Notes
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[1]
On retrouve ainsi en rue des personnes immigrées, des personnes qui ont connu un incident de parcours, des personnes davantage chronicisées par le mode de vie en rue ou encore les « clochards » inscrits durablement dans celle-ci (REA, 2001). Au-delà, toutes les catégories d’âge sont concernées, les niveaux d’éducation peuvent être faibles ou élevés et les raisons qui ont conduit à l’errance, plus ou moins durable, sont multiples (perte d’emploi, absence de statut administratif, rupture sentimentale…).
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[2]
La typologie ETHOS (créé par la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri - FEANTSA) est établie de la façon suivante : 1/ sans abri (en rue ou en hébergement d’urgence) ; 2/ sans logement (en abri mais provisoire dans des institutions ou foyers d’hébergement) ; 3/ en logement précaire (menacé d’exclusion en raison de baux précaires, expulsions, violences domestiques) ; 4/ en logement inadéquat (dans des caravanes, en logement indigne, dans des conditions de surpeuplement sévères).
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[3]
Qu’il s’agisse des « cycles de vie » (Galère, Zone, Cloche) chez Bresson (1998) ou des « phases » (Fragilisation, Routinisation, Sédentarisation) chez Damon (2012).
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[4]
La question du non-recours renvoie à toute personne qui ne reçoit pas une prestation ou un service auquel elle pourrait prétendre
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[5]
Pour Furtos (2009), l’auto-exclusion se caractérise par une « congélation du moi » proche de la schizophrénie. Elle se manifeste par une anesthésie du corps (et des souffrances), des émotions émoussées et une pensée inhibée. Couplée à un refus d’aide systématique des professionnels psychosociaux et une coupure totale de liens et de relations, elle permet de mieux appréhender la manifestation la plus extrême du sans-abrisme.
-
[6]
Par exemple, la logique d’urgence sociale qui défend une plus grande flexibilité des structures d’accueil en période hivernale versus la logique d’activation qui défend l’insertion du public par des approches plus conditionnalisées (quota de nuitées…). Ou encore les dispositifs qui exigent un traitement préalable des personnes en termes d’addiction et/ou de suivi psychiatrique avant d’accéder à un logement (modèle « en escalier ») versus les dispositifs qui défendent l’accès au logement préalablement à tout traitement (modèle « Logement d’abord »).
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[7]
Si l’objectif poursuivi par Amartya Sen est de renouveler les débats en matière de justice sociale et, par conséquent, sur l’égalité, Repenser l’inégalité est également le titre d’un de ses ouvrages.
-
[8]
Pour une présentation des différentes approches : Arnsperger et Van Parijs (2003).
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[9]
Les ressources ou biens premiers sont envisagés comme tous les biens et services, en ce compris les droits formels et informels. Dans notre cas, il peut s’agir : du droit au logement, des revenus individuels, des primes à l’installation, etc.
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[10]
Les facteurs de conversion envisagés sont de trois ordres : individuels (santé physique et mentale, éducation reçue…), sociaux (institutions sociales telles que la famille, le système d’aide psychosocial…) et environnementaux (opportunités territoriales, institutionnelles…).
-
[11]
La préférence adaptative peut être considérée comme l’intégration d’une contrainte qui conduit la personne à se contenter du peu qu’elle a en considérant qu’elle ne peut pas prétendre à mieux.
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[12]
Notons que si c’est le champ des soins qui est ici abordé, la réflexion prévaut aussi pour l’accès au logement, et devrait même être envisagée, comme le font les projets de « logement d’abord », prioritairement à la question du soin. Celle-ci dépend en partie des conditions d’existence des personnes qui sont constitutives de l’absence de logement. L’accès au logement permet de dépasser une partie des problématiques liées à la vie en rue en termes de conditions d’existence. Encore faut-il ensuite leur proposer un accompagnement spécifique pour travailler leur appréhension face au système de soin, et de faire ensuite en sorte qu’elles y accèdent effectivement.
Introduction
1Alors que les représentations sociales ont tendance à considérer les personnes sans-abri comme une « population » homogène (en termes d’addiction, de maladie mentale…), leur situation se caractérise avant tout par leur hétérogénéité [1]. Si certaines caractéristiques semblent prépondérantes (surreprésentation d’hommes et de personnes seules notamment), il n’y a ni trajectoire-type, ni profil-type en la matière. Même en ce qui concerne la situation (d’exclusion) de (au) logement, l’hétérogénéité prévaut lorsque l’on évoque ce phénomène comme l’illustre la typologie « ETHOS » [2] qui décline la diversité des situations d’absence de chez-soi et l’importance de ne pas envisager ce phénomène d’une manière statique ou linéaire. Davantage centrées sur les personnes « en rue », les approches sociologiques [3] insistent sur les dimensions temporelles et de dégradation (sanitaire, relationnelle…) possible, sur le recours plus ou moins important aux services d’aide et sur l’intégration des normes inhérentes à la rue.
