Couverture de CDGE_043

Article de revue

Des canons et des guerres culturelles

Pages 45 à 69

Notes

  • [2]
    Thoré (1866, 1868), Scheller (1961), Heiland et Lüdecke (1960), Reff (1970).
  • [3]
    « Tirer (sur) le canon ».
  • [4]
    Salomon (1991). Voir aussi Gorak (1991), Von Hallberg (1984), Lauter (1991) et le numéro spécial de Salmagundi, n° 72 (1986) ; Rifkin (1986) et la collection d’essais parue dans Art Bulletin (1996).
  • [5]
    H. W. Janson fut attaqué sur cette omission. Il établit qu’aucune femme artiste n’avait changé la direction de l’histoire de l’art et qu’aucune ne méritait donc d’apparaître dans son ouvrage (Salomon 1991, p. 225).
  • [6]
    L’auteure emploie ici le néologisme différencer (« to difference ») pour signifier non pas le projet — voué à l’échec — de rendre le canon différent, mais celui d’introduire de la différence dans les structures mêmes du canon [ndlt].
  • [7]
    Cette idée suscite toujours de vives réactions, dans la mesure où elle semble suggérer que les peuples qui présentent encore ces formes de religiosité sont qualifiés de puérils. L’erreur est de penser à la fois que le stade infantile est puéril et qu’il est toujours surmonté. Les expériences archaïques et les fantasmes qui y sont rattachés sont une ressource riche et un puissant déterminant pour le comportement adulte. ‘Infantile’ est un terme technique qui se réfère à la fois, pour le sujet, aux moments fondateurs de son histoire singulière et à un registre de significations et d’affects chez le sujet humain.
  • [8]
    Tel était le titre de ce célèbre texte lorsqu’il parut pour la première fois dans Gornick et Moran (1971). Sa dernière publication (en anglais) dans Hess et Baker (1973) porte le titre « Why Have There Been No Great Women Artists? », repris pour la version française : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? », in Nochlin (1993).
  • [9]
    Je m’inspire ici des arguments de Silverman (1988, p. 125), sur la manière dont le féminisme prend sa source dans les « ressources libidinales du complexe d’Œdipe négatif ». Celui-ci désigne à la fois le désir œdipien qu’éprouve une enfant de sexe féminin pour sa mère, et son identification progressive à elle au cours de la formation de sa propre féminité. Ce désir, éprouvé par toutes les femmes, est réprimé par la culture. Ce commentaire ne signifie pas que le féminisme a découvert un désir sexuel féminin centré sur les femmes, mais qu’il a libéré cet élément de l’inconscient féminin auquel le système symbolique phallocentrique refuse tout support de représentation.

1 Le terme canon provient du grec ancien kanon, qui signifie ‘règle’ ou ‘standard’, évoquant chacun l’idée de régulation sociale et d’organisation militaire. À l’origine, le canon avait une connotation religieuse, et se rapportait à la liste officiellement admise des textes qui composaient les Écritures. La première étape de la canonisation fut la sélection des Écritures hébraïques par une classe émergente de prêtres, autour du viie siècle av. J.-C., sélection dont l’historien Ellis Rivkin affirma qu’elle ne fut « pour l’essentiel, non pas effectuée par des scribes, des savants ou des compilateurs en quête des traditions oubliées de l’expérience primitive, mais par une classe luttant pour le pouvoir » (Rivkin 1971, p. 30). Il faut donc entendre par ‘canons’ ces éléments structurants qui légitiment rétrospectivement une identité culturelle et politique, et qui, par un récit réaffirmé des origines, confèrent autorité aux textes précisément choisis pour naturaliser cette fonction. La canonicité se rapporte à la fois à la qualité intrinsèque proclamée d’un texte compris dans le corpus de référence, et au statut qu’il acquiert par son appartenance à ce corpus. Les religions considèrent ainsi comme saints leurs textes canonisés, supposant souvent qu’ils sont, sinon le produit, du moins une expression de l’autorité divine.

2 Avec la multiplication des académies et des universités, les canons se sont sécularisés en s’appliquant désormais à un corpus littéraire ou à un panthéon artistique. Le canon renvoie aux textes — ou aux objets — que les institutions académiques établissent comme les meilleurs, les plus représentatifs et les plus significatifs dans les domaines de la littérature, de l’histoire de l’art ou de la musique. Dépositaires d’une valeur esthétique transhistorique, les canons des diverses pratiques culturelles établissent non seulement ce qui est incontestablement grand, mais aussi ce qui doit être étudié comme modèle par ceux qui aspirent à l’une de ces pratiques. Le canon constitue le patrimoine universel que toute personne désireuse d’être considérée comme ‘cultivée’ devra maîtriser. Comme l’écrit Dominick Lacapra, le canon réaffirme « un sentiment religieux du texte sacré qui se serait déplacé et transformé en source de culture commune pour une élite cultivée » (Lacapra 1994, p. 198).

3 Historiquement, il n’y a jamais eu un seul et unique canon. […] Pendant la grande période d’activité de l’histoire de l’art au xixe siècle, de nombreux artistes mais aussi des écoles et des traditions furent redécouverts et réévalués. Ce fut le cas de Rembrandt, par exemple, dont on estima à nouveau à cette époque qu’il était un grand artiste de la religion et de la spiritualité, alors qu’il avait été relégué, au xviiie siècle, au rang de peintre médiocre de sujets insignifiants. De la même manière, Hals, longtemps classé parmi ces peintres flamands mineurs, sans grande habileté ni distinction, spécialisés dans les scènes de genre, devint source d’inspiration pour Manet et sa génération de peintres de la modernité en quête de nouvelles techniques pour peindre la ‘vie’ [2].

4 Cependant, on voit toujours associées à la canonicité — qu’il convient donc d’envisager comme structure — les idées de valeur universelle naturellement révélée et d’accomplissement individuel, qui servent à justifier le fait que l’appartenance au canon soit un aussi rare privilège, et à écarter toute apparence de sélectivité. De la même façon que l’on constate l’existence du génie autonome, le canon se manifeste, semble-t-il, spontanément. Dans son article “What is a Masterpiece ?” (« Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? »), l’historien d’art Kenneth Clark considère qu’à la source des fluctuations du goût, on trouve des bouleversements sociaux et historiques susceptibles d’expliquer qu’au xviiie siècle, on dédaignait Rembrandt, ou, qu’au xixe siècle, on admirait des artistes considérés, aujourd’hui, comme mineurs. Clark affirme néanmoins :

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Bien que le mot chef-d’œuvre possède de nombreuses significations, il s’agit avant tout de l’œuvre d’un artiste de génie qui, imprégné par l’esprit de son temps, a pu rendre universelles ses expériences individuelles.
(Clark 1980, p. 53)

