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Article de revue

Être Welsche en Alsace dans les coulisses du siècle d'or (1477-1618)

Pages 87 à 105

Notes

  • [1]
    MÜNSTER, Sébastien Cosmographie universelle, trad. française, Bâle, 1552. Ce genre de citation invoquée plus souvent qu’à son tour n’a qu’une valeur qualitative. En 1529, le polygraphe Symphorien Champier dit à peu près la même chose à propos de Lyon où il n’y a qu’« estrangiers, comme bourguygnons, savoysiens, piemontoys, bressiens, allemans et de nation estrange » (cité par GONTHIER, N. (1993). Délinquance, justice et société dans le Lyonnais médiéval, Paris, Arguments, p. 12.).
  • [2]
    L’index des séries anciennes des Archives départementales du Bas-Rhin contient une entrée « Immigration franc-comtoise » qui se rapporte à Saint-Nabor en 1557. L’inventaire manuscrit réalisé par Louis Spach avant 1870 signale effectivement, sous la cote G 149/8, un accord relatif à des tenanciers originaires de Haute-Bourgogne établis du côté d’Ottrott : la lecture de l’original montre qu’il s’agit d’un contresens sur Hohenburgischen Underthanen, « sujets de Hohenbourg » (i-e l’abbaye du mont Sainte-Odile), interprété en Hohenburgundischen Underthanen.
  • [3]
    Cf. GRIMM (1922). Deutsches Wörterbuch, t. XIII, Leipzig, art. Wälsch, col. 1327-1354 cite le Tristan de Gotfried de Strasbourg comme première occurrence de l’adjectif. Le mot est utilisé à partir de 1338 dans les sources alsaciennes pour désigner les sujets romans des sires de Ribeaupierre. On le retrouve dans des termes techniques Welschkorn (ou « blé d’Espagne », « ou Welschbohne », voire dans des patronymes (Walch, Wahl, Bloch, peut être, par métathèse).
  • [4]
    AD Territoire de Belfort, 1 H C, dans la formule du serment des merciers (= marchands) de Belfort.
  • [5]
    Cf. LEYPOLD, D. (1989). Le Ban de la Roche au temps des seigneurs de Rathsamhausen et de Veldentz (1489-1630), Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, qui fait apparaître une frontière linguistique mouvante.
  • [6]
    Ces indications sont fournies par les matricules de répartition des charges militaires des villes et des bailliages du Sundgau. KINTZ, J.P. (1994). Paroisses et communes de France. Haut-Rhin. Territoire de Belfort, Paris, CNRS. En 1801, le Haut-Rhin actuel compte : 272 334 habitants (p. 91), et le Territoire (p. 537) 31 439 âmes.
  • [7]
    KINTZ, J.P. (1984). La société strasbourgeoise (1560-1650), Paris [Strasbourg], Éditions Ophrys / Association des publications près les universités de Strasbourg, p. 113 considère que « les Vosges formaient une barrière à l’ouest ». Son analyse des admissions à la bourgeoisie entre 1543 et 1568 ne signale que deux Bourguignons ou Francs Comtois sur un demi millier de nouveaux bourgeois d’origine « étrangère », c’est-à-dire extérieurs à l’Alsace. Les catégories retenues invitent à une certaine vigilance puisque cet auteur mentionne la Suisse et le Liechtenstein, qui fournissent 24 personnes, sans qu’on puisse en connaître la provenance exacte (les Savoyards peuvent avoir été regroupés sous cette étiquette), 182 Wurtembergeois, sans qu’on puisse dire s’il s’agit des sujets ducaux – Montbéliardais ? – ou des Souabes.
  • [8]
    RAYNAUD, F. (2001). Savoyische Einwanderungen in Deutschland (15. bis 19. Jahrhundert), Neustadt an der Aisch, Degener.
  • [9]
    DIERSTEIN, H. (2004). « Les origines de Mittlach, du Tyrol et d’ailleurs », in : Annuaire de la Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster, p ; 119-133, ici p. 120, n. 5, citant un contrat de bail à propos de la ferme de Zufluss (parfois francisée en Soufflouse, dans le vallon du Rothenbach, entre Munster et La Bresse), tenue en 1611 par les frères Heinrich et Peter Latscha, originaire du bailliage de Delémont. La forme initiale de ce patronyme est Lâchât, que l’on rencontre souvent dans les régions franco-provençales, cha ou chaux signifiant « pâturage de montagne ».
  • [10]
    D’énormes quantités d’informations ont été recueillies sur ce point par les généalogistes du Centre d’Histoire des Familles établi à Guebwiller (Haut-Rhin), en utilisant aussi bien les registres paroissiaux que les archives notariales (particulièrement pour la Vallée de la Thur, très perméable à l’immigration lorraine).
  • [11]
    Cf. ZUBER, R. (1977). « Strasbourg, refuge des Champenois », in : Strasbourg au cœur religieux, Strasbourg, Istra, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, pp. 309-319.
  • [12]
    Cf. WOLFF, C. (1956). « Une liste de huguenots réfugiés à Strasbourg », in : BSHPF, 1956, pp. 167-171. Cf. ZUBER, op. cit. (pour la plupart, ces réfugiés demeurent à Strasbourg jusqu’en avril 1563) et WOLFF, C. (1977). « Strasbourg cité du refuge », ibid, pp. 320-330.
  • [13]
    PIGUERRE (1581). L’Histoire de France, Paris, II, livre 31, fol. 88.
  • [14]
    FUCHS, F.J. et VOGLER, B. (1978). « Strasbourg, réceptacle des bannis », in : Grandes figures de l’Humanisme alsacien. Courants, milieux, destins, Strasbourg, Istra, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, pp. 307-312.
  • [15]
    TONJOLA, J. (1665). Basilea sepulta, Bâle, pp. 131 et 135.
  • [16]
    Cf. JORDAN, B. (1991). La noblesse d’Alsace entre la gloire et la vertu : les Sires de Ribeaupierre 1451-1585, Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, pp. 222-223 ; DENIS, P. (1984). Les Églises d’étrangers en pays rhénans : 1538-1564, Paris, Les Belles lettres, Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège.
  • [17]
    Ce texte a été attribué au médecin Nicolas Barnaud. Le lieu d’édition de l’exemplaire de 1574 conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg sous la cote R 102 811 est Edimbourg, mais il s’agit vraisemblablement d’un camouflage pour Bâle ou Strasbourg.
  • [18]
    VOGT, J. (1992). « Aspects sociaux de l’immigration des Lorrains dans les territoires de l’évêché de Strasbourg au troisième quart du XVIe siècle », in : Dialogues transvosgiens, n°8, pp. 55-57. Cet historien des campagnes est particulièrement attentif au sujet pour lequel il propose une approche très concrète, à partir d’une excellente maîtrise des sources.
  • [19]
    SPIELMANN, E. (2001). « Die Wassersorgung auf der Landskron », in : Châteaux forts d’Alsace, 3, pp.65-71, n. 16.
  • [20]
    La mention de ces émigrés « die die schornsteine fegen und caminen » se trouve dans le recueil de proverbes publié par AGRICOLA, J. (1529). Drey hundert gemeyner schprichworter, Haguenau, n° 447.
  • [21]
    Par exemple, le marchand bourguignon Jehan Goillot, mort de maladie dans une auberge de Colmar en 1553 (AM C, JJ AP 21).
  • [22]
    AM Strasbourg, Conseil des XXI, Index de l’année 1575, fol. 679 : sur 9 orphelins étrangers recueillis en novembre, trois viennent probablement d’outre Vosges, l’un du Westrich, l’autre de Bruxelles (?), le dernier, prénommé Sontag (= Demange, Dominique), sans parents connus et âgé de quatre ans, est originaire de Rambeville (Rambervillers).
  • [23]
    KINTZ, op. cit., p. 282 (mais ces hôtes étrangers sont à peine 10 % des personnes hébergées en hiver. Une carte relative à la foire de 1585 montre que ces négociants viennent essentiellement du versant lorrain. Cf aussi pp. 403 et 419. A Thann, au XVIe siècle, il existe 14 auberges. En 1556, dans l’une d’elles meurt un mercier welsche originaire de Jonvelle en Champagne (HEIDER, C. (2004). Entre France et Allemagne. Thann, une ville de Haute-Alsace sous la domination des Habsbourg (1324-1648), Strasbourg, Université Marc Bloch, p. 116).
  • [24]
    HEIDER, op. cit., pp. 123-127.
  • [25]
    AD Haut-Rhin, 136 J, p. 50 : une enquête signale à Munster un certain Josly Munch « uss welschem land geborn », âgé de trente ans, au service du châtelain de Schwarzenbourg depuis huit ans.
  • [26]
    Cf. LIEBELIN, F. (1987). Mines et mineurs du Rosemont, Giromagny, Centre culturel, pp. 251 et suiv., p. 268.
  • [27]
    ROSE-VILLEQUEY, G. (1970). Verre et verriers en Lorraine au début des temps modernes (de la fin du XVe siècle au début du XVIIe siècle), Nancy, (Thèse Paris), p. 42, propose la thèse de l’arrivée de familles de verriers de Bohème.
  • [28]
    Ce thème est presque omniprésent sous la plume des humanistes.
  • [29]
    Cf. MARTIN, D. (1929). Les colloques françois et allemands, éd. par Jacques HATT, Strasbourg, Les Belles Lettres, p. 161.
  • [30]
    HEIDER, C. op. cit., p. 154. L’affaire est d’autant plus savoureuse que l’auteur de l’insulte porte un patronyme roman (Tafferney), son adversaire, Roman Emb, exerçant le métier de maçon.
  • [31]
    AM Guebwiller, FF 11.
  • [32]
    AM Mulhouse, XIII J 1.
  • [33]
    AM Mulhouse, parch. 3091 (Urfehd, scellé par le damoiseau Philippe de Grandvillars).
  • [34]
    AM Sélestat, FF 28, etc.
  • [35]
    AM Strasbourg, Conseil des XXI, 1575, fol. 682.
  • [36]
    Ce sabir est une langue réputée étrangère, revendiquant, comme son nom le suggère, des éléments « latins ».
  • [37]
    SPICKER-BECK, M. (1995). Räuber, Mordbrenner, umschweifendes Gesinde. Zur Kriminalilät im 16. Jahrhundert, Freiburg/Br., Rombach, p. 68 et pp. 70 et suiv. A Colmar, aucun Welsche ne figure parmi les criminels condamnés à mort dont on peut établir une liste (incomplète) dans le dernier tiers du XVe siècle et au XVIe siècle (FF 345), ce qui n’est pas le cas des « Schwoben ».
