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Article de revue

Entendez-vous la parole des femmes vivant dans les quartiers populaires ?

Pages 16 à 17

Notes

  • [1]
    Le Front de mères se présente comme un syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires chargé de donner une résonance nationale aux combats que mènent les collectifs de parents au niveau local.
  • [2]
    Cf l’article de Sabah Chaïb pp. 41-42.
  • [3]
    Le contrat d’intégration républicaine (CIR) est conclu entre l’État et tout étranger non européen admis au séjour en France. Le signataire s’engage à suivre des formations (civique, linguistique…) pour favoriser son insertion dans la société française.
  • [4]
    Cf l’article de Julien Talpin pp. 30-31.

1Les femmes héritières de l’immigration et habitant les quartiers populaires occupent une place particulière dans la société française. Elles sont souvent représentées dans l’espace médiatique et les discours politiques comme des filles/femmes « à sauver » de leurs familles, de leurs « cultures » et de plus en plus explicitement, de leur religion quand c’est l’islam. Il y a une très grande exploitation du travail de ces femmes qui occupent souvent sur le marché du travail les emplois les plus précaires, les moins bien payés [2]. Et lorsqu’elles occupent des emplois à plus forte valeur sociale, elles subissent un très fort déclassement, avec notamment des salaires plus faibles à compétences égales.

2Les représentations associées aux femmes racisées nourrissent le système discriminatoire qu’elles subissent. Et pour maintenir ce système de représentations, de discriminations et d’exploitation, la parole de ces femmes est confisquée à travers une double entrée :

3

  • On met en débat des sujets concernant ces femmes sans les associer, ne serait-ce que sur la pertinence des sujets en question ou même leur définition.
  • On invisibilise, voire on bloque, l’expression des problématiques qui sont pour elles centrales, de leur point de vue, eu égard à leur vécu et à leurs urgences.

Le processus de confiscation : l’exemple de la lutte contre les mariages forcés

4La lutte contre les mariages forcés, notamment telle qu’elle a été imposée par les pouvoirs publics à partir du milieu des années 2000, est un excellent exemple de confiscation. À la place d’une question sociale réelle et complexe, on impose des récits individuels et romancés où sont mises en scène des femmes non blanches ayant besoin d’être sauvées de leur famille décrite comme culturellement arriérée et violente.

5Dans un contexte où la politique de la ville était de plus en plus orientée vers ce que les pouvoirs publics attendaient des acteurs associatifs, il y a eu une captation de subventions autour de cet enjeu institutionnel de lutte contre les mariages forcés, caractérisé par une grille de lecture culturaliste du phénomène, où sont notamment essentialisés la culture musulmane, les hommes maghrébins, ou encore les familles africaines. Plusieurs structures ont répondu à cet « appel d’air », sans forcément interroger les ressorts de la démarche, notamment pour financer leur fonctionnement. Des acteurs associatifs et/ou culturels ont ainsi été financés pour produire des supports dédiés à cette question, avec les attendus tacites en termes de récits autour de la « femme arabe/noire/musulmane à sauver ». Ces productions ont été mobilisées par les institutions comme outils d’accompagnement et de formation.

6Ainsi par exemple, le film de Pascal Tessaud, L’Été de Noura, a été diffusé dans les collèges, accompagné par des psychologues et des juristes notamment qui n’avaient aucune connaissance minimale en termes de sociologie de l’immigration. Pour un résultat très mitigé dans la mesure où le film suscitait des réactions violentes chez les jeunes collégiennes notamment, sans que ces réactions ne soient correctement prises en charge. Ces dernières furent simplement perçues par les commanditaires institutionnels comme « une preuve » que le sujet faisait « débat » et qu’il y avait bien « un abcès à crever ».

7Ainsi, il s’agit davantage d’instrumentaliser à des fins idéologiques, avec un fort enjeu communicationnel, que d’apporter une véritable aide aux femmes racisées en détresse.

Mécanismes de blocage quand les femmes concernées « ne jouent pas le jeu »

8Quand les femmes expriment des besoins que l’on n’attend pas d’elles, ils ne sont pas pris en considération. Prenons l’exemple d’un centre social de région parisienne qui organise la co-construction des projets « famille » avec les habitants. Lors de la première réunion, les femmes ont exprimé leur envie de travailler sur un créneau entre femmes à la piscine, ce qui a totalement désarçonné la direction du centre, laquelle a finalement stoppé cette démarche de co-construction et a proposé, quelque temps plus tard, un projet prêt à l’emploi visant à favoriser la mixité femmes-hommes dans l’espace public.

9Quand les femmes ciblées par un projet ne participent pas à l’action conçue pour elles, tout un jeu de dispositifs contraignants peut les y encourager. En particulier pour les femmes étrangères souhaitant s’installer durablement en France et qui peuvent habiter les quartiers prioritaires. Par exemple, un temps sur la parentalité était organisé en région lyonnaise pour les femmes habitant les quartiers défavorisés, avec tout un discours stigmatisant (autour des « parents démissionnaires ») et sécuritaire (autour de ces « mineurs délinquants toujours dehors le soir après 22 h »). Évidemment, le jour J il y avait zéro participante. Cette action s’est alors greffée au dispositif du contrat d’intégration républicaine [3] qui a quasiment imposé aux personnes de participer à ce groupe de travail sur la parentalité.

10C’est lorsque les femmes racisées et habitant les quartiers populaires s’organisent de manière autonome que le verrouillage dans l’accès aux lieux d’expression et de décision est le plus marquant. Notamment lorsqu’elles s’organisent autour de l’enjeu central (pour elles comme pour les institutions) qu’est le sort de leurs enfants [4]. Les moyens de verrouiller sont très nombreux. On peut citer l’entrave faite à l’accès aux subventions, aux infrastructures municipales ou aux locaux associatifs, autrement dit l’accès aux conditions matérielles de base de l’organisation. On peut évoquer également l’invisibilisation de leurs actions et des personnes qui les portent : refus de communiquer sur les actions entreprises, de recevoir les membres de l’organisation, de répondre aux courriers, etc. On peut regretter aussi les pratiques clientélistes de beaucoup d’élus locaux à même de faire imploser un collectif. Enfin, on peut pointer la disqualification (en apposant l’étiquette « communautariste »), voire la diffamation (avec l’étiquette « proche des Frères musulmans »…) qui peuvent véritablement mettre un terme à une dynamique de territoire.

11Mais les femmes en question résistent de plus en plus à cette confiscation, notamment grâce à des stratégies politiques prenant en compte ces processus de confiscation et d’instrumentalisation, et grâce à leur travail sur le terrain, aux liens de solidarité, aux partenariats, et à l’apparition croissante de médias alternatifs, essentiellement sur les réseaux sociaux.

Notes

  • [1]
    Le Front de mères se présente comme un syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires chargé de donner une résonance nationale aux combats que mènent les collectifs de parents au niveau local.
  • [2]
    Cf l’article de Sabah Chaïb pp. 41-42.
  • [3]
    Le contrat d’intégration républicaine (CIR) est conclu entre l’État et tout étranger non européen admis au séjour en France. Le signataire s’engage à suivre des formations (civique, linguistique…) pour favoriser son insertion dans la société française.
  • [4]
    Cf l’article de Julien Talpin pp. 30-31.
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