Notes
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[1]
Professeur de psychopathologie (UCL), Responsable de l’Unité de Clinique du couple - SSM UCL - Bruxelles Psychanalyste (Association freudienne de Belgique), 111 rue des Aduatiques à 1040 Bruxelles.
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[2]
Allusion au titre du livre de D. Lachaud : « L’enfer du devoir. Le discours de l’obsessionnel ». Paris, L’espace analytique, Denoël, 1995.
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[3]
Le psychanalyste était Serge Leclaire. La journaliste Pascale Breugnot. L’émission fut diffusée sur Antenne 2 en 1987.
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[4]
Dernière dimension que nous ne pouvons traiter ici, on peut penser que le passage par la télévision a eu un effet d’hystérisation de leur discours propice à cette disparition du symptôme.
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[5]
On remarquera l’équivoque, fréquemment retrouvée dans la clinique. Il faudrait dire en effet soit « Tu seras toujours un bon à rien » ou « tu ne seras jamais bon à quoi que ce soit ».
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[6]
Laplanche J. et Pontalis J.B. « Vocabulaire de la psychanalyse », Puf, 1967.
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[7]
Ceci, soulignent les auteurs précités, n’implique pas que le symptôme se prête à un nombre indéfini d’interprétations. Ni non plus que ces causalités sont indépendantes. Le symptôme porte la trace de l’interaction des diverses significations. Soulignons enfin que surdétermination n’implique en rien que le symptôme ne soit pas curable.
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[8]
Nous ne pouvons pas tout à fait négliger l’aspect culturel et/ou social de certain symptôme comme celui de l’éjaculation précoce qui ne fait pas du tout symptôme dans une culture africaine mais bien dans toute culture qui promeut l’égalité des sexes à l’égard de la jouissance.
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[9]
Freud S., Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (1918). In Cinq psychanalyses ? PUF, 1954. Pp. 324-420.
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[10]
Dor J., Structure et perversion. Paris. Denoël, p. 181.
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[11]
Cardinal M., Les mots pour le dire. Grasset, 1975.
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[12]
Pour une introduction plus large au concept de symptôme dans l’enseignement de Lacan, on peut se reporter à mon article Du symptôme au sinthôme in Le discours psychanalytique. Paris, 1990, 3, pp. 183-194.
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[13]
Lacan J., Séminaire R.S.I., séance du 11.2.75. Paris, Ornicar, 1975, 4.
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[14]
Lacan J., Séminaire R.S.I., séance du 18.2.75. Ibidem.
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[15]
Bastien D., La frigidité ou la Belle au bois dormant. In Cahiers de psychologie clinique, 2000/2, 15, La féminité, pp. 77-96.
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[16]
Concernant la question du réductionnisme psychologique et celle des changements induits par l’intégration du sujet dans le couple voir aussi Frank R., Mosaïque, machines, organisme et société. Examen métadiscipli-naire du réductionnisme. Revue Philosophique de Louvain, 1995, 93, 1-2, pp.67-81, ainsi que Jacob F., La logique du Vivant. Gallimard. 1970 (notamment pp. 323, 339 et 342.)
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[17]
Citons notamment les troubles organiques (vasculaire, urologique, neurologique, endocrinien), certains médicaments comme les amphétamines, les barbituriques, les médicaments contre l’hypertension artérielle, certains anti-dépresseurs, la pilule contraceptive (progestérone) qui peut parfois diminuer la libido, la dépression, le diabète, une opération entraînant une éjaculation rétrograde (opération maligne de la prostate),
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[18]
Notons encore, pour information, quelques déterminants mis en lumière par certains sexothérapeutes : la peur que se répète un premier échec sexuel accidentel, la peur d’être remis en cause dans son identité sexuelle, la peur de l’intimité, un événement stressant, la crainte d’une grossesse ou d’une maladie sexuellement transmissible, un viol ou un inceste, un avortement, une toxicomanie, l’alcoolisme, le tabagisme (troubles vasculaires), les attitudes parentales négatives vis-à-vis de la sexualité, une mauvaise perception de son corps, des difficultés relationnelles dans le couple, des relations parents-enfants conflictuelles, certaines conditions socioprofessionnelles (stress, surmenage, fatigue, horaire, chômage…), certaines conditions d’éducation (catholique et communiste notamment).
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[19]
On lira avec intérêt, à ce sujet, les contributions de Robert Frank et de quelques autres dans l’ouvrage collectif « Faut-il chercher aux causes une raison ? L’explication causale dans les sciences humaines ». Vrin et Institut interdisciplinaire d’Etudes épistémologiques de Lyon. 1994.
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[20]
De Neuter P., L’hostilité paternelle : étrange destin d’un concept. In Logos et Anankè, Paris, 1999,
n° 2/3, pp. 74-104. -
[21]
Sur les effets limités, complexes mais néanmoins effectifs des androgènes sur l’émergence des fantasmes et sur le comportement sexuel lire de Belaisch J., Les androgènes à la cinquantaine chez l’homme et chez la femme. In Cahiers de sexologie clinique. 2000, vol. 26, n° 147, pp. 18-21 présenté par A. Lequeux lors de son exposé au symposium de novembre 2000 du Centre de pathologie sexuelle masculine des Cliniques universitaires Saint Luc à Bruxelles.
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[22]
Sur le changement que l’analysant est en droit d’attendre d’une analyse, cf. De Neuter P., La psychanalyse pour guérir de quoi ? Dans l’ouvrage collectif La direction de la cure depuis Lacan. Paris, Point Hors Ligne, 1994, pp. 121-128.
