Couverture de CACT_035

Article de revue

Éduquer à l’ère du numérique ?

Pages 57 à 60

Notes

  • [1]
    Extrait de la définition de l’éducation empruntée à Roger Legal et Pierre de Rosa sur laquelle s’entendent les Francas.
« L’éducation recouvre tout ce qui contribue à la construction et au développement d’un être humain. […]
L’éducation est donc une combinaison d’influences diverses. Ponctuelles ou permanentes, ces influences peuvent être convergentes ou contradictoires ; l’individu peut les rechercher, les accepter ou les subir […] [1] »

Un contexte propice aux pratiques numériques

1« L’influence des médias sur l’éducation » est devenue une évidence par sa prégnance dans la vie quotidienne de chacun, prégnance toujours plus forte par le développement des technologies et des pratiques culturelles et sociales. Si cette affirmation ne fera réagir aucun parent, pour autant nos structures éducatives, telles qu’elles sont, ne prennent pas assez en compte cet enjeu dans les activités qu’elles proposent.

2Ce constat ne se veut pas accusateur, mais il nous faut reconnaître collectivement que nos structures sociales ont du mal à intégrer les mutations en œuvre.

3S’intéresser à ces évolutions et ces usages du numérique, c’est se préoccuper de l’évolution des normes sociales et des codes sociaux en présence dans notre société : qu’ils régissent le rapport aux autres, l’image de soi, les pratiques relationnelles, les valeurs dominantes, les idéologies… Les réseaux sociaux et leur développement sur le net sont caractéristiques de ces évolutions.

4Depuis quelques années maintenant, les sciences sociales nous ont montré le développement du processus « d’individuation » dans nos sociétés. L’individu éprouve une grande indépendance à l’égard des traditions, qu’elles soient religieuses, étatiques, politiques, industrielles ou familiales. Nous sommes face à une montée en puissance du projet personnel pour se construire une trajectoire et des comportements sociaux en adéquation. Les outils numériques et le web, par leur fonctionnement, trouvent toute leur place comme supports de ces processus individuels. Avec le développement de cette société des individus se pose la question du lien social. Dès lors que le système politique n’est plus fondé sur une autorité de fait, qui impose la cohésion entre les individus, se pose la question d’assurer le vivre ensemble, qui ne va plus de soi.

Les tensions repérées pour éduquer aujourd’hui

5Nos démocraties modernes, fondées pour une part sur l’épanouissement et la responsabilité individuelle, font face à de nombreuses contradictions, causes de difficultés rencontrées par les acteurs éducatifs aujourd’hui. L’accélération des usages des nouvelles technologies en est un révélateur.

6Prendre en compte ce phénomène nécessite pour un éducateur de comprendre le contexte dans lequel se sont développés ces usages et les ressorts sur lesquels ils reposent. Le champ technologique dans lequel se situe « l’éducation aux médias » a souvent tendance à la réduire à une approche technique, concernant des spécialistes. Or cette question est avant tout du domaine de l’éducation à la citoyenneté.

7Plusieurs registres de questions peuvent nous aider à y voir clair :

  • Comment les enfants et les jeunes s’emparent-ils du numérique ? Quelle gestion ont-ils de l’imaginaire et du virtuel ? Comment traitent-ils des identités multiples, multiformes ?
  • Quelles conséquences sur le vivre ensemble ? le respect des libertés (sphères privées, publique), les droits des individus, l’égalité pour tous ?
  • Quelle contribution à la compréhension du monde, l’épanouissement individuel, l’émancipation ?
  • Quel accompagnement des enfants et des jeunes dans l’acquisition des savoirs, compétences et relations sociales qui en découlent ?

8Le développement des technologies numériques nécessite de revisiter les conditions à créer pour permettre à chaque enfant de construire et gérer son identité (numérique) dans ces nouveaux espaces. Ce besoin est très souvent sous-estimé par le contenu et les formes de l’action éducative. Plusieurs raisons peuvent en être à l’origine :

  • Comme pour la télévision dans les années 1980, les pratiques numériques restent très souvent renvoyées à la sphère privée et donc à la seule responsabilité des parents. Sa dimension d’ouverture sur le monde ou de compréhension de son territoire de vie est très peu utilisée par les structures éducatives.
  • Les adultes dominent mal ces espaces ; certains en ont peur, en exagèrent les effets.
  • Les jeunes équipes éducatives peuvent manquer de recul, étant elles-mêmes prises dans la spirale des pratiques numériques.

