Notes
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[1]
Les auteurs ont coordonné la rédaction d’un texte réfléchi dans diverses réunions par un grand nombre de cliniciens.
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[2]
Il est utile de mentionner les qualités professionnelles de B. Falissard : psychiatre, professeur de statistiques à la faculté de Médecine de l’université de Paris XI et directeur de l’unité Inserm « Santé mentale et psychiatrie ».
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[3]
Services de santé mentale, centres de référence, centres ambulatoires, institutions résidentielles, consultations pédopsychiatriques, hôpitaux de jour.
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[4]
À noter que cet auteur allie la rigueur scientifique d’une double formation d’ingénieur et de généticien à sa pensée philosophique.
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[5]
Formation complémentaire de quatre ans accessible aux titulaires d’un baccalauréat ou d’un master en sciences humaines et dispensée par l’ifisam.
1 En novembre 2013, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) publiait l’avis n° 8747 intitulé « Qualité de vie des jeunes enfants autistes et de leur famille ». Cet avis a suscité un certain nombre de réactions.
2 Le 4 novembre 2014, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) publiait un rapport (KCE report 233 Bs) sous le titre « Prise en charge de l’autisme chez les enfants et les adolescents : un guide de pratique clinique ».
3 De nombreux cliniciens, issus des différentes régions du pays, ont été interpellés par ces avis et rapport. Ils ont souhaité réagir de façon constructive pour poursuivre la réflexion qu’appellent les conclusions des instances précitées.
4 Ces professionnels sont issus des secteurs de la santé mentale, du handicap ou de l’aide à la jeunesse. Ils travaillent en institutions résidentielles, de jour ou ambulatoires et/ou en privé. Ces institutions sont évaluées et leurs compétences sont reconnues par les instances publiques subsidiantes. Elles cultivent le souci permanent de développer la formation de l’ensemble de leur personnel et ont recours à l’évaluation continue de leurs connaissances et pratiques interdisciplinaires.
5 Ces professionnels partagent une très longue expérience des soins ou d’accompagnements d’enfants, d’adolescents ou de jeunes adultes souffrant de graves troubles psychiques, psychiatriques et/ou de handicaps. Ils témoignent ci-après des enseignements de la clinique, enseignements nécessairement intégrés à ceux d’une recherche scientifique rigoureuse. Ils intègrent dans une pratique clinique ouverte, mûrie et réfléchie les nouveaux apports scientifiques variés et complémentaires, issus de diverses disciplines dont les neurosciences.
6 Les réalités cliniques imposent de penser l’articulation des secteurs de la santé mentale et du handicap comme celle des approches éducatives, pédagogiques et thérapeutiques. Elles invitent également à ce que chacun s’enrichisse des échanges interdisciplinaires intégrant la valeur respective des interventions psychodynamiques ou développementales et des techniques de rééducation comportementale (Thurin et coll., 2014).
7 Cette complémentarité des diverses approches oblige à intégrer la dimension relationnelle et subjective dans l’abord de l’autisme. Si des preuves de bonnes pratiques existaient, ce à quoi ne concluent ni le CSS, ni le KCE, elles devraient s’adapter au « cas par cas » de chaque patient et tenir compte de la complexité de l’humain. La clinique impose d’adapter « le concept de preuves » à la singularité de chaque patient et à la complexité de l’humain. Cette complexité ne s’accommode pas de certaines tentations simplificatrices du soin psychique.
8 Plutôt que de dépenser les énergies en oppositions idéologiques, il y a lieu de fédérer les compétences pour améliorer les connaissances encore très imparfaites relatives à l’autisme. Cela implique notamment de valoriser les connaissances empiriques des cliniciens en adéquation avec le concept d’Evidence-Based Medicine (Hay et coll., 2008).
9 À cet égard, les cliniciens souhaiteraient que des études « scientifiques » soient initiées pour confirmer les pratiques dont ils observent les effets bénéfiques au cas par cas. Le défaut d’étude statistique suffisante ne peut aboutir à discréditer certaines pratiques et les enseignements de l’expérience clinique. Cette connaissance empirique constitue les prémices de « découvertes » ultérieurement prouvées.
10 Subsidiairement, l’hétérogénéité des approches validées par l’expérience, au même titre que les approches validées par les études statistiques ou expérimentales permet la liberté de choix des patients dans le cadre d’une organisation démocratique des soins.