  • [38]
    AM Colmar, FF 346. Les tableaux proposés ici pour la première fois ont été faits à partir des dépouillements de SITTLER, L. (1957). Inventaire des Archives de la Ville de Colmar, Série FF, Colmar.
  • [39]
    Le Livre de Bourgeoisie de Calmar, éd. par Roland WERTZ, Colmar, 1981, ne donne aucune indication d’origine, mais on possède des listes des nouveaux membres des Zünfte de la ville entre 1575 et 1599 : sur 922 personnes, 41 % sont des Colmariens de souche, 22 % des immigrés d’entre Vosges et Rhin, 30 % des Allemands de la rive droite et des autres régions germaniques.
  • [40]
    AM Colmar, BB 52, p. 111.
  • [41]
    STOLZ, O. (1939). « Zur Geschichte des Bergbaues im Elsaß im 15. und 16. Jahrhundert », in : Elsaß-lothringisches Jahrbuch, t. 18, pp. 116-171 ; DIETRICH, J. (1875-1876) « La chronique des mines de Sainte-Marie de Jean Haubensack », in : Bulletin de la Société d’Histoire naturelle de Colmar, pp. 325-345. Cf. BOUVIER, D. (2001). « La guerre des mines d’argent », in : Société d’Histoire du Val de Lièpvre, 23e cahier, pp. 44-62.
  • [42]
    AD Haut-Rhin, 1 C 3474 : le plainte est déposée « in namen der frouwenbergischen underthanen jnn teutschen landen“ et vise „allen frawenbergischenn unnderthannen in welschenn lannden », en l’occurrence, les sujets « privilégiés » de la seigneurie de Montjoie/Froberg à Vaufrey/Waffre, sur le Doubs. Ce cas n’est, apparemment, pas le seul, mais il faut en relativiser la portée. En effet, les rapports entre villageois et seigneurs sont régis par des coutumes très variables, engendrant du même coup une infinité de procès entre communautés voisines. Le facteur linguistique n’a rien de discriminant.
  • [43]
    AD Territoire de Belfort, 1 H 16.
  • [44]
    D’après Monika Spicker-Beck, les chaudronniers sont, avec les lansquenets, le groupe le plus exposé à la délinquance (13 % des criminels connus, contre 4 % pour les merciers).
  • [45]
    HEIDER, op. cit., p. 160.
  • [46]
    HANAUER, A. (1878). Etudes économiques sur l’Alsace ancienne et moderne, II, Paris-Strasbourg, pp. 511 et suiv. Ces plaintes n’ont rien d’original. En 1552, le règlement de police adopté par les « états provinciaux d’Alsace » à la suite de la diète d’Augsbourg de l’année précédente comprend le même réquisitoire contre les « taglöhner, acker und rebleuten knechten und knaben » accusés de prétentions salariales et de paresse. La nouveauté des années 1570-1580 réside dans l’identification des fauteurs de trouble. En 1551, il n’était pas question des welsches, mais l’idée d’une surveillance renforcée des voyageurs et des mendiants était bien présente avec un article consacré aux Zigeuner et Spielleute assimilés et un autre aux chaudronniers.
  • [47]
    AM Mulhouse III B 1, p. 39, sous le titre « Welschen nit annemen A° [1576] uff den 4. hornungs haben unsere hern ein grosser Radt einhelig erkhant das hinfür mehr kein welscher zu einem Burger noch hindersassen angenommen, sonder(n) wo ein fraw oder tochter mit deren einem der ee halben verpflicht soll mit ime zur Statt hinhuss gewisen werden. Doch wo ein statt welsche murer oder zimmerlein bedörffte, will ein oberkheit jr handlen beschlossen haben ».
  • [48]
    Pour Thann, cf. HEIDER, op. cit., p. 8.
  • [49]
    GENY, J. (1902). Schlettstadter Stadtrechte, Heidelberg, Winter, p. 402 : « haben wir uns endlich entschlossen und geordnet, welcher mann, junckfrau oder wittib sich nun hinfüro ohne unser wissen und erlauben mit den welschen personen verheuraten würde, das wir ihnen das burgrecht nicht mehre geben, besonder mann und weib uß der statt hinweg weisen wöllen ». La date du document n’est pas indiquée, mais elle correspond probablement à l’accord de 1580.
  • [50]
    KINTZ, op. cit.
  • [51]
    GENY, op. cit., p. 949.
  • [52]
    DIEDLER, J.C. (1996). Démons et sorcières en Lorraine, Paris, Messène, p. 149, reprenant une idée de Dom Calmet sur la propagation de l’« épidémie », bien que l’argument proposé (un suspect de Sainte-Marie aux Mines appelé Jean Caspart susceptible, en raison de son patronyme (sic), d’être originaire du « nid de sorciers » que serait Carspach, dans le Sundgau) soit spécieux. Pour en comprendre le contexte véritable, il n’est pas inutile de relire la préface de Lucien Febvre à BAVOUX, F. (1956). Hantises et diableries dans la terre abbatiale de Luxeuil, Monaco, Rocher Besançon.
  • [53]
    DIEDLER, op. cit., p. 46.
  • [54]
    Agé de huit ans, le petit Augustin Güntzer fait l’objet d’une tentative d’homicide de la part d’un ennemi de son père, potier d’étain passé à la Réforme. Cf. Augustin Güntzer. Kleines Biechlin von meinem ganzen Leben. Die Autobiographie eines Elsässer Kannengiessers aus dem 17. Jahrhundert, éd. par Fabian BRÄNDLE et Dominik SIEBER, Cologne, Weimar, Wien, Böhlau, 2002, pp. 92-93.
  • [55]
    Cf. LIENHARD, M. (1981). « La Réforme à Strasbourg. Les événements et les hommes », in : Livet, G. et Rapp, F. (dir.). Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, tome II. Strasbourg, Dernières Nouvelles de Strasbourg, pp. 363-540 (p. 519).
  • [56]
    « Chronique de Sebald Buheler » éd. par Rodolphe REUSS, Revue d’Alsace, 1872, p. 130. En 1572, le prêche rassemblait 181 personnes.
  • [57]
    Politische Correspondenz der Stadt Strassburg, t 5, Heidelberg, 1928.
  • [58]
    Cf. TUETEY, A. (1883). Les Allemands en France et l’invasion du Comté de Montbéliard par les Lorrains 1587-1588, Paris, H. Champion.
  • [59]
    AM Strasbourg MR 5, fol 37 : considérant la présence de « vil frembdes volcks, teutsch und welsch allerlei nationen, die nicht burger seindt », le conseil des XXI interdit tout logement en ville « keinem frembden weib oder mans personen, der oder die nit burger und zünfftig seien » ou qui n’ont pas reçu une autorisation en bonne et due forme visée par la chancellerie.
  • [60]
    BISCHOFF, G. (2004). « Argent, honneur et trahison. Les lansquenets allemands au service du roi de France de Charles VIII à Henri II », in : Terre d’Alsace, chemins d’Europe, Mélanges Bernard Vogler, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, pp. 91-120.
  • [61]
    SPIECKER-BECK, op. cit., pp. 120-121. Cf. “Argent, honneur et trahison”, op. cit., p. 115 à propos du cas, très similaire, de Schwendi qui enlève un autre chef de mercenaires français, Vogelsberger, établi à Wissembourg dans une maison qui arbore la fleur de lis française.
  • [62]
    L’exemple du Jura bâlois montre la maigreur du phénomène. SCHÜLE, E., SCHEURER, R. et MARZYS, Z. (2002). Documents linguistiques de la Suisse romande. 1. Documents en langue française antérieurs à la fin du XIVe siècle conservés dans les cantons du Jura et de Berne, Paris, CNRS Editions.
  • [63]
    Cf. BISCHOFF, G. (2002). « La langue de Bourgogne. Esquisse d’une histoire du français et de l’allemand dans les pays de l’entre deux », in : Publication du Centre européen d’études bourguignonnes, n° 42, Bruxelles, pp. 101-118.
  • [64]
    « Sed etiam. Transition, échange ou confrontation linguistiques à Belfort, dans les seigneuries de la Porte de Bourgogne et dans les Vosges » (fin du moyen âge, début des temps modernes), in : Bulletin de la Société belfortaine d’Emulation, t. 88 (1998), pp. 55-62. Cf. aussi HEIDER, op. cit., p. 130.
  • [65]
    Cité par J. Hatt dans Les Colloques françois et allemands, op. cit., p. 2.
  • [66]
    MATTER, J. (1948). « Anthroponymie et immigration. La traduction des noms de famille français dans la vallée de Munster aux XVIe et XVIIe s. », in : Revue d’Alsace, pp. 24-30.
  • [67]
    HEIDER, op. cit., pp. 151-154, carte.
  • [68]
    Cf. la thèse de SIMON, M. (2003). Brûler sa voisine. Les affaires de sorcellerie dans le val de Lièpvre (XVIe-XVIIe siècles), Strasbourg, Université Marc Bloch, qui fournit un certain nombre d’éléments, mais ne les exploite pas dans cette optique socio-culturelle.
  • [69]
    Kleines Biechlin, op. cit., p. 194.
  • [70]
    AD Bas-Rhin, G. 1287. A titre d’échantillon : « Item kommet einer uß Welschlandt gynnsit uber den hack, den empfohlet der von Andlo amptman ». Ces dépendants ne sont pas des serfs au sens classique. Ils sont soumis à la juridiction de leurs (nouveaux) seigneurs et relèvent donc d’une autorité privée. Concrètement, cela signifie qu’ils ont des obligations spécifiques, peuvent éventuellement contribuer à des frais ou à des opérations de guerre engagés par leur maître. Pour ce dernier, ils sont assurément des leibeigene, des dépendants de corps.
  • [71]
    L’expression est utilisée sur une carte linguistique omniprésente. Elle est d’autant plus absurde qu’il n’y a pas « traditionnellement » (mais ce concept ne signifie pas grand chose) d’îlots de peuplement roman en Alsace germanophone. Une approche stratigraphique permettrait de distinguer des phases susceptibles d’être datées, des moments de chevauchement linguistique et, probablement, des peuplements « lenticulaires » d’une ou plusieurs générations, mineurs allemands de la First (La Croix aux Mines, dans le premier quart du XVIe siècle, Giromagny), quartiers français après la conquête (les garnisons, les villes neuves, comme Saint-Louis-du-Rhin/Ville de Paille ou Neuf-Brisach, etc.)

