Notes (Documents et instruments consultables en ligne (en anglais))
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Baseline : période précédant le traitement pendant laquelle on effectue plusieurs mesures successives de l’état du patient.
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r : coefficient de corrélation linéaire entre deux variables, il varie entre -1 et +1. Plus il est proche de -1 ou de +1, plus la corrélation linéaire entre les deux variables est forte.
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p : seuil de signification. On considère habituellement que lorsqu’il est inférieur ou égal à 0,05, le résultat est significatif. p < 0,05 équivaut à dire qu’il y a plus de 95 % de chance que le résultat ne soit pas dû au hasard. Plus la valeur de p est faible, plus le résultat trouvé peut être considéré comme valide.
1Au sein de la Gestalt-thérapie, un fossé historique sépare les chercheurs des psychothérapeutes (Brownell, 2016, Yontef, 1993). Pour des raisons politiques, académiques ainsi qu’éthiques, il est essentiel que ce fossé entre recherche et pratique soit comblé.
2Raisons politiques : l’administration de la santé est dominée par un discours qui repose sur la preuve. Or, la Gestalt-thérapie ne recense pas d’études empiriques validant son efficacité, ce qui la met en danger.
3Raisons académiques : sans des recherches qui remettent en question le modèle thérapeutique actuel ou qui explorent le vécu des patients, la Gestalt-thérapie risque de stagner et de répéter sans cesse la théorie développée par ses fondateurs il y a 80 ans.
4Raisons éthiques : la recherche nous permet d’avoir un retour pertinent sur l’amélioration ou non de nos patients, sans lequel nous risquons de surestimer l’efficacité de notre méthode et d’ignorer des cas éventuels de iatrogénèse.
5L’un des principaux obstacles dans la recherche en Gestalt-thérapie est le coût très élevé de la mise en place des méthodologies les plus communes (comme par exemple l’essai contrôlé randomisé, ECR). Celles-ci présentent également des problèmes épistémologiques, académiques ou éthiques, particulièrement pour nos collègues gestaltistes ou humanistes. (Angus et al., 2014 ; Tschuschke et al., 2010). Cet article présente ainsi une méthodologie alternative permettant de mesurer l’efficacité de la Gestalt-thérapie et son processus de changement, avec pour but sa diffusion à d’autres collègues et la création d’un réseau collaboratif international.
Le plan expérimental de cas unique avec analyse des séries temporelles
6Dans ce modèle méthodologique (Single Case Time Series, SCTS en anglais), un processus psychothérapique est étudié sur le long terme, au cours de 3 phases : avant, pendant et après la psychothérapie. On l’appelle « plan expérimental » dans la mesure où le patient se contrôle lui-même en comparant ses résultats avec et sans intervention. En premier lieu et avant de commencer la psychothérapie, les données servant de points de comparaison sont recueillies chaque jour sur une ou plusieurs semaines (Baseline) afin de connaître les problèmes du patient (variable dépendante) hors intervention. Ces données sont ensuite comparées avec celles obtenues pendant et après l’intervention (cela équivaut à disposer d’un groupe de contrôle et d’un groupe où on présente la variable indépendante). Par ailleurs, le plan expérimental inclut des analyses de séries temporelles, les données étant enregistrées de manière continue, c’est-à-dire chaque jour du processus. Ces données sont ensuite évaluées au moyen de procédures statistiques afin de juger si le résultat du patient est imputable à l’intervention ou aux effets du temps (et si par conséquent l’état du patient se serait amélioré de la même façon avec ou sans thérapie). Chaque cas individuel peut s’étudier séparément ou être regroupé ultérieurement avec d’autres cas similaires, comme c’est le cas pour ce projet de recherche.
7D’après les critères développés par l’APA (Association Américaine de Psychologie) et afin de valider empiriquement un modèle thérapeutique, ces plans expérimentaux peuvent être considérés comme équivalents aux essais contrôlés randomisés (ECR). Cela permet de prouver que le modèle est « bien établi » (lorsqu’on peut montrer au moins 10 cas de succès) ou qu’il est « relativement efficace » (3 cas minimum de succès). Par ailleurs, l’APA exige que les études de cas soient faites par des chercheurs indépendants. Ce critère décisif implique par conséquent la création d’un réseau de collaboration entre les différentes équipes et chercheurs qui utilisent la même méthodologie sans nécessairement faire partie du même bureau d’étude. Telle est la vocation de cet article.
