Couverture de CAPRE1_010

Article de revue

Pulsion invocante avec les bébés à risque d'autisme

Pages 23 à 78

Notes

  • [1]
    Qui devait devenir plus tard l’Association lacanienne internationale.
  • [2]
    Il était le discutant du rapport des langues françaises – les anciennes langues romanes – fait, cette année-là, par Bernard Penot qui avait collaboré de près à mes découvertes sur la pulsion. C’est comme cela que le président de l’IPA nous a aidés. Les réunions se passaient dans la bibliothèque de son ancien service à la Pitié-Salpêtrière.
  • [3]
    Ce que je n’aurais jamais pu faire sans l’aide précieuse et gratuite de mon mari, Oussama Cherif Idrissi el Ganouni, docteur en statistiques !
  • [4]
    Il est triste de penser que l’équipe actuelle dans laquelle se trouve Frank Ramus refuse de façon même hostile de continuer tout dialogue avec la psychanalyse.
  • [5]
    Un deuxième congrès commun sera organisé deux ans plus tard au sujet de la pulsion.
  • [6]
    Elle a écrit un article dans Psychanalyse de l’enfant en 1999 sur le mamanais dans la relation bébé-mère (Severina-Ferreira, 1999).
  • [7]
    Lors du congrès sur l’autisme organisé par Jacques Hochmann à Lyon.
  • [8]
    Ce détail est d’importance si nous voulons distinguer les objets de la satisfaction du besoin des objets pulsionnels proprement dits.
  • [9]
    « Several studies (Scherer, 1979) have shown that high pitch and expanded pitch range in normal adult-adult conversation are acoustic concomitants of positive affect, signaling pleasantness and happiness, as well as vitality and surprise, to adult listeners. In mothers’ speech to infants, several such prosodic attributes known to convey emotional information are exaggerated well beyond the range of normal adult speech, perhaps providing prominent affective cues for the infant. »
  • [10]
    Seul texte où Freud aborde longuement le rôle de l’autre secourable dans la constitution de l’appareil psychique du bébé.
  • [11]
    Ce qui veut dire qu’il pourrait y avoir d’autres niveaux que le visuel.
  • [12]
    À ce propos, voir M.-C. Laznik-Penot : « Les effets de la parole sur le regard des parents, fondateur du corps de l’enfant », dans D. Brun (sous la direction de), Les parents, le pédiatreet le psychanalyste, Condé-sur-l’Escaut, Éditions P.A.U., 1995.
  • [13]
    B. de Boisson Bardies raconte aussi que les bébés soumis à l’écoute d’un poème pendant les derniers mois de la vie fœtale, discriminent ce poème. Ils le préfèrent à un autre, non entendu, même si c’est la voix de leur mère qui le lit. Ils préfèrent le poème qu’ils connaissent même si c’est une voix féminine inconnue qui le lit. Ils sont même capables, en suçant de façon particulière, de choisir de réécouter la cassette du poème connu au détriment de celle avec la voix de la mère. Nous voyons donc que, dès la naissance, la voix da mère n’est pas le seul déterminant acoustique en jeu mais aussi certaines caractéristiques des chaînes signifiantes préalablement entendues. Nous verrons que la prosodie joue aussi, d’emblée, un rôle prépondérant.
  • [14]
    Il s’agit d’une laparoschisis grave qui a nécessité six mois d’hospitalisation et quelques interventions chirurgicales.
  • [15]
    Situation qui persistait encore au moment où cet exposé fut proféré, Marianne ayant alors 14 mois. Ce n’est qu’à partir de 28 mois qu’elle a pu s’alimenter exclusivement par la bouche.
  • [16]
    Que Freud appelle des Wunschvorstellungen, des représentations de désir.
  • [17]
    C’est d’ailleurs celle qui est retenue par Laplanche et Pontalis dans leur Dictionnaire et qui a la faveur de la majorité des auteurs psychanalytiques français.
  • [18]
    Même si le terme autoérotisme n’y apparaît pas encore – puisque ce n’est qu’en 1905 que Freud l’emploie –, il est évident que la notion même de pôle hallucinatoire de satisfaction, qui suppose la réviviscence de traces mnésiques liées à des traits de l’Autre inoubliable, implique une tout autre conception de l’autoérotisme.
  • [19]
    Si ce pas a été franchi par des auteurs anglo-saxons, et non pas par des auteurs de l’école française, c’est parce que celle-ci est restée très attachée à l’idée d’une l’historicité.
  • [20]
    Lacan lui-même n’a pas eu le loisir de tirer les conséquences de cette assertion, qui implique une révision complète de la théorie de l’étayage.
  • [21]
    La pulsion n’est donc plus un concept charnière entre le biologique et le psychique mais un concept qui articule le signifiant et le corps, ce qui n’est pas l’organisme.
  • [22]
    Mais nous allons voir que ce n’est que dans l’après-coup du troisième temps que nous pourrons dire s’il y a ou non autoérotisme.
  • [23]
    Il ne s’agit pas ici de plaisir au sens du principe de plaisir, qui est surtout un principe de non-déplaisir.
  • [24]
    Fondation Stella Maris, faculté de médecine de Pise.
  • [25]
    L’idée qu’il y a, dès la naissance, un prototype de sujet capable d’une volonté de refuser est assez rare dans la psychanalyse. Françoise Dolto a d’emblée affirmé l’existence d’un sujet, ce qui n’est pas très évident. Jacques Lacan a parlé d’un sujet du principe du plaisir, capable de fuir le déplaisir. Il est sûrement dérivé du Real Ich que Freud évoque dans « L’Esquisse ». Ce n’est qu’au moment où il arrive à se faire objet de la pulsion de l’autre que ce sujet cesse d’être acéphale, dit Lacan. Plus je travaille avec les bébés en danger d’autisme, plus je visionne des films familiaux de ceux qui le sont devenus, plus ma pratique d’analyste de bébé et de parents s’affine, et plus je dois reconnaître qu’il y a bien un petit bout de chou de sujet avec les parents et l’analyste dans la séance, ce qui change tout. Mais ce sujet ne peut se savoir exister que dans l’après-coup de la découverte qu’il est source de la joie de l’autre. Temps nécessairement fugace et indispensable.
  • [26]
    L’idée est venue de Charles Melman et s’est avérée très utile pour un travail de déchiffrage en micro-analyse de la situation. La première cinéaste a été Anouck de Bordas, une collègue qui avait entrepris ses études de psychologie après une longue analyse. Il me semble indispensable que le « cinéaste » ou le « scribe » d’une séance avec un enfant autiste soit quelqu’un de formé à la psychanalyse. Transférentiellement, il me serait difficile de sentir quelqu’un en train de juger ce que j’essaye de mettre en place pour entrer en contact avec l’enfant. L’année suivante, ce fut Catherine Thomas qui avait la même formation. Toutes deux m’ont été d’une aide très précieuse et je les en remercie.
  • [27]
    Les deux avaient été des élèves de Julian de Ajuriaguerra.
  • [28]
    Un compte rendu plus détaillé des recherches de Monica Zilbovicius, fait par Bernard Golse, se trouve dans son article, dans ce même livre : Langage, voix et parole dans l’autisme, Paris, Puf.
  • [29]
    Extrait de L’Express en ligne du 20 décembre 2004 : Les chercheurs de l’année 2004, « Les autistes ne reconnaissent pas la voix humaine », entretien réalisé par F. Maxime et E. Lecluyse.
  • [30]
    Nous retrouvons ici l’âge d’une autre recherche qu’elle avait présentée en Belgique. Personnellement, je pense qu’il faut intervenir beaucoup plus tôt.
  • [31]
    Il s’agit d’un questionnaire cognitif construit par S. Baron Cohen, qui permet de repérer à 18 mois les petits qui feront un autisme à 3 ans. Dans la recherche PRÉAUT sur les signes précoces d’autisme, nous en utilisons une variante française un peu modifiée.
  • [32]
    Je tiens à remercier ici les médecins du centre de protection maternelle et infantile de Bordeaux qui m’ont signalé cette précieuse analogie, lors de notre rencontre pour la formation PRÉAUT.
  • [33]
    Je dois cette idée à Hervé Bentata. Voir « Sirènes et chofar : incarnation mythique et rituelle de la voix », dans Quand la voix prend corps, Paris, L’Harmattan, 2001.

L’histoire d’une recherche

La pulsion

1Tout a commencé en 1992. Nora Scheimberg m’a fait la confiance de venir me parler en supervision d’une petite fille peul : Alimata. Elle était autiste et n’avait aucun langage. Mais elle avait des choses à dire et le faisait par l’intermédiaire des images de la revue Parents qu’elle rapportait de la salle d’attente et dont elle coloriait ce qui lui parlait. Sa psychanalyste les photocopiait et nous essayions d’y entendre ce qui là venait faire question pour elle. Pendant toute une période, elle fut obsédée par une image publicitaire montrant une mère qui changeait son bébé sur une table à langer. Le pied du bébé approchait la bouche de la mère souriante.

2Son insistance à souligner les yeux et la bouche de la mère indiquait que le regard jouait un grand rôle mais aussi le plaisir maternel qui embrassait le petit pied. Nous possédons d’innombrables reprises de cette question, séance après séance. Heureusement, cette publicité se retrouvait dans chaque numéro, ce qui permettait à Alimata de continuer à insister sur ce qui était important pour elle, qui demandait à être entendu et traduit.

3Il s’agissait d’une interaction en boucle, allant du bébé à la mère et revenant sur le bébé. Leur plaisir se nourrissant du plaisir de l’autre.

4À force d’insistance de la part d’Alimata, nous nous sommes enfin aperçues que c’était de la question même de la pulsion orale et de son bouclage qu’il s’agissait, et de l’importance que cela revêtait pour un bébé. Cette expérience, elle ne l’avait pas eue, notamment parce que, bébé, elle n’avait pas su la susciter. Ce n’était que dans le transfert à sa psychanalyste, dans ce climat d’amour et de confiance, qu’elle avait pu découvrir et nous faire partager ce qui était si vital pour un petit bébé.

5Je me souviens de l’été qui a suivi cette découverte. Je le consacrai à la relecture bénédictine du texte de Freud, Pulsion et destin des pulsions (1915). J’avais la version française et l’original allemand sous les yeux et je me servais, pour comprendre ce que Alimata venait de nous enseigner, de ce que Jacques Lacan avait apporté à la lecture de ce texte dans le séminaire qu’il avait consacré aux quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, dont un était la pulsion (Lacan, 1964).

6Lacan n’a jamais essayé d’être pédagogique. Il a fallu ramasser, tout au long de ce séminaire, les différents moments où il en parlait. Le résultat de la reconstruction de ce puzzle était surprenant. Lacan avait introduit une variante au texte de Freud, qui rendait, tout d’un coup, la question de la pulsion centrale dans la compréhension de l’autisme chez le bébé. Chez les bébés au devenir autistique, quelque chose ratait à ce niveau, et c’était ce qu’Alimata nous avait enseigné à saisir : il manquait le retour rétroactif de la boucle, le moment où le bébé se fait objet de la jouissance maternelle en offrant lui-même son petit pied. Ce temps, que Freud nommait passif, Lacan l’avait repéré comme en fait éminemment actif, le bébé se faisant boulotter le petit pied. Or, et là Lacan ne faisait que reprendre Freud, ce n’est qu’à ce troisième temps qu’il y avait surgissement du sujet.

7Grâce à Alimata, j’ai donc fait l’hypothèse que c’est ce troisième temps qui fait défaut, chez le bébé en train de devenir autiste. Est-ce que j’avais bien lu Lacan ? Cela semblait tellement extraordinaire et personne ne l’avait souligné auparavant ! Je proposais un article sur « la pulsion chez Lacan » à un collège de sages qui, autour de Claude Dorgeuille, était chargé à l’Association freudienne [1] de relire des textes de type encyclopédique autour des concepts psychanalytiques. Ils furent tous surpris, mais à la lecture attentive de ce puzzle reconstruit, ne trouvèrent rien à redire. Il y avait bien là une théorie proprement lacanienne de la pulsion, qui fut publiée (Laznik, 2000). Et elle me semblait pouvoir servir à saisir ce qui ratait dans l’autisme. Elle avait aussi cette qualité, précieuse à mes yeux, de ne constituer aucune étiologie. Le pourquoi restait de côté, ce que l’on constatait était une concomitance : ce qu’Alimata avait mis en exergue ne se retrouverait pas chez les bébés devenus plus tard autistes. Il n’y aurait pas, chez eux, ce troisième temps de la pulsion. Dans le cadre d’un séminaire fermé sur l’autisme, un groupe de proches collègues qui s’intéressèrent à la même question s’enthousiasma. Cela pourrait être la base d’une recherche de signes d’autisme chez les bébés. En 1995, le troisième réseau INSERM sur l’autisme était lancé par Pierre Ferrari et Michel Botbol. Ce dernier soutient le projet d’une recherche à partir de ce signe. Très vite, PRÉAUT va naître et être proposé à ce réseau, avec une bibliographie faite par Serge Lebovici en une nuit. Le troisième réseau INSERM sera tué dans l’œuf par les chercheurs qui en excluent les médecins. Mais PRÉAUT restera.