1 Si bon nombre de médecins négligent de prendre en compte les déterminations inconscientes possibles des symptômes qui leur sont présentés, en revanche, bon nombre de psychologues cliniciens et les psychanalystes sous-estiment la complexité des causalités. Ainsi nous réduisons trop souvent le complexe d’Œdipe à de simples causalités univoques (désir de l’enfant pour sa mère et désir meurtrier à l’égard du père). Nous négligeons parfois la multidétermination freudienne du symptôme ainsi que cette idée – pourtant très freudienne elle aussi – de la prédisposition organique du symptôme même hystérique. Enfin, nous faisons trop souvent l’impasse sur les causalités organiques parfois déterminantes, ce qui entraîne le discrédit de la psychologie clinique et de la psychanalyse auprès des médecins chez lesquels ces patients aboutissent finalement. Nous voudrions dans cet article souligner, à partir du cas particulier du symptôme sexuel – impuissance, frigidité, masturbation compulsive, etc. –, l’importance de la prise en compte de ces diverses causalités et leurs éventuelles interactions.
1 – Vignettes cliniques
2 Quatre vignettes cliniques introduiront cette réflexion. Nous appellerons les protagonistes Valère, Gérard et Dominique, Marcelle, Vincent et Marie.
1.1 – Valère
3 Valère a été envoyé chez un psychanalyste par l’urologue qu’il avait consulté pour impuissance et qui n’avait décelé aucune cause organique. Dès la première séance, il décrit son problème comme suit : « J’ai 50 ans. Je suis marié depuis 20 ans avec une femme que j’aime beaucoup. Nous avons trois enfants. Le troisième va bientôt quitter la maison. Nous nous aimons beaucoup. Pour rien au monde je ne voudrais quitter ma femme qui m’a tout donné, mais sexuellement ça ne va plus du tout ».
4 Depuis quand ? « Depuis trois ans ». Qu’est-ce qui s’est passé, il y a trois ans ? « Rien de particulier ». Des quelques entretiens qui suivirent, il est ressorti que, malgré les dénégations de la première séance, l’idée de quitter sa femme était présente depuis trois ans mais sous un mode tout à fait inconscient. À cette époque, un collègue avait quitté sa femme et Valère en avait été plus que scandalisé. « On ne pouvait faire cela à une femme avec laquelle on avait partagé tant d’années de vie ». Aujourd’hui, l’idée qu’il puisse faire de même le rendait très coupable mais il ne pouvait plus la nier. Il refusa la proposition d’entretiens de couple avec d’autres thérapeutes, entretiens au cours desquels il aurait peut-être pu travailler les difficultés conjugales rencontrées à l’occasion de l’entrée éprouvante dans cette nouvelle tranche de vie : la cinquantaine. Suite à cette découverte, le patient a préféré mettre un terme à ses entretiens : « Cela ne sert à rien de poursuivre, m’affirma-t-il assez catégoriquement. Je sais de quoi il s’agit. Maintenant c’est à moi à prendre ma décision : le divorce ou le statu quo ».
5 Les jours qui suivirent, j’ai regretté d’avoir trop rapidement laissé ce patient seul avec cette question relative à son couple à propos de laquelle une poursuite des entretiens aurait sans doute apporté un nouvel éclairage utile pour une adéquate décision.
6 Un an et demi plus tard, ce patient a repris rendez-vous. Suite au déclenchement de la crise conjugale, il était allé consulter, avec sa femme, le thérapeute de couple que je lui avais conseillé. Celui-ci lui suggéra de reprendre contact avec moi tout en poursuivant les entretiens de couple. Au cours de cette nouvelle série d’entretiens, j’ai appris que son impuissance avait disparu un an et demi plus tôt, immédiatement après l’interruption de nos rencontres et donc immédiatement après la reconnaissance de son vœu inconscient de quitter sa femme. Seule était restée, depuis lors, une gêne, une sorte d’auto-reproche conscient de prendre son plaisir avec une femme qu’il avait décidé de quitter et qui ignorait cette décision.
7 Un jour d’ailleurs, ce fut plus fort que lui : il le lui avait dit. Sa femme, satisfaite de leur vie conjugale, n’y comprit rien. Pour elle, leur couple était une réussite et la décision de son mari était un drame. Mais lui restait hanté par l’horreur de vieillir avec elle. Il quitta le domicile conjugal, avec le projet de « refaire sa vie ». Où l’on reconnaît bien l’angoisse de mort caractéristique de la cinquantaine masculine. On y reconnaît bien aussi le vœu fréquent d’y faire face en « refaisant sa vie » ; « Démon de midi » diagnostique-t-on parfois. Une nouvelle relation amoureuse procure toujours un sentiment de renaissance et celui-ci est toujours plus prononcé lorsque la nouvelle compagne est jeune et sait donner l’impression au quinquagénaire angoissé qu’il est redevenu un jeune et viril séducteur. On pouvait aussi reconnaître dans les dires de Valère, ceux de l’obsessionnel qui a vécu toute sa vie sous la contrainte. Celle des autres bien sûr, mais surtout et avant tout celle que lui impose son sens aigu du devoir, contrainte qui entraîne chez ce patient un bilan très négatif exprimé comme suit : « J’ai réalisé tous mes devoirs mais je n’ai encore rien vécu ! »
8 Une poursuite heureuse de la vie de couple n’aurait été possible qu’à la condition d’une analyse de cette angoisse de la mort et de cet « enfer du devoir » [2]. Encore faudrait-il qu’il veuille y mettre le prix. Ce qui n’était pas le cas. Il choisit de mettre fin à nos entretiens et de « refaire sa vie ».
9 Il revint cependant quelque temps plus tard. Il avait quitté son épouse, difficilement d’ailleurs, et avait une relation avec une jeune femme. Cette dernière lui apportait certaines satisfactions mais l’impuissance réapparaissait régulièrement. L’âge de son ex-épouse et certains autres traits, comme son attitude très maternelle à l’égard de ses enfants et trop maternante à son égard, avaient sans doute contribué à l’émergence de ses symptômes et à l’insupportable de sa vie conjugale. Mais à présent, il apparaissait que c’était plus fondamentalement ses angoisses de castration et sa soumission aux contraintes du devoir qui parasitaient ses relations amoureuses. Une nouvelle amélioration du symptôme le conduisit à mettre une nouvelle fois fin à nos entretiens sans que ces dimensions fondamentales aient pu être suffisamment abordées. Il n’est donc pas exclu qu’il reprenne contact un jour, davantage décidé à s’engager dans un processus analytique.
