Qu’est-ce qu’une zoonose ? En quoi se distingue-t-elle d’une épizootie ?
1Une zoonose est une maladie qui se transmet habituellement et de manière naturelle de l’animal à l’homme. Dans certains cas, ces maladies se transmettent également de l’homme à l’animal ; dans d’autres cas, l’homme est un « cul de sac épidémiologique ». Les mot « naturel » et « habituel » sont importants dans cette définition.
2Ainsi le Sida n’est pas une zoonose, sauf dans des cas particuliers de chercheurs qui s’infectent en travaillant avec des grands singes. La transmission habituelle du Sida est interhumaine, même si l’origine phylogénétique de la maladie est animale. C’est la même chose pour le H1N1 d’origine porcine, dont la transmission a été interhumaine en 2009 ; mais dans ce cas, l’homme a contaminé ponctuellement en retour certains élevages porcins. Une zoonose suppose qu’habituellement dans la nature la transmission animal/homme existe.
3Le terme « épizootie » décrit la forme prise par une maladie qui n’est pas forcément une zoonose : c’est une maladie animale qui voit le nombre de nouveaux cas augmenter brutalement. Il y a des zoonoses qui sont épizootiques comme le H5N1 après 2005, qui a contaminé des milliards de volailles. Il y en a d’autres qui sont enzootiques (on observe alors un nombre de nouveaux cas relativement constant dans le temps) comme la rage.
4On ne peut donc pas dire simplement qu’une zoonose est une maladie qui a franchi une barrière d’espèces. Le SRAS a franchi une barrière d’espèce en 2003 en passant des chauve-souris aux civettes puis aux humains, mais il n’est pas devenu une zoonose pour autant : sa transmission est restée interhumaine, puis il a rapidement disparu.
5Le concept de barrière d’espèces suppose deux éléments d’infectiologie : la réceptivité et la sensibilité. L’homme n’est pas réceptif à certaines maladies animales comme la peste bovine africaine, c’est-à-dire qu’il ne possède pas de récepteurs pour cet agent infectieux ; à l’inverse il est réceptif pour le virus de la rage.
6La sensibilité est la capacité à exprimer des symptômes pour un individu réceptif : ainsi l’homme est peu sensible au virus de la fièvre aphteuse, qui se transmet exceptionnellement des bovins aux humains, alors qu’il est très sensible à la grippe aviaire, qui se transmet rarement des oiseaux aux humains. On ignore souvent les mécanismes expliquant la réceptivité et la sensibilité d’une espèce à un agent pathogène : pour le H5N1 on connaît le rôle de l’acide sialique dans la réceptivité, et des cytokines pour la sensibilité, mais dans beaucoup de zoonoses la notion de barrière d’espèces est seulement descriptive et non explicative.
Qu’est-ce qu’un réservoir animal ?
7C’est une espèce qui permet l’entretien naturel d’un agent pathogène. Un bon réservoir est une espèce qui n’est pas tuée rapidement par l’agent pathogène et qui l’excrète en grand nombre. C’est donc une espèce très réceptive mais peu sensible. Par exemple le canard, qui est porteur sain du H5N1, l’excrète en grande quantité dans les mares, alors que les volailles domestiques en meurent rapidement : c’est pourquoi on considère les oiseaux aquatiques comme le réservoir de la grippe aviaire.
8On distingue la notion de réservoir primaire de celle de réservoir secondaire. Par exemple, le blaireau est réservoir primaire de la tuberculose en Grande-Bretagne, parce qu’il transmet par lui-même le bacille aux autres espèces, alors qu’en France actuellement il se comporte seulement comme réservoir secondaire : s’il n’y avait plus de tuberculose bovine en France, les blaireaux cesseraient de transmettre la maladie.
9Dans la forêt de Brotonne, qui est un espace naturel clos, on s’est rendu compte que les cerfs étaient réservoir primaire pour la tuberculose et les sangliers réservoirs secondaires, parce qu’après l’abattage de tous les cerfs, le taux d’infection a spontanément baissé chez les sangliers.
10L’espèce humaine est un réservoir animal parmi d’autres. À l’origine tous les agents pathogènes de l’homme viennent des animaux. Mais comme il y a 7 milliards d’hommes sur la terre, le brassage des agents pathogènes dans l’espèce humaine est important, en sorte que cette espèce présente des opportunités intéressantes pour ces agents pathogènes – même si les hommes ont des moyens sanitaires que n’ont pas les autres espèces.
Peut-on distinguer des zoonoses d’origine domestique et des zoonoses d’origine sauvage ?
