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Article de revue

L'utilisation des métaphores dans la rencontre thérapeutique, en thérapie individuelle et en thérapie de couples

Pages 135 à 148

Notes

  • [1]
    Le texte de cet article est issu de l’ouvrage « Langages métaphoriques dans la rencontre, en formation et en thérapie. Sur les traces d’Édith Tilmans-Ostyn. » co-écrit par Camille Labaki et Alessandra Duc Marwood, (Erès. 2012).
  • [2]
    Psychologue-psychothérapeute systémicienne, formatrice au CEFORES, Chapelle-aux-Champs, U.C.L.
« La tragédie admet les métaphores, mais non pas les comparaisons ; pourquoi ? Parce que la métaphore, quand elle est naturelle, appartient à la passion ; les comparaisons n’appartiennent qu’à l’esprit. »
Voltaire (Commentaires sur Corneille, 1817)

1« Une source de chagrin » et « un monument de bêtise » sont les deux exemples que donne le Petit Robert dans sa définition du mot « métaphore ».

2La source nous dit bien plus que le chagrin ou que son origine ; elle nous en dit les larmes et l’abondance ; elle nous en dit l’inépuisable ; elle nous en dit l’infinité.

3Le monument nous dit bien plus que la bêtise ou que sa taille ; il nous en dit la démesure et la pérennité ; il en dit l’immuable et notre accablement.

4La métaphore, est-ce donc lorsqu’en un mot, l’on dit plus qu’en mille ? Est-ce donc ce qui permet d’exprimer ce qui ne se décrit pas, ou si difficilement : une sensation, une atmosphère, une poésie ou une ambiance ? Est-ce un dialecte ou une langue, qui ne s’apprend pas et dans laquelle on entre, très lentement ?

5Je vais tenter ici de donner l’envie à certains d’entre les lecteurs d’apprivoiser cette langue magnifique ou, pour ceux qui déjà la pratiquent, de partager avec eux mon plaisir d’en être, moi aussi, une fidèle utilisatrice. Ce à travers des exemples où ce sont les patients eux-mêmes qui en donnent. Il est, bien sûr, des cas où c’est à moi qu’une image vient et que je la propose.

6Parenthèse : l’étymologie du mot « patient » renvoie au latin pati qui signifie souffrir. Entre les mots « patient » et « client », je choisis d’utiliser le premier…

L’utilisation des métaphores en thérapie individuelle

7En thérapie individuelle, je demande au patient quelle représentation métaphorique il a de lui-même actuellement. Je lui propose donc de créer une métaphore qui le représente dans son vécu et son fonctionnement actuels.

8La consigne est la suivante :

9« Si vous deviez donner une représentation métaphorique actuelle de vous-même, quelle serait-elle ?Sous forme de tableau… mais si autre chose vous vient, comme par exemple une sculpture… dites ce qui vous vient ».

10J’invite alors le patient à décrire sa métaphore. Puis je l’explore, en lui posant des questions et en précisant que je vais aborder des points auxquels il n’avait peut-être pas pensé.

11Prenons l’image suivante:

12C’est un feu ouvert dans un salon avec de grosses bûches en chêne. Il y a une harmonie de rouge, d’orange et de jaune. Je vois un divan confortable sur un bon tapis blanc moelleux. La cheminée est faite de belles pierres. C’est le soir. Le divan est assez grand avec des coussins dessus.

13L’image donnée est ensuite "explorée", c’est-à-dire que je vais poser des questions qui me permettront d’être au plus près de cette image, ce sans "sortir" de la représentation métaphorique.

14Lors de l’exploration, voici des questions susceptibles d’être posées : Quelle est la taille ou la forme du tapis ? De quelle couleur est le divan ? Y a-t-il du bruit ? Y a-t-il une réserve de bois ? Ce salon évoque-t-il la ville ou la campagne ? Y a-t-il des fenêtres dans l’image ? Si oui, sont-elles ouvertes ? Etc.

