovieux-Onyekwelu, ce numéro). En Grande-Bretagne, des universités et des conseils locaux ont changé leur politique linguistique (Coady, ce numéro). En Allemagne, l’université de Leipzig a opté en 2013 pour l’adoption du « féminin générique » et plus généralement, différentes organisations (le parti des Verts, le Comité berlinois pour l’égalité de traitement, la ville de Hanovre) promeuvent l’usage de cette forme de langage dans leur communication interne et externe (Hergenhan, ce numéro). En Suède, enfin, le pronom hen est désormais systématiquement utilisé dans le guide des sorties culturelles suédoises et a fait son entrée dans le dictionnaire de l’Académie suédoise en 2015, et dans la version numérique de l’Encyclopédie nationale dès 2012 (Le Bouteillec, ce numéro).

9Certes, dans un contexte social et politique où l’égalité des sexes est reconnue comme valeur positive, il peut être opportun de rendre visible son adhésion à la norme égalitaire (Abbou et al., 2018, p. 3), voire de revendiquer une sensibilité féministe. Mais on ne saurait réduire le recours au langage non sexiste à des stratégies distinctives. La diffusion progressive de mots comme « autrice » (Évain 2001, 2008), de certaines formes de langage non sexiste (« Chères toutes et tous » en France, des formes de double flexion ou le gérondif comme forme neutre en Allemagne), ainsi que la disparition progressive de certaines appellations (comme Miss en Grande-Bretagne) montrent que la prédominance du masculin et d’expressions sexistes s’effrite. À différents endroits enfin, le pouvoir politique flanche : la légitimité croissante de ce langage ne s’explique pas seulement par l’usage qu’en font des institutions, mais aussi par les évolutions de la codification juridique pour le normaliser (Moron-Puech, Saris et Bouvattier, ce numéro). Longtemps vu comme une « fantaisie féministe », le langage non sexiste semble ainsi se situer, dans plusieurs pays, à un point de « basculement », passant, à des rythmes, des degrés et sous des formes variables en fonction des actaires et des contextes nationaux, d’une pratique contestataire, associée à des savoirs minoritaires, à une diffusion de son usage, voire à une forme d’institutionnalisation de celui-ci.

10Les inégalités de genre sont contestées sur d’autres fronts que le langage. Dans les pays étudiés, les résistances à ces (propositions de) modifications langagières s’expriment en effet dans des contextes marqués par des formes de visibilisation et d’institutionnalisation de la norme d’égalité des sexes et des sexualités (Blanchard et al. 2018). Jutta Hergenhan rappelle ainsi que les critiques exprimées dans la presse et dans le milieu politique allemands à l’encontre du langage non sexiste interviennent suite à l’adoption d’une série de mesures politiques visant à faire progresser la norme égalitaire dans des domaines variés (état civil, mariage, etc.). Diego Paz, Larissa Pelúcio et Rodrigo Borba soulignent à quel point le refus d’une partie de la classe politique et des médias de reprendre le terme « presidenta » revendiqué par Dilma Rousseff fait écho à des initiatives de politiques publiques de son gouvernement en faveur des droits des femmes et des minorités sexuelles. En Suède, Nathalie Le Bouteillec montre que les critiques contre la diffusion du pronom hen expriment une forme de résistance aux revendications des mouvements féministe et queer.

11En France, les travaux d’Éliane Viennot ont mis en lumière les origines masculinistes de la règle « scélérate », promue à partir du xviie siècle, en pleine « querelle des femmes » relative à la place de celles-ci dans les cercles de pouvoir (Viennot 2017). Le terme « droits de l’homme » de la Déclaration de 1789 a également été retenu pour des raisons sexistes : l’Assemblée a considéré que, malgré leur rôle significatif durant la Révolution, les femmes n’étaient pas les égales des hommes du fait de leur prétendu manque d’intelligence. À la fin du xixe siècle, les moqueries et dénigrements des termes d’avocates, de pharmaciennes ou de bachelières coïncident avec l’accès des premières femmes à l’université et à différentes professions prestigieuses (Rennes 2007). Au xxe siècle, la première bataille de la féminisation se déroule au début des années 1980 dans un contexte de consolidation du féminisme d’État (Revillard 2016). Comme pour l’histoire récente du Brésil (Paz, Pelúcio et Borba, ce numéro), il s’agit qui plus est d’une période de rupture politique qui consacre l’arrivée de la gauche au pouvoir pour la première fois dans la Ve République. Yvette Roudy, première ministre de plein droit en charge des droits des femmes, fait adopter des mesures législatives importantes (loi du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et lois pour l’égalité professionnelle en 1983). La deuxième bataille de la féminisation se joue dans le sillon des mobilisations pour la parité en politique (Lépinard et Bereni 2004) et pour le vote de la loi sur le pacs (Borillo et Lascoumes 2002).