1Avant les traités de Westphalie, l’Alsace est une région allemande. Elle est même, par excellence, la plus allemande de régions d’Allemagne : elle en est un des creusets culturels et se targue d’en être le rempart face à la France.

2Depuis la Guerre de Cent ans, en effet, sa position géographique l’expose aux débordements guerriers venus de l’ouest, dans un climat où la proximité se joue en termes de promiscuité.

3De fait, l’Alsace se trouve sur l’Equateur de l’Europe, sur le versant allemand de la frontière des langues : les passages transrhénans de Bâle, Brisach et Strasbourg en font un itinéraire obligé vers l’est, tandis que le fleuve lui ouvre de larges perspectives au nord comme au sud. Sa richesse est un topos argumenté par une infinité d’exemples : elle est un monde plein, un jardin de villes irrigué par la circulation des hommes.

4En 1544, le géographe Sébastien Münster exalte une prospérité sans pareille, ajoutant qu’« il n’y a gueres de gentz natifz du pays qui y habitent, mais la plus grand parties sont estrangiers, à sçavoir Souabes, Bavariens, Savoisiens, Bourguignons et Lorrains : lesquelz quand ilz ont une fois gousté que c’est du pays, ilz n’en veulent iamais sortir, et sur touz aultres les Souabes ayment bien a y faire leur nids. Quiconque y vouldra venir, il sera receu, de quelque part qu’il soit, et principalement ceulx qui s’appliquent à cultiver la terre » [1].

5On remarquera que la formule n’évoque que les étrangers au sens géographique du mot. Elle ne prend pas en compte les groupes autochtones que leur statut juridique, culturel ou religieux identifie comme différents de la population majoritaire : ainsi, rien sur les juifs – dont Münster est loin de méconnaître la place puisqu’il est lui-même hébraïsant, et rien sur d’éventuelles enclaves allogènes – en l’occurrence, le peuplement welsche des arrière vallées des Vosges ou de la Porte de Belfort.

6Cette invocation du fait migratoire peut alimenter une réflexion d’historien sur d’éventuelles minorités francophones en Alsace, plus précisément en faisant apparaître trois types de groupes :

  • les Alsaciens de langue romane, vivant dans des seigneuries soumises à des autorités allemandes (vallées de la Bruche, de Sainte-Marie-aux-Mines, la haute vallée de la Weiss, la périphérie du Sundgau).
    Question subsidiaire : sont-ils perçus comme Alsaciens ? Comment fonctionne l’interface produite par le voisinage (à la fois à l’égard des Lorrains et des Comtois ou des Jurassiens, qui peuvent, en outre, appartenir à d’autres groupes confessionnels) ?
  • les groupes constitués, projetés dans un environnement germanophone, plus spécialement urbain : il peut s’agir de réfugiés politiques ou religieux. On parlera de communautés, pouvant être dotées d’institutions représentatives ou fédératrices. Etrangers expatriés, en transit ou pas (et donc, pour ces derniers, confrontés au problème de l’intégration).
    Question subsidiaire : quelle présence dans la durée ?
  • une immigration diffuse, de nature économique, peut-être, qui peut être mesurée au pluriel comme une addition d’individus isolés, formant, de ce fait, un conglomérat perçu comme un groupe homogène. Intrus, concurrents ?
    Question subsidiaire : existe-t-il un équivalent dans les pays majoritairement welsches ?
    Le dossier doit être ouvert plus largement, en considérant les mêmes phénomènes, s’ils existent, de l’autre côté de la ligne de partage des langues : on pensera aux techniciens allemands – mineurs et verriers, par exemple, présents en Lorraine ou au-delà –, aux étudiants (nombreux à Paris ou à Orléans), et, surtout, aux soldats, reîtres et lansquenets des guerres de la Renaissance.
Enfin, l’enquête ne vaut que ce que valent nos sources : listes d’habitants, archives judiciaires, correspondances politiques, etc. S’il existe une minorité welsche considérée comme telle a priori – elle n’apparaît guère ès qualités – bien qu’on puisse se poser la question [2]. Les termes employés, qui se réfèrent vraisemblablement aux Volques de l’antiquité gallo-romaine, s’appliquent indifféremment à tous les « latins », français, espagnols ou italiens [3]. Au demeurant, il existe un risque de discrimination pédagogique, l’exception pouvant être prise pour un (bel) exemple.

Une présence multiforme

Festons

7La limite linguistique des Vosges (ou, plus modestement, du nord du Jura) ne correspond pas à celle des bassins fluviaux : plusieurs vallées du versant alsacien présentent un faciès roman qui s’explique par une colonisation précoce suscitée, sans doute en grande partie, par les abbayes de l’ouest (et non par un mécanisme de refuge lié aux grandes migrations germaniques). La porte de Bourgogne forme une échancrure correspondant à l’actuel Territoire de Belfort, acquis par la Maison d’Autriche au XIVe siècle et resté dans la mouvance politique et institutionnelle de l’Alsace jusqu’en 1871, tandis que l’actuel canton suisse du Jura, francophone, forme une entité avec son voisin de Basel-Land, lui aussi soumis au pouvoir de l’évêque de Bâle. Du début du XVe siècle à la Révolution, ce dernier (qui s’est fixé à Porrentruy), reste exclusivement un prince allemand, à l’instar d’autres grands seigneurs de la région, – autour de Belfort et même de Montbéliard –, ou dans les Vosges centrales. En 1644, Montbéliard figure expressément – avec Belfort –, dans la Topographia Alsatiae de Mathieu Mérian ; la ville du Lion est incontestablement située « en Assais », donc en Alsace [4]. Au nord, le Ban de la Roche, est, lui aussi, agrégé à l’Allemagne et soumis à un maître germanophone, sire de Ratsamhausen puis comte de Deux-Ponts-Veldentz [5].

8Le panachage territorial peut être saisi sous l’angle quantitatif : ainsi, les seigneuries welsches de la Maison d’Autriche fournissent des contingents militaires estimés à 12 à 15 p. 100 de l’effectif total – une proportion qui semble toujours valable au début du XIXe siècle [6] ; pour les Ribeaupierre/Rappoltstein, maîtres du Val d’Orbey et de Sainte-Marie aux Mines, la proportion est sans doute plus forte.

9Si ces éléments statistiques doivent être manipulés avec précaution, il en est de même, a fortiori, en ce qui concerne les immigrés effectifs signalés dans les livres de bourgeoisie ou dans les registres paroissiaux [7] : Un nombre infime ? Des familles bien identifiées comme lorraines ou savoyardes font partie des notables des villes de la région [8]. Des recherches généalogiques ou anthroponymiques peuvent, éventuellement, confirmer des axes d’échanges. Ainsi, dans les vallées ou sur le piémont vosgien, où l’on retrouve des noms germanisés (Latscha [9], Lorang, Wessang, Robischung, Luthringer, Walch, Kirin, Kolin) ou, carrément, des traductions intégrales [10].

Exils

10L’implosion religieuse qui s’annonce dès le début des années 1520 dans les régions limitrophes de l’Allemagne (en Lorraine, à Montbéliard ou sur le plateau suisse), et qui donne lieu à plusieurs grandes vagues de réfugiés venus d’outre Vosges affecte durablement l’Alsace. Strasbourg et Bâle, précocement passées à la Réforme, se trouvent aux avant-postes de celle-ci jusqu’à la Guerre de Trente ans, voire au-delà.

11« C’est là que le Talmud de la nouvelle hérésie (i-e l’Institution chrétienne) fut battu et forgé », explique Florimont de Raemond dans son Histoire de la Naissance, Progrez et Décadence de l’Hérésie de ce siècle parue à Rouen en 1605. De fait, devenue le « réceptacle des bannis de France », Strasbourg « qu’ils appelaient la nouvelle Jérusalem…se glorifie d’estre voisine de la France » [11]. Comme on le sait, la ville a hébergé Calvin en 1538 et s’est dotée d’une paroisse protestante de langue française. Lors de la première guerre civile française (1562-1563), on y compte 148 chefs de famille réfugiés, pour un effectif total de 751 personnes dont 265 enfants et 73 domestiques (ainsi que 20 apprentis). Trente trois familles arrivées à cette date sont originaires de Champagne [12].Une enquête à travers les archives ou les bibliothèques permet d’évaluer l’impact de la Saint-Barthélemy en Alsace et dans les régions voisines. Le résumé de l’historien Piguerre en fournit la substance : « Somme que l’estonement fut si général par toute la France, que la crainte s’en espandit au de là les lisières du Royaume, notamment à Strasbourg pour le doute qu’eurent les habitans des François qui à petites bandes se retiroient en Allemagne pour la seureté de leur vie » [13]. La qualité des fuyards – les fils de Coligny sont signalés à Strasbourg et à Bâle – n’échappe pas aux commentateurs. A la fin de l’automne 1572, c’est sans doute par centaines que se pressent les huguenots dans les auberges ou dans les maisons amies. En 1575, dans un climat comparable, les archives signalent le passage de 13 398 Welsches avec des pointes quotidiennes de 150 étrangers dans les hostelleries. La reprise de la guerre civile produit des vagues plus ou moins grosses. Ainsi, Henri de Bourbon, prince de Condé demande-t-il à Strasbourg d’accueillir le pasteur Virel « contrainct de se retirer de France après cet horrible et espouvantable massacre » et arrivé avec les siens le 24 mai 1574 [14]. Certains de ces réfugiés poursuivent leur route plus à l’est. D’autres font souche au bord du Rhin, ou y meurent exilés. Le 10 mars 1582, par exemple, le Blésois Louis Dumoulin de Rochefort meurt à Bâle à l’âge de soixante sept ans ; peut-être avait-il côtoyé son coreligionnaire lorrain Frédéric de Jaulney, décédé trois ans plus tard, en compagnie de sa femme Marguerite de Rivière ? La pierre tombale qualifiant ces époux d’exilii Christiani en gardait la mémoire bien longtemps après [15].

