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Article de revue

De quelques résistances à la pratique psychanalytique dans la culture arabo-musulmane

Pages 161 à 191

Notes

  • [*]
    Texte remanié d’une conférence faite à Liège, dans le cadre du programme scientifique de « Racines Aériennes ».
  • [**]
    Docteur en psychologie, clinicien au Centre « D’ici et D’ailleurs », Bruxelles et enseignant au CESA (Bruxelles/Charleroi).
  • [1]
    Le Monde daté du mardi 6 juin 2000.
  • [2]
    Les carrefours du labyrinthe, Paris, Le Seuil, 1978, p. 78 et 86.
  • [3]
    La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Paris, Aubier, 2002, p. 90. Voir également l’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique l’Intelligent, le 14 août 2005, et dans lequel il évoque les difficultés de la pratique psychanalytique en terre d’Islam.
  • [4]
    Généalogies, Paris, Fayard, 1994, p. 83.
  • [5]
    ISSA IHSAN Al, Al-junun (2000). Mental illness in the Islamic world, Madison. Pour un exemple plus spécifique, voir notre livre Interprétations et traitements traditionnels de la maladie mentale au Maroc. Pour une psychiatrie « culturelle » marocaine, (à paraître).
  • [6]
    Kleinman, A. et B. Good (1985). Culture and depression: studies in the anthropology and cross-cultural psychiatry of affect and disorder, University of California, Press Berkeley.
  • [7]
    Kacha, F. (1991). « Évolution de la demande et de la prise en charge des malades mentaux », Apport de la psychopathologie maghrébine, Actes du congrès des 5, 6 et 7 Avril 1990, Publication du centre de recherches en psychopathologie de l’Université Paris XIII.
  • [8]
    Boucebci, M. (1985). « Le psychiatre et ses questions face aux pratiques traditionnelles au Maghreb », Ann. Méd. Psycho., vol. 143, n° 6, p. 519-540.
  • [9]
    « Pratique analytique dans le monde arabe : incidences et difficultés », La célibataire, revue de psychanalyse, 2004, n° 8, p. 13 (actes du colloque qui a eu lieu en novembre 2002, organisé à Paris par l’Association Lacanienne internationale sur le thème « La psychanalyse et le monde arabe »).
  • [10]
    La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Paris, Aubier, 2002, p. 303.
  • [11]
    Yasin A. (1973), La triade interdite : étude sur la religion, la sexualité et la lutte des classes, Beyrouth, (en arabe).
  • [12]
    L’imaginaire arabo-musulman, Paris, 1997, p. 383.
  • [13]
    Chebel, M. (2002). Le sujet en Islam, Paris, Le Seuil, p. 260.
  • [14]
    « Les obstacles à la psychanalyse dans la culture arabo-musulmane », Travaux et Jours, 2002, n° 69, p. 232.
  • [15]
    « Le sujet en psychanalyse », Problèmes de psychanalyse. Recherches et débats, n° 78, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, p. 12.
  • [16]
    « Psychanalyse et religion », Cahiers confrontations, La religion en effet, n° 4, 1985, p. 28.
  • [17]
    L’homme coupable. La folie et la faute en occident, Paris, Privat, 1992.
  • [18]
    Le miroir du prophète. Psychanalyse et Islam, Paris, Grasset, 1993, p. 17.
  • [19]
    Op. cit., p. 157.
  • [20]
    Op. cit., p. 19-20.
  • [21]
    Ibid., note p. 10.
  • [22]
    Ibid., p. 26-29.
  • [23]
    Op. cit., p. 302.
  • [24]
    « La psychanalyse et le monde arabe », La célibataire, n° 8, 2004, p. 27.
  • [25]
    L’homme coupable, op. cit., p. 47.
  • [26]
    L’auteur écrit à ce propos que : « la pratique de l’inconscient en occident ne laisse pas de rencontrer le religieux chrétien et par conséquent le thème du péché originel, quels que soient les travestissements que ce dernier peut revêtir », op. cit., p. 253.
  • [27]
    Dans son livre Dette et désir, essentiel à la compréhension de cette dimension, A. Vergote exprime avec force cette idée : « En proposant comme exigence fondamentale l’aveu du péché, solidaire du message de la libération, le christianisme expose l’homme à la culpabilité morbide. » Dette et désir. Deux axes chrétiens et la dérive pathologique, Paris, Le Seuil, 1978, p. 64.
  • [28]
    Op. cit., p. 105.
  • [29]
    Ibid., p. 105.
  • [30]
    Goldberg, J. (1985). La culpabilité, axiome de la psychanalyse, Paris, PUF.
  • [31]
    Ammar, S., Douki, S., Boucebci, M., Chkili, T. et D. Moussaoui (1981). « Aspects cliniques et psychopathologiques de la dépression au Maghreb », Psychopathologie africaine, n° 17, 1/2/3, p. 16-26.
  • [32]
    Op. cit., p. 86.
  • [33]
    Le virus de la violence, Paris, Albin Michel, 1996, p. 215.
  • [34]
    Psychanalyse du Soi arabe, Beyrouth, 1977, p. 5 (en arabe).
  • [35]
    In search of Self in India and Japan. Toward a Cross-Cultural psychology, Princeton University Press, 1988 (cité par Pewzner, op. cit., p. 195).
  • [36]
    Les révolutions de l’inconscient. Histoire et géographie des maladies de l’âme, La Martinière, 2001, p. 31-33.
  • [37]
    Ibid., p. 16-17.
  • [38]
    Ibid., p. 38-39.
  • [39]
    « Du familier vers l’inconnu : à propos de la rencontre analytique en pays d’Orient », Revue française de psychanalyse, n° 1, 1988, p. 72.
  • [40]
    Entre-Deux. L’origine en partage. Le Seuil, Paris, 1991.
  • [41]
    Aouattah, A. (2000). « Immigration maghrébine, maladie mentale et psychiatrie, ou quand les immigrés emmènent leurs maladies », Ann. Méd .psychol., n° 158, n° 9, p. 693-701.

Introduction

1À l’occasion des États généraux de la psychanalyse, qui se sont déroulés en juillet 2000 à Paris, Le Monde a publié une enquête sur cette discipline, en faisant le constat suivant : « née il y a plus d’un siècle dans le vieil empire austro-hongrois, la psychanalyse a bouleversé les pratiques médicales en plaçant le sujet et la parole au centre de la thérapie afin d’ouvrir les portes de l’inconscient. Alors qu’elle donne l’impression d’être partout en Europe, faisant partie, dirons-nous, des meubles et du vocabulaire, elle ne semble pas avoir englobé, dans son mouvement expansif et parfois invasif, les autres aires culturelles. Peu ou prou, elle est restée européenne, dans la mesure ou elle est pratiquement inconnue en Afrique et dans les pays arabo-musulmans, inexistante en Chine, embryonnaire en Méditerranée, mais en déclin sensible aux États-Unis sous la pression des neurosciences et des thérapies congitivo-comportementales. En Russie, comme dans les pays de l’ex-Europe, où l’idéologie pavlovienne a régné sans partage pendant un demi-siècle, le réveil est très lent. Le seul endroit où elle prospère, en dehors de l’Europe, est l’Amérique du Sud où les premières générations de psychanalystes se sont massivement installées. Se voulant universelle, elle a du mal à franchir les frontières. [1] »

2Pour ce qui est de l’espace culturel arabo-musulman, on constate en effet que le discours analytique a du mal à franchir la Méditerranée, et de ce fait, est resté étranger à la culture arabe et rencontre encore des résistances, malgré la proximité géographique, les échanges culturels et scientifiques à tous les niveaux, les échanges commerciaux et humains comme aussi bien l’envahissement par les médias de chaque foyer. Les chiffres sont à ce niveau éloquents : dans cet immense espace culturel, il n’y a guère qu’une quarantaine de psychanalystes (dont une vingtaine au Liban, de fait de sa tradition plus libérale et son ouverture sur l’Occident grâce à la présence chrétienne). Après le Liban, le Maroc est le deuxième pays du monde arabe où une institution analytique a pu voir le jour, il y a quelques années à peine. Pourtant, l’Égypte avait connu la psychanalyse dans les années cinquante, où l’on comptait plus d’analystes qu’en Espagne ou en Italie par exemple. Depuis, la psychanalyse n’a fait que reculer jusqu’à l’extinction totale.

3Comment se fait-il que, malgré cette proximité géographique et ces échanges humains, culturels et scientifiques, la psychanalyse « reste frappée d’interdit » dans le monde arabo-musulman ? Pourquoi sa transmission rencontre-t-elle une telle résistance, alors que toutes les autres disciplines liées aux sciences humaines y sont très présentes, et alors que le monde arabo-musulman est parfaitement perméable aux idéologies et aux courants scientifiques contemporains ? Doit-on conclure à une incompatibilité dans l’état actuel de la mentalité arabo-musulmane générale ?