12Enfin, la controverse de 2017 intervient à la fin d’une décennie durant laquelle sont adoptées différentes mesures qui manifestent une légitimité institutionnelle grandissante des causes féministe et lgbtqi : les lois sur l’égalité professionnelle, sur les quotas de femmes dans les instances dirigeantes des grandes entreprises en 2011, le retour à un ministère de plein droit pour les droits des femmes entre 2012 et 2014, la loi relative au mariage pour toustes en 2013, les « abcd de l’égalité » en 2013-2014 ou les initiatives multiples en matière de lutte contre les violences faites aux femmes depuis le milieu des années 2000 (Delage 2017 ; Herman 2016). Ces transformations de l’ordre de genre portées par les institutions se doublent de la déflagration, mondiale puis nationale, occasionnée par la dénonciation d’une ampleur inédite des violences faites aux femmes à travers les manifestations « Ni Una Menos » en 2015, suivies par le mouvement #metoo. Tous ces événements provoquent une véritable « panique des défenseurs du patriarcat » (Achin et al. 2019).

13Bien qu’il existe peu de travaux encore concernant les épisodes récents de la controverse sur le langage non sexiste (Baudino 2001), il apparaît qu’en France, comme ailleurs, le langage non sexiste est « constitu[é] en objet de débat et d’intervention publique, à la faveur de changements qui n’ont eux-mêmes rien de linguistique » (Dubois 2003, p. 3). Il participe dès lors à inquiéter les défenseurs et défenseuses de l’ordre établi. Lorsque nos collègues brésilien·nes écrivent que « les attaques contre le genre et l’écriture inclusive révèlent plus une réaction aux transformations sociales et culturelles, qui font apparaître les voix des minorités […] dans le débat public, qu’une préoccupation linguistique », iels formulent une idée qui caractérise la situation de plusieurs pays étudiés dans ce dossier (Paz, Pelúcio et Borba, ce numéro). La « résistance de l’ordre linguistique […] est simultanément [celle] d’un ordre du monde » (Rennes 2007, p. 150).

Un terrain d’expression privilégié de l’antiféminisme

14Même si dans différents pays, certain·es linguistes ont publié des tribunes pour défendre ou s’opposer au langage non sexiste, les débats n’ont généralement été ni initiés ni portés par les spécialistes du langage. En France, ce serait même plutôt le contraire (Abbou et al. 2018) [11]. Ces débats semblent plutôt rejouer des affrontements discursifs qui s’expriment sur d’autres sujets que le langage et dont le dossier permet de repérer des caractéristiques communes. D’une part, certain·es des détractaires sont aussi des adversaires des causes féministe et lgbtqi ; d’autre part, nombre d’arguments et registres discursifs déployés mettent en lumière leur dimension antiféministe, quand bien même plusieurs détractaires assurent soutenir l’objectif d’égalité des sexes.

15Dans les pays étudiés dans ce dossier, le langage est particulièrement combattu par des personnes et groupes conservateurs, investis dans la contestation de la norme égalitaire sur plusieurs fronts. Leur bataille contre le langage non sexiste constitue une variante de leur engagement contre le féminisme et « la théorie du genre ». En Allemagne, la demande d’abrogation du « langage non genré » et de « réhabilitation du masculin générique » déposée au Landtag de Rhénanie-du-Nord-Westphalie est une initiative du groupe parlementaire du parti nationaliste AfD (Alternative für Deutschland), dont le programme politique illustre à quel point il défend un ordre de genre sexiste [12]. L’ouvrage Genug gegendert! Eine Kritik der feministischen Sprache [Stop au langage non sexiste ! Une critique du langage féministe] paru en 2013 a été rédigé quant à lui par un enseignant proche de l’extrême droite, qui s’est également illustré par la publication d’un billet en ligne masculiniste [13]. En Suède, les détractaires du pronom neutre hen viennent pour une grande part « de groupes antiféministes actifs sur les forums internet, qui dénoncent un “féminisme d’État”, et des groupes d’extrême droite » (Le Bouteillec, ce numéro). Au Brésil, enfin, la guérilla linguistique provoquée par l’emploi du terme « presidenta » a été alimentée par des médias et hommes politiques conservateurs mobilisés contre la féminisation du pouvoir que Rousseff a incarnée (Paz, Pelúcio et Borba, ce numéro).