6 Le canon n’est pas que le produit de l’académie. Il est aussi créé par les artistes et les écrivains. Les canons prennent leur origine dans les formes ancestrales évoquées dans le travail d’un artiste/écrivain/compositeur par un processus qu’Harold Bloom, auteur de la défense la plus importante de la canonicité, The Western Canon (1994), qualifie d’« angoisse de l’influence », et que je nomme, dans un autre mode argumentatif, la stratégie de « référence, déférence, et différence » typique de l’avant-garde (Bloom 1973 ; Pollock 1992). Le canon ne détermine donc pas seulement ce que nous lisons, regardons, écoutons, voyons dans les galeries d’art ou étudions à l’école ou à l’université. Il est formé rétrospectivement par le choix que font les artistes eux-mêmes des prédécesseurs qui les légitiment et les consacrent. Cependant, si des artistes — parce que ce sont des femmes ou des non-Européens — sont tout à la fois exclus de l’histoire et écartés de l’héritage culturel, alors le canon devient, au fil des générations, un filtre de plus en plus appauvri et appauvrissant si l’on se réfère à l’ensemble des possibles culturels. Aujourd’hui, les canons sont fixés selon des modèles bien connus — la Renaissance, le modernisme, etc. […] — en raison du rôle joué par les institutions que sont les musées, les maisons d’édition et les programmes universitaires. […]

7 Ces dernières années, les guerres culturelles ont éclaté, en même temps que les nouveaux mouvements sociaux mettaient au centre de leurs luttes les canons, considérés à juste titre comme les fondements du pouvoir des élites établies et des groupes sociaux, des classes et des ‘races’ hégémoniques (Gates Jr. 1992). La canonicité a été soumise à une critique cinglante qui vise tant la sélectivité qu’elle opère, tout en la niant, que son exclusivité raciale et sexuelle et les valeurs idéologiques contenues non seulement dans le choix des textes qu’elle privilégie, mais aussi dans les méthodes qu’elle prône pour leur interprétation. En somme, sont visées ces affirmations qui célèbrent un monde où, selon Henry Louis Gates Jr.,

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les hommes étaient des hommes et les hommes étaient blancs, où les critiques et les universitaires étaient des hommes blancs et où les femmes et les gens de couleur étaient des domestiques ou des employés sans voix et sans visage, servant le thé et le brandy dans les clubs huppés réservés aux hommes.
(Gates Jr. 1989)

9 La critique du canon a été initiée par celles et ceux qui se sentaient sans voix et privés de la reconnaissance d’une histoire culturelle qui serait la leur, dans la mesure où le canon exclut les textes écrits, les œuvres peintes ou composées et performées par les membres de leur classe sociale, de leur genre ou de leur communauté culturelle. Sans une telle reconnaissance, ces groupes manquent de représentations d’eux-mêmes pour contester celles, stéréotypées, discriminantes et oppressives, qui figurent dans ce qui a été canonisé. Henry Louis Gates Jr. explique les implications politiques de canons élargis qui accueilleraient la voix de l’Autre :

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Réformer les programmes universitaires les plus importants, prendre en compte l’éloquence tout à fait digne d’intérêt des traditions africaines, asiatiques et moyen-orientales, c’est commencer à préparer nos étudiants à leur rôle de citoyens des cultures du monde à travers une compréhension vraiment humaine des « humanités », plutôt qu’à celui de soldats veillant au respect des frontières de la culture masculine, blanche et occidentale, de gardiens des œuvres des grands maîtres.
(ibid., p. 4)

11 Le « Discours de l’Autre » doit obligatoirement « se différencier du canon ». Mais cela implique une nouvelle difficulté. Bien que stratégiquement nécessaire, se mettre à privilégier l’Autre revient forcément, dans un monde si radicalement déséquilibré, à conserver « le privilège du masculin blanc » puisque se maintient une opposition binaire dans laquelle l’Autre sera toujours autre par rapport à une norme dominante.
Il a fallu différentes tentatives, ne serait-ce que pour imaginer un moyen de sortir de cette impasse. Pour Toni Morrison, il faudrait lire la littérature américaine, dont le canon exclut si violemment les voix afro-américaines, comme un ensemble structurellement conditionné par « une présence africaniste sombre, constante et engagée » (Morrison 1993, p. 5). En identifiant cette relation structurellement négative à la culture africaine et aux Africains au sein du canon américain de la littérature blanche, envisager l’exclusion des autres revient à questionner la formation de la domination intellectuelle eurocentrée et son résultat : l’appauvrissement de ce qui est lu et étudié. Cet argument est comparable à ce que Rozsika Parker et moi avions avancé, dès 1981, contre la tentative initiale des féministes d’intégrer les femmes au canon de l’histoire de l’art. À partir de l’apparente exclusion des femmes comme artistes, nous avons montré comment, structurellement, le discours de l’histoire de l’art phallocentrique reposait sur la catégorie d’une féminité annihilée pour assurer la suprématie de la masculinité dans la sphère de la créativité (Parker, Pollock 1981/1996).
Au début des années 1990, le problème de la totale asymétrie de genre dans le canon, implicite dans toutes les analyses féministes de l’histoire de l’art, est devenu une plate-forme de réflexions à la suite des échanges suscités par Linda Nochlin lors du colloque de la College Art Association, Firing the Canon[3], à New York en 1990, et à la suite de la publication d’un texte critique de Nanette Salomon sur le canon, de Vasari à Janson […] [4]. Les critiques féministes des canons de la culture occidentale pourraient facilement mettre en question le club exclusivement masculin que sont L’histoire de l’art d’Ernst Gombrich et les éditions originales de L’histoire de l’art de Janson qui ne comprenaient aucune artiste femme [5]. Les féministes ont montré comment fonctionnent les canons dans la création d’une généalogie patrilinéaire fondée sur la succession père-fils et la reproduction des mythologies patriarcales d’une création qui serait exclusivement masculine (Hardy Aiken 1986). Susan Hardy Aitken, par exemple, trace les parallèles entre le modèle compétitif des pratiques académiques, les récits œdipiens transmis par les canons, et les rivalités qui servent de moteur inconscient au développement intellectuel ou culturel, tout cela amenant à faire coïncider le « noble lignage de la textualité masculine, la formation parallèle des canons et les projets colonisateurs de l’Europe occidentale dont la rhétorique s’organise autour de l’opposition monde civilisé/monde barbare ». […]
Le féminisme doit-il intervenir pour créer une généalogie maternelle susceptible de concurrencer le lignage paternel et d’invoquer la voix de la Mère pour aller à l’encontre du texte du Père contenu dans les canons existants ? Susan Hardy Aitken nous prévient cependant : « En l’attaquant, on risque de réifier le pouvoir auquel on s’oppose » (ibid., p. 298). Face à cette bibliothèque fermée d’où les femmes sont absentes, comme le montra Virginia Woolf avec tant d’éloquence dans sa célèbre parabole féministe sur l’exclusivité du canon, Une chambre à soi (1928), il nous faut proposer plus qu’un autre espace de lecture. Au lieu de cela, nous avons besoin d’un polylogue :