11La circulation d’agents pathogènes n’est souvent pas la même dans les élevages et dans la faune sauvage. Par exemple la fièvre Q, qui produit des avortements, circule chez les ruminants sauvages en passant par les tiques. Les tiques servent de relais entre ces ruminants, car ceux-ci n’ont pas assez de contacts entre eux pour assurer le maintien de l’agent pathogène. Chez les ruminants domestiques vivant en élevages, les contacts sont nombreux, et la contamination est directe entre les animaux d’un même troupeau et de troupeau à troupeau par l’introduction d’animaux notamment. Mais il y a certaines espèces sauvages qui vivent en contact rapproché, comme les blaireaux d’un même terrier. Le critère pour la transmission de l’agent pathogène est le mode de vie de l’espèce dans laquelle il s’installe.
12La sélection naturelle conduit les agents pathogènes à s’adapter au comportement des espèces par lesquelles ils se transmettent. Par exemple dans le cas de la rage, le virus n’est excrété que dans la salive, donc il lui faut un contact étroit pour se transmettre : aussi le virus a-t-il réussi à atteindre le cerveau et à déclencher l’agressivité des animaux qu’il infecte. Un renard enragé perd le sens de la territorialité, il va vers d’autres espèces pour les mordre, et ainsi il transmet le virus avant de mourir.
Y a-t-il une multiplication des zoonoses depuis vingt ans, comme le laisse penser le thème des « maladies infectieuses émergentes » ?
13Il y a beaucoup de maladies qui réémergent sans être zoonotiques, parce qu’elles tiennent aux changements de mode de vie et à la concentration humaine. Ce sont des maladies humaines qui avaient été maîtrisées et dont le nombre de cas augmente, comme le choléra qui se développe dans les camps de réfugiés, ou la tuberculose humaine qui arrive par les populations des pays en développement venant dans les pays développés
14Les nouvelles maladies, elles, viennent des animaux. Le H5N1 a émergé en Asie du Sud-Est parce que le nombre de volailles a été considérablement accru pour nourrir la population humaine, en sorte que le réservoir animal a augmenté. La circulation des agents pathogènes est directement liée à la densité. Ainsi, en France, on a une forte augmentation de la population de grand gibier, parce qu’il y a de moins en moins de chasseurs, parce qu’on augmente le massif forestier, et de nouvelles maladies font leur apparition dans cette population sauvage. La tuberculose de faune sauvage par exemple, que les sangliers et les blaireaux ont initialement acquise auprès des élevages infectés, peut maintenant dans certaines zones repasser des sangliers ou des blaireaux aux bovins.
15Les conditions de vie dans le monde actuel créent de nouvelles opportunités pour les agents pathogènes, et ils en profitent. L’homme a créé un déséquilibre entre les espèces, tant entre sa propre espèce et les autres qu’entre les espèces qu’il a élevées.
Quels sont les modes de prophylaxie appliqués aux zoonoses ?
16Ce sont les mêmes modes de prophylaxie qui sont appliquées aux maladies humaines et aux maladies animales, mais ils sont plus complexes car on s’attaque en même temps à la maladie chez l’animal et chez l’homme. On peut lutter contre la maladie chez l’animal sauvage, qui est la source, ou chez l’animal domestique, qui est intermédiaire, ou chez l’homme. Cela dépend de considérations économiques ou politiques.
17La rage est un bon modèle en France. On a éradiqué la rage chez le renard, on continue à vacciner les chiens contre la rage, et on recommande aux gens de ne pas avoir de contacts avec les chiens quand ils vont au Maroc ou en Tunisie, où il y a encore de la rage. Il faudra continuer à faire ces recommandations tant qu’on n’aura pas éradiqué la rage au niveau mondial. Les seules maladies qu’on ait éradiquées au niveau mondial sont des maladies strictement humaines, comme la variole, ou strictement animales, comme la peste bovine. Jamais une zoonose n’a été éradiquée au niveau mondial parce que l’agent pathogène se développe dans un trop grand nombre d’espèces.
18Pour lutter contre une zoonose il existe deux grands types de moyens : sanitaires et médicaux. Les moyens sanitaires correspondent à des consignes d’hygiène (se laver les mains, ne pas toucher les animaux) et éventuellement à l’abattage des animaux pouvant transmettre la maladie ou étant réservoir de cette maladie. Les moyens médicaux sont les vaccins (préventifs) et les traitements (curatifs). Il faut également ajouter un élément indispensable à la prévention : la surveillance épidémiologique destinée à repérer précocement les nouvelles maladies.
19Chacun de ces moyens rencontre des limites. La vaccination implique des rappels réguliers, et souvent limite la commercialisation internationale des animaux pendant la période de positivité. Dans le contexte de suspicion à l’égard des industries pharmaceutiques, la vaccination suscite des résistances aussi bien quand elle concerne des humains que des animaux.