16En France, l’éventail des acteurs et actrices mobilisé·es contre le langage non sexiste est relativement large. On y trouve des groupes conservateurs ou nationalistes [14] mais aussi des personnes proches d’une certaine gauche conservatrice, également mobilisée contre les droits des personnes lgbtqi (Borillo 2017) et historiquement sensible aux discours antiféministes (Blais et Dupuis-Déri 2014, p. 155). La controverse de 2017 sur l’écriture inclusive a impliqué des actaires qui s’étaient déjà exprimé·es dans les controverses relatives à la parité en politique, au mariage pour toustes ou aux « abcd de l’égalité » (Cervulle et Julliard 2018). La nature précise des liens entre les protagonistes de ces multiples controverses reste à explorer mais certains éléments empiriques plaident pour l’hypothèse d’une continuité entre ces différentes mobilisations.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

17‬Les liens entre les débats sur le langage non sexiste et l’antiféminisme sont décelables également sur le plan discursif. Pour délégitimer les « inclusivistes » [15], les différents registres et arguments déployés visent les militant·es du langage non sexiste, ce langage lui-même et ses conséquences pour la société toute entière. Leur analyse montre qu’ils se combinent souvent entre eux et contiennent plusieurs traits constitutifs de rhétoriques antiféministes à la fois nouvelles et anciennes. Pour le cas allemand, ces discours, étudiés de façon méthodique par Jutta Hergenhan, relèvent de ce que la littérature allemande qualifie tantôt de nouvel antiféminisme (Blum 2019 ; Henninger 2019) tantôt de discours « antigenre » (Hark et Villa 2015). L’analyse d’autres articles et débats publiés dans les médias français (à propos de l’écriture inclusive et de la féminisation des noms de métier) met aussi en exergue des emprunts à des arguments antiféministes formulés dans des « controverses d’égalité » (Rennes, 2007) plus anciennes.

18Dans les trois premiers types de registres, il n’est pas tant question d’avancer des arguments que de souligner la bêtise et l’incompétence supposées des partisan·es du langage non sexiste. Le premier registre est celui de l’ironie, voire du burlesque. Georges Dumézil, corédacteur de la première déclaration de l’Académie française en 1984, s’amuse par exemple dans le Nouvel Observateur à féminiser les noms propres (« Mme Mitterande », « Mme Fabia ») (Viennot et al. 2015, p. 137), quand d’autres pastichent en 2017 une célèbre fable de La Fontaine « Maître.sse corbe.au.lle sur un arbre perché… » [16]. Le deuxième registre a trait à la sexualisation des débats et des personnes défendant l’usage du langage non sexiste. Marc Fumaroli de l’Académie française écrit ainsi en 1998 : « Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale » [17]. Le troisième registre dénonce l’incompétence supposée des partisan·es du langage inclusif, à l’instar d’un journaliste de Causeur en 2020 qui traite la militante Typhaine D. d’« andouille » [18]. Georges Dumézil en usait déjà en 1984 : « Dans les vingt ou vingt-cinq dernières années, j’ai vu naître, devançant la commission, un petit nombre de féminins auxquels on ne pensait pas et dont on ne peut plus se passer. Ainsi, l’admirable substantif “conne” » [19]. Ces trois registres de discours sont caractéristiques d’un « antiféminisme ordinaire » (Descarries 2006) mêlant ici le burlesque, la grossièreté et la grivoiserie. Ils constituent des stratégies fréquemment employées pour délégitimer les revendications féministes et les femmes dans d’autres domaines et illustrent le fait que l’« une des stratégies récurrentes [de l’antiféminisme] relève d’une logique ad personam : elle consiste moins à réfuter directement le contenu des raisonnements féministes qu’à discréditer celles qui les tiennent » (Rennes et Revue glad! 2018).

19Outre ces trois registres, les débats français contiennent des arguments qui constituent des topos classiques de l’anti-féminisme et cherchent à expliciter les raisons pour lesquelles le langage non sexiste serait secondaire et inutile. Un premier type s’apparente à une leçon de militantisme et renvoie à la question de la temporalité et de la nature des mobilisations : la lutte contre les inégalités matérielles et physiques serait plus importante et plus urgente que celle contre les inégalités linguistiques. Le linguiste Alain Bentolila conseille par exemple de revendiquer d’abord la parité au Sénat [20], tandis que pour la journaliste Peggy Sastre, la priorité serait les violences lgbtphobes [21]. Les tenant·es de cet argument prennent soin de souligner que l’opposition au langage non sexiste n’est pas incompatible avec un soutien à la cause féministe [22] : « Quand le rapport de force est favorable aux féministes, les clivages se brouillent, et quiconque se veut “moderne” doit en passer par cet étiquetage » (Bard et Paoletti 2014, p. 142). Cet argument de la priorisation des luttes, déjà utilisé pour délégitimer les revendications féministes des années 1970 (Delphy 2009), est relativement classique. Il apparaît d’autant plus pernicieux qu’il ne s’agit pas de donner priorité à d’autres combats que le féminisme, mais de prioriser d’autres batailles féministes que celle du langage. Certain·es sous-entendent même que cette bataille est inutile car la langue n’aurait aucune influence sur la pensée et ne serait qu’un instrument de transmission d’idées préexistantes [23] – une idée que déconstruit Mona Gérardin-Laverge dont la contribution dans ce numéro met en évidence le pouvoir performatif du langage et sa participation à la reproduction des rapports sociaux de sexe [24].