11 Une argumentation succincte en six points propose de tracer les contours des positions dégagées par le groupe de cliniciens :
12 – le diagnostic, sa diversité et sa dynamique ;
13 – la dimension subjective ;
14 – la complémentarité des approches ;
15 – les parents ;
16 – la relativité des recommandations ;
17 – conclusion.
18 Cet argumentaire est accompagné d’une bibliographie. Il s’adresse aux responsables politiques, aux parlementaires, aux administrations et à la presse.
Le diagnostic, sa diversité et sa dynamique
19 « “Cette connaissance du sujet” vers laquelle tend l’entretien diagnostique repose généralement sur l’alternance de deux modalités de communication. La première peut être qualifiée de phénoménologique : le psychiatre suspend son jugement et capture son interlocuteur dans sa subjectivité ; une impression, une ambiance se dégage, qui permet d’accéder aux facettes les plus subtiles du fonctionnement psychique. La deuxième approche est sémiologique, et consiste en la recherche d’éléments cliniques… La synthèse de ces deux types d’information, leur intégration (ou pas) au sein d’un champ théorique, leur mise en perspective avec les représentations que le clinicien s’est construites au cours du temps, conduiront ainsi progressivement à l’émergence du diagnostic, avec toutes ses nuances et limites » (Falissard, 2008 [2]).
20 Le diagnostic et l’accompagnement sont deux démarches nécessaires et articulées qui ne peuvent se réaliser qu’au cas par cas.
21 Le diagnostic peut être posé en différents lieux [3], sur la base de rencontres et de tests dans des situations standardisées, à un moment donné.
22 Cette démarche ponctuelle peut ainsi donner un aperçu fiable et, pour une part « mesurable », des difficultés de l’enfant ou de l’adolescent.
Outils standardisés
23 Pour poser un diagnostic, les équipes de nos institutions utilisent divers outils : Vineland, Cars, Ados, ADI-R, PEP, ECA… Elles se référent aussi aux outils développés par certains psychodynamiciens.
24 La « grille de repérage des étapes évolutives de l’autisme traité » (GREEAT) de G. Haag et ses collaborateurs (1995, 2010) permet de situer l’évolution de l’enfant autiste à tout âge dans une approche psychodynamique. « Cette grille s’ordonne autour des grandes étapes de la formation du moi corporel, de la construction de l’espace et des objets, du repérage temporel, sur le plan de l’agressivité, la réactivité à la douleur et l’état immunitaire » (Haag et coll., 1995, p. 498).
25 Anne Brun a également développé des outils de repérage (Brun, 2008) ciblant des niveaux archaïques du développement (contenance ; différenciation forme/fond…).
26 Quant à A. Bullinger, il s’est surtout attaché à développer un outil de bilan sensori-moteur (Bullinger, 2004).
27 La grille d’évitement relationnel du nourrisson identifiée sous l’acronyme GERN (Carel, 1999 cité dans Michel et Carel, 2002) est précieuse pour la détection précoce de situations à risque.
Observations
28 Le diagnostic ne peut cependant se réduire à cette part mesurable et doit être affiné pour prendre en compte :
29 – la diversité des difficultés rencontrées par les personnes diagnostiquées « avec autisme » ou « tsa ». L’élargissement du « spectre de l’autisme » s’est considérablement étendu au fil des réactualisations successives du dsm, pour englober d’autres entités qui, pour autant, n’ont pas disparu. La pratique professionnelle révèle des réalités extrêmement diverses, nécessitant des approches et des moyens adaptés ;
30 – la dimension subjective de la personne, dimension singularisant l’autisme dont elle est porteuse. On pourrait dire qu’il y a autant d’autismes que de personnes autistes. Dans ce contexte, l’unanimité est grande pour reconnaître l’importance d’une dimension relationnelle incontournable, porte d’entrée du traitement. Ne pas en tenir compte aboutirait à biaiser les réalités en cause ;
31 – les échanges d’équipe dont les liens et les débats contribuent à une unification de l’enfant ou de l’adolescent.
