Notes
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[1]
Ce texte est une version raccourcie de l’article de Val Plumwood (1991). “Nature, Self, and Gender : Feminism, Environmental Philosophy and the Critique of Rationalism”. Hypatia, vol. 6, n° 1, p. 3-27. Les coupes sont indiquées par […].
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[2]
Sur sa biographie, voir l’article de Layla Raïd, note 2, p. 51.
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[3]
Ce qui intéresse principalement Regan, acteur du mouvement des droits des animaux, c’est moins le traitement réservé aux animaux sauvages, que celui réservé aux animaux domestiques dans le contexte de la société humaine et de la culture, même s’il ne dit pas que ces derniers devraient bénéficier d’un traitement moral privilégié. […]
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[4]
[NdT]. Nous traduirons self-containment et containment par le verbe « (se) contenir » ou « (se) retenir », au sens où l’on dit en français qu’une personne « fait preuve de retenue » ou qu’elle « se contient », parce qu’elle ne s’épanche pas et sait garder pour elle ses sentiments, mais aussi au sens où une chose est contenue à l’intérieur d’une autre, enfermée ou confinée dans un espace clos.
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[5]
Contre Cheney qui semble inviter à renoncer à tous les concepts généraux éthiques, et à adopter une éthique ‘contextuelle’ fondée sur la pure particularité et l’émotionnalité. Nous devons plutôt réintégrer ce qui est de l’ordre du personnel et du particulier, et réévaluer de façon plus positive le rôle de l’un et de l’autre, mais le dépassement du dualisme moral ne doit pas se ramener à l’affirmation du personnel dans la sphère morale. Se contenter de revendiquer la prise en compte de la pure particularité et de la pure émotionnalité, c’est implicitement accepter la construction dualiste d’où ces concepts résultent, en vertu de quoi ils s’opposent à une éthique rationaliste : c’est simplement tenter de renverser l’ordre des valeurs. […]
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[6]
[…] Parmi les critiques écoféministes de la deep ecology, citons Salleh (1984), Kheel (1985), Biehl (1987) et Warren (1990).
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[7]
Arne Næss, cité par Fox (1984, p. 3, 10).
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[8]
Arne Næss, cité par Fox (1986, p. 54).
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[9]
Grimshaw (1986, p. 182). Voir aussi l’excellente discussion dans l’article de Warren (1990, p. 136-138) de l’importance de la reconnaissance et du respect de la différence de l’autre ; Blum (1980, p. 75) et Benhabib (1987, p. 166).
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[10]
Ce modèle traditionnel des relations à la terre est étroitement lié au modèle biorégionaliste, dont la stratégie est d’inviter les habitants à mieux connaître les lieux caractéristiques de la région où ils vivent et qui revêtent pour eux une signification, et à s’en soucier activement, l’idée étant que la relation privilégiée que l’on soutient avec la région où l’on a grandi facilite l’adoption d’une manière de vivre responsable et soucieuse de cet environnement particulier. […]
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[11]
Miller 1978 ; Plumwood 1980 ; Gilligan 1982, 1987 ; Jaggar 1983 ; Poole 1984, 1985, 1990 ; Benjamin 1985 ; Chodorow 1985 ; Benhabib 1987 ; Benhabib, Cornell 1987 ; Warren 1990.
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[12]
Cette position réductionniste semble avoir été effectivement défendue par quelques auteures féministes (peut-être Andrée Collard [1988] et Sally Miller Gearhart [1982]), mais ne peut pas être tenue pour représentative de l’essentiel du travail accompli dans ce champ de recherche. […]
1La philosophie environnementale a récemment été critiquée sur de nombreux points par les philosophes féministes. Je développerai ici quelques-unes de ces critiques et suggérerai que le problème rencontré vient dans une large mesure de l’incapacité de la philosophie environnementale à engager un débat sérieux avec la tradition rationaliste hostile à la fois aux femmes et à la nature. Le fait que le projet d’élaboration d’une nouvelle philosophie environnementale ait repris à son compte quelques-unes des hypothèses dommageables issues de cette tradition explique pourquoi les récents philosophes de l’environnement se sont référés à des modèles d’analyse philosophique rationaliste, leur donnant par là même un prolongement — modèles d’analyse dont je m’efforcerai de montrer que la perspective d’ensemble est non seulement biaisée par un préjugé de genre, mais encore responsable de la façon funeste dont les hommes se rapportent à la nature. […]
Le rationalisme et l’approche éthique
2La nouvelle approche éthique apparue ces dernières années propose une nouvelle façon de se représenter la nature en éthique, tout particulièrement à universaliser l’éthique ou à étendre l’éthique humaine. Cette approche a été critiquée par un certain nombre d’auteures féministes (notamment Cheney 1987, 1989).
3Je suis en accord et en désaccord avec ces critiques parce que j’estime que le privilège qui a été conféré à l’éthique […] est abusif : même si l’éthique (avec primauté de l’éthique de la valeur non instrumentale) a un rôle à jouer, les approches éthiques particulières qui ont été adoptées sont elles-mêmes problématiques et inadéquates. J’illustrerai ce point par la discussion de deux livres récents : celui de Paul Taylor, Respect for Nature (Le respect de la nature) (1986), et celui de Tom Regan, The Case for Animal Rights (Plaidoyer pour les droits des animaux) (1983). […]
4Le livre de Paul Taylor élabore par le menu une doctrine éthique qui disqualifie le traitement standard, très largement répandu en Occident, réservé à la nature, qui instrumentalise cette dernière aux seules fins des intérêts des hommes. Il propose une autre attitude qui considère que les êtres vivants, compris comme des centres téléologiques de vie, sont en eux-mêmes dignes de respect. Taylor défend une théorie éthique biocentrique (centrée sur la vie) pour laquelle le moi proprement humain d’une personne inclut la reconnaissance de sa nature biologique (Taylor 1986, p. 44). Il s’efforce de conformer cette théorie au modèle de l’éthique kantienne qui mobilise massivement la dichotomie entre raison et émotion.
5À terme, il apparaît que le fondement moral du respect de la nature n’est autre que sa capacité à être universalisée et son caractère désintéressé […].
6Les traits constitutifs de la morale ayant été définis par la mise à distance de toute émotion et « affection particulière », la morale est considérée comme déterminant un domaine de rationalité — sa pierre de touche est alors la croyance. Après avoir soigneusement distingué « les dimensions d’évaluation, les dimensions conatives, pratiques et affectives de l’attitude de respect de la nature », Taylor démontre que l’aspect essentiellement cognitif de l’« évaluation » est au fondement de tous les autres :
C’est parce que les agents moraux considèrent les animaux et les plantes de cette manière qu’ils sont disposés à poursuivre les fins qui viennent d’être mentionnées.