12Des « églises d’étrangers » fonctionnent (sous des modalités variables) dans plusieurs localités d’accueil. Elles bénéficient de la sympathie d’autorités ouvertes aux idées nouvelles. Ainsi, dans la vallée de la Liepvrette, Eguenolphe de Ribeaupierre, qui tolère une minorité luthérienne de mineurs allemands, organise une communauté réformée d’origine française, avec un desservant venu du Hainaut, en 1553, puis des ministres calvinistes, établis à l’église d’Echery, dans un climat de tensions doctrinales assez rude [16].

13La thématique du refuge est reprise dans une littérature de propagande dont l’un des best sellers est le Réveille Matin des François et de leurs voisins, un pamphlet daté d’Eleutheroville en novembre 1573 et paru sous le pseudonyme d’Eusèbe Philadelphe Cosmopolite – un lieu et un nom qui suffisent à donner la mesure du message de liberté et de fraternité proposé au lecteur [17]. L’appellation Eleutheroville désigne aussi bien Bâle que Strasbourg. Notre Cosmopolite fustige ses ennemis en les qualifiants de « Schelmes », de l’allemand Schelmen, ou scélérats.

Saupoudrage

14Le troisième type de Welsches rencontré en Alsace est un Welsche générique, sans appartenance confessionnelle ou politique. C’est un migrant économique, par qualification professionnelle ou, au contraire, par désœuvrement. Il est présent dans les campagnes aussi bien que dans les villes [18].

15Les maçons en sont l’une des composantes les plus visibles. Entre 1515 et 1522, les travaux de construction du château de Sainte-Croix en Plaine sont confiés, pendant la belle saison, à une équipe de spécialistes venue du Val Sesia, au sud de Mont Rose, sur le versant lombard du Valais : le maître d’œuvre, qui réside à Fribourg en Uechtland, anime encore d’autres chantiers, à Soleure ou dans le Jura alsacien [19]. C’est de ce même espace que viennent les petits ramoneurs, mentionnés dans les Cris de Paris du XVIe siècle, mais aussi en Allemagne, comme le rapporte l’édition haguenovienne d’un recueil de proverbes parue en 1529. Pour le lecteur de cet ouvrage, il était clair, en effet, que des membres d’une « nation welsche » venus de Lombardie (au sens large, c’est à dire des Alpes du nord) s’adonnaient à cette activité en se déplaçant d’un point à un autre, comme de véritables Zigeuner[20].

16A ces individus nomades par destination s’ajoutent d’autres voyageurs, marchands [21], bouviers et voituriers, étudiants ou pèlerins sans doute aussi furtifs [22] : on ne saurait donc les considérer comme une minorité stable. Ils sont cependant nombreux : sur 2750 personnes présentes dans les auberges strasbourgeoises le 3 juillet 1580, pendant la foire d’été, on compte 846 Welsches [23]. A Thann, d’après Christine Heider, ces « Welschen Kremer » ont quasiment le monopole du commerce dans les deux sens [24].

17Le problème est différent quand on s’intéresse au monde des journaliers, des domestiques et des salariés que les sources évoquent d’une manière incidente mais avec une certaine densité dans les campagnes comme dans les villes. Ces knechte occupent une place située à la lisière des activités encadrées par les corporations : ils servent de manutentionnaires, de moissonneurs ou de vendangeurs. Ils appartiennent parfois à la valetaille des nobles ou des bourgeois [25]. Mais ils peuvent aussi exercer des fonctions plus valorisantes : ainsi Veltin Runtschan (dans lequel on reconnaît Ronchamp), burgvogt du Hugstein en 1546, tient lieu tout à la fois de concierge et de châtelain pour le compte de l’abbé de Murbach et de Lure.

18Pour autant qu’on puisse le dire, ces « mercenaires » ne constituent pas des groupes bien distincts. Ils n’ont pas de quartiers ou de rues, pas d’organisation qui leur soit propre. A cet égard, ils sont bien différents des communautés de verriers ou de mineurs allemands établis dans les secteurs romans des Vosges – ou parfois bien plus loin. Dans le Val de Lièpvre ou dans le Rosemont, par exemple, les Allemands sont en passe de se substituer à la population native : On créé des églises destinées à les accueillir et on les administre dans leur langue maternelle [26]. A Giromagny, il existe un village neuf avec une église dont le curé ne sait pas le français et, en 1564 une « bruderschaft » destinée aux travailleurs de la mine. En 1586, le district minier emploie entre 600 et 650 ouvriers, mais à peine une trentaine d’autochtones romans. Dans les établissements verriers, les mêmes phénomènes apparaissent à une échelle plus réduite [27]. Enfin, il n’est pas inutile d’évoquer les passages de soldats projetés loin de leur pays d’origine : les lansquenets allemands au service du roi de France peuvent demeurer dans la même garnison pendant plusieurs mois (s’ils sont effectivement payés pour cela) et, par conséquent, former une minorité occupante.

Crispations

19Perçus comme une communauté, réelle ou virtuelle (en fonction de sa densité effective), les Welsches présents en Alsace sont exposés au regard – souvent hostile – de leurs voisins allemands. Ils ont, globalement, une réputation détestable (mais on pourrait peut être dire la même chose des Suisses, considérés comme sodomites ou adonnés à la bestialité ou des Souabes, pouilleux et chapardeurs). Etrangers à la discipline germanique – autre poncif –, ces latins sont livrés à la tyrannie du sexe. Le général Schwendi, qui les connaît bien, n’a aucune sympathie pour « les lubricques et frauduleux François avec lesquels jamais estat ou prince est abordé à bon port » [28]. La syphilis est leur attribut naturel : Avoir la vérole se dit « die Frantzosen haben » ou « mit französischer Müntz umbgehen » [29]. Cette désignation est connue depuis un texte de Murner, en 1519 ; elle s’applique à un quartier de Strasbourg depuis le XVIe siècle.

Violence et passions ?

20Une première approche de la situation minoritaire ou marginale des Welsches d’Alsace peut se faire à travers une étude des faits divers. A Thann, une dispute entre voisins se clôt sur l’insulte « du loser walsch ! » [30]. Existe-t-il une délinquance spécifique ? Par eux ou contre eux ? On serait tenté de répondre par l’affirmative du fait même de la visibilité de ces événements. L’assassinat d’un « welschen taglonner » appelé Hans à Issenheim en 1551, par deux autres valets, un meunier et son frère [31], la mention d’un tisserand « einen genant Vienot oder Veit Mermet » dans les geôles de Mulhouse cinq ans plus tard [32], deux Vosgiens prisonniers à Mulhouse en 1513 relâchés sous caution [33], un infanticide perpétré par un marchand d’Epinal à l’auberge du bouc de Sélestat en 1520 [34], une « sale affaire » – « böse Handlung » – qui vaut au « welschen murer » Simon Schuoler de Baccarat la réprimande du bailli de Dachstein [35], etc. s’inscrivent dans une anthologie policière à mi-chemin du pittoresque du sordide. Peut-on en tirer des conclusions solides ? Les marginaux, vagabonds, repris de justice, lansquenets désoeuvrés qui s’expriment dans une sorte d’argot appelé « rotwelsch » [36] sont des déracinés, certes, mais, mais ce sont des indigènes germanophones. A l’échelle du Rhin supérieur, rien ne permet pas d’affirmer que les Welsches d’origine romane sont plus actifs que les autres ; on pourrait même proposer l’hypothèse inverse en ce qui concerne la grande criminalité, les homicides et les incendies [37]. A l’échelle de l’Alsace, où l’enquête reste à faire avec toutes les précautions nécessaires, on peut cependant risquer l’hypothèse d’une surévaluation des délits commis par cette population allogène.

21Le registre des mises au ban et des peines infligées pour des délits qui ne nécessitent pas l’intervention du bourreau (« register verwisener oder in pflicht genomener personen ») réalisé à Colmar pour les années 1544-1597 permet une première évaluation de la chose [38] :

tableau im1
origine des délinquants nombre % femmes % des femmes/total Colmar 659 70,18 152 23,0 Alsace 89 9,47 25 28,0 Espace roman 96 10,22 8 8,3 Espace germanique 95 10,11 18 19,5 Total 939 100 207

22Comme on le voit, les étrangers à la ville représentent un peu moins du tiers des délinquants, et se répartissent en trois ensembles de la même taille. Les Welsches ont une petite longueur d’avance et sont presque uniquement des hommes, en principe célibataires – une des affaires se rapporte à la veuve de Claus Jacob, expulsée pour avoir épousé un Welsche. Au demeurant, l’identification de ces derniers est difficile, puisque 16 d’entre eux sont simplement désignés sous le nom de « der welsch ». Le patronyme est généralement remplacé par une mention éponyme sans doute assez vague, mais on peut admettre que le voleur Hans von Schampanien est effectivement champenois. Par ailleurs, des immigrés peuvent être compris dans la population native, sans qu’on puisse le savoir à coup sûr. Si le domestique prénommé Pirri s’appelle sans doute Perrin, ce n’est pas une raison suffisante pour l’annexer au groupe ; en revanche, le voleur Martin Graff, originaire de Paris (plutôt Pairis, non loin d’Orbey, que l’ancienne Lutèce) peut être retenu sans scrupules excessifs, suivant la règle de germanisation des noms français.

23L’analyse des affaires jugées pendant ce demi-siècle colmarien peut être nettement affinée ; on se contentera de rappeler que la ville n’accueille, officiellement, aucun immigré welsche au sein de ses corporations [39]. Ces « étrangers », un peu furtifs, constituent une minorité virtuelle.

tableau im2
En valeur absolue origine des délinquants affaires de moeurs vols et violences autres cas Total Colmar 129 158 372 659 Alsace 15 24 50 89 Espace roman 9 38 49 96 Espace germanique 21 37 37 95 Total 174 257 508 939 En % du total 18,53 2736 54,10 En valeur relative origine des délinquants affaires de moeurs vols et violences autres cas Total Colmar 74,13 61,47 73,22 659 Alsace 8,62 9,33 9,84 89 Espace roman 5,17 14,78 9,64 96 Espace germanique 12,06 14,39 7,28 95 Total 174 257 508 939 En % du total 18,53 2736 54,10

24Les tableaux que nous avons réalisés n’ont qu’une valeur indicative. Leur principal intérêt est de faire apparaître quelques traits spécifiques, comme la faiblesse relative des affaires de mœurs et, corrélativement, l’importance du point « divers », qui renvoie à des comportements de demi-soldes et de passants, jeux de carte dans les auberges, embauche dans les armées du roi de France, etc.