1.2 – Gérard et Dominique
10 Gérard et Dominique « consultèrent » un psychanalyste pour l’impuissance sexuelle qui affectait Gérard. Nous ne nous étendrons pas ici sur ces circonstances très particulières et discutables de cet entretien de couple qui dura une longue après-midi et qui fut enregistrée. De longs extraits furent diffusés sur une chaîne de télévision [3].
11 L’intérêt de cet entretien réside dans le fait qu’il laisse entrevoir diverses déterminations possibles de ce symptôme d’impuissance qui disparut d’ailleurs suite à cet entretien.
12 Qu’est-ce qui a rendu possible la levée du symptôme ?
13 Je pense que la mise en mots, par Gérard, de sa haine pour sa mère, ne fut pas étrangère à cette levée du symptôme. Cet entretien donne en effet plusieurs indications de ce que cette haine pour la mère était transférée sur les différentes femmes aimées par Gérard et donc aussi sur Dominique, son actuelle compagne. Ceux qui ont eu l’occasion de visionner les extraits de cet entretien se souviendront en effet combien le fait de « se laisser aller » était associé par Gérard à deux de ses passages à l’acte agressifs. Le premier datait de sa grande adolescence : il avait tenté de blesser sa mère avec un couteau. Le second fut dirigé contre son ex-femme lorsqu’elle l’avait trompé et avait décidé de partir avec son meilleur ami. « Se laisser aller » était donc devenu impossible et cette impossibilité l’empêchait de se laisser aller amoureusement et sexuellement jusqu’à la pénétration et jusqu’à l’orgasme.
14 Par ailleurs, au cours de cet entretien, Gérard « avoua » pour la première fois à sa compagne l’intense bonheur qu’elle lui procurait lorsqu’elle l’appelait « mon bébé ».
15 Il n’est pas impossible que la mise en mots de ce transfert maternel sur Dominique fut aussi salutaire pour l’évolution de leur sexualité et ce, dans deux directions au moins. D’une part, ce transfert ainsi nommé est peut-être devenu moins contraignant. D’autre part, le désir maternel de Dominique s’en est peut-être lui aussi trouvé transformé. La dimension incestueuse de leur relation s’en serait trouvé allégée et, par conséquent, la sexualité moins culpabilisante.
16 De plus, au cours de cet entretien, Dominique avoua qu’elle se vengeait sur Gérard de tous les hommes qui l’avaient abandonnée, à commencer par son père à elle. Cette verbalisation de l’agressivité plus ou moins inconsciente de Dominique a peut-être, elle aussi, libéré la possibilité de se laisser jouissivement pénétrer.
17 Parmi les autres causalités encore en jeu dans ce symptôme, notons aussi que le handicap de Gérard était un des traits communs qui les avaient réunis. Elle boitillait dans la rue, suite à une erreur médicale datant de sa toute petite enfance. Lui « boitillait » au lit. Ce symptôme avait donc aussi une fonction de nouage conjugal.
18 Par ailleurs, Dominique considérait le handicap de Gérard comme une sorte de garantie que Gérard ne l’abandonnerait pas pour une femme sans infirmité. Que cette crainte puisse être abordée et que Gérard ait témoigné qu’il l’aimait comme elle était, a peut-être aussi contribué à l’abandon de ce symptôme.
19 De plus, comme Gérard le dit explicitement au cours de l’émission, celle-ci étant regardée par ses parents, il put leur dire par ce biais une série de choses qui parasitaient ses relations de fils comme ses relations d’amant [4].
1.3 – Marcelle
20 Marcelle a décidé de s’adresser à un psychanalyste parce qu’elle se trouvait dans l’impossibilité de vivre une relation amoureuse de longue durée. Les hommes lui paraissaient ou « trop machos » ou « trop esclaves ». Elle ne pouvait que les rejeter pour la première ou pour la seconde de ces raisons. Il s’avérera qu’elle n’avait jamais vécu d’orgasme, malgré les diverses relations engagées avec de nombreux amants.
21 Cette frigidité disparut progressivement au fur et à mesure que Marcelle reconnut que sa frigidité était une façon de rester éternellement fidèle tout d’abord à son père mais plus fondamentalement à sa mère. Elle bloquait d’ailleurs la jouissance qui montait en elle, en imaginant au moment opportun, dans un état de semi-conscience, que sa mère entrait dans la chambre où elle était tout près de jouir avec son amant. Ce mécanisme de « blocage du plaisir », elle l’avait déjà fréquemment utilisé enfant lorsque son père la faisait sauter sur ses genoux et qu’elle appréhendait le regard courroucé de sa mère qui n’aimait pas que son mari s’adonne à ce petit jeu avec sa fille. Elle reconnut également son hostilité vis-à-vis du père qui n’avait jamais répondu à ses avances et vis-à-vis de ses frères que sa mère avait, disait-elle, nettement préférés.