2Mais, paradoxalement, les difficultés rencontrées au travers de cette expérience de sans-abrisme sont relativement partagées. Dans l’accès aux droits fondamentaux d’abord (droit au logement, droit aux soins de santé…), l’absence de chez-soi s’illustre par son ineffectivité : non-recours [4] aux prestations sociales, exclusion du logement, faible accessibilité à la justice, prévalence à la maladie et mortalité prématurée… En corollaire, les personnes s’inscrivent dans une survie quotidienne qui les pousse à adopter une série de comportements spécifiques (faire la manche, rechercher un abri…) et à vivre l’instant présent, sans pouvoir se projeter dans un futur, tout à la fois proche et lointain. En termes d’existence et de reconnaissance sociale enfin, les personnes sans-abri sont méprisées, stigmatisées et, au fur et à mesure de leur « clochardisation », sont de plus en plus invisibilisées dans l’espace social. Devant les regards fuyants des passants et la violence symbolique d’une société d’abondance, l’abandon de soi devient total lorsque ces personnes s’autoexcluent (FURTOS, 2009) [5].
3En matière de santé spécifiquement, la population sans-abri peut être considérée comme une population à risque. S’il n’existe pas d’affection spécifique à la situation d’itinérance (Moisy, 2015), il y a cependant une plus grande prévalence de maladies cardiaques et respiratoires, de diabète, de maladies infectieuses (hépatites, VIH…) ou encore de prolifération de maladies contagieuses (Hwang, 1997, 2000, 2001). Il existe également une plus forte prévalence de troubles psychiatriques par rapport à la population générale (Chauvin, Laporte, 2009). Au-delà, l’expérience de la rue s’accompagne d’un taux de mortalité plus élevé. Par rapport à la population générale, les personnes itinérantes ont trois à onze fois plus de risque de décès (Girard et al., 2009). L’âge moyen du décès d’une personne sans-abri se situe entre 41 ans et 54 ans (O’Connell, 2005).
4Les entretiens et observations réalisés nous ont permis de constater que l’accessibilité au système de soins dépend souvent de l’organisation du système en lui-même et des professionnels qui le constituent. Renvoyer une personne de l’hôpital en rue parce que ses soins de plaie ne nécessitent pas une prise en charge hospitalière, puis la retrouver quelques semaines plus tard aux urgences avec une jambe gangrenée illustre l’absence de prise en compte du milieu de vie de la personne sans-abri dans le processus de soin. La récurrence de la stigmatisation, de l’incompréhension ou encore de l’absence de prise en compte de la rue en tant que lieu de vie au sein des systèmes de soins conduisent à renforcer le non-recours, particulièrement en l’absence de « domicile ». Pour autant, la responsabilité des personnes ne doit pas être négligée, par exemple lorsqu’elles signent une décharge pour sortir prématurément d’une hospitalisation ou qu’elles repoussent des soins importants car leur état ne constitue pas un handicap majeur à leur vie quotidienne.
5Dès lors, cela cristallise différentes tensions en matière d’accès et de suivi des soins, mais plus encore dans le traitement public du sans-abrisme. Alors que celui-ci se caractérise par la présence concomitante de visions ambivalentes [6], le non-recours aux soins s’appréhende également à travers des visions hétérogènes, tant sur les causes que sur les manières d’y répondre. Tandis que ce numéro spécial s’intéresse aux discriminations en matière de santé, nous souhaitons aborder cette problématique en questionnant la « capabilité » (SEN, 2000) des personnes de recourir aux soins, c’est-à-dire la liberté qu’ont les personnes de choisir de se soigner ou non.
6En effet, en questionnant de manière exigeante les possibilités réelles qu’ont les personnes de recourir aux soins, il nous semble possible de dépasser les appréhensions contradictoires du non-recours qui peuvent exister entre professionnels de l’action sociale et professionnels du secteur du soin.