25Plutôt que d’interroger la chronique criminelle et d’être exposé aux déformations optiques inhérentes à ce type de sources, ne vaut-il pas mieux porter les yeux sur des moments ou sur des lieux qui se prêtent à d’éventuelles confrontations entre les groupes ? Les fêtes, par exemple, les foires et les marchés, les auberges et les places publiques ? En 1518, à Oberhergheim, on mentionne une bagarre entre « welsch et tutsch » [40]. C’est un indice. La police des kilbes ? Les compétitions sportives (de tir) ? Les pèlerinages ? En 1533, les mines des environs de Sainte-Marie sont le théâtre d’échauffourées entre Lorrains et « travailleurs immigrés » allemands, mais rien ne permet de dire que ces tensions sont permanentes [41] : elles peuvent être accentuées par des différences de statut, notamment par les privilèges accordés aux mineurs.

26Ces motivations peuvent d’ailleurs se traduire par des actions en justice, comme c’est le cas au sein de la seigneurie de Montjoie/Froberg, dont les dépendants sont disséminés de part et d’autre de la frontière linguistique : en 1558-59, les habitants de Bruebach et Heimersdorf intentent un procès contre les sujets francophones de leur seigneur, au motif que la contribution fiscale des uns et des autres n’est pas la même [42].

Concurrence

27Dans quelle mesure faut-il imputer à des situations culturelles ou sociales ce qui relève de la concurrence économique ? On en voudra pour preuve le règlement d’un différend opposant les marchands de Belfort et la corporation régionale des chaudronniers des pays antérieurs de l’Autriche au début du XVIe siècle : l’affaire prend des proportions telles qu’il faut attendre un jugement de l’empereur Maximilien Ier en faveur des premiers, en 1515, pour trouver un modus vivendi [43]. Chemin faisant, on apprend que les privilèges des Belfortains sont fondés sur une ancienneté reconnue depuis 1437, et, partant, aussi solides juridiquement que le monopole des chaudronniers. On admet donc une coexistence pacifique des deux groupes de marchands forains, aux foires, aux marchés et lors des kilbes. Il n’est pas impossible cependant que la ligne de démarcation entre les adversaires soit, avant tout, sociale. La « compagnie des merciers » belfortains regroupe des notables, qui vendent toutes sortes de produits en Haute-Alsace, tandis que la Kessler Zunft semble davantage formée de colporteurs un peu marginaux, proposant leur dinanderie de village en village [44].

28Le sentiment d’une concurrence est cependant bien réel. Ainsi, en 1566, les marchands (ou les clients ?) welsches qui fréquentent le marché de Thann sont interdits de séjour parce qu’on leur reproche de faire monter les prix dans une conjoncture difficile [45] : Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les domestiques et les journaliers sont systématiquement accusés d’une surenchère salariale doublée d’exigences sociales inconnues jusqu’alors [46]. « Les domestiques s’enrichissent et deviennent des messieurs, tandis que les bourgeois, forcés d’entamer leur capital, descendent à la condition de valets et de journaliers », déclarent les habitants de la seigneurie du Haut-Landsbourg dans une pétition à leur seigneur, le baron Lazare de Schwendi. La cause ? Un reflux démographique ou les séductions du service à l’étranger ? Pour les autorités locales, l’explication tient à la concurrence d’une main d’œuvre welsche qui pourrit le marché du travail : « mehrers theils durch die welschen korcher (charretiers) und rebknecht ».

Perversions

29L’argument se développe sur le mode de l’invasion : ces Welsches sont perçus comme des prédateurs, qui séduisent les filles du pays et court-circuitent le mode de reproduction sociale endogamique proposé par la tradition. Ce sont donc des intrus. C’est pourquoi, villes et seigneurs établissent des règlements toujours plus contraignants afin de proscrire des unions jugées scandaleuses, et, qui plus est, susceptibles de troubler l’ordre social et politique – le risque collatéral de la chose étant l’obtention du droit de bourgeoisie ou d’un statut de résident. Pour autant qu’on puisse le suivre, le mouvement touche d’abord les villes de la Décapole, y compris Mulhouse, désormais alliée des Suisses [47], puis s’étend aux villes domaniales [48]. Les mesures réglementaires se distinguent par leur sévérité. A Sélestat, le conseil précise « nous avons finalement convenu et ordonné que tout homme, toute jeune fille ou veuve qui se marieraient dorénavant avec une personne welsche seraient privés par nous de son droit de bourgeoisie, et plus spécialement encore, que nous mettrons en demeure l’homme et la femme de quitter la ville » en ajoutant que cette disposition s’applique également aux Welsches porteurs d’un certificat de naissance et disposant d’un « mannrecht » [49].

30A Strasbourg, le règlement de séjour des non-bourgeois est particulièrement vigilant, opérant une discrimination à l’égard des célibataires [50] et, bien entendu, interdisant la présence d’étrangers mendiants. En 1592, les gardes des portes de Sélestat reçoivent des consignes plus strictes en matière de surveillance « des gens welsches » (welsch volk) et des vagabonds (landstricher), qui ne peuvent accéder en ville que par la Porte Basse et de jour uniquement [51].

Danger

31L’évolution qui conduit à surencadrer la société en multipliant les textes réglementaires et répressifs est bien connue des historiens. Elle se traduit notamment par la vague de persécutions des sorcières, des femmes, célibataires ou veuves, exposées par leur mode de vie aux manœuvres du Malin, presque toujours décrit comme un étranger gyrovague, et, parfois, assimilé à l’un de ces Welsches si suspects aux yeux des autorités civiles. On peut risquer l’hypothèse suivant laquelle ce type de fantasmes joue d’autant plus dans les pays de frontières, entre catholiques et protestants, le long des axes de communication. Thann, Munster, Bergheim ou Sainte-Marie aux Mines se situent dans ces zones fragiles au point qu’on a pu suggérer l’hypothèse d’une contagion démoniaque venue du Rhin en Lorraine en passant par les Vosges [52]. Ainsi Claudette Clauchepied, jugée à Bruyères en 1601, qui a été pendant cinq ans au service d’un « seigneur » de Strasbourg, a vécu dans le milieu des bergknechte de Sainte-Marie aux Mines puis de Giromagny, dans ce monde d’entre deux, tandis que Paul Pierrel, fils d’un charbonnier des forges de Grandfontaine, dit avoir été soldat, et se présente davantage comme un vagabond [53].

32La crainte d’une contamination se vérifie d’autant plus dans le domaine de la foi. Higenot, formé sur le français huguenot, lui-même emprunté à l’allemand, est considéré comme une insulte à Obernai, ville demeurée fidèle à la religion romaine [54]. Les calvinistes d’origine française, lorraine ou savoyarde inquiètent leurs protecteurs allemands à un moment où la Confession d’Augsbourg l’emporte presque partout dans les terres protestantes. A Strasbourg même, les autorités prennent prétexte de la première guerre de Religion (1562-1563) pour mettre un terme à l’existence de la paroisse française, déjà suspecte aux yeux des luthériens et de leur chef, Johannes Marbach [55]. En 1577, les réfugiés huguenots se voient interdire les « assemblées particulières et les sermons » qui se tenaient jusqu’alors dans une maison bourgeoise de la Frauengasse [56].

33Les circonstances guerrières qui permettent ces réajustements rappellent qu’en tout état de cause, l’ennemi se trouve à l’ouest, en pays welsche, qu’il s’agisse des Valois en guerre contre les Habsbourg, des alliés des princes protestants d’Allemagne, ou des Ligueurs de la Contre-Réforme épaulés par le duc de Lorraine. Depuis Marignan, les Vosges sont considérées comme le rempart d’une patrie germanique en chantier permanent. Les relations entre les pays rhénans et la France s’exposent en terme de Hassliebe : la chevauchée d’Austrasie de Henri II est vécue comme un traumatisme par les partisans de Charles Quint – qui compare le roi très chrétien et ses alliés à des Turcs sanguinaires. L’image de Welsche peut alors s’infléchir dans le registre de la traîtrise. En octobre 1552, lors de l’établissement d’une ligne de défense, on rappelle que celle-ci se situe « am meisten an gebürg der fürst von Thann herab bis gehn Ingwyler » [57]. Dans le traité de 1580, ce danger d’invasion est allégué avec force : non content de suborner les filles ou les épouses, les immigrés sont, potentiellement, des espions français ou lorrains [58].

34La vigilance est donc à l’ordre du jour – mais, insistons bien, elle n’est pas sélective, et ne prend pas de connotation ethnique. Après l’alerte de 1552, les autorités des grandes villes instaurent un contrôle accru de ce qu’elles considèrent comme des résidents clandestins « sans papiers » [59]. La haine est-elle ou non entretenue par les autorités ? C’est difficile à dire. Dans un premier temps, entre les Guerres de Bourgogne et la défaite de François Ier à Pavie, les humanistes ont exalté l’Allemagne sous une forme réactive, en dénonçant les agressions venues de l’ouest et la complicité active d’une partie de leurs compatriotes, qualifiés de semigalli par Jacob Wimpheling. De là, un discours sur la trahison assimilant à des « Français » les mercenaires allemands entrés au service du roi de France. Nous avons évoqué ailleurs cet aspect d’une question qu’on ne saurait réduire à des situations trop simplistes [60].

35En 1551, le baron Nicolas de Bollwiller, qui est à la fois un des champions de la Contre-réforme et de la guerre contre Henri II, engage un spadassin de Radolfzell pour assassiner le colonel Schertlin de Burtenbach, qui recrute des lansquenets pour le compte du Roi de France et réside alors dans une auberge de Bâle. Pour approcher sa future victime, le truand tente de se faire passer pour un de ces « Français » allemands hostiles à l’empereur. L’affaire échoue, mais n’éclabousse pas son instigateur dont les convictions sont connues. Nicolas de Bollwiller ne revendique pas une identité nationale fondée sur une appartenance ethnique : il est parfaitement bilingue et possède des seigneuries welsches (Florimont/Blumberg) ou vosgiennes (Masevaux, Val de Villé) : ses motivations ressortissent au code d’honneur de la chevalerie [61].

Rencontre et assimilation

36La corrélation entre une présence effective de Welsches et une appartenance politique, confessionnelle ou culturelle est loin d’être évidente. L’étiquette welsche s’applique, indifféremment, à une infinité de situations. Son seul dénominateur est la langue.