4Pour essayer de réponde à cette question de non-transmission, qui interroge à la fois la culture arabe et la psychanalyse en tant que structure d’une pensée qui a été élaborée dans un contexte culturel donné, nous allons épingler quelques-uns des facteurs – il y en a certainement d’autres – qui nous paraissent déterminants. Ce faisant, nous aspirons aller au-delà de ce double constat d’une psychanalyse non exportable et d’un monde arabe résolument réfractaire, pour dégager, d’une façon indirecte, les supposés supports conscients et inconscients de sujets arabo-musulmans. Bien que nous souscrivions au verdict de C. Castoriadis quand il écrit que : « La psychanalyse est créée aux alentours de 1900, et non parmi les Assyro-Babyloniens. Pourquoi ? Lacan est obligé de se proclamer psychanalyste et non pas chaman ou nécromancien. Pourquoi ? Croire que l’on peut effacer ces questions est aussi absurde que croire que l’on pourrait leur donner une fois pour toutes une réponse déterminée. L’absurdité consiste à vouloir effacer l’histoire dans et par laquelle nous sommes, que nous faisons et qui nous fait. Verticalement aussi bien que latéralement, la psychanalyse est inséparable de l’histoire de la pensée gréco-occidentale [2] », nous tentons cependant de problématiser ce jugement, qui est du reste tellement clair que l’on pourrait en rester là. Nous pensons en effet que l’exploration des obstacles qui se posent à la psychanalyse est de nature, parce qu’elle demeure l’une des théories les plus élaborées de l’appareil psychique, à nous éclairer, d’une façon indirecte dirons-nous, sur les modalités d’adaptation et de réaménagement de nos cadres cliniques de sorte qu’ils deviennent plus « accueillants ».

Le savoir scientifique

5Clairement, le propos de C. Castoriadis nous enjoint de ne pas considérer la pensée freudienne comme une création ex nihilo. L’élaboration théorique de Freud est à replacer dans le contexte scientifique et socioculturel qui a servi de cadre à sa genèse. À ce propos, on peut reprendre à notre compte la suggestion de F. Benslama, selon laquelle la naissance et le développement de la psychanalyse sont étroitement liés à l’émergence d’un monde fondé sur la science. Lacan considérait que le sujet auquel on a affaire en psychanalyse est le sujet de la science. Par sujet moderne, sujet de la science, il faut entendre un sujet qui se met à penser son existence à partir de la rationalité scientifique. Or, le sujet de la science n’a pas encore vraiment émergé dans le monde arabo-musulman, qui reste très attaché à la tradition et fortement assujetti à la religion. Ce qui règne dans le monde arabe, ce n’est pas l’esprit scientifique, mais l’esprit religieux. Or, comme l’écrit F. Benslama, l’émergence de la psychanalyse à un moment précis dans l’histoire de l’Europe, trouve sa racine dans l’urgente nécessité d’éclairer la transformation radicale de la subjectivité et de ses vérités ; ce qu’il propose de désigner comme « passage de la psyché de Dieu à la psyché de l’inconscient [3] ».

6Quelle clinique, pourrait-on alors se demander, du sujet arabe, de cet homme défini par une culture où la religion prédomine ? « L’homme rituel », souvent en proie à un « autre totalitaire » intériorisé, est-il accessible et perméable aux outils de l’approche « scientifique » ? En rapport avec cette idée d’un mondé fondé sur la science, il convient d’inclure le facteur suivant, épinglé par l’historienne E. Roudinsco dans sa tentative de cerner les conditions de l’implantation de la psychanalyse dans un pays ou dans une aire culturelle donnée. Selon elle, la psychanalyse s’implante là où existe un savoir psychiatrique [4], autrement dit là où l’approche de la maladie mentale est profondément marquée par le sceau du savoir et de la science psychiatriques, sur lesquels viendra se greffer la psychanalyse.

7Mais qui dit savoir psychiatrique fondant et imprégnant les pratiques de soins, dit incontestablement une vision et une interprétation déterminées de la maladie mentale. Or, nous savons qu’en la matière, il existe d’autres grilles de lecture du désordre mental. Les études de psychiatrie transculturelle montrent que les symptômes, la maladie psychologique ou psychosomatique de tout individu sont organisés selon les modèles étiologiques proposés par la culture ou sous-culture d’origine, que ces modèles sont inséparables de la technique thérapeutique, elle-même s’adressant, non pas à un être humain en général, mais à un individu inscrit dans une culture déterminée. S’agissant des sociétés arabo-musulmanes, elles semblent avoir développé un système d’interprétation conformément à des représentations culturelles traditionnelles. Le discours traditionnel arabe propose en effet plusieurs modèles explicatifs des désordres psychiques, modèles qui vont de l’atteinte par les esprits (djinns) aux effets néfastes de la sorcellerie (sihr) en passant par ceux de mauvais œil (ayn), de la malédiction, etc. [5]. A. Kleinman, qui définit les modèles explicatifs de la maladie (explanatory models of illness), explique qu’ils contiennent des représentations sur les étiologies, le début des symptômes, la physiopathologie, le déroulement de la maladie, ses conséquences, et ses traitements. De la sorte, les modèles explicatifs sont créateurs d’ordre et de sens [6].

8Dans la société arabe actuelle, nous rencontrons donc des patients dont les troubles mentaux sont prioritairement exprimés et vécus dans le registre traditionnel. Contrairement à la perspective occidentale qui tend, à considérer que le mal est inhérent à l’homme lui-même, et qui invite à une « descente en soi-même » (la consigne de saint Augustin « rentre en toi-même » est à cet égard très explicite), la responsabilité de la maladie ici est imputée à l’« autre » : ou bien un « autre » surnaturel (démon, dieu), ou bien un « autre » naturel (magie, problèmes interpersonnels). Autrement dit, le « mauvais » est toujours situé à l’extérieur du moi, il est du domaine de la fatalité, du sort, de la volonté de Dieu, etc. C’est là le noyau d’une prescription culturelle portant sur la ou les façons « normales » d’être malade ou fou. Guérir, dans un tel contexte, signifie mettre hors état de nuire l’« autre », responsable de la maladie, avec l’aide de personnes puissantes. Puisque l’origine de la maladie est extérieure, le traitement est à conceptualiser en termes de lutte pour neutraliser l’agresseur. Se mettre soi-même en question, chercher dans sa propre psyché ou chercher par soi-même des solutions pour surmonter les tensions intrapersonnelles, sont des techniques impensables. Quant à la psychiatrie, elle n’affecte pas encore en profondeur les croyances et les mythes de la folie – qui se réfèrent à d’autres modèles que le sien – bien qu’elle soit fortement sollicitée, principalement pour son aspect institutionnel et assistanciel, lié à ses possibilités d’enfermement et à son pouvoir de contenir la violence et l’agitation. La consultation dans ce secteur est par ailleurs rarement motivée par des désirs autres que celui de guérir ou de recouvrer le bien-être personnel perdu à la suite des multiples difficultés psychosociales. Une exploration de la psyché pour elle-même et en tant que telle est rarement conçue, et une imputation du symptôme à un inconscient qui se dévoile d’une façon masquée est inconcevable.

9Et de fait, la pratique psychiatrique, qui demeure embryonnaire et fortement biologisante, coexiste avec ce savoir et savoir-faire traditionnels, auxquels il est fait appel en priorité. En 1984, le psychiatre marocain Ziou Ziou affirmait que 99,9 % de ses patients ne le consultaient qu’après avoir épuisé les différents recours thérapeutiques dispensés par le champ de la pratique curative traditionnelle. Quelques années plus tard, en 1993, Ghita El Khayat évaluait, sur un ton amer et désabusé, à sept ou huit malades sur dix qui ont eu, ont ou auront recours aux thérapies traditionnelles. En Algérie, le psychiatre Farid Kacha affirme dans une étude réalisée en 1981 que sur cent patients hospitalisés (50 hommes et 50 femmes), 50 % des hommes et 80 % des femmes avaient recours à des thérapies traditionnelles d’inspiration magique. Et pour soutenir son idée selon laquelle ces thérapies ne cessent de se développer, il affirme qu’en 1990, on ne trouve guère de patient hospitalisé qui n’ait eu recours au thérapeute traditionnel soit directement soit par l’intermédiaire d’un membre de la famille. Dans les pays du Maghreb, conclura-t-il avec une pointe d’amertume, l’irrationnel y constitue la rationalité. Il veut dire pas là que, par rapport à un Occident où l’irrationnel est un mode mineur de penser et d’agir face à un rationnel dominant, l’irrationnel constitue dans nos pays le mode de fonctionnement par excellence [7]. Elargissant également le propos à tout le Maghreb, M. Boucebci pense de son côté que dans les pays maghrébins, encore largement de culture traditionnelle, la fréquence de l’adhésion et du recours à des pratiques traditionnelles de la part de nombreux patients de niveau socio-économique et d’origines sociales variés, cette fréquence demeure donc très importante [8].

La liberté de parole

10Un des apports fondamentaux de la psychanalyse est d’avoir érigé, d’une façon pleine et totale, la parole au statut d’outil incontournable de la clinique. Le principe de l’association libre, selon lequel le patient doit exprimer tout ce qui lui vient à l’esprit sans aucune discrimination, sans critique et sans censure, constitue en effet le moyen privilégié d’investigation de l’inconscient. Ce paradigme a infiltré toute la pratique psychiatrique et psychologique, qui a fait d’emblée le pari qu’il était fondamental de donner la parole à l’autre. Il y a clinique, pourrait-on dire, là où il y a de la parole qui se déploie.

11Il va sans dire qu’un tel procédé exige, pour qu’il puisse se dérouler, un contexte sécurisant. Parce que son exercice suppose qu’on accepte un certain type de parole, de liberté de parole, la psychanalyse ne peut s’incarner sans l’existence d’un État de droit et d’un environnement démocratique, et ne peut se développer dans un pays où règne la répression et la terreur subjective. Si l’acte psychanalytique consiste, suivant le principe de l’association libre, en la mise en acte de la liberté de la pensée, il faut qu’il y ait un État de droit qui garantisse un tant soit peu la possibilité pour un patient de tout dire, sans crainte que cette parole puisse être utilisée contre lui. La crainte de la répression, de surcroît quand elle se transmet sur des centaines d’années, finit, selon M. Safouan, par corrompre même la nature du mot, de la parole [9].