1.4 – Vincent et Marie
22 J’ai reçu un jour un homme dont l’impuissance relevait tout à la fois d’une détermination organique et d’autres relevant du psychique relationnel. Dans un service d’urologie, les médecins avaient en effet diagnostiqué une « fuite veineuse », tandis que dans une autre clinique, les médecins avaient proposé l’aide de la Papavérine tout en l’adressant au thérapeute de couple. Dès le premier entretien, les variations de cette impuissance, en fonction des circonstances et notamment en fonction des tensions conjugales, apparurent on ne peut plus clairement. On peut donc penser que les deux registres de causalité étaient en interaction. Malheureusement, Vincent n’en fut pas convaincu, l’opération de la fuite veineuse le tentait, bien que les médecins l’aient prévenu du caractère aléatoire de cette opération. Mais aborder le conflit qui depuis de longues années l’opposait à Marie, son épouse, lui semblait au-dessus de ses forces. La causalité organique sert souvent de refuge contre l’abord des conflits conjugaux ou intra-psychiques, mais il m’est arrivé de rencontrer une résistance inverse : le refus de consulter le médecin dans l’illusion que l’analyse pourrait venir à bout de telle maladie clairement organique. Ce refus se nourrissait d’une illusion transférentielle en la toute-puissance de l’analyste doublée d’un reste de la croyance infantile en la toute-puissance de la pensée. Pour Vincent et Marie, ce n’était sans doute pas le cas. Ils ne se présentèrent pas au rendez-vous suivant.
2 – Réflexions théoriques
L’intrication du réel, de l’imaginaire et du symbolique
23 Le symptôme, on le constate dans ces vignettes cliniques, est toujours le résultat d’une intrication de multiples causalités : individuelles, actuelles ou passées, conjugales actuelles ou passées et organiques (physiologiques, neurologiques ou médicamenteuses par exemple). Dans certains cas, le social ou plus généralement encore la culture peut avoir son impact.
24 Les trois registres lacaniens du réel, de l’imaginaire et du symbolique sont impliqués soit au niveau des causes, soit au niveau des conséquences.
25 Le Réel c’est, entre autres pour Lacan, le réel de l’organisme. Un dysfonctionnement organique peut être la cause du symptôme (impuissance par « fuite » veineuse, par lésion neurologique ou par absorption de médicaments). De même, un fonctionnement organique peut en être le substrat : une obsession sexuelle ne peut exister sans cerveau pensant et un lapsus sans appareil phonatoire en bon état de fonctionnement, etc. Un processus imaginaire ou symbolique, une image, une pensée, ou une parole peut également s’incarner dans le corps et empêcher le rapport sexuel (l’agressivité qui s’exprime par l’absence d’érection ou par la douleur rendant le rapport sexuel impossible). Mais le réel, c’est aussi pour Lacan ce qui revient toujours à la même place : le fantasme notamment qui se répète et qui trouve son actualisation dans le symptôme par exemple. Enfin, le réel lacanien, c’est aussi la mort et la différence des sexes, autrement dit, de façon plus abstraite, la castration symbolique. On a vu avec Valère comment cette rencontre de la castration pouvait participer à la construction d’un symptôme.
26 L’Imaginaire rentre aussi inévitablement en jeu. La représentation imaginaire de notre moi peut induire le symptôme : un homme peut devenir impuissant par surgissement d’une représentation dévalorisée de soi. Une femme peut devenir frigide parce qu’elle se vit homme et donc génitalement impénétrable. L’image du corps peut également induire le symptôme sexuel : « je me vis laide ou handicapée et par conséquent irrémédiablement non désirable » dit en quelque sorte Dominique. De même, le symptôme d’origine organique (une stérilité organique, un cancer de la prostate, un handicap d’origine accidentel) peut entraîner une représentation de soi comme définitivement inapte sur le plan sexuel. La représentation de l’autre peut aussi induire le symptôme : l’homme qui vit la femme comme dévoratrice et qui s’en trouve éjaculateur précoce. Quant à la femme, elle peut être elle-même animée par un fantasme de dévoration s’enracinant dans un jeu d’enfant consistant à mimer la dévoration du pénis du petit frère chaque fois que les saucisses étaient au menu de la table familiale. Le vécu fantasmatique de la femme qui me consultait s’avéra ne pas être sans effet sur les difficultés de son partenaire.
27 Le Symbolique, c’est-à-dire le monde du langage et des lois fondamentales – l’interdit du cannibalisme, du meurtre et de l’inceste – est lui aussi inévitablement impliqué. Le symptôme sexuel peut être l’effet d’une parole ou d’une pensée : « Tu ne seras jamais bon à rien [5] », parole de la mère puis de la femme à un homme qui fut impuissant, jusqu’à ce qu’il rencontre, à 45 ans, une femme qui lui dise le contraire et avec laquelle ses problèmes d’impuissance disparurent. Où l’on perçoit en outre l’inévitable lien avec l’imaginaire. Le symptôme peut aussi être l’effet d’une recherche d’un évitement de la transgression d’un de ces interdits fondamentaux comme ce fut très probablement le cas pour Gérard évoqué ci-dessus, impuissant avec la femme qui l’appelle « mon bébé » ainsi que pour Dominique, frigide avec un homme qui évoque son père et duquel elle doit se venger. Le symptôme peut également évoquer, rappeler un nom ou une date. C’est le cas de cette patiente pour qui la masturbation compulsive incarne la date anniversaire de sa conception. Nous y reviendrons dans un instant.
La multidétermination du symptôme
28 On le voit, le symptôme sexuel, comme tout autre symptôme, est essentiellement surdéterminé : il « renvoie à une pluralité de facteurs déterminants » [6]. D’abord, du seul point de vue de la causalité psychique : comme tout un signifiant, il a plus d’une signification. Ensuite, il est aussi surdéterminé au sens où il peut relever de deux ou trois causalités conjuguées : organique et psychique, imaginaire ou symbolique. Freud, rappelons-nous, n’hésitait pas à envisager la prédisposition organique dans un bon nombre de symptômes hystériques [7].
29 Cela étant, ce sont les symptômes dont l’origine principale se situe dans l’univers du langage, des fantasmes et de l’enfance, qui relèvent de la cure psychanalytique, tandis que les thérapeutes de couple ou de groupe, ou de famille, vont plutôt s’intéresser aux symptômes qui trouvent leur origine dans la relation effective et actuelle à l’autre (avec tout l’imaginaire que cela implique), relation effectivement prévalente dans le couple, le grou-pe ou dans la famille [8]. Ceci sans exclusive évidemment mais il s’agit d’une certaine pente qui découle des options théoriques et des conditions concrètes de la cure.
