Notes
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[1]
Psychiatre, psychothérapeute, professeur associé. Département de Psychiatrie de la Faculté de Biologie et Médecine à Lausanne, Suisse. Formateur au Cerfasy à Neuchâtel, Suisse et à « Scuola di psicoterapia Mara Selvini Palazzoli » à Milan.
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Médecin, spécialiste en neurologie, psychothérapeute, formateur à « Scuola di psicoterapia Mara Selvini Palazzoli » à Milan.
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Les structures cérébrales ne peuvent pas éclairer seules le vécu intersubjectif qui est dépendant de bien d’autres éléments tels que l’environnement et la culture. Nous ne pouvons pas passer du neurobiologique au relationnel sans prendre en compte la complexité infinie des variables intervenant dans la relation intersubjective. Les modèles sociaux donnent aussi un éclairage riche sur la construction des relations intersubjective que nous avons décidé de ne point aborder ici.
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[4]
La mémoire explicite peut être évoquée dans la conscience et son contenu peut être verbalisé par les paroles. On la divise d’ordinaire en mémoire sémantique et épisodique. Nous faisons appel à ce type de mémoire pour reconstruire notre propre histoire.
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[5]
Passer de la plasticité neuronale aux changements psychothérapeutiques constitue un saut énorme, eu égard à la complexité du vivant et de ses racines culturelles et sociales ; pourtant, des avancées intéressantes ont été ouvertes par Paris (2008), Ratcliffe (2008) et Kandel (2005).
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[6]
Nous nous référons ici à la place importante qu’a la vision dans l’ensemble des perceptions ; elle n’est cependant pas exclusive (Merleau-Ponty, 1945).
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[7]
Cette intersubjectivité est liée aussi au sentiment d’appartenance à une même communauté : si « ce que tu fais est similaire à ce que je fais ou que je pourrais faire, alors je deviens d’une certaine manière ton semblable ».
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[8]
La théorie générale des systèmes postule que les éléments d’un système se réorganisent en fonction de l’introduction du sujet dans des nouveaux contextes.
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Roustang (2002)
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Nous remercions chaleureusement les personnes qui ont relu le manuscrit et qui nous ont fait bénéficier de leurs critiques et de leurs encouragements : M. Gennart, C. Marin, Z. Stokart.
Biologie et corporéité
1La phénoménologie est l’une des orientations majeures de la philosophie du XXe s. Elle a été le point de départ d’un renouvellement du paradigme de la psychologie et de la psychiatrie (Straus, 1956 ; Binswanger, 1957 ; Jaspers, 2000), de la biologie et de la médecine (von Weizsaecker, 1940 ; Buytendijk, 1948). Moins que l’unité d’une doctrine, c’est le recours à une même méthode qui rassemble les penseurs qui s’en réclament. C’est en référence à ces penseurs que nous pouvons partager quelques réflexions autour du thème de biologie et psychothérapie. La raison pour laquelle nous nous aventurerons en tant que thérapeutes sur le terrain de la neurobiologie qui nous est peu familier, réside en ceci qu’elle apporte un nouvel éclairage, en mettant en évidence les soubassements biologiques de la manière d’entrer en relation avec les autres et en particulier avec ceux qui ont choisi une profession de soins.
2Nous approcherons tout d’abord la biologie sous l’angle de la phénoménologie. La vie biologique ne peut être pensée dans une perspective phénoménologique si l’on cultive la croyance que la vie est une quelconque matière vivante impersonnelle. « La vie biologique s’accomplit au travers d’un organisme à qui il appartient essentiellement de se mouvoir et de sentir (soi-même et l’autre) – ce qui pourrait être une définition très sommaire de ce qu’est exister (ex-sistere, se tenir debout hors… de soi). » (Gennart, 2008). La vie biologique s’incarne d’abord dans le corps propre de la personne.
3Réalisant notre présence au monde, notre corps réalise encore notre présence l’un à l’autre. La corporéité se manifeste comme une adhésion au monde, une liaison à la réalité des choses, une présence qui s’accorde d’abord, de façon pré-réfléchie, à la présence corporelle de l’autre. Nous reviendrons ensuite sur le sens que l’on peut donner à l’adjectif « pré-réfléchi » qui est éclairé d’une lumière nouvelle par la neurobiologie.