20Les adversaires du langage non sexiste estiment aussi qu’il ne sert à rien de vouloir changer le français car il ne serait pas sexiste [25]. Iels expliquent par exemple que le genre des mots et celui des individus sont deux choses différentes, ou bien que le masculin est neutre (Bosvieux-Onyekwelu, ce numéro), allant à l’encontre de nombreux travaux [26]. Cet argument linguistique peut s’entendre comme la déclinaison d’une stratégie argumentative classique de l’antiféminisme, consistant à minorer les inégalités entre les sexes, voire à les nier (Devreux et Lamoureux 2012, p. 17). La distorsion et la désinformation, qui caractérisent le « négativisme » [27] propre à l’antiféminisme ordinaire et qui consistent à refuser de « reconnaître la prédominance accordée aux valeurs et aux pratiques masculines » (Descarries 2006, p. 144) s’appliquent au champ linguistique.

21Les registres discursifs et argumentaires analysés à partir des débats français sont caractéristiques de rhétoriques antiféministes qui ne sont pas propres aux débats sur le langage non sexiste : elles sont présentes dès la fin du xixe siècle – voire plus tôt [28] – pour délégitimer les militantes féministes et leurs revendications. Elles illustrent le fait qu’« au fil des différentes controverses, les arguments hostiles aux analyses et aux revendications féministes se sont peu renouvelés. » (Rennes et Revue glad! 2018) Il serait intéressant de mener un travail similaire d’analyse des discours dans d’autres pays pour voir dans quelle mesure les débats empruntent également à des rhétoriques antiféministes plus anciennes.

22Comme le souligne Jutta Hergenhan pour le cas de l’Allemagne, les débats sur le langage non sexiste relèvent aussi d’un nouvel antiféminisme. On en trouve la trace dans différents pays, par exemple dans des discours faisant écho au thème de la protection des enfants, souvent utilisé [29] « pour mobiliser contre l’homosexualité ou la “diversité sexuelle”, contre le “genre” ou encore contre une “sexualisation”, quelle que soit sa nature » (Schmincke 2017, p. 95). Nathalie Le Bouteillec explique ainsi comment une journaliste suédoise dénonce l’emploi de hen au motif qu’il pourrait troubler les enfants dans leur découverte du genre et de la sexualité. Cette rhétorique est également développée sur d’autres enjeux que le langage par le Vatican, dans le cadre de sa « croisade antigenre », dont les vagues de mobilisations sont observables depuis 2013 dans plusieurs contextes nationaux (Garbagnoli et Prearo 2017). Si le présent dossier fournit des analyses stimulantes pour penser la circulation internationale de certains discours, leurs déclinaisons et leurs inscriptions dans des contextes nationaux propres restent néanmoins largement à étudier. Dans le cas français par exemple, ce ne sont pas tant des dangers d’ordre sexuel qui sont redoutés que les conséquences néfastes pour les apprentissages scolaires [30]. Cette mise en avant de la question pédagogique [31] permet d’élargir le camp des adversaires au langage inclusif à d’autres groupes et individus que ceux classiquement mobilisés contre les revendications féministes. Notons que si cet argument peut s’entendre comme un argument pédagogique, il relève également… d’une rhétorique antiféministe classique : celle d’une « perte des (re)pères » (Baudino 2018, p. 55) et de ses conséquences négatives pour la société toute entière (Rochefort 1999, p. 143). En France, ces arguments ont trouvé un écho particulier et ont suscité des réactions plus fortes que dans d’autres pays. Comment l’expliquer ?

L’intensité des idéologies linguistiques : une spécificité française

23Le langage non sexiste suscite des débats publics dans plusieurs pays mais leur ampleur et leur intensité sont particulièrement marquées en France, au point que l’on peut y qualifier les débats de véritables controverses politiques, définies comme des « confrontation[s] argumentée[s], polarisée[s], dispersée[s] dans plusieurs sphères de l’activité sociale et portant sur un enjeu d’action publique » (Rennes 2016, p. 41). Alors qu’en Allemagne ou en Suède, les débats semblent s’être limités à certaines sphères, ils ont impliqué en France une multiplicité d’actaires et se sont immiscés dans les discussions professionnelles, familiales et amicales. Si le langage non sexiste n’est pas un sujet de débat uniquement « franco-français », est-ce à dire pour autant que la situation ne présente en France aucune particularité ?