8Les remarques antérieures rendent cette méthodologie (SCTS) fort utile dans le cadre de recherches menées en Gestalt-thérapie. (Wong, Nash, Borckardt et Finn, 2016). À la différence des ECR, dans une SCTS : (1) il n’est pas nécessaire de porter ses recherches sur 40 à 60 personnes dans la mesure où avec un patient seul, des résultats concrets peuvent être observés ; (2) ces recherches sont moins intrusives et permettent l’exploration des processus thérapeutiques dans leurs contextes naturels sans reproduire des conditions de laboratoire contrairement aux ECR ; (3) le patient n’est pas réduit à une simple catégorie diagnostique, étant donné que l’étude porte sur les troubles propres à chaque patient.
9Outre cela, la méthodologie SCTS fournit des informations détaillées sur ce qui se passe avant, pendant et après la psychothérapie. Cet apport permet un examen du processus de changement à la fois plus précis et plus approfondi, en examinant par exemple les processus psychologiques et relationnels pouvant expliquer l’évolution du patient. Ainsi, la possibilité de recueillir des données utilisables ultérieurement à des fins d’études qualitatives ou portant sur les processus thérapeutiques est un des interêts de cette méthodologie.
10L’objectif de cet article est de présenter une méthodologie permettant l’étude de l’efficacité et des mécanismes de changement en Gestalt-thérapie. Cette méthodologie peut être appliquée sans totalement réformer la manière dont les psychothérapeutes travaillent lors des consultations ou au sein des institutions. La fonction de cet article est ainsi de servir de guide pour les cliniques et les psychothérapeutes intéressés par une éventuelle collaboration. Nous présentons à titre d’exemple les principaux résultats de la première étude que nous avons réalisée au moyen de la SCTS, avec 10 patients chiliens qui présentaient des troubles anxieux. Nous avons choisi de commencer par étudier ces troubles puisque la Gestalt-thérapie et les perspectives humanistes et existentielles ont semblé se révéler moins efficaces que la thérapie cognitivo-comportementale (Angus, Watson, Elliott, Schneider et Timulak, 2014). Nous avons ainsi souhaité non seulement étudier l’efficacité de la Gestalt-thérapie pour cette catégorie de troubles, mais également identifier les facteurs pouvant faciliter ou freiner le succès de la thérapie.
Méthode employée
11Cette partie sera consacrée à l’explication du plan expérimental ainsi qu’aux procédés utilisés au sein de notre projet. Ce dernier est composé de deux parties (1) une structure de base : il s’agit des éléments qui doivent absolument être présents, ainsi que la façon la plus simple d’appliquer un protocole SCTS et (2) les modules optionnels : ce sont des exemples d’éléments qui peuvent être ajoutés à la structure de base selon les intérêts et capacités d’une institution ou d’un chercheur.
Structure de base
12Ce plan expérimental de type cas unique se déroule en trois temps : (A) Pré-thérapie ou « baseline » [1] (elle s’étend sur les deux semaines précédant la première séance) ; (B) Psychothérapie (d’une durée variable en fonction du cas) ; (C) Post-thérapie (sur deux semaines à partir de la dernière séance de thérapie). En outre, la forme la plus simple de l’étude doit comprendre les éléments suivants :
131. Test des « troubles à aborder au cours de la thérapie » : cet instrument d’usage quotidien permet l’évaluation des troubles particuliers que le client souhaite traiter pendant la thérapie (par exemple « je ne sais pas comment exprimer ce que je ressens vraiment », « il m’est difficile de m’impliquer émotionnellement dans un couple », « je ne parviens pas à contrôler ma colère », etc.). Nous avons recours à l’outil « Target Complaints » [2] (Battle et coll., 1966), mais un autre peut être utilisé comme par exemple le « questionnaire personnel simplifié » (Simplified Personal Questionnaire, Elliott, 1999). L’élaboration des items de cet instrument – qui correspondent aux troubles spécifiques que le patient souhaite aborder – se fait par ce dernier en collaboration avec son thérapeute au début de l’étape de pré-thérapie, au cours de ce que nous appelons la « séance zéro », consacrée par ailleurs à répondre aux premiers questionnaires de l’étude. Cet instrument est ensuite utilisé et renseigné quotidiennement par le patient pendant les trois étapes de l’étude (ce qui prend environ 1 mn par jour).