Le symptôme signe et le symptôme signifiant
30 Reprenons la distinction lacanienne du symptôme-signe et du symptôme-signifiant.
31 Le symptôme relève du signe dans la mesure où il représente quelque chose pour quelqu’un. L’absence d’érection représente l’insuffisance du flux sanguin pour l’urologue ou tel traumatisme de l’enfance pour le psychanalyste (Cf. Freud à la recherche de la scène primitive traumati-que, cause des symptômes de l’homme aux loups) [9]. La frigidité de Marcelle renvoie à l’irruption traumatisante du regard désapprobateur de la mère lorsque son père la « faisait sauter » sur ses genoux.
32 Le symptôme-signifiant représente le sujet (de l’inconscient), de façon équivoque et masquée, pour un autre signifiant. Ainsi, dans tel cas d’impuissance, un sujet inconsciemment très agressif vis-à-vis de son épouse (qui ne l’est pas moins d’ailleurs) est représenté par ce symptôme-signifiant « agressivité » pour un autre signifiant en ce sens qu’aucun des deux partenaires de ce couple ne se réduit à cette agressivité. Ainsi, leur quart de siècle de vie commune témoigne qu’il y a aussi, chez chacun d’eux, beaucoup d’amour, d’attachement, de dévouement, autant de signifiants tout aussi représentatifs de leur subjectivité. Par conséquent, identifier un sujet par son symptôme – « L’impuissant de la chambre 3 ou la frigide d’hier soir » par exemple – est radicalement incompatible avec la perspective psychanalytique.
33 Retenons donc du symptôme d’origine psychogène, versant symbolique, qu’il est un signifiant qui représente, de façon équivoque et cachée, le sujet de l’inconscient et qui effectue cette représentation dans son rapport avec d’autres signifiants.
Le symptôme message
34 Revenons à quelques affirmations de Freud concernant le symptôme et rappelons-nous qu’il a commencé par définir le symptôme comme une écriture par l’image, une « Bilderschrift », une écriture qui disait la vérité du désir inconscient du sujet.
35 En cas d’impuissance et de frigidité, la vérité de ce désir inconscient peut être l’agressivité, la culpabilité ou la peur. Envisageons quelques extraits de cure.
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l’agressivité, y compris le désir meurtrier
« Elle paie pour ma mère et ma femme qui toutes deux m’ont mal aimé, et m’ont préféré un autre » dit Gérard à propos de Dominique. -
la culpabilité et le besoin de punition
« Je ne peux jouir de telles relations coupables » ou encore, « je ne peux éprouver du plaisir avec ma femme alors que je vais la quitter » dit, à l’insu de tous, le symptôme de Valère. -
la peur de l’agressivité de l’autre
- « Je n’ai pas vraiment de pénis » dit l’hystérique masculin éjaculateur précoce, décrit par J. Dor [10].
- « Je ne suis qu’une femme trouée, qui ne peut se défendre des envahisseurs » dit Marie Cardinal, affectée d’une importante dysménorrhée s’étalant sur la plus grande partie du mois [11].
- « J’ai peur que son vagin denté dévore mon pénis » dit tel autre éjaculateur précoce déjà cité.
- « J’ai peur que son sexe explose en moi et me détruise » dit telle femme qui ne supportait aucune pénétration. La version masculine de cette crainte se formulerait comme suit : « J’ai peur que mon sexe explose en elle et la détruise ».
- La peur du sexe autre, peur notamment de sa jouissance différente – de sa jouissance Autre – peut induire la frigidité ou l’impuissance. L’origine de cette peur peut être une homosexualité inconsciente, inavouable. Le message serait alors quelque chose comme : « Ce n’est pas toi que je désire. C’est lui (ou c’est elle). Mais cela, je ne veux pas le savoir ».
Le symptôme en tant que satisfaction de la pulsion
36 La dimension de message n’est pas la seule en jeu dans le symptôme. À côté de celle-ci, Freud a repéré la dimension de satisfaction déguisée de pulsions réprimées. Autrement dit, la formation de compromis entre la réalisation de la pulsion et sa répression.
37 On voit bien dans plusieurs des vignettes cliniques précédentes que l’agressivité méconnue, inconsciente, refoulée, se trouve néanmoins relativement réalisée.
38 Il suffit d’écouter la femme de l’impuissant dire la souffrance d’être laissée en plan avec son désir éveillé ou encore le compagnon de la femme frigide dire la colère dans laquelle le met, à certains moments, la frigidité de sa jeune compagne alors qu’il avait quitté sa femme parce que cette jeune compagne, celle qui refuse tout rapport aujourd’hui, lui avait fait redécouvrir d’intenses jouissances sexuelles.
Le message illisible
39 Ceci illustre bien cette affirmation de Lacan disant que si « ce symptôme parle, même à ceux qui ne savent pas ou qui ne veulent pas l’entendre, il ne dit pas tout, bien plus, il cache le fond de sa pensée même à ceux qui veulent lui prêter l’oreille [12] ».
40 Ailleurs, il dira que le symptôme « va dans le sens de la reconnaissance du désir mais sous une forme illisible ».
41 Remarquons ici qu’un symptôme sexuel n’est pas nécessairement d’origine sexuelle. Il peut aussi être l’effet de cette pulsion que Freud appela « pulsion de mort » qui désigne le mouvement qui nous habite tous et qui nous pousse à l’autodestruction, à la destruction de l’autre, au sadisme, au masochisme ou à la recherche de punition.