24L’article d’Ann Coady dans ce dossier répond à cette question par la négative et fournit à la thèse de la spécificité française des explications d’ordres historique et politique. L’autrice rappelle que chaque langue, en tant que pratique sociale partagée par un groupe plus ou moins grand d’individus, s’inscrit dans une histoire, souvent nationale, qui produit des idéologies linguistiques, c’est-à-dire des « conceptions culturelles de la nature, la forme, et l’objectif d’une langue et du langage » (Gal et Woolard 1995, p. 130). L’histoire française a contribué à la vigueur de deux idéologies linguistiques qui fonctionnent comme un frein à l’acceptation du langage non sexiste.

25La première est celle d’une « langue standard », légitimée par une autorité linguistique dans une conception verticale de la diffusion de la langue qui s’imposerait aux locuteurices. Cette langue standard serait « intrinsèquement meilleure (plus belle, plus élégante, plus logique) que toutes les autres variétés, et [aurait] donc besoin d’être protégée » (Coady, ce numéro). Cette idéologie est notamment nourrie par les académicien·nes, qui entretiennent le mythe d’une langue autrefois universellement célébrée, porteuse de l’esprit des Lumières et d’universalité dans l’Europe du xviiie siècle, puis dans le monde, durant la période coloniale ; elle est également entretenue de façon plus diffuse par la presse conservatrice française (Candea et Véron 2019, p. 169) [32]. Bien que ses compétences et ses arguments soient largement contestés, l’Académie française continue à jouer un rôle symbolique mais prépondérant de gardienne de la langue française (Viennot et al. 2015). Dans d’autres pays, les régulations du langage non sexiste par les autorités linguistiques suscitent moins de débats. Charles Bosvieux-Onyekwelu et Mona Gérardin-Laverge rappellent ainsi qu’en Suisse romande et au Québec, des guides de féminisation de la langue ont vu le jour plus précocement qu’en France, où il a fallu attendre 1999 pour que paraisse le premier guide sur les noms de métiers.

26Benjamin Moron-Puech, Anne Saris et Léa Bouvattier montrent quant à elleux que si les normes relatives au langage inclusif sont comparables en France et au Québec, les actaires institutionnel·les et politiques qui régulent cette question dans les deux pays ont des relations plus conflictuelles en France. La prégnance de l’idéologie d’une langue standard qui devrait être protégée pèse aussi fortement sur les représentations des citoyen·nes français·es qui sont « plus conservateurs que le reste de la francophonie » en matière de langage non sexiste (Abbou et al. 2018). En France, changer la langue en promouvant l’écriture inclusive serait finalement dangereux pour sa « pureté » et participerait à son déclin progressif en handicapant le français à l’international et en le rendant étranger aux jeunes générations, empêchées d’en percevoir l’héritage (Académie française 2017). C’est en référence à ces discours sur la « supériorité » et la « beauté » de la langue française que les détractaires du langage non sexiste mettent en avant des arguments esthétiques dans le débat. Iels considèrent par exemple que la féminisation de certains noms comme « autrice » ou « écrivaine », ou que l’usage du point médian rendraient la langue « laide » et les textes, composés de mots « boursoufflés de lettres » [33], illisibles et incompréhensibles.

27La seconde idéologie analysée par Ann Coady est celle de la langue comme « ciment de la Nation ». La littérature sur les processus de construction de États-nations au xixe siècle montre bien que la langue a été utilisée dans plusieurs États européens comme un outil de diffusion du sentiment national et a donc pleinement participé de leur légitimation (Thiesse 2001). En France, l’affirmation de l’unité de la langue française a servi des ambitions politiques avant même ce processus de diffusion d’un sentiment national (Bourdieu 1982, p. 31) : dès 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts imposant le français comme langue administrative a contribué à l’affirmation d’un État centralisé. C’est ensuite une véritable « politique de la langue » (Candea et Véron 2019, p. 174) qui est initiée sous la Révolution française puis poursuivie plus activement sous la IIIe République. Pour alimenter le « roman national » (Balibar 1985 ; Chervel 1981), cette dernière a mené contre les langues régionales une politique d’unification linguistique dans laquelle l’école a joué un rôle central. La force de l’idéologie de la langue comme « ciment de la Nation » est encore palpable aujourd’hui, que l’on songe à l’importance de la francophonie dans la politique étrangère pour affirmer la « grandeur » de la France (Erfurt 2018) ou aux réactions de certaines personnalités politiques face aux revendications pour un langage non sexiste.