1. L’approche par les capabilités : repenser l’inégalité [7]
7L’approche par les capabilités développée par Amartya Sen, prix Nobel d’économie, s’inscrit dans un renouvellement des théories de la justice. La démarche entreprise se démarque des modèles « ressourciste » et « utilitariste » [8]. Le premier cherche à assurer l’égal accès aux ressources (appelés également bien premiers) [9] et s’illustre, notamment, par les dispositifs juridiques censés assurer l’égalité des droits (chances) : droit au logement, droit aux soins… Ici, c’est la situation initiale en termes d’accès qui constitue le curseur sur lequel l’action publique se focalise. Le second cherche à maximiser la somme des utilités en se focalisant sur les résultats et s’illustre, notamment, à travers les dispositifs évalués sur leur « taux » (taux d’insertion, taux d’emploi…). Ici, c’est l’issue qui constitue le curseur de l’action publique. Amartya Sen leur adresse, notamment, deux reproches : l’absence de prise en compte des facteurs nécessaires pour convertir les ressources disponibles en opportunités réelles (modèle ressourciste) et l’absence de prise en compte des situations individuelles, notamment en termes d’opportunités et de participation, qui mènent aux résultats (modèle utilitariste).
8L’approche propose dès lors de se structurer autour de deux concepts principaux. D’une part, les « fonctionnements » (ou « accomplissements ») qui représentent les choix et actes qu’une personne réalise (manger, se soigner…) ou, plus simplement, les façons d’être et de faire (Zimmerman, 2007). D’autre part, la « capabilité » qui représente les combinaisons de choix possibles qui s’offrent aux individus, c’est-à-dire la « liberté de mener la vie que je souhaite valoriser » (Sen, 2000). Ceci implique la présence de deux versants en vue d’évaluer le degré de liberté : un versant « opportunités » impliquant la présence d’alternatives de valeur et un versant « processuel » nécessitant un choix posé de façon autonome sans l’interférence de tiers. Pour y parvenir, il est nécessaire d’envisager l’analyse des dispositifs à partir de la structure suivante : « ressources – conversion – fonctionnement – participation et normativité ».
9En termes de ressources d’abord. Si l’accès à celles-ci est important, il faut cependant pouvoir les convertir en opportunités réelles [10]. Deux personnes ayant chacune accès à un vélo, mais dont l’une des deux est unijambiste, ne disposent en effet pas de la même étendue de liberté en termes d’opportunités.
10De même en matière de santé, l’absence de domicile entrave davantage les opportunités réelles de soin par rapport à une personne disposant d’un logement. La capabilité intègre ainsi dans son analyse les facteurs sur lesquels agir pour convertir les ressources en une plus grande étendue de liberté et, in fine, les disparités qui existent entre les individus.
11En termes de fonctionnements ensuite. S’ils sont importants, ils ne disent rien du processus de choix qui y conduit : ne pas recourir aux soins peut en effet résulter d’un choix effectif ou d’une absence d’information suffisante des possibilités existantes. Il s’agit aussi de voir si le non-recours n’est pas la conséquence d’une préférence adaptative [11]. La capabilité cherche donc à dépasser les réalisations effectives des individus (ce qui se donne à voir) en interrogeant les choix à la lumière des croyances individuelles et des alternatives potentielles au moment T.
12En termes de participation et de normativité enfin. S’inscrivant dans une vision exigeante de la liberté et de la démocratie, la capabilité requiert, d’une part, que la personne participe au processus qui la concerne, d’autre part, que la normativité soit la plus faible possible. Pour une personne sans-abri en fin de vie, si le choix se présente de façon duale (terminer sa vie à l’hôpital ou en rue), il y a des chances que ce soit la seconde option qui soit privilégiée alors que des alternatives existent ailleurs (notamment les structures résidentielles médicales temporaires qui permettent d’avoir un lieu confortable en fin de vie tout en maintenant divers comportements exclus dans le secteur hospitalier).
13L’approche cherche ainsi à s’assurer d’une possibilité de choix des personnes, en faisant de la liberté réelle le curseur analytique, garantissant ainsi à chacun les « conditions d’une vie réellement autonome » (Bonvin, 2012). Pour y parvenir, elle se concentre donc sur : 1) les ressources disponibles et leur conversion (quels sont les facteurs sur et par lesquels agir en vue de convertir les ressources disponibles ?) ; 2) les fonctionnements (quelle est la situation de la personne et dans quelle mesure y a-t-il choix face à celle-ci ?) ; 3) la participation et le degré de normativité présent dans la situation étudiée (dans quelle mesure l’avis de la personne est-il sollicité et quelles sont les alternatives qui s’offrent à elles ?).
14Partant, trois fils conducteurs seront développés dans cet article : 1) le phénomène de sans-abrisme et de non-recours aux soins ne peut pas s’appréhender comme un manque de ressources mais comme une privation de liberté, eu égard aux conditions d’existence du public ; 2) en corollaire, la diversité des situations et des profils nécessite d’agir sur les facteurs de conversion des ressources disponibles et nécessaires à une capacité de choix réelle ; 3) l’action publique et les dispositifs concernés doivent s’adapter, notamment à la spécificité des conditions de vie qui résultent de l’absence de domicile, en tenant compte de celles-ci et des capacités de choix des personnes dans le recours aux soins.