142. Test d’évaluation du « bien-être général » : cet outil d’intervention pré et post-thérapie (étapes 1 et 3) jauge le bien-être général du patient. Nous avons ici recours à l’OQ-45 (Lambert et coll, 1996) mais il est aussi possible de s’appuyer sur le CORE-OM (Evans et al., 2000) ou tout autre outil similaire. Dans l’idéal, l’outil utilisé doit être homologué par le pays dans lequel il s’applique et mis à jour par le patient en début d’étape pré-thérapeutique (« séance zéro ») ainsi qu’en fin d’étape post-thérapeutique.
153. « Évaluation du diagnostic psychiatrique » : cet outil permet l’identification de la catégorie à laquelle appartient le patient en fonction de son éventuel diagnostic psychiatrique. Ce test peut être mené à l’aide du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) ou de la Classification internationale des troubles mentaux et des maladies (CIM). Ainsi, lors de notre étude nous mettons en place un entretien psychiatrique de type M.I.N.I 6.0. (NDT. Outil d’interview psychiatrique standardisé ou Mini International Neuropsychiatric Interview). Ce diagnostic doit être réalisé avant ou pendant la « séance zéro ». Si le patient ne réunit les critères d’aucun des troubles psychiatriques, il est nécessaire de le préciser.
164. Test du « symptôme principal » : cet outil normalisé identifie le trouble particulier présenté par le patient. Dans le cadre d’une étude des troubles anxieux, nous utilisons l’échelle d’anxiété de Hamilton. De même que pour l’outil de bien-être général, il serait souhaitable que le test utilisé soit homologué par le pays dans lequel l’étude se déroule. Dans le cas où le patient ne présenterait aucun trouble particulier ni aucune difficulté mesurable par un test standard, il n’est pas nécessaire d’appliquer cet élément du plan expérimental.
175. Évaluation de la « fidélité ou intégrité du traitement » : cela permet de souligner la nature gestaltiste de la psychothérapie qui a été menée. Nous considérons que les thérapeutes de l’étude sur l’anxiété appliquent nécessairement la Gestalt-thérapie étant donné qu’ils ont été formés et encadrés par sa méthode, mais cet argument n’est pas suffisant. Néanmoins, l’Échelle de fidélité à la Gestalt-thérapie (GTFS), proposée par Madeleine Fogarty (2015), sera disponible pour nos prochaines études et pourra être utilisée de façon privilégiée.
186. Suivi à moyen terme : le plan expérimental de la Gestalt-thérapie doit envisager un court suivi du patient après un délai de trois mois minimum suivant la fin de l’étape 3. Au cours de ce suivi, il est nécessaire d’avoir recours aux outils d’évaluation du bien-être général et des symptômes particuliers.
19La structure de base permet l’évaluation des effets du traitement et le regroupement d’informations limitées quant au processus de changement (il s’agit par exemple d’identifier des moments ou des séances-clés). Cependant, si un chercheur ou un thérapeute souhaite étudier un phénomène de manière plus approfondie ou concentrer son étude sur quelque variable susceptible de l’intéresser, il doit ajouter certains modules optionnels au plan expérimental.
Modules optionnels
20Bien que les possibilités des modules optionnels soient infinies, nous présentons ici quelques-uns de ceux que nous utilisons actuellement :
211. Enregistrement vidéo de toutes les séances : cela ouvre de nombreuses portes à la compréhension du processus de changement. Par conséquent, c’est le module optionnel le plus important du plan expérimental. Ainsi, au cours de notre étude portant sur les patients chiliens, nous identifions et comparons en détail les séances les plus et les moins productives. Nous aimerions prochainement réaliser des « analyses de tâches » (Task Analysis, Greenberg, 2007) d’interventions ciblées telles que le travail sur les polarités.