28Ainsi, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer réaffirme le pouvoir de l’État centralisateur en matière linguistique dans son intervention à l’Assemblée nationale le 15 novembre 2017, brandissant la menace de la mise en danger de l’universalisme républicain : « Il y a une seule langue française, une seule grammaire, une seule République » [34]. Ce faisant, il ne s’adresse pas seulement aux partisan·es de l’écriture inclusive mais probablement aussi aux militant·es des régionalismes linguistiques. Pour certain·es de ses détractaires, le langage non sexiste fait ainsi courir le risque d’« ouvrir la boîte de Pandore » et de faire avancer des revendications considérées comme catégorielles [35]. L’essayiste Bérénice Levet exprime de telles craintes au sujet de la féminisation des titres et des professions : « La question de la langue n’a rien d'anecdotique. Notre pays est la proie de revendications identitaires toujours plus véhémentes, qui travaillent à le décomposer en une myriade de communautés et d’individus. L’exigence d’une langue “féminisée” est une de ces revendications » [36]. Si les mobilisations en faveur d’une langue moins sexiste ont suscité l’hostilité d’une partie de la classe politique, c’est aussi en partie parce qu’elles sont interprétées comme pouvant ouvrir la voie à des modifications linguistiques ultérieures qui seraient dangereuses pour l’État central. Les prises de position sur l’écriture inclusive s’inscrivent donc en France dans un jeu politique qui dépasse la question du genre. Le débat y est politique à plus d’un titre. Non seulement il vient questionner la réalité sociale du genre sur le plan symbolique mais il se trouve aussi à la croisée de plusieurs autres enjeux : celui de l’autorité de l’État en matière linguistique, de la réaffirmation d’une conception verticale du langage promu en premier lieu par ses élites et du refus des revendications régionalistes dans un État centralisé.

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30Les débats sur le langage non sexiste illustrent l’« importance de l’espace de diffusion accordé à l’antiféminisme ordinaire » (Descarries 2006, p. 145), dans les médias notamment. Dans un contexte où il devient de plus en plus difficile de contester publiquement la norme d’égalité des sexes et les droits des femmes sur de nombreux plans, le langage semble devenu un terrain d’expression prisé par les tenant·es de l’antiféminisme, en France comme dans d’autres pays. Qui peut par exemple aujourd’hui critiquer ouvertement les politiques de lutte contre les violences faites aux femmes ? Qui peut encore publiquement défendre l’idée qu’un mari aurait le « droit » de « corriger sa femme » ? De la même manière, qui peut, sur la place publique, défendre l’idée qu’il serait normal que les femmes perçoivent un salaire inférieur à celui des hommes ? L’une des clés pour comprendre la virulence des débats sur le langage non sexiste réside, selon nous, dans le fait qu’en matière de langage, en revanche, on peut encore affirmer publiquement que l’égalité n’est ni pertinente ni nécessaire. Celle-ci « progresse lentement mais inéluctablement. Dans une société démocratique, il est difficile de s’opposer frontalement à ce mouvement. Pour le retarder et continuer à croire que tout est comme avant, les conservateurs s’attachent aux mots » (Baudino 2018, p. 56). Contrairement à d’autres thèmes comme la famille, qui constitue un domaine privilégié des attaques antiféministes (Devreux et Lamoureux 2012, p. 14), le terrain de la langue n’est pas directement associé au conservatisme et à la discrimination. Mettant en jeu le terrain symbolique, il offre la possibilité d’une expression euphémisée, n’attaquant pas directement les groupes discriminés mais « seulement » le féminin grammatical et les pronoms dégenrés. Son caractère souvent plus « discret », « moins explicite et moins agressant » (Descarries, 2006, p. 145) que les déclarations virulentes de certains masculinistes lui confère probablement une certaine efficacité, d’autant plus que ces discours sont souvent énoncés par des personnes influentes ou détentrices d’autorité. Néanmoins, les tribunes contre le langage non sexiste, en conférant à ce thème une visibilité inédite et en suscitant des réponses de ses partisan·es, ont finalement contribué à en faire la publicité. Ils n’ont donc pas permis seulement l’expression de l’antiféminisme mais aussi celle de la cause féministe.

31Certain·es détracteurices du langage non sexiste, en positionnant le débat sur les questions linguistiques, masquent, ce faisant, certains enjeux idéologiques et politiques du débat : « Les succès des combats féministes ont modifié les possibilités de prises de position ouvertement sexistes et misogynes […] les argumentaires doivent […] trouver d’autres chemins d’expression et adapter leurs formes langagières » (Devreux et Lamoureux 2012, p. 10). Cette dépolitisation apparente constitue un double coup de force. En France, elle contribue non seulement à faire reculer l’expression des arguments antiféministes les plus flagrants mais aussi à élargir la coalition des opposant·es à ce langage à d’autres types d’actaires, dont on peut légitimement penser qu’iels n’ont pas partie liée avec l’antiféminisme. D’autres travaux permettront nous l’espérons d’interroger de façon approfondie ces diverses mobilisations autour du langage non sexiste.