12À partir de ce constat de la nécessité d’un environnement garantissant le droit à la parole et à l’expression, force est de constater que le monde arabe contemporain est loin de réunir ces conditions. Qu’ils soient monarchiques ou républicains, les régimes y sont de nature totalitaire, qui n’autorisent de parole que celle du chef. Celle qui se voudrait dissonante et différenciée est susceptible d’être sévèrement réprimée. Ce genre de pouvoir despotique et absolu a été une constante dans l’histoire du monde arabo-musulman. La crainte de la répression qui lui y est inhérente a fini par forger un type de personnalité arabe qu’on pourrait, sans exagération, qualifier de personnalité paranoïaque, dont la méfiance, la suspicion, le chuchotement à l’énoncé de certains sujets et la parole allusive constituent quelques-uns des aspects. « Les murs ont des oreilles », entend-on souvent dire quand il faut signifier à son interlocuteur qu’il faut s’abstenir d’aborder dans cet endroit-ci tel ou tel sujet.

13Est-ce un tel climat qui a poussé plusieurs psychanalystes arabes à émigrer dans les pays occidentaux pour continuer à exercer. Toujours est-il que l’intrusion plus ou moins manifeste du pouvoir dans le libre jeu de la parole ne peut que compromettre l’exercice de la psychanalyse dans son droit au secret professionnel et sa liberté de penser. Sur le plan clinique, en effet, l’injonction de la terreur subjective et son lien avec la menace de castration font obstacle à la libre association.

14« Juive » aux yeux du nazisme, « bourgeoise » aux yeux du communisme, la psychanalyse a été interdite d’exercice par ces deux régimes totalitaires parce que supposée subversive. Est-ce pour cette présumée particularité que l’État tunisien a récemment refusé d’accorder la reconnaissance à une société psychanalytique qui a été créée. Ce qui est évident, c’est que le totalitarisme étatique s’allie avec celui de la religion pour énoncer un tel interdit. Le monde arabo-musulman n’a pas, c’est un fait, effectué la rupture entre la sphère du religieux et celle du politique. La formule consacrée est celle d’un islam qui serait din (religion), dounia (monde) et dawla (État), – que M. Arkoun pourfend par ailleurs, considérant que le slogan « DDD » est complètement erroné. Ce qui fait obstacle à la psychanalyse, selon F. Benslama, dans la structure du sujet traditionnel, c’est que ce dernier demeure assujetti à l’organisation théologico-politique dont la visée est l’adéquation entre l’identification humaine de l’individualité à Dieu et l’espace politique. Elle veut gouverner la psyché et la cité d’un seul mouvement. Or le sujet moderne auquel la psychanalyse s’adresse apparaît dans des sociétés où la séparation entre la communauté de naissance et la communauté politique a eu lieu, à travers une révolution civile relayée par un puissant appareil d’État [10].

15Les sociétés arabes ne sont donc pas affranchies de l’assujettissement religieux. Le discours religieux, lui aussi totalitaire, ne permet le développement d’aucune pensée qui échappe à sa maîtrise. Exigeant une soumission totale à sa propre référence, il n’accepte aucun discours hétérogène. Les autorités religieuses ont acquis un tel pouvoir qu’elles légifèrent sur tout et bannissent tout ce qui pourrait disconvenir à la lettre de la chari’a. Les idées qui pourraient constituer une menace pour les valeurs de la religion sont farouchement combattues. Les disciplines psychologiques, dont la psychanalyse, sont visées par cet opprobre parce que susceptibles de subvertir autant la pensée que les croyances religieuses. Il est arrivé souvent que des patients s’enquièrent de la compatibilité de l’investigation psychologique avec la doctrine religieuse, interpellés par ce qu’ils ont entendu ici ou là sur le risque que fait encourir la psychologie en détournant les gens de leur foi. Se plaindre auprès d’un psychologue est haram (illicite), disait une maman à sa fille pour la décourager de consulter. On se plaint uniquement à Dieu, lui assène-t-elle.

16Par le fait de son règne sur le royaume de sens, la religion vit effectivement toute autre interprétation du sens de la vie comme intrusive et hostile, car elle menace de remettre en question le fondement idéologique. À ce titre, la psychanalyse a souvent été présentée par le discours religieux et intellectuel ambiant, au même titre que le marxisme d’ailleurs, comme une « science juive et athée ». Interrogeant, ne serait-ce que verbalement, l’autorité de la Loi, elle commet le sacrilège de s’attaquer aux fondements même de l’attitude religieuse, qui est soumission à une règle transcendante.

Le tabou de la sexualité

17D’une façon générale, le refus de la psychanalyse est motivé par le péril qu’elle fait courir, en les questionnant, aux tabous (mouharramat), qu’ils soient religieux ou socioculturels. Parmi ces derniers, il faut accorder une place particulière à la sexualité, qui forme, avec la religion et la politique, ce qu’on pourrait incontestablement considérer comme étant les trois structures fondamentales de l’imaginaire arabo-musulman. De cette trilogie constituante, mais fortement censurée [11], la sexualité constitue le tabou majeur de la société arabe d’aujourd’hui. Alors que les deux premiers reçoivent encore quelques mises en perspectives, même maladroites et souvent crispées, la sexualité a subi, au niveau de sa formulation, une ablation mentale et une cessation d’intelligibilité. M. Chebel, qui a amplement travaillé sur cette question, écrit que le discours sur la sexualité (l’équivalent de ce que pourrait être la sexologie moderne, avec son pendant médical d’une part et psychopédagogique de l’autre), s’est tu, au Moyen Age, avec le dernier traité érotologique [12]. Paraphrasant Freud, il affirme que, plus que la femme en tant que partenaire sexuel, c’est la sexualité elle-même qui devient le « continent noir » de l’être arabo-musulman.

18En réalité, la sexualité est abondamment abordée dans la littérature religieuse. Aucun ouvrage de fiqh, aucun commentaire coranique, aucun traité de droit ou de morale n’omet de réserver une place de choix à la sexualité. A l’aune de cette littérature, il ressort que, théoriquement, le plaisir sexuel est extrêmement valorisé, l’épanouissement du croyant étant une valeur importante en Islam. Mais quoique apparemment fortement désirée, la sexualité arabe n’est pas encore épanouissante pour les individus. Il existe en effet un décalage patent entre la culture religieuse, a priori libérale – quoique obsessionnellement codifiante – à l’égard des formes les plus variées de la jouissance terrestre, et la réalité sociologique de l’homme et de la femme arabes. D’où viennent cette profonde misère sexuelle et cet état de frustration. Il vient, à notre sens, à la fois d’une contradiction de l’islam lui-même vis-à-vis de la sexualité, d’un conditionnement culturel et d’une série de tabous qui se révèlent fortement inhibiteurs. L’épanouissement sexuel prôné par l’islam atteint en effet ses limites parce que d’un côté, il concerne uniquement les hommes, la femme subissant plus que son compagnon la censure morale et psychologique, et de l’autre parce que la sexualité est fortement sacralisée et ritualisée, ne pouvant se déployer que dans le cadre prescrit par Dieu, à savoir le mariage, celui-ci étant la seule forme légale et admise du contrat sexuel et de la cohabitation. Dans ce domaine qu’est la sexualité, tout semble possible, mais uniquement en fonction de ce qu’en dit le Coran ou la Tradition.

19La sexualité des femmes est donc, comme dans toutes les sociétés patriarcales, sévèrement contrôlée, et le plaisir féminin est frappé de suspicion. Et c’est à la faveur de cette répression qu’intervient une série de conditionnement censée briser les pulsions et aboutir à la négation sexuelle de la femme, qui n’est en réalité que le pendant de sa négation sociale. Ainsi limitée, la sexualité est canalisée pour contribuer à l’ordre de la communauté vers des fins utiles, au premier rang desquelles se situe la reproduction. Un des conditionnements socioculturels le plus agissant à cet effet est celui de la hichma (la pudeur), qui évoque la retenue, la discrétion, la honte, le respect de l’autorité, l’effacement face au groupe, en somme, une aptitude presque immuable à accepter d’être un non-sujet de la société. La hichma (pendant social du haram religieux) est un sentiment discret qui règle la distance entre les générations au sein d’une même famille. Elle établit aussi un canon infranchissable entre les sexes. Conditionnement social par le biais des vertus morales, et de ce fait d’une précision redoutable, la hichma est la vertu cardinale de la femme musulmane bien-née [13]. Elle produit sur la femme le dénigrement de son corps : elle n’en est pas propriétaire, le cache, en nie certaines parties.

20Sur le terrain de la sexualité, la notion de pudeur est inséparable de celle de nudité, autre interdit massif, touchant particulièrement le corps de la femme. Le corps de la femme, parce que celle-ci est par essence « séduction », « diversion », « transgression » (fitna), parce qu’elle est devenue, suite à cela, le tabou principal de la civilisation arabo-musulmane, est touché dans son entièreté par cet interdit. La légitimité du voile féminin s’est construite sur cet interdit, et sur l’horreur de la transgression que suscite la nudité féminine : il fallait la couvrir pour éviter qu’elle indispose l’homme en suscitant chez lui de trop grands désirs.