4« Comme tel, le corps vivant […] est toujours aussi dans un échange intime et constitutif avec ce qui n’est pas lui-même et est autre que lui-même – ce qui fait la fondamentale ouverture, incomplétude du sujet vivant, et le définit comme existant », (Gennart, 2008). L’être humain en somme découvre soi-même, comme le soutenait Merlau-Ponty, comme ce corps qui est seulement à travers la relation avec l’autre.
5« Toutes les grandes fonctions biologiques […] portent à leur manière la marque de cette condition originaire et paradoxale du sujet vivant qui consiste à être un soi en échange avec de l’autre, mêlé à l’autre dans un mouvement de s’unir et de se séparer. C’est dire aussi que la subjectivité à laquelle on a affaire lorsque l’on s’intéresse au vivant ne peut absolument pas être assimilée au psychique » (Gennart, 2008).
Approche phénoménologique de la maladie mentale
6La description détaillée des phénomènes mentaux chez les patients graves ou psychotiques auxquels s’est particulièrement intéressée la phénoménologie psychiatrique a eu comme conséquence d’éclairer des phénomènes mentaux avec leur spécificité (par exemple délires, hallucinations) dans une analyse approfondie de la présence à l’autre, au temps et à l’espace (Jaspers, 2000 ; Biswanger, 1971). Celle-ci a cherché à circonscrire la dimension pathique (Vannotti & Gennart 2006) de la souffrance exprimée par le patient.
7Nombre d’auteurs se sont intéressés aux altérations du vécu corporel et aux perceptions des personnes affligées d’une grave maladie mentale. Or, dans la pathologie psychiatrique grave, nous avons à comprendre à la fois le mode particulier d’être au monde du patient, sa manière de vivre son corps, d’exprimer son vécu et à la fois la « danse corporelle » qui se tisse d’abord avec l’entourage et – dans ce qui nous occupe ici – avec les soignants.
8La maladie mentale, approchée en son niveau de réalité phénoménologique – non pas telle qu’on peut l’objectiver en faisant abstraction du sujet vivant qui la porte, mais telle qu’elle se réalise dans le monde de la vie « avant » toute intervention thérapeutique – peut se définir comme ce processus par lequel le sujet subit une atteinte à son être. Des modifications peuvent survenir au niveau biologique, mais la maladie et le pâtir ne deviennent des données phénoménologiques réelles qu’à partir du moment où le niveau « personne » est impliqué, c’est-à-dire à partir du moment où le sujet fait l’expérience d’un malaise ou d’une détresse.
9La phénoménologie a ainsi considéré la maladie psychiatrique comme une manifestation des difficultés à être, à être au monde, aux autres et à soi-même (Dasein) sans recourir, pour déchiffrer les comportements complexes et parfois bizarres des personnes affligées par un syndrome psychotique majeur, aux déchirures liées au conflit conscient – inconscient.
10Pour la phénoménologie, l’inconscient existe seulement “pour ainsi dire”. L’inconscient, pour le phénoménologue, est une complication de la conscience – il est une conscience qui oublie d’être telle. La phénoménologie essaie de réintégrer dans l’intentionnalité – donc dans la conscience – ce qui pour Freud restait inconscient, c’est-à-dire ce qui était saisissable seulement à travers des médiations interprétatives complexes, à travers des machines psychiques. Pour les phénoménologues «… notre subjectivité au sens de la subjectivité de la vie […], nous ne la connaissons pas forcément nous-mêmes ; elle est largement non consciente (unaware), non pas forcément au sens où elle aurait été refoulée, mais au sens où elle est intimement complice de la matérialité et du mouvement de la vie en nous, et n’a pas besoin de la conscience pour s’accomplir. La conscience, elle, arrive toujours après-coup… » (Gennart, 2008).
La psychanalyse, la thérapie d’orientation systémique et la phénoménologie sont toutes en train de s’intéresser à la différence qui est devenue progressivement plus évidente et qui distingue l’inconscient dynamique freudien (unconscious) et le non-conscient (unaware), qui s’identifie dans une série d’expériences inscrites et non refoulées de l’époque pré-verbale de l’enfance, qui se sont déposées dans la mémoire implicite. Cette dernière acception de non-conscient (unaware) naît des acquisitions conjointes tout d’abord des études phénoménologiques, mais ensuite de l’expérience des recherches de cliniciens qui se sont intéressés à l’attachement et des découvertes récentes de la neurobiologie.