222. Évaluation par le client du processus et des résultats de la thérapie : afin de connaître la manière dont le patient vit le processus, nous utilisons un questionnaire d’évaluation de la séance (Stiles et coll, 1994), auquel le client répond lui-même après chaque séance. De plus, nous réalisons un entretien final avec le client en utilisant le « protocole d’entretien sur les changements du patient » (Client Change Interview Protocole, Elliott, 1999). Ce dernier est utilisé lors de la séance de suivi à moyen terme, selon un délai minimum de trois mois après la fin de la thérapie.
233. Expérience du thérapeute : nous reconnaissons que le fait d’introduire des tests et des évaluations dans une étude comme celle-ci, peut avoir une influence très forte sur la dyade thérapeutique. Afin d’étudier ce phénomène, nous intégrons à l’étude le « Journal d’expérience du thérapeute », fondé sur le CSEP-II Experimental Therapy Session Form (Elliott, 2002), que le thérapeute complète à la fin de chaque séance.
Procédure de base
24Toute étude appliquant la structure de base du plan expérimental sans modules ni complexités optionnelles devra suivre la procédure suivante :
Contact préliminaire et recrutement du sujet
25Avant de commencer l’étude, il est nécessaire de recruter un sujet qui accepte de participer. Afin de permettre au volontaire de se signaler, nous avons élaboré un document à caractère informatif [3] ainsi qu’une feuille d’autorisation [4] que le thérapeute, ou son collaborateur, doit remettre aux potentiels sujets. Toute éventuelle question doit être éclaircie avant de prendre rendez-vous avec le sujet pour la « séance zéro », afin d’aider ce dernier à décider s’il participera ou non à l’étude. La signature de la feuille d’autorisation peut être réalisée avant la « séance zéro » ou au début de celle-ci.
26Les conversations susceptibles d’avoir lieu avant la « séance zéro » ne doivent pas revêtir de caractère thérapeutique ou diagnostique. Elles ne doivent traiter que de la participation potentielle du patient ainsi que d’informations logistiques, à la manière d’une conversation d’admission ou d’intégration et non d’une conversation thérapeutique. Le thérapeute doit éviter d’entretenir un contact personnel avec le sujet potentiel.
27Enfin, si des informations concernant le diagnostic psychiatrique du patient sont disponibles, elles devront être collectées au cours de cette étape.
A – Pré-thérapie et « séance zéro »
28Notre étude, et la phase de pré-thérapie qui l’accompagne, commence par la réalisation de la « séance zéro » assurée par le thérapeute lui-même ou par l’un de ses collaborateurs (dans le cadre de notre étude, elle a été réalisée par le thérapeute en charge de ce cas). Si cette séance a pour but d’établir un diagnostic, nous sommes néanmoins conscients que l’établissement d’un « diagnostic » ne peut être pleinement séparé d’une « thérapie ». L’objectif est de mettre en œuvre la batterie initiale de tests suivants :
- Obtention du consentement éclairé du client.
- Évaluation du diagnostic psychiatrique. Si, lors de la séance zéro, le patient ne dispose pas d’un diagnostic récemment établi par un psychiatre, il est nécessaire d’obtenir celui-ci grâce à cet outil.
- Test du « symptôme principal ».
- Test d’évaluation du « bien-être général ».
- Test des « troubles à aborder au cours de la thérapie » (il doit être élaboré par le thérapeute et le patient durant cette session).
29Un temps d’attente d’au moins deux semaines est nécessaire après cette première séance. Durant ce temps, le patient continue à répondre au test des troubles à aborder au cours de la thérapie.