Le jeu de nombreuses voix, une sorte de « barbarisme » créatif qui mettrait un terme aux penchants de la « civilisation » pour le monologue, la colonisation et le narcissisme… Une telle vision existe, comme nous l’a appris Adrienne Rich, dans une ré-vision : une re-lecture et une re-découverte excentriques de ce que l’habit sacré du canon dissimule : les enchevêtrements de toute la littérature avec les dynamiques culturelles du pouvoir.
(ibid, p. 298)

Modèles théoriques pour la critique du canon : idéologie et mythe

12 La critique des canons s’est faite à partir d’une opposition intérieur/extérieur. Le canon est sélectif dans ses inclusions et se révèle politique dans ses formes d’exclusion. Il nous est donc possible d’envisager le problème du canon depuis notre position critique d’exclu(e)s avec l’un de ces deux projets en tête.

13 Le premier consiste à étendre le canon occidental afin qu’il intègre ce qu’il refusait jusqu’ici — les femmes, par exemple, et les cultures minoritaires. Le second consiste à abolir tous les canons et à soutenir l’idée selon laquelle tous les produits culturels sont dignes d’intérêt. Le dernier de ces deux projets est intrinsèquement plus politique par sa critique totalisante de la canonicité. Mais, stratégiquement, je suggère qu’il nous faut une analyse plus complexe de crainte d’aboutir à une situation où ceux qui sont en place — les représentants des canons européens, masculins et occidentaux — s’érigent en défenseurs de la vérité, de la beauté et de ses traditions contre ce que Harold Bloom qualifie avec mépris d’ « École du Ressentiment » (Bloom 1994, p. 3), tandis que les anciens exclus restent les exclus, « les voix de l’Autre », en développant d’ ‘autres’ sous-champs disciplinaires — les African-American studies ou black studies, les Latino studies, les women’s studies, les lesbian and gay studies, les cultural studies, etc. Il ne peut y avoir aucun doute sur la nécessité et l’originalité créative d’un tel engagement de la recherche universitaire, des ressources et de la reconnaissance scientifiques dans des domaines jusque-là ignorés et sous-étudiés. Mais on ne peut écarter le danger (si prégnant dans des sociétés de classes fondamentalement, et souvent ouvertement, racistes et sexistes) de voir ces initiatives reproduire, malgré elles, cette ségrégation — la ghettoïsation — qui maintenait dans l’exclusion ces groupes dont la subversion ne consistait qu’en une revendication, au nom des leurs, à l’égalité des droits en matière de culture et d’éducation.

14 Pour aller dans le sens de Teresa de Lauretis, l’opposition entre intérieur et extérieur peut être déplacée. De Lauretis situe le projet critique du féminisme comme une vue d’ ‘ailleurs’ qui n’est jamais hors de ce qu’elle ‘re-voit’ de façon critique :

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Car cet « ailleurs » n’est pas un passé mythique et lointain ou une histoire future et utopique : c’est l’ailleurs du discours, ici et maintenant, ce sont les taches aveugles, les hors-champs de ses représentations. Je les conçois comme des espaces en marge des discours hégémoniques, des espaces sociaux inscrits dans les interstices des institutions, les fissures et les défauts des appareils de savoir-pouvoir.
(de Lauretis, 1987, p. 25)

16 Le mouvement ne consiste pas à partir des espaces de représentation existants pour aller vers un espace qui serait au-delà, « l’espace hors du discours », parce qu’un tel recours n’existe pas. Teresa de Lauretis parle plutôt d’« un mouvement qui part de l’espace représenté par/dans une représentation, par/dans un discours, par/dans un système sexe/genre et va vers un espace qui n’est pas représenté mais qui lui est implicite (invisible) » (Ibid., p. 26). Cette autre scène, qui existe déjà, mais qui n’a toujours pas été représentée, a cependant été rendue presque irreprésentable par les modes actuels du discours hégémonique. En travaillant « contre la nature », en lisant « entre les lignes », Teresa de Lauretis propose d’investir l’espace des contradictions où le représenté et l’irreprésenté existent simultanément.

17 Comme la Femme dans la culture phallocentrique, le féminisme est déjà postulé comme la différence, c’est-à-dire comme quelque chose d’étranger et d’extérieur à l’histoire de l’art, comme quelque chose qui contredit son incontournable logique. L’histoire de l’art féministe est donc un oxymore. [Mon projet est de chercher à voir] comment utiliser cette position d’altérité apparente — cette vue d’ailleurs, cette voix de l’Autre [Other], de la Mère [Mother] — pour déconstruire les oppositions intérieur/extérieur, norme/différence, qui finalement se condensent dans l’articulation binaire homme/femme dont toutes les autres oppositions sont des métaphores. La question est de savoir comment introduire de la différence dans l’analyse de cette structuration de la différence, qui m’implique déjà comme auteure dans des voies que seule l’écriture elle-même exposera. […]