8Ils sont donc disposés à éprouver les émotions correspondantes et à adopter les attitudes affectives adéquates. Mais ces dernières doivent être tenues à distance respectable, sans jamais être autorisées à prendre le dessus. Pour lui, les actions ne témoignent d’une attitude de respect moral que si des principes moraux commandent leur accomplissement comme moralement obligatoires et désintéressées :
Si quelqu’un poursuit cette fin peu ou prou par inclination, alors ce dont témoigne cette attitude, ce n’est pas de respect moral, mais d’une affection toute personnelle ou d’un amour […]. Ce n’est pas que l’attitude de respect de la nature inhibe les sentiments qui nous portent à nous soucier des êtres vivants. Il se peut que l’on ne veuille pas, par simple gentillesse, leur faire subir de préjudice. Mais le fait que quelqu’un nourrisse de tels sentiments n’est pas le signe de la présence d’une attitude morale de respect. […]
10Il y a un bon sens à critiquer l’attitude de qui se mêle de protection des animaux pour donner satisfaction aux sentiments qui le portent à se soucier de leur sort, au nom d’une sorte de ‘gentillesse’ narcissique fort éloignée du respect moral. Le respect des autres implique de les traiter comme dignes de considération en eux-mêmes, et non comme instruments pour la satisfaction de qui se soucie d’eux.
11Mais Taylor va bien au-delà — il considère le souci, compris comme ‘inclination’ ou ‘désir’, comme dénué de toute pertinence morale. Le respect de la nature devient une affaire essentiellement cognitive (l’affaire d’une personne convaincue qu’une chose possède une ‘valeur inhérente’, et qui agit par suite en réglant son action sur l’intelligence qu’elle a des principes éthiques capables d’être universalisés).
12Cette théorie repose sur la représentation familière qui sépare et oppose fermement la raison et l’émotion ; qui fait du ‘désir’, du souci et des sentiments d’amour une affaire ‘personnelle’ et ‘singulière’, par opposition à l’universalité et à l’impartialité de l’intelligence ; qui tient les émotions ‘féminines’ pour essentiellement peu fiables, indignes de confiance et dénuées de toute pertinence morale — un domaine inférieur qui doit être dominé et surplombé par une raison supérieure désintéressée (bien entendu masculine). Cette théorie typiquement rationaliste des émotions en morale a fait l’objet d’une ample critique bien méritée, en raison à la fois d’un préjugé de genre implicite et de son caractère philosophiquement inadéquat — dualiste, concevant la raison publique comme radicalement distincte des émotions privées et appelée à exercer un contrôle sur celles-ci (Blum 1980 ; Gilligan 1982, 1987 ; Lloyd 1983a, 1983b ; Benhabib 1987).
13Un autre problème majeur apparaît lorsque l’on considère l’incohérence de recourir, pour édifier une théorie éthique prétendument biocentrique, à un modèle qui a lui-même joué un rôle décisif dans la création d’une conception dualiste de ce qu’est authentiquement le moi, qui sépare un moi essentiellement rationnel et un moi purement émotionnel tout entier du côté du corps, des composantes purement animales. Car si les émotions, et la sphère privée à laquelle elles sont associées, sont si rigoureusement différenciées et tenues pour inférieures, c’est aussi bien parce qu’elles sont renvoyées à la sphère de la nature, et non de la raison.[…].
14Thomas d’Aquin résume l’idée clé de cette position problématique :
La nature intellectuelle est dans l’univers la seule chose qui soit requise pour son propre compte, alors que tout le reste existe par rapport à elle.
16C’est précisément la raison ainsi comprise qui est généralement supposée pouvoir caractériser l’être humain authentique, et pouvoir introduire une séparation tranchée, un clivage ou une discontinuité entre les êtres humains et le monde non humain, ainsi qu’un clivage analogue au sein du moi humain. La suprématie accordée à une raison comprise de cette façon oppositionnelle est la clé de l’anthropocentrisme occidental. […]
17L’universalisation et l’abstraction éthiques sont toutes deux étroitement liées à des conceptions du moi en termes d’égoïsme rationnel. L’universalisation est explicitement considérée, dans le modèle kantien comme dans le modèle rawlsien, comme le seul procédé permettant de brider l’égoïsme naturel ; elle est à ce titre le complément moral de la conception du moi qui fait de tout homme un sujet « désincarné et désinséré » — le moi autonome de la théorie libérale, l’égoïste rationnel de la théorie du marché, le moi faussement différencié de la théorie des relations objectales (Poole 1984, 1985 ; Benhabib 1987).
18C’est en ce sens que des philosophes environnementaux influents (Leopold 1949, p. 201-202) ont pu considérer l’élargissement de la problématique morale et l’attribution de droits au monde naturel comme l’étape finale d’un processus croissant d’abstraction et de généralisation morales, lui-même lié à un certain discrédit jeté sur ce qui est purement particulier — mon moi, ma famille, ma tribu —, ou purement personnel et, par implication, sur ce qui est purement égoïste. Cette évolution est tenue pour un progrès moral, dont la valeur culturelle s’élève au fur et à mesure que l’on s’écarte de l’égoïsme primitif. La nature est le dernier domaine qui attende d’être associé à cette marche en avant, qui laisse loin derrière elle l’égoïsme naturel débridé privilégiant le particulier, ainsi que son allié fidèle, l’émotionnel. […]
19Cette conception de la morale comme fondée sur un concept de raison où le rationnel s’oppose au personnel, au particulier et à l’émotionnel, a été reprise par un certain nombre d’éthiciens de l’environnement. Toutefois, comme l’ont souligné de nombreuses critiques féministes du modèle masculin de la vie morale et de l’abstraction morale (Blum 1980 ; Nicholson 1983), cette abstraction croissante ne constitue pas nécessairement une amélioration. […]
20Ainsi que Blum (1980, p. 78-83) le souligne, les relations spécifiques sont, dans une large mesure, au fondement de notre vie morale, et il peut difficilement en être autrement. La capacité à se soucier de la nature, comme des autres êtres humains, à éprouver de la sympathie, manifester de la compréhension, être sensible à la situation et au sort des autres en particulier, et assumer des responsabilités en leur nom, constituent un index de notre vie morale. Les relations spécifiques, à base de souci et d’empathie, que nous soutenons avec des aspects particuliers de la nature en tant qu’ils font l’objet d’une expérience, et non d’une représentation abstraite, sont les seules essentiellement capables de conférer une profondeur à la vie morale qui en serait dépourvue sinon. Le souci et le sentiment de responsabilité à l’endroit des animaux, des arbres et des rivières, de tous ces êtres non humains qui nous sont bien connus, que nous aimons, et qui sont liés de façon appropriée au moi, jouent un rôle décisif dans l’acquisition d’une vie morale plus ample et douée d’un plus haut degré de généralité. […]
Le rationalisme, les droits et l’éthique
21Élargir les concepts standard de la morale pour leur donner une application dans le domaine de la nature — tel est également l’objectif du livre de Tom Regan, The Case for Animal Rights (1983). Cet ouvrage, de loin le plus impressionnant et le mieux argumenté dans le domaine de l’éthique animalière, comprend quelques chapitres excellents, notamment sur l’intentionnalité animale. Le concept clé est celui de droits, dont la compréhension exige de distinguer rigoureusement entre les différents titulaires de droits, et de se référer au modèle de légalité d’une communauté humaine.