B – Psychothérapie
30Cette étape se doit d’être la plus proche possible du déroulement « naturel » d’une psychothérapie. Nous sommes néanmoins conscients que la participation à une étude, ainsi que l’enregistrement continu des troubles sur lesquels travailler auront une influence sur le processus thérapeutique. La psychothérapie peut être d’une durée et d’une fréquence variables mais il est important qu’elle soit suffisamment longue afin de permettre l’étude d’au moins certains des troubles identifiés avec le sujet.
31Dans la version la plus simple de l’étude, les données recueillies sont issues des tests suivants :
- Test des « troubles à aborder durant la thérapie ». Durant cette phase de psychothérapie, il sera, comme auparavant, rempli chaque jour.
- Évaluation de la « fidélité au protocole ». Afin d’évaluer si les séances de thérapie sont représentatives de la Gestalt-thérapie, il est nécessaire de réaliser un enregistrement audio d’au moins deux d’entre elles. Si cela s’avère impossible, nous nous référerons aux informations sur la formation du thérapeute afin de pouvoir mettre en œuvre une supervision de celui-ci. Ces données permettront l’attestation de l’orientation gestaltiste de la thérapie en question.
C – Post-thérapie
32Il s’agit d’une phase de suivi, destinée à connaître l’évolution de l’état du patient à la suite de la psychothérapie. À court terme, elle consiste pour le patient à continuer à répondre au test des « troubles à aborder au cours de la thérapie » pendant les deux semaines suivant l’arrêt des séances. Au terme de ce délai, un rendez-vous de suivi est fixé afin de recueillir les informations tirées des tests suivants :
- Test des « troubles à aborder au cours de la thérapie ». Sont recueillies les données des deux semaines précédant la séance.
- Test du « symptôme principal ».
- Test d’évaluation du « bien-être général ».
33Un temps d’attente de trois mois minimum est alors observé avant une seconde séance de suivi, durant laquelle sont recueillies les informations tirées des tests suivants :
- Test du « symptôme principal ».
- Test d’évaluation du « bien-être général ».
- Test des « troubles à aborder au cours de la thérapie ». Sont recueillies les données de la semaine précédant la séance.
34Le descriptif de notre étude [5] comporte une explication plus détaillée de la manière de procéder, ainsi qu’une partie consacrée aux doutes et problèmes pouvant être rencontrés lors de sa mise en œuvre.
Analyse des données
35L’analyse des données récoltées est la partie la plus complexe et la plus difficile de cette étude. De fait, nous avons mis en place une équipe « centrale » (composée des auteurs de cet article), chargée de guider les thérapeutes/chercheurs dans la conduite de ce travail. Veuillez trouver ci-dessous une brève présentation des types d’analyse sur lesquels nous nous appuyons pour répondre aux questions de recherche qui constituent la structure fondamentale de notre étude.
361) Le client présente-t-il une évolution thérapeutique entre la phase de pré-thérapie et celle de post-thérapie ? Si oui, dans quelle mesure ?
37Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur le test des « troubles à aborder au cours de la thérapie » : A) nous réalisons une analyse virtuelle des scores obtenus chaque jour au cours des 3 phases ; B) nous utilisons le logiciel Simulation Modeling Analysis (SMA) afin de comparer les scores obtenus lors des phases de pré et post-thérapie ; C) nous nous référons à l’indice Mean Baseline Reduction (MBLR) pour effectuer de nouveau la comparaison entre les phases de pré et post-thérapie.
382) Cette évolution est-elle cliniquement significative ?
39Pour répondre à cette interrogation, nous analysons ici les scores obtenus aux tests du « symptôme principal » et du « bien-être général » durant les phases de pré et post-thérapie, en nous appuyant sur les seuils limites et de gravité standardisés des symptômes.
403) Cette évolution peut-elle être attribuée au processus thérapeutique ? (Et non à l’écoulement du temps ou à la rémission spontanée.)
41Nous faisons ici de nouveau usage des résultats obtenus au test des « troubles à aborder au cours de la thérapie » : A) réalisation d’un modèle de régression linéaire afin d’évaluer la présence ou l’absence d’une tendance à l’amélioration au cours de la thérapie ; B) calcul de l’importance de cette évolution si l’on exclut l’influence de cette tendance à l’amélioration, grâce à l’utilisation du SMA ; C) analyse visuelle de l’ensemble du processus.