15En voici d’autres à éviter afin de ne pas courir le risque de « sortir » de l’image, de re-convoquer la rationalité, de revenir à une langue plus connue, plus maîtrisable : Le tapis est-il doux pour des pieds nus ? Le divan est-il confortable ? Ces questions amènent la personne à s’imaginer pieds nus sur le tapis, à s’allonger sur le divan. Elle n’est plus en train de regarder le tableau.

16La formulation de toute question passe donc – explicitement ou implicitement, bien sûr – par : Y a-t-il dans votre image des informations qui permettent de dire… ? On pourrait donc poser, de la manière suivante, la question sur la douceur du tapis : Y a-t-il dans votre image des informations qui nous permettraient de savoir si le tapis est doux ou rêche pour les pieds nus ?

17Il est intéressant d’utiliser la représentation métaphorique comme une autre façon d’approcher la perception du soi.

18L’écueil à éviter, lorsqu’on parle la langue des métaphores et que l’on questionne une représentation donnée par le patient, est celui d’induire, par nos questions, nos propres représentations. Il n’y a, en effet, pas de « mauvaises réponses » que donnerait la personne ayant créé une métaphore. C’est à nous de rester, tout au long de l’exploration, extrêmement vigilants à ne pas poser de « mauvaises questions » ; notre impatience et/ou une difficulté face à une zone d’ombre dans l’image pourrait, en effet, nous mener à poser des questions « attaquant » la représentation donnée. D’où l’utilité d’ajouter à certaines de nos questions des formules telles que « si cela apparaît dans votre image »… le si et le votre servant ici de garantie.

19Dans le cas où, comme je le propose, le patient décrit sa représentation métaphorique « sous forme de tableau », il est intéressant, dans l’exploration, de pouvoir questionner également le cadre du tableau, le lieu où ce tableau pourrait se trouver, le peintre du tableau (en précisant que ce peintre peut être l’une des personnes du génogramme si ce dernier a été préalablement questionné) etc.

20La métaphore permet ainsi d’aller, dans le respect d’une absolue rigueur, sur un chemin sérieux et ludique, créatif et poétique, grave et léger… vers l’essentiel. Elle étonne et questionne, elle trouble et émeut. Là où la raison échoue à exprimer, la métaphore dit. Elle révèle. Elle raconte.

21Avec l’adolescent, elle permet de sortir de l’événementiel. Avec l’homme d’affaires, elle autorise à lâcher le contrôle. Avec l’un, elle ramène à l’enfant en soi. Avec un autre, elle permet d’accoster en douceur à de mystérieux rivages. Avec un troisième, elle rompt le lancinant ennui, introduisant une surprise…

22Tout comme le blason, le génogramme, la sculpture… ou n’importe lequel de ces outils dont nous sommes chargés et dont nous avons la charge, la métaphore ne s’utilise qu’à bon escient, ce qui littéralement signifie ici : lorsque le thérapeute présume que les informations que le système thérapeutique en récoltera seront pertinentes, qu’elles permettront d’aborder la souffrance, le nœud, le problème, le symptôme… d’une autre façon. Qu’elles en dégageront une autre lecture.

23Par ailleurs, on ne pourra travailler les métaphores que dans un système thérapeutique où la confiance établie est « suffisamment bonne ».

24En fait, la métaphore est comme un texte plein de virgules et de points d’interrogation. De points de suspension également…

25Le travail sur les métaphores en thérapie individuelle comporte trois étapes :

  • la représentation métaphorique et son exploration.
  • le bon changement souhaité à l’aide d’une baguette magique que je me suis levée pour donner au patient. À la fin de son utilisation, je me lève à nouveau pour la reprendre.
  • les risques au bon changement ou les bonnes raisons de ne pas changer.
Ce que ces trois étapes "disent", nous en cherchons alors le sens dans les ruelles et les impasses des génogrammes, dans ce vers quoi elles nous mènent, dans les sacs à dos que l’on trimballe sans en connaître tout le contenu, dans les missions et les transmissions…

26Des réponses se déposent et puis se juxtaposent. Et souvent, l’utilisation de la métaphore en thérapie individuelle permet de mesurer… le prix à payer si la psychothérapie « réussissait » trop vite ! L’utilisation de la métaphore, en thérapie individuelle, ouvre magistralement une voie : celle du choix.