2. Non-recours aux soins chez les personnes sans chez-soi
15Comme le souligne Warin (2010, 2016), le non-recours implique un large spectre de situations qu’il n’est pas possible d’isoler sous une forme exclusive ou encore de manière séquencée. Quatre situations existent en la matière : 1) la non-connaissance (l’offre n’est pas connue) ; 2) la non-demande (l’offre est connue mais non-demandée, soit par choix, soit par contrainte) ; 3) la non-réception (l’offre est connue, demandée mais non perçue ou utilisée) ; 4) la non-proposition (l’offre n’est pas proposée car le prestataire estime qu’elle est inadaptée et risque d’entraîner un non-recours durable voire définitif). Le non-recours ne se centre donc pas sur l’unique responsabilité des bénéficiaires potentiels mais envisage également les responsabilités institutionnelles et politiques.
16Dans le cas présent, l’hétérogénéité des appréhensions du non-recours par les professionnels et les chercheurs renforce l’intérêt d’une telle typologie. Sur les raisons du non-recours, pour certains ce sont les problèmes financiers, administratifs, de compréhension du système et de refus de soins de la part des prestataires qui peuvent être considérés comme les principaux obstacles à la compliance (Médecins du monde, 2014). Pour d’autres, (Gardella et al., 2008), c’est le sens du recours aux soins qui prévaut, notamment l’intérêt et la légitimation perçue de l’offre par les utilisateurs du système. Alors que d’autres encore appréhendent le non-recours aux soins et l’absence de suivi des traitements comme la résultante de causes psychopathologiques (Declerck, 2001) ; Benoist (2008) l’envisage sous l’angle des causes sociales, notamment les comportements de soins du public qui découlent de leurs représentations à l’égard de la maladie, du système médical mais aussi des interactions soignants/soignés.
17À partir des entretiens et observations réalisés, trois volets empiriques complémentaires méritent d’être développés: 1) les conditions d’existence empêchent le recours aux soins ; 2) pour recourir aux soins, il faut d’abord exister ; 3) l’inadaptation du système de soins contribue, soit au non-recours, soit au suivi inefficace des prises en charge.
2.1 Conditions d’existence et non-recours aux soins
18Connaître une expérience de sans-abrisme, c’est avant tout connaître l’expérience du mépris et de la stigmatisation : faire la manche, manquer d’hygiène, s’alcooliser, ne pas travailler… Autant de caractéristiques qui induisent une appréhension négative des personnes auprès de tiers : passants, forces de l’ordre, corps médical. Ces caractéristiques, couplées à une expérience de l’échec (scolaire, sentimental, institutionnel…) ainsi qu’à des exclusions plus ou moins répétées (des hôpitaux notamment en psychiatrie, des cures/postcures…) conduisent les personnes à appréhender négativement le système de soins et à repousser tout contact avec celui-ci, y compris les soins eux-mêmes.
19Au-delà, la vie en rue se caractérise par une survie constante. Pour éviter d’avoir faim, d’avoir froid ou encore d’être en manque d’alcool ou de drogues, les personnes en situation d’itinérance doivent faire la manche, rechercher continuellement des lieux sécurisés pour se poser, ou encore s’adonner à des activités répréhensibles en vue de subvenir à leurs besoins. Cette survie, accompagnée d’un manque de sommeil, conduit les personnes à être épuisées et déstructurées. Même lorsqu’elles tentent de remédier à leur situation (sortie de rue, recours aux soins…), elles sont continuellement rattrapées par leur épuisement qui conduit, tôt ou tard, à un abandon des démarches en cours. Notons également la temporalité qui cadence la vie de ce public : centré sur la survie quotidienne, il est incapable de se projeter dans un futur plus ou moins proche, ce qui pose de nombreux problèmes dans le suivi continu des pathologies impliquant une conformisation au fonctionnement du système de soins (rendez-vous fixes, « sanctions » de retard…). Les personnes perdent alors confiance (en elles, dans le système de soin, voire même dans les services sociaux), petit à petit, jusqu’à perdre espoir.
20Alors que le mépris entraîne l’appréhension du système de soins, que la survie en rue et ses conséquences entraînent l’absence de fréquentation (régulière) du système de soins, la perte d’espoir annihile toute perspective de soin tant qu’un handicap ne contreviendra pas à la survie quotidienne.
2.2 Pour se soigner, il faut d’abord exister
21« Pour moi, ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas d’autres besoins. Mais ils ne sont pas prioritaires et surtout ils ne sont pas là où nous, on les voit. Pour détecter des problèmes et traiter des problèmes, il faut exister. Et je pense que la majorité de ces gens-là, ils n’existent pas aux yeux des autres. Ou en tout cas c’est ce qu’eux ressentent ». (Emmanuelle, infirmière de rue).