424) La Gestalt-thérapie fait-elle ses preuves pour soigner ce type de trouble ? Cette question ne peut être abordée que lorsqu’un minimum de 4 cas présentant le même diagnostic ou « symptôme principal » est disponible.
43Elle nécessite en effet la réalisation d’une méta-analyse d’au moins 4 cas (10 dans l’idéal). Pour cela, nous nous appuyons sur le calcul des différences moyennes standardisées (standardized mean differences) et en particulier sur les travaux de Glass (Glass, McGaw, et Smith, 1981).
Première étude réalisée : la Gestalt-thérapie appliquée aux troubles de l’anxiété
44Cette section présente un résumé des résultats de notre première étude. Celle-ci se concentre sur les 10 premiers cas rencontrés ayant pour symptôme principal l’anxiété. Le détail de ces résultats est consultable dans notre base de données [6] et vient d’être publié (Herrera, Mstibovskyi, Roubal, Brownell, 2018).
45Le tableau n°1 recense les cas des patientes (10 femmes) qui composent l’échantillon étudié. Chacune a été soignée par un thérapeute différent. Tous les thérapeutes ayant participé à l’étude sont de nationalité chilienne, ont réalisé un master (magister) en Gestalt-thérapie, et ont pris part à cette étude durant leur thèse.
Description de l’échantillon (pré-thérapie)
N° | Âge | Diagnostic | Points obtenus au test Hamilton | Nombre de Séances |
---|---|---|---|---|
1 | 39 | Trouble anxieux | 13 (léger) | 14 |
2 | 30 | Trouble anxieux généralisé (TAG) | 21 (modéré) | 15 |
3 | 23 | Trouble anxieux | 17 (modéré) | 12 |
4 | 26 | Agoraphobie, dépression, alcoolisme | 19 (modéré) | 18 |
5 | 23 | Trouble panique avec agoraphobie, trouble anxieux généralisé (TAG) | 29 (modéré) | 40 |
6 | 29 | Trouble anxieux et dépressif mixte | 17 (modéré) | 19 |
7 | 37 | Trouble anxieux et dépressif mixte | 39 (sévère) | 8 |
8 | 24 | Trouble anxieux | 25 (modéré) | 11 |
9 | 24 | Trouble de l’adaptation avec anxiété | 23 (modéré) | 16 |
10 | 26 | Trouble panique sans agoraphobie | 24 (modéré) | 20 |
Description de l’échantillon (pré-thérapie)
Résultats de l’étude sur l’efficacité de la Gestalt-thérapie pour traiter les troubles anxieux
461) Le patient présente-t-il une évolution thérapeutique entre la phase de pré-thérapie et celle de post-thérapie ? Si oui, dans quelle mesure ?
47Chacune des patientes a identifié et évalué de façon constante trois « troubles à aborder au cours de la thérapie », à l’exception de la patiente 1, qui en a identifié quatre. Sur ce total de 31 troubles à aborder, 30 ont connu un changement statistiquement significatif entre la phase de pré-thérapie et celle de post-thérapie. La seule exception concerne le problème de la patiente 7 « je ne peux pas supporter la maltraitance au travail » qui a légèrement empiré, ce qui peut être attribué à sa mauvaise définition (il serait peut-être alors souhaitable pour la thérapie de ne pas tolérer la maltraitance).
48Quant à l’envergure de ce changement, dans 21 cas elle est importante (MBLR > 65 % ; r [7] < -0,749 ; p [8] < 0,05 ; le changement est notable d’après l’analyse visuelle), dans 6 cas, moyenne (MBLR > 51 % ; r < -0,611 ; p < 0,05 ; le changement est notable d’après l’analyse visuelle) et dans 3, légère (MBLR > 28 % ; r < -0,585 ; p < 0,05 ; le changement est notable d’après l’analyse visuelle).
492) Ce changement est-il cliniquement significatif ?