22Or, l’extension d’un tel modèle au monde naturel soulève toute une série de problèmes (Midgley 1983, p. 61-64), même en se limitant aux cas des animaux individuels supérieurs en référence auxquels Regan mobilise le concept de droits. En effet, Regan retient la leçon de Mill — dire qu’un être a droit à quelque chose implique qu’il doit pouvoir entrer en possession de cette chose, mais aussi que les autres sont tenus d’intervenir pour la lui garantir. Il semble résulter de l’application de ce concept de droits aux animaux individuels sauvages, que les hommes portent le poids d’obligations presque infinies, et qu’ils sont tenus d’intervenir massivement de multiples manières et en profondeur dans les cycles naturels pour assurer les droits d’une grande variété d’êtres sauvages. Pour reprendre l’exemple de Tom Regan, celui du loup et de la brebis, incombe-t-il aux hommes d’intervenir pour protéger les droits de la brebis, ou de ne rien faire pour ne pas empiéter sur les droits du loup à l’endroit de sa nourriture naturelle ? […]
23L’application du concept de droits aux relations entre les proies et les prédateurs d’un écosystème naturel semble produire des conséquences absurdes, par opposition à l’application de ce concept aux relations sociales que des requérants soutiennent avec les autres membres de la même communauté politique avec lesquels ils sont en conflit, et où les litiges peuvent être tranchés sur la base de principes qui ont fait l’objet d’une entente entre les parties. Tout cela me semble indiquer que le concept de droits ne permet pas de régler notre rapport aux animaux dans l’environnement naturel (à ne pas confondre avec les animaux domestiques qui vivent dans un environnement fondamentalement humanisé) [3].
24Les droits semblent s’être vu reconnaître une importance exagérée en raison du prestige dont jouissent la sphère publique et le masculin, et du privilège accordé à la séparation, à l’autonomie, à la raison et à l’abstraction. Une approche plus prometteuse de l’éthique environnementale, et plus en consonance avec les grandes orientations du féminisme, consisterait à déloger les droits de la place centrale qu’ils occupent en morale, et à accorder plus d’attention à d’autres concepts moraux moins dualistes, tels que le respect, la sympathie, le souci, la compassion, la gratitude, l’amitié et la responsabilité (Cook 1977, p. 118-119). Ces concepts, parce que conçus comme la contrepartie féminine dualiste des concepts de la tradition rationaliste, et consignés dans la sphère privée comme étant de l’ordre du subjectif et de l’émotionnel, ont été tenus pour périphériques, recevant bien moins d’attention qu’ils n’en méritaient pour plusieurs raisons. Premièrement, le rationalisme, le prestige de la raison et de la sphère publique ont influencé non seulement le concept de la morale, mais encore de ce qui est au centre de toute morale et peut valoir au titre de concepts moraux. Deuxièmement, les concepts tels que le respect, le souci, etc., résistant à une analyse en termes d’opposition dualiste raison/émotion, la tentative qui vise à les élucider en ces termes a engendré une certaine confusion et une distorsion des idées (Blum 1980). Ce sont des ‘sentiments’ moraux, mais ils impliquent en même temps une certaine rationalité, ils s’expriment sous la forme d’une attitude et correspondent à une émotion. Les concepts éthiques d’inspiration rationaliste sont éminemment ethnocentriques et incapables de rendre compte de façon adéquate des conceptions de nombreux peuples indigènes, si bien que la tentative de leur appliquer les concepts rationalistes conduit à penser qu’un modèle véritablement éthique leur fait tout simplement défaut (Plumwood 1990).
25En revanche, les concepts alternatifs que nous mentionnons semblent s’appliquer bien mieux aux conceptions de ces peuples, dont l’éthique du respect, du souci et de la responsabilité à l’endroit de la terre est souvent fondée sur l’existence de relations spécifiques, nouées au fil des générations, avec des régions particulières de la terre (Neidjie 1985 ; Neidjie, Taylor 1989). Finalement, ces concepts, qui confèrent une valeur à la particularité et n’exigent généralement pas de réciprocité, sont précisément ceux que mettent en avant les philosophes féministes (Gilligan 1982, 1987 ; Benhabib 1987). […] Une telle approche considère que les relations éthiques sont l’expression d’un moi-en-relation (Gilligan 1987, p. 24), plutôt que d’un moi dépouillé, d’un moi contenu [4] ou d’un moi généralisé égoïste coupé de toute relation, tel qu’il est vu dans les éthiques conventionnelles qui adoptent le procédé de l’universalisation.
26Loin de nous l’idée qu’il conviendrait de renoncer à l’éthique, ni même de faire purement et simplement l’économie de l’approche universaliste en matière éthique ; au contraire, il convient de réaffirmer le caractère central de l’éthique en philosophie environnementale [5]. Ce qui est requis, c’est une compréhension […] qui ménage une place importante aux concepts éthiques, en tenant compte de l’émotionnalité et de la particularité, et sans accorder un privilège exclusif à l’universel et à l’abstrait, au moi non relationnel et à toutes les oppositions dualistes du type raison/émotion, universel/particulier que l’on trouve dans les théories morales rationalistes.
Le problème de la discontinuité
27[…] L’un des aspects fondamentaux de la perspective occidentale sur la nature, que néglige complètement la position éthique, consiste à introduire entre la nature et les êtres humains une discontinuité ou une séparation ontologique tranchée. Ceci conduit à se représenter les êtres humains comme étant à l’écart ou à l’extérieur de la nature — généralement, en position de maîtres ou de surveillants extérieurs. Les tentatives pour contester cette façon de voir parlent, la plupart du temps, des êtres humains comme constituant des ‘parties de la nature’, entendant par là que leur sort est lié à celui de la biosphère, qu’ils sont assujettis aux lois naturelles.