32 L’observation peut notamment s’inspirer de la méthode d’observation directe des interactions précoces du nourrisson développée par E. Bick (Delion, 2008). Enracinée dans les théorisations psychodynamiques, cette méthode a anticipé certaines découvertes récentes relatives au développement neurologique du bébé en interaction avec son environnement (Korkmaz et coll., 2013).
Évaluation permanente
33 Ultérieurement, dans le cours de l’accompagnement, les hypothèses diagnostiques d’un début de prise en charge ouvrent la dynamique d’un processus d’évaluation permanente.
34 Ce processus permet de confirmer, d’affiner ou de réorienter ces hypothèses de départ ainsi que la suite du traitement.
35 L’utilisation de grilles, d’échelles d’évaluations et d’observations se colorera donc nécessairement, au cas par cas, au fur et à mesure du parcours d’un enfant, notamment pour prendre en compte la qualité de ses interactions et s’enrichir des échanges et des débats interdisciplinaires.
Diagnostic précoce
36 Enfin, nous rejoignons les avis formulés par les associations de parents, le CSS et le KCE concernant la nécessité d’établir le diagnostic le plus précoce possible. Les différents courants se rejoignent pour affirmer cette nécessité. Nous pensons aux équipes de Tours (Barthélémy et coll., 1995 ; Blanc et coll., 2013) ou Denver (Rogers et Dawson, 2010) mais également aux travaux de A. Bullinger (2004, 2008), P. Warreyn, S. Van Der Paelt et H. Roeyers (2014), S. Gutstein (2014), K. Lawton et C. Kasari, (2012), M.-C. Laznik (2010)…
37 Cette dernière, avec l’équipe préaut, a notamment formé six cents pédiatres français pour les aider à reconnaître les signes précoces de risque d’autisme chez des bébés qui ne suscitent pas l’interaction socio-affective de leur entourage.
38 Selon plusieurs auteurs (Michel et Carel, 2002 ; Delion, 2008), le diagnostic précoce nécessite une prudence sémantique. Ils invitent à parler « d’évitement relationnel » sans précipiter un diagnostic d’autisme de nature à provoquer des angoisses parentales paralysantes. Cette prudence est d’autant plus de mise que la réversibilité des processus pathologiques observés chez le nourrisson reste possible grâce aux interventions précoces.
La dimension subjective
39 « Être humain, c’est être en lien » « Je suis les liens que je tisse avec les autres » (Jacquard, 1997 [4]).
40 Se prévaloir d’une perspective psychodynamique implique une appréhension globale des troubles en tant qu’ils signent une difficulté centrale envahissant les diverses fonctions et axes du développement. Ce noyau unificateur produit un rapport à l’autre, à soi et au monde inscrit dans une histoire, une culture, des liens…
41 L’approche psychodynamique considère le rapport de l’enfant à son environnement, aux manifestations extérieures, ce que certains nomment son « rapport à l’Autre » (Zenoni, 2009). Cela implique un intérêt majeur pour le monde ressenti et perçu de manière particulière par l’enfant autiste affecté par une fragmentation, un défaut d’unification et de liaison interne y compris jusque dans sa connectivité cérébrale (Barthélémy et coll., 1995 ; Blanc et coll., 2013). Cela rejoint le concept de « cohérence centrale » (Frith, 1996) dont le défaut affecterait l’enfant autiste.
42 Autrement dit, prendre en compte la dimension subjective évite de réduire la personne à un diagnostic uniformisé et de la fragmenter en un agrégat de fonctions, en vue d’établir un programme individualisé…
43 Sur ce plan, il importe de signaler combien cette approche de la subjectivité favorise l’émergence, la cohésion et le renforcement d’un noyau identitaire, fondation indispensable aux apprentissages (Flagey, 2002 ; Berger, 1996 ; Boimare, 2004 ; Dolto, 1989).
44 Les psychologues développementalistes, également, mettent l’accent sur la nécessité thérapeutique de s’appuyer sur la subjectivité de l’enfant, ses affects, ses émotions, ses initiatives…, dans une relation de qualité, elle-même influencée par les affects, la sensibilité et la réceptivité de l’intervenant (Rogers et Dawson, 2010). Il s’agit aussi de subjectivité quand le rapport du KCE reconnaît la pertinence d’une intervention développementale qui travaille « sur les centres d’intérêt ou les activités de l’individu pour construire progressivement un engagement, une interaction, une communication, de l’affection… ».