18 Je propose, en outre, de prendre en compte un autre aspect de la différenciation sexuelle, en l’occurrence le désir, dans l’analyse de la formation des canons et l’écriture de ‘contre-histoires’. Le canon actuel est défendu avec d’autant plus de ténacité que ses histoires et ses héros procurent à leurs défenseurs une jouissance à un niveau qui serait au-delà du social ou de l’idéologique. C’est, à mon avis, dans sa dimension psychosymbolique qu’il convient d’appréhender le canon et ses idéaux masculins plutôt que son intolérance à une féminité dont les plaisirs et les ressources, perçus avec un ennui et une indifférence toutes masculinistes, sont des manières possibles et multiples d’être relié au monde et de le représenter.
Parce qu’elles sont structurellement dans une position d’exclues, les féministes sont sensibles au désir de créer des héroïnes pour remplacer ou compléter ces héros dont nos collègues hommes jugent qu’ils vont tellement de soi au sein de la structure canonique. Je me dois d’interroger à la fois ce désir et la possibilité même de sa réalisation en me penchant à nouveau sur les mythologies de l’artiste femme telles que fabriquées par le féminisme occidental. L’introduction de ce terme, mythologie, montre bien qu’il convient de se détacher des préoccupations habituelles d’une histoire sociale de l’art dont l’objectif est de reconfigurer les conditions de la production artistique afin de se rapprocher de la vérité de pratiques sociales et culturelles historiquement situées. Je travaille à partir de la lecture et de l’écriture : lecture des textes que les différentes pratiques historiques nous ont laissés et écriture d’autres textes qui participent d’« un engagement de lecture » dans le cadre d’une quête pleinement assumée des histoires de femmes, la mienne incluse. Le concept de mythe semble pour le moment aussi parlant et utile que la notion d’idéologie (Barthes 1957). En reliant les concepts structuralistes du mythe aux théories marxistes de l’idéologie, Roland Barthes identifie les structures profondes qui sous-tendent les cultures contemporaines, lesquelles recomposent la nature du mythe lui-même, en niant et en dissimulant le fait que les significations produites sont en réalité fabriquées par l’idéologie. Pour Barthes, le mythe est un discours dépolitisé, et sa forme bourgeoise singulière a précisément pour but de nier l’Histoire, créant la Nature — un effacement mythique du temps, c’est-à-dire de toute possibilité de subversion et de changement politiques. […] Dans l’écriture des histoires de l’art, la place de l’artiste, et de l’artiste femme, est surdéterminée par des structures mythiques qui naturalisent un ensemble spécifique de sens pour définir la masculinité, la féminité, la différence sexuelle et culturelle. On ne peut différencer[6] le canon, qui demeure un mythe de la créativité et du privilège de genre, sans examiner ce que peuvent avoir de politique tant ses structures profondes (pourquoi les femmes sont-elles Autres ?) que ses effets de surface (l’ignorance et l’exclusion des œuvres d’artistes femmes). Ainsi, la question du désir — qui motive tout autant la consécration que la critique au sein du canon — est parallèle à l’analyse de la structure mythique dont la clé réside dans la différence (sexuelle) incarnée par le canon.
Considérer le canon comme une structure mythique évite les querelles stériles autour de qui et quoi est (ou n’est pas), devrait être (ou ne devrait pas être) dans tel ou tel canon. Nous devons dépasser les guerres culturelles qui font rage à propos de son contenu et nous maintiennent au niveau mythique d’un débat sur la qualité, l’art, le génie, la signification, etc. ; nous devons percer la carapace naturalisante du mythe pour apercevoir, dans la canonicité, les investissements sociopolitiques qui en font un élément si déterminant dans l’hégémonie des groupes sociaux dominants et de leurs intérêts, c’est-à-dire que nous devons nous poser la question :

Qu’est-ce que le canon — en termes de structure ?

19 Plus que comme un ensemble d’objets/textes valorisés ou une liste de maîtres vénérés, je définis le canon comme une forme discursive qui fait des objets/textes qu’il sélectionne les produits de l’excellence artistique et qui, de cette manière, contribue à la légitimation de l’association exclusive entre, d’une part, l’identité masculine blanche et, d’autre part, la créativité et la Culture. Apprendre l’Art à travers le discours canonique, c’est reconnaître la masculinité comme un pouvoir et un signifiant fort, et considérer tout cela comme équivalant à la Vérité et à la Beauté. Aussi longtemps que le féminisme essaiera également d’être un discours sur l’art, la vérité et la beauté, il ne fera que confirmer la structure du canon, corroborant ainsi l’excellence et le pouvoir des hommes, et ce, aussi nombreuses que soient les femmes qu’il tentera d’y ajouter et aussi complètes que soient les études historiques qu’il réussira à produire. Il y a des artistes femmes connues désormais : Mary Cassatt, Frida Kahlo, Georgia O’Keeffe. Mais une analyse précise de leur statut indiquera qu’elles ne sont pas canoniques, pour peu que l’on considère leur importance. Elles ont plutôt une certaine réputation, elles font sensation, elles font vendre et elles seront aussi violemment attaquées qu’elles sont passionnément adorées. L’éternel obstacle à leur reconnaissance au sein du canon se trouve dans l’inassimilable question de la différence sexuelle — ce défi à l’idée même qu’il puisse exister une seule ‘règle’ ou un seul ‘modèle’, c’est-à-dire au canon.

20 La canonicité existe sous plusieurs formes afin de mieux produire, au niveau culturel et idéologique, un modèle unique, valable pour toutes les époques, d’importance et de qualité. La ‘tradition’ est le versant ‘naturel’ du canon : c’est sous cette forme que la régulation culturelle participe de ce que Raymond Williams appelle l’hégémonie sociale et politique. Par opposition aux formes les plus explicitement coercitives de domination sociale ou politique, l’hégémonie au sens marxiste éclaire la manière dont un ordre social et politique spécifique sature si profondément la culture d’une société qu’il est vécu par la population comme relevant totalement du ‘bon sens’. La hiérarchie devient un ordre naturel et les éléments qui, pour leur caractère emblématique, subsistent du passé, déterminent les valeurs du présent. Pour Williams, « la Tradition […] [est] concrètement l’expression la plus évidente des pressions et des limites du dominant et de l’hégémonique ». Elle est toujours, cependant, « plus qu’un segment historicisé inerte ; elle est, en réalité, la pratique la plus efficiente d’incorporation » (WiIliams 1977, p. 115).

21 La tradition n’est pas, par conséquent, seulement ce que le passé nous laisse. Elle doit aussi être comprise comme une tradition sélective […]. La tradition est en effet d’autant plus inévitable que son caractère sélectif est effacé dans les pratiques, les discours, le genre, les ‘races’ et les classes. Est dissimulé, par conséquent, le processus actif d’exclusion ou d’omission opéré par ceux qui, au jour le jour, fabriquent la tradition. […] Les versions du passé ratifient un ordre présent et produisent une « continuité pré-disposée » fonctionnant, pour reprendre les mots de Gayatri Spivak, au profit des « hommes privilégiés de la race blanche » (1986, p. 225).

22 Les stratégies spécifiques caractéristiques de la discipline histoire de l’art au xxe siècle (au point qu’on pourrait dire qu’elles la définissent) ne se limitent pas à constituer une tradition sélective privilégiant la créativité des hommes blancs au détriment de toutes les artistes femmes et de tous les hommes des cultures minoritaires. Les formes spécifiques que prennent les discours produits par l’histoire de l’art racontent plus qu’une histoire de l’art. Elles articulent aussi les configurations historiquement changeantes entre les classes, les ‘races’, les sexualités et les genres. La discrimination envers les artistes femmes peut ainsi être comprise institutionnellement. Nous pouvons la combattre par l’activisme politique, en militant par exemple pour qu’il y ait davantage de femmes invitées à la biennale du Whitney Museum comme nous l’avons fait au début des années 1970, etc. Mais rappelons-nous comment fut reçue l’édition de 1993 de cette biennale, où étaient largement et rationnellement représentés des artistes issus de toutes les communautés américaines, également distribués par genre, classe et sexualité : l’exposition fut accueillie, dans la presse, d’une manière extrêmement négative et conservatrice. On la jugea non représentative de la culture américaine et de la tradition que ces critiques canoniques cherchaient à légitimer. Avec le backlash, nous réalisons qu’il était faux de penser que nous pouvions corriger les déséquilibres. Pour déplacer les lignes de démarcation, nous devons, en effet, porter notre attention à la fois au niveau de l’énonciation (ce qui est dit et pratiqué dans les musées et les galeries) et au niveau de l’effet, c’est-à-dire à la manière dont ce qui est dit articule les hiérarchies, les normes et assure, au point de les faire relever du ‘bon sens’, la domination et les privilèges d’une élite blanche, masculine et hétérosexuelle, tout en renforçant l’idée que tout le reste est une aberration esthétique : de l’art médiocre, de la politique et non de l’art, du communautarisme et non des valeurs universelles, une expression motivée par des intérêts particuliers et non une vérité et une beauté désintéressées.