22Les besoins des personnes sans chez soi ne sont ainsi pas là où les professionnels les situent, sachant qu’elles peuvent tout simplement ne pas avoir envie de se soigner, ou à tout le moins en ressentir le besoin. Les besoins perçus par les professionnels ne rencontrent donc pas nécessairement l’attention qu’ils voudraient. Cette distorsion peut s’expliquer par la survie quotidienne liée à l’expérience de sans-abrisme qui nécessite de prioriser ce sur quoi il faut fournir de l’énergie ; les questions de santé étant bien éloignées de leurs préoccupations et des nécessités quotidiennes.
23De toute évidence, c’est le besoin important « d’être en lien » des personnes qui l'emporter sur le traitement des pathologies. Les personnes sans abri attendent ce lien et ont besoin de retrouver confiance, de se sentir écoutées et comprises, d’être attendues, de compter pour quelqu’un, d’être reconnues… Comme l’expliquent nos interlocutrices, ce besoin de lien et d’attention les conduit d’ailleurs à manifester des douleurs pour pouvoir accéder aux soins : « Les gens ne verbalisent pas ce besoin de lien et manifestent un problème de santé pour pouvoir être vu en individuel alors que, très manifestement, il n’y a rien. Les gens viennent avec un prétexte pour pouvoir parler, se livrer. » (Justine, infirmière de rue).
24Ceci peut dès lors impliquer un temps relativement important avant qu’une personne n’intègre un trajet de soins. Alors que leur situation peut être plus ou moins préoccupante sur le plan sanitaire, les personnes sans chez-soi recherchent d’abord l’écoute et l’attention nécessaires pour se raconter et prendre conscience qu’elles valent la peine. Leur besoin prioritaire, simultanément à la survie, est donc d’exister pour se soigner. Toute tentative institutionnelle qui ne tiendrait pas compte de cette dimension, risquerait fortement de tomber à l’eau.
2.3 De l’inadaptation du fonctionnement des structures à l’accès et au suivi des soins
25Il importe également de prendre en considération l’organisation du système de soins ainsi que les différentes structures et professionnels qui le constituent.
26Les caractéristiques propres du public induisent souvent une appréhension du personnel médical et assimilé. Se faire désodoriser dans la salle d’attente de l’hôpital, ne pas accéder à une médication de substitution à la consommation de drogues au sein d’une pharmacie ou encore se voir adresser une prise en charge inappropriée eu égard à l’existence en rue (un plâtre, des aérosols pour affections bronchiques ou encore des antipsychotiques) conduisent les personnes sans-abri, d’une part, à ne pas se sentir en confiance et à appréhender le soin, d’autre part, et en réponse à cette appréhension, à postposer leurs besoins en la matière, au mieux, voire à les abandonner : « On sent qu’il y a quand même un problème au niveau des hôpitaux, et même des médecins. Moi je suis tout le temps en train de chercher des médecins. D’essayer de les sensibiliser pour voir s’ils sont d’accord de prendre des usagers de drogue. Parce qu’ils ont peur d’eux, ils ont pas envie de faire des traitements de substitution parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec ça. Parce qu’ils n’ont pas eu de formation suffisante tu vois pour prescrire. C’est des gens qui viennent pas à leur rendez-vous, ils ont pas d’argent, il y a plein de trucs qui font qu’ils n’aiment pas ces patients-là. Et du coup les patients, ils le ressentent aussi et ils ont du mal à aller vers eux. » (Maud, infirmière dans un service de réduction des risques pour usagers de drogue).
27Au-delà, lorsque les personnes décident malgré tout d’entrer dans un protocole de soins, de nombreux éléments conduisent à un non-aboutissement du processus ou à la mise en échec de celui-ci : devoir téléphoner hebdomadairement pour entrer en cure alors que la personne ne dispose ni de téléphone, ni de domicile ; être averti (en tant que service d’accompagnement) la veille de l’entrée en cure et ne pas pouvoir trouver la personne dans ce laps de temps si restreint ; être enfermé toute la journée dans une structure hospitalière sans pouvoir déambuler en rue sont tout autant de situations qui y contribuent. Au-delà de la volonté, nécessaire, des personnes, c’est l’inadaptation et la rigidité des cadres institutionnels du système de soins qui contribuent à la problématique.