32Par leurs revendications, certain·es promotaires du langage non sexiste ont donc bien compris que « derrière les dynamiques linguistiques se joue la distribution du pouvoir politique à l’intérieur d’une société » (Garcia 2014, p. 36). Iels troublent non seulement l’ordre du genre, mais iels soulèvent également une autre question politique : celle de savoir qui détient la légitimité à faire évoluer le langage. La politique de la langue constituant de longue date un outil important d’affirmation et de légitimation du pouvoir politique en France, elle a contribué à la diffusion d’idéologies linguistiques qui freinent l’acceptation du langage non sexiste, comme d’autres réformes linguistiques. Les mobilisations pour un langage non sexiste viennent donc désacraliser la langue française alors que cette dernière a été longtemps imposée de manière autoritaire, et sont finalement une manière d’affirmer que « le français est à nous ! » (Candea et Véron 2019).

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34Le numéro présente également un varia de Louisa Acciari et Valeria Ribeiro Corossacz, « La construction d’une pratique politique intersectionnelle dans les luttes des travailleuses domestiques au Brésil », qui, comme son nom l’indique, s’inscrit dans le paradigme des recherches sur l’intersectionnalité.

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  • Viennot Éliane (2018b). « Le langage enfin vu sous l’angle des violences sexistes ». Les possibles, 16 : 71-78.
  • Viennot Eliane, Candea Maria, Chevalier Yannick, Duverger Sylvia, Houdebine Anne-Marie, Lasserre Audrey (dir.) (2015). L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation ». Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe.
  • Yaguello Marina (1978). Les mots et les femmes : essai d’approche socio-linguistique de la condition féminine. Paris, Payot.