20L’abattage produit dans les populations urbaines des émotions, qui varient selon la taille des espèces animales et leur proximité biologique. La question de l’acceptabilité de l’abattage et de la vaccination est nouvelle, parce que la taille des troupeaux est telle que, quand on utilise ces outils sanitaires, l’effet est plus visible, notamment lorsque les médias s’en emparent dans les contextes de crises. Les populations (notamment urbaines) s’émeuvent de ces phénomènes parce qu’elles sont de plus en plus coupées de la nature et de la biologie : elles ignorent les mécanismes des agents pathogènes et les conditions dans lesquelles ils se développent.
Si ce traitement sanitaire et médical des zoonoses suscite des émotions chez ceux qui vivent à distance des animaux, comment sont-ils perçus par ceux qui vivent à leur contact ?
21La plupart des gens qui sont au contact des animaux acceptent plus facilement les mesures sanitaires d’abattage parce qu’ils considèrent que l’homme est prioritaire. Les chasseurs considèrent qu’ils ont le droit de tuer un animal parce qu’ils vivent dans une communauté naturelle, et ils comprennent donc plus facilement le traitement sanitaire d’une maladie dans la faune sauvage, d’autant qu’ils en sont bénéficiaires.
22Les éleveurs comprennent et acceptent globalement la nécessité des abattages sanitaires, même si c’est une épreuve souvent très douloureuse pour ceux qui sont concernés. Si les indemnités sont trop faibles, les éleveurs peuvent se révolter, mais ils ne contestent pas le principe même de l’abattage. Bien sûr, si ces abattages prennent une forme massive, les éleveurs vont souhaiter un autre mode de lutte, comme la vaccination.
23À l’inverse, pour la rage, il est de plus en plus difficile de convaincre les propriétaires d’animaux de compagnie de la nécessité de l’abattage préventif des animaux contaminés : le seul moyen sera de leur faire peur en parlant des effets de la rage sur l’Homme.
24Pour la vaccination, les éleveurs, sauf rares exceptions (par exemple les éleveurs « bio »), en perçoivent également bien la nécessité .
25Ces différences de perceptions génèrent des tensions : il arrive que chasseurs ou éleveurs soient soupçonnés par des gens qui refusent l’abattage sanitaire ou la vaccination des animaux, et qui vont parfois se tourner vers l’élevage « bio » pour avoir une viande sans vaccin.
Les éleveurs font-ils la distinction entre les zoonoses et les autres maladies animales ?
26Ils savent que les zoonoses constituent une petite partie des maladies qu’ils rencontrent dans leurs élevages, alors que les maladies strictement animales constituent des phénomènes beaucoup plus fréquents. On parle des zoonoses parce que cela fait partie de notre civilisation de la peur. Les médias, et donc le grand public, ont parlé du risque de pandémie, parce qu’il était scientifiquement possible qu’une mutation modifie le virus en le rendant mieux adapté à l’espèce humaine (même si cela ne s’est pas produit), et parce que les quelques cas zoonotiques observés étaient graves, même s’ils n’étaient accompagnés d’aucune transmission interhumaine. Il était alors aisé de faire le scénario catastrophe d’une pandémie meurtrière. Ce scénario, qui ne s’est pas produit avec le H5N1, a été réactualisé avec le H1N1 qui causait une véritable grippe humaine, donc à transmission interhumaine forte. Dans le cas du H5N1, comme d’ailleurs auparavant dans le cas de l’ESB, le franchissement de la barrière d’espèce a été largement surévalué et a servi à alimenter la peur. Dans cette conjoncture, on oublie que, partageant le monde avec d’autres espèces vivantes, l’homme partage également avec ces espèces un certain nombre de pathogènes. Dans les pays développés, la plupart des zoonoses graves ont été éradiquées ou contrôlées, et les zoonoses restantes sont rares. Quant à l’évolution naturelle, si elle permet de temps en temps à quelques agents pathogènes de nouveaux franchissements de la barrière d’espèces, cela n’arrive que de temps en temps, et c’est le plus souvent tout à fait imprévisible.
27S’il n’est pas possible de prévoir l’apparition d’une nouvelle maladie, il est par contre possible de la détecter le plus précocement possible, pour agir avant que la diffusion ne soit trop importante. À cette fin, il est indispensable de motiver les éleveurs, car ils sont les premiers à observer les maladies de leurs animaux. Il est clair que cette motivation passe par la formation des éleveurs. Mais la motivation des éleveurs est également liée à l’intérêt qu’ils peuvent retirer pour leur élevage de leur implication dans un système de surveillance qui leur permet de mieux suivre leurs animaux. Enfin, il ne faut pas que les conséquences en cas de découverte d’un foyer soient trop pénalisantes pour les éleveurs : en cas de blocage des élevages ou en cas d’abattage, des indemnités compensatoires doivent leur être rapidement allouées.
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Mots-clés éditeurs : Zoonose, pathogènes, prophylaxie, co-construction des savoirs, épizootie
Date de mise en ligne : 03/11/2019
https://doi.org/10.3917/cas.008.0025