28Mais du point de vue de la théorie du moi divisé, c’est la partie la plus essentielle et la plus authentique de l’humain (l’être humain dans ce qui lui est propre) qui se situe à l’extérieur de la nature, et non pas l’être humain comme phénomène physique. La représentation de l’être humain comme un être situé à l’extérieur de la nature et qui lui est étranger semble typiquement occidentale, même si elle n’est pas l’apanage de l’Occident. De nombreuses autres cultures ne la reprennent pas à leur compte et privilégient au contraire ce qui nous lie à la nature dans ce que nous avons de proprement humain, mettant l’accent sur la continuité et non sur la dissemblance.
29[…] Le maintien d’une forte dichotomie et la distribution des caractères en deux pôles disjoints sont rendus possibles par le refus de reconnaître ce qui lie les êtres humains à l’animal. Ce qui est censé définir l’humain, et que l’idéal pour lequel ils sont censés lutter, ne doit pas être cherché du côté de ce qui est partagé avec le naturel et l’animal (par exemple, le corps, la sexualité, la reproduction, l’émotionnalité, les sens, la capacité à agir), mais du côté de ce qui est censé les en séparer, et qui les distingue — à savoir la raison et ses rejetons. L’humanité est donc définie, non comme une partie de la nature (au mieux, une partie spécifique), mais comme séparée et opposée à elle. Par là même, la relation êtres humains-nature est pensée sur le mode de l’opposition et du dualisme des valeurs.
30Ce processus est étroitement parallèle à celui qui a conduit à la formation d’autres dualismes critiqués dans la pensée féministe, tels que masculin-féminin, raison-émotion, corps-esprit (Ruether 1975 ; Griffin 1978 ; Griscom 1981 ; King 1981 ; Jaggar 1983 ; Lloyd 1983a), mais la connexion entre le dualisme de l’humain et de la nature, et celui du masculin et du féminin ne tient pas tout entière dans ce parallélisme logique […]. L’humanité est définie de façon oppositionnelle à la fois par rapport à la nature et au féminin. […]
Le rationalisme et la deep ecology
31Bien que le problème de la discontinuité soit généralement négligé en philosophie morale, il existe au sein de la philosophie environnementale une exception significative : la deep ecology, dont l’une des originalités est précisément de critiquer la façon dont les problèmes sont posés en matière éthique. En outre, la deep ecology semble de prime abord plus compatible avec un modèle philosophique de type féministe, en mettant l’accent sur les connexions qui constituent le moi, sur les idées de connexité et de fusion. Toutefois, il existe de graves tensions entre la deep ecology et une perspective féministe.
32La deep ecology situe le problème clé des relations entre êtres humains et nature dans le fait de la séparation entre les deux, et propose comme solution une « identification » du moi avec la nature. Le concept d’« identification » est, la plupart du temps et de façon délibérée, laissé dans un état d’indétermination ; quant aux conceptions corrélatives du moi, elles sont variées, équivoques et pas toujours compatibles entre elles [6]. Il semble que la deep ecology avance trois conceptions différentes du moi — celle de l’indistinction du moi et de la nature, celle de l’expansion du moi, et celle de la transcendance du moi —, ses partisans étant libres de passer de l’une à l’autre. […]
La théorie de l’indistinction
33La théorie de l’indistinction nie l’existence de frontières entre le moi et la nature. Les êtres humains sont considérés comme formant une partie du réseau biotique, et non comme la source et le fondement de toutes les valeurs, il semble alors bien que la thèse de la discontinuité soit résolument repoussée. Warwick Fox présente ainsi l’idée centrale de la deep ecology :
Nous ne pouvons effectuer aucun partage ontologique rigoureux dans le champ de l’existence […] ; il n’y a aucune bifurcation en réalité entre le règne de l’humain et le règne du non-humain […] ; pour autant que nous croyions percevoir des frontières entre l’un et l’autre, le type de conscience de la réalité que promeut la deep ecology continue de nous faire défaut.
35Il en va ici bien plus que du simple rejet de la thèse de la discontinuité, car l’objectif de la deep ecology n’est autre que de remplacer l’image de l’être humain, qui le représente comme vivant au sein de l’environnement, par une représentation holistique, qui évoque les formes-types de la Gestalttheorie, qui « dissout non seulement le concept de l’homme-au-sein-de-l’environnement, mais tout concept de chose-compacte-au-sein-d’un-milieu » — sauf lorsqu’on parle à un niveau superficiel de la communication (Fox 1984, p. 1). La deep ecology implique une cosmologie du monde comme « une totalité sans rupture, qui conteste l’idée classique selon laquelle le monde est susceptible d’être analysé en parties qui existent séparément et indépendamment les unes des autres » [7]. Elle a une forte affinité avec certaines traditions mystiques et avec la philosophia perennis, où le moi fusionne avec l’autre — « L’autre n’est pas autre chose que toi-même ». Ainsi que le dit John Seed : l’énoncé selon lequel « Je protège les pluies de forêt » se transforme en « Je suis une partie de la pluie de forêt qui me protège. Je suis cette partie de la pluie de forêt qui a récemment émergé sous la forme d’une pensée ». (Seed et al. 1988, p. 36)
36Ces énoncés posent de graves problèmes, provenant moins de la façon de concevoir le moi (qui me semble importante et recevable), ou du caractère mystique des idées elles-mêmes, que de la métaphysique de l’indistinction qui est à leur fondement. […]
37La deep ecology, dans sa trop grande généralité, se révèle incapable de fournir un fondement authentique à une éthique environnementale conforme à son programme, car la thèse qui fait des êtres humains les parties métaphysiquement unifiées de la totalité cosmique demeure vraie quelles que soient les relations de ces êtres humains avec la nature — l’exploitation de la nature pouvant illustrer l’unité des êtres humains avec la nature, tout comme la conservation de la nature ; à ce compte, plus rien ne distingue le moi humain d’un bulldozer et d’une bouteille de Coca-Cola, ou des rochers et d’une pluie de forêt. John Seed semble croire qu’il suffit de réaliser que l’on ne peut se distinguer d’une pluie de forêt, pour que les besoins de la forêt deviennent les nôtres. Mais rien ne le garantit — il se peut tout aussi bien que l’on considère que nos besoins sont aussi ceux de la forêt.
38Nous mettons là le doigt sur une difficulté supplémentaire de la thèse de l’indistinction : l’idée qu’il convient de reconnaître non seulement l’existence d’une continuité humaine avec le monde naturel, mais encore le caractère distinct et indépendant de la nature, et le caractère distinct des besoins des êtres naturels. La thèse de l’indistinction rend inintelligible cette proposition, pourtant importante dans la stratégie de respect et de conservation de la nature.