42 Remarquons aussi qu’un conflit psychique de type sexuel ne s’exprime pas nécessairement dans un trouble sexuel. Il peut être aussi à l’origine d’une migraine récurrente, de troubles scolaires, d’une paralysie hystérique ou de maux de ventre (le « colon psychiatrique » que diagnostiquent alors les médecins). C’est même très fréquemment le cas, ce qui se comprend dans la mesure où le refoulement implique que l’origine sexuelle du symptôme doit être cachée.
Une compulsion masturbatoire exemplaire
43 J. Dor propose, à notre lecture, un cas tout à fait exemplaire de cet enkystement, dans le symptôme, d’un signifiant et de plusieurs chaînes de pensées refoulées.
44 Il s’agit d’une frigidité qui s’avère être l’épiphénomène d’une masturbation compulsive (20 à 30 fois/jour) qui cache elle-même une phobie du sperme. Ceci est accompagné d’une grave dépression avec une incapacité de travail, d’idées obsédantes concernant les comportements masturbatoires du fils et du mari et de comportements compulsifs à la recherche des traces matérielles de ces masturbations supposées.
45 Il est remarquable que ces symptômes aient disparu lorsque l’analysante découvrit, grâce aux interventions de son analyste, que cette frigidité et cette compulsion à la masturbation avaient surgi lorsque la patiente avait précisément 36 ans et 9 mois, c’est-à-dire, à une semaine près, l’âge que devait avoir sa mère lorsqu’elle-même, la patiente, fut conçue. Ce qui était donc écrit dans ce symptôme, c’était un âge et au-delà de cet âge, une scène sexuelle vécue du côté féminin, puisque c’est bien de l’âge de la mère dont il s’agit. Belle illustration de la définition freudienne du symptôme « écriture par l’image ». Belle illustration aussi de cette autre définition lacanienne du symptôme : « Le symptôme est l’effet du symbolique dans le réel [13] ». Autrement dit, l’effet d’une parole, d’une pensée ou d’un chiffre dans le réel du corps d’un sujet. Où l’on retrouve aussi une autre conception du symptôme freudien, celle du symptôme comme indice d’un événement traumatique. Ceci dans la mesure où l’on sait, par ailleurs, que la représentation du coït parental et celle de l’absence de pénis de la mère ont toujours une valeur de trauma pour l’enfant.
46 On y retrouve enfin cette conception déjà évoquée du symptôme comme satisfaction masquée de la pulsion : la compulsion masturbatoire apportant en même temps cette satisfaction et la punition nécessaire. Le symptôme est donc bien, comme disait parfois Lacan, « la façon dont chacun jouit de l’inconscient [14] ».
47 Pourquoi ce traumatisme prit cette ampleur pour ce sujet ? Probablement parce qu’il était couvert du secret le plus total. Lors de son enquête sur sa naissance, cette patiente apprit de sa mère que son père n’était pas son père biologique. Celui-ci avait mis enceinte sa mère, jeune femme volage qui aurait d’ailleurs été incapable de dire lequel de ses amants était ce père géniteur. Celui que la patiente avait toujours considéré comme étant son père, avait rencontré sa mère lorsqu’elle était enceinte de trois mois et l’avait épousée rapidement, ce qui avait fait que le secret fut fort bien gardé. Seul son corps s’en souvenait, où il s’était inscrit par une de ces voies mystérieuses de passage entre le psychisme des parents et celui des enfants.
Le symptôme peut aussi faire nouage
48 Je vous rappelle enfin la fonction possible de nouage du symptôme, nouage conjugal dans le cas de Gérard et Dominique. Si l’impuissance de Gérard venait à disparaître, le couple serait mis en péril parce que c’est sur base de ce handicap qu’ils se sont rencontrés. Par ailleurs, le symptôme peut servir de nouage de la structure psychique individuelle. « Je ne pourrais pas vivre sans lui », avait répondu une femme dont le mari était « infernal » mais qui serait probablement tombée dans un épisode de dépersonnalisation psychotique (ou pseudo psychotique) si elle avait quitté cet homme comme une psychothérapeute le lui avait d’ailleurs conseillé. C’est cette fonction de nouage de certains symptômes qui fait que si l’on en prive un couple ou un individu, ce couple se défait ou cet individu se disloque : dans la dépression, dans la décompensation psychotique, dans la maladie mortelle inexpliquée ou parfois dans le suicide. Comme l’évoque D. Bastien, dans un récent article, la frigidité peut faire obstacle à de telles décompensations [15].
L’attachement au symptôme
49 Nous pouvons donc avoir plus d’une raison de tenir à certains de nos symptômes puisqu’il arrive que ce soient eux qui nous font tenir ensemble. Plus fréquemment, c’est grâce à eux que nous pouvons jouir de notre inconscient malgré la civilisation inévitablement, au moins partiellement, répressive de nos pulsions agressives, cannibaliques, incestueuses, meurtrières, etc. La question est de savoir s’il faut absolument nous donner tant de peine pour accéder à ces plaisirs. Autrement dit, si nous ne pouvons pas obtenir plus de plaisir en nous infligeant moins de souffrance par le biais de nos symptômes.
3 – Conclusions
Multidétermination
50 La multidétermination du symptôme est quotidiennement démontrée par la clinique psychanalytique et il convient de ne pas se laisser enfermer dans une seule de ses dimensions [16]. Même si, par a priori de méthode, nous ne travaillons que sur certaines de ses dimensions, il nous faut toujours garder à l’esprit que le symptôme sexuel peut être :
Conjonction, réciprocité, circularité et spiraléité
51 Notre clinique sera d’autant plus adéquate qu’elle envisagera le caractère interdépendant, réciproque, circulaire ou plus exactement spiralé des causalités que nous observons [19].
52 La conjonction simple désigne la conjugaison de deux ou de plusieurs causes : une légère fuite veineuse par exemple et l’agressivité conjugale. La fidélité de Marcelle à l’amour pour son père d’une part, pour sa mère d’autre part et son agressivité pour les hommes qui, comme ses frères et son père, n’ont pas reconnu sa féminité.