23 Puisque ce qui fait la force de l’hégémonie n’est pas la domination pure et l’exclusion absolue, elle fonctionne en nous amenant à construire une auto-identification effective avec les formes hégémoniques : une ‘socialisation’ spécifique intériorisée qui est « généralement positive mais qui, lorsque cela est impossible, se fondera sur une reconnaissance (forcée) de ce qui est inévitable et nécessaire » (Williams 1977, p. 118). Aujourd’hui, le combat culturel est spécialement focalisé sur une compétition autour des canons en littérature, en musique et en art. Ces défis aux actuelles versions sélectives de la créativité historique et contemporaine, qui passent, sous l’appellation de ‘tradition’, pour uniques et valables pour tous les lieux et toutes les époques, ont émergé dans les communautés qui expérimentent de la manière la plus aiguë les effets des exclusions. En désirant être artistes, universitaires ou professeurs, nous nous affrontons à l’incorporation forcée de l’idée, établie dans les cursus académiques généraux, de l’absence, de la marginalisation ou de la négation de notre propre communauté dans la sphère de production culturelle et cognitive. Or, des rangs des exclu(e)s qui protestent ensemble contre le canon, on voit émerger une ‘contre-hégémonie’ avec d’autres objets d’identification, ou, du moins, le début de l’une de ces alliances grâce auxquelles la domination d’un groupe social peut être contestée par ces ‘autres’ qu’il dévalorise et qu’il nie. À présent, la résistance est fragmentée entre champs d’étude spécialisés, chacun poursuivant son propre objectif au nom d’une politique identitaire radicale. Mais les concepts d’hégémonie et de contre-hégémonie conduisent à l’élaboration de stratégies dont le but est de forger une alliance qui traverse les fragments épars du monde contemporain. Elles impliquent de comprendre comment la différence fonctionne ordinairement pour organiser la ségrégation et la division, jusqu’à nous faire désirer le maintien de ces frontières.

24 En même temps, il serait contre-productif de vouloir abolir la différence, parce qu’un tel idéal universaliste sans particularisme suppose la notion impérialiste d’une similitude et d’une unité imaginaires. Les différences peuvent coexister, se fertiliser et se provoquer, se reconnaître, se confronter, se célébrer mutuellement, sans se détruire, dans un espace culturel large mais partagé. Au lieu de l’actuelle exclusivité de ce canon culturel contesté par des champs d’étude spécialisés mais fragmentés, tous fondés sur les oppositions binaires caractéristiques des politiques identitaires (ceux qui en sont/ceux qui n’en sont pas, marges/centres, haut/bas, etc.), le champ culturel pourrait être ré-imaginé comme un espace multipositionnel, où le fait d’établir une différence serait fondé sur un accord constructif, opposé à la logique phallique qui ne nous offre comme perspectives que la sécurité dans la similitude ou le danger dans la différence, et que l’assimilation ou l’exclusion par rapport à la norme canonisée.

25 Dans la mesure où l’histoire de l’art peut être définie comme un discours hégémonique, nous sommes dans l’obligation de nous poser cette question : les féministes peuvent-elles être historiennes d’art, c’est-à-dire exercer professionnellement les fonctions de conservatrices, d’historiennes et de critiques tout à la fois ? Cela n’implique-t-il pas, en fait, automatiquement de s’identifier à cette tradition hégémonique incarnée par et dans l’histoire de l’art telle qu’elle s’est institutionnalisée, avec le canon comme fondement d’un système d’inclusions et d’exclusions généré au plus profond des structures du pouvoir social et économique qu’elle contribue, en retour, à maintenir en place ? Tous les systèmes hégémoniques dépendent, pour survivre, d’un certain degré de malléabilité face aux forces ou aux groupes contestataires qui résistent à l’incorporation. Ces oppositions doivent être soit intégrées, soit disqualifiées. Il est encore trop tôt pour savoir si le féminisme peut être intégré ou s’il développera lui-même des formes radicales de résistance et de provocation à l’hégémonique.
La notion même d’hégémonie implique la capacité constante de négocier, dans le cadre de ces inévitables conflits, et d’amener les sujets (c’est-à-dire à la fois les historiens d’art potentiels et le public amateur) à s’identifier à sa version sélective du passé. Certaines activités ou certains points de vue sont ainsi intégrés, par le biais de la concession et de l’innovation, afin de mieux protéger les intérêts fondamentaux. Un peu de nouveauté et de controverse, en effet, maintient la discipline vivante et sera donc autorisé — mais toujours aux marges. Mais la parole qui conteste les structures fondamentales du pouvoir et soumet l’histoire de l’art, comme tout autre exercice académique, à une lecture critique de ses effets et de ses objectifs, sera accueillie par des rires et jugée aberrante. Une stratégie consiste, par exemple, en l’affirmation que les histoires sociales de l’art ou les études féministes ne sont plus de l’histoire de l’art, mais relèvent de la politique, de la sociologie, de l’idéologie, de la méthodologie, des women’s studies ou, pire, de la théorie.
Aujourd’hui, les féministes sont face à un nouveau paradoxe. Si nous nous retirons dans les terres interdisciplinaires plus hospitalières des women’s studies ou cultural studies, si nous ne nous confrontons donc plus continuellement à l’histoire de l’art comme discours et institution, notre travail ne dérangera guère le canon et ses discours sur l’art et les artistes. Pourtant, il nous faudrait garder une certaine distance face aux méthodes de l’histoire de l’art institutionnalisée, afin d’apprendre à y soulever la question refoulée du genre. Nous ne pouvons pas juste décamper. Ce serait une manière d’abandonner les artistes aux effets des discours canonisant de l’histoire de l’art, qui, en fait, pourraient sérieusement compromettre les possibilités de vivre et travailler en tant qu’artiste si vous appartenez à un groupe social non canonique.
Ainsi défini comme une tradition sélective, le canon pose au féminisme des problèmes spécifiques et bien plus complexes, au-delà de la perspective réduite de l’analyse marxiste telle qu’illustrée ici par la nécessaire reconnaissance de l’hégémonie comme force sociale et politique dans le champ de la culture. Comme l’écrit Freud à propos de Marx :