Découvertes de la neurobiologie et de la neuropsychologie
11Les neurosciences soulignent l’importance et les conséquences du vécu de la relation entre soi et le monde extérieur dans la formation des structures cérébrales. De telles découvertes interviennent dans la compréhension de la relation intersubjective qui se noue dans le processus psychothérapeutique [ 3]. Elles nous permettent de mieux saisir la communication intercorporelle, le mouvement, la perception, la genèse de la mémoire et de ses manifestations, sans faire nécessairement référence ni à la conscience ni à l’inconscient.
12La neurobiologie (de Lange et al., 2008 ; Farioli-Vecchioli et al., 2008 ; De Chastelaine et al., 2008 ; Ramkin, 2008) a mis en évidence l’existence de modalités différentes et séparées de codifier dans la mémoire l’expérience de soi en relation à l’autre, suivant la progression et le développement du sujet et de son appareil mental.
13Les relations dyadiques et triadiques avec les figures d’attachement, en particulier dans les deux premières années de vie, sont rangées dans la mémoire procédurale implicite. Ce processus se déroule sur deux voies qui procèdent ensuite parallèlement, tout au long de la vie, en s’influençant mutuellement.
La première réside dans la composante émotionnelle et motrice, préverbale, inscrite dans la mémoire procédurale, que l’on peut définir encore comme connaissance relationnelle implicite. Elle ne peut pas être reconduite à la conscience. La deuxième a trait à la composante déclarative, entreposée sous la forme de constructions sémantiques ou épisodiques, que l’on peut – ou pas – refouler, et que l’on peut récupérer sous la forme de souvenirs ou d’intentionnalité consciente. Ces différentes compétences du sujet trouvent la base de leur fonctionnement en différentes localisations cérébrales, sous-corticales et corticales, et le développement des structures neuronales qui les caractérise rend compte de leurs particularités intrinsèquement différentes.
Imprinting procédural sous-cortical
14Des structures corticales comme l’hippocampe et le cortex préfrontal participent en première ligne à l’élaboration du sens à donner à l’expérience émotionnelle et corporelle chez l’adulte. Chez le tout jeune enfant, en raison de l’immaturité de son cortex, les schèmes relationnels sont d’abord enregistrés dans des aires cérébrales sous-corticales qui restent d’ordinaire en dehors de la conscience. Ces expériences restent toutefois inscrites dans la mémoire implicite ou non déclarative (par opposition à la mémoire explicite) [ 4]. Cette mémoire implicite se relie à des expériences non conscientes et, en quelque sorte oubliées ; elle se consolide, dans les circuits sous-corticaux, avant même que l’enfant ait acquis la capacité d’accéder à une compréhension des événements qui le touchent et qui modifient son état mental. C’est en effet la raison pour laquelle de telles expériences demeurent au-dehors de la possibilité d’être élaborées dans une pensée exprimable au travers des paroles.
15L’enfant est en mesure d’attribuer un sens à ses relations avec son milieu et de construire des narrations toujours plus complexes à partir de l’achèvement de la maturation de l’hippocampe et du cortex préfrontal.
16La mémoire procédurale, de son côté, est la mémoire des expériences motrices. C’est la mémoire des “danses” faites par le bébé pour captiver l’attention des parents (Fivaz & Corboz, 2001 ; Stern, 1995), qui se traduisent, par exemple, dans la manière d’être intercorporellement avec l’autre. Comme la danse de l’enfant avec ses deux parents, nos attitudes corporelles sont accomplies d’une manière automatique et elles ne rejoignent que rarement le niveau de conscience.
17Il y a enfin une mémoire émotionnelle qui touche justement les émotions vécues lors de certaines expériences, notamment celles qui caractérisent les relations d’attachement de l’enfant avec les figures primaires de soin.
18La mémoire implicite conserve des schèmes intercorporels sensori-moteurs et émotionnels de la relation d’attachement et de soins qui restent, comme nous l’avons vu, dans le domaine du non-conscient.
Les expériences et les schèmes relationnels qui sont conservés sous une forme non déclarative dans le substrat biologique du cerveau, peuvent se révéler dans des attitudes et dans des comportements moteurs et émotionnels des sujets (Mancia, 2004). Cependant, de telles expériences deviennent particulièrement évidentes et décodables dans les situations relationnelles intenses ou critiques, même si elles ne sont pas exprimables par des mots. Il s’agit de contextes dans lesquels les conditions de la rencontre interpersonnelle (intenses ou critiques) viennent mettre en danger la conservation du Modèle Opérationnel Interne du sujet (Bowlby, 1969). Il s’agit d’expériences que l’on retrouve au cours d’un processus psychothérapeutique.