509 cas sur 10 mettent en évidence un changement cliniquement significatif. La patiente 2, dont les résultats sont mitigés, fait exception. En résumé, les résultats au test d’anxiété de Hamilton indiquent une baisse, avec un début à 22,7 points lors de la « séance zéro » et une fin à 9,9 points lors de la dernière séance, et un score de 8 lors du suivi à 6 mois ; les résultats à l’OQ-45 sont passés de 73,5 lors de la « séance zéro » à 46 lors de la séance finale, et à 46,3 lors du suivi à 6 mois.
513) Cette évolution peut-elle être attribuée au processus thérapeutique ? (Et non à l’écoulement du temps ou à la rémission spontanée)
52Suite à l’analyse statistique et visuelle des processus de changement des 10 patientes, nous pouvons conclure que l’évolution enregistrée dans 27 des 30 « troubles à aborder au cours de la thérapie » peut être clairement attribuée à la thérapie. Les exceptions sont le problème 4 de la patiente 1 (« je n’arrive pas à bien contrôler ma colère »), le problème 1 de la patiente 4 (« telle que je suis, je ne suis pas assez bien pour ma famille »), et le problème 1 de la patiente 7 (« je crois que je suis une mauvaise mère »). Dans ces cas-là, une analyse plus détaillée est nécessaire afin de parvenir à une conclusion.
534) La GT s’avère-t-elle efficace contre ce type de problème ?
54Selon le tableau no 2, les résultats de l’étude indiquent des évolutions dans la plupart des troubles à aborder. Ces changements ont été cliniquement significatifs et, dans presque tous les cas, clairement attribuables à la psychothérapie. Ces résultats suggèrent alors que la Gestalt-thérapie peut être une solution viable de remplacement d’autres traitements à l’efficacité prouvée, réfutant ainsi les preuves antérieures du manque d’efficacité des thérapies humanistes existentielles sur ce type de patients (Angus, Watson, Elliott, Schneider, et Timulak, 2014 ; Lambert, 2013).
Évaluation de l’évolution des « troubles à aborder » identifiés en début de traitement
Patiente | Évolution entre pré- et post-thérapie ? | Cette évolution est-elle cliniquement significative ? | Est-elle attribuable à la thérapie ? |
---|---|---|---|
1 | Oui, important | Oui | Oui (problèmes 1, 2, 3) et discutable (problème 4) |
2 | Oui, léger | Discutable | Oui |
3 | Oui, moyen | Oui | Oui |
4 | Oui, important | Oui | Oui (problèmes 2, 3) et discutable (problème 1) |
5 | Oui, important | Oui | Oui |
6 | Oui, moyen | Oui | Oui |
7 | Oui, important (problèmes 1, 3) et sans changement (problème 2) | Oui | Oui (problème 3) et discutable (problème 1) |
8 | Oui, important | Oui | Oui |
9 | Oui, important | Oui | Oui |
10 | Oui, important | Oui | Oui |
Évaluation de l’évolution des « troubles à aborder » identifiés en début de traitement
Le processus et les mécanismes d’évolution dans la Gestalt-thérapie des troubles anxieux
55Dans notre étude, nous avons souhaité non seulement évaluer l’efficacité de la Gestalt-thérapie, mais aussi explorer de manière plus détaillée le processus et les mécanismes d’évolution permettant la compréhension des raisons de son succès ou de son inefficacité pour les troubles anxieux. Nous examinons ci-après un exemple du type d’analyse de processus permis par l’application de notre méthodologie.
Le cas de Clara (patiente 4 de notre échantillon)
56Clara est une femme de 26 ans, kinésithérapeute, célibataire, vivant avec sa mère et ses deux frères. Son thérapeute est un homme de 33 ans ayant exercé 6 ans en psychothérapie. Elle participe à l’étude suite aux conseils d’anciens patients du thérapeute qui la reçoit en consultation privée. Son diagnostic initial indique de l’agoraphobie et un trouble dépressif récurrent, avec un résultat modéré aux tests de dépression et d’anxiété, un OQ-45 de 62 (inférieur au seuil de clivage, ce qui signifie qu’elle fait partie de la population « fonctionnelle »). Les troubles qu’elle souhaite aborder au cours de la thérapie sont les suivants : « telle que je suis, je ne suis pas assez bien pour ma famille », « je déprime quand je n’ai rien à faire », « je me sens souvent anxieuse » (selon la définition que la cliente et le thérapeute en ont faite au sein de l’outil Target Complaints).