8À l’occasion d’un congrès de langue française de l’IPA, en 1999, Daniel Widlöcher [2] prend connaissance de cette lecture particulière de la pulsion et y adhère d’autant plus qu’elle vient corroborer ce qu’il avait pu lui-même avancer sur le troisième temps de la pulsion. Il devient un support indispensable à la recherche PRÉAUT et va lui donner des assises dans le monde universitaire. C’est comme cela que Claude Bursztejn rejoindra la recherche.

9Mais un autre événement va avoir lieu cette même année, qui non seulement donnera des bases cliniques bien plus solides à la recherche PRÉAUT sur les signes précoces d’autisme mais ouvrira un autre champ de recherche, celui sur la prosodie du mamanais chez les bébés devenus autistes. En mars 1999, Bernard Golse invite Filippo Muratori à la WAIMH France. Accompagnés de Sandra Maestro, ils proposent des devinettes aux professionnels présents : il faut, à partir de scènes avec bébé dans des films familiaux, dire lesquels vont devenir autistes. Ce n’est pas facile pour l’assistance, car tous ces bébés regardent, sourient, ne serait-ce qu’à des beaux objets. Je ne connaissais pas encore les collègues italiens, réputés pour leurs recherches sur les films familiaux de bébés devenus autistes. Mais à partir de l’hypothèse du ratage du troisième temps du circuit pulsionnel, je me lance et donne la liste des bébés qui sont devenus autistes. Elle est juste. Grande surprise générale mais aussi la naissance d’une profonde amitié avec mes deux collègues italiens, amitié qui se poursuit depuis quatorze ans et qui va permettre, des années plus tard, que la recherche scientifique sur la prosodie du mamanais soit possible.

10Cette même année, je suis à Pise, à la fondation Stella Maris où Filippo Muratori et Sandra Maestro mettent à ma disposition d’innombrables films familiaux de bébés devenus autistes. Ils avaient l’habitude, depuis au moins 1994, de demander aux parents des petits de 3 ans qui venaient à leur centre pour un diagnostic d’autisme, de leur confier les films familiaux de ces enfants quand ils étaient bébés. Visionner des dizaines de ces films permettra de vérifier, cliniquement, l’hypothèse du ratage du troisième temps de la pulsion chez ces bébés. Aucun d’eux ne donne son petit pied, ou les doigts de sa main à sa mère, même quand elles essayent sur la table à langer, car elles essayent aussi. Avant de raconter comment va naître, dans ce premier voyage à Pise, une nouvelle aventure avec la recherche sur la voix, il faut dire que la recherche PRÉAUT n’a pu avoir lieu que parce que de l’argent a été fourni par la plus grande mutuelle privée française, une somme considérable pour l’époque : trois cent mille francs. C’est cela qui a permis de construire toute la partie épidémiologique de la recherche. C’est Charles Melman qui a obtenu ce premier financement car il a cru en cette recherche et la première adresse de PRÉAUT a été chez lui. C’est dans son salon que nous nous sommes réunis. C’est aussi parce qu’il y avait déjà un financement que Claude Bursztejn nous a rejoints. Un immense travail a ensuite été fait par l’équipe PRÉAUT : Graciela Crespin et Jean Louis Sarradet en tête. J’avoue qu’après avoir monté les questions du cahier d’observation et leurs valeurs relatives pour les statistiques [3], j’ai peu contribué à la mise en chantier de la recherche, car j’étais tombée dans le traquenard que Filippo Muratori m’avait tendu et une nouvelle passion allait m’emporter : la recherche sur le mamanais des mères et son effet chez les bébés devenus autistes.

Un nouveau centre d’intérêt passionnant : la prosodie des mères qui s’adressent à leurs bébés

11Dès que j’arrive à Pise, Filippo Muratori me montre des scènes d’un petit Marco : un ravissant bébé de deux mois et demi qui vocalise et sourit à ses parents. Le film est du premier janvier 1996. Filippo Muratori me demande mon sentiment concernant ce bébé. Je le trouve adorable, j’ai tout faux. Nous sommes en 1999, il est venu à 3 ans pour être diagnostiqué à la fondation Stella Maris : il est devenu autiste. C’est un choc. Il est vrai que dans tout le reste de ce long film familial de plus d’une heure, ce bébé ne regarde pratiquement plus ses parents. Mais alors, comment comprendre qu’il les regarde si bien dans la scène que Filippo Muratori m’a tout d’abord montrée pour m’induire en erreur ? Comment une chose pareille est-elle possible ?

12Ce fragment de film sera aussi montré, en 2000, lors d’un congrès WAIMH à Montréal par Sandra Maestro et Filippo Muratori. Il suscitera de vives réactions de la part de collègues de divers pays du monde. Comment accepter l’idée même qu’un pareil bébé puisse devenir autiste ? Cela voudrait-il dire qu’aucune prédiction n’est possible à cet âge ? Mais, dans pratiquement tout le reste de ce film familial, y compris une scène datée du même jour, l’état de fermeture de ce bébé est facilement décelable. Comment rendre compte d’une telle disparité de modes de relations chez Marco ?

13Dans leur générosité, mes collègues italiens m’ont confié un sac plein d’autres films de bébés devenus autistes pour que nous puissions les étudier à Paris. C’est encore l’époque des VHS. Le sac pèse, mais je ne m’en rends même pas compte, errant dans les ruelles du vieux Pise et cherchant une explication à ce que j’avais perçu grâce à Marco. L’explication de Filippo Muratori ne me suffisait pas. Ces bébés qui vont devenir autistes, m’avait-il dit, regardent aussi leurs parents, mais rarement. Statistiquement, si les bébés normaux regardent leurs parents au moins une fois toutes les cinq minutes, ceux-là le font parfois, certains jours.

14Pourquoi regarderaient-ils alors ? Qu’est-ce qui présiderait à la possibilité de ce regard ? Même si j’étais loin d’avoir la réponse, j’avais quelques outils pour y réfléchir.

15Depuis le début des années 1990, j’avais intégré la consultation psychanalytique bébés-parents du centre Alfred Binet. Pour des problèmes d’horaire, je n’avais malheureusement pas pu profiter du séminaire mensuel sur le langage que René Diatkine organisait avec Laurent Danon Boileau et une orthophoniste, Marie-Françoise Bresson. René Diatkine s’intéressait beaucoup à la question du langage. Son analyste avait été Jacques Lacan, dont il avait aussi été, jusqu’à 1953, l’élève préféré.

16En 1994, après la mort de René Diatkine, Françoise Moggio qui dirigeait la consultation bébé, avait demandé à Marie-Françoise Bresson de nous faire un séminaire d’enseignement sur la psycholinguistique chez le bébé. Marie-Françoise connaissait de près toute cette aventure qui avait commencé dans les années 1970. Son père, François Bresson, avait dirigé le laboratoire de l’École normale supérieure qui s’occupait d’acquisition de langage ; il en était un des pionniers. Sa fille Marie-Françoise avait été élevée dans tout cela. Ce labo de la rue d’Ulm réunissait des chercheurs spécialisés dans l’acquisition du langage. Après le départ de François Bresson, il a été dirigé par Jacques Mehler, puis par Emmanuel Dupoux [4]. Marie-Françoise Bresson m’a enchantée en parlant des travaux de Colwyn Trevarthen, Anne Fernald, William S. Condon et L.W. Sanders (1974), notamment de ce nouveau-né qui ne bougeait pas suffisamment les doigts, ce qui entraînait une diminution de la parole chez sa mère : elle lui parlait moins, moins souvent, moins longtemps. Quel monde, ce bébé si présent dès le début dans le langage !

17Dès 1995, j’avais proposé que l’on étudie la question du langage chez le nourrisson, dans un séminaire commun à l’ALI et à Espace analytique, où se retrouvaient ceux qui s’occupaient d’un côté comme de l’autre de bébés. Ce séminaire aboutira, en mars 1998, à l’organisation conjointe, par nos deux sociétés, d’un congrès « Émergence et champ du langage chez le nourrisson [5] ». Une collègue brésilienne, Sylvia Severina-Ferreira, viendra y présenter une étude qu’elle avait réalisée avec des bébés normaux et leurs mères, en se centrant sur les tours de parole et la prosodie de la mère. Pendant sa présentation, elle fera entendre un enregistrement audio de la voix de la mère [6] qui saisira l’auditoire.

La rencontre avec Colwyn Trevarthen

18Et puis, dans cette même année 1995 [7], j’ai eu la chance de rencontrer Colwyn Trevarthen. Dès lors, son influence marquera durablement ma façon de penser. Notre rencontre est assez cocasse. Comme je lui offre mon livre sur l’autisme, il me répond que l’on ne peut pas discuter avec les psychanalystes car ils croient que le bébé se construit sur l’expérience du sein et de l’allaitement. Je lui réponds qu’il y a une école psychanalytique française qui croit que le langage est tout aussi important pour le bébé. « Comment tout aussi important ? Le langage c’est beaucoup plus important ! » rétorque-t-il avec véhémence. Nous sommes devenus des amis et sa générosité a été sans bornes pendant toutes ces années. Je commençai par recevoir un paquet de plusieurs kilos avec tous les articles qu’il avait écrits sur la question du langage chez le nourrisson, mais aussi avec ceux des autres collègues de sa génération qui travaillaient sur ce sujet. Plus tard, quand tout sera enregistrable sur DVD, il m’en fera un tous les ans lors de ses passages à Paris, avec l’ensemble des nouveaux articles sur le sujet. J’aurai alors l’honneur de le loger et de profiter de conversations passionnantes pendant nos déjeuners.

19En parcourant les kilos d’articles envoyés, pas toujours agréables à lire à cause des contraintes des exposés méthodologiques, je tombe sur une perle : un ancien article d’Anne Fernald (Fernald et Simon, 1984) décrivant ses recherches avec les bébés de un à trois jours à qui elle fait entendre la voix de la mère. Elle y inaugurait le champ de recherche sur la prosodie du mamanais (ou motherese) qui, depuis peu, s’appelle le parentais, car les pères sont aussi doués que les mères pour la produire. Elle constatait chez les nourrissons une appétence orale exacerbée pour cette forme particulière de parole maternelle, qui présente une série de caractéristiques spécifiques de grammaire, de ponctuation, de scansion, et une prosodie particulière. Elle s’était intéressée aux caractéristiques prosodiques du motherese, et à l’effet qu’il produit sur l’appétence orale de bébés entre 1 et 3 jours de vie.

20Qu’a-t-elle découvert ? Qu’avant même la montée de lait, un nourrisson qui n’a donc pas encore fait l’expérience de la satisfaction alimentaire, en entendant une forme prosodique particulière de la voix de sa mère adressée à lui, devient très attentif et se met à sucer intensément sur une tétine non nutritive [8]. Cependant, Anne Fernald a découvert que si elle enregistre la parole de la mère parlant à son bébé, sans la présence de celui-ci, le résultat obtenu est différent. On n’y retrouve plus les mêmes pics prosodiques et le bébé montre, alors, moins d’intérêt. Et si une mère s’adresse à un autre adulte, les pics prosodiques devenant alors encore plus faibles, l’appétence du bébé s’éteint. Elle travaillait avec des bébés normaux. Mais parmi nous, cet article devait être le départ d’une série de recherches concernant les bébés devenus autistes tels qu’ils pouvaient être perçus à travers les films familiaux.

21Ce qui avait déclenché mon enthousiasme d’analyste à la lecture de ce document était lié à un petit paragraphe de la fin de l’article [9]. Après avoir décrit la forme de prosodie de la voix de la mère qui enchantait le bébé, celle qui ne suscitait que peu de réaction de sa part et celle qui le laissait indifférent quand la mère s’adressait à un autre adulte, Anne Fernald s’était demandé si, dans une conversation entre deux adultes, de pareils pics prosodiques pouvaient se retrouver. Et de conclure que oui, mais rarement, car il fallait pour cela qu’il y ait en même temps une grande surprise et une grande joie.