Neuroplasticité
19De récentes découvertes ont démontré que le sujet enrichit ses différentes formes d’apprentissage en fonction des expériences qu’il traverse grâce à la flexibilité, à la plasticité de ses neurones. C’est celle-ci qui permet l’adaptation stable du sujet aux requêtes d’un milieu toujours en mouvement. La neuroplasticité est à la base du processus d’apprentissage et de la mémoire, de la récupération après un dommage cérébral comme des adaptations pathologiques qui mènent à des troubles du comportement. La plasticité neuronale définit l’habileté du cerveau de se façonner soi-même à travers une continuelle transformation des vieilles synapses et de la création de nouvelles connexions.
20La plasticité neuronale est plus importante pendant les stades précoces du développement, mais elle demeure un phénomène à l’œuvre dans le cerveau de l’adulte. Il a été démontré que chez l’adulte un certain degré de transformations des connexions survient à la suite d’expériences marquantes (Siegel, 2001).
21Ansermet & Magistretti (2004) proposent une rencontre originale entre deux disciplines souvent considérées comme antagonistes : la psychanalyse et les neurosciences. Le point de rencontre entre ces disciplines est représenté par les mécanismes de plasticité neuronale grâce auxquels le sujet reste ouvert aux changements et aux transformations véhiculées par l’expérience psychothérapeutique.
22L’intérêt de leurs hypothèses consiste en ceci : c’est la parole, instrument essentiel de la cure, qui peut agir en dernière instance sur les synapses et transformer “plastiquement” les bases anatomo-fonctionnelles de centres cérébraux qui interviennent dans les changements de la personnalité de l’analysé et dans la relation intersubjective avec le thérapeute [5].
Le langage verbal ne suffit cependant pas pour construire la relation ; le verbe est accompagné d’un co-texte, d’indices para-verbaux (la prosodie, la gestuelle) et il est prononcé dans un contexte, au sein de rapports hiérarchiques (Cosnier, 1981) ; la parole, l’expression verbale suit – et non précède – la réalisation de la proximité émotionnelle, de l’intuition de l’autre qui vont moduler son sens. Dans la relation humaine, dans le face à face entre thérapeute et patient, la communication implique l’ensemble du corps, des expressions faciales, des postures, du mouvement et des gestes, de la distance adoptée, etc. C’est la raison pour laquelle nous postulons que la nature de cette relation est intercorporelle et ne se limite pas au verbe.
Les neurones miroirs et l’imitation
23L’homme est un être social qui, pour grandir et vivre, a besoin de la relation avec ses semblables. Un des mécanismes fondamentaux de l’interaction consiste dans l’imitation. Les récentes découvertes relatives à la population neuronale des neurones miroirs (Ratcliffe, 2008 ; Rizzolatti & Sinigaglia, 2006) soulignent l’aspect moteur imitatif de nos apprentissages. Nous commençons par imiter le geste de l’autre.
24C’est par le corps que nous explorons le monde, c’est par imitation que nous apprenons à commercer avec notre interlocuteur. Par rapport aux modèles classiques des sciences cognitives qui se basent d’ordinaire sur les aspects de la perception et donc sur le voir [ 6], les neurones miroirs nous apprennent qu’à la base de certaines formes de connaissance, il y a l’action.
25Ceci demeure vrai aussi dans le domaine de la psychothérapie. Comme déjà évoqué (Real del Sarte & Vannotti, 1991), le travail thérapeutique s’articule tout aussi bien sur la représentation (de la souffrance, de l’histoire, de la relation) que sur l’agir. Même du point de vue psychogénétique, le faire est la condition préalable au processus de représentation.
26Dans la réalité, nous arrivons à imiter des gestes, mais nous ne savons pas comment il devient possible de les exécuter. Lorsque nous observons un autre accomplir une certaine action, s’activent dans notre cerveau les mêmes neurones qui se mettent en marche lorsque c’est nous qui accomplissons cette même action. Nous pouvons imiter l’action de l’autre parce que notre cerveau est préprogrammé à résonner en syntonie avec celui de la personne que nous observons. Il s’agit là d’une communication non linguistique entre activités mentales.
27La subjectivité humaine naît au travers d’un fonctionnement mental façonné par des processus d’imitation. L’aspect le plus important d’un point de vue psychologique et philosophique de ces découvertes est que la subjectivité humaine est en réalité une intersubjectivité originelle [ 7].