Notes

  • [1]
    Les autrices remercient Gaël Pasquier pour la relecture de cette introduction, ainsi que pour ses remarques avisées.
  • [2]
    Féminisation des noms, accord de proximité, emploi de mots épicènes, point médian, etc.
  • [3]
    « Un manuel scolaire écrit à la sauce féministe », Le Figaro, 22 septembre 2017.
  • [4]
    « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin », Slate.fr, 7 novembre 2017.
  • [5]
    Nous utilisons ici plusieurs formes d’écriture inclusive : le point médian (écrivain·es), la double flexion (femmes et hommes politiques), des mots épicènes (universitaires) ou des néologismes (acteurices ou actaires, iels) pour rendre compte de la grande diversité des graphies possibles et en vigueur aujourd’hui (Alpheratz, 2018 ; Haddad, 2016 ; Viennot, 2018a) (cf. Gérardin-Laverge, ce numéro). La pratique du langage non sexiste n’étant pas stabilisée, les autaires du dossier ont choisi les formes qu’iels souhaitaient utiliser dans leur contribution.
  • [6]
    Pour faire face aux critiques de certain·es collègues et mieux expliquer ce qu’est le langage non sexiste, nous avons organisé en mars 2018 une table ronde réunissant plusieurs spécialistes de différentes disciplines (https://citedugenre.fr/wp-content/uploads/2018/02/Affiche_Pour_un_langage_non_sexiste_Paris13.pdf). (consulté le 26/11/2020)
  • [7]
    Voir par exemple l’interview de Jean-Michel Blanquer, BFM TV, 16 octobre 2017.
  • [8]
    Cf. Michael Edwards évoquant un « français défiguré, atteint d’une maladie qui couvre la page d’une sorte d’eczéma » ; « C’est la chair même du français qui est rongée », Le Figaro, 5 octobre 2017.
  • [9]
    Cf. « L’écriture inclusive est contre-productive pour l’apprentissage et la compréhension du français », RMC.fr, 27 septembre 2017.
  • [10]
    Ibid. note 9.
  • [11]
    Voir néanmoins cette tribune : « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive », Marianne, 18 septembre 2020. Elle a suscité plusieurs réponses dont celle d’un collectif de linguistes : « Au-delà de l’écriture inclusive : un programme de travail pour la linguistique d’aujourd’hui », Mediapart, 25 septembre 2020.
  • [12]
    Programm für Deutschland. Wahlprogramm der Alternative für Deutschland für die Wahl zum Deutschen Bundestag am 24 September 2017.
  • [13]
    Cf. « Les femmes, victimes de la société ? » (Notre traduction) : https://www.cuncti.net/gesellschaft/199-frauen-opfer-der-gesellschaft (consulté le 26/11/2020)
  • [14]
    Comme le montre la récente proposition de loi déposée au Parlement et portée par un député du Rassemblement national (http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3273_proposition-loi) (consulté le 26/11/2020)
  • [15]
    Expression utilisée dans l’article déjà cité « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” ».
  • [16]
    « Écriture inclusive : des manuels scolaires tentent l’expérience », Franvetvinfo.fr, 27 septembre 2017.
  • [17]
    « La querelle du neutre », Le Monde, 31 juillet 1998. Voir aussi Didier Desrimais : « Le mal est profond et la recherche scientifique a d’autres chats à fouetter en ce moment. Mince, j’ai failli écrire “d’autres chattes à fouetter”. Simple réflexe de vicelard ou premier symptôme de cette nouvelle pathologie linguistique ? » (« Écriture inclusive : une obsession pathologie », Causeur, 20 mai 2020).
  • [18]
    « Écriture inclusive : une obsession pathologie », Causeur, 20 mai 2020.
  • [19]
    Le Nouvel Observateur, 7 septembre 1984.
  • [20]
    « La langue peut-elle faire avancer l’égalité », La Croix, 22 novembre 2017 ; « Grammaire : “Masculin et féminin n’ont rien à voir avec les sexes” selon un linguiste », RTL, 9 novembre 2017.
  • [21]
    « L’écriture inclusive, ça ne marchera jamais », Slate.fr, 4 octobre 2017.
  • [22]
    « Je considère que la question de l’égalité homme-femme est une question cruciale, fondamentale à notre époque et que c’est dommage de la dévoyer vers ces sujets-là qui ne sont pas les vrais sujets du féminisme dont nous avons besoin. » Jean-Michel Blanquer, dans l’article « “L’écriture inclusive, c’est très laid” », Valeurs actuelles, 20 novembre 2017.
  • [23]
    « Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive », Marianne, 18 septembre 2020
  • [24]
    Dans la droite ligne des travaux de nombreux linguistes (Chomsky, 1969), anthropologues (Sapir, 1985) et philosophes (Austin, 1962 ; Butler, 2006) ainsi que des expériences menées par exemple par Sato, Gygax et Gabriel (2013) qui montrent comment la langue façonne la pensée des locuteurices.
  • [25]
    Cf. par exemple l’article cité note 27.
  • [26]
    Voir par exemple (Bernstein, 1975) ou les travaux pionniers en science du langage intégrant la question du genre (Houdebine-Gravaud, 1997 ; Irigaray, 1990 ; Khaznadar, 1989 ; Marchal et Ribery, 1979 ; Yaguello, 1978). Voir également Gérardin-Laverge, ce numéro.
  • [27]
    Cf. par exemple Marie-Estelle Pech, journaliste au Figaro, qui présente la règle dite « scélérate » comme « une simple règle grammaticale », niant ainsi la dimension agonistique qui a prévalu à son instauration (« Écriture inclusive : de quoi parle-t-on ? Le débat sur TV5Monde et Terriennes », TV5Monde, 17 octobre 2017).
  • [28]
    Dès la Renaissance on trouve des discours misogynes virulents utilisant ces registres discursifs, et notamment la raillerie, pour dénigrer les femmes et l’égalité des sexes (Clavier, 2016).
  • [29]
    Ce fut notamment le cas en France lors des controverses sur la « théorie du genre » à l’école (Gallot et Pasquier, 2018).
  • [30]
    « Alain Rey : “Faire changer une langue, c’est un sacré travail !” », Le Monde, 23 novembre 2017.
  • [31]
    L’argument selon lequel le langage non sexiste serait d’une « complexité incroyable » (« Roselyne Bachelot s’en prend à l’écriture inclusive, une “démarche élitiste” », Le Point, 7 septembre 2020) a été invalidé par les travaux de Yannick Chevalier (2016).
  • [32]
    Le linguiste Alain Bentolila explique ainsi : « Nous sommes très attachés, nous Français, au lien entre la langue et la pensée – une pensée forte et précise – quand les pays francophones ont un rapport plus utilitariste à la langue. Nous sommes le peuple des Lumières. Nous n’avons pas la même histoire... », extrait de « Dans le monde francophone, la France dernier héraut de sa grammaire », Le Figaro, 7 septembre 2018.
  • [33]
    Fatima Aït-Bounoua dans l’émission des Grandes gueules sur RMC, 27 septembre 2017.
  • [34]
  • [35]
    Cet argument a d’ailleurs été brandi pour délégitimer les revendications pour la parité en France (Lépinard et Bereni, 2004).
  • [36]
    « Féminisations des titres et des métiers : l’Académie française cède au conformisme », Le Figaro, 6 mars 2019.
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