53 La réciprocité concerne les causes entre elles ou les causes et leurs effets. Exemple du premier type : l’agressivité de Gérard à l’égard de Dominique et celle de Dominique à l’égard de Gérard. Exemple du second type : une première « panne sexuelle » d’origine occasionnelle (la prise d’un médicament par exemple) peut entraîner une anxiété secondaire, lors des rapports suivants, qui va se trouver à l’origine d’une nouvelle « panne » psychogène, cette fois.
54 Lorsque trois éléments ou plus sont concernés, il se peut que A entraîne B qui entraîne C qui entraîne A. C’est ce que nous appelons la circularité. La « panne » occasionnelle entraîne l’anxiété qui cause une impuissance qui engendre l’agressivité de la compagne.
55 Enfin, certaines circularités se transforment en mouvement spiralé, mouvement qui dessine, comme nous le savons, une courbe s’éloignant de plus en plus de son centre, métaphorisant bien l’envahissant progressif de toute la scène psychique ou relationnelle.
56 J’ai déjà souligné l’importance de cette conception spiralée de la causalité qui n’est, à mon sens, pas assez souvent prise en compte par les psychanalystes en tout cas [20].
57 Dans ce texte, j’avais illustré mon propos par l’abord psychanalytique de l’hostilité qui circule entre le père et le fils. Freud a habitué les psychanalystes à penser cette hostilité en termes de causalité univoque et unidirectionnelle : la motion parricide. Or, à examiner le mythe d’Œdipe de plus près, il convient de conclure que la mort du père est la résultante de plusieurs déterminants : l’agressivité du fils assurément, mais aussi vœu de mort du père à l’égard de son fils et l’agressivité du conducteur de son char sur le chemin de Thèbes, sans oublier l’exposition d’Œdipe dans la montagne par décision de son père et de sa mère et le rôle des prédictions suite au premier crime de Laïos : l’abus pédophilique sur le fils de son hôte. Cette lecture attentive fait en outre percevoir que ces causalités partielles furent en interaction causale et en évolution continue. Ce qui, notons-le, est une définition de la structure et devrait donc recevoir l’assentiment de tous ceux qui ont adopté le point de vue structuraliste en psychanalyse. Enfin, dans le mythe œdipien, les agressivités du fils, du père et de son conducteur interagissent dans un mouvement spiralé qui porte l’agressivité de chacun des protagonistes à son paroxysme jusqu’au parricide.
58 De la même façon, les conflits de couple, et par conséquent les problèmes sexuels qui en découlent, sont souvent le résultat des multiples déterminants réels, imaginaires et symboliques qui se renforcent les uns les autres dans un mouvement de spirale. Cela apparaît sans doute plus clairement dans les entretiens de couple que dans les thérapies individuelles ou dans les cures analytiques, surtout lorsqu’elles sont dirigées par une théorisation qui ne prend en compte que l’aspect fantasmatique des dires de l’analysant.
59 De plus, lorsque des déterminants organiques se conjoignent aux déterminants imaginaires et symboliques, une spirale semblable peut souvent s’observer.
60 Ainsi, une légère déficience sexuelle organique d’origine alcoolique peut, par exemple, entraîner une atteinte à une image de soi peu valorisée et une anxiété supplémentaire durant les préliminaires aux rapports sexuels. Ceci déterminera une accentuation de l’impuissance. L’agressivité de la partenaire, préexistante à cette impuissance, risque bien de s’en trouvée renforcée, ce qui ne manquera pas d’entraîner une augmentation de l’angoisse de l’impuissant et une radicalisation de son trouble sexuel.
61 Inversement, un traitement médicamenteux agissant sur la transmission synaptique ou sur la pression sanguine peut favoriser une légère diminution de l’impuissance, entraînant une augmentation de la confiance en soi de celui qui en est affecté, et une diminution de l’agressivité de celle qui partage son symptôme à son corps défendant favorisant une disparition du symptôme lors des rapports suivants [21].
62 On m’objectera peut-être qu’une levée trop rapide et artificielle du symptôme risque bien d’entraîner la décision d’interrompre le travail psychanalytique : les deux interruptions de la cure de Valère le démontrent en effet. Ou encore que cette levée trop rapide pourrait entraîner de vives réactions du partenaire « habitué » au symptôme et y trouvant son compte inconsciemment. Que seraient en effet devenues l’anxiété et l’agressivité de Dominique, si l’impuissance de Gérard avait subitement disparu, sans aucun travail de couple, du seul fait d’une prise de médicament ?
63 Dans certaines conditions et dans certaines conditions seulement, conditions que nous n’avons pas la possibilité d’envisager ici, le traitement médicamenteux et les entretiens de couples peuvent donc être complémentaires au traitement psychanalytique. Ce n’est pas parce que le psychanalyste n’intervient pas lui-même aux niveaux de ces autres causalités qu’il ne doit pas en tenir compte dans sa théorisation comme dans sa pratique.
64 Sans quoi, il risque bien de se trouver dans la situation d’un rameur qui tente en vain de faire avancer avec ses rames une barque échouée sur le sable, notamment lorsque la causalité organique est prédominante. Il risque aussi de se trouver dans la situation d’un sourd attendant en vain la mélodie annonçant la communication attendue, lorsque, par exemple, la dimension conjugale ou actuelle du symptôme l’emporte nettement sur les déterminants inconscients s’originant dans la petite enfance.
65 Quand bien même, une telle conception de la causalité rend notre travail plus difficile parce que plus complexe. Elle permet à chacun dans son champ spécifique (médical, sexologique, psychothérapeutique et psychanalytique) de mieux appréhender sa clinique, ses spécificités et ses limites. S’optimalisent ainsi les conditions favorables au changement que l’on est en droit d’attendre de la cure proposée [22].