22Depuis peu, il a été prouvé que la surprise produit dans la voix du parent d’un bébé un pic d’énergie élevé, tandis que le plaisir produit un pic très bas (Reissland et coll., 2002). Je constate donc que, quand les deux se produisent successivement, cela donne l’aspect de collines découpées, propre à la prosodie du parentais.

23Or, surprise et joie, cela était un peu l’équivalent de « sidération et lumière », les termes que Freud reprenait du poète Heine dans son article Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (Freud, 1905). Nous nous souvenons tous de l’exemple que Freud emprunte à Heine, l’histoire du pauvre juif, pédicure qui va chez son oncle Rothschild et y est reçu de façon, dit-il, famillionnaire. Le pauvre juif ne sait pas parler correctement ? Non, se dit le poète, il vient de faire – malgré lui – un mot d’esprit. Il est génial ! Rothschild ne peut que recevoir de façon famillionnaire. Il est trop riche pour recevoir autrement. L’histoire a fait le tour du monde.

24Lacan la reprend dans le séminaire V quand il construit son graphe du désir pour repérer le moment où un dire du sujet va rencontrer la jouissance de l’Autre. Et cet Autre est barré, car décomplété de son savoir par la découverte de ce mot qu’il ignorait jusqu’alors. S’il avait joué d’un savoir sans barre, il aurait renvoyé ce mot à la poubelle des mots tronqués ou des néologismes dépourvus d’intérêt.

25Donc, pour obtenir une prosodie de la forme mamanais, il fallait qu’il y ait en même temps ces deux expériences affectives. Ce qui veut dire que la mère du nouveau-né les expérimentait à la vue de son bébé.

26J’avais beaucoup réfléchi à cette question, des années auparavant, lors de ma rencontre avec une petite fille autiste : Louise (Laznik, 1995). Elle avait 5 ans et adorait répéter par cœur certains passages de ses cassettes de livres d’enfant. Gargantua fut, pendant tout un temps, son préféré. Elle adorait le passage où le bébé géant demande encore : « À boire, à boire. » Mais elle tenait systématiquement à modifier le texte d’une lettre et elle disait : « À voir, à voir. » Par contre ni sa mère ni nous n’avions le droit de le modifier nous-mêmes. Nous finîmes par comprendre – cela a quand même pris un certain temps – qu’il s’agissait de la part de Louise d’un magnifique mot d’esprit. Ce bébé Gargantua qui ne se contentait d’aucune quantité de lait que l’on pouvait lui donner, c’était de regard qu’il était manquant !

27L’effet de cette découverte fut saisissant tant pour les parents que pour la thérapeute, et notre voix a dû pendant un certain temps, porter les inflexions de cette surprise et de ce plaisir qu’elle suscitait en nous. Les modifications chez Louise furent alors brutales et radicales : elle perdit son strabisme et arrêta de baver, en même temps que cessaient ses stéréotypies des mains. Auparavant, elle parlait au plafond, elle ne s’adressait pas à l’autre. Après notre sidération sur sa découverte de la clef du mythe de Gargantua, elle devint une petite fille beaucoup plus agréable.

28Cela voulait donc dire que la mère d’un nouveau-né était dans cet état lors de sa naissance : émerveillée et surprise. Ce qui voulait dire que son bébé pouvait crocheter alors sa jouissance en tant qu’Autre barré, car marqué du manque que cette surprise implique.

29Mais si, comme Anne Fernald l’avait décrit dans son article, ainsi que bien d’autres à sa suite, le bébé était passionné par la prosodie du mamanais dans la voix de sa mère dès le premier jour, cela remettait gravement en cause la théorie de l’étayage chez Freud. Je le développai dans un article intitulé : « La voix comme premier objet de la pulsion orale » écrit en mars 1998 pour notre congrès « Émergence et champ du langage », et publié en 2000 (Laznik, 2000b).

La Voix comme premier objet de la pulsion orale et critique de la théorie de l’étayage de Freud

30J’y rappelais que Freud, à la fin de sa vie, disait dans l’Abrégé (1938) : « Le sein nourricier de la mère est pour l’enfant le premier objet érotique, l’amour apparaît en s’étayant à la satisfaction du besoin de nourriture. […] Très tôt, l’enfant en suçotant obstinément montre qu’il existe un besoin de satisfaction qui, bien qu’il tire son origine de l’alimentation et soit excitée par elle, cherche son gain de plaisir, indépendamment de celle-ci. De ce fait, ce besoin peut et doit être qualifié de sexuel. » En rappelant son texte sur la pulsion (1915), nous pouvons rajouter : « pulsionnel ». Freud dit : « Lorsque l’on voit un enfant rassasié quitter le sein en se laissant choir en arrière et s’endormir, les joues rouges, avec un sourire bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image reste le prototype de l’expression de la satisfaction sexuelle dans l’existence ultérieure » (Freud, 1905). C’est la conception classique de l’étayage du fonctionnement psychique et pulsionnel sur l’expérience de satisfaction des besoins vitaux de l’organisme. Spitz également affirmait ainsi que la constitution de l’appareil psychique passait nécessairement par l’expérience de satisfaction du besoin alimentaire.

31En relisant attentivement l’Esquisse [10](Freud, 1973), j’ai compris que Freud pensait qu’au pôle hallucinatoire de satisfaction sont inscrites les traces mnésiques des attributs de ce prochain secourable (Nebenmensch), celui qui est attentif aux besoins du nourrisson, et aussi une partie ramassée, qui reste comme une chose (das Ding), et il ajoutait : « Ça serait, par exemple, au niveau visuel [11] les traits. »

32Il m’avait semblé possible de relier cela au regard fondateur de la mère [12] – ou des parents – et à ce que Winnicott appelle le visage de la mère comme miroir. Quelque chose du désir de la mère pour son bébé se traduirait sur les traits de son visage, dans sa façon de le regarder ; cela aussi était enregistré dans le pôle hallucinatoire de satisfaction. Mais dans ce texte publié en 2000, j’ai avancé que ces traits sont aussi acoustiques et qu’ils sont axés sur les modes prosodiques de la parole du parent à son bébé. Et c’étaient les travaux des psycholinguistes, ainsi que certains cas cliniques, qui m’avaient permis de formuler cela.

Intérêt des recherches des psycholinguistes

33Les recherches des psycholinguistes auxquelles Marie-Françoise Bresson nous avait introduits avaient été résumées pour le grand public par Bénédicte de Boysson Bardies (1996) et, dix ans auparavant, par Jacques Mehler et Emmanuel Dupoux (1990). Je faisais aussi référence aux travaux de Marie-Claire Busnel sur les compétences acoustiques des fœtus, qui jusqu’à maintenant interrogent beaucoup nos habitudes de pensée. Le travail sur la période gestationnelle me semble encore devoir être accompli.

34J’énonçais dans ce texte que toutes ces recherches m’avaient obligée à penser que le bébé de Freud – tel que je me le représentais – se trouvait sérieusement remis en question. Mais le bébé de Lacan aussi demandait quelques réaménagements.

35Lacan appelle le sujet humain le parlêtre car il est, d’emblée, dans le langage. Certes. Mais comment cela se passe-t-il chez l’infans, c’est-à-dire chez celui qui ne parle pas encore ? Comment cela se joue au plan clinique ? Si Lacan a beaucoup parlé du désir de l’Autre, il ne disposait pas d’une clinique de bébés qui lui aurait permis d’articuler ses hypothèses sur le plan phénoménologique. Et puis, Lacan reste très attaché à l’Esquisse. Pour lui, la première manifestation du bébé est un cri, c’est-à-dire une décharge motrice, qui a lieu parce que la faim ou la soif sont à l’origine d’une excitation interne.

36Dès le début de son livre, Bénédicte de Boysson-Bardies (1996) rappelle que le bébé discrimine la voix de la mère, avant même la première tétée, donc avant qu’un quelconque lait ait pu calmer un quelconque besoin [13]. De fait, les recherches des psycholinguistes ne vont pas dans le sens des affirmations de Spitz sur le passage nécessaire par l’expérience de satisfaction du besoin alimentaire pour la constitution de l’appareil psychique.

37À la consultation bébés-parents du centre Alfred Binet, j’avais reçu, à la fin des années 1990, un bébé de 11 mois que j’avais appelé Marianne pour la publication. À cause d’une malformation fœtale digestive grave [14], elle avait d’abord été alimentée par cathéter, puis [15] gavée par sonde ; Marianne n’avait donc jamais connu d’expérience de satisfaction du besoin alimentaire par la bouche.

38Au départ, Marianne se présentait comme un bébé triste, avec des parents tendus, crispés sur leur échec à la nourrir de façon naturelle. Mais dans le travail thérapeutique, elle a pu, très rapidement, se montrer vivante, capable de manger les histoires qu’on lui racontait, de boire les paroles des uns et des autres. Elle mit en scène de bonnes représentations de mère nourricière, montra un autoérotisme oral, fit preuve d’une organisation de la symbolisation et, très vite, elle parla.

39Si cela a été possible, aussi rapidement, c’est parce que Marianne n’avait pas seulement été gavée artificiellement ; elle avait aussi reçu de ses parents, dès l’hôpital, des paroles nourrissantes. Quand je jouais à me laisser nourrir, Marianne reprenait, en miroir, le plaisir que l’on peut avoir à être nourrie, c’est-à-dire qu’elle mettait en scène quelque chose qui lui était inconnu sur le plan alimentaire. Dans un autre jeu, c’est elle qui alla s’offrir comme objet délicieux, « bonne à croquer », et ce fut ainsi qu’elle découvrit la cavité buccale de ses parents, puis la sienne propre. C’est tout le circuit de la pulsion orale, dans ses divers temps successifs, qui se mit en place chez elle. Nous étions donc face à quelqu’un qui, tout en n’ayant jamais été nourrie par la bouche, ne présentait, cependant, aucun retard de l’organisation symbolique ou langagière.

40Je m’étais posé quelques questions théoriques sur les conséquences de ces données cliniques. Freud était un homme curieux des recherches de son temps, et je crois que, face à des données de ce genre, il aurait été le premier à en tirer des conséquences par rapport à sa théorie. Peut-être lui auraient-elles permis de mieux réarticuler quelques difficultés de certains de ses concepts.

Rôle de l’étayage de la pulsion chez Freud

41L’étayage permet à Freud de mettre en place une représentation théorique de l’appareil psychique qui suppose une historicité – ce qui est très important – et un lien à un Autre primordial qu’il appelle le prochain secourable(Nebenmensch) ; celui qui va apporter la réponse spécifique capable d’apaiser ses besoins (de faim et de soif, bien entendu). Il s’ensuit une chute de la tension interne pour le bébé, vécue comme expérience de satisfaction, qui va s’inscrire dans le pôle hallucinatoire de satisfaction. Plus tard, quand il est laissé seul, le bébé peut ré-évoquer les traces mnésiques de cette expérience de satisfaction [16], ainsi que les traits de cet Autre attentif, et retrouver un apaisement ; c’est l’expérience hallucinatoire primaire. C’est dans ces termes que Freud décrit la constitution de l’appareil psychique dans l’Esquisse (1973).

42À partir de là, nous pouvons penser un autoérotisme, succédané de l’expérience hallucinatoire primaire, mêlé à la ré-évocation de certains traits de cet Autre secourable. Cette conception a l’intérêt d’intégrer l’autoérotisme dans l’historicité de la relation à l’Autre [17]. Mais elle embarrasse Freud, et on le comprend, dans la mesure où elle fait dériver toute l’expérience psychique du registre physiologique.

43Comment ne pas confondre physiologie et psychologie, se demande-t-il ? Comment affranchir les pulsions, sexuelles par excellence, du registre de la conservation de l’organisme ? À cette question centrale, Freud va répondre en introduisant l’idée d’un autoérotisme inné, lequel, tout en semblant le sortir d’affaire, va créer de nouveaux problèmes théoriques.

44Freud va alors énoncer que dans l’autoérotisme, l’objet peut se confondre avec la source, c’est-à-dire la zone érogène ; dans le suçotement, les lèvres. Le pas suivant consiste, pour Freud, à affranchir l’autoérotisme de l’objet, il devient alors anobjectal, inné et ne dépend plus d’aucun Autre de l’expérience primordiale. Toute historicité se trouve, de ce fait, exclue.

45Une telle conception d’un autoérotisme inné s’oppose radicalement à ce qui est présenté dans l’Esquisse[18]. Mais elle permet à Freud de concevoir un appareil psychique qui ne serait, alors, plus entièrement tributaire de l’expérience de la satisfaction du besoin. Il émancipe ainsi le psychologique du physiologique et ouvre, par là même, la possibilité d’un champ de la pulsion indépendant du champ de l’autoconservation.

