Notes
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[1]
HILLARD, P. (2001). Minorités et régionalismes : l’Europe fédérale des régions. Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe. Paris, de Guibert.
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[2]
BORN, J. et DICKGIESSER, S. (1989). Deutschsprachige Minderheiten : ein Überblick über den Stand der Forschung für 27 Länder. Mannheim, Institut für deutsche Sprache, im Auftrag des Auswärtigen Amtes.
1Philippe Blanchet
2Tu as fait allusion à cette question extrêmement débattue, voire conflictuelle d’éventuelles origines allemandes de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. A ma connaissance – parce que j’ai assisté à des débats très virulents entre des gens du Conseil de l’Europe et notamment Yvonne Bollmann et les gens qui travaillent avec elle –, il semblerait que cela relève plutôt de la rumeur ou de la manipulation idéologique parce que les gens du Conseil de l’Europe qui étaient là ce jour-là ont élevé les dénégations les plus véhémentes en disant que ce n’était pas du tout le cas et qu’au contraire, au départ, c’était une résolution d’une commission dirigée par un Italien. Donc, je pense qu’il faudrait qu’on continue à se poser cette question-là et en tout cas, il faut être très vigilant par rapport au fait qu’on peut se faire piéger par des rumeurs qui circulent.
3Cécile Jahan
4C’est une rumeur que j’ai prise dans un ouvrage de Pierre Hillard qui avait fait une étude sur les minorités allemandes en Europe centrale et qui est assez critique, négativement critique, à l’égard de la politique que l’Allemagne a justement à l’égard de ces minorités allemandes. Il disait dans son ouvrage que l’Allemagne était en train de façonner la nouvelle Europe à son image et qu’elle voulait aussi qu’elle soit tournée à son avantage et que c’est pour cela que l’Allemagne serait à l’origine de cinq documents-clefs dans la construction européenne dont la convention-cadre et la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Pour en tirer son propre avantage.
5Philippe Blanchet
6C’est un ouvrage très controversé.
7Andrée Tabouret-Keller
8Alors moi, j’ai suivi les travaux de la commission qui a préparé la Charte. Je crois qu’il faut revenir dessus et faire une étude précise, mais les textes, on en dispose.
9Philippe Blanchet
10Ce serait une bonne chose y compris pour qu’on vérifie la rumeur ou pour la dénoncer définitivement.
11Cécile Jahan
12Alors pour la bibliographie, il s’agit de l’ouvrage de 2001, Minorités et régionalismes. Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe [1]. On retrouve énormément de commentaires de Pierre Hillard sur internet au sujet de cet ouvrage-là. Il a dû certainement être très interpellé là-dessus.
13Andrée Tabouret-Keller
14Je voudrais juste faire une remarque pour souligner l’importance de ce genre d’étude parce que nous sommes vraiment franco-français, la plupart d’entre nous, dans ce que nous faisons et nous manquons terriblement d’études comparatives et ça, vraiment, c’est une aubaine d’avoir votre travail sur ce point-là. Il serait souhaitable d’avoir plus de travaux comparatifs. C’est ça qui peut nous permettre d’avancer un petit peu.
15Jean-Jacques Alcandre
16Quand tu fais allusion à la règle des 5 %, c’est à propos du Schleswig-Holstein, de quoi s’agit-il ?
17Cécile Jahan
18C’est à propos de la minorité danoise qui a eu cette disposition et n’a pas besoin d’atteindre les 5 % d’électorat pour disposer d’un député ; ils ont de toute façon au moins un représentant politique qui siège au Landtag, qui est le parlement régional, qui représente de cette façon la minorité. Une fois de plus, la question est de savoir s’il représente véritablement cette minorité puisqu’on ne sait pas trop quel est le discours des locuteurs concernés par rapport à ça.
19Jean-Jacques Alcandre
20C’est à double tranchant, car il y a un effet de paresse qui s’installe parce que de toute façon il y a une garantie de représentation.