39Les dangers que comporte la théorie du moi sur le mode de la fusion avec le monde naturel peuvent apparaître dans un contexte de réflexion féministe, où l’idée de fusion est parfois sollicitée comme alternative à la conception typiquement masculine de l’autonomie comme une situation de rupture avec les autres. Selon Jean Grimshaw :
Il est important [de maintenir une distinction entre soi-même et autrui] non seulement parce que certaines formes de symbiose ou de « connexion » avec les autres peuvent nuire de multiples manières au développement personnel, mais parce que le souci des autres, la compréhension des autres, ne sont possibles que si l’on parvient à se distinguer soi-même des autres de façon adéquate. Si je ne vois entre vous et moi aucune distinction, ou ne vous reconnais aucun être propre en dehors de la relation fusionnelle que nous soutenons l’un avec l’autre, alors je ne peux pas me faire véritablement une idée d’un bien-être qui soit le vôtre et non pas le mien. Le souci et la compréhension de l’autre exigent une sorte de distance, dont nous avons besoin afin de ne pas voir en l’autre une projection de soi, ou afin de ne pas voir en soi une continuation de l’autre.
41Ces remarques me semblent s’appliquer au souci des autres espèces et du monde naturel, tout autant qu’au souci des membres de notre propre espèce. […]
L’expansion du moi
42[…] Si on entend par « identification » non pas « identité » mais plutôt « empathie », alors l’identification avec les autres êtres peut conduire à une expansion du moi. Selon Arne Næss, « le moi est coextensif à la totalité de nos identifications […]. Notre Moi est ce avec quoi nous nous identifions » [8]. Selon Fox, ce moi élargi (ou le Moi, selon la terminologie usitée), est une condition d’existence que nous devrions nous efforcer de réaliser « pour autant qu’il est en notre pouvoir de le faire » (Fox 1986, p. 13-19), en rendant le moi aussi large que possible. Mais ce moi en expansion ne résulte pas d’une critique de l’égoïsme ; mais d’un élargissement et d’une extension de l’égoïsme (Cheney 1989). Il n’interroge pas les structures de l’égoïsme possessif et de l’intérêt du moi pour lui-même ; il tente plutôt de rendre légitime un ensemble plus large d’intérêts au moyen d’une expansion du moi. Ce qui motive l’expansion du moi n’est autre que la tentative d’élargir de façon légitime l’ensemble des choses pour lesquelles le moi a un intérêt, sans rien changer par ailleurs au principe selon lequel la considération du moi alimente l’intérêt qu’il se porte à lui-même. Fox écrit d’ailleurs que « la résistance écologique est tout simplement un autre nom de l’autodéfense » s’associant à John Livingstone :
[…] La stratégie d’expansion du moi pourrait d’abord sembler n’être qu’une autre manière, prétentieuse et obscure, de dire que les hommes soutiennent des relations d’empathie avec la nature. Mais transférer les structures de l’égoïsme est une stratégie éminemment problématique, car l’élargissement des intérêts est obtenu aux dépens de la claire reconnaissance de l’indépendance de l’autre comme être distinct de moi [9]. Les autres ne sont reconnus moralement qu’à la condition d’être incorporés au moi, leur différence est niée (Warren 1990). L’incapacité à soumettre à un examen critique l’égoïsme et l’idée du moi désinséré, non relationnel, s’accompagne de l’incapacité à établir des liens avec les autres critiques contemporaines.Lorsque je dis que le sort de la tortue de mer ou du tigre ou du gibbon est aussi bien le mien, je pense vraiment ce que je dis. Tout ce qui est présent dans mon univers n’est pas seulement à moi, c’est moi. Et il m’appartient de me défendre moi-même. Il m’appartient de me défendre moi-même contre toute agression ouverte, mais aussi contre tout outrage arbitraire.
Le moi transcendant ou transpersonnel
43Dans la mesure où la théorie de l’expansion du moi exige que nous mettions à l’écart tout intérêt particulier du moi pour lui-même (en dépit des difficultés naturelles d’une telle décision), l’expansion du moi et son élargissement en Moi conduit à la troisième position, à savoir la transcendance ou le dépassement du moi. Fox nous presse ainsi de nous identifier de façon impartiale à tous les particuliers, au cosmos, en faisant l’effort de se départir des identifications avec nos intérêts personnels particuliers, nos émotions et nos attachements particuliers (Fox 1990, p. 12). Il reprend ainsi la version propre à la deep ecology du procédé d’universalisation, qui dénonce traditionnellement le personnel et le particulier comme sources de corruption et manières pour le moi de se soucier de ses propres intérêts — « la cause de l’esprit de possession, de la guerre et de la destruction écologique » (Fox 1990, p. 12).
44[…] L’analogie d’un tel rapport au cosmos, faite dans les termes humainement significatifs d’un ‘amour impersonnel’ du cosmos, exprime une théorie morale fondée sur des principes universels, c’est-à-dire sur le principe de ‘l’amour de l’homme’ élevé à un certain degré d’impersonnalité et d’abstraction. Aussi Fox (1990, p. 12) pense-t-il pouvoir reprendre (comme si un tel geste n’avait rien de problématique) l’idée selon laquelle les attachements particuliers sont moralement suspects, par opposition à une ‘identification’ authentique, impartiale, tournant nécessairement le dos à tout ce qui est particulier.
45Mais cette identification ‘transpersonnelle’ étant dépourvue de toute distinction, et conçue en vue de refuser la moindre signification morale à ce qui est particulier, est incapable de rendre compte de l’attachement profond et éminemment singulier à tel ou tel lieu, pourtant à l’origine à la fois de la passion de nombreux partisans modernes de la conservation de la nature, et de l’amour de nombreux peuples indigènes pour leur terre (attitude que la deep ecology tente par ailleurs d’élever au rang de modèle, de manière tout à fait incohérente). Or pareil attachement n’est pas fondé sur une vague théorie cosmologique, abstraite et purement cérébrale, mais sur la formation d’une identité, sociale et personnelle, en relation avec certains endroits particuliers d’une région, qui crée des liens souvent aussi spécifiques et aussi puissants que ceux de la parenté et leur sont analogues en ceci qu’ils suscitent des responsabilités locales très spécifiques envers les lieux dont il convient de prendre soin [10]. C’est ce qui se donne clairement à entendre dans les propos de nombreux indigènes, tels ceux, particulièrement émouvants, recueillis par Cecilia Blacktooth, expliquant pourquoi son peuple n’abandonnera pas sa terre :
Vous nous demandez quel lieu a notre préférence après celui où nous avons toujours vécu. Voyez-vous le cimetière au loin ? Ici reposent nos pères et nos grands-pères. Voyez-vous cette montagne Nid-d’aigle et cette montagne Terrier-de-lapin ? Lorsque Dieu les a faites, Il nous a donné ce lieu. Nous avons toujours été ici. Tout autre lieu nous est indifférent […]. Nous avons toujours vécu ici. Nous préférons encore mourir ici plutôt que de partir. C’est ce qu’ont fait nos pères. Nous ne pouvons les abandonner. Nos enfants sont nés ici — comment pourrions-nous nous en aller ? Quand bien même vous nous donneriez le plus bel endroit du monde, il ne pourra jamais valoir celui-ci […]. Nous sommes ici chez nous […]. Nous ne pouvons pas vivre ailleurs. Nous sommes nés ici et nos pères ont été enterrés ici […]. Nous voulons ce lieu et nul autre […].
