1Ce numéro des Cahiers devait initialement porter le titre d’« Hypnose et thérapie familiale ». Cependant, j’ai pris rapidement conscience de la nécessité d’ajouter au thème du dossier l’EMDR qui a également une place particulière dans le champ actuel de la thérapie familiale. En effet, l’EMDR, comme l’hypnose, est une approche qui se révèle de plus en plus riche aux yeux des thérapeutes familiaux, en particulier de ceux qui traitent des patients présentant un passé traumatique.
2L’hypnose fut introduite ouvertement en médecine par Mesmer à la fin du 18e siècle sous l’appellation de « magnétisme » ; pour cet auteur, ce n’était pas l’influence du thérapeute, mais plutôt la crise que provoquait le dispositif en place qui avait une fonction thérapeutique (d’Assignies, 2003, p. 316). Le terme sera modifié par le marquis de Puységur en « somnambulisme » pour désigner « une forme particulière de crise qui consiste en état de sommeil où le patient reste en contact avec son thérapeute » (ibid.).
3Différentes théories et pratiques vont progressivement apparaître jusqu’à l’utilisation, riche sur le plan clinique, de l’hypnose par Milton Erikson à Phoenix, alors que de l’autre côté des États-Unis, à Palo Alto, Gregory Bateson et son équipe de chercheurs observaient ce qui se passait dans les familles et élaboraient la notion de double contrainte.
4Milton Erikson était moins obsédé par les théorisations que par les expériences cliniques. Il nous a ainsi laissé de nombreux écrits décrivant différentes situations qu’il a traitées.
5Don Jackson s’était sensibilisé à l’hypnose, et en particulier au travail de Milton Erikson, bien avant que John Weakland et Jay Haley n’aillent visiter ce dernier à Phoenix. Il considérait (Jackson, 1944) qu’il était injuste de considérer que ses effets n’étaient pas durables et il défendait l’idée que l’hypnose pouvait être utilisée comme un passeport pour pénétrer dans l’inconscient du patient, mais qu’une fois là, le thérapeute devait faire appel à toutes les compétences dont il usait en état d’éveil pour gérer la relation interpersonnelle.
6Ultérieurement, participant au groupe de recherche organisé par Gregory Bateson, Jay Haley (1976) qui était particulièrement intéressé aux notions de pouvoir et de contrôle commença à rendre fréquemment visite à Milton Erickson à Phoenix pour étudier, entre autres, les liens possibles entre l’hypnose et la double contrainte.
7En tant qu’outil thérapeutique, l’hypnose continue à se développer sous différentes formes à l’heure actuelle, et les articles de ce numéro vous montreront sa richesse ainsi que la manière de l’intégrer aux thérapies de famille. On pourrait d’ailleurs considérer que même sans aucune formation à l’hypnose, les thérapeutes induisent involontairement de la transe dans leurs échanges avec les familles, ces dernières les entraînant parfois elles-mêmes dans cette même voie.
8Si l’hypnose eriksonnienne s’est développée en même temps que l’approche systémique – lisons à ce propos le courrier échangé entre Grégory Bateson et Milton Erikson, ainsi que le récit des rencontres entre ce dernier et Jay Haley et John Weakland, tous deux appartenant au groupe dirigé par Grégory Bateson (Zeig & Gary, 2007) –, l’EMDR est apparue plus récemment.
9Introduite par la psychologue américaine Francine Shapiro vers la fin des années ‘90, l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) est devenue aujourd’hui une approche dont l’efficacité ne paraît plus discutable, en particulier en traumatologie. De nombreux thérapeutes familiaux se sont formés à ce mode de prise en charge, l’intégrant dans une pratique clinique plus large.
10Nous avons demandé à différents thérapeutes ouverts à la thérapie familiale et en même temps hypnothérapeutes ou praticiens de l’EMDR de nous montrer de quelle manière ces approches peuvent s’enrichir l’une l’autre.
11Nous ouvrons ce dossier par un texte d’Antoine Bioy, grand connaisseur de l’hypnose. Il déplore la rareté des écrits à propos de l’utilisation de l’hypnose en thérapie familiale. Pourtant, ajoute-t-il, elle permet de jouer avec les images métaphoriques et avec des récits thérapeutiques en situation d’état de conscience modifiée, facilitant ainsi le changement.
12Il propose de définir l’hypnose comme un « mode de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, fait l’expérience d’un champ de conscience élargi ». Sa finalité n’est pas de lutter contre un symptôme, mais plutôt « de le prendre à revers ». Le patient sera invité à l’observer, à en considérer la place dans sa vie puis à modifier « la conscience de soi », c’est-à-dire la conception qu’il a de lui dans son monde.
13Il précise que même si la séance d’hypnose semble concerner une seule personne, la famille sera inévitablement touchée comme si les suggestions s’adressaient (indirectement) aussi à elle, mais il rappelle qu’un tel effet ne peut avoir lieu que dans la mesure où une alliance a été instaurée préalablement avec les autres membres de la famille.
14Gérard Salem et Katharina Auberjonois, à la fois thérapeutes de famille et hypnothérapeutes, présentent ensuite différentes combinaisons possibles entre thérapies systémiques et hypnothérapies, basées sur leur pratique clinique. Ils observent que l’intégration de ces deux approches est bénéfique car elles conduisent à l’amlification des processus attentionnels mutuels au sein du système familial. Au-delà de la définition de l’hypnose comme un état modifié de conscience et comme l’ensemble de procédés utilisés par l’opérateur pour provoquer cet état modifié de conscience, ils soulignent la façon singulière de communiquer et d’être présent à quelqu’un qu’elle implique. Ils pointent dès lors l’importance de la qualité d’attention offerte à autrui et donc la dimension conviviale de l’hypnothérapie. Ils relèvent une série de convergences entre les thérapies de famille et l’hypnothérapie eriksonnienne, dont l’importance accordée aux processus de communication et d’interactions et la prise en compte des ressources présentes dans le patient ou dans le système familial.
15Dans le prolongement de l’article précédent, Alain Marteaux, thérapeute familial pratiquant l’hypnose, aborde celle-ci en tant que mode de communication. Loin de voir ses deux approches comme incompatibles, il relève les apports de l’utilisation de l’hypnose eriksonnienne en thérapie familiale.
16Il insiste sur l’importance de l’accordage relationnel entre thérapeute et patient(s) et de la nécessaire empathie qui favoriseront la créativité, la co-création d’images et de langage commun faisant appel à des métaphores thérapeutiques.
17Se référant à l’approche narrative et aux approches stratégiques, Alain Marteaux illustre ensuite son propos à l’aide d’un cas clinique.
18Popularisée en français au départ par David Servan-Schreiber (en 2003), puis par la traduction de l’anglais en français (en 2005) de l’ouvrage princeps de Francine Shapiro, créatrice de l’approche, l’EMDR a gagné, depuis, de nombreux adeptes. Comme l’écrit David Servan-Schreiber (2003, p. 97), l’EMDR présuppose « qu’il existe en chacun de nous un mécanisme de digestion des traumatismes émotionnels que les praticiens de l’EMDR appellent système adaptatif de traitement de l’information ». Si ce système n’a pas réussi à digérer l’empreinte d’un souvenir traumatique, le balayage oculaire induit par l’EMDR va avoir un effet comparable à celui des mouvements oculaires qui ont lieu spontanément au cour de la phase des rêves du sommeil et qui, habituellement apportent une assistance suffisante au système naturel du cerveau pour « métaboliser » la trace d’un événement difficile.
19Un certain nombre de thérapeutes familiaux ont été intéressés par cette approche, en particulier dans les cas de PTSD. Progressivement, ils ont tenté de l’étendre à d’autres types de situations, impliquant les couples ou les familles. Parmi eux, les auteurs des textes suivants vous présentent leur manière d’intégrer les approches systémiques et l’EMDR.
20Ouvrant cette voix de réflexion et d’échange de pratiques, Hélène Dellucci & Cyril Tarquinio insistent sur le fait qu’en présence de traumatismes, la thérapie exclusivement par la parole ne suffit pas. Dans ce cas, il est nécessaire de prendre en compte la physiologie et de porter attention au corps pour les inclure dans le processus thérapeutique, et c’est donc là en particulier que l’EMDR se révèle précieux. De plus, l’EMDR permet également d’assainir la dimension relationnelle. Ces auteurs nous en décrivent le protocole et discutent de la manière de l’intégrer dans une approche psychothérapeutique systémique et centrée compétences et illustrent leur propos à l’aide d’une vignette clinique décrivant une thérapie de couple.
21Catherine Jobin, Isabelle Philippe & Daniel Stern nous invitent ensuite à « participer » aux réflexions de trois thérapeutes d’orientation différente qui ont participé ensemble à une prise en charges clinique d’un cas de maltraitance intrafamiliale avec inceste, ayant provoqué de graves troubles psycho-traumatiques et relationnels.
22Ils démontrent magistralement qu’il est possible d’articuler les aspects systémiques et psycho-traumatiques ainsi que les différents temps familiaux et individuels et complètent leur propos en évoquant les répercussions de cette expérience sur le vécu de l’équipe thérapeutique.
23De son côté, Michel Silvestre qui inclut dans sa pratique de thérapeute familial l’EMDR d’enfants patients désignés, nous en offre un exemple. Il souligne que l’EMDR, thérapie d’intégration entre les émotions, les cognitions et les sensations enregistrées autour d’un souvenir traumatique, ne permet pas la prise en compte des patterns interactifs familiaux en présence. Il qualifie l’EMDR d’approche monadique au contexte d’intervention étroit, alors que la thérapie familiale, travail de groupe, permettrait une vision en « grand angle » sur les relations traumatisées. Il en conclut qu’intégrer ces deux approches favoriserait le processus de changement et nous entraînerait dans un saut qualitatif, vers un niveau de pensée plus riche pour répondre à la complexité des situations.
24Enfin, nous clôturons ce numéro des Cahiers par deux interviews de spécialistes de l’EMDR : Ludwig Cornil et Isabelle Meignant.
25Interviewé par Christine Vanden Borght qui a d’ailleurs suivi une formation chez lui, Ludwig Cornil souligne que l’impact de l’EMDR est lié au fait qu’il repose moins sur les échanges verbaux que sur ce qui se passe pour le patient, en lui, et dont nous ne sommes que les témoins. Le corps du patient reste donc au centre de cette approche, ainsi que les émotions afférentes.
26Interrogée par Edith Goldbeter, Isabelle Meignant développe de son côté son approche des couples, qui « marie » l’EMDR et le modèle des résonances de Mony Elkaïm (1989). La particularité de ce type d’intervention est qu’il ne s’agit pas de travailler avec l’un des partenaires en couple, comme c’est fréquemment le cas, mais bien de centrer l’intervention sur le couple.
27Nous espérons vous avoir sensibilisé par ce dossier à la richesse de ces deux approches sœurs que sont l’hypnose (l’aînée) et l’EMDR (la cadette) et à leurs apports possibles en thérapie familiale.
Références
- D’ASSIGNIES H. (2003) : L’hypnose ericksonienne. In ELKAÏM M. : A quel Psy se vouer ? (pp. 311-344), Seuil, Paris.
- ELKAÏM M. (1989) : Si tu m’aimes, ne m’aimes pas. Seuil, Paris.
- JACKSON D.D. (1944) : The Therapeutic Uses of Hypnosis. Stanford Medical Bulletin 2(4) :193-196. Repris dans RAY W.A. (ed.), (2005) : Don D. Jackson. Selected Essays at the Dawn of an Era. Zeig, Tucker & Theisen, Phoenix, Arizona.
- SERVAN-SCHREIBER D. (2003) : Guérir du Stress, de l’Anxiété et de la Dépression, sans Médicaments ni Psychanalyse. R. Laffont, Paris.
- SHAPIRO F. & SILK FORREST M. (2005) : Des yeux pour guérir. EMDR : la thérapie pour surmonter l’angoisse, le stress et les traumatismes. Seuil, Paris.
- ZEIG J.K. & GARY B. (2007) : The Letters of Milton Erikson. Chap II : Gregory Bateson, Jay Haley, John Weakland. (pp. 51-87), Zeig, Tucker & Theisen, Phoenix, Arizona.