21Cécile Jahan
22Là où il y a un glissement et des minorités qui bougent, enfin les minorités actives, ce ne sont pas les minorités nationales finalement, ce sont les autres.
23Frédéric Mékaoui
24Je vais me protéger en disant que je vais poser une question bête. Est-ce que dans ces travaux, ces démarches de définition de minorités, est-ce que les gens qui ont défini ces minorités sont allés voir ces minorités pour leur demander ce qu’elles pensaient d’elles-mêmes ?
25Cécile Jahan
26En ce qui me concerne, je ne suis pas allée sur le terrain et c’est d’ailleurs ce qui manque cruellement à cette étude, mais bon, c’est matériellement aussi difficile. Mais là, les sources que j’ai utilisées dans un premier temps sont très juridiques, c’est même une erreur de casting, mais j’ai été piocher dans une autre discipline, car je ne savais pas vraiment comment commencer cette étude-là et je pensais que, dans un premier temps, c’était moins dangereux de partir d’un cadre juridique et de voir ensuite quels étaient les choix politiques inscrits dans les discours officiels et pour commencer à entrer dans la politique linguistique par ce biais-là. Maintenant, comme on l’a vu ce matin, il y a un triangle et il y a d’autres choses à prendre en considération, et ça marche très bien pour les politiques linguistiques aussi. En Allemagne, les études qui portent sur les minorités sont des rapports officiels commandés par les Länder ou par l’état allemand, et qui sont très descriptifs. Il y a pas tellement de problématisation et donc il n’y a pas tellement d’enquêtes. Les données qui sont indiquées dans ces rapports-là sont demandées à des organisations qui sont censées représenter ces minorités. Pour le cas de la minorité sorabe, ça s’appelle la Domoniva et donc le gouvernement allemand a contacté la Domovina pour lui demander ses données à elle. On a donc aussi évidemment des guillemets à mettre partout dans ce cas-là.
27Andrée Tabouret-Keller
28Je crois qu’il faudrait inscrire tout ça dans une dimension historique plus vaste qui soulignerait qu’en Allemagne, la sensibilité à la question des minorités a été très vive du fait de la diaspora allemande dès la deuxième moitié du XIXe siècle et même avant. A partir de 1893, il y a deux journaux pédagogiques à destination des maîtres d’école allemands de minorités allemandes à l’étranger. C’est-à-dire que ce qui s’est passé au moment de la rédaction de la charte européenne a bénéficié, de la part de l’Allemagne, d’une expérience que l’on pourra juger comme on voudra, mais l’expérience était là, alors que, par exemple, la France n’avait rien à donner, rien à apporter. C’est-à-dire que quand il y a des rumeurs etc., c’est vrai que l’Allemagne avait une expérience historique de plus d’un siècle du phénomène minoritaire de ses propres diasporas. On ne peut pas sortir ce que tu as dit de cette histoire à plus long terme. De même ce qui se pratique aujourd’hui, c’est basé sur une expérience très ancienne.
29Cécile Jahan
30J’aimerais aussi ajouter une chose : c’est vrai qu’au lendemain de la Seconde guerre mondiale, toute action sur le statut ou sur le corpus de la langue nationale et officielle était interdite, c’était mal venu et c’était mal vu. Donc l’Allemagne s’est montrée très discrète là-dessus, en tout cas au sortir de la guerre, et il fallait qu’elle trouve autre chose, en quelque sorte, et elle a trouvé cette action sur les minorités. C’est là qu’on a eu les déclarations de Bonn et Copenhague. La RDA a accordé des droits à la minorité sorabe, mais si elle faisait cela, c’était qu’elle pouvait le faire ou alors elle pouvait attendre que les pays qui avaient ses propres minorités, donc les minorités allemandes, le fassent. Donc c’est un moyen détourné de continuer une promotion de l’allemand ou une majoration de l’allemand parce que c’était tabou de le faire avec la langue nationale, en tout cas pour un certain temps. Et puis après 90, on a pu, à nouveau, repartir sur de bonnes bases.