46En menant à ces ultimes conséquences ce mouvement de la pensée de Freud, certains auteurs vont être amenés à franchir le pas suivant : concevoir un autoérotisme sans Éros, c’est-à-dire un premier temps autistique chez tout bébé. Margaret Mahler l’affirmera et sera suivie, dans un premier temps, par Frances Tustin [19]. Il vaut de remarquer ici, que c’est en dialoguant avec son ami Colwyn Trevarthen – justement un des fondateurs de la psycholinguistique – que Frances Tustin dit avoir compris que cette hypothèse était insoutenable.

47Même si Freud n’est jamais arrivé à un pareil extrême, il devait sentir que son hypothèse d’un autoérotisme inné n’était pas sans danger, et on comprend qu’il se soit attaché d’autant plus à la théorie de l’étayage pour contrecarrer ce mouvement dans son œuvre. Dans les Trois essais sur la théorie sexuelle, les remarques sur l’étayage sont souvent des rajouts de 1915, ce qui est cohérent avec ce que Freud élabore, la même année, dans son texte « Pulsions et destin des pulsions ». Il y présente son concept de pulsion tout en disant qu’il aura à subir des modifications. Cette pulsion serait-elle le représentant psychique des excitations issues de l’intérieur du corps ? On comprend alors qu’il donne comme exemple la faim et la soif.

48Je rajoutais que Lacan (1964) avait eu l’audace de montrer que ce sont là des tergiversations mais que le fil qui mène Freud à forger ce concept est autre. « Il ne s’agit pas de l’organisme dans sa totalité. Est-ce le vivant qui est intéressé ? Non », énonce-t-il, puis rajoute plus loin : « La constance de la poussée interdit toute assimilation de la pulsion à une fonction biologique, laquelle a toujours un rythme. La pulsion n’a pas de montée ni de descente, c’est une force constante » (p. 150). La source, c’est la zone érogène qui chez le nourrisson est, par excellence, la bouche. Mais là où l’on ne peut pas suivre Freud, c’est quand, à propos du suçotement, il prend cette zone pour objet. Il le fait pour essayer de penser autre chose que l’objet de la satisfaction du besoin, ce en quoi il a raison. En relisant Freud, Lacan fait remarquer que : « Aucun objet du besoin peut satisfaire la pulsion. La bouche qui s’ouvre dans le registre de la pulsion, ce n’est pas de nourriture qu’elle se satisfait [20]. » Du coup, à la liste habituelle de Freud : sein, fèces, Lacan ajoute alors le regard et la voix. Ces deux derniers objets – qui ne sont pas ceux de la satisfaction d’un quelconque besoin – sont centraux dans la clinique du nourrisson. Quant au sein, il reste très entaché de sa valeur d’objet de la satisfaction du besoin alimentaire, et nous avons vu, dans le cas de Marianne, combien la satisfaction de la pulsion orale est d’un autre registre.

49En fait, Lacan va garder le terme de pulsion uniquement pour les pulsions sexuelles partielles et va faire entrer tout ce qui concerne la conservation de l’individu dans un registre différent. Tout le registre du besoin chute de ce fait hors du champ pulsionnel [21].

50Il s’agit pour la pulsion d’accomplir un certain parcours. C’est ce parcours qui apporte la satisfaction pulsionnelle, séparée radicalement de toute satisfaction d’un besoin organique. Ce trajet, en forme de circuit, vient se boucler sur son point de départ. Dès lors, il ne s’agit plus pour la pulsion d’aller vers un objet du besoin et de s’en saisir, mais bien de rencontrer un objet qui la cause, c’est-à-dire qui lui permette de parcourir tous les temps nécessaires à son bouclage, et cela, d’innombrables fois.

51Le premier temps est actif, le nourrisson (dans le cas qui nous intéresse) va vers un objet externe – le sein, ou le biberon. Le second est réflexif, prenant comme objet une partie du corps propre – la sucette ou le doigt ; c’est là que Freud situe le suçotement [22].

52Le troisième temps de la pulsion, c’est quand le nourrisson se fait, lui, l’objet d’un autre, ce fameux nouveau sujet – la mère, par exemple. Il va chercher à se faire regarder, à se faire entendre ou bien, au niveau oral, à se faire « boulotter le peton ». Cet aspect, éminemment actif, du troisième temps du circuit pulsionnel avait déjà été souligné par Lacan qui l’a appelé le temps du « se faire ». Qui n’a pas vu un petit bébé, mis nu sur sa table à langer, se trémousser, s’offrir lui-même comme objet dans l’anticipation de la volupté orale maternelle ? Il donne lui-même son doigt à croquer et guette, alors, attentif, la joie s’inscrire sur le visage et dans le regard de sa mère, pour laquelle il est « beau à croquer ». C’est justement cette jouissance qu’il est venu là accrocher chez elle. Encore faut-il que la mère, tout en goûtant à cette jouissance, sache vite s’en priver en disant à son bébé qu’il ne faut pas trop s’exciter et que papa – ou quelque autre tiers dans la tête de la mère – ne serait pas d’accord.

53Quand il a lieu, ce troisième temps est garant que, dans le pôle hallucinatoire de satisfaction du désir, il y aura des traces mnésiques de cet Autre maternel, de ce prochain secourable. Mais, plus précisément, des traces mnésiques de sa jouissance ; de ce moment où la mère sourit de plaisir à ce bébé qui se fait regarder ou qui lui offre son pied à croquer. Nous sommes alors assurés que par la suite, quand il se retrouvera seul, en suçant son pouce ou sa tétine, il y aura, chez le bébé, réinvestissement des traces mnésiques de cet Autre maternel. Dans ce cas, nous sommes certains que son autoérotisme contient Éros. Sans Éros, autoérotisme s’écrit autisme.

54En effet, ce troisième temps du circuit pulsionnel, ce moment où il va se faire l’objet d’un nouveau sujet, le futur autiste ne le connaît pas. Chez lui, le circuit pulsionnel ne se boucle pas. Du coup, aucun temps proprement autoérotique n’est possible, puisque rien d’un plaisir suscité chez l’Autre ne peut être enregistré au pôle hallucinatoire de satisfaction. Cette nécessité de penser d’abord le troisième temps du circuit pulsionnel avant que de pouvoir affirmer la nature autoérotique du second est tellement centrale que Daniel Widlöcher a proposé carrément d’en inverser l’ordre, c’est-à-dire que l’autoérotisme, il le met au troisième temps.

55Revenons maintenant à la question de l’objet pour cerner la façon dont la voix pourrait être le premier objet de la pulsion orale. Ce sont les recherches d’Anne Fernald (1984), qui vont me permettre, dans le champ de la psychanalyse, de poser la voix comme premier objet pulsionnel. Souvenons-nous qu’elle a montré que les bébés sont passionnés dès la naissance par le mamanais, prosodie empreinte de l’étonnement et de la joie que leur présence déclenche chez leur mère.

56Comme je l’ai dit plus haut, Freud dans Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905), décrit ce qu’il appelle le rôle de la tierce personne. Dans la pratique analytique avec des enfants autistes, nous avons remarqué que le troisième temps du circuit pulsionnel, le moment où la jouissance de l’Autre (et de l’autre) est « crochetée », correspond au rôle de cette tierce personne. Celle qui, en entendant « une formation de mot défectueuse comme une chose inintelligible, incompréhensible, énigmatique », loin de la rejeter comme n’appartenant pas au code, se laisse, après un temps de stupéfaction, porter par l’illumination et y reconnaît un mot d’esprit. Accepter de se laisser décontenancer, sidérer, c’est la marque du manque chez l’Autre. Cet Autre n’est alors pas inentamé, il a un manque. Et le second moment est celui du rire. Toute la deuxième partie du livre de Freud est sur ce rire, qui est plaisir, jouissance [23]. Avec la stupéfaction et le rire de l’Autre barré, nous sommes au troisième temps du circuit pulsionnel. Stupéfaction et joie sont aussi les caractéristiques de la prosodie du motherese (mamanais), dont le nourrisson est si avide. Que nous apprend la recherche d’Anne Fernald ? Elle nous dit que dès la naissance, et avant toute expérience de satisfaction alimentaire, le nourrisson a une appétence extraordinaire pour la jouissance que la vue de sa présence déclenche chez l’Autre maternel. Cela justifie le fait que nous ayons repris sérieusement la théorie de l’étayage.

57Avec l’objet voix – ou plus précisément avec la prosodie particulière de la voix maternelle –, Freud aurait pu, me semble-t-il, sortir de l’impasse où il s’est trouvé entre un étayage trop ancré dans la physiologie et un autoérotisme inné, c’est-à-dire excluant l’Autre. Peut-être en aurait-il eu l’idée en écoutant le poème de Heinrich Schütz :

O nomem Jesu, verus animae cibus
In ore mel, in aure melo
In corde laetitia mea
Tuum itaque nomem, dulcissime Jesu
In aeterno in ore meo portabo

58Oh nom de Jésus, véritable nourriture de l’âme
Miel dans la bouche, mélodie dans l’oreille
Joie dans mon cœur
C’est pourquoi ton nom, très doux Jésus
Je le porterai à jamais dans ma bouche

59Grâce à la lecture d’Anne Fernald, j’avais non seulement compris l’importance de la voix comme objet pulsionnel primordial, à condition qu’elle soit porteuse des coordonnées de surprise et de plaisir qui définissaient le rôle de la tierce personne dans le mot d’esprit, mais aussi qu’il y avait moyen de repérer si une voix possédait ces caractéristiques-là. Encore fallait-il trouver quelqu’un qui soit apte à faire le travail de laboratoire sur des enregistrements de voix maternelles. C’est à São Paulo, en 1999, lors d’une conférence, que je vais être présentée à Erika Parlato. Quelques années auparavant, elle avait fait son master avec Claudia Lemos, psycholinguiste brésilienne qui, la première, avait introduit ces recherches dans le champ de la réflexion psychanalytique. C’est elle aussi qui avait orienté Silvia Severina Ferreira qui nous avait enchantés avec les voix maternelles. Erika faisait à l’époque un doctorat en neurosciences dans ce même laboratoire de l’École normale supérieure dont il a déjà été question. Elle venait donc souvent à Paris et a pu utiliser le laboratoire pour faire l’analyse des voix des parents de Marco, ensuite de celle des parents d’autres bébés de la cohorte de Pise.

60Nous allions pouvoir commencer à répondre à la question : qu’est-ce qui présidait à la possibilité, chez un bébé devenu plus tard autiste, de regarder parfois son parent ? Dès l’année suivante, nous avions les premiers résultats qui n’ont été publiés qu’en 2005, dans un livre collectif (Laznik et coll., 2005).

Premières recherches en psycholinguistique sur les films familiaux des bébés devenus autistes

61Il s’agit d’une étude multidisciplinaire et multi-centrique sur la voix, menée avec Filippo Muratori et Sandra Maestro [24] qui travaillaient depuis longtemps sur les signes précoces d’autisme à partir de films familiaux, et avec Erika Parlato, psycholinguiste.

62Pour introduire cet article, je rappelais que Colwyn Trevarthen et Anne Fernald avaient prouvé que le bébé montre, dès la naissance, un intérêt pour certains éléments de la voix de sa mère. Étant psychanalyste, j’avais croisé ces recherches avec les hypothèses avancées par Jacques Lacan à propos de la « pulsion invocante ». Bien sûr, le premier bébé étudié était Marco, qui m’avait fait tant réfléchir.

Marco

63Comment ce bébé de 2 mois et demi, si indifférent à l’autre durant presque tout le film, lors des activités quotidiennes de change, de bain, de nourrissage, ne regardant pas le parent qui s’occupait de lui, pouvait se montrer soudain capable de regarder sa mère et de lui répondre en gazouillant, dans une véritable « proto­conversation », lorsqu’elle lui fredonne une chanson ? Leur interaction soutenue dure presque trois minutes…

64Sans négliger le facteur déclenchant de la chanson de la mère, l’étude de la prosodie de la voix des deux parents, présents à la scène, nous a enseigné que la voix du père présente les caractéristiques prosodiques du mamanais, ce motherese décrit par les psycholinguistes. Même si cette voix paternelle s’entend mal dans le fond sonore du film, elle a pu soutenir la poursuite du lien vocal et visuel mère-enfant. Nous décidâmes donc de comparer la voix de la mère de Marco, s’adressant à son enfant dans les autres scènes du film, à celle d’une mère avec son bébé normal, dans une situation assez comparable, celle du change.

65Les figures 1a et 1b représentent les spectrogrammes des deux voix. Dans les analyses spectrales, l’axe horizontal représente le temps et l’axe vertical la fréquence. Le degré de noirceur des stries indique l’énergie.