21Cette discrimination sexuelle a été maintenue de façon rigoureuse à travers les siècles pour empêcher l’effritement des valeurs patriarcales et pour maintenir la domination masculine. A la longue, la femme a intériorisé le statut inférieur qui lui est dévolu et la place à laquelle elle a été assignée, de sorte qu’elle participe même à leur perpétuation à travers la transmission qu’elle en fait auprès de ses enfants. Paradoxe de la société patriarcale qui s’appuie sur la hichma : si les hommes en formulent les lois, ce sont pourtant les femmes, premières victimes, qui les transmettent, les inculquent et plus encore, les sauvegardent.

22Comment, à partir de ce constat d’une sexualité tabouisée et cadenassée par un ensemble de règles morales fort contraignantes, peut-on concevoir la possibilité d’une clinique psychanalytique. Concernant plus particulièrement la femme, M. Chamoun se demande comment peut-elle entreprendre une démarche thérapeutique de plein gré, sans raser les murs pour venir à ses séances et sans ruser pour faire admettre, par un partenaire « machique », l’existence d’un espace personnel où elle pourra tout dire pour comprendre, entre autres, ce qui entrave les chemins de ses désirs [14]. La difficulté paraît d’autant plus insurmontable lorsqu’on se rappelle la place de la sexualité dans la théorie psychanalytique. Freud n’a-t-il pas fait de la culpabilité sexuelle l’axe de l’interprétation de toutes les conduites névrotiques. Plus encore, n’a-t-il pas considéré que c’est la sexualité qui livre le secret, l’ultime vérité de l’être ; et que c’est elle qui permet de comprendre le fonctionnement social, politique et religieux des groupes humains. Du reste, la critique et le refus de la psychanalyse, parfois même parmi ses adeptes, ont souvent été motivés par cette place, qualifiée d’outrancière, accordée à la sexualité dans sa compréhension des phénomènes humains.

Le sujet de la psychanalyse et de l’Islam

23De la femme en tant que sujet oblitéré, passons à la question du sujet tout court. Cette notion du sujet, avec ses différentes déclinaisons que sont le « je », le « moi », l’individu, la personne, est centrale dans la théorie psychanalytique. C’est à l’interprétation psychologique de ce type que la psychanalyse s’est effectivement appliquée, en proposant en somme une connaissance de l’homme fondée sur une archéologie du sujet. En mettant l’accent sur la remémoration historique et en exigeant la parole à la première personne, elle amène le sujet à se chercher et à se manifester dans le disparate de ses fonctions et de ses expressions. Cette démarche herméneutique d’un sujet qui se laisse ainsi pertinemment investiguer suppose un minimum de congruence entre le sujet en tant que fait culturel établi et les outils techniques. Ce que relève justement A. Vergote en écrivant à ce propos que « […] tout cela la psychanalyse ne l’observe que dans un certain groupe d’individus qui appartiennent à une certaine civilisation et qui apportent donc à l’expérience analytique des formations psychiques conditionnées par leur civilisation. Ce n’est pas un hasard culturel que la psychanalyse soit née dans l’époque présente de la civilisation occidentale, et il serait abusif de transposer sans plus sur d’autres cultures ou d’autres époques les formulations théoriques de la psychanalyse concernant le sujet. Le conditionnement culturel de la psychanalyse pose la question de la signification dernière de ses énoncés théoriques sur le sujet » [15]. Ailleurs, l’auteur affirme que la psychanalyse suppose l’avènement d’un certain type d’homme, celui dont la subjectivité se définit par son pouvoir d’être l’actant de sa propre histoire [16].

24Le sujet auquel s’adresse la psychanalyse est effectivement un sujet déterminé par un contexte culturel particulier, dont la construction en tant que telle s’est basée sur une série de valeurs et de conduites elles aussi spécifiques. Il convient de mentionner à ce propos l’excellent essai d’Evelyne Pewzner, L’homme coupable, dont la thèse centrale, celle d’une impossibilité à envisager le trouble mental indépendamment du mythique et du religieux, lui a permis à un moment de son argumentation de nous montrer quelles sont les conditions culturelles qui ont permis la naissance de la psychanalyse en Occident, et à quel point ces facteurs sont ceux-là mêmes qui ont permis l’éclosion de la notion d’individu et de subjectivité [17]. Il en va autrement dans les autres perspectives culturelles, où la conception du statut accordé au sujet diffère profondément. Les études anthropologiques sont à cet égard nombreuses et édifiantes.

25Si on part de l’hypothèse que la finalité de la démarche psychanalytique est de libérer le sujet de toute autre attache que son propre vouloir, quel pourrait être son ancrage dans une culture qui ne prévoit pas un tel détachement. Parlant de la culture arabo-musulmane, Jean-Michel Hirt écrit ceci : « Chez un maghrébin, son appartenance de naissance à la communauté des croyants, la umma, constitue le socle de sa définition comme sujet. L’Islam constitue à la fois la religion et l’univers symbolique structurant du sujet. Les règles et les pratiques rituelles de la religion musulmane sont liées à la position du sujet en islam, quelle que soit par la suite la pratique religieuse ou son absence [18]. »

26Le sujet, ou l’individu, n’a pas pu, c’est le moins que l’on puisse dire en effet, s’élaborer dans la société arabo-musulmane. En analysant cette notion dans ses rapports avec la religion musulmane, M. Chebel parle d’une vacance du sujet en islam. Si distance il y a, explique-t-il, entre la culture occidentale et la tradition de l’islam, elle tient sans aucun doute à cette question du sujet. Au terme d’un long processus historique et politique, l’Occident a placé ce concept au centre de sa vision du monde. La genèse de l’individu a pu enfin s’inscrire dans un espace social et politique libéré de la mythologie d’un Dieu omnipotent et vengeur. Aussi bien le christianisme, que M. Gauchet qualifie comme étant la religion de la sortie de la religion, que le siècle des lumières, qui a mis en exergue la légitimité de la Nature comme objet de science, équation au sein de laquelle l’interrogation de l’homme sur lui-même, indépendamment du système théologique en vigueur, est devenue totalement plausible ; aussi bien, disons-nous, le christianisme que le siècle des lumières ont débouché sur l’émergence du sujet. À la première dimension, Pewzner consacre un chapitre très fouillé dans lequel elle explore plusieurs voies, qui lui font dire, entre autres, que « l’individualisation et l’intériorité qui caractérisent la personne occidentale ont connu un progrès sans précédent avec l’avènement et le développement du christianisme [19] ». L’origine véritable du sujet dans le contexte occidental, affirme-t-elle avec force, est d’essence religieuse.

27En revanche, nulle fabrication du sujet en islam, qui, toujours selon les propos de M. Chebel, reste imperméable à ce type d’interrogations, le sujet étant frappé d’un manque à être qui l’empêche de se définir comme sujet de sa propre pensée. Il ne s’agit pas seulement du sujet psychologique, le je, le moi, l’identité, l’intériorité, mais également du sujet social, celui qui pose les termes de la contradiction, et qui, ce faisant, décide de s’opposer à un ordre qui lui préexiste ou de le transcender. Ce sujet là, tel qu’on le connaît aujourd’hui, explique M. Chebel, n’existe dans l’univers arabe que sous la forme d’un potentiel qui n’a pas encore révélé son étendue [20]. L’auteur arrive à la conclusion que la notion du sujet implique, aux yeux de l’islam, celle de la croyance. Il ne peut être question de sujet, ni de son autonomie, si celui-ci n’a pas d’abord et avant tout revêtu l’identité du croyant. En guise de définition, il forge le concept « être-de-croyance », qu’il oppose à « être-de-conscience », dont la foi n’exclut pas une dose de réflexion et d’interactivité personnelle [21]. Dans la religion musulmane, ce dernier ne peut exister sans son fondement qu’est l’être-de-croyance. Celui-ci est caractérisé par le privilège qu’il accorde à une foi étayée par une pratique qu’il met au-dessus de tout autre considération. La vénération de Dieu passe chez lui par un engagement sincère au profit de l’institution religieuse. Son être est tout entier animé par le désir ardent de s’identifier au seul sujet qui soit, à savoir Dieu. Cela suppose un anéantissement de soi, qu’encourage sans cesse la chari’a et la mystique, qui livrent un combat sans merci à l’ego, souvent identifié comme le tout premier empêchement à la connaissance véritable de Dieu. Les trois quarts des travaux d’exégèse musulmane, mais également une grande partie de la philosophie arabo-musulmane classique, s’emploient d’ailleurs à argumenter dans le sens de l’éternité et de la supériorité de l’essence (divine) sur l’existence (humaine). L’essence est Dieu, dont chaque être parmi nous n’est qu’une partie infime et contingente [22]. Selon de tels énoncés, on peut percevoir que la question du sujet en islam est entièrement conditionnée par la question de Dieu. S’affirmer soi-même, dit Al-Hallaj, c’est s’associer implicitement à Dieu. Tout-puissant et absolu, Dieu est, en tant que tel, véritable limite qui barre la promotion de l’homme et sa prise de conscience en tant que sujet, car face à Lui nul ne peut se sentir véritablement responsable de soi. Si individualité il y a en islam, ce que tend à penser F. Benslama en se référant à quelques travaux philosophiques, elle ne peut qu’être essentiellement gouvernée par l’identification à Dieu [23].

28Cette vacance du sujet, cette subordination de l’être créé à son créateur, le premier passant largement après le deuxième, a des suites multiples tant au niveau du vocabulaire que de la réalité socio-anthropologique, et dont nous saisissons parfois les effets dans la clinique. Une des conséquences, et non des moindres, de cette impossibilité à se percevoir comme sujet, est cette précaution langagière, qui frise la phobie, dont doit s’entourer le musulman : « Que Dieu nous protège du mot “je” ! », s’exclame-t-il quand il parle de lui-même à la première personne du singulier. Il se pourrait même que se soit un de ses interlocuteurs qui le reprenne en récitant cette phrase de délivrance, qui revient comme un leitmotiv. On ne peut s’empêcher, face à cette auto-occultation, de se demander comment un individu peut-il construire son moi sans jamais dire, ou alors avec parcimonie, “je” (âna).