La force du marxisme ne réside manifestement pas dans sa conception de l’histoire et dans la prédiction de l’avenir fondée sur celle-ci, mais dans la mise en évidence perspicace de l’influence contraignante que les rapports économiques des hommes ont sur leurs positions intellectuelles, éthiques et artistiques. Une série de corrélations et de relations de dépendance furent ainsi mises à découvert, qui avaient été jusque-là presque entièrement méconnues. Mais on ne peut pas admettre que les motifs économiques soient les seuls qui déterminent le comportement des hommes dans la société.
(Freud 1933/1995, p. 265)

L’investissement psychosymbolique dans le canon ou être enfant face aux artistes

26 Avec son interprétation de l’esthétique freudienne, Sarah Kofman nous a fourni un moyen d’analyser ce qui est investi dans le canon au-delà des intérêts économiques ou idéologiques des groupes sociaux dominants. Les canons sont défendus avec un zèle quasi théologique qui indique plus qu’une coïncidence historique entre les usages ecclésiastiques du mot canon à propos des textes révérés et authentifiés de la Bible, et sa fonction dans le traditionalisme culturel. Le canon est fondamentalement un mode de vénération de l’artiste, qui est, en retour, une forme de narcissisme masculin.

27 Simple laïc, Freud a apporté sa propre contribution à la compréhension de l’art. Pour Kofman, ces désaveux étaient, en fait, ironiques.

28

Mais à la fin du texte, comme dans L’Inquiétante étrangeté, les « connaisseurs » sont réduits à des beaux phraseurs, enfermés dans des opinions subjectives, érigeant en savoir leurs propres fantasmes sur les œuvres, incapables de résoudre l’énigme du texte proposé. La demande de critique indulgente qu’il leur adresse doit donc être interprétée ironiquement. Ce que veut dire Freud, c’est que le « connaisseur » d’art critique sans savoir ce dont il parle, car c’est de lui-même qu’il parle : mais cette vérité « historique » sinon « matérielle » de son dire, seul le psychanalyste peut la livrer.
(Kofman 1985, p. 25)

29 Pour Freud, en effet, « le véritable intérêt du public pour l’art est non pas l’art lui-même, mais l’image qu’il se fait de l’artiste, celle du ‘grand homme’ », bien que cela soit souvent refoulé (ibid., p. 30-31). Résoudre l’énigme d’un texte, c’est donc faire violence à l’image idéalisée de l’artiste comme génie (c’est-à-dire commettre une sorte de ‘meurtre’), d’où la résistance opposée non seulement au travail psychanalytique sur l’art en général, mais aussi à tous les types d’analyse démystificatrice à l’image de celles produites par l’histoire sociale, critique et féministe de l’art. Dans les écrits sur l’art (rappelons que les soi-disant pères fondateurs de la discipline et des canons de l’histoire de l’art comptent parmi ses contemporains) comme dans l’opinion générale du public sur l’art, Freud identifia une combinaison de tendances théologiques et narcissiques. Il établit ainsi des parallèles entre l’histoire de l’humanité telle que révélée par l’anthropologie, et l’histoire psychologique individuelle telle qu’analysée par la discipline dont il était à l’origine. Les formes anciennes de religiosité comme le totémisme et le déisme correspondent en effet, selon lui, aux étapes du développement psychologique infantile de tout individu [7]. Freud montre que ce que nous imaginons être une pratique sociale hautement sophistiquée — l’appréciation de l’art — peut être comparé aux structures caractéristiques de certains moments essentiels de l’expérience archaïque dans l’histoire du sujet humain. Or ces structures sont, sous une forme sublimée, perpétuées dans des institutions sociales et des pratiques culturelles, telles que la religion et l’art.

30 La valorisation excessive de l’artiste comme ‘grand homme’ dans l’histoire de l’art moderne en Occident correspond donc au stade infantile de l’idéalisation du père. Mais au cours de cette phase, un autre ensemble de sentiments émerge rapidement : des sentiments d’opposition et de déception qui peuvent être à l’origine d’un fantasme de rivalité et de l’apparition d’une autre figure imaginaire, le héros, qui se rebelle contre le père tout-puissant, le renverse voire le tue. […]

31 Si l’artiste fonctionne comme un objet héroïque de fantasmes narcissiques, héritier de l’adoration accordée au père, ceci peut expliquer le vif intérêt pour la biographie, la psychobiographie et la manière dont, en histoire de l’art par exemple, tant de travaux sur les œuvres d’art ont pour objectif de créer une vie pour l’artiste et de faire de celle-ci un voyage héroïque à travers combats et épreuves, une bataille avec d’autres pères professionnels pour la conquête finale d’une place dans ce qui restera toujours le canon du père. Ceci nous emmène également au-delà des questions de sexisme et de discrimination, pour la simple raison que l’artiste est une figure symbolique dans laquelle les fantasmes du public se constituent et se reflètent. Dans une certaine mesure, ces fantasmes, infantiles et narcissiques, ne sont pas placés exclusivement du côté du masculin. Mais, dans les faits, ils servent de fondement à une légende patriarcale.

32 Écrire à propos d’un artiste sur un mode biographique est en soi une opération doublement déterminée. C’est une illustration du désir de se rapprocher du héros et, simultanément, de maintenir l’œuvre et le héros dans une position sacrée, taboue, dans le double but d’éviter le meurtre inconsciemment désiré du père que le héros incarne, et de maintenir l’illusion théologique de l’art qui, de la même façon, compense ces désirs conflictuels. Freud écrit ainsi dans son étude sur Léonard de Vinci :

33

[…] Les biographes sont fixés de façon toute particulière à leur héros. Fréquemment, ils l’ont choisi pour objet de leurs études parce qu’ils lui témoignaient d’emblée, en raison de leur vie de sentiment personnelle, une affection particulière. Ils s’adonnent alors à un travail d’idéalisation qui s’efforce d’inscrire le grand homme dans la série de leurs modèles infantiles, par exemple de faire revivre en lui la représentation enfantine du père. Pour céder à ce souhait, ils effacent dans sa physionomie les traits individuels, ils aplanissent les traces de son combat vital contre les résistances internes et externes, ils ne tolèrent chez lui aucun reste de faiblesse ou d’imperfections humaines et nous donnent alors en réalité une figure idéale, froide et étrangère, à la place de l’être humain auquel nous pourrions nous sentir lointainement apparentés.
(Freud 1910/1993, p. 157)

34 […] Ainsi Freud ménage-t-il prudemment un espace pour le psychanalyste comme médiateur entre l’artiste et le public. […] Appliquer la psychanalyse à l’art apparaît comme un meurtre, puisque ceci revient à renoncer aux investissements infantiles dans la figure de l’artiste-héros, pour que l’artiste puisse être étudié selon des mécanismes psychiques auxquels nous sommes tous soumis.