66La voix de la mère de Marco ne présente pas les caractéristiques prosodiques du mamanais. La confrontation des deux spectrogrammes est saisissante, même pour les non-spécialistes de l’analyse acoustique : la mère de Marco a une voix très monotone, tandis que la mère de Fabien a une voix plus entonnée.

67Néanmoins, nous ne pouvons tirer de cette remarquable différence aucune hypothèse étiologique, et cela pour deux raisons. Tout d’abord, dès les premières recherches sur la prosodie du mamanais, Anne Fernald (1984) avait souligné l’incapacité d’une mère à produire ce type de prosodie quand son bébé ne se trouvait pas devant elle. Même si la mère savait que l’on ferait entendre l’enregistrement à son bébé ensuite et qu’elle faisait de son mieux, sa prosodie n’était pas la même face au bébé et face au magnétophone. Nous pouvons donc penser qu’un bébé qui ne réagit pas beaucoup finit par susciter chez sa mère une prosodie du genre « face au magnétophone ».

Figure 1 : Analyse spectrale de la voix de la mère d’un enfant normal (fig. 1a, mère de Fabien) comparée à celle avec un enfant autiste (fig. 1b, mère de Marco)

Figure 1 : Analyse spectrale de la voix de la mère d’un enfant normal (fig. 1a, mère de Fabien) comparée à celle avec un enfant autiste (fig. 1b, mère de Marco)

fig. 1a
fig. 1b

68En outre, les travaux de Denis Burnham (Burnham et coll., 2002), à l’université de Sidney, sur la prosodie du mamanais avec les bébés normaux, montraient que les réactions du bébé améliorent l’amplitude des courbes de la prosodie chez la mère. Cette prosodie est donc, pour beaucoup, l’image du résultat de leur relation.

69Fabien (dont nous savons que le développement a été normal) et sa mère présentent dans la scène du change un bel exemple de ce que les psycholinguistes appellent les « tours de parole ». La mère parle à la place du bébé, à la première personne, et lui répond ensuite comme si c’était lui qui avait parlé. Dans ce dialogue, le bébé la soutient activement, par son regard et sa voix. La prosodie de la voix de la mère est porteuse de la surprise et de la joie que cette situation suscite en elle.

70Voici l’image de l’analyse spectrale d’un fragment des paroles qu’elle adresse à son fils (figure 2).

Figure 2. Mélodie du « mamanais » de la mère d’un enfant à développement typique

Figure 2. Mélodie du « mamanais » de la mère d’un enfant à développement typique

71Cette image montre bien comment le mamanais se manifeste par des modifications de la voix et de la prosodie, par des formes mélodiques douces, longues, avec de larges excursions. L’effet du rythme de la prosodie se trouve amplifié par les diverses répétitions. Nous voyons aussi apparaître des coupures claires entre deux fragments sonores. Ces coupures sont essentielles dans le mamanais, c’est là que le bébé va s’exprimer en répondant.

72Même si la collaboration du bébé Fabien est, là, évidente, je me suis posé la question suivante : que se passerait-il si, malgré tout, un adulte arrivait à produire une prosodie de mamanais face à un bébé en passe de devenir autiste ? Est-ce que le bébé répondrait ?

Pedro

73Pedro est un autre bébé de la cohorte des films familiaux de Pise. Il permet de mettre cette question à l’épreuve et de découvrir que la réponse est positive. Pedro est un bébé qui ne regarde jamais sa mère, ni ne répond à aucun de ses appels. Il répond parfois au père quand ce dernier déploie une énergie considérable, allant même jusqu’à jouer au bras de fer avec lui pour le solliciter. Une amie de la mère, venue passer des vacances dans leur ferme, ne parvint pas à entrer une seule fois en contact avec lui.

74Nous avons analysé la voix de la mère dans une scène poignante où elle l’appelle avec un désespoir croissant face à son indifférence. « Pedro ? Pedro ? Pedro ? » Elle s’approche, tandis que le bébé regarde ostensiblement de l’autre côté. Le ton de la voix maternelle se fait chaque fois plus suppliant : « Regarde-moi ! Regarde-moi ! Regarde-moi ! » Elle colle son visage sur le ventre du bébé et crie sa détresse : « Mon bébé ! Mon bébé ! Mon bébé ! » Voici ce que donne l’analyse spectrale de ce dernier fragment du discours maternel (figure 3).

75Malgré la force du désespoir avec lequel la mère crie son appel au bébé – ce qui avait d’ailleurs suscité une intervention du père, venu prendre le bébé dans ses bras et interrompre ainsi la scène – nous voyons qu’il n’y a aucun pic prosodique. Sa voix reste plate. Remarquons aussi l’absence de coupure entre les segments sonores.

Figure 3. Mélodie de la mère de Pedro, bébé autiste

Figure 3. Mélodie de la mère de Pedro, bébé autiste

76Néanmoins, dans ce long film familial, il se trouve une petite scène extraordinaire. Ce bébé, qui ne répond pratiquement jamais, va entrer dans un dialogue visuel et tonal – donc de façon intermodale – avec son oncle, qui passait là par hasard. Le bébé semble avoir dans les 6 mois. La scène a lieu dans la cour de la ferme où travaillent l’oncle et le père qui ont, chacun, leur maison séparée. Il s’agit d’une ferme produisant du lait de vache bio. Ce détail a son importance, car la charge de travail des deux hommes au printemps est intense : ils doivent s’occuper non seulement des bêtes et de la traite mais aussi de la plantation du fourrage avec lequel ils les nourrissent. Il n’est pas difficile d’imaginer que l’oncle n’a pas souvent l’occasion de se rendre compte des difficultés de communication de son neveu, auquel il est probablement peu souvent confronté. Or, l’oncle présente dans sa voix les caractéristiques prosodiques du mamanais. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que l’on parle en anglais aussi de parentese (Fernald et Kuhl, 1987) et pas seulement de motherese, ce qui semble bien plus juste car les pères, et même les oncles, s’adressent aux bébés sur ce mode.

77Deux minutes avant que l’oncle n’intervienne, la mère avait encore tenté d’entrer en contact avec son bébé. Sa voix indiquait qu’elle le faisait par acquit de conscience, sans trop y croire, mais en essayant tout de même. Le bébé non seulement n’était pas rentré en contact avec elle, mais s’était même laissé choir sur le côté, dans le lit en toile où la mère l’avait installé dans le jardin.

78L’oncle commence par tendre la main au bébé, ce à quoi ce dernier ne répond pas. Mais dès que la voix de l’oncle se fait entendre, elle vient l’arracher à sa prostration et le bébé, souriant, se met à regarder et à vocaliser à son oncle, comme un bébé tout à fait normal. Le changement du bébé est brutal et surprenant.

79Quand nous comparons les spectrogrammes de la voix de la mère et de celle de l’oncle (figure 4), la différence est saisissante.

Figure 4. Comparaison de la voix de l’oncle et de la mère de Pedro, s’adressant à ce dernier

Figure 4. Comparaison de la voix de l’oncle et de la mère de Pedro, s’adressant à ce dernier

80Voici une autre présentation d’un petit fragment du discours (figure 5) que l’oncle adresse au neveu, en jouant avec sa tétine et en lui demandant auquel des deux, à lui ou au bébé, elle appartient. Il semble s’extasier devant cette tétine et joue à demander : « De chi è ? De chi è questo, ein ? »

81Nous voyons s’ébaucher là les arrondis des courbes prosodiques ainsi que les espaces vides entre les blocs de sons. Ce bébé nous enseigne que la présence des pics prosodiques, propres au parentais, dans la voix de l’adulte qui s’adresse à lui, peut induire une réponse même chez des bébés qui se sont avérés, plus tard, autistes. Ce qui signifie que ce bébé est équipé pour répondre au mamanais. Mais ce type de bébé ne suscite pas cette mélodie car il ne réinitialise pas la conversation. Nulle part, dans ce film familial, on ne le verra provoquer son interlocuteur. Ce concept de « provocation », qui implique une dimension proprement d’appel à l’autre, a été développé par Emese Nagy (Nagy et Molnar, 2004) qui est chercheur en théorie du développement. Son concept recouvre cliniquement mes recherches à propos du troisième temps du circuit pulsionnel, temps où le bébé se fait entendre, par exemple, par un autre (Laznik, 2000a), et rejoint la notion d’« appétence symbolique du nouveau-né » proposé par Graciela C. Crespin (2007).

Figure 5. Fragments de voix de l’oncle au neveu

Figure 5. Fragments de voix de l’oncle au neveu

Alfredo

82Alfredo appartient aussi à la cohorte de Pise de bébés devenus autistes. Quand ils s’adressent à lui, ses parents produisent parfois des pics prosodiques. Néanmoins, pendant les trois premiers mois de sa vie, Alfredo semble éviter les perceptions qui proviennent de ses parents ou même de ses grands-parents venus leur rendre visite. Nous pouvons parler ici aussi d’un évitement à allure volontaire, comme celui que Selma Fraiberg (1982) a décrit.

83Si nous faisons une microanalyse d’une scène entre le bébé et sa mère quand ce dernier a 1 mois et 20 jours, nous entendons la modification dans la voix maternelle qui se lasse, au fur et à mesure que toutes ses tendres et douces tentatives échouent. Même les petites caresses autour de la bouche ne parviennent pas à faire venir l’attention de son fils vers elle. Le père, qui les filme, lui demande d’essayer encore. Elle tente à nouveau, soutenue par le père. En vain. Un arrêt sur image, à la fin de cette scène, permet de percevoir un léger pli d’amertume se dessiner sur le coin de la bouche maternelle, sûrement à son insu. Les parents, face à cette absence de réponse du bébé, voire à ses refus agis [25] – quand il se tourne ostensiblement du côté opposé à celui où se trouve sa mère –, se soutiennent mutuellement et semblent garder confiance.

84Nous avons analysé avec attention la scène dans laquelle, pour la première fois, le bébé regarde l’un de ses parents : son père. Le bébé a alors trois mois. Les films sont surtout faits pendant le week-end, quand le père est là. Cette fois-ci, c’est le père qui a le bébé sur ses genoux et la mère filme. Comme il est habituel entre eux, ils se donnent la réplique, face à ce bébé qui est ostensiblement absent. Les répliques les encouragent et, à un moment donné, il y a le début d’une prosodie de parentais qui apparaît. Le bébé y répond par un sourire non adressé qui, en surprenant agréablement les parents, suscite un nouveau fragment de prosodie dans la voix du père. Le bébé le regarde en souriant. Un concert de surprise et de joie dans la prosodie parentale accueille l’événement. Ce qui permet au bébé de continuer à regarder et à sourire. Le père, la voix étranglée de joie, répète : « Il me regarde, il me regarde ! » Mais il accepte très bien quand le bébé veut couper la relation ; il est accordé à son fils.

85Dix minutes plus tard – comme c’est indiqué sur la bande vidéo –, la mère prend son bébé dans les bras et se met à lui parler. Sa voix est encore empreinte de la surprise et de la joie de l’événement qui vient de se produire, ce qui se traduit dans les courbes prosodiques. Rappelons-nous la remarque d’Anne Fernald (Fernald et Simon, 1984), qu’une grande surprise associée à une grande joie sont les conditions nécessaires pour la survenue d’une prosodie du mamanais même en l’absence de bébé. Comme la mère d’Alfredo s’adresse à son fils avec une voix porteuse de cette prosodie, il ne peut pas ne pas regarder, au moment même où elle produit un pic particulièrement significatif (figure 6). Mais, dès que le bébé voit le visage de sa mère, il se met à pleurer.

86Quelles hypothèses pouvons-nous faire ici ? S’agirait-il déjà d’une difficulté avec l’intermodalité ? Passer de l’entendu au vu ? Mais avec son père, dix minutes avant, le bébé ne présentait pas cette difficulté. Aurait-il vu quelque chose de si désagréable ? Peut-être les traits du visage maternel ? Les soucis, face à un bébé qui ne répond pas, s’effacent peut-être plus lentement sur un visage que sur une voix. N’oublions pas le léger pli d’amertume qui commençait à poindre sur le coin de sa bouche.