Mots-clés éditeurs : causalité, impuissance, frigidité, masturbation compulsive, sexualité, psychanalyse, symptôme, psychothérapie de couple, multidétermination
Date de mise en ligne : 01/07/2006
https://doi.org/10.3917/cpc.016.0143Notes
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[1]
Professeur de psychopathologie (UCL), Responsable de l’Unité de Clinique du couple - SSM UCL - Bruxelles Psychanalyste (Association freudienne de Belgique), 111 rue des Aduatiques à 1040 Bruxelles.
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[2]
Allusion au titre du livre de D. Lachaud : « L’enfer du devoir. Le discours de l’obsessionnel ». Paris, L’espace analytique, Denoël, 1995.
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[3]
Le psychanalyste était Serge Leclaire. La journaliste Pascale Breugnot. L’émission fut diffusée sur Antenne 2 en 1987.
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[4]
Dernière dimension que nous ne pouvons traiter ici, on peut penser que le passage par la télévision a eu un effet d’hystérisation de leur discours propice à cette disparition du symptôme.
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[5]
On remarquera l’équivoque, fréquemment retrouvée dans la clinique. Il faudrait dire en effet soit « Tu seras toujours un bon à rien » ou « tu ne seras jamais bon à quoi que ce soit ».
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[6]
Laplanche J. et Pontalis J.B. « Vocabulaire de la psychanalyse », Puf, 1967.
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[7]
Ceci, soulignent les auteurs précités, n’implique pas que le symptôme se prête à un nombre indéfini d’interprétations. Ni non plus que ces causalités sont indépendantes. Le symptôme porte la trace de l’interaction des diverses significations. Soulignons enfin que surdétermination n’implique en rien que le symptôme ne soit pas curable.
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[8]
Nous ne pouvons pas tout à fait négliger l’aspect culturel et/ou social de certain symptôme comme celui de l’éjaculation précoce qui ne fait pas du tout symptôme dans une culture africaine mais bien dans toute culture qui promeut l’égalité des sexes à l’égard de la jouissance.
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[9]
Freud S., Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (1918). In Cinq psychanalyses ? PUF, 1954. Pp. 324-420.
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[10]
Dor J., Structure et perversion. Paris. Denoël, p. 181.
-
[11]
Cardinal M., Les mots pour le dire. Grasset, 1975.
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[12]
Pour une introduction plus large au concept de symptôme dans l’enseignement de Lacan, on peut se reporter à mon article Du symptôme au sinthôme in Le discours psychanalytique. Paris, 1990, 3, pp. 183-194.
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[13]
Lacan J., Séminaire R.S.I., séance du 11.2.75. Paris, Ornicar, 1975, 4.
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[14]
Lacan J., Séminaire R.S.I., séance du 18.2.75. Ibidem.
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[15]
Bastien D., La frigidité ou la Belle au bois dormant. In Cahiers de psychologie clinique, 2000/2, 15, La féminité, pp. 77-96.
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[16]
Concernant la question du réductionnisme psychologique et celle des changements induits par l’intégration du sujet dans le couple voir aussi Frank R., Mosaïque, machines, organisme et société. Examen métadiscipli-naire du réductionnisme. Revue Philosophique de Louvain, 1995, 93, 1-2, pp.67-81, ainsi que Jacob F., La logique du Vivant. Gallimard. 1970 (notamment pp. 323, 339 et 342.)
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[17]
Citons notamment les troubles organiques (vasculaire, urologique, neurologique, endocrinien), certains médicaments comme les amphétamines, les barbituriques, les médicaments contre l’hypertension artérielle, certains anti-dépresseurs, la pilule contraceptive (progestérone) qui peut parfois diminuer la libido, la dépression, le diabète, une opération entraînant une éjaculation rétrograde (opération maligne de la prostate),
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[18]
Notons encore, pour information, quelques déterminants mis en lumière par certains sexothérapeutes : la peur que se répète un premier échec sexuel accidentel, la peur d’être remis en cause dans son identité sexuelle, la peur de l’intimité, un événement stressant, la crainte d’une grossesse ou d’une maladie sexuellement transmissible, un viol ou un inceste, un avortement, une toxicomanie, l’alcoolisme, le tabagisme (troubles vasculaires), les attitudes parentales négatives vis-à-vis de la sexualité, une mauvaise perception de son corps, des difficultés relationnelles dans le couple, des relations parents-enfants conflictuelles, certaines conditions socioprofessionnelles (stress, surmenage, fatigue, horaire, chômage…), certaines conditions d’éducation (catholique et communiste notamment).
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[19]
On lira avec intérêt, à ce sujet, les contributions de Robert Frank et de quelques autres dans l’ouvrage collectif « Faut-il chercher aux causes une raison ? L’explication causale dans les sciences humaines ». Vrin et Institut interdisciplinaire d’Etudes épistémologiques de Lyon. 1994.
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[20]
De Neuter P., L’hostilité paternelle : étrange destin d’un concept. In Logos et Anankè, Paris, 1999,
n° 2/3, pp. 74-104. -
[21]
Sur les effets limités, complexes mais néanmoins effectifs des androgènes sur l’émergence des fantasmes et sur le comportement sexuel lire de Belaisch J., Les androgènes à la cinquantaine chez l’homme et chez la femme. In Cahiers de sexologie clinique. 2000, vol. 26, n° 147, pp. 18-21 présenté par A. Lequeux lors de son exposé au symposium de novembre 2000 du Centre de pathologie sexuelle masculine des Cliniques universitaires Saint Luc à Bruxelles.
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[22]
Sur le changement que l’analysant est en droit d’attendre d’une analyse, cf. De Neuter P., La psychanalyse pour guérir de quoi ? Dans l’ouvrage collectif La direction de la cure depuis Lacan. Paris, Point Hors Ligne, 1994, pp. 121-128.