45 Au-delà de la subjectivité, ces formulations évoquent le concept d’intersubjectivité en vertu duquel l’enfant se construit nécessairement dans sa relation à l’autre. La découverte des neurones miroirs, substrat neurologique de l’empathie, a confirmé et validé les intuitions cliniques relatives à la coconstruction indissociable du « self » et du « rapport à l’autre » (Jacoboni, 2006, 2009).
46 Cette rencontre intersubjective est notamment à l’œuvre dans les processus d’attention conjointe et d’accordage sensoriel et émotionnel dont l’ensemble des courants reconnaissent l’importance structurante et incontournable pour initier un travail thérapeutique.
47 Par ailleurs et valorisant les apports des programmes éducatifs ou de stimulations adaptés et standardisés, intégrer la dimension subjective dans l’approche (éducative, pédagogique ou thérapeutique) permet de promouvoir les ressources propres à chaque enfant en l’aidant à intégrer à son contexte social ses trouvailles singulières et personnelles (par exemple : routines ou circuits qui l’aident à lutter contre l’angoisse, rituels de rangement, dispositions rigides des objets, etc.).
La complémentarité des approches
48 La complexité de l’humain croisée aux incertitudes qui traversent la problématique de l’autisme oblige les professionnels à travailler dans l’interdisciplinarité, antidote tant aux idéologies simplificatrices et réductrices qu’aux contaminations par la pathologie.
49 Le terme interdisciplinarité souligne combien les échanges entre les professionnels, le croisement des formations, des regards, des référentiels permet la construction d’un projet individualisé ajusté aux particularités de chaque enfant et réévalué régulièrement. Ce qui est essentiel est de partir de chaque enfant dans son rapport à lui-même, à l’autre et au monde. Chaque petit détail compte. L’accompagnement se fonde sur un trépied solide qui guide les pratiques. L’éducatif, le pédagogique et le thérapeutique se complètent ainsi selon de subtils dosages adaptés aux différentes périodes de la vie et du développement.
50 L’approche corporelle par la psychomotricité ou par la thérapie de développement psychomoteur [5] en fonction des besoins spécifiques de chaque enfant apparaît souvent adaptée au début d’une prise en charge. Les bases théoriques de cette porte d’entrée dans le traitement rejoignent les avis de certains développementalistes (Rogers et Dawson, 2010).
51 La question du langage et de la parole doit se déplier de façon nuancée. Le travail opérant est de soutenir les prémices d’une communication à l’autre. Les recherches ont montré que les enfants autistes ne discriminent pas la voix humaine des bruits ambiants. N. Nader-Grosbois (2006) souligne que les enfants autistes manifestent des comportements communicatifs de niveaux très faibles, voire indifférenciés. Elle ajoute qu’ils acquièrent l’intention de communiquer dans le but d’agir sur l’entourage et non d’interagir avec lui.
52 Plusieurs outils thérapeutiques (logopédie-orthophonie, psychomotricité, thérapie d’échange et de développement, psychothérapies, ateliers thérapeutiques) ont comme axe d’intervention d’accompagner l’enfant dans la discrimination des stimulations de son environnement, de soutenir des modes de communication possibles, de permettre progressivement à l’enfant d’adresser une demande…
53 Lorsqu’un enfant autiste commence à s’ouvrir à la relation, à s’apaiser dans le lien à l’autre, il élargit ses centres d’intérêts, s’aventure dans le champ des apprentissages scolaires ; le repérage et le soutien de ces mouvements, de ces transformations, de ces émergences sont essentiels (Bouvet, 2009 ; Frankard, 2012). Dans cette dynamique, il est primordial de transmettre, non seulement entre professionnels mais également aux parents et aux pouvoirs de tutelle, ce qui est opérant au cas par cas.
54 Dans les échanges pluridisciplinaires, il est souvent périlleux et complexe d’articuler les regards et les positions différenciées. Les réunions d’équipe autour du démarrage d’une prise en charge logopédique (de type pecs par exemple) ou de l’inscription d’un enfant en classe (référée par exemple à une approche de type teacch) nécessitent de tenir constamment en tension nos repères concernant la construction psychique du sujet (étayée sur l’apport extrêmement précieux de la psychanalyse) et les adaptations nécessaires de la socialisation.