Figure 6. Pic qui précède le moment où le bébé se met à regarder et à pleurer

Figure 6. Pic qui précède le moment où le bébé se met à regarder et à pleurer

87Trois jours plus tard, la mère parviendra à entrer dans un long échange avec son bébé. Ils sont alors, tous les deux, allongés sur le lit parental, et le bébé doit faire un effort pour se tourner vers le visage maternel, partiellement occulté par le matelas sur lequel il repose. Il est possible que la position très détendue de la mère ait contribué à la qualité de sa prosodie, mais on peut penser aussi que la position du visage maternel interdisait une lecture trop fine d’infimes traits de souci sur ce visage. Dès que le bébé lui répond, en la regardant, la surprise et la joie de la mère éclatent en améliorant encore sa prosodie. Elle lui dit des quantités de mots gentils, lui déclare son amour sous toutes les formes possibles et rit de joie aux réponses de son fils. Mais si elle peut reprendre en écho certaines de ses vocalises, elle ne se permet pas de parler à sa place à la première personne du singulier. Elle ne lui attribue pas des phrases qui s’adresseraient à elle, la mère. À cause de cela, il serait peut-être nécessaire de parler de pseudo-proto-conversation. Cette dimension folle qui consiste à parler à la place de l’autre – dans le sens de Winnicott de la folie nécessaire des mères – n’est peut-être possible que dans des conditions de sécurité de la capacité maternelle. Un bébé qui ne répond pas met sa mère à rude épreuve.

Figure 7. Fragments de dialogue de la mère avec Alfredo

Figure 7. Fragments de dialogue de la mère avec Alfredo

88Sur la figure 7, on voit comment les pics prosodiques, la répétition, les vides entre temps de parole, tout cela se construit vite dès qu’un bébé y répond.

89L’analyse acoustique perceptuelle, effectuée par E. Parlato, indique que la parole de la mère présente, dans toute cette scène, des variations d’énergie et un prolongement des voyelles caractéristiques du mamanais. E. Parlato a comparé ces résultats aux travaux publiés sur le mamanais en italien. Mais il faut savoir que dans ce film, si lorsque le bébé répond à sa mère, dans 100 % des cas la mère produit du mamanais, le bébé ne répond cependant pas à chaque fois que sa mère en produit.

90Mais surtout, Alfredo ne présente, dans tout le film dont nous disposions, aucun signe d’un troisième temps du circuit pulsionnel. Non seulement il ne cherche pas à se faire entendre mais, même stimulé par sa mère, il ne cherche pas à se faire l’objet de la pulsion de cette dernière.

91Une scène instructive est celle où, sur la table à langer, la mère joue à stimuler son fils. Elle lui montre combien son petit pied est appétissant en allant même jusqu’à le lui offrir à goûter, ce que le bébé accepte non sans un certain plaisir. Mais il ne lui viendrait vraiment pas à l’idée d’aller offrir ce petit pied à la bouche de sa mère, pourtant si proche. Ce n’est pas un bébé qui aime à se faire croquer par l’Autre. Il ne semble pas s’intéresser à ce qui pourrait faire plaisir à cet autre. Colwyn Trevarthen aime à dire que les bébés naissent avec « a motif for the motif of the other ». Ce n’est pas le cas des bébés devenus autistes des films familiaux de la cohorte de Pise.

92En conclusion, cette étude des films familiaux de Pise nous a confirmé dans l’idée que le mamanais était un puissant attracteur pour ces bébés en voie de devenir autistes. Était-il possible alors d’utiliser cette découverte dans une thérapie avec des bébés à risque autistique ? C’est l’expérience que j’ai tentée avec Marine (Laznik, 2007).

Marine : tressage entre clinique et recherche

Le début du travail avec Marine

93Marine n’avait aucun échange de regards avec sa mère. Même la psychologue du centre de la protection maternelle et infantile (PMI) avait des difficultés à capter son regard. À l’âge de 3 mois, lors de notre premier entretien, installée dans le porte-bébé sur le ventre de sa mère, elle se cambrait en arrière, en opisthotonos, son regard semblant chercher à s’accrocher au plafond.

94D’emblée, la mère s’est plainte de ne pas arriver à croiser le regard de son bébé, et décrivit des douleurs abdominales intenses, Marine pleurant très longtemps, sa mère en détresse face aux hurlements de sa fille, n’arrivant pas à la calmer. Nous avons entrepris un traitement bébé-mère qui fut un succès : au bout de 6 mois, Marine cherchait sa mère du regard chaque fois qu’elle voulait entreprendre une action, ou même entrer en contact avec moi. Le lien me semblait établi entre elles deux. Après les vacances d’été, je retrouvais une adorable petite fille de 13 mois qui marchait et qui s’adressait à l’hôtesse, à moi et à sa mère dans un tonique dialogue sonore. Elle semblait tout à fait épanouie. Sa fille lui paraissant aller très bien, la mère me demanda de continuer à venir pour parler d’elle-même, j’acquiesçai.

95Mais dès la fin de la première séance, elle commenta une certaine fermeture chez Marine. À la séance suivante, ce commentaire fut plus insistant. Au bout d’un mois, elle s’ouvrit d’emblée sur les soucis que son mari et elle avaient pour Marine qui s’était refermée et errait sans cesse. Elle me demanda de la revoir.

96Quand je la reçus, je fus confrontée à une petite fille, vaquant partout, qui ne décrocha pas un regard pendant les trente premières minutes, même si elle suivait ce que je faisais. La séance suivante fut à peine moins difficile. Même si Marine ne ressemblait pas à un bébé de 15 mois en devenir autistique qui n’aurait jamais été pris en charge, puisque son refus de communiquer ne l’empêchait pas de suivre intellectuellement ce qui se passait, je dus reconnaître qu’elle avait fait une rechute grave. Pendant les deux années qui ont suivi la rechute de Marine, nous avons filmé pratiquement toutes les séances [26]. Lors de la troisième séance, dix minutes après que la séance a commencé, elle semble devoir se passer sur le mode des deux précédentes, sans aucun lien entre nous et Marine. Je me dis que cette situation ne peut durer, que l’enfant est en danger. Ce renfermement, réinstallé depuis presque deux mois, ne peut pas ne pas nuire à son appareil psychique.

Voix, autisme et neurosciences

97René Diatkine et Jean Bergès disaient, l’un comme l’autre [27], qu’il devait y avoir une « psychosomatique » de l’autisme, que le non-usage de l’organe devait bien léser l’organe.

98Monica Zilbovicius a présenté une recherche qui, à mon avis, offre un support concret à cette hypothèse. Elle et ses collègues ont procédé à la comparaison de vingt et un enfants autistes primaires avec douze enfants témoins (Boddaert et coll., 2004a). Ils ont noté une diminution significative, chez les enfants autistes, de la concentration de substance grise au niveau du sillon temporal supérieur (STS), responsable de l’écoute de la voix. Ces résultats semblent compatibles avec l’hypothèse d’une hypoperfusion de ces différentes zones chez les enfants autistes [28]. Une discussion s’engagea sur le caractère inné ou acquis d’une pareille différence, et Monica Zilbovicius reconnut que nul ne pouvait assurer qu’il ne s’agissait pas d’une différence acquise.

99La presse grand public s’est emparée aussi d’une autre de ses recherches, cette fois-ci sur des sujets autistes adultes. Celle-ci, réalisée avec l’IRM fonctionnelle, s’intéresse à l’activation du sillon temporal supérieur (STS). Il représente, chez les adultes normaux, la zone spécifique dévolue au traitement des signaux vocaux, et l’aire fusiforme (FFA), celle dévolue à la reconnaissance des visages : la reconnaissance de la voix humaine et la reconnaissance des visages constituant, comme le rappelle Bernard Golse, deux axes forts des interactions sociales. Cette étude a comparé cinq adultes autistes de sexe masculin avec huit adultes masculins témoins (Gervais, 2004). Les résultats ont montré que, chez les sujets autistes, il n’y avait pratiquement aucune activation du STS ; que l’activation corticale, chez eux, était la même pour la voix et les bruits, lesquels par contre étaient traités comme chez les sujets normaux. Une autre étude concernant onze enfants autistes « d’âge scolaire » a suivi (Boddaert et coll., 2004b).

100Pour ma part, je ne peux que souscrire à l’intérêt de cette découverte, tout en trouvant néanmoins remarquable qu’il ne soit que rarement précisé qu’il s’agit d’une recherche concernant des enfants et non des bébés. Cette façon de présenter les choses permet de faire dire à la grande presse que l’on a trouvé la cause de l’autisme quand – dans l’état actuel des recherches – rien ne permet de trancher entre une conséquence ou une cause. Il s’agit, sûrement, d’une recherche passionnante, si l’on en exclut son caractère non prouvé d’explication étiologique. Ce qui est sûr, c’est qu’à 4 ans, et peut-être avant, le non-usage de cet organe va laisser hors-jeu le sillon temporal supérieur, et ce, de façon peut-être définitive.

101Écoutons comment Monica Zilbovicius elle-même s’exprime à ce sujet : « Nous avons démontré que la perception de la voix humaine n’entraînait pas, chez les sujets autistes, l’activation d’une région très spécifique du cerveau qui traite la voix humaine… Ils traitent la voix humaine comme n’importe quel autre son, celui d’une voiture ou d’une cloche, par exemple. Tout cela se fait au cours du développement. L’être humain naît avec une attirance particulière pour les stimuli humains, du coup, on se spécialise, on devient des experts pour la voix humaine et le visage. Et il y a probablement chez les autistes quelque chose d’inné, ils ne naissent pas avec cette attirance… Du coup, ils ne deviennent pas des experts, et le développement de leur cerveau ne se fait pas de la même façon [29]. »

102Ces hypothèses corroborent d’autres recherches en imagerie par IRM qui ont traité de la perception du visage ; elles indiquent que cette perception n’est pas associée à une activation des régions impliquées dans l’attribution d’une valeur émotionnelle à un stimulus. L’hypothèse serait que l’absence d’activation émotionnelle au cours du développement entraînerait une sous-expertise dans le traitement des visages, par conséquent un sous-développement du gyrus fusiforme, responsable de la reconnaissance des visages. Ce modèle dit de Schultz (Schultz et coll., 2003), couplé à la proposition de Monica Zilbovicius, vient donner un soubassement scientifique à l’hypothèse de Jean Bergès et de René Diatkine sur les effets incontestables de la psyché sur le soma dans le cas de l’autisme.

103Cela mène Monica Zilbovicius à préconiser une intervention précoce – dès l’âge de 4 ans [30] – auprès de ces enfants, qui leur donnerait envie d’écouter la voix et – les autres recherches nous permettent de rajouter – regarder les visages. Elle imagine des méthodes ludiques qui créeraient cette attirance pour la voix et le visage. Jusque-là, je ne peux que la suivre et lui dire que la praxis psychanalytique sait donner cette envie. C’est ce que je vais essayer de montrer avec le cas de Marine.

104En revanche, je suis inquiète lorsqu’elle parle de « méthodes multimédias ». Il y a longtemps que nous savons la passion de certains autistes pour les cassettes audio et vidéo. Cela ne mène pas pour autant à s’intéresser aux êtres humains en chair et en os, et ne semble donc pas aller dans le sens qu’elle recherche. Après avoir proposé l’utilisation de méthodes rééducatives couplées avec l’usage d’antidépresseurs, elle ajoute : « Ce n’est pas la faute des parents, c’est la faute à… pas de chance. Les parents sont des acteurs très importants dans la rééducation de ces enfants et dans leur insertion dans la société. » En effet, je pense aussi que les parents doivent être des partenaires de la prise en charge psycho­thérapeutique de l’enfant.

105Il me semble que sur cette étiologie du « … pas de chance » – où aucune explication, ni génétique ni biologique n’est avancée, nous pouvons aussi nous retrouver. Et il y a longtemps que ma lecture des films familiaux des bébés devenus autistes m’a enseigné que le fait qu’ils n’aillent pas vers l’Autre est là d’emblée, dès la naissance. Ce qui n’exclut pas que des facteurs complexes, que nous ne connaissons pas encore, aient pu jouer pendant la grossesse. Geneviève Haag (2005) parle d’une racine prénatale du problème du sonore qui lui est apparue comme très importante.

106Dans cette séance, toute son attention, visuelle et auditive, se concentrait sur les gros feutres qu’elle mettait et retirait du pot, visiblement attentive au petit bruit que cela provoquait et à leur couleur. Pourrions-nous penser à une volonté d’un protosujet de ne pas entendre cette voix humaine ? Y aurait-il un facteur d’hypersensibilité chez ces bébés, qui les mènerait à éviter une voix humaine ?

107Malgré le côté accordé et empathique de nos discours, Marine reste de marbre, comme si nos voix n’étaient qu’un bruit de fond dans l’environnement. Elle n’y prête pas plus d’attention qu’au bruit des voitures dans la rue. Il est évident que la clinique avec ces enfants confirme les découvertes de Monica Zilbovicius : notre voix est en effet traitée comme l’on traite des bruits extérieurs. Ce n’est pas comme cela qu’elle allait devenir « expert en voix et visages humains », comme dit Monica Zilbovicius, et « le développement de son cerveau risquait de ne pas se faire de façon habituelle ». Les premiers résultats en imagerie cérébrale ont mis en valeur la difficulté à coupler une voix et une image visuelle dans l’autisme. Laurent Mottron (2004) a recensé les travaux à propos des difficultés de perception intermodale. Il cite notamment le travail de Boucher (Boucher et coll., 1998).