35

D’une part, l’œuvre d’art est un des rejetons du refoulé de l’artiste et, en tant que tel, elle est symbolique et symptomatique : il est possible de la déchiffrer à partir de traces, de menus détails, qui sont l’indice que le refoulement n’est pas parfaitement réussi, échec qui seul permet l’ouverture d’un espace de lisibilité de l’œuvre.
(Kofman, 1985, p. 30)

36 Pour Freud, il n’y a pas de mystère dans l’art, mais le défi de déchiffrer ses significations — un défi dont la pertinence réside non dans la différence de l’artiste mais précisément dans sa ‘normalité’ […].

37

Le psychanalyste agit comme médiateur entre l’artiste et le public, entre le père et le fils car le fils ne peut supporter de voir en face son père pas plus que son propre inconscient […]. L’artiste n’est ni un grand homme ni un héros ; nous ne le sommes pas davantage : telle est la contribution qu’apporte la psychanalyse à la biographie. L’ « application » de la psychanalyse à l’art opère un renversement total par rapport aux biographies traditionnelles. « Tuer » le père, c’est renoncer aussi bien à l’idéalisation théologique qu’à l’identification narcissique qui fait que le sujet désire être soi-même son propre père, tout en respectant le surmoi qui seul permet le renoncement au principe du plaisir.
(ibid., p. 38-39)

38 Sarah Kofman fait de Freud — et, indirectement, de la psychanalyse — un « nouvel iconoclaste » qui met au défi l’idéalisation religieuse et l’identification narcissique à l’artiste afin de dépasser « l’enfance de l’art » pour atteindre le principe de réalité où l’idéalisation admirative de l’artiste est supplantée par l’analyse ‘adulte’ des œuvres d’art semblables à des textes à déchiffrer. […] Comprendre cela est particulièrement important dans le combat féministe contre le canon. Si nous introduisons, dans nos lectures de l’histoire de l’art, trop d’éléments de la vie personnelle de l’artiste (des traumatismes ou une expérience spécifiquement féminine par exemple) ou bien si nous nous aidons de notre propre expérience pour interpréter ce que nous voyons, nous sommes disqualifiées, notre lecture étant jugée trop subjective et insuffisamment canalisée par la nécessaire objectivité d’une distance rationnelle à l’histoire. D’un autre côté, le féminisme peut légitimement se revendiquer de cette compréhension freudienne pour fonder, sur des analyses prudemment exposées et développées à partir de nos histoires individuelles, une tentative de théorisation de la pertinence du psychosymbolique dans la genèse et l’interprétation des textes culturels, et ce, dans le but de contrebalancer l’académisme historique.

39 Mais le projet de Freud, qui émerge en même temps que l’histoire de l’art comme discipline arrivait à maturité, a rencontré et rencontre toujours une considérable résistance parce que :

40

La psychanalyse a infligé à l’homme l’une de ses trois grandes blessures narcissiques en déconstruisant l’idée d’un sujet libre, maître de lui, auto-suffisant, voire créateur de lui-même. Mais le narcissisme est essentiellement force de mort. Le dénoncer, c’est œuvrer en faveur d’Eros.
(ibid., p. 40)

41 La lecture que fait Sarah Kofman de Freud établit ainsi deux matrices de réflexion. L’une nous permet de comprendre ce qui est en jeu dans la canonicité conçue comme la formalisation de la structure religieuse et narcissique fondée sur l’idéalisation de l’artiste. L’autre nous donne à voir le caractère profondément sexué d’une telle structure. Les pères, les héros, les rivalités œdipiennes ne reflètent pas seulement le biais spécifiquement masculin de la réflexion de Freud. Ils suggèrent que, structurellement, les mythes de l’art et de l’artiste sont formés à l’intérieur même de la différence sexuelle et la révèle sur la scène culturelle. La question fondatrice de Linda Nochlin « Pourquoi n’y a-t-il pas de ‘grands artistes femmes’ » (avec ce complément : « … dans le canon ? ») peut être renversée, à travers cette analyse, pour mettre en évidence les structures profondément masculinistes du narcissisme et de l’idéalisation exprimés par le canon [8].