28Enfin, même s’il y a processus de soins, la continuité nécessaire des traitements et des suivis thérapeutiques se confronte à la réalité d’absence de logement. Se remettre d’une pneumonie alors que l’on est soumis aux intempéries, maintenir un sevrage malgré la fréquentation des pairs et leurs conduites addictives, ne plus pouvoir accéder à des activités réflexives et occupationnelles sont tout autant de situations qui rendent caduques les processus entamés. L’absence de prise en charge post-soins aboutit alors à une absence de guérison des pathologies (voire une dégradation de celles-ci) ou à des rechutes.
3. À propos des pratiques professionnelles : ressources disponibles et recours effectif aux soins
29Alors que l’essentiel de l’article a été marqué jusqu’à présent par l’identification des problématiques de soins des personnes sans chez-soi, entravant par la sorte leur capabilité, les pratiques qui contribuent au recours aux soins méritent qu’on s’y attarde succinctement.
30Accueillir constitue l’étape préalable à tout travail avec ce public « abîmé ». Accueillir, c’est recevoir sans attendre, écouter sans juger, prendre le temps et ne rien forcer, reconnaître et comprendre la réalité. Alors que les privations importantes rencontrées nécessitent un travail conséquent pour combler les besoins multiples qui en découlent, c’est avant tout la création du lien qui permettra d’entamer toute démarche, liée au soin et au-delà. Créer et entretenir un lien, c’est permettre à la personne de se soigner, afin que les besoins, même les plus vitaux, puissent se ressentir face à l’urgence du quotidien et à l’invisibilité de soi.
31Ce n’est que par la suite qu’il est possible de sensibiliser la personne aux problématiques qu’elle rencontre et de l’informer sur les possibilités existantes. Il s’agit d’une pratique essentielle car, la plupart du temps, les personnes ont une image altérée, à la fois de leurs propres pathologies, mais aussi des possibilités de soins qui existent. Croire que l’on est gravement malade et préférer ne pas se soigner, imaginer que l’on est obligé d’accepter ce qui est proposé par le corps médical, penser que l’on ne peut pas bénéficier de soins sont tout autant de situations qui nécessitent une sensibilisation et une information adaptée de la part des professionnels.
32Lorsque la personne est en désir de soins, il faut ensuite l’accompagner : pour l’aider à s’exprimer, pour lui (ré)expliquer ce qui s’est dit (sur les traitements, le diagnostic…), pour l’aider à surmonter ses appréhensions, voire tout simplement pour tenter de lui faire accéder aux soins. Car si la responsabilité de la personne ne doit pas être écartée, elle doit être appréhendée au regard des expériences personnelles rencontrées. Les admissions (aux urgences par exemple), notamment en cas de crise aiguë, se soldent régulièrement par un refus de prise en charge, même lorsque les personnes sont accompagnées par des travailleurs psychosociaux et ce, malgré de multiples tentatives : « (…) J’ai du mal à imaginer que peu importe le jour, ça peut arriver une fois mais pas systématiquement, qu’aucun lit ne soit accessible dans le Namurois pour un patient en crise. Hormis la mise en observation mais alors, une fois de plus, on attend, on attend, on attend. Mais, c’est ça le problème, les conditions pour la mise en observation, c’est que la personne soit en crise aiguë et qu’elle soit un danger pour elle et pour les autres et qu’il n’y ait plus d’alternatives. Donc c’est un peu comme si on disait ben voilà on ne sait pas vous aider et on va attendre que vous tuiez quelqu’un pour vous incarcérer » (Justine, infirmière de rue). Alors que les personnes veulent se soigner, elles voient ainsi les portes se fermer successivement et ce, pour différentes raisons (manque de place, inadaptation du profil…). Les professionnels doivent alors sensibiliser et négocier, non plus auprès des personnes elles-mêmes, mais auprès des institutions qui sont censées les accueillir, pour espérer obtenir une prise en charge.
33Lorsque la personne intègre un parcours de soins, il faut ensuite rester présent auprès d’elle, s’informer auprès des organismes de ce qu’il convient d’organiser et de poursuivre (traitement, revalidation…), et s’assurer que la meilleure prise en charge possible soit opérée. Certaines institutions sont présentes (infirmiers de rue, service de réduction des risques, service social hospitalier) du début à la fin, pour s’assurer que la personne dispose de tous les éléments nécessaires pour décider de se soigner, ou non, et pour que le processus de soins puisse, d’une part, l’être effectivement, d’autre part, aboutir et être suivi par une prise en charge optimale. S’investir, s’adapter, sensibiliser, négocier, organiser, coordonner deviennent ainsi les caractéristiques de la relation d’accompagnement, tant des personnes elles-mêmes que des structures de soins : « Les sans-domicile, ils ont leurs règles propres si je peux dire comme ça. Et donc lui, une journée complète, ça, ça m’avait frappé, où le matin il se lève, il est debout, il a son petit-déjeuner, il a les traitements médicaux et puis il y a quand même des moments où ils sont un peu sans rien faire. Il n’était pas structuré comme ça dans le temps et l’organisation. Et pour lui ça posait problème. Chaque fois, il voulait repartir, il voulait aller récupérer sa tente. Et donc à chaque fois, c’était le recadrer, reparler avec lui, prendre le temps de l’écouter, de voir ses inquiétudes, de voir sans angoisses et d’en parler avec lui. » (Martine, responsable du service social d’un hôpital).