47En traitant de tels attachements particuliers, à base d’émotions et de sentiments de parenté, comme des formes de vie morale inférieures, la deep ecology nous livre une autre variante de la théorie qui consacre la supériorité de la raison et l’infériorité de ses termes opposés, manquant une fois encore l’analyse critique de la raison et de l’influence qu’elle exerce. Une théorie plus adéquate que celle de l’éthique traditionnelle et de la deep ecology, qui ne privilégie pas l’abstraction et l’abandon croissants de tous nos liens d’attache, semble être la théorie morale que les féministes ont élaborée, qui ambitionne de rendre compte à la fois de la continuité et de la différence, qui prend acte également des liens fort riches de parenté et d’amitié que nous nouons avec la nature devenue objet de notre préoccupation (Cheney 1987, 1989 ; Warren 1990).
Examen du problème dans les termes de la critique du rationalisme
48[…] Tout d’abord, ce qui fait défaut aux conceptions des théoriciens de la philosophie morale et des partisans de la deep ecology, c’est une compréhension de comment le problème de la discontinuité résulte d’un dualisme lié lui-même à tout un réseau de dualismes interconnectés. Sur ce point, la critique du dualisme effectuée par la philosophie féministe, et l’élucidation des mécanismes des dualismes par les écoféministes en particulier, est très éclairante. Une dichotomie construite de façon dualiste polarisera les différences et réduira la part des caractéristiques communes, construisant la différence en opposant supérieur et inférieur, et en considérant ce qui est inférieur comme un moyen de réalisation des fins plus élevées de ce qui est supérieur (la thèse instrumentale). La nature de ce qui est défini comme étant supérieur, étant obtenue par voie d’opposition, la tâche qui incombe à ce qui est supérieur — se réaliser lui-même et exprimer sa véritable nature — implique qu’il se sépare de ce qui est inférieur, le domine et le contrôle. […]
49Aussi dans le cas du dualisme être humain/nature, plus que réévaluer à la hausse le statut de la nature, d’un point de vue moral ou d’un autre point de vue, sans rien modifier d’autre, il faut réexaminer et re-conceptualiser l’être humain, ainsi que le concept qui lui fait pendant, la nature. Concernant le concept d’être humain, ce qu’est pleinement et authentiquement un être humain, et ce qui est proprement humain dans les caractéristiques que les êtres humains possèdent typiquement, un tel concept a été défini de façon oppositionnelle par exclusion de ce qui est associé à la sphère naturelle inférieure, selon le même procédé utilisé — ainsi que Lloyd (1983b), entre autres, l’a montré — pour obtenir les catégories de masculin et de féminin, de la raison et de ses termes opposés. Les êtres humains ont à la fois des caractéristiques biologiques et psychiques, mais ce sont les secondes qui ont été tenues pour caractéristiques des êtres humains, et qui sont censées conférer aux êtres humains ce qui, en eux, « est pleinement et authentiquement » humain. Il est clair qu’ici, le terme d’« humain » n’est pas purement et simplement un terme descriptif, mais effectue une évaluation en désignant un idéal : ce qui, en l’être humain, est essentiel ou digne d’être évalué, est cela même qui exclut la sphère du naturel. Ce qui ne nie pas nécessairement que les êtres humains possèdent des composantes matérielles ou animales — mais elles sont considérées comme étrangères ou inessentielles, ne constituant pas une partie de ce qui est pleinement et véritablement humain. L’essence humaine est vue, la plupart du temps, comme du côté de ce qui exerce un contrôle maximal de la sphère naturelle (contrôle exercé de l’extérieur comme de l’intérieur), et des qualités telles que la rationalité, la liberté et la capacité à transcender la sphère matérielle. Ces qualités sont également identifiées comme masculines, et le modèle oppositionnel qui permet de définir l’humain coïncide donc avec (ou converge vers) l’idéal masculin.
50Le premier objectif d’une stratégie visant à questionner le dualisme humain-nature est donc de contribuer à faire reconnaître les qualités qu’exclut ce partage, comme pleinement humaines au même titre que les autres. Il importe de reconnaître pour elles-mêmes les qualités séparées, déniées, ou construites comme étrangères, ou encore renvoyées à la sphère supposément inférieure à celle de l’humain, telles que la qualité (ou la condition) des femmes et des Noirs. Ce premier effort pourrait fonder la reconnaissance de l’existence de continuités avec le monde naturel. Ainsi, la capacité à se reproduire, la sensualité, l’émotionnel seraient tenus pour des qualités aussi pleinement et authentiquement humaines que la capacité à organiser et à régler d’avance de façon abstraite un plan d’action. Notre conviction est qu’au fondement de la discontinuité et de l’aliénation des êtres humains par rapport à la nature, se trouve une aliénation des êtres humains par rapport à ces qualités qui, du sein de l’humain, assurent une continuité avec la nature.
51[…] Il en va ici d’une re-conceptualisation du côté humain du dualisme opposant l’être humain à la nature, pour l’affranchir de l’héritage du rationalisme. Mais ce qui est infériorisé dans ce schéma (le concept de nature) demande lui aussi à être re-conceptualisé, car il est construit dans une polarisation qui lui retire les qualités ‘humaines’ du dualisme, ne lui laissant que ce qui est passif, privé de capacité d’action orientée téléologiquement, ce qui se réduit à une pure matérialité, à du purement corporel, ou à un pur mécanisme. Il faut développer des alternatives aux visions du monde mécanistes qui font partie intégrante de l’héritage du rationalisme.
L’instrumentalisme et le moi
52[…] Bien que l’instrumentalisme ait été identifié, dans le cadre de la théorie morale qui a prévalu en éthique environnementale, comme un problème majeur, il a été assez superficiellement examiné, et ramené au problème de savoir comment établir la valeur inhérente de la nature, sans lier ce problème particulier et la théorie plus générale qui s’appuie sur la critique de la raison instrumentale. […] Or, il existe des connexions fortes entre la discontinuité (le procédé de polarisation comme condition de tout dualisme) et l’instrumentalisme (l’idée selon laquelle il est adéquat de traiter la sphère exclue comme un ensemble de moyens au service des fins de la sphère ou du groupe supérieur, la valeur de l’un résidant dans l’utilité qu’il revêt pour l’autre, quant à lui digne de valeur ou pleinement significatif en lui-même).