42 La question, par conséquent, est : peut-on inverser le canon, et lui substituer une version féminine ? Les mères, les héroïnes, la rivalité féminine œdipienne, le narcissisme féminin, etc. ? Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Ou bien voulons-nous tenter, avec Freud, d’aller vers une relation à l’art qui serait adulte et non plus infantile, en désinvestissant même une version révisée, féminisée du mythe de l’artiste, et en nous confrontant à l’analyse de l’énigme de textes désencombrés d’une telle idéalisation narcissique ? Assurément, nous serions du côté d’Eros plutôt que de celui de Thanatos, du côté du désir dans l’écriture plutôt que de celui de la mort qui, sous la forme du ‘meurtre’ évité du père/de la mère à travers l’idéalisation du héros/de l’héroïne, exerce une pression continuelle sur l’histoire de l’art.
En utilisant l’analyse de l’esthétique de Freud par Sarah Kofman, nous pouvons ainsi diriger les spotlights analytiques sur le désir féministe, l’intérêt des femmes pour l’art et les artistes qui sont des femmes. Je pose la question : Pourquoi nous intéressons-nous aux artistes qui sont des femmes ? Voilà une question qui semble simple et dont la réponse apparaît évidente. Mais c’est seulement le féminisme, et non le fait d’être une femme, qui a permis et généré un tel désir, et qui a fondé, dans ses formes politiques, théoriques et culturelles, des représentations susceptibles de nous aider à mettre en mots des aspects du désir féminin (même si celui-ci reste profondément ambivalent) pour la mère, c’est-à-dire pour le savoir sur les femmes [9]. Or, à la lumière de ce qui a été dit plus haut, tout désir, féministe ou autre, semble désormais plus complexe. Pourquoi, en tant que féministe, est-ce que je m’intéresse à des artistes qui, en raison du violent sexisme de l’histoire de l’art, n’offrent aucun des avantages des figures idéalisées, canonisées ? Les artistes femmes négligées du passé fonctionnent-elles pour moi comme un idéal narcissique ? Est-ce que je veux en faire des héroïnes semi-divines ? Que faisons-nous lorsque nous essayons de les faire passer pour telles (si tant est qu’on le puisse) dans le cadre de l’actuel régime de différence entre les sexes ? Et si je désirais faire autre chose de ces histoires de femmes ? Autrement dit, est-il possible de faire le travail que je veux faire sur les artistes femmes au sein d’une formation disciplinaire sous-tendue, à notre insu, par une structure mythique et psychique qui empêche activement la découverte historique de la différence et rend inintéressantes les histoires redécouvertes de ces femmes ? Probablement pas. L’écriture des histoires de l’art à travers le désir féministe crée-t-elle une nouvelle différence, qui serait anti-mythique, non-héroïque, mais capable d’analyser des œuvres d’art en y recherchant des traces de subjectivités qui ne me ressembleraient pas en raison d’une hypothétique féminité universelle, mais qui pourraient s’adresser à moi dans le cadre d’un « féminin (historiquement variable) » ?
J’ai depuis longtemps suggéré que ‘l’histoire de l’art’, dans la mesure où l’essence même de la discipline consiste à incarner et à perpétuer cette attitude narcissique et religieuse duelle à l’égard de l’artiste, ne peut survivre à l’impact du féminisme, puisque celui-ci a pour objectif même la déconstruction de cette essence pour pouvoir parler des pratiques artistiques des femmes. Je veux proposer ici, toutefois, d’appliquer à la pratique féministe les analyses théoriques inspirées du travail de Freud sur les ‘amateurs d’art’. Parce que là, justement, il y a un espace pour l’intervention féministe. Même si la psychanalyse freudienne privilégie finalement la place du Père, conformant toutes les histoires culturelles au modèle des angoisses œdipiennes masculines, et, comme ici, fait du Père/Héros une figure centrale à son analyse de l’histoire de l’art, elle n’en offre pas moins théoriquement une manière de mettre en évidence les désirs et les fantasmes qui ont, jusqu’à présent, rendu inconcevable la présence de femmes dans le canon. […]
Les historiennes d’art sont susceptibles de s’identifier, d’idéaliser et d’avoir des fantasmes narcissiques, puisque beaucoup des processus psychiques que Freud analyse sont communs aux sujets masculins et féminins dans la formation préœdipienne et, plus important encore, puisque, en l’absence d’autres légendes, mythes et images, les femmes construisent des subjectivités hybrides, bricolées à partir de ce que la culture phallocentrique leur offre. La culture phallocentrique, toutefois, reste fondée sur des substitutions et des refoulements — en particulier de la Mère. Si l’un des principaux projets de la psychanalyse est de rechercher les traces d’un refoulement incomplet, une manière d’y parvenir est, par conséquent, d’aller à l’encontre du paternel à la recherche du Maternel. Nous pouvons chercher la Mère partout, dans les œuvres d’artistes, hommes ou femmes, pour y découvrir des spécificités et des différences qui ne relèvent pas de la seule différence provoquée par la logique phallique. Dans cet espace, on peut à la fois déconstruire le mythe du ‘grand homme’ et lire de manière constructive les œuvres d’artistes hommes, au-delà de l’antienne habituelle et limitée ; on peut, de même, y parler des mythes, des figures et des fantasmes qui nous permettent de voir ce que les artistes femmes ont fait, de rechercher les inscriptions dans le féminin, de fournir, dans nos écrits critiques, un support à la représentation des désirs féminins ; on peut aussi y appréhender les désirs masculins conflictuels, libérés de l’enfermement théologique où les maintient l’image idéalisée de l’artiste canonique. De plus, les différences entre les hommes (vir) qui n’existent aujourd’hui qu’à travers la suppression de tous les types de Moi-Idéaux à l’exception d’un seul, peuvent être articulées sans l’angoisse qui imprègne même le travail de Freud lorsqu’il traite de l’homosexualité de Léonard de Vinci (op. cit.). La différence ne sera plus la ligne de démarcation entre le canonique et le non-canonique, mais la question centrale que soulèvera une analyse extensive et globale de la culture, libérée de l’idolisation du Père et du Héros blancs.

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Mots-clés éditeurs : valeurs, canons culturels, artistes femmes, histoire de l'art, exclusion, art, féminisme, altérité, domination masculine

Date de mise en ligne : 01/12/2011

https://doi.org/10.3917/cdge.043.0045

Notes

  • [2]
    Thoré (1866, 1868), Scheller (1961), Heiland et Lüdecke (1960), Reff (1970).
  • [3]
    « Tirer (sur) le canon ».
  • [4]
    Salomon (1991). Voir aussi Gorak (1991), Von Hallberg (1984), Lauter (1991) et le numéro spécial de Salmagundi, n° 72 (1986) ; Rifkin (1986) et la collection d’essais parue dans Art Bulletin (1996).
  • [5]
    H. W. Janson fut attaqué sur cette omission. Il établit qu’aucune femme artiste n’avait changé la direction de l’histoire de l’art et qu’aucune ne méritait donc d’apparaître dans son ouvrage (Salomon 1991, p. 225).
  • [6]
    L’auteure emploie ici le néologisme différencer (« to difference ») pour signifier non pas le projet — voué à l’échec — de rendre le canon différent, mais celui d’introduire de la différence dans les structures mêmes du canon [ndlt].
  • [7]
    Cette idée suscite toujours de vives réactions, dans la mesure où elle semble suggérer que les peuples qui présentent encore ces formes de religiosité sont qualifiés de puérils. L’erreur est de penser à la fois que le stade infantile est puéril et qu’il est toujours surmonté. Les expériences archaïques et les fantasmes qui y sont rattachés sont une ressource riche et un puissant déterminant pour le comportement adulte. ‘Infantile’ est un terme technique qui se réfère à la fois, pour le sujet, aux moments fondateurs de son histoire singulière et à un registre de significations et d’affects chez le sujet humain.
  • [8]
    Tel était le titre de ce célèbre texte lorsqu’il parut pour la première fois dans Gornick et Moran (1971). Sa dernière publication (en anglais) dans Hess et Baker (1973) porte le titre « Why Have There Been No Great Women Artists? », repris pour la version française : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ? », in Nochlin (1993).
  • [9]
    Je m’inspire ici des arguments de Silverman (1988, p. 125), sur la manière dont le féminisme prend sa source dans les « ressources libidinales du complexe d’Œdipe négatif ». Celui-ci désigne à la fois le désir œdipien qu’éprouve une enfant de sexe féminin pour sa mère, et son identification progressive à elle au cours de la formation de sa propre féminité. Ce désir, éprouvé par toutes les femmes, est réprimé par la culture. Ce commentaire ne signifie pas que le féminisme a découvert un désir sexuel féminin centré sur les femmes, mais qu’il a libéré cet élément de l’inconscient féminin auquel le système symbolique phallocentrique refuse tout support de représentation.

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