Les métaphores relationnelles en thérapie de couples

27Une relation, nous dit le Petit Robert, est « un lien de dépendance ou d’influence réciproque entre des personnes ».

28Nous avons vu qu’en thérapie individuelle, le travail sur les métaphores comporte trois étapes. Il en comporte quatre en thérapie de couples :

  • La représentation de B par A, développée dans ses différentes facettes: visuelle, sensorielle, olfactive, atmosphère, etc.
  • Où, quand et sous quelle forme A apparaît dans son image de B ?
    Quels effets son apparition a sur les différentes facettes de l’image originale ?
  • Avec une baguette magique, quel(s) bon(s) changement(s) A apporterait-il/elle à l’image ?
  • Quels sont les risques à ce bon changement ? Quelles sont les catastrophes redoutées qui justifieraient la non-utilisation de la baguette magique ? Comment cela se traduirait-il dans les images ?
Chaque membre du couple fournit donc quatre images en suivant les mêmes étapes.

29C’est ainsi que si Catherine dit à François « Tu es un ours » ou que Michel appelle Valérie « Mon petit chat », l’auditeur a sur celui dont il s’agit une « information ». L’ours nous dit quelque chose de François et le petit chat quelque chose de Valérie. Mais quelque chose de l’ours parle aussi de Catherine et quelque chose du petit chat parle aussi de Michel. Car l’image appartient, on le sait, tant à celui qui la donne qu’à celui qui la reçoit. Elle est un entre-deux. Un entre eux deux.

30Quant à ce qu’il en est de Catherine et François ou de Michel et Valérie, c’est-à-dire de leur couple, si Catherine est en couple avec l’ours François, comment se représente-t-elle à ses côtés, dans une même image ? Est-ce une forêt, un chat, une liane, un nuage ou n’importe quelle autre des mille et une autres images possibles ?

31Dans ma pratique clinique avec les couples, les métaphores sont présentes, à chaque fois. Soit du fait que je les y introduise. Soit simplement du fait que – ne les guettant même pas ! – je les « entende ».

32Lorsqu’Édith Tilmans-Ostyn me fit découvrir cet outil (cf. de Saint-Georges, 2004), je fus frappée par la puissance du deuxième temps de l’exploration, celui où il s’agit de se représenter soi-même dans l’image que l’on a construite du partenaire. Ce temps demeure pour moi, depuis lors, celui de l’étonnement. Celui de la surprise – être surpris, mais aussi se surprendre. En outre, la richesse des informations reçues, à ce moment-là du travail dans le système thérapeutique – et d’abord pour celui qui donne l’image ! – est immense.

33Afin de sauvegarder ce temps de l’inattendu pour les deux partenaires, il me semblait important de créer une simultanéité dans la « construction » de l’image.

34Je propose donc, d’abord, chacun pour soi et en silence les temps 1 et 2. C’est ensuite que se fait l’exploration – la co-construction – de chacune des images, dans ses quatre temps.

35Voici donc le déroulement de cette application :

36Je donne à chacun des partenaires une feuille et un bic – rouge pour l’un, bleu pour l’autre – et leur propose d’y noter – pour eux-mêmes et comme sur un pense-bête – la représentation métaphorique qu’ils ont de l’autre ; ils peuvent le faire en l’écrivant ou en le dessinant, l’essentiel étant que ce pense-bête leur permette – la fois prochaine ou celle d’après – d’être en présence de leur image de l’autre telle qu’ils l’ont construite aujourd’hui. Je ne serai que la gardienne de leurs pense-bêtes et le leur dis. "La fois prochaine ou celle d’après" puisqu’en effet, ce travail exigeant requiert de la lenteur et se déroule sur plusieurs séances.