34Alors que les personnes sans-abri évoluent dans un environnement hostile (conditions d’existence précaire et inadaptation du système des soins), il est dès lors nécessaire de mener une approche centrée : 1) sur la personne (sur son vécu, ses appréhensions…) qui permet d’agir sur les raisons « individuelles » qui peuvent mener au non-recours aux soins ; 2 ) sur les structures (sur leurs appréhensions, leurs fonctionnements…) afin d’agir sur les raisons sociales (représentations négatives, absence de prise en compte de la singularité du public…) de ce non-recours. Bien entendu, ces deux actions conjointes doivent être accompagnées d’évolutions structurelles dans le giron de l’action publique, qu’il s’agisse à la fois de la prise en compte de la liberté comme outil d’évaluation des politiques publiques et, in fine, de l’adaptation et du développement de structures spécifiques au profil du public.
4. Une action publique et institutionnelle « capacitante » : pour la diminution du non-recours aux soins
35Force est de constater que de multiples facteurs empêchent les personnes d’exercer un choix libre et éclairé dans leur (non)recours aux soins [12]. La situation qui caractérise ce phénomène n’est pas l’absence de ressources, mais bien une privation des conditions d’exercice de liberté des personnes tel que l’envisage l’approche des capabilités.
36L’approche fondée sur l’égalité des chances ne tient compte, ni des conditions d’existences – fortement précaires – du public, ni des opportunités réelles qu’offrent à la fois l’action publique de type généraliste (le gel des lits psychiatriques au profit d’un suivi « au domicile » par exemple) mais aussi l’action territorialisée (les places disponibles dans les structures de telle ou telle région par exemple). L’approche centrée sur les résultats ne permet pas non plus de dépasser ce qui se donne à voir – l’absence de logement, le non-recours – et passe donc elle aussi à côté des processus qui conduisent une personne à privilégier les fonctionnements observés (refus de soins, signature d’une décharge en vue de quitter l’hospitalisation…).
37Au-delà, les questions de participation des personnes aux choix qui les concernent et la normativité présente dans les solutions qui s’offrent à elles sont aussi très discutables. Le travail important d’information des services de première ligne, notamment sur les possibilités de refus de traitement ou de prise en charge qui seraient jugées inadéquates par le public, en atteste. En termes d’alternatives également, la rigidité du système de soins ne permet que très peu d’adaptabilité, alors que celle-ci constitue l’enjeu fondamental des services d’aide pour ce public, tant l’hétérogénéité des situations des personnes concernées prédomine.
38À la lecture de ces éléments, s’il faut encourager la présence et l’accès aux ressources nécessaires pour entamer un processus de soin, celles-ci ne peuvent être saisies que si une action conjointe est opérée en vue de les convertir en opportunités réelles. L’action publique doit envisager de renouveler le curseur sur lequel elle s’appuie en faveur d’une valeur orientée sur la liberté, telle qu’elle se décline dans l’approche « senienne ». Ce n’est en effet qu’à ces conditions que pourront être rencontrés les enjeux importants en matière de santé du public.
Conclusion
39La vision, certes exigeante, que suggère l’approche par les capabilités constitue un tournant dans l’approche du sans-abrisme, en replaçant au cœur des réflexions et des dispositifs la liberté des personnes tout en leur reconnaissant une capacité de choix (donc une existence), et permet un déplacement des variables focales actuelles au profit d’un regard renouvelé, sortant par la sorte des tensions préalablement abordées. Il ne s’agit ni de déresponsabiliser la personne, ni de la culpabiliser – au même titre qu’il ne s’agit nullement de diaboliser le système de soins. L’enjeu est de déterminer, à travers un cadre réflexif revisité « ressources/facteurs de conversion/fonctionnements/participation et normativité » ce qui relève d’un choix libre des personnes (d’être en rue, de se soigner…) et de ce qui s’en écarte par l’absence d’alternatives.