28Les phénoménologues (Merleau-Ponty et Biswanger) ont certainement été les premiers à introduire cette notion qui s’oppose à la mise en avant de l’individualisme d’une partie importante de la psychologie contemporaine. La neurobiologie, par des recherches basées sur la méthode qui lui est propre, apporte quelque preuve de cette intersubjectivité originelle.
Discontinuité, croissance et traumatisme
29Par traumatisme, nous n’entendons pas nous référer nécessairement à des expériences de mauvais traitements ou d’abus pendant l’enfance. Ces expériences représentent des conditions de désorganisation majeure des compétences mentales et une profonde atteinte du Soi. Nous aimerions plutôt faire référence à une conception du développement qui considère la stratification des expériences dans le vécu du sujet comme étant le produit des relations qui procèdent par des passages successifs de rupture et de réparation.
30Les transitions et les changements qui interviennent dans le milieu intersubjectif vont créer une connaissance relationnelle implicite toujours plus cohérente [ 8]. Stern (1998) affirme que dans la progression de la connaissance relationnelle se répètent “des schèmes, des modalités d’être avec l’autre, schèmes micro-interactifs qui comprennent la gestion des erreurs, des ruptures”, des malentendus et qui permettent aussi une attitude de réparation et de restauration. Il s’agit là des éléments de base des modèles opérationnels internes de Bowlby : ils ne sont pas présents sur un plan de conscience, mais ils sont intrapsychiquement distincts de ce qui est refoulé. En suivant ce parcours théorique on arrive à la considération que la vie biologique du sujet peut se modifier par rapport aux événements défavorables, aux conditions et même aux dispositions désavantageuses selon deux modalités préférentielles :
311. À travers les mécanismes de refoulement du souvenir, de la conscience qui concerne la nécessité de cacher, déformer ou minimiser la perception de la souffrance. Un tel refoulement peut cependant être verbalisé grâce à la patiente reconstruction des histoires du sujet.
322. À travers les mécanismes de dissociation de soi en ce qui concerne les conditions traumatiques qui rentrent dans le domaine de la mémoire implicite.
33Bromberg (1994) nous dit que le processus de la dissociation est à la base du fonctionnement mental humain pour la stabilité et la croissance de la personnalité. La dissociation est un mécanisme fortement adaptatif.
Bromberg soutient encore que le processus évolutif qui facilite la transition entre état et conscience dérive de la capacité qu’a une personne en bonne santé de rendre acceptable la conscience des changements. Il s’agit d’une conquête fortement facilitée par la présence d’un soignant qui, à travers un processus de régulation réciproque, aide l’enfant à atteindre les transitions d’états non traumatiques au travers de réponses adéquates accueillantes et empathiques du sujet.
Dimension relationnelle du soin
34Le devenir de l’être humain, dès la naissance, est constamment façonné par les expériences bienfaisantes et traumatiques qui traversent sa vie relationnelle. Toutes induisent des modifications des circuits neuronaux corticaux et sous-corticaux du sujet, mais les expériences nocives, subites, inattendues, survenant de la part d’un semblable, engendrent des effets d’une ampleur d’ordinaire plus marquée que ceux qui sont produits par une expérience rassurante.
35C’est la raison pour laquelle, à la suite d’un traumatisme même unique, des expériences relationnelles et émotionnelles peuvent devenir correctrices seulement dans leurs répétitions, dans leur reproductibilité. Cette correction est rendue possible, entre autres, grâce à la plasticité neuronale et à ce système fantastique d’apprentissage qu’est l’imitation. Les expériences bienfaisantes peuvent activer des circuits neuronaux alternatifs ; ces circuits deviennent plus stables à mesure que les expériences structurantes se répètent dans le temps.
Le temps de la thérapie
36Les expériences structurantes s’inscrivent alors dans une double dimension du temps : d’abord celui du moment présent, celui des instants d’empathie et d’accueil qui émergent avec immédiateté dans la séance. Il s’agit de courts moments, de la durée de quelques secondes, qui ponctuent l’une ou l’autre séance, mais qui n’arrivent pas nécessairement au niveau de conscience dans toutes les séances. Malgré leur brièveté, il s’agit de stimuli qui agissent répétitivement sur les soubassements biologiques de notre cerveau.
37Il y a ensuite le temps long du processus de thérapie. C’est le temps de la répétition d’expériences réparatrices, de la réassurance et de la compréhension. La permanence d’un cadre thérapeutique, source d’expériences correctrices