37Lorsqu’ils ont terminé de construire chacun pour soi la représentation métaphorique de l’autre et de la noter, je leur propose d’échanger leurs bics et c’est alors que je donne aux deux personnes simultanément la deuxième consigne : comment il ou elle se représenterait dans l’image ? La représentation de soi dans l’image de l’autre vient donc s’inscrire sur leurs pense-bêtes en une autre couleur.

38À ce moment-là et bien que rien encore n’ait été dit – puisque toute cette partie du travail se fait en silence – rien, en effet, n’a été dit à l’autre mais bien des choses ont été, pour chacun et déjà, dites à soi…

39C’est là également la puissance des métaphores relationnelles. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de se plier soi-même à l’exercice. C’est alors que, l’une après l’autre, l’exploration des images, l’utilisation de la baguette magique et le questionnement autour des risques redoutés peuvent débuter. Ce n’est que lorsque l’exploration des deux métaphores dans leurs quatre étapes est terminée que nous faisons, à trois, les liens avec leur… lien.

40Il est passionnant, en début de travail, de percevoir avec tant de netteté les dangers des changements demandés, les risques d’une thérapie et le prix à payer pour toute évolution.

41En voici une illustration. Certains d’entre les couples disent que leur couple va mal ; j’entends souvent qu’il a mal. Mais d’autres – beaucoup d’autres – viennent en consultation pour autre chose, des difficultés avec un enfant, par exemple. Et parfois, c’est l’enfant lui-même qui les amène.

42Je pense à un petit garçon – je l’appellerai Romain – dont je pourrais ainsi commencer l’histoire : c’est l’histoire d’une maman et d’un papa qui aimaient beaucoup leur petit bonhomme tout craquant, et qui étaient venus en psychothérapie sur les conseils d’une institutrice épuisée par toutes les questions, toute « l’agitation », tout ce trop plein de vie, en somme, de ce petit bonhomme.

43De ce même petit garçon, je pourrais commencer autrement l’histoire : c’est l’histoire d’un petit garçon qui se fait du souci pour ses parents, qui sent bien que quelque chose les occupe et préoccupe. Qui fait en sorte qu’ils l’amènent chez le psy, s’arrangeant, ainsi, pour les y amener. La famille, me dira Romain lors de notre première rencontre, c’est comme des animaux qui vivent ensemble. Ça sert à se faire des câlins et des bisous.

44Ce petit bonhomme, je ne l’ai vu que quelques fois, par ci, par là. Ayant amené ses parents chez la psy, il alla vite beaucoup mieux à l’école. Je n’avais, pour ma part, rien fait d’autre que… de respecter leur porte d’entrée. C’est peut-être ainsi que se construisent les réputations de « magiciennes » qui « guérissent » si vite les enfants ! Romain était bien « guéri » et, de ces guérisons-là, chacun d’entre nous en connaît à foison. Je lui proposai donc, avec l’accord de ses parents, que nous cessions de nous voir et de me téléphoner s’il voulait revenir, s’il voulait me parler. Il le fit deux ou trois fois. Mais bien sûr, j’ai fait ce qu’à sa façon, il me demandait. Le système thérapeutique étant créé, Monsieur et Madame, rassurés, acceptèrent de poursuivre. Et je pouvais alors leur proposer d’ouvrir d’autres portes.

45Lors du travail sur leurs métaphores relationnelles, Madame donna de Monsieur la représentation suivante : « C’est un taureau dans une prairie. La prairie est toute remplie de fleurs et le taureau semble en colère. En fait, il y a comme deux parties à mon tableau, séparées au milieu par une ligne pas très droite, faite au pinceau, et par un soleil dans la partie supérieure du tableau. Le fond du tableau est imprécis. On voit le taureau de trois quarts, il est en colère, on voit bien ses cornes, il est dans la partie droite du tableau qui fait penser à la peinture de Vélasquez ou de Le Caravage et sa tête est penchée vers la partie gauche du tableau, celle qui est fleurie. »

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46Avec la baguette magique que je lui tends, Madame efface la colère du taureau et « unifie » le tableau.