53Il faut aussi maintenir une distinction rigoureuse et maximiser la distance entre la sphère des moyens et celle des fins, afin de ne pas brouiller les frontières bien délimitées nécessaires à l’établissement de toute hiérarchie.
54Troisièmement, la sphère traitée de façon instrumentale est souvent considérée en elle-même comme dépourvue de fins propres (comme lorsque la nature et les femmes sont caractérisées par leur passivité), car cela permet de leur en imposer d’autres sans problème.
55Il existe également d’importantes connexions entre la discontinuité, l’instrumentalisme et la théorie du moi.
56La théorie du moi — qui complète la théorie justifiant l’instrumentalisation de l’autre, insiste fortement sur l’existence de frontières bien délimitées tout autour du moi, sur son caractère distinct, autonome et séparé d’avec les autres — définit donc le moi par opposition aux autres, et par l’absence de connexions essentielles avec eux. Soit le schéma des relations objectales qui, selon Nancy Chodorow (1979, 1985), correspond à la théorie typiquement masculine du moi, ou encore au schéma d’interprétation du comportement des individus en fonction de leurs intérêts personnels, présupposé dans la théorie du marché (Poole 1985, 1990). […] Si nous tentons de spécifier ces intérêts, il apparaît en effet que, par essence, ils ne tiennent pas compte du bien-être des autres, sauf dans la stricte mesure où ces autres se révèlent utiles pour servir certaines fins prédéterminées. Les autres, considérés comme moyens, sont interchangeables, pour peu qu’ils procurent des satisfactions équivalentes — tout ce qui est susceptible de contribuer à la réalisation de la fin que l’on poursuit est équivalent, mutatis mutandis. […]
57Or ces théories instrumentales de la relation que le moi ‘désinséré’ soutient avec les autres a fait l’objet d’une critique approfondie, dans diverses perspectives, dans le domaine de la théorie politique, incluant la théorie féministe critique du libéralisme ou liée à la philosophie environnementale [11]. Il a été objecté que cette théorie offre une image inexacte du moi humain, qu’elle est incapable de rendre compte du fait que les hommes sont des êtres sociaux et qu’ils sont liés les uns aux autres. Les intérêts des individus sont tels que l’existence des autres comme telle joue un rôle essentiel, et non pas accidentel ou contingent, dans leur propre satisfaction. Par exemple, lorsqu’une mère souhaite la guérison de son enfant, il est bien évident que l’épanouissement de l’enfant est une partie essentielle de son propre épanouissement, de même avec tous nos proches, et même ceux qui dépassent le cercle de nos proches (les ‘autres sociaux’).
58[…] Ainsi que le note Karen Warren :
Les relations ne sont pas extrinsèques à ce que nous sommes, elles ne sont pas un trait qui viendrait s’ajouter de l’extérieur à la nature humaine ; elles jouent un rôle essentiel dans la détermination de ce qu’est un être humain.
60Que les intérêts des individus soient de type relationnel n’implique pas de se les représenter de façon holistique — en pensant qu’ils fusionnent les uns avec les autres et ne peuvent être distingués. Bien que certains des intérêts de la mère impliquent la satisfaction des intérêts de l’enfant, les deux ne sont pas identiques ni même nécessairement semblables. Il y a bien ici une situation d’empiètement (et ce, non par accident), mais la relation est du type de l’inclusion intentionnelle (son intérêt à elle tient à ce que l’enfant se porte mieux, que certains des intérêts fondamentaux de l’enfant soient satisfaits).
61Cette représentation relationnelle du moi remplit, me semble-t-il, les critères définis par la deep ecology pour élaborer une théorie du moi plus riche que celle de la tradition rationaliste, et à la place de laquelle elle-même a eu le tort d’installer une théorie holistique. Le mérite de cette représentation relationnelle est […] qu’elle reconnaît à la fois la continuité et la différence et rompt avec la fausse dichotomie, culturellement imposée, de l’égoïsme et de l’altruisme des intérêts ; elle dépasse à la fois la théorie de la ‘séparation’ masculine et les théories traditionnellement féminines de la ‘fusion’. Elle peut aussi fournir un fondement approprié à une éthique du lien et du souci des autres (care), telle que celle qu’ont élaboré Gilligan (1982, 1987) et Miller (1978).
62Par conséquent, inutile d’adopter les stratagèmes de la deep ecology — l’indistinction du moi, le moi en expansion ou le moi transpersonnel — pour fournir une alternative à l’anthropocentrisme ou à l’intérêt exclusif que le moi se porte à lui-même. Cet objectif peut bien mieux être atteint par une théorie relationnelle du moi, qui reconnaît clairement le caractère distinct de la nature, et en même temps notre relation avec elle et la continuité dans laquelle nous nous situons par rapport à elle. Du point de vue de cette représentation relationnelle, le respect de l’autre ne résulte ni de la retenue du moi ni de la transcendance du moi, mais est une expression du moi en relation, non pas d’un moi égoïste en fusion avec l’autre, mais du moi inséré dans un réseau de relations essentielles avec des autres qui sont distincts de lui.
63La théorie relationnelle du moi peut utilement être appliquée dans le domaine des relations que l’homme soutient avec la nature et avec certains lieux. La représentation standard de la relation du moi avec le non-humain veut que le premier ne soit jamais relié au second que de façon accidentelle, et donc que le non-humain puisse être utilisé pour satisfaire des fins humaines. Les parcelles de terre sont par définition interchangeables — chacun et tous offrent aux hommes des moyens de satisfaction équivalents ; aucun endroit ne peut prétendre être plus qu’« une étape sur le chemin de la vie, une base de lancement pour effectuer de plus hauts vols et parcourir de plus grandes distances que celles que l’on parcourt d’ordinaire » (Berman 1982, p. 327). Or nous ne pensons pas tous ainsi, ce qui serait plus notable si la possibilité de penser autrement n’était pas niée et distordue par certaines théories et représentations sociales. En revanche, d’autres cultures ont su reconnaître avec clarté l’existence d’une liaison essentielle entre le moi et le territoire. De nombreuses voix indigènes du passé et du présent parlent de la peine et du deuil consécutifs à la perte de leur terre, à laquelle ces êtres humains sont aussi essentiellement reliés qu’à tout autre être humain. Peut-être est-ce ce que veulent dire certains Aborigènes lorsqu’ils parlent de la terre comme d’une partie d’eux-mêmes, « en guise de frère et de mère » (Neidjie 1985, p. 54 ; Neidjie, Taylor 1989, p. 4, 146). Si l’instrumentalisme est une théorie appauvrissante et déformante de nos relations aux autres êtres humains, il en va de même lorsqu’il régule nos relations à la nature et au lieu où nous vivons.