29Quand il s’enquiert du prénom de quelqu’un, le croyant emploie souvent cette formule kifach çamak allah (comment Dieu t’a nommé). C’est que la nomination, premier acte supposé singulariser l’individu, est une entreprise marquée d’emblée par cette volonté de signifier au sujet son éternelle subordination à son créateur. Que se soient par les prénoms eux-mêmes (tous ceux qui portent ‘Abd… ; qui signifie « esclave » de Dieu), par les rituels (l’adhan « l’appel à la prière » que l’on murmure dans son oreille droite ; la prononciation rituelle par le père du prénom retenu dans l’oreille de l’enfant sous cette formule : « Au nom du Dieu, tu t’appelles tel »), la volonté est très affichée de signifier au sujet qu’il est avant tout sujet dépendant. D’ailleurs, la culture arabo-musulmane stipule que dans l’avènement de l’engendrement, la volonté divine prime et prévaut sur les désirs et les actes des géniteurs. A Dieu seul revient la capacité de donner un enfant, d’en priver la famille ou le reprendre. La naissance d’un enfant est essentiellement un don de Dieu à la communauté en général et au groupe domestique en particulier par l’intermédiaire du couple parental géniteur.

30Un des moments clés de l’individuation du sujet en Occident est constitué par la formule de Socrate, érigée en mot d’ordre à la gloire de l’introspection : « Connais-toi toi-même ». Cette descente découvrante dans la sphère intérieure – qui renvoie à un sujet se révélant à travers une identité distincte de sa fusion mythologique à Dieu – n’est pas du goût de la théologie islamique, qui impose au sujet de reconnaître Dieu comme étant la seule source de sa propre existence. Celui qui se connaît (soi-même), dit le prophète, connaît son Seigneur. Avicenne (980-1037), philosophe musulman, tout en estimant que la perception, l’existence de l’âme (an-nafs) est un fait qui relève de l’évidence, que la plus claire perception est la perception de l’homme à lui-même, rattache « la connaissance de l’âme humaine à la connaissance de Dieu ».

31Si le croyant musulman n’a pas à sonder ses profondeurs pour y chercher un sens à son destin, c’est pour la simple raison que celui-ci est déterminé, régi de toute éternité, indépendamment de la contribution du sujet lui-même, qui, fort de cette obédience à la volonté divine, arguera que c’était écrit, mektoub. Cette notion occupe une place centrale en islam. Elle est considérée comme un des piliers de la foi. Tout se joue par rapport à cet « écrit sur le front ». Quels que soient les événements qui le concernent, bons ou mauvais, le sujet les attribuera à Dieu. Le terme du musulman (muslim) désigne du reste étymologiquement celui qui se soumet, celui de lâcher prise et de s’en remettre à la volonté de Dieu (tawakkul). La figure d’Abraham incarne cette capacité d’abandon confiant à Dieu. L’individu qui résisterait à cette dépossession de son moi narcissique se laisserait aller à l’un de ses penchants les plus condamnables aux yeux de l’islam, l’orgueil (takabour). Ce fantasme de toute puissance, qui ferait croire à la créature qu’elle est l’égale du créateur (alors qu’elle lui est subordonnée), est considéré en effet comme la part obscure de chaque être humain en tant qu’il peut empêcher l’individu de se soumettre à Dieu. L’acceptation du destin, l’interprétation de toutes les expériences de la vie comme une épreuve divine et la considération de la mort comme étant inéluctable et possible à n’importe quel âge, sont alors autant de paramètres qui rendent toutes les douleurs supportables et prévues et diminue l’intensité de tous les phénomènes de séparation, de deuil et de manques…. El mouminou moussab (le croyant est atteint), formule souvent invoquée et qui signifie que du simple fait de son statut de croyant musulman, il est en quelque sorte offert à l’épreuve, à l’expiation, à la maladie et à l’expérience douloureuse. Quelle place peut avoir la psychanalyse, dont l’objectif est de permettre à l’individu de se découvrir en tant que « sujet » pensant, raisonnant, s’exprimant et agissant librement, lorsque nous vivons dans un moule socio-culturel marqué par l’importance de la fatalité et le poids du destin que nous sommes appelés à subir ?

32L’identification à Dieu, nous disions plus haut, est si pesante que le croyant peut rarement utiliser le prénom personnel, l’ego de la première personne du singulier ou le âna, sans se méjuger devant les siens. Ce je inaccessible, dont le caractère impossible est érigé pour qu’il ne contrevienne pas aux prédicats de l’Unicité divine, est également, ceci expliquant cela, caractérisé par une imperméabilité au doute. Le doute (chakk) est redouté pour la possibilité de destruction qu’il fait encourir à la religion et ses fondements. De sorte que son insinuation dans le cœur des hommes ne peut qu’être d’origine extérieure : l’agent du doute, la puissance tentatrice (al-waswass), c’est chaytan (démon), contre lequel est imploré la protection divine : « Dis : Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes, souverain des hommes, Dieu des hommes, contre le mal du mauvais conseilleur, le furtif, celui-là qui souffle le conseil dans les poitrines des hommes, qu’il soit des djinns, ou des humains » (Coran, 114). Certes, la question du doute a été abondamment abordée et soutenue par quelques écoles philosophiques, les Mu’tazila et Les frères de la pureté, mais ils n’ont pas été suivis par le reste de la communauté.

33Et ce à dire que l’islam est demeuré imperméable aux interrogations autour de la psyché ? Que du contraire ! An-nafs (la psyché, l’âme) a fait l’objet de multiples investigations par les philosophes de l’âge d’or de la civilisation arabe, qui n’ont cessé de s’interroger sur l’essence de ce concept et sur la définition qu’on peut lui attribuer. La majorité de ces philosophes s’est référée aux travaux de Platon et d’Aristote, sans parvenir à dissiper le malentendu et l’obscurantisme qui les entourent. En réalité, cette psychologie d’inspiration aristotélicienne est demeurée conforme aux dogmes religieux et n’a aucunement constitué une menace pour l’ordre cognitif établi. Quant à l’islam traditionnel, il préconise, selon une conception multiple de l’âme, de n’accorder de l’importance qu’à celle, d’origine divine, qui suscite en l’homme le désir de rejoindre l’harmonie avec le divin. L’autre âme, la charnelle, animée par la réalisation des desseins égoïstes et passionnels, est à dépasser. Il faut s’occuper de l’âme apaisée, rassurée (an-nafs al-moutmaïna), nous a suggérés un jour une patiente, verset coranique à l’appui. Il existe même une revue, portant le titre du Journal de la paix psychique, publié par l’association islamique internationale de la santé mentale. Si tel est le cas, comment faire la part des choses, s’interroge A. Houbballah, entre le savoir divin et le savoir de l’inconscient, tant qu’an-nafs n’a pas été subjectivée, laïcisée [24] ?

34Et pour clore ce long périple à travers la problématique du sujet, arrêtons-nous sur un autre aspect, celui de la langue arabe, dont la structure a des incidences directes sur la conscience que celui-ci se fait de lui-même. La structure de la langue arabe se distingue par l’absence de verbe « être », de sorte que l’individu arabe éprouve une difficulté pour traduire l’idée d’« être ». Ce verbe est remplacé par un autre, « kana », qui bien qu’exprimant l’idée d’existence et correspondrait pratiquement au verbe « être », est cependant de sens assez différent, signifiant advenir, avoir lieu, au moins autant exister, avoir été. Cette absence rend difficile la traduction fidèle du cogito cartésien : « je pense donc je suis ». En arabe, cela donnerait quelque chose comme : « je pense, donc j’étais ».

Le vécu de la culpabilité

35Dans son ouvrage déjà cité, Pewzner explique que dans la culture occidentale, la notion de culpabilité est première (originaire) et permet de comprendre l’essentiel de la psychologie individuelle et de la dynamique interpersonnelle (relations familiales et sociales). Elle souligne à cet égard la pertinence de la théorie psychanalytique qui propose comme axe central d’interprétation du trouble mental (et plus généralement de la genèse et du fonctionnement de la personnalité) la culpabilité œdipienne. Elle lui conteste par contre cette pertinence quand elle prétend s’appliquer dans des contextes où la culpabilité individuelle ne constitue pas le ressort essentiel du fonctionnement de la personnalité. Entre autres éléments qui autorisent l’auteur à énoncer une telle limite, est que la culpabilité n’est pas œdipienne, comme le soutient la psychanalyse, mais ontologique et enracinée dans une théologie du péché. La singulière fortune, écrit-elle « qu’à connue dans notre culture occidentale contemporaine le “complexe d’Œdipe” pourrait dans une large mesure être liée au fait qu’une relation analogique unit la culpabilité œdipienne et la culpabilité chrétienne » [25]. La valeur de la pensée freudienne réside donc moins dans ses prétentions scientifiques que dans sa filiation naturelle avec toute une tradition (Schopenhauer, Kierkegaard, Nietzsche) qui situe le péché au cœur du problème du mal. D’une certaine manière, la psychanalyse peut être considérée comme la version laïcisée de la tradition judéo-chrétienne dont elle prétend s’émanciper.