Truchements

37De là, un problème de communication facile à comprendre et, paradoxalement, facile à résoudre. Les seigneuries des Vosges ou de la porte de Bourgogne qui ont des habitants romans et des maîtres allemands sont, globalement, monolingues : la langue du seigneur est différente, mais l’administration courante se fait dans la langue vernaculaire, par des agents qui peuvent être bilingues. Les interférences sont assez peu nombreuses, sinon, sous la forme de xénismes – emprunts de termes techniques ou institutionnels [62]. Les pratiques de pouvoir s’accommodent d’un passage facile d’une langue à l’autre avec de nombreux truchements [63]. On peut même penser qu’il existe des lieux voués à une certaine mixité linguistique – des auberges, des villes thermales – les bains de Plombières sont massivement fréquentés par des Allemands –, des pèlerinages – Sewen, Thann, Sainte-Odile. A Saint-Thiébaut de Thann, les francophones ont la possibilité de se confesser dans leur langue maternelle : il existe une prébende de chapelain dont le titulaire, recruté dans le diocèse de Toul, est appelé « sacellanus Gallorum » [64].

38De fait, l’Alsace dispose d’un potentiel de traduction sans doute inconnu dans le reste de l’Europe. Une bonne partie de la noblesse locale maîtrise le français, qui apparaît comme un marqueur culturel fort – c’est particulièrement le cas dans le Sundgau où il existe une chevalerie fascinée par la Bourgogne des grands ducs –, et l’on pourrait en dire autant des lettrés, notamment des juristes, qui sont presque exclusivement formés en France ou en Italie, et des marchands les plus mobiles. A la fin du XVe siècle, le bourgeois belfortain Guillaume Belhoste se transforme en Wilhelm Schönwurth toutes les fois, innombrables, qu’il franchit la frontière linguistique. Enfin, il n’est pas inutile de rappeler le rôle de l’école ou des maîtres de langue : « Celui qui ignore le français devra se taire ou se résigner à passer pour un barbare », écrit le physicien strasbourgeois Hawenreuther dans la préface de l’édition de la grammaire de Jean de Serres publiée en 1603 [65]. L’un des exemples les plus éloquents est fourni par Daniel Martin, un Huguenot de Sedan établi à Strasbourg entre 1616 et sa mort en 1637, auteur prolifique de manuels de conversation destinés à de jeunes Allemands désireux de se rendre en France.

Effusions et fusions

39Reçu bourgeois de sa ville d’adoption en 1622, Martin illustre un phénomène dont il faudrait encore préciser l’ampleur, celui d’une intégration définitive au milieu d’accueil. Dans l’un des guides proposés à ses lecteurs figure un chapitre intitulé « pour courtiser une fille en toute honnesteté et en dessein de l’espouser, ce que les Allemands appellent matrimonialiter Löffeln ». De fait, c’est dans des unions de ce type qu’une sédentarisation et des échanges durables s’avèrent possibles. On observera d’abord ces relations dans les zones frontalières : dans la paroisse luthérienne de Muhlbach, par exemple, 7 % des conjoints recensés entre 1575 et la Guerre de Trente ans sont des sujets lorrains, francophones par surcroît, et, partant, des ennemis du pur évangile convertis à l’occasion de leur mariage [66]. N’est-ce pas le signe d’une certaine capillarité, malgré les proscriptions émanant des autorités ? Au demeurant, soulignons-le, le traité de 1580, évoqué à plusieurs reprises, n’interdit pas les unions avec les Welsches de la mouvance politique allemande, jusqu’au pays de Montbéliard et dans l’évêché de Bâle. Récemment mis au jour par Christine Heider, l’exemple de Thann fait apparaître un « arrière-pays familial » établi à partir d’un registre intitulé « usslendige erben » recensant les héritiers étrangers des défunts thannois entre 1525 et 1623 [67] : les Welsches sont incontestablement plus nombreux que les Souabes. Autre exemple : mettant en scène des dizaines de témoins issus de l’une ou l’autre appartenance, sujets du duc de Lorraine aussi bien que des sires de Ribeaupierre, les procès de sorcellerie de la Vallée de Sainte-Marie-aux-Mines seraient susceptibles de nourrir une véritable enquête de micro histoire sur le tissu social et culturel de ce secteur amphibie : on pourrait notamment y mesurer l’importance des couples mixtes ou des relations de proximité [68]. On peut même imaginer des réseaux plus lointains, fondés sur des accointances familiales ou amicales : en visite à Paris, en 1620, le jeune Augustin Güntzer est reçu chez l’orfèvre Gabriel Raliart, né en exil à Sainte-Marie-aux-Mines et beau-frère d’un de ses cousins [69].

40En matière d’immigration, il existe une jurisprudence, fondée sur la coutume et codifiée au début des temps modernes : ainsi, dans le village de Blienschwiller, où l’usage veut que tout nouvel habitant soit placé dans la dépendance d’une des autorités seigneuriales du lieu. Un immigré issu d’un territoire épiscopal reste dépendant de l’évêque, un arrivant originaire d’outre Rhin sans avoir été réclamé par un autre seigneur du ban le devient ipso facto, en quelque sorte par défaut. Un « Welsche » venu de l’autre côté de la crête est attribué automatiquement aux sires d’Andlau tandis qu’un sujet de l’Autriche se retrouve dans le lot des Gemeiner d’Ortenburg parce qu’ils relèvent théoriquement des Habsbourg [70]. Les Souabes, les Franconiens et les gens des « pays bas » disposent d’un libre choix. Le même système existe dans le secteur hybride de la vallée de la Fecht.

41Les crispations dont nous avons fait état sont annulées par quelques réussites. Ainsi, l’une des plus fameuses demeure de la Renaissance alsacienne, la maison Pfister de Colmar, a été construite, dès 1537, par un chapelier nommé Ludwig Scherer originaire de Bisanz, autrement dit Louis Barbier de Besançon ; elle a été réaménagée par le marchand savoyard Claude Sison qui l’a acquise en 1596, à un moment où la ville abritait plusieurs négociants de la même origine groupés dans la puissante compagnie Wybert, Miville et Sarrasin. On argumentera encore cette thèse à partir d’autres exemples fameux, comme celui du grand libraire strasbourgeois Bernard Jobin, beau-frère de Johannes Fischart, celui de la famille mulhousienne des Thierry, proscrite de Lorraine pour fait de protestantisme, à l’instar d’un Demange (ou Dominique) Didier, de Saint-Nicolas de Port, devenu Sontag Dietrich à son arrivée à Strasbourg : il est la souche de la dynastie industrielle des De Dietrich.

42Au terme de cette esquisse, on peut s’interroger sur la singularité de ces Welsches d’Alsace, étrangers proches ou indigènes différents. S’ils apparaissent comme une minorité au sens générique du terme, et identifiés comme tels, ils constituent un groupe plutôt diffus et, à de rares et fugaces exceptions, ne forment pas de communautés au-delà de la frontière linguistique qui joue ici un rôle discriminant. On ne saurait parler d’enclaves welsches en Alsace [71].

43Cependant, leur visibilité est forte : ils sont, par excellence, un corps étranger dans une région germanique exposée à l’arrivée, pacifique ou guerrière, de leurs semblables. A terme, avec le passage de l’Alsace sous la domination de Louis XIV, on peut dire qu’ils préparent le terrain, ou, en tout cas, que leur familiarité contribue à l’évolution politique engagée.

44Mais l’enquête n’en est qu’à ses débuts. Elle peut bénéficier de l’engouement des généalogistes en même temps que des nouvelles perspectives de l’histoire sociale ou culturelle. Ces défrichements n’ont d’intérêt qu’à partir du moment où des comparaisons sont possibles, aussi bien dans l’espace – le plateau lorrain, le Luxembourg, la Suisse occidentale – que dans le temps – après 1648, ou, en amont, avant 1450, si les sources le permettent.

Pièce justificative : Le traité de Guemar (1er mai 1580). Archives départementales du Haut-Rhin, E 49

Note : ces dispositions font suite à un règlement adopté par les seigneuries de Riquewihr-Horbourg, de Ribeaupierre, de Haut-Landsbourg et de Hattstatt et par les villes impériales de Colmar, Kaysersberg et Turckheim pour fixer les salaires, les obligations et les droits des domestiques et des journaliers.
Attendu que l’augmentation des salaires des domestiques et que les détestables comportements d’indiscipline et d’arrogance qui en découlent sont imputables en grande partie aux charretiers et aux ouvriers viticoles welsches qui sont de plus en plus nombreux… et que ceux-ci séduisent de plus en plus les filles de bourgeois ou les veuves de la région, qu’ils les épousent sans le consentement de leurs parents ou de leurs alliés, ce qui a pour effet qu’un fils de bourgeois honorable ne trouve plus de fille à marier ;
attendu que ces Welsches prolifèrent à tel point que les bourgeois ou les fils de bourgeois doivent quitter les villes et les bourgs pour leur céder la place ou doivent les supporter difficilement à leurs côtés,
il a été décidé qu’à l’avenir aucune autorité n’accordera le droit de bourgeoisie à un Welsche (compte tenu du danger militaire, des risques d’invasion des Français ou de passages de troupes). Il sera désormais interdit, sous peine des sanctions les plus sévères, à une veuve ou à une fille de bourgeois d’épouser quelque Welsche que ce soit, particulièrement les Français, les Savoyards et les Lorrains qui viennent s’établir chez nous pour y prendre du service. Les autorités locales procéderont à l’expulsion de ces impudents bourgeois originaires de France ou d’ailleurs et ne toléreront plus leur présence.
Quant aux Welsches qui sont nés à Montbéliard, autour de Porrentruy ainsi que dans le Val d’Orbey et de ce côté-ci de la Crête (hieseit der Fürst gebürtig) et qui veulent prendre du service dans notre région, ils devront prêter serment et s’engager personnellement auprès de chaque autorité. Ils devront immédiatement signaler (conformément à leur serment) tout ce qui serait de nature à porter préjudice à l’autorité, aux villes et aux bourgs et à l’ensemble du pays et ne devront fréquenter aucun Welsche inconnu et étranger.
trad. adaptée de l’original allemand.