64Mais montrer que le moi peut être lié essentiellement à la nature ne revient nullement à montrer qu’il pourrait l’être, pour ainsi dire, sans effort, surtout dans la culture occidentale moderne. Ce qui est représenté dans une culture comme étranger et inférieur, indigne de respect ou d’un savoir respectueux, n’est pas quelque chose auquel il peut être facile d’adjoindre une telle connexion. Ici, les trois parties du problème examiné — la conception de l’humain, la conception du moi et la conception de la nature — s’assemblent à nouveau. En effet, la difficulté est de penser une relation essentielle qui implique la prise en compte de la particularité, au travers d’une relation (à base d’amitié) à des lieux, des forêts, des animaux particuliers, auxquels chacun est fortement attaché, et envers lesquels chacun se sent des responsabilités spécifiques et significatives (et non pas purement abstraites), qui l’inclinent à en prendre soin.
65[…] Cette approche rend possible une critique différente et plus riche du concept d’anthropocentrisme, que celle que propose la deep ecology (Fox 1990, p. 5), qui lui oppose l’idée d’égalité des formes de vie, restreignant excessivement la réflexion et livrant un concept difficile à mobiliser de manière précise et convaincante dans un contexte où les besoins sont si différents. […]
66La critique à la deep ecology doit être élargie, puisque celle-ci a également échoué à prendre en compte (lorsqu’elle ne va pas jusqu’à nier purement et simplement) l’existence de connexions entre un grand nombre d’autres projets critiques — non seulement le féminisme, mais le socialisme, en ce qu’il implique une critique du rationalisme et de la modernité. L’incapacité à prendre acte de ces connexions résulte d’une analyse historique inadéquate qui échoue à comprendre comment l’infériorisation à la fois des femmes et de la nature peut être fondée dans le rationalisme, et qui ne saisit pas non plus les connexions entre cette infériorisation et celle (qui lui est subséquente) du corps, et enfin entre cette dernière et l’élaboration de concepts hiérarchiques et de théories individualistes du moi.
67Au lieu de soumettre à examen le véritable projet de l’écoféminisme en évaluant sa prétention à établir des connexions entre l’anthropocentrisme et l’androcentrisme, Fox considère que l’écoféminisme remplacerait la critique de l’anthropocentrisme par celle de l’androcentrisme. Ce qui revient à attribuer à l’écoféminisme la position réductionniste selon laquelle l’oppression des femmes est la forme fondamentale à laquelle toutes les autres formes d’oppression peuvent être réduites. Cette position est un épouvantail ; le but de l’écoféminisme n’est pas d’absorber ou de sacrifier la critique de l’anthropocentrisme, mais de l’approfondir et de l’enrichir [12].
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Mots-clés éditeurs : écoféminisme, théorie du moi, philosophie environnementale, deep ecology
Date de mise en ligne : 24/11/2015
https://doi.org/10.3917/cdge.059.0021Notes
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[1]
Ce texte est une version raccourcie de l’article de Val Plumwood (1991). “Nature, Self, and Gender : Feminism, Environmental Philosophy and the Critique of Rationalism”. Hypatia, vol. 6, n° 1, p. 3-27. Les coupes sont indiquées par […].
-
[2]
Sur sa biographie, voir l’article de Layla Raïd, note 2, p. 51.
-
[3]
Ce qui intéresse principalement Regan, acteur du mouvement des droits des animaux, c’est moins le traitement réservé aux animaux sauvages, que celui réservé aux animaux domestiques dans le contexte de la société humaine et de la culture, même s’il ne dit pas que ces derniers devraient bénéficier d’un traitement moral privilégié. […]
-
[4]
[NdT]. Nous traduirons self-containment et containment par le verbe « (se) contenir » ou « (se) retenir », au sens où l’on dit en français qu’une personne « fait preuve de retenue » ou qu’elle « se contient », parce qu’elle ne s’épanche pas et sait garder pour elle ses sentiments, mais aussi au sens où une chose est contenue à l’intérieur d’une autre, enfermée ou confinée dans un espace clos.
-
[5]
Contre Cheney qui semble inviter à renoncer à tous les concepts généraux éthiques, et à adopter une éthique ‘contextuelle’ fondée sur la pure particularité et l’émotionnalité. Nous devons plutôt réintégrer ce qui est de l’ordre du personnel et du particulier, et réévaluer de façon plus positive le rôle de l’un et de l’autre, mais le dépassement du dualisme moral ne doit pas se ramener à l’affirmation du personnel dans la sphère morale. Se contenter de revendiquer la prise en compte de la pure particularité et de la pure émotionnalité, c’est implicitement accepter la construction dualiste d’où ces concepts résultent, en vertu de quoi ils s’opposent à une éthique rationaliste : c’est simplement tenter de renverser l’ordre des valeurs. […]
-
[6]
[…] Parmi les critiques écoféministes de la deep ecology, citons Salleh (1984), Kheel (1985), Biehl (1987) et Warren (1990).
-
[7]
Arne Næss, cité par Fox (1984, p. 3, 10).
-
[8]
Arne Næss, cité par Fox (1986, p. 54).
-
[9]
Grimshaw (1986, p. 182). Voir aussi l’excellente discussion dans l’article de Warren (1990, p. 136-138) de l’importance de la reconnaissance et du respect de la différence de l’autre ; Blum (1980, p. 75) et Benhabib (1987, p. 166).
-
[10]
Ce modèle traditionnel des relations à la terre est étroitement lié au modèle biorégionaliste, dont la stratégie est d’inviter les habitants à mieux connaître les lieux caractéristiques de la région où ils vivent et qui revêtent pour eux une signification, et à s’en soucier activement, l’idée étant que la relation privilégiée que l’on soutient avec la région où l’on a grandi facilite l’adoption d’une manière de vivre responsable et soucieuse de cet environnement particulier. […]
-
[11]
Miller 1978 ; Plumwood 1980 ; Gilligan 1982, 1987 ; Jaggar 1983 ; Poole 1984, 1985, 1990 ; Benjamin 1985 ; Chodorow 1985 ; Benhabib 1987 ; Benhabib, Cornell 1987 ; Warren 1990.
-
[12]
Cette position réductionniste semble avoir été effectivement défendue par quelques auteures féministes (peut-être Andrée Collard [1988] et Sally Miller Gearhart [1982]), mais ne peut pas être tenue pour représentative de l’essentiel du travail accompli dans ce champ de recherche. […]