36Si l’on fait nôtre cette vision de Pewzner, selon laquelle le problème de la culpabilité est un thème commun à la psychanalyse et à l’existence chrétienne [26] ; et si on s’accorde avec elle sur le fait que la question de la culpabilité – que le schéma freudien pose comme étant au centre du fonctionnement psychique et incontournable – nous amène immanquablement à s’intéresser à la tradition chrétienne dans laquelle se déploie la problématique du péché originel et s’affirme le caractère ontologique de la culpabilité [27], il a y lieu de s’arrêter sur la doctrine musulmane pour repérer quelle place, si place il y a, réserve-t-elle à ce thème. Selon M. Chebel, la culpabilité qui semble caractériser la culture chrétienne est remplacée en islam par une culture de la soumission active et de l’impassibilité face à la puissance divine [28]. En rappelant l’absence du sujet en islam, il avance l’idée selon laquelle cette absence s’explique par la place fort limitée qui lui est réservée dans le dispositif d’évaluation, réduite à l’antinomie suivante : d’un côté le châtiment, de l’autre la rétribution, sans que sa part de responsabilité soit définie avec la force et la précision voulues [29]. La bonté de Dieu, sa mansuétude et son pardon, qui traversent l’ensemble du Coran, sont conditionnés à l’obéissance et à la vénération du fidèle. Étant ainsi une religion de la récompense (5000 des 6219 versets du Coran évoquent la question de la récompense), toutes les sanctions liées aux délits mineurs ou majeurs commis par le croyant sont renvoyés à plus tard. Le système du confessionnal, de la contrition, censé laver le croyant de ses péchés au fur et à mesure de leur déroulement, n’existe pas, puisque c’est globalement que le musulman va être évalué, au moment du décompte final qui aura lieu lors du Jugement dernier.

37Cela n’empêche cependant pas le fidèle, s’il le désire, d’abolir lui-même les péchés dont il est affecté en effectuant, selon le procédé de la réparation rituelle, l’un ou l’autre rituel. L’islam propose en effet différentes « techniques » qui sont en fait des rituels de rachat, notamment la prière et le pèlerinage, celui-ci étant à ce propos très avantageux parce que tel un « grand pardon », il procure la remise de tous les péchés. Du reste, la notion du péché, bien que souvent employée dans les traductions des textes fondateurs de l’islam, n’est pas adéquate. Il semble plus adapté de parler de faute. D’une part, parce que la notion du péché originel en islam n’existe pas (Adam a péché, mais l’homme n’a pas été, par cette transgression, coupé de la communion avec Allah), d’autre part parce que le péché est plutôt associé à une vision morale du religieux où l’individu porte la culpabilité de l’action commise (la faute voit sa part réduite à la faute agie : ne pas avoir fait sa prière, avoir consommé de l’alcool…). Or en Islam, c’est surtout la notion de responsabilité qui est importante : chacun étant responsable de ses actes, personne n’a à porter dans sa vie les fautes des autres. Chaque individu joue son propre sort sans culpabilité préexistante. Mais peut-on parler de responsabilité après tous ce que nous venons de dire sur la position tellement effacée du sujet devant son Dieu ? En réalité, la responsabilité, maintes fois soulignée, est exercée dans le cadre de la soumission et de l’acceptation du verdict divin. Les philosophes qui ont voulu revoir cette notion dans le sens de son élargissement ont eu un impact très réduit sur l’ouverture libérale de la doctrine et non pas été suivi par la communauté. Partant du raisonnement de l’auteur de « l’homme coupable », selon lequel la probabilité est grande que l’homme occidental, se tenant pour responsable de l’avènement du mal dans la création, se juge personnellement voire ontologiquement, coupable, on peut déduire que la notion de faute joue un rôle cardinal dans la pathologie mentale en Occident. Est-ce à dire que la culpabilité n’est au fond qu’un « sentiment culturel » au même titre que celui de la persécution, prédominant lui dans les autres cultures ? Et si on poussait ce raisonnement jusqu’à son aboutissement, cela voudrait-il dire que la psychanalyse, du fait de son dû à la notion de culpabilité, qui en est le noyau dur, l’axiome [30], est incompatible avec un Islam qui structure ses sujets autour des thèmes de la faute, du mal, du péché, de la culpabilité, d’une façon totalement différente ?

38Le domaine de la culpabilité n’est pas circonscris au seul patrimoine religieux. Polysémique, cette notion renvoie en effet à d’autres domaines. Elle peut concerner la morale et la science des mœurs, la conscience intime du bien et du mal, etc. Et il va de soi que la pratique psychiatrique rencontre très souvent divers aspects de l’expérience vécue de la culpabilité. Le clinicien recourt habituellement à cette notion dans deux grandes classes de pathologies, la névrose obsessionnelle et la mélancolie, retenues justement par Pewzner comme étant propres au contexte occidental et n’ayant pas d’équivalent dans d’autres univers culturels. De fait, les études des anthropologues et des psychiatres travaillant en milieu non occidental tendent à nous convaincre que le sentiment de culpabilité n’est pas inéluctable. Il n’est pas utile, pour notre propos, de se lancer dans une revue des auteurs ayant illustré cette réalité. Rappelons seulement l’accent qu’ils ont mis sur l’importance de la dynamique de la honte et de la persécution dans nombre de cultures non-occidentales, à l’instar de la distinction qui a été introduite par Ruth Benedict à propos du Japon, et qui a été reprise notamment par E.R. Dodds à propos des Grecs, en opposant aux civilisations marquées par la culpabilité (guilt cultures) les cultures dans lesquelles la transgression n’entraîne d’autre état psychique qu’un certain sentiment de honte devant autrui (shame cultures). La faute n’est alors qu’une atteinte aux exigences objectives du conformisme social, mais sans charger d’aucun poids moral le for intérieur de la conscience. Toujours à titre d’exemple, et concernant le Maghreb cette fois, les auteurs constatent une présence massive des thèmes de persécution, qui contraste avec l’extrême rareté des thèmes de culpabilité verbalisée, d’indignée et des idées d’auto-accusation [31]. Ils s’accordent à dire que les sentiments de culpabilité sont absents dans la majorité des dépressions mélancoliques, et que dans le cas où ils seraient exprimés, ils sont en grande partie conscients et surtout qu’ils sont liés à la censure du groupe social ou familial et non à une instance interne. Autrement dit, c’est une culpabilité orientée vers les droits et les devoirs envers autrui. Le recours non seulement habituel mais aussi parfaitement normal au mécanisme de projection et à l’idée de persécution fait naturellement obstacle à l’intériorisation et à l’assomption personnelle de la culpabilité, celle-ci, dès lors, ne pouvant se constituer comme telle.

Le fait communautaire

39Ce dernier constat nous conduit à faire un retour en arrière, sur les raisons de l’absence du sujet en islam. Celle que nous voudrions dérouler ici se rapporte à la communauté (Ummah), au nom de laquelle la constitution d’un sujet autonome a été ajournée. Il n’y a pas de sujet au sens moderne du terme, explique toujours M. Chebel, parce qu’il est écartelé entre trois entités abstraites ou sanctifiées, Allah, le prophète et la Ummah[32]. La communauté est en effet le seul modèle qui a en permanence servi à penser la pluralité sociale, qui a fait que l’identité du musulman comme sujet ne peut exister pour elle-même, mais seulement au sein de cette Ummah amniotique et chaleureuse. L’islam se veut en effet une religion de « vivre ensemble », une religion qui organise son dogme et ses rites de sorte que tout se pratique en commun. Lorsqu’il ne s’adresse pas au prophète, le discours coranique interpelle les gens au pluriel « Ô gens », « Ô croyants », « Ô musulmans », c’est-à-dire en tant que bloc. Ce phénomène de fusion du sujet dans le collectif empêche l’émergence de la sphère privée (dont le pivot est l’individu singulier avec ses exigences en matière d’intimité et d’expression personnel) et exclut la mise à l’écart et le vœu de chasteté (le célibat est mal vu ; le vœu du silence est proscrit). La dimension globalisante de la Ummah a pour effet de jeter la suspicion sur le choix personnel, de sorte que toute aspiration visant à instaurer une vie privée est frappée d’interdit. Fondée sur une « idéologie du frère », la Ummah, concept qui passe avant l’individu, fonctionne comme une instance normative d’intégration et d’uniformisation de la collectivité croyante. L’exemple primordial de la prédominance de la Ummah se révèle à la mosquée, chaque vendredi, qui est la journée sainte pour les musulmans. C’est le jour où ils se réunissent à la mosquée jamï’ (en arabe) ce qui signifie simplement « le lieu de rassemblement ». Ensuite, en deuxième exemple de la puissance de la communauté, une communauté constitutive et presque exclusive, il existe le pèlerinage à la Mecque où tous les musulmans de la planète se réunissent en un temps donné.

40Ce phénomène de communauté, que nous avons ici considéré dans sa dimension religieuse, est une réalité plus complexe, pouvant être abordée sous d’autres angles, qui renvoient tous à la primauté du groupe, mais sous des formes autres (claniques, familiales). Historiquement imbriqués, ces différents niveaux ont façonné la réalité sociologique du monde arabo-musulman, qui est celle de la prédominance du groupe sur l’individu. Dans le monde arabo-musulman, écrit A. Houbballah, ce n’est pas le Je, mais le Nous communautaire qui fonctionne, au point que le sujet arabo-musulman aurait du mal à tracer une frontière nette entre l’intérêt du « Je » et l’intérêt communautaire. Le monde psychologique arabo-musulman n’est pas centré sur l’ego, mais sur le concept communautaire. Il est appelé à s’identifier à cette communauté, que ce soit dans la convergence de ses intérêts ou dans le concept idéologique de son être [33]. Ce que tend également à confirmer Ali Za’your, à travers son analyse de la famille patriarcale dans la société arabe, qui envisage le problème du point de vue de la production de la personnalité. Sa thèse centrale est axée sur la « déperdition » de l’individu au sein de la famille, dominée par le père, et de la société, comme sur le refus par les deux d’un possible « accomplissement de soi-même » [34].