57L’étude de ses résultats au fil du temps permet de noter la nette diminution de son niveau de mal-être aux séances 8 et 13, comme l’indiquent les graphiques 1 et 2.
Problème « je me sens souvent anxieuse »
Problème « je me sens souvent anxieuse »
Résultats OQ-45
Résultats OQ-45
58En nous fondant sur ces informations, sur la perception du thérapeute et sur l’entretien de suivi de la patiente, nous avons regroupé les séances les plus productives (séances 3, 6 et 12) et les moins productives (séances 7 et 9). Cette étape a permis l’étude minutieuse des vidéos afin de comprendre ce qui s’était passé et ce qui pouvait expliquer l’évolution thérapeutique.
59Dans le cas de Clara, il a pu être observé que l’anxiété naissait de sa fuite constante de la tristesse par peur de se sentir déprimée, ce qui la forçait à être constamment en mouvement et en activité. De fait, en refusant d’accueillir ses sentiments, il lui était ensuite difficile d’être consciente de ses souhaits et besoins ainsi que de prendre des décisions existentielles cohérentes et satisfaisantes. La Gestalt-thérapie l’a aidée à prêter attention à ses sentiments, particulièrement à la tristesse et à la douleur. Elle a ainsi pu se rendre compte qu’elle pouvait supporter ces sentiments sans se sentir déprimée. En outre, ses besoins ayant été identifiés, elle a pu être en mesure de prendre des décisions plus en phase avec eux. Cette attitude l’a menée à la consolidation de son estime de soi et à son détachement de l’approbation d’autrui.
60Nous poursuivons actuellement la systématisation de ces résultats et leur comparaison avec les modèles théoriques de la Gestalt-thérapie sur l’angoisse. Nous mesurons également ces données avec les modèles théoriques développés par l’approche comportementale et cognitive (particulièrement par les théories d’exposition et les expériences émotionnelles correctrices), et par la thérapie centrée sur les émotions.
Conclusion
61La recherche est une entreprise délicate, et pour cette raison, rares sont les gestaltistes qui s’y risquent. Nos travaux représentent ainsi un outil précieux et décisif pour l’avenir de la Gestalt-thérapie. Nous sommes persuadés que sa survie et son développement dépendent de l’étude de son efficacité (pour sa validation autant que pour son amélioration) et des processus d’évolution en psychothérapie. Cette méthodologie nous offre l’occasion de collaborer et de développer un grand réseau de recherche étroitement lié à la pratique clinique, permettant ainsi de combler le fossé historique qui sépare ces deux domaines.
Bibliographie
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- BATTLE, C. C., IMBER, S. D., HOEHN-SARIC, R. (1966). Target complaints as criteria of improvement. American Journal of Psychotherapy, 20(1), 184-192.
- BROWNELL, P. (2016). Warrant, Research, And The Practice Of Gestalt Therapy (p. 21-38). In J. Roubal (Ed.), Towards a Research Tradition in Gestalt Therapy (p. 21-38). Cambridge Scholars Publishing.
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Notes (Documents et instruments consultables en ligne (en anglais))
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[2]
Baseline : période précédant le traitement pendant laquelle on effectue plusieurs mesures successives de l’état du patient.
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[7]
r : coefficient de corrélation linéaire entre deux variables, il varie entre -1 et +1. Plus il est proche de -1 ou de +1, plus la corrélation linéaire entre les deux variables est forte.
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[8]
p : seuil de signification. On considère habituellement que lorsqu’il est inférieur ou égal à 0,05, le résultat est significatif. p < 0,05 équivaut à dire qu’il y a plus de 95 % de chance que le résultat ne soit pas dû au hasard. Plus la valeur de p est faible, plus le résultat trouvé peut être considéré comme valide.