31Arlette Bothorel
32Il y a peut être un ouvrage que vous devriez consulter. C’est celui de deux Allemands qui travaillaient à l’institut pour la langue allemande, Born et Dieckgiesser [2], et qui ont été chargés par le ministère des affaires étrangères, il y a maintenant une quinzaine d’années, de faire un premier travail sur les minorités de langue allemande. Et là, quand on pense que le travail a été demandé par le ministère des affaires étrangères, on peut effectivement s’interroger sur la visée de la politique allemande. Concernant l’Alsace, je pèse mes termes, ce qui a été écrit est idéologiquement marqué. On a été catégorisés immédiatement comme étant des locuteurs de langue maternelle allemande et qui sont, de surcroît, analphabètes dans leur propre langue. Bon, c’est ce qui est écrit. Vous avez choisi le cadre juridique et, vous le savez, moi je m’interroge si on peut lire à partir du cadre juridique ce que serait une minorité voire une langue minoritaire. Il faudrait peut-être davantage voir les mesures qui ont été prises, encore que vous ne puissiez pas, vous, dans le travail qui est le vôtre, mesurer l’impact de ces mesures, vous ne faites pas un travail empirique. Mais je pense qu’il serait intéressant de rajouter des travaux de ce type-là, ça permettrait un peu d’éclairer la politique linguistique, si tant est qu’on est dans ce cadre de politique linguistique.
33Jean-Jacques Alcandre
34A propos de la Turquie : les événements très récents confirment ce que tu dis, c’est-à-dire cette mise en avant de cette terreur qui s’installe soudain, suite à l’assassinat de Théo Van Gogh aux Pays-Bas. Suit une manifestation des Turcs qui disent qu’ils sont contre la violence et qu’ils veulent s’insérer dans un état allemand et on voit, à ce moment-là, des politiques qui interviennent et ça faisait le titre de la Frankfurter Allgemeine le jour dit. Ce qu’on leur disait, c’était : « Bitte, lernt Deutsch ! », « Par pitié, apprenez l’allemand ! ». On voit la différence de traitement.
35Frédéric Mékaoui
36Ils veulent les obliger à parler allemand dans les mosquées.
37Philippe Blanchet
38Une formulation qu’a utilisée Cécile et qui me semble aller dans le sens de ce qu’on a dit ce matin : tu disais qu’ils ont été élevés au rang de minorité, ce qui veut donc dire qu’il est majorant d’être reconnu comme étant minoré. On est bien dans la complexité de la chose.
39Dimitrios Kargiotis
40Par rapport à la politique de la discrimination positive, il y a eu un débat, qui continue, dans des sociétés comme la société américaine sur cette mesure. Il y a trois réactions sur la question si on doit continuer sur ce type de programme ou non. Un type de réponse est qu’il faut que ça s’arrête, parce que la situation a été réparée et il n’y a plus de discrimination, qu’il n’y a plus de minorité. Une autre opinion dans le débat dit que la situation n’est pas réparée, des discriminations continuent tout le temps, qu’il faut donc que ce programme continue. Et, dans ce sens là, depuis quinze/vingt ans, une troisième voie s’est élaborée dans la direction qui dit que la question de savoir s’il y a ou non des minorités n’est plus un enjeu, mais il faut garder la discrimination positive au nom d’une mémoire historique de ce qui, une fois, a été un processus de minoration pour ne pas oublier ou parce que ça fait partie de notre histoire. Cette troisième voie me paraît vraiment intéressante, parce que finalement, elle déplace le débat entre minoration ou majoration dans ce sens de communauté multiculturelle.
Notes
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[1]
HILLARD, P. (2001). Minorités et régionalismes : l’Europe fédérale des régions. Enquête sur le plan allemand qui va bouleverser l’Europe. Paris, de Guibert.
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[2]
BORN, J. et DICKGIESSER, S. (1989). Deutschsprachige Minderheiten : ein Überblick über den Stand der Forschung für 27 Länder. Mannheim, Institut für deutsche Sprache, im Auftrag des Auswärtigen Amtes.