55 Chaque outil a sa pertinence et ses limites. L’essentiel c’est le croisement des regards portés sur l’enfant, y compris la place d’un regard tiers tel celui du centre de référence ou de l’envoyeur qui a adressé l’enfant.
Les parents
56 La position psychodynamique dénonce les thèses qui lieraient de manière linéaire la pathologie, les troubles ou le handicap à l’attitude et/ou à la personnalité des parents. Il s’agit avant tout de faire en sorte que tous (parents et intervenants) puissent s’associer en partenaires à l’égard de l’enfant. Il est donc primordial d’entendre la réalité concrète et les demandes pragmatiques parentales, sans jugement et préjugé, et de tenter de proposer des alternatives, des pistes et des dispositifs avec humilité et bienveillance.
57 En ce sens, les psychodynamiciens prônent :
58 – un travail d’accompagnement systématique des parents et si nécessaire, de la famille élargie ;
59 – une information quant aux programmes, méthodes et finalités de la prise en charge ;
60 – un partenariat autour de la mise en place concrète de dispositifs d’aide à la gestion du temps, de l’espace, du comportement, des émotions et de la communication ;
61 – un espace de parole autour de la difficulté à vivre une réalité familiale différente (en considérant également la fratrie) ;
62 – des ateliers conjoints parents-enfants (repas, jeux…) ;
63 – des soutiens (notamment à domicile) à la gestion éducationnelle des difficultés de la vie quotidienne ;
64 – la promotion des études relatives au stress parental et familial lié à la présence d’un enfant autiste, à l’application intrusive de méthodes ou à l’augmentation du risque génétique de vulnérabilité (Hastings, 2008).
La relativité des recommandations
65 Le docteur Laurence Michel (2014)est responsable du service des bonnes pratiques professionnelles à la Haute Autorité de Santé française (has). Ses propos rapportés dans le cadre d’une interview accordée à la revue Responsabilité méritent l’attention. Ils sont parus dans le cadre d’un dossier intitulé « Les recommandations de la has, outil incontournable d’amélioration des pratiques ».
66 Il nous semble utile d’en souligner quelques extraits :
« Quant aux liens “intellectuels”, ils se gèrent plus naturellement par la composition même du groupe de travail, en équilibrant les différents courants. »
« Les recommandations par consensus formalisés (rcf) […] dans des domaines où il existe très peu de données scientifiques et où il y a des controverses, des désaccords. Cette méthode […] a été utilisée pour l’autisme… »
« Ainsi, dans le cas de l’autisme, le débat n’a pas été véritablement tranché en raison de l’absence de preuves scientifiques de l’efficacité des différents modes de prise en charge. »
« La recommandation n’est pas une norme. C’est une aide pour le professionnel qui n’est pas dispensé de faire appel à ses connaissances et de prendre en compte les particularités de son patient. »
68 Ces propos éclairent et confirment les conclusions des rapports du CSS et du KCE. Avec des nuances différentes, ces instances indiquent qu’il leur est impossible d’émettre un avis circonstancié sur les études qui concernent l’approche psychodynamique.
69 Par ailleurs, ces instances signalent également qu’aucune étude ne peut apporter des preuves suffisantes concernant l’efficacité des autres méthodes, dont la méthode cognitivo-comportementale. Tout au plus, certaines études relèvent-elles des résultats encourageants.
70 Les conclusions du CSS se fondent notamment sur le concept d’Evidence-Based Medicine défini comme une « pratique validée par la recherche ». Les experts du CSS soulignent que cette recherche peut être « une recherche expérimentale à cas unique » dont « depuis quelques années, des chercheurs soulignent l’intérêt ».
71 Les recommandations du CSS souffrent cependant de certaines critiques méthodologiques. Elles ont été formulées au sein même du groupe d’experts.
72 Le KCE, pour sa part, signale combien sa « récolte dans la littérature scientifique s’est révélée très maigre ». Il précise : « Dans le cas de l’autisme, il existe très peu d’études remplissant tous les critères de qualité exigés pour pouvoir parler de recommandations “Evidence-Based” ». De ce fait, le KCE a cherché à « obtenir le degré de consensus le plus élevé entre les experts », tout en précisant qu’il y avait eu débat lorsque le degré d’accord n’était pas de 85 %.