Le développement de l’action, de l’éducation, de la formation des animateurs est un élément essentiel pour assurer la transformation

9Face à l’usage très important des médias numériques par les plus jeunes, nous devons agir dans deux directions :

  • vers les acteurs éducatifs, c’est-à-dire les parents, animateurs, enseignants… : il s’agit de connaître leurs usages des outils numériques et de comprendre quelles influences les médias ont sur leurs pratiques éducatives ;
  • vers les enfants et les jeunes : il s’agira de les accompagner au fur et à mesure du développement de leurs pratiques sur le web.

Adapter au quotidien la posture des acteurs éducatifs : accompagner les usages

10Les potentiels délivrés par les technologies numériques doivent être intégrés comme supports à la mission et aux modes de fonctionnement des structures éducatives, en se positionnant à la fois en observateurs attentifs des évolutions des pratiques et en acteurs volontaristes dans ces processus. Pour cela, nous pouvons :

  • Accompagner l’enfant, le jeune dans sa vie quotidienne et comme nous le faisons sur d’autres activités : oser en parler sans se censurer de peur d’être décalé par l’usage d’une technologie sophistiquée.
  • Observer et comprendre les usages développés.
  • Intégrer ces outils numériques comme composants des cultures professionnelles du champ de l’action éducative locale.

Faire évoluer l’action éducative locale : des loisirs éducatifs alternatifs aux pratiques informelles à amplifier

11L’apprentissage de l’usage des médias numériques – comme des médias traditionnels – doit permettre de découvrir, jouer, rencontrer ses pairs, comprendre, apprendre, maîtriser, produire.

12Il nous semble alors nécessaire de poursuivre le développement d’actions éducatives au service d’une conception émancipatrice de l’éducation en accentuant des projets porteurs de certaines valeurs éducatives telles que l’action collective et citoyenne. L’enjeu est de massifier le nombre de projets de cette nature pour « contrebalancer » les messages issus des pratiques informelles des enfants et des jeunes. Pour cela, nous pouvons prendre diverses initiatives.

  • Privilégier le développement de compétences « d’acteurs » chez les plus jeunes : apprendre à s’informer, contribuer, créer, produire, faire avec d’autres, c’est-à-dire être capable de se projeter dans un ensemble social, tout en respectant sa propre identité, vivre une situation de participation sociale (non construite pour la simple situation pédagogique).
  • Développer des opérations d’animation afin de favoriser les « bons » usages : mieux comprendre les médias numériques, les utiliser au service d’un projet : réaliser un acte de communication, produire une information de qualité, relater un fait, une analyse étayée, développer son jugement et son sens critique.
  • Continuer à soutenir les initiatives de création d’outils d’information pour la jeunesse.
  • Développer des actions reposant sur l’éducation à l’information, au sens critique, à la consommation, à la compréhension du monde.
  • Des activités communes aux enfants et aux adultes qui permettent de l’échange autour des pratiques et des contenus présents sur le net : vers le développement d’une culture commune.
  • La mise en production : lecteur/auteur/diffuseur.

Former

13Au-delà de leurs savoir-faire en matière pédagogique, les équipes éducatives ont besoin de formations qui éveillent et renforcent leurs connaissances sur plusieurs volets. Il s’agit d’apporter des connaissances, mais aussi d’encourager les individus à l’analyse et au recul sur leurs propres pratiques et sur leur rôle d’acteurs éducatifs dans l’accompagnement des pratiques numériques :

  • l’utilisation des outils disponibles sur le web, les situer au regard des questions éthiques et philosophiques ;
  • les techniques de base des supports médias : photos, vidéo, informatique, blog, page Facebook… ;
  • les pratiques des publics ;
  • les circuits et financements de ces nouveaux médias ;
  • les moteurs de recherche et des effets en termes de traces sur le net ;
  • le droit sur le net : par exemple, le téléchargement, les droits d’auteur… ;
  • la réflexion autour de l’éthique et la déontologie des pratiques journalistiques, des méthodologies de construction d’une information de qualité ;
  • la pédagogie de la création de projet médiatique : quel support pour quelle action éducative ?
  • la réflexion à propos de l’identité numérique, apprendre à gérer son image, comment se protéger…

14Pour terminer, je me permettrai d’insister sur l’importance de mobiliser le plus grand nombre sur ces évolutions : le sens même de l’élaboration d’un projet territorial d’éducation est de créer les conditions pour que l’ensemble des acteurs s’entende sur les finalités de l’action éducative locale. Poser sur chaque territoire la question de « l’influence des médias sur les enfants et les jeunes du territoire » pourrait être une manière originale de repenser le débat sur l’éducation et sur les réponses apportées.

Notes

  • [1]
    Extrait de la définition de l’éducation empruntée à Roger Legal et Pierre de Rosa sur laquelle s’entendent les Francas.
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