108Il est donc, plus que jamais à l’ordre du jour, d’essayer de redonner aux petites Marines de moins de 2 ans, l’envie d’entendre la voix humaine et de regarder le visage de leur entourage proche. Et c’est ce qui a pu se passer dans la suite de cette séance, véritable réanimation psychique.

Retour à la clinique de Marine : une réanimation psychique

109Après ces dix minutes d’indifférence obstinée de la part de Marine, je fais mine de manger son yaourt, et j’arrive à capter son attention avec un « hum » de plaisir à propos de ce yaourt à la vanille que je me représente avoir un goût et une odeur merveilleux : Marine me regarde aussitôt, mais cela ne dure que deux secondes, et elle ignore complètement quand sa mère essaie à son tour. J’ai alors l’idée de donner moi-même le yaourt à goûter à sa mère, et cette situation insolite nous permet sans doute de retrouver une prosodie de surprise et de plaisir, puisque Marine nous regarde, l’une et l’autre, en riant et en approchant ses bras, rythmiquement, comme pour taper des mains. En revanche, lorsque j’en propose une cuillerée à Marine, elle ouvre la bouche mais cesse aussitôt de regarder ses deux interlocutrices.

110Cet enfant distingue clairement le registre du besoin alimentaire de celui de la pulsion orale, remettant ainsi en cause la théorie de Freud selon laquelle le lien à l’Autre vient s’étayer sur la satisfaction du besoin alimentaire (Laznik, 2000b). Ce n’est pas de yaourt que peut se nourrir son envie de voir et d’écouter ; c’est d’une particulière prosodie dans nos voix, porteuse des pics alternés entre surprise et plaisir. Mais avant d’aborder l’analyse de nos voix, revenons au fil de la séance. La qualité et l’effet de ma prosodie s’amenuisent et Marine est en train de se refermer. Je suis à nouveau très inquiète. Alors, rassemblant toutes mes capacités d’imagination, je réussis à nouveau à capter son regard en évoquant une plante magnifique, un pied de vanille, ce qui me permet de retrouver des pics prosodiques de plaisir émerveillé. Je dis : « Regarde l’odeur ! » Mon énoncé ne manque pas d’enthousiasme et les pics prosodiques de ma voix doivent convenir, car la petite fille me regarde souriante. Quant à l’apparente absurdité de mon énoncé, il renvoie sûrement à une condensation de mon désir de lui faire sentir et la joie du parfum et la beauté des fleurs. J’oserai proposer l’hypothèse que la pulsion, quand elle prend l’Autre dans sa boucle, est productrice de comodalité. Une pulsion orale est alors nécessairement intriquée aux pulsions scopique et invocante.

111Vingt minutes plus tard, c’est Marine qui, à l’aide d’une dînette, m’offrira assiette et cuillère, faisant à son tour semblant de me nourrir. Mais, avant d’analyser la valeur de cette scène, il convient de souligner qu’elle a lieu peu après une autre que voici : Marine veut pousser une petite chaise dans la pièce. À l’époque, elle déplaçait partout des meubles, au grand dam de ses parents qui y voyaient, à juste titre, une action de fermeture de sa part. Cela s’était produit aussi dans les séances précédentes, mais là, au lieu de jeter par terre le poupon qui encombre sa chaise, Marine le dépose sur mes genoux. Je décide de lui chanter une berceuse : « Câlin, câlinou, câlinette, câlinette, câlin, câlinou, câlinou pour le poupon. » Le rythme est lent, mais marqué par les répétitions, et les voyelles sont particulièrement accentuées et rallongées. Marine ne me quitte pas des yeux tant que dure la chanson mais elle décroche instantanément dès que c’est terminé. Cependant, elle en reprendra, elle-même, la mélopée quelques séances plus tard, en berçant un minuscule bébé de deux centimètres dans un tout aussi minuscule berceau. Il y aurait sûrement beaucoup à réfléchir sur la puissance de ces rythmes dans les prises en charge de ce type d’enfant.

112Mais revenons à la scène où elle me nourrit. Un grand espoir m’envahit alors : elle vient, spontanément, de réussir une des questions-clés du CHAT[31], question validée sur des bébés plutôt plus âgés qu’elle. Sa capacité de faire semblant s’est mise en place ! Ma joie interne face à la réussite d’un test cognitiviste repose sur le fait que, depuis longtemps, je pense que la question : « L’enfant est-il capable, avec une dînette, d’offrir un café ou un thé à sa mère ? » va bien au-delà de sa capacité de faire semblant. Son soubassement n’est autre que le bouclage du troisième temps de la pulsion orale. Quand un petit offre, « pour du jeu », quelque chose de bon à sa mère, il se trouve au-delà du registre de la satisfaction du besoin. En plus, il s’agit ici d’un objet bon pour la mère et non pour l’enfant, qui n’aime à cet âge ni le thé ni le café. Le soubassement de la capacité de répondre positivement à cette question du CHAT dépend donc de la capacité de l’enfant à souhaiter se faire le porteur de l’objet qui réponde à la pulsion orale de sa mère. Si le nourrisson offre son petit pied ou ses doigts pour que sa mère s’en réjouisse en jouant à les croquer, l’enfant plus grand vient offrir, à cette jouissance pulsionnelle de l’Autre, non plus un morceau de corps mais un objet sublimé.

113Quand Marine me nourrit avec la cuillère, je joue à manger une délicieuse omelette imaginaire. Marine suit attentivement les marques du plaisir, sur mon visage et dans ma voix.

114Marine confirme mon hypothèse actuelle sur la mise en place de l’appareil psychique : son plaisir de fonctionner est tributaire du plaisir qu’il suscite chez l’Autre. Formulation non sans analogie à celle qui prévaudra pour les plus grands et que nous devons à Jacques Lacan : le désir du sujet, c’est le désir de l’Autre.

115Mais, chez Marine, ces moments heureux ne sont encore que des îlots émergeant d’une mer d’indifférence. Même la séance dont je viens de décrire quelques fragments en est lourdement entachée, ce qui fera dire à Pierre Ferrari, quand il la visionnera : « Croyez-vous que l’on puisse y arriver pour elle ? » La phrase, énoncée sur un ton affectueux, laisse transparaître son inquiétude légitime. Moi non plus, sur le moment, je n’en sais rien, sinon qu’à 15 mois elle est beaucoup plus difficile à mobiliser qu’elle ne l’avait été à 3 mois. Ce n’est qu’un an plus tard que je pourrai dire qu’elle me semble sortie d’affaire. On ne dira jamais trop aux pédiatres combien il serait important de nous les envoyer pendant leurs premiers mois de vie !

116Tout le travail de réanimation psychique, effectué dans cette séance, repose sur les recherches multidisciplinaires que j’ai exposées ci-dessus.

117En tant que psychanalyste, une recherche m’intéresse d’autant que ses hypothèses peuvent me rendre imaginative dans des cliniques difficiles, comme celle des bébés à risque d’autisme. Il est évident que Pedro riant à son oncle est présent à mon esprit quand j’entreprends la réanimation de la relation avec Marine. De même, quand elle cesse de répondre à mon jeu, cela me fait penser que j’ai perdu la fraîcheur de la véritable surprise avec elle, et je cherche donc à me ressourcer dans les représentations qui me viennent. Mais est-ce que l’on retrouverait cela dans l’analyse des voix ?

Marine, analyse psycholinguistique

118Les enregistrements ont été confiés à la psycholinguiste Erika Parlato, pour analyse en laboratoire. Plus d’une année devra s’écouler avant que ne se trouvent confirmées les hypothèses que je me formulais lors de cette séance.

1191. Si la première fois où je mime ma surprise et mon bonheur devant le yaourt à la vanille, l’enfant me regarde, cela n’indique-t-il pas que ma voix doit porter les caractéristiques prosodiques du parentais ?

1202. Si la mère n’a aucun succès lors de son jeu, c’est que sa voix doit être plate, ce qui se repère à l’écoute de la bande, mais dont on ne peut jamais être sûr.

1213. Si la petite fille devient si enthousiaste, riant de l’une à l’autre et ébauchant même des mouvements d’applaudissement quand je joue à nourrir sa mère, c’est que nos deux voix doivent être alors porteuses de ces mêmes pics prosodiques.

1224. Si, lors de mes deux mises en scène suivantes, elle regarde, il doit y avoir, dans ma prosodie, des éléments du parentais.

1235. Par contre, si, lors de la tentative suivante, elle n’a pas daigné me regarder, puis-je penser que la répétition de la même scène a tari ma capacité à me laisser surprendre ? L’absence de surprise doit avoir érodé mes pics prosodiques.

1246. Si elle m’a à nouveau suivie lors de mon invite à regarder le buisson odorant de vanille, c’est que, là, ma surprise et mon plaisir ne sont pas feints.

125En procédant à l’analyse acoustique perceptuelle des voix, Erika Parlato trouvera ces hypothèses confirmées. Lors de ma quatrième répétition de la même scène, Marine ne répond plus, car il n’y a plus de prosodie du parentais. Cela indique qu’il n’y a pas de faux parentais. Il serait donc absurde de proposer à qui que ce soit de parler en imitant cette prosodie. Elle est le résultat d’un état subjectif de surprise et de plaisir. Cela ne se commande pas. En revanche, à la dernière scène, celle de l’arbuste fleuri – au moment où j’énonce « regarde l’odeur » –, elle dit observer un arrondissement de l’intonation, un usage prolongé des voyelles, accompagné d’une augmentation de l’intensité, ce qui est caractéristique de la prosodie du parentais.

126Le roman d’Amélie Nothomb La métaphysique des tubes présente la plus magnifique narration d’une sortie de fermeture autistique massive, chez un enfant de 2 ans. À la suite des recherches que je viens d’évoquer, nous pouvons penser que quelque chose d’analogue a lieu dans la scène du chocolat blanc [32], où Amélie Nothomb (2002) décrit son passage de l’état tubulaire à l’état de sujet capable de dire « je ». Sa grand-mère, qui vit en Belgique, vient leur rendre visite pour la première fois au Japon, où Amélie est née. Il lui est dit que personne n’a réussi à croiser le regard ni à capter l’attention de ce bébé de 2 ans. Elle va le voir dans sa chambre et, une dizaine de minutes plus tard, la grand-mère revient triomphante avec, dans les bras, un bébé qui la regarde et lui sourit. Il est dit que, dans la scène intercalaire, la grand-mère a fait goûter du chocolat blanc au bébé, chocolat dont elle raffole en bonne Belge qu’elle est. Cette scène a, selon moi, une structure analogue à celle du buisson de fleurs de vanille. La grand-mère a offert au bébé l’objet qui la réjouit, et l’on peut supposer que, dans un mouvement d’illusion anticipatrice, sa voix a porté la prosodie de la surprise et du plaisir qu’elle supposait devoir se produire chez le bébé.

Bouleversement maternel, pulsion invocante et troisième temps

127Comment ces graphes peuvent-ils intéresser un psychanalyste ? Selon moi, ils confirment qu’il y a, dans la voix de l’Autre, un élément d’ensorcellement qui, tel celui des sirènes, ne peut pas ne pas être perçu sans susciter une attirance irrésistible chez l’auditeur [33]. Les Grecs l’auraient pressenti dès le temps d’Homère, lequel en parle explicitement dans l’Iliade. Cette dimension correspond sans doute au versant aliénation de la constitution du sujet, à condition de ne pas oublier le versant séparation, qui joue dans l’autre sens.

128Mais ce qui est passionnant c’est que cette prosodie spécifique ne marche, comme nous l’avons vu plus haut, que si les coordonnées de plaisir de l’Autre sont présentes. Nous pouvons penser que, dès la naissance du bébé, c’est le plaisir et la surprise que sa vue cause à sa mère qui lui permettent de produire, d’emblée, une prosodie de mamanais. Dans le registre métapsychologique, il convient de rappeler que surprise et plaisir reprennent ce que Freud a pu développer à propos de la tierce personne (Freud, 1905). Il s’agit de celle qui – face à un mot tronqué, mal prononcé, après un moment de surprise, d’étonnement – se laisse envahir par le plaisir qui l’illumine soudain du mot d’esprit qu’elle entend dans ce que la première personne a proféré sans le savoir, de ce qu’elle donne à entendre et qui sidère et réjouit celle qui l’entend. La prosodie du mamanais est, selon moi, la traduction perceptible de cet état dans la mère : elle est émerveillée tout en étant bouleversée, sidérée. Au niveau du nourrisson, nous pouvons penser que les premiers jours, ce qui émerveille, c’est ce qu’il donne à voir, par ce qu’il est mais aussi, d’emblée, par ses regards. Néanmoins, très vite, ce seront les réponses sonores, gestuelles et mimiques du bébé qui soutiendront cette prosodie chez sa mère. Raison pour laquelle j’énonce que la prosodie est une fonction de ce qui se joue pulsionnellement entre un futur sujet et celui qui, par là même, devient son Autre.