41Cette réalité ne peut que façonner la subjectivité des individus, gouvernés par le souci de bien faire, de se conduire comme le veut la morale commune, de se soucier du « qu’en dira-t-on », d’avoir peur du regard d’autrui, d’opter pour le paraître au lieu de l’authentique, et de refouler tout désir qui tendrait à l’émancipation pour ne pas porter atteinte à la réputation de la famille et de la tribu. Elle a également des répercussions sur les modes éducatifs, établis dans le but implacable de fabriquer un enfant obéissant, soumis, subordonné à ceux qui sont au-dessus de lui. Les cliniciens, qui ont traité des patients appartenant à d’autres cultures, fonctionnant sur ce type de modèle, ont été amenés à revoir leurs références habituelles, à sortir des limites de leur cadre théorique, implicitement tenu jusqu’alors pour universel. A. Rolad, psychiatre américain ayant une longue pratique clinique auprès de patients indiens et japonais, part du constat d’une opposition entre l’individu occidental, centré sur lui-même, et l’individu oriental, immergé dans le groupe familial et social, pour conclure qu’il s’avérerait problématique voire contestable d’appliquer le modèle psychanalytique à des contextes non occidentaux. L’approche de réalités cliniques étrangères à l’univers occidental de sens n’est possible, affirme-t-il, qu’en « désoccidentalisant » (dans le sens d’une décentration) le contenu des modèles utilisés [35].

42Dans son livre Les révolutions de l’inconscient, C. Clément écrit que près de la moitié du monde se passe de la notion occidentale d’individu, dont la valeur d’autonomie contrarie celle qui prévaut ailleurs, la solidarité. Dans ce système de valeurs, l’individu est si peu apprécié qu’un psychanalyste indien, Susdhir Kakar, a inventé un nouveau concept, le « dividu », pour désigner la psyché indienne, et qui seraient le contraire de l’individu. Le dividu serait la valeur collective, professée au détriment des valeurs du moi [36]. Qui serait, alors, se demande-t-elle, les clients d’un psychanalyste établi à New Delhi ? Une poignée d’individus, issue d’élites qui ont fait des études à l’étranger et fréquenté l’individualité occidentale, répond-elle, un brin moqueur. D’où la stagnation de la psychanalyse dans un pays qui a vu naître, en 1922, l’une des premières sociétés de psychanalyse au monde.

43La famille est l’instance par excellence dans laquelle se cultive, se perpétue et se matérialise les valeurs groupales. Concernant le monde arabo-musulman, on peut soutenir que El ‘ayla (la famille), qui n’est pas réductible à la famille nucléaire de type occidental, affecte, par son poids écrasant, l’émergence de l’individu. D’abord parce qu’elle est élargie, ensuite parce qu’elle comporte une dimension affective et sacrée. C’est une famille de type patriarcale, agnatique, élargi et indivis, dont les rôles et les statuts sont fortement codifiés. Cette structure a des effets, nous l’avons furtivement évoqué, sur les modes de socialisation de l’enfant. Élevé par plusieurs personnes, il dispose de plusieurs images et objets qui interviennent au niveau de son développement. Sur base de ses observations relatives à la place et à la socialisation de l’enfant en Afrique Noire, C. Clément estime que les théories de l’élaboration psychique enfantine y sont à repenser en totalité. La famille élargie, qui garde une consistance d’une rare densité et d’une large extension, constitue selon elle une forteresse qui barre la route à l’inconscient [37], voulant dire par-là que la structuration d’une personnalité authentiquement « personnelle » y est sérieusement entravée, ce qui, en définitive, signifie que l’appareil psychique, tel que le conçoit la théorie psychanalytique, est à réviser.

L’inconscient, inconnu au bataillon

44Selon l’auteur, il est tout à fait plausible d’établir une frontière entre l’Occident (riche), qui valide l’idée d’inconscient, et le reste du monde (pauvre), où cette même idée est invalide. Si l’existence de l’inconscient est ignorée par la moitié du monde, est-ce pour autant qu’il ne se manifeste pas, sous des formes diverses. La quête de l’inconscient, écrit-elle, ne peut se limiter à la pratique et à la théorie freudiennes. Avant et après Freud, les aventures de l’inconscient prirent d’innombrables formes. La transe, la mystique, la possession, la sorcellerie (etc.), sont autant de voies empruntées par les patients, les guérisseurs, les tradipraticiens et les fidèles pour réorganiser la vie psychique et impulser une transformation organique. Dans ces pays, soutient-elle, le commerce de la santé se partage entre les médicaments et la thérapie des esprits. Est-ce le même constat, celui d’une relativité évidente, qui conduit Pewzner à rejeter la thèse de l’universalité de la structure humaine telle qu’elle s’exprime, par exemple, chez Géza Roheim quand il affirme que « l’inconscient est le même pour toutes les cultures » ? Toujours est-il que pour elle, le langage, par lequel l’inconscient se dévoile, porte l’empreinte indélébile de la culture. L’important devient dès lors de savoir selon quels grands axes symboliques et mythiques se structurent à la fois l’inconscient et le langage [38].

45Encore faut-il que la parole soit la seule voie pour que l’inconscient se révèle. Nous venons justement de soutenir qu’il en existe d’autres. Les thérapies traditionnelles invitent le malade à une parole certes, mais aussi à un rituel, à une transe, à un pèlerinage, etc., la guérison ne représentant qu’un élément d’une symbolique globale. Une technique thérapeutique qui se suffirait de la seule parole, introspective de surcroît et du seul ressort de patient, paraîtrait dès lors incongrue. D. Sibony relate dans un de ses écrits un échange entre un psychanalyste et son patient, tous les deux d’origine maghrébine, qui illustre à merveille ce fossé qui sépare la conception de l’un et de l’autre sur le statut de la parole dans un processus thérapeutique. Quand le psychanalyste mit un terme à la séance, le patient l’interpelle avec cette question fatidique: et quoi, vous ne donnez rien. Vous soignez avec quoi alors ? Le psychanalyste lui répond: avec les paroles. Avec les paroles, s’étonne l’autre, mais vous ne m’avez rien dit. Le psychanalyste allait lui répondre : c’est avec tes paroles que je peux te soigner, mais il se retient, car une fois déjà, il avait formulé cette réponse à un précédent patient, et celui-ci d’exploser : mais si je pouvais me soigner avec mes mots je serais déjà guéri. Le psychanalyste avait dit: non, c’est parce que tu me le dis que tu peux guérir. A bon, répondit l’autre, mais qui est-tu toi [39] ? M. Chamoun, faisant le même constat, explique à ce propos que le patient auquel il a affaire est un patient qui a souvent du mal à comprendre que sa parole, porteuse de sens à travers son symptôme et sa souffrance, est prioritaire et que la parole du thérapeute ne peut que s’y articuler pour aiguiller sa quête intérieure. Un travail clinique qui ne comporterait pas un fond de soutien, d’influence, de suggestion ou de directivité est aux yeux de ce patient inopérant, voire inutile [40].

46Autre voie d’accès à l’inconscient est constituée par le rêve, que la psychanalyse considère comme une production de l’inconscient du dormeur. Le rêveur se livrerait, dans le secret de sa vie intérieure, à une séance de cinéma dont il serait à la fois l’auteur, l’acteur et le spectateur. Freud y vit une "voie royale" d’accès à l’inconscient du sujet. Mais le rêve peut aussi être considéré bien différemment dans d’autres contextes : message de l’au-delà, voyage dans un autre monde, combat avec des créatures surnaturelles ou bien des morts… Dans un autre écrit, nous avons étudié les fonctions du rêve dans la culture maghrébine, et démontré que la logique qui le traverse, qui est de l’ordre de la prémonition, est différente de celle que lui attribue la psychanalyse [41]. Dans cette culture, le rêve est tout sauf une « production imaginaire du rêveur ». Son récit est donc porteur de sens, non pas d’un inconscient individuel qui en emprunte le chemin, mais d’un ailleurs culturel et religieux, destiné à l’individu, mais aussi au groupe familial.

Conclusion

47Autant il est loisible de constater à quel point l’univers de la pensée occidentale s’est enrichi de l’apport de la psychanalyse, autant il est facile de constater à quel point le monde arabo-musulman est resté profondément réfractaire à cette pensée. Malgré la proximité géographique et les échanges culturels, scientifiques, commerciaux et humains entre l’Occident et le monde arabe, le discours analytique est resté étranger à la culture arabe et rencontre encore des résistances à sa pratique. Comment expliquer le fait que la psychanalyse, qui se pense théoriquement et cliniquement universelle, y soit frappée « d’interdit » ? Est-ce pour des raisons inhérentes et spécifiques à cette culture, ou bien les raisons sont-elles inhérentes à la psychanalyse elle-même ?