73 Cependant, ce débat n’avait pas modifié le contenu et le sens des recommandations sans apport de preuves supplémentaires dont le déficit était par ailleurs reconnu ! Certaines recommandations auraient donc pu être adoptées sur un simple vote majoritaire. Cela pose la question cruciale de la composition du groupe d’auteurs et de la représentation équilibrée des divers courants de pensée.
74 À titre d’exemple, cet équilibre aurait notamment pu conduire à évoquer l’étude Cochrane (Geretsegger et coll., 2014) relative aux effets positifs de la musicothérapie. Cette prise en compte aurait pu amener à recommander d’initier des recherches à propos des médiations thérapeutiques.
75 1. La relativité des recommandations se trouve parfaitement résumée dans deux phrases extraites du rapport du KCE : « Les experts externes n’étaient pas nécessairement d’accord avec son contenu. » (ndlr : contenu du rapport scientifique.)
76 2. « La validation du rapport résulte d’un consensus ou d’un vote majoritaire entre les validateurs. Ils n’étaient pas nécessairement tous les trois d’accord avec son contenu. »
77 À notre sens, cette relativité, énoncée avec une grande honnêteté intellectuelle, par le KCE témoigne de :
78 1. La nécessité, principalement dans les sciences humaines, de reconnaître la valeur des méthodes qualitatives centrées sur la place cruciale des représentations et de l’analyse du discours.
79 Nous renvoyons à cet égard à l’article paru dans la revue Autisme sous la plume de S. Bölte ainsi qu’à l’éditorial de cette revue. Celui-ci montre l’intérêt de croiser les méthodologies qualitatives et quantitatives dans le champ qui nous occupe.
80 2. La large méconnaissance dont reste affecté l’autisme, concept dont, d’autre part, la définition reste largement évolutive en fonction des avancées théoriques et cliniques.
Conclusion
81 Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre le crédit apporté à tout parti pris idéologique. Cette contestation grandit jusqu’aux États-Unis et auprès de certains parents.
82 Le domaine encore largement méconnu que constituent l’autisme et son accompagnement nécessite une ouverture de pensée et une curiosité intellectuelle accrue.
83 La majorité des professionnels des différents secteurs s’accorde à soutenir la pluralité des approches et s’opposerait à une politique guidée par une pensée unique.
84 En conséquence et avec pour but principal de contribuer au bien-être des enfants autistes et de leurs familles, le présent argumentaire sollicite les responsables politiques et les administrations pour :
85 – sortir des querelles idéologiques reconnues par l’étude du KCE et abandonner la pensée unique d’une recommandation orientée qui écarterait des sciences humaines la dimension subjective. Le consensus revendiqué par les études serait ainsi réel ;
86 – reconnaître la longue expertise clinique des psycho- dynamiciens ;
87 – associer réellement les représentants des divers courants aux futures études, tables rondes, Plan autisme… ;
88 – répartir équitablement les subsides de recherche pour garantir la nécessaire complémentarité des approches et valoriser les enseignements de la clinique par des recherches adaptées ;
89 – financer un appel à projet pour initier des recherches qualitatives évaluant les apports des approches psychodynamiques, institutionnelles ou multiréférencées, y compris ceux des ateliers de médiation thérapeutique.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : prise en charge, psychothérapie, autisme, practice based, comportementalisme, evidence based, experience based, kce, css, psychodynamique
Mise en ligne 21/12/2016
https://doi.org/10.3917/capre1.013.0033Notes
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[1]
Les auteurs ont coordonné la rédaction d’un texte réfléchi dans diverses réunions par un grand nombre de cliniciens.
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[2]
Il est utile de mentionner les qualités professionnelles de B. Falissard : psychiatre, professeur de statistiques à la faculté de Médecine de l’université de Paris XI et directeur de l’unité Inserm « Santé mentale et psychiatrie ».
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[3]
Services de santé mentale, centres de référence, centres ambulatoires, institutions résidentielles, consultations pédopsychiatriques, hôpitaux de jour.
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[4]
À noter que cet auteur allie la rigueur scientifique d’une double formation d’ingénieur et de généticien à sa pensée philosophique.
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[5]
Formation complémentaire de quatre ans accessible aux titulaires d’un baccalauréat ou d’un master en sciences humaines et dispensée par l’ifisam.