40Si l’enjeu peut paraître « philosophique », il est également politique et institutionnel. Déplacer les questionnements actuels, notamment en termes d’imputation des responsabilités respectives de choix, au profit d’une approche centrée sur la liberté et la capacité d’agir des personnes, nécessite de questionner plus en profondeur les conditions effectives du non-recours aux soins, les ressources accessibles (et celles qui devraient l’être) parallèlement aux facteurs de conversion nécessaire et, enfin, l’implication que requièrent (ou non) les dispositifs de soins actuels et la normativité dont ils font preuve. En cela, c’est une remise en question profonde des modèles d’action publics en vigueur (ressourciste et utilitariste) et d’une série de dispositifs qui en découlent. Cette remise en question, aussi profonde soit elle, est à la hauteur des enjeux implicites qui découlent des constats posés dans le présent article : permettre l’accès aux droits fondamentaux, aussi basiques soient-ils, et tant que leur rencontre soit souhaitée, réellement, par les personnes sans chez-soi.
Bibliographie
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Notes
-
[1]
On retrouve ainsi en rue des personnes immigrées, des personnes qui ont connu un incident de parcours, des personnes davantage chronicisées par le mode de vie en rue ou encore les « clochards » inscrits durablement dans celle-ci (REA, 2001). Au-delà, toutes les catégories d’âge sont concernées, les niveaux d’éducation peuvent être faibles ou élevés et les raisons qui ont conduit à l’errance, plus ou moins durable, sont multiples (perte d’emploi, absence de statut administratif, rupture sentimentale…).
-
[2]
La typologie ETHOS (créé par la Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri - FEANTSA) est établie de la façon suivante : 1/ sans abri (en rue ou en hébergement d’urgence) ; 2/ sans logement (en abri mais provisoire dans des institutions ou foyers d’hébergement) ; 3/ en logement précaire (menacé d’exclusion en raison de baux précaires, expulsions, violences domestiques) ; 4/ en logement inadéquat (dans des caravanes, en logement indigne, dans des conditions de surpeuplement sévères).
-
[3]
Qu’il s’agisse des « cycles de vie » (Galère, Zone, Cloche) chez Bresson (1998) ou des « phases » (Fragilisation, Routinisation, Sédentarisation) chez Damon (2012).
-
[4]
La question du non-recours renvoie à toute personne qui ne reçoit pas une prestation ou un service auquel elle pourrait prétendre
-
[5]
Pour Furtos (2009), l’auto-exclusion se caractérise par une « congélation du moi » proche de la schizophrénie. Elle se manifeste par une anesthésie du corps (et des souffrances), des émotions émoussées et une pensée inhibée. Couplée à un refus d’aide systématique des professionnels psychosociaux et une coupure totale de liens et de relations, elle permet de mieux appréhender la manifestation la plus extrême du sans-abrisme.
-
[6]
Par exemple, la logique d’urgence sociale qui défend une plus grande flexibilité des structures d’accueil en période hivernale versus la logique d’activation qui défend l’insertion du public par des approches plus conditionnalisées (quota de nuitées…). Ou encore les dispositifs qui exigent un traitement préalable des personnes en termes d’addiction et/ou de suivi psychiatrique avant d’accéder à un logement (modèle « en escalier ») versus les dispositifs qui défendent l’accès au logement préalablement à tout traitement (modèle « Logement d’abord »).
-
[7]
Si l’objectif poursuivi par Amartya Sen est de renouveler les débats en matière de justice sociale et, par conséquent, sur l’égalité, Repenser l’inégalité est également le titre d’un de ses ouvrages.
-
[8]
Pour une présentation des différentes approches : Arnsperger et Van Parijs (2003).
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[9]
Les ressources ou biens premiers sont envisagés comme tous les biens et services, en ce compris les droits formels et informels. Dans notre cas, il peut s’agir : du droit au logement, des revenus individuels, des primes à l’installation, etc.
-
[10]
Les facteurs de conversion envisagés sont de trois ordres : individuels (santé physique et mentale, éducation reçue…), sociaux (institutions sociales telles que la famille, le système d’aide psychosocial…) et environnementaux (opportunités territoriales, institutionnelles…).
-
[11]
La préférence adaptative peut être considérée comme l’intégration d’une contrainte qui conduit la personne à se contenter du peu qu’elle a en considérant qu’elle ne peut pas prétendre à mieux.
-
[12]
Notons que si c’est le champ des soins qui est ici abordé, la réflexion prévaut aussi pour l’accès au logement, et devrait même être envisagée, comme le font les projets de « logement d’abord », prioritairement à la question du soin. Celle-ci dépend en partie des conditions d’existence des personnes qui sont constitutives de l’absence de logement. L’accès au logement permet de dépasser une partie des problématiques liées à la vie en rue en termes de conditions d’existence. Encore faut-il ensuite leur proposer un accompagnement spécifique pour travailler leur appréhension face au système de soin, et de faire ensuite en sorte qu’elles y accèdent effectivement.