48Notre tentative de réponse à ces questions nous a permis d’articuler ce travail autour de plusieurs facteurs qui jouent un rôle dans le maintien des obstacles à la transmission de la psychanalyse dans le monde arabe. Ces facteurs, qui sont d’ordres culturels, politiques, religieux, etc., convergent tous, à un degré ou un autre, vers la limitation voire la négation de la part inconsciente de l’être humain :

  • L’absence de démocratie et de droit de l’homme font obstacle, au niveau clinique, à la libre association et à la possibilité pour le sujet de l’inconscient d’énoncer une vérité d’où il puisse advenir (il n’y a de parole dans ces états totalitaires que celle de chef en position d’Autre par rapport au peuple qu’il gouverne).
  • L’hégémonie et l’influence normalisatrice du discours religieux font que toute autre interprétation du sens de la vie est vécue comme potentiellement hostile. Dès lors, l’inconscient est confondu avec la détermination divine. Le savoir de l’interdit de l’inceste, par exemple, n’est pas de registre de l’inconscient, auquel le sujet peut accéder par l’analyse, mais plutôt de l’ordre d’un savoir manifeste. L’islam rappelle en effet le principe de cet interdit par deux lois fondatrices, l’interdit de la mère et l’interdit de la femme du père. Par ailleurs, la psychanalyse est récusée parce qu’en s’occupant de l’inconscient, elle ne se concentre que sur les déchets de l’âme, qu’il faut dépasser et à quoi il ne faut précisément pas prêter attention. Le psychisme humain est certes multiple (en chaque homme existent plusieurs âmes), mais seule la partie supérieure, d’origine divine, est à prendre en considération.
  • Freud affirmait que l’inconscient est sexuel, affirmation qui a fait le plus du bruit au départ, celle qui a été la plus discutée, celle aussi qui a le plus freiné aux premiers temps l’expansion de la psychanalyse. La théorie « pan sexuelle » est perçue comme un véritable danger public qui menace la civilisation. La résistance à la psychanalyse dans le monde arabo-musulman est en grande partie motivée par cette place accordée à la sexualité. Or, celle-ci est fortement tabouisée, particulièrement dans son versant féminin. Les relations hommes-femmes, l’amour, le corps, etc., sont concernés par une multitude d’interdits et d’emprises au nom desquels la psychanalyse est combattue.
  • Un déterminant majeur à l’implantation de la psychanalyse a été la préexistence locale d’un savoir psychiatrique, sur lequel elle vient se greffer. Quelle est la situation actuelle dans les pays arabes à ce niveau, et quelle place la théorie psychanalytique peut-elle y occuper ? Nous avons vu que d’une façon générale, le savoir psychiatrique n’affecte pas en profondeur les croyances et les mythes de la folie qui y prévalent, et qui se réfèrent à d’autres modèles. Plus spécifiquement, la conception d’un désordre qui serait l’œuvre d’un inconscient agissant n’est pas de mise.
D’autres facteurs ont été évoqués dans ce travail, qui renvoient à l’absence du sujet, au poids écrasant du groupe et de la famille, à la socialisation spécifique de l’enfant, au caractère prédéterminé des événements de la vie, à la multiplicité des procédés rituels expiratoires, etc. ; et qui font tous la démonstration d’une société qui protège l’individu des conflits personnels et d’un surmoi chargé de devoirs sociaux intériorisés. Un outil qui pourrait interroger les forces souterraines d’un tel agencement ne peut qu’être redouté. Cette caractéristique de la psychanalyse n’a pas échappé aux intellectuels arabes dans les années 1970-1980, qui, pris dans un élan d’autocritique à l’époque, se sont appuyés sur les sciences humaines, notamment sur la psychanalyse, pour analyser les structures profondes des sociétés arabes, la culture et l’identité arabes, la personnalité arabo-musulamne, etc., l’objectif étant de décortiquer et de démasquer les structures qui, agissantes, maintiennent le monde arabe dans l’état sous-développé qui est le sien.

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Mots-clés éditeurs : sujet, islam, inconscient, psychanalyse, monde arabe, culpabilité, sexualité, communauté

Date de mise en ligne : 01/10/2007

https://doi.org/10.3917/cpc.029.0161

Notes

  • [*]
    Texte remanié d’une conférence faite à Liège, dans le cadre du programme scientifique de « Racines Aériennes ».
  • [**]
    Docteur en psychologie, clinicien au Centre « D’ici et D’ailleurs », Bruxelles et enseignant au CESA (Bruxelles/Charleroi).
  • [1]
    Le Monde daté du mardi 6 juin 2000.
  • [2]
    Les carrefours du labyrinthe, Paris, Le Seuil, 1978, p. 78 et 86.
  • [3]
    La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Paris, Aubier, 2002, p. 90. Voir également l’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique l’Intelligent, le 14 août 2005, et dans lequel il évoque les difficultés de la pratique psychanalytique en terre d’Islam.
  • [4]
    Généalogies, Paris, Fayard, 1994, p. 83.
  • [5]
    ISSA IHSAN Al, Al-junun (2000). Mental illness in the Islamic world, Madison. Pour un exemple plus spécifique, voir notre livre Interprétations et traitements traditionnels de la maladie mentale au Maroc. Pour une psychiatrie « culturelle » marocaine, (à paraître).
  • [6]
    Kleinman, A. et B. Good (1985). Culture and depression: studies in the anthropology and cross-cultural psychiatry of affect and disorder, University of California, Press Berkeley.
  • [7]
    Kacha, F. (1991). « Évolution de la demande et de la prise en charge des malades mentaux », Apport de la psychopathologie maghrébine, Actes du congrès des 5, 6 et 7 Avril 1990, Publication du centre de recherches en psychopathologie de l’Université Paris XIII.
  • [8]
    Boucebci, M. (1985). « Le psychiatre et ses questions face aux pratiques traditionnelles au Maghreb », Ann. Méd. Psycho., vol. 143, n° 6, p. 519-540.
  • [9]
    « Pratique analytique dans le monde arabe : incidences et difficultés », La célibataire, revue de psychanalyse, 2004, n° 8, p. 13 (actes du colloque qui a eu lieu en novembre 2002, organisé à Paris par l’Association Lacanienne internationale sur le thème « La psychanalyse et le monde arabe »).
  • [10]
    La psychanalyse à l’épreuve de l’Islam, Paris, Aubier, 2002, p. 303.
  • [11]
    Yasin A. (1973), La triade interdite : étude sur la religion, la sexualité et la lutte des classes, Beyrouth, (en arabe).
  • [12]
    L’imaginaire arabo-musulman, Paris, 1997, p. 383.
  • [13]
    Chebel, M. (2002). Le sujet en Islam, Paris, Le Seuil, p. 260.
  • [14]
    « Les obstacles à la psychanalyse dans la culture arabo-musulmane », Travaux et Jours, 2002, n° 69, p. 232.
  • [15]
    « Le sujet en psychanalyse », Problèmes de psychanalyse. Recherches et débats, n° 78, Paris, Desclée de Brouwer, 1972, p. 12.
  • [16]
    « Psychanalyse et religion », Cahiers confrontations, La religion en effet, n° 4, 1985, p. 28.
  • [17]
    L’homme coupable. La folie et la faute en occident, Paris, Privat, 1992.
  • [18]
    Le miroir du prophète. Psychanalyse et Islam, Paris, Grasset, 1993, p. 17.
  • [19]
    Op. cit., p. 157.
  • [20]
    Op. cit., p. 19-20.
  • [21]
    Ibid., note p. 10.
  • [22]
    Ibid., p. 26-29.
  • [23]
    Op. cit., p. 302.
  • [24]
    « La psychanalyse et le monde arabe », La célibataire, n° 8, 2004, p. 27.
  • [25]
    L’homme coupable, op. cit., p. 47.
  • [26]
    L’auteur écrit à ce propos que : « la pratique de l’inconscient en occident ne laisse pas de rencontrer le religieux chrétien et par conséquent le thème du péché originel, quels que soient les travestissements que ce dernier peut revêtir », op. cit., p. 253.
  • [27]
    Dans son livre Dette et désir, essentiel à la compréhension de cette dimension, A. Vergote exprime avec force cette idée : « En proposant comme exigence fondamentale l’aveu du péché, solidaire du message de la libération, le christianisme expose l’homme à la culpabilité morbide. » Dette et désir. Deux axes chrétiens et la dérive pathologique, Paris, Le Seuil, 1978, p. 64.
  • [28]
    Op. cit., p. 105.
  • [29]
    Ibid., p. 105.
  • [30]
    Goldberg, J. (1985). La culpabilité, axiome de la psychanalyse, Paris, PUF.
  • [31]
    Ammar, S., Douki, S., Boucebci, M., Chkili, T. et D. Moussaoui (1981). « Aspects cliniques et psychopathologiques de la dépression au Maghreb », Psychopathologie africaine, n° 17, 1/2/3, p. 16-26.
  • [32]
    Op. cit., p. 86.
  • [33]
    Le virus de la violence, Paris, Albin Michel, 1996, p. 215.
  • [34]
    Psychanalyse du Soi arabe, Beyrouth, 1977, p. 5 (en arabe).
  • [35]
    In search of Self in India and Japan. Toward a Cross-Cultural psychology, Princeton University Press, 1988 (cité par Pewzner, op. cit., p. 195).
  • [36]
    Les révolutions de l’inconscient. Histoire et géographie des maladies de l’âme, La Martinière, 2001, p. 31-33.
  • [37]
    Ibid., p. 16-17.
  • [38]
    Ibid., p. 38-39.
  • [39]
    « Du familier vers l’inconnu : à propos de la rencontre analytique en pays d’Orient », Revue française de psychanalyse, n° 1, 1988, p. 72.
  • [40]
    Entre-Deux. L’origine en partage. Le Seuil, Paris, 1991.
  • [41]
    Aouattah, A. (2000). « Immigration maghrébine, maladie mentale et psychiatrie, ou quand les immigrés emmènent leurs maladies », Ann. Méd .psychol., n° 158, n° 9, p. 693-701.

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