129Si l’élément d’émerveillement est donc aisément repérable, d’où provient l’élément de sidération, le bouleversement ? Sur le plan de la clinique psychanalytique, Roland Gori (2002) a souligné l’importance, dans le moment qui précède l’éclosion d’une passion amoureuse, d’un état de détresse. J’ai écrit (Laznik, 2004) que cet état de manque, de vide intérieur, est toujours nécessaire pour que l’investissement libidinal massif d’un nouvel être soit possible, l’exemple le plus frappant étant la nécessité du baby-blues – de ce moment de perte des repères habituels, d’extrême fragilité dans lequel se retrouvent les femmes après un accouchement – qui leur permet de tomber amoureuses de leurs nourrissons, de les investir en place d’Idéal. Si ce processus est habituel, il n’en est pas moins dangereux. Nous savons que certaines peuvent prolonger cet état jusqu’aux dépressions du post-partum. Mais quand les choses se passent normalement, le nourrisson montre une appétence pulsionnelle pour ce type de prosodie, il s’en nourrit littéralement.

130Cette prosodie produit une trace dans la mémoire du nourrisson, qui sera activée lors d’une nouvelle excitation. Elle pourra être revécue alors, primairement de façon hallucinatoire par lui. Dans les moments où le bébé prend son pouce pour rêvasser, ce sont ces traces des coordonnées du plaisir de cet Autre primordial qui me garantissent qu’Éros est là présent et que nous sommes donc face à un autoérotisme. Si nous enlevons Éros, c’est face à l’autisme que nous nous retrouvons. Avec toutes les conséquences que cela entraîne, parmi lesquelles, son manque de motivation pour devenir expert pour la voix humaine et le visage, pour reprendre les termes de Monica Zilbovicius.

Conclusion et perspectives

131Ainsi, dans les séances comme dans les films familiaux, lorsque la voix de l’adulte peut se faire porteuse des accents d’émerveillement caractéristiques du mamanais, cela semble faciliter l’intérêt du bébé autiste, qui peut se mettre à regarder et répondre. Si cela pouvait se confirmer de façon objective, cela viendrait-il contredire ou moduler les découvertes de Monica Zilbovicius que les enfants autistes traitent la voix humaine comme du « bruit » ? Si ces enfants, à l’âge de bébés, sont aptes à répondre aux intonations particulières de leur mère les appelant à être leur objet de jouissance, c’est bien qu’ils captent d’emblée les spécificités affectives et subjectives de la voix et de ses intonations. Ce ne serait que plus tard, alors que la construction du sujet à partir de son aliénation dans l’Autre a échoué, alors que n’a pas eu lieu la mise en place des circuits cérébraux qui lient inextricablement la perception de la voix, du regard et la perception de soi-même en relation avec l’autre désirant, au fil de ces innombrables dialogues entre la mère et l’enfant, au fil de ces renforcements circulaires du bébé qui répond et de la mère qui se réjouit, ce n’est qu’alors, quelque temps plus tard, que l’imagerie viendrait constater les dégâts dans le fonctionnement cérébral de ces enfants.

132Si nous avons pu montrer que le bébé en train de devenir autiste peut répondre, en théorie, à l’émerveillement de sa mère, une question corollaire est : comment une mère peut-elle réussir à s’émerveiller d’un bébé fermé qui ne la regarde pas ? Face à l’absence d’intérêt du bébé pour le plaisir de l’autre, comment la voix de la mère peut-elle véhiculer quelque chose qui appelle le bébé à entrer en relation et se faire l’objet de son plaisir ? Cette voix peut-elle encore porter les accents du plaisir de cette rencontre ?

133Pourrait-on soumettre ces questions à l’épreuve de la science ?

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : voix, bébés, autisme, mamanais, Pulsion, psychothérapie mère-bébé

Date de mise en ligne : 28/12/2013

https://doi.org/10.3917/capre1.010.0023

Notes

  • [1]
    Qui devait devenir plus tard l’Association lacanienne internationale.
  • [2]
    Il était le discutant du rapport des langues françaises – les anciennes langues romanes – fait, cette année-là, par Bernard Penot qui avait collaboré de près à mes découvertes sur la pulsion. C’est comme cela que le président de l’IPA nous a aidés. Les réunions se passaient dans la bibliothèque de son ancien service à la Pitié-Salpêtrière.
  • [3]
    Ce que je n’aurais jamais pu faire sans l’aide précieuse et gratuite de mon mari, Oussama Cherif Idrissi el Ganouni, docteur en statistiques !
  • [4]
    Il est triste de penser que l’équipe actuelle dans laquelle se trouve Frank Ramus refuse de façon même hostile de continuer tout dialogue avec la psychanalyse.
  • [5]
    Un deuxième congrès commun sera organisé deux ans plus tard au sujet de la pulsion.
  • [6]
    Elle a écrit un article dans Psychanalyse de l’enfant en 1999 sur le mamanais dans la relation bébé-mère (Severina-Ferreira, 1999).
  • [7]
    Lors du congrès sur l’autisme organisé par Jacques Hochmann à Lyon.
  • [8]
    Ce détail est d’importance si nous voulons distinguer les objets de la satisfaction du besoin des objets pulsionnels proprement dits.
  • [9]
    « Several studies (Scherer, 1979) have shown that high pitch and expanded pitch range in normal adult-adult conversation are acoustic concomitants of positive affect, signaling pleasantness and happiness, as well as vitality and surprise, to adult listeners. In mothers’ speech to infants, several such prosodic attributes known to convey emotional information are exaggerated well beyond the range of normal adult speech, perhaps providing prominent affective cues for the infant. »
  • [10]
    Seul texte où Freud aborde longuement le rôle de l’autre secourable dans la constitution de l’appareil psychique du bébé.
  • [11]
    Ce qui veut dire qu’il pourrait y avoir d’autres niveaux que le visuel.
  • [12]
    À ce propos, voir M.-C. Laznik-Penot : « Les effets de la parole sur le regard des parents, fondateur du corps de l’enfant », dans D. Brun (sous la direction de), Les parents, le pédiatreet le psychanalyste, Condé-sur-l’Escaut, Éditions P.A.U., 1995.
  • [13]
    B. de Boisson Bardies raconte aussi que les bébés soumis à l’écoute d’un poème pendant les derniers mois de la vie fœtale, discriminent ce poème. Ils le préfèrent à un autre, non entendu, même si c’est la voix de leur mère qui le lit. Ils préfèrent le poème qu’ils connaissent même si c’est une voix féminine inconnue qui le lit. Ils sont même capables, en suçant de façon particulière, de choisir de réécouter la cassette du poème connu au détriment de celle avec la voix de la mère. Nous voyons donc que, dès la naissance, la voix da mère n’est pas le seul déterminant acoustique en jeu mais aussi certaines caractéristiques des chaînes signifiantes préalablement entendues. Nous verrons que la prosodie joue aussi, d’emblée, un rôle prépondérant.
  • [14]
    Il s’agit d’une laparoschisis grave qui a nécessité six mois d’hospitalisation et quelques interventions chirurgicales.
  • [15]
    Situation qui persistait encore au moment où cet exposé fut proféré, Marianne ayant alors 14 mois. Ce n’est qu’à partir de 28 mois qu’elle a pu s’alimenter exclusivement par la bouche.
  • [16]
    Que Freud appelle des Wunschvorstellungen, des représentations de désir.
  • [17]
    C’est d’ailleurs celle qui est retenue par Laplanche et Pontalis dans leur Dictionnaire et qui a la faveur de la majorité des auteurs psychanalytiques français.
  • [18]
    Même si le terme autoérotisme n’y apparaît pas encore – puisque ce n’est qu’en 1905 que Freud l’emploie –, il est évident que la notion même de pôle hallucinatoire de satisfaction, qui suppose la réviviscence de traces mnésiques liées à des traits de l’Autre inoubliable, implique une tout autre conception de l’autoérotisme.
  • [19]
    Si ce pas a été franchi par des auteurs anglo-saxons, et non pas par des auteurs de l’école française, c’est parce que celle-ci est restée très attachée à l’idée d’une l’historicité.
  • [20]
    Lacan lui-même n’a pas eu le loisir de tirer les conséquences de cette assertion, qui implique une révision complète de la théorie de l’étayage.
  • [21]
    La pulsion n’est donc plus un concept charnière entre le biologique et le psychique mais un concept qui articule le signifiant et le corps, ce qui n’est pas l’organisme.
  • [22]
    Mais nous allons voir que ce n’est que dans l’après-coup du troisième temps que nous pourrons dire s’il y a ou non autoérotisme.
  • [23]
    Il ne s’agit pas ici de plaisir au sens du principe de plaisir, qui est surtout un principe de non-déplaisir.
  • [24]
    Fondation Stella Maris, faculté de médecine de Pise.
  • [25]
    L’idée qu’il y a, dès la naissance, un prototype de sujet capable d’une volonté de refuser est assez rare dans la psychanalyse. Françoise Dolto a d’emblée affirmé l’existence d’un sujet, ce qui n’est pas très évident. Jacques Lacan a parlé d’un sujet du principe du plaisir, capable de fuir le déplaisir. Il est sûrement dérivé du Real Ich que Freud évoque dans « L’Esquisse ». Ce n’est qu’au moment où il arrive à se faire objet de la pulsion de l’autre que ce sujet cesse d’être acéphale, dit Lacan. Plus je travaille avec les bébés en danger d’autisme, plus je visionne des films familiaux de ceux qui le sont devenus, plus ma pratique d’analyste de bébé et de parents s’affine, et plus je dois reconnaître qu’il y a bien un petit bout de chou de sujet avec les parents et l’analyste dans la séance, ce qui change tout. Mais ce sujet ne peut se savoir exister que dans l’après-coup de la découverte qu’il est source de la joie de l’autre. Temps nécessairement fugace et indispensable.
  • [26]
    L’idée est venue de Charles Melman et s’est avérée très utile pour un travail de déchiffrage en micro-analyse de la situation. La première cinéaste a été Anouck de Bordas, une collègue qui avait entrepris ses études de psychologie après une longue analyse. Il me semble indispensable que le « cinéaste » ou le « scribe » d’une séance avec un enfant autiste soit quelqu’un de formé à la psychanalyse. Transférentiellement, il me serait difficile de sentir quelqu’un en train de juger ce que j’essaye de mettre en place pour entrer en contact avec l’enfant. L’année suivante, ce fut Catherine Thomas qui avait la même formation. Toutes deux m’ont été d’une aide très précieuse et je les en remercie.
  • [27]
    Les deux avaient été des élèves de Julian de Ajuriaguerra.
  • [28]
    Un compte rendu plus détaillé des recherches de Monica Zilbovicius, fait par Bernard Golse, se trouve dans son article, dans ce même livre : Langage, voix et parole dans l’autisme, Paris, Puf.
  • [29]
    Extrait de L’Express en ligne du 20 décembre 2004 : Les chercheurs de l’année 2004, « Les autistes ne reconnaissent pas la voix humaine », entretien réalisé par F. Maxime et E. Lecluyse.
  • [30]
    Nous retrouvons ici l’âge d’une autre recherche qu’elle avait présentée en Belgique. Personnellement, je pense qu’il faut intervenir beaucoup plus tôt.
  • [31]
    Il s’agit d’un questionnaire cognitif construit par S. Baron Cohen, qui permet de repérer à 18 mois les petits qui feront un autisme à 3 ans. Dans la recherche PRÉAUT sur les signes précoces d’autisme, nous en utilisons une variante française un peu modifiée.
  • [32]
    Je tiens à remercier ici les médecins du centre de protection maternelle et infantile de Bordeaux qui m’ont signalé cette précieuse analogie, lors de notre rencontre pour la formation PRÉAUT.
  • [33]
    Je dois cette idée à Hervé Bentata. Voir « Sirènes et chofar : incarnation mythique et rituelle de la voix », dans Quand la voix prend corps, Paris, L’Harmattan, 2001.

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