Notes

  • [1]
    MÜNSTER, Sébastien Cosmographie universelle, trad. française, Bâle, 1552. Ce genre de citation invoquée plus souvent qu’à son tour n’a qu’une valeur qualitative. En 1529, le polygraphe Symphorien Champier dit à peu près la même chose à propos de Lyon où il n’y a qu’« estrangiers, comme bourguygnons, savoysiens, piemontoys, bressiens, allemans et de nation estrange » (cité par GONTHIER, N. (1993). Délinquance, justice et société dans le Lyonnais médiéval, Paris, Arguments, p. 12.).
  • [2]
    L’index des séries anciennes des Archives départementales du Bas-Rhin contient une entrée « Immigration franc-comtoise » qui se rapporte à Saint-Nabor en 1557. L’inventaire manuscrit réalisé par Louis Spach avant 1870 signale effectivement, sous la cote G 149/8, un accord relatif à des tenanciers originaires de Haute-Bourgogne établis du côté d’Ottrott : la lecture de l’original montre qu’il s’agit d’un contresens sur Hohenburgischen Underthanen, « sujets de Hohenbourg » (i-e l’abbaye du mont Sainte-Odile), interprété en Hohenburgundischen Underthanen.
  • [3]
    Cf. GRIMM (1922). Deutsches Wörterbuch, t. XIII, Leipzig, art. Wälsch, col. 1327-1354 cite le Tristan de Gotfried de Strasbourg comme première occurrence de l’adjectif. Le mot est utilisé à partir de 1338 dans les sources alsaciennes pour désigner les sujets romans des sires de Ribeaupierre. On le retrouve dans des termes techniques Welschkorn (ou « blé d’Espagne », « ou Welschbohne », voire dans des patronymes (Walch, Wahl, Bloch, peut être, par métathèse).
  • [4]
    AD Territoire de Belfort, 1 H C, dans la formule du serment des merciers (= marchands) de Belfort.
  • [5]
    Cf. LEYPOLD, D. (1989). Le Ban de la Roche au temps des seigneurs de Rathsamhausen et de Veldentz (1489-1630), Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, qui fait apparaître une frontière linguistique mouvante.
  • [6]
    Ces indications sont fournies par les matricules de répartition des charges militaires des villes et des bailliages du Sundgau. KINTZ, J.P. (1994). Paroisses et communes de France. Haut-Rhin. Territoire de Belfort, Paris, CNRS. En 1801, le Haut-Rhin actuel compte : 272 334 habitants (p. 91), et le Territoire (p. 537) 31 439 âmes.
  • [7]
    KINTZ, J.P. (1984). La société strasbourgeoise (1560-1650), Paris [Strasbourg], Éditions Ophrys / Association des publications près les universités de Strasbourg, p. 113 considère que « les Vosges formaient une barrière à l’ouest ». Son analyse des admissions à la bourgeoisie entre 1543 et 1568 ne signale que deux Bourguignons ou Francs Comtois sur un demi millier de nouveaux bourgeois d’origine « étrangère », c’est-à-dire extérieurs à l’Alsace. Les catégories retenues invitent à une certaine vigilance puisque cet auteur mentionne la Suisse et le Liechtenstein, qui fournissent 24 personnes, sans qu’on puisse en connaître la provenance exacte (les Savoyards peuvent avoir été regroupés sous cette étiquette), 182 Wurtembergeois, sans qu’on puisse dire s’il s’agit des sujets ducaux – Montbéliardais ? – ou des Souabes.
  • [8]
    RAYNAUD, F. (2001). Savoyische Einwanderungen in Deutschland (15. bis 19. Jahrhundert), Neustadt an der Aisch, Degener.
  • [9]
    DIERSTEIN, H. (2004). « Les origines de Mittlach, du Tyrol et d’ailleurs », in : Annuaire de la Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster, p ; 119-133, ici p. 120, n. 5, citant un contrat de bail à propos de la ferme de Zufluss (parfois francisée en Soufflouse, dans le vallon du Rothenbach, entre Munster et La Bresse), tenue en 1611 par les frères Heinrich et Peter Latscha, originaire du bailliage de Delémont. La forme initiale de ce patronyme est Lâchât, que l’on rencontre souvent dans les régions franco-provençales, cha ou chaux signifiant « pâturage de montagne ».
  • [10]
    D’énormes quantités d’informations ont été recueillies sur ce point par les généalogistes du Centre d’Histoire des Familles établi à Guebwiller (Haut-Rhin), en utilisant aussi bien les registres paroissiaux que les archives notariales (particulièrement pour la Vallée de la Thur, très perméable à l’immigration lorraine).
  • [11]
    Cf. ZUBER, R. (1977). « Strasbourg, refuge des Champenois », in : Strasbourg au cœur religieux, Strasbourg, Istra, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, pp. 309-319.
  • [12]
    Cf. WOLFF, C. (1956). « Une liste de huguenots réfugiés à Strasbourg », in : BSHPF, 1956, pp. 167-171. Cf. ZUBER, op. cit. (pour la plupart, ces réfugiés demeurent à Strasbourg jusqu’en avril 1563) et WOLFF, C. (1977). « Strasbourg cité du refuge », ibid, pp. 320-330.
  • [13]
    PIGUERRE (1581). L’Histoire de France, Paris, II, livre 31, fol. 88.
  • [14]
    FUCHS, F.J. et VOGLER, B. (1978). « Strasbourg, réceptacle des bannis », in : Grandes figures de l’Humanisme alsacien. Courants, milieux, destins, Strasbourg, Istra, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, pp. 307-312.
  • [15]
    TONJOLA, J. (1665). Basilea sepulta, Bâle, pp. 131 et 135.
  • [16]
    Cf. JORDAN, B. (1991). La noblesse d’Alsace entre la gloire et la vertu : les Sires de Ribeaupierre 1451-1585, Strasbourg, Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, pp. 222-223 ; DENIS, P. (1984). Les Églises d’étrangers en pays rhénans : 1538-1564, Paris, Les Belles lettres, Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Liège.
  • [17]
    Ce texte a été attribué au médecin Nicolas Barnaud. Le lieu d’édition de l’exemplaire de 1574 conservé à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg sous la cote R 102 811 est Edimbourg, mais il s’agit vraisemblablement d’un camouflage pour Bâle ou Strasbourg.
  • [18]
    VOGT, J. (1992). « Aspects sociaux de l’immigration des Lorrains dans les territoires de l’évêché de Strasbourg au troisième quart du XVIe siècle », in : Dialogues transvosgiens, n°8, pp. 55-57. Cet historien des campagnes est particulièrement attentif au sujet pour lequel il propose une approche très concrète, à partir d’une excellente maîtrise des sources.
  • [19]
    SPIELMANN, E. (2001). « Die Wassersorgung auf der Landskron », in : Châteaux forts d’Alsace, 3, pp.65-71, n. 16.
  • [20]
    La mention de ces émigrés « die die schornsteine fegen und caminen » se trouve dans le recueil de proverbes publié par AGRICOLA, J. (1529). Drey hundert gemeyner schprichworter, Haguenau, n° 447.
  • [21]
    Par exemple, le marchand bourguignon Jehan Goillot, mort de maladie dans une auberge de Colmar en 1553 (AM C, JJ AP 21).
  • [22]
    AM Strasbourg, Conseil des XXI, Index de l’année 1575, fol. 679 : sur 9 orphelins étrangers recueillis en novembre, trois viennent probablement d’outre Vosges, l’un du Westrich, l’autre de Bruxelles (?), le dernier, prénommé Sontag (= Demange, Dominique), sans parents connus et âgé de quatre ans, est originaire de Rambeville (Rambervillers).
  • [23]
    KINTZ, op. cit., p. 282 (mais ces hôtes étrangers sont à peine 10 % des personnes hébergées en hiver. Une carte relative à la foire de 1585 montre que ces négociants viennent essentiellement du versant lorrain. Cf aussi pp. 403 et 419. A Thann, au XVIe siècle, il existe 14 auberges. En 1556, dans l’une d’elles meurt un mercier welsche originaire de Jonvelle en Champagne (HEIDER, C. (2004). Entre France et Allemagne. Thann, une ville de Haute-Alsace sous la domination des Habsbourg (1324-1648), Strasbourg, Université Marc Bloch, p. 116).
  • [24]
    HEIDER, op. cit., pp. 123-127.
  • [25]
    AD Haut-Rhin, 136 J, p. 50 : une enquête signale à Munster un certain Josly Munch « uss welschem land geborn », âgé de trente ans, au service du châtelain de Schwarzenbourg depuis huit ans.
  • [26]
    Cf. LIEBELIN, F. (1987). Mines et mineurs du Rosemont, Giromagny, Centre culturel, pp. 251 et suiv., p. 268.
  • [27]
    ROSE-VILLEQUEY, G. (1970). Verre et verriers en Lorraine au début des temps modernes (de la fin du XVe siècle au début du XVIIe siècle), Nancy, (Thèse Paris), p. 42, propose la thèse de l’arrivée de familles de verriers de Bohème.
  • [28]
    Ce thème est presque omniprésent sous la plume des humanistes.
  • [29]
    Cf. MARTIN, D. (1929). Les colloques françois et allemands, éd. par Jacques HATT, Strasbourg, Les Belles Lettres, p. 161.
  • [30]
    HEIDER, C. op. cit., p. 154. L’affaire est d’autant plus savoureuse que l’auteur de l’insulte porte un patronyme roman (Tafferney), son adversaire, Roman Emb, exerçant le métier de maçon.
  • [31]
    AM Guebwiller, FF 11.
  • [32]
    AM Mulhouse, XIII J 1.
  • [33]
    AM Mulhouse, parch. 3091 (Urfehd, scellé par le damoiseau Philippe de Grandvillars).
  • [34]
    AM Sélestat, FF 28, etc.
  • [35]
    AM Strasbourg, Conseil des XXI, 1575, fol. 682.
  • [36]
    Ce sabir est une langue réputée étrangère, revendiquant, comme son nom le suggère, des éléments « latins ».
  • [37]
    SPICKER-BECK, M. (1995). Räuber, Mordbrenner, umschweifendes Gesinde. Zur Kriminalilät im 16. Jahrhundert, Freiburg/Br., Rombach, p. 68 et pp. 70 et suiv. A Colmar, aucun Welsche ne figure parmi les criminels condamnés à mort dont on peut établir une liste (incomplète) dans le dernier tiers du XVe siècle et au XVIe siècle (FF 345), ce qui n’est pas le cas des « Schwoben ».
  • [38]
    AM Colmar, FF 346. Les tableaux proposés ici pour la première fois ont été faits à partir des dépouillements de SITTLER, L. (1957). Inventaire des Archives de la Ville de Colmar, Série FF, Colmar.
  • [39]
    Le Livre de Bourgeoisie de Calmar, éd. par Roland WERTZ, Colmar, 1981, ne donne aucune indication d’origine, mais on possède des listes des nouveaux membres des Zünfte de la ville entre 1575 et 1599 : sur 922 personnes, 41 % sont des Colmariens de souche, 22 % des immigrés d’entre Vosges et Rhin, 30 % des Allemands de la rive droite et des autres régions germaniques.
  • [40]
    AM Colmar, BB 52, p. 111.
  • [41]
    STOLZ, O. (1939). « Zur Geschichte des Bergbaues im Elsaß im 15. und 16. Jahrhundert », in : Elsaß-lothringisches Jahrbuch, t. 18, pp. 116-171 ; DIETRICH, J. (1875-1876) « La chronique des mines de Sainte-Marie de Jean Haubensack », in : Bulletin de la Société d’Histoire naturelle de Colmar, pp. 325-345. Cf. BOUVIER, D. (2001). « La guerre des mines d’argent », in : Société d’Histoire du Val de Lièpvre, 23e cahier, pp. 44-62.
  • [42]
    AD Haut-Rhin, 1 C 3474 : le plainte est déposée « in namen der frouwenbergischen underthanen jnn teutschen landen“ et vise „allen frawenbergischenn unnderthannen in welschenn lannden », en l’occurrence, les sujets « privilégiés » de la seigneurie de Montjoie/Froberg à Vaufrey/Waffre, sur le Doubs. Ce cas n’est, apparemment, pas le seul, mais il faut en relativiser la portée. En effet, les rapports entre villageois et seigneurs sont régis par des coutumes très variables, engendrant du même coup une infinité de procès entre communautés voisines. Le facteur linguistique n’a rien de discriminant.
  • [43]
    AD Territoire de Belfort, 1 H 16.
  • [44]
    D’après Monika Spicker-Beck, les chaudronniers sont, avec les lansquenets, le groupe le plus exposé à la délinquance (13 % des criminels connus, contre 4 % pour les merciers).
  • [45]
    HEIDER, op. cit., p. 160.
  • [46]
    HANAUER, A. (1878). Etudes économiques sur l’Alsace ancienne et moderne, II, Paris-Strasbourg, pp. 511 et suiv. Ces plaintes n’ont rien d’original. En 1552, le règlement de police adopté par les « états provinciaux d’Alsace » à la suite de la diète d’Augsbourg de l’année précédente comprend le même réquisitoire contre les « taglöhner, acker und rebleuten knechten und knaben » accusés de prétentions salariales et de paresse. La nouveauté des années 1570-1580 réside dans l’identification des fauteurs de trouble. En 1551, il n’était pas question des welsches, mais l’idée d’une surveillance renforcée des voyageurs et des mendiants était bien présente avec un article consacré aux Zigeuner et Spielleute assimilés et un autre aux chaudronniers.
  • [47]
    AM Mulhouse III B 1, p. 39, sous le titre « Welschen nit annemen A° [1576] uff den 4. hornungs haben unsere hern ein grosser Radt einhelig erkhant das hinfür mehr kein welscher zu einem Burger noch hindersassen angenommen, sonder(n) wo ein fraw oder tochter mit deren einem der ee halben verpflicht soll mit ime zur Statt hinhuss gewisen werden. Doch wo ein statt welsche murer oder zimmerlein bedörffte, will ein oberkheit jr handlen beschlossen haben ».
  • [48]
    Pour Thann, cf. HEIDER, op. cit., p. 8.
  • [49]
    GENY, J. (1902). Schlettstadter Stadtrechte, Heidelberg, Winter, p. 402 : « haben wir uns endlich entschlossen und geordnet, welcher mann, junckfrau oder wittib sich nun hinfüro ohne unser wissen und erlauben mit den welschen personen verheuraten würde, das wir ihnen das burgrecht nicht mehre geben, besonder mann und weib uß der statt hinweg weisen wöllen ». La date du document n’est pas indiquée, mais elle correspond probablement à l’accord de 1580.
  • [50]
    KINTZ, op. cit.
  • [51]
    GENY, op. cit., p. 949.
  • [52]
    DIEDLER, J.C. (1996). Démons et sorcières en Lorraine, Paris, Messène, p. 149, reprenant une idée de Dom Calmet sur la propagation de l’« épidémie », bien que l’argument proposé (un suspect de Sainte-Marie aux Mines appelé Jean Caspart susceptible, en raison de son patronyme (sic), d’être originaire du « nid de sorciers » que serait Carspach, dans le Sundgau) soit spécieux. Pour en comprendre le contexte véritable, il n’est pas inutile de relire la préface de Lucien Febvre à BAVOUX, F. (1956). Hantises et diableries dans la terre abbatiale de Luxeuil, Monaco, Rocher Besançon.
  • [53]
    DIEDLER, op. cit., p. 46.
  • [54]
    Agé de huit ans, le petit Augustin Güntzer fait l’objet d’une tentative d’homicide de la part d’un ennemi de son père, potier d’étain passé à la Réforme. Cf. Augustin Güntzer. Kleines Biechlin von meinem ganzen Leben. Die Autobiographie eines Elsässer Kannengiessers aus dem 17. Jahrhundert, éd. par Fabian BRÄNDLE et Dominik SIEBER, Cologne, Weimar, Wien, Böhlau, 2002, pp. 92-93.
  • [55]
    Cf. LIENHARD, M. (1981). « La Réforme à Strasbourg. Les événements et les hommes », in : Livet, G. et Rapp, F. (dir.). Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, tome II. Strasbourg, Dernières Nouvelles de Strasbourg, pp. 363-540 (p. 519).
  • [56]
    « Chronique de Sebald Buheler » éd. par Rodolphe REUSS, Revue d’Alsace, 1872, p. 130. En 1572, le prêche rassemblait 181 personnes.
  • [57]
    Politische Correspondenz der Stadt Strassburg, t 5, Heidelberg, 1928.
  • [58]
    Cf. TUETEY, A. (1883). Les Allemands en France et l’invasion du Comté de Montbéliard par les Lorrains 1587-1588, Paris, H. Champion.
  • [59]
    AM Strasbourg MR 5, fol 37 : considérant la présence de « vil frembdes volcks, teutsch und welsch allerlei nationen, die nicht burger seindt », le conseil des XXI interdit tout logement en ville « keinem frembden weib oder mans personen, der oder die nit burger und zünfftig seien » ou qui n’ont pas reçu une autorisation en bonne et due forme visée par la chancellerie.
  • [60]
    BISCHOFF, G. (2004). « Argent, honneur et trahison. Les lansquenets allemands au service du roi de France de Charles VIII à Henri II », in : Terre d’Alsace, chemins d’Europe, Mélanges Bernard Vogler, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, pp. 91-120.
  • [61]
    SPIECKER-BECK, op. cit., pp. 120-121. Cf. “Argent, honneur et trahison”, op. cit., p. 115 à propos du cas, très similaire, de Schwendi qui enlève un autre chef de mercenaires français, Vogelsberger, établi à Wissembourg dans une maison qui arbore la fleur de lis française.
  • [62]
    L’exemple du Jura bâlois montre la maigreur du phénomène. SCHÜLE, E., SCHEURER, R. et MARZYS, Z. (2002). Documents linguistiques de la Suisse romande. 1. Documents en langue française antérieurs à la fin du XIVe siècle conservés dans les cantons du Jura et de Berne, Paris, CNRS Editions.
  • [63]
    Cf. BISCHOFF, G. (2002). « La langue de Bourgogne. Esquisse d’une histoire du français et de l’allemand dans les pays de l’entre deux », in : Publication du Centre européen d’études bourguignonnes, n° 42, Bruxelles, pp. 101-118.
  • [64]
    « Sed etiam. Transition, échange ou confrontation linguistiques à Belfort, dans les seigneuries de la Porte de Bourgogne et dans les Vosges » (fin du moyen âge, début des temps modernes), in : Bulletin de la Société belfortaine d’Emulation, t. 88 (1998), pp. 55-62. Cf. aussi HEIDER, op. cit., p. 130.
  • [65]
    Cité par J. Hatt dans Les Colloques françois et allemands, op. cit., p. 2.
  • [66]
    MATTER, J. (1948). « Anthroponymie et immigration. La traduction des noms de famille français dans la vallée de Munster aux XVIe et XVIIe s. », in : Revue d’Alsace, pp. 24-30.
  • [67]
    HEIDER, op. cit., pp. 151-154, carte.
  • [68]
    Cf. la thèse de SIMON, M. (2003). Brûler sa voisine. Les affaires de sorcellerie dans le val de Lièpvre (XVIe-XVIIe siècles), Strasbourg, Université Marc Bloch, qui fournit un certain nombre d’éléments, mais ne les exploite pas dans cette optique socio-culturelle.
  • [69]
    Kleines Biechlin, op. cit., p. 194.
  • [70]
    AD Bas-Rhin, G. 1287. A titre d’échantillon : « Item kommet einer uß Welschlandt gynnsit uber den hack, den empfohlet der von Andlo amptman ». Ces dépendants ne sont pas des serfs au sens classique. Ils sont soumis à la juridiction de leurs (nouveaux) seigneurs et relèvent donc d’une autorité privée. Concrètement, cela signifie qu’ils ont des obligations spécifiques, peuvent éventuellement contribuer à des frais ou à des opérations de guerre engagés par leur maître. Pour ce dernier, ils sont assurément des leibeigene, des dépendants de corps.
  • [71]
    L’expression est utilisée sur une carte linguistique omniprésente. Elle est d’autant plus absurde qu’il n’y a pas « traditionnellement » (mais ce concept ne signifie pas grand chose) d’îlots de peuplement roman en Alsace germanophone. Une approche stratigraphique permettrait de distinguer des phases susceptibles d’être datées, des moments de chevauchement linguistique et, probablement, des peuplements « lenticulaires » d’une ou plusieurs générations, mineurs allemands de la First (La Croix aux Mines, dans le premier quart du XVIe siècle, Giromagny), quartiers français après la conquête (les garnisons, les villes neuves, comme Saint-Louis-du-Rhin/Ville de Paille ou Neuf-Brisach, etc.)
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