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47Les risques au bon changement dans son image sont les suivants : j’aime la force de l’image de droite ; si sur la partie droite de l’image disparaissent les signes de colère du taureau… le tableau risque de devenir mièvre et, de plus, l’animal perdrait ses moyens de défense.

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48Risques immenses : la mièvrerie et la vulnérabilité. Risques qui, comme souvent, sont « spectaculaires » et disent l’ambivalence face au changement explicitement demandé à l’autre du couple. Autre qui reçoit bien souvent le message comme il est : « change mais ne change pas ».

49Quant à Monsieur, il lui fut – bien évidemment compte tenu des dangers – très difficile, à l’entretien suivant, d’embarquer dans ce travail sur les métaphores, de parler de son image, de se laisser aller à l’explorer. Il était sur ses gardes, tendu et dans un contrôle sans faille de ses émotions.

50En effet, comment se dé-carapacer – ce que Madame lui demandait, bien sûr – au risque de la perdre – elle qui méprisait tant la mièvrerie?

51Cette illustration nous montre un premier niveau : la construction métaphorique du partenaire dans une thérapie de couples. La façon dont Madame apparaît dans sa représentation métaphorique de Monsieur n’est pas abordée ici et le changement souhaité s’opère uniquement sur l’image du partenaire. Ce n’est que dans la suite de la thérapie qu’émergera la complémentarité des fonctions.

52Édith Tilmans-Ostyn (1990) propose le travail sur les métaphores relationnelles lorsque la thérapie est déjà bien avancée, quand d’autres approches tournent à vide ou sont contreproductives parce que le système thérapeutique stagne dans du répétitif ou de l’événementiel.

53Je le fais le plus fréquemment dès l’instauration d’un système thérapeutique suffisamment « en confiance », mais au début de la thérapie.

54Quoi qu’il en soit et quel que soit le moment où l’on propose ce travail sur les métaphores, il s’agit de mobiliser les partenaires à un niveau qui échappe au contrôle rationnel, ce pour leur permettre l’accès à une autre « lecture » de leur relation et de ce qui y est en jeu.

55Voici, pour conclure cet article, une histoire, celle d’un couple étiqueté « stérile » et en désir d’enfant, Françoise et Jérôme. Celle-ci nous permet d’illustrer les métaphores relationnelles dans l’ensemble du processus thérapeutique. « Remplir un couffin », c’est ce que Françoise et Jérôme feraient avec la baguette magique que je leur tends, à notre première rencontre.

56L’explicite, nous dit le Petit Robert, c’est "ce qui est réellement exprimé". Je ne le pense pas. L’explicite, c’est simplement ce qui est exprimé, mais pas réellement.

57Ce qui est réellement exprimé, bien souvent on l’ignore.

58Françoise et Jérôme ont tenté plusieurs fécondations in vitro, dont la deuxième s’est « clôturée » par un avortement inexpliqué à trois semaines de grossesse. Ils se disent à bout de ressources, n’arrivant plus à communiquer paisiblement. Disent aussi « l’invasion permanente » de leurs familles, Monsieur définissant la sienne comme « un système carcéral et de domination ».

59Génogramme faisant, je leur demande à qui ce serait une gifle s’il y avait moins de souffrance pour eux, Monsieur répond « à l’ensemble de la famille », et Madame « ce serait une claque à la fatalité ».

60« À qui ce serait une gifle ? », cette question bizarre et en mauvais français, de surcroît, je la pose souvent, très souvent. Et suis toujours surprise par le fait que les personnes, souvent, très souvent, y répondent tout naturellement. Comme si je demandais n’importe quoi de « simple », alors qu’il y a là tant de complexité. Quoi de plus tortueux, en effet, que les loyautés qui entravent ? Quoi de plus périlleux que les autorisations à se donner ?

61C’était leur sac à dos individuel que Françoise et Jérôme avaient d’abord – et ensemble – à fouiller…

62C’est donc cela que nous avons travaillé, sans plus jamais – comme toujours – parler du « symptôme », parler du bébé.

63Ils ne pouvaient en avoir… mais comment fonder une famille quand les familles pèsent si lourd ?

64Je leur propose, comme je fais souvent en début donc de thérapie de couples, un travail sur des métaphores.

65Voici l’image que Françoise donne de Jérôme : « Un coin de nature vierge. Un étang autour duquel grouillent plein de choses. Une grenouille bleue, comme imaginaire. » Tous deux pleurent à cet instant, car cette grenouille, me disent-ils, ils l’ont vraiment vue. « Des libellules de couleur. Et, dans le ciel, un grand oiseau qui vient faire une tache sombre sur la surface de l’eau. De gros nuages, ouatés, de beau temps. » Et puis, quelques questions encore pour mieux voir, quelques questions pour mieux sentir. Le tableau se précise, l’ambiance s’affine. « C’est le début de l’été. On entend les bruits de la nature. Le tableau est accroché, tout seul, sur un grand mur, dans le salon, au-dessus du feu ouvert. Le peintre, c’est un ami de ses parents qui le connaît bien, depuis qu’il est tout petit. »

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66Jérôme est ému. Se reconnaît dans ce tableau. En aime le contexte, la paix qui s’en dégage. Françoise dit, Françoise chuchote : « Si on se connaît si bien et que je peux si bien savoir ce qui te touche, comment peut-on se déchirer ainsi ! En racontant ce tableau, je me sens proche de ce toi, là. »

67Comment s’est-elle représentée dans ce tableau ? « Un papillon, très grand, bleu turquoise, sur une tige qui danse au vent. De taille un peu démesurée par rapport au tableau. »

68Je lui tends ma baguette magique, pour un bon changement au tableau. « Je le fais devenir réel et rentre dedans, comme Alice aux pays des merveilles. » Et au sein du tableau ? « J’y mettrais un beau scarabée tout noir et tout brillant, très beau. »

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69Quels sont les risques à ce bon changement ? « Que quelqu’un rentre dans le tableau et qu’on l’écrase ; s’il tombe dans l’eau, il pourrait peut-être se débrouiller. Que l’eau stagne, que les libellules ne viennent plus. Que tout se dégrade. Que des gens débarquent et viennent piétiner. »

70Si elle peut y entrer, d’autres le peuvent. Et si un scarabée-bébé, il aurait peut-être du mal à survivre… Ils avaient dit, la première fois, le suicide d’une nièce dont ils étaient très proches.

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71La fois suivante, nous travaillerons, de la même manière, l’autre métaphore. Et celles d’après, les « il était une fois ». Tant de souffrances et tant de peines – punitions, efforts. Les titres qu’ils leur donnèrent étaient « Solitude et noirceur » et « Amertume ». Ils se sont adressés à ces absents bien trop présents, à tour de rôle sur chaise vide. Et ils ont repéré les mécanismes de survie, venus d’enfance, qui faisaient aujourd’hui divorce émotionnel.

72Le travail sur leurs métaphores relationnelles nous avait permis d’aller « au plus vrai » et de poursuivre sans artifice…

73Un peu plus d’une année s’était écoulée. Ils avaient construit ce qu’ils appelaient « un périmètre de sécurité », ils y avaient prévu ce qu’ils appelaient « un cagibi » où ils avaient entreposé des sacs à dos dont ils connaissaient désormais le contenu. Ils s’étaient offert une (vraie) lampe – l’objet lampe – comme cadeau au couple ! Et faisaient, à nouveau, du feu dans la cheminée…

74Je propose d’espacer nos rencontres. Et, peu après, fixe les trois dernières fois, à deux mois d’intervalle.

75La première de ces trois fois, je leur propose de tenter à deux de « décrire leur couple », le personnage-couple. Corrigeant, précisant, complices, ils le dépeignent ainsi: "Féminin. Grand. Enveloppé. En bonne santé, pas rabougri. Quelque chose de doux. Anti-conformiste. Comme un homme aux cheveux longs. Une cicatrice. Regard perçant. Assez discret. Assis par terre, dans une position confortable. Il pense. Soleil dans le dos. Plein de chants dans la tête. Plein de couleurs dans les vêtements."

76Il va bien. Il a une cicatrice. Il pense.

77Et l’on reparle de l’enfant, dont nous n’avions plus jamais parlé depuis la première et seule fois. Ils y ont repensé. Ils disent qu’ « il est hors de question de se faire à nouveau triturer dans un labo », que « s’il arrive, un jour, il sera le bienvenu », que « ce serait, néanmoins, une telle perturbation », que « nous serions trop vieux lorsqu’il aurait 20 ans », que « nous nous sommes adaptés à notre vie ».

78Ils y ont repensé. Re ? Ou, pour une première fois, réellement « pensé ». Comme lorsque l’on dit – parce que l’on sait – que penser est révolutionnaire. Comme si cette question de l’enfant ne pouvait même pas se penser, avant. Comme s’il y avait "impossibilité" d’en avoir et impossibilité de penser un choix. Choix présent, désormais.

79À notre dernière rencontre, ils arrivent – bien sûr, comme souvent – en crise. Ce sera néanmoins, la dernière. Comme prévu. Parce qu’ils attendent de moi, me semble-t-il, que je montre la confiance faite à leur couple, comme confirmation de celle qu’eux lui font. Et je leur demande de me faire parvenir, quatre mois plus tard, une carte qui, par ce qu’elle montre, dirait comment ils vont.

80Je l’ai bien reçue, à la date prévue. Déposée dans ma boîte aux lettres. Magnifique. Sous un ciel, à la fois bleu et nuageux, des toiles à la fois bien ancrées et que le vent atteint, aux couleurs à la fois distinctes et mêlées.

81Une métaphore, une de plus. De la vie et du couple.

Bibliographie

Références et lectures conseillées

  • de SAINT-GEORGES M.-C. (2004) : L’Éveil de l’artiste dans le thérapeute : Le Modèle de Formation développé par Édith Tilmans-Ostyn. De Boeck, Bruxelles.
  • DESSOY E (1993) : Le milieu humain. Thérapie familiale 14 (4) : 311-330.
  • ELKAÏM M. (1989) : Si tu m’aimes, ne m’aime pas. (p.175.) Seuil, Paris.
  • LABAKI C. & DUC MARWOOD A. (2012) : Langages métaphoriques dans la rencontre, en formation et en thérapie. Sur les traces d’Édith Tilmans-Ostyn. Érès, Toulouse.
  • NICOLO A.M (1980) : L’emploi de la métaphore en thérapie familiale. Thérapie Familiale 4 :301-324.
  • TILMANS-OSTYN É. & MEYNCKENS- FOUREZ M. (1999) : Les Ressources de la fratrie. Érès, Toulouse.
  • TILMANS-OSTYN É. (1990) : La Systémique et l’Art : L’Art de l’approche systémique : Développement de l’utilisation du soi du thérapeute, une phrase de formation en thérapie familiale. Thérapie Familiale Genève, 11(2) : 127-138.

Mots-clés éditeurs : métaphore, langages métaphoriques, métaphore individuelle, métaphores relationnelles, outil

Mise en ligne 14/08/2012

https://doi.org/10.3917/ctf.048.0135

Notes

  • [1]
    Le texte de cet article est issu de l’ouvrage « Langages métaphoriques dans la rencontre, en formation et en thérapie. Sur les traces d’Édith Tilmans-Ostyn. » co-écrit par Camille Labaki et Alessandra Duc Marwood, (Erès. 2012).
  • [2]
    Psychologue-psychothérapeute systémicienne, formatrice au CEFORES, Chapelle-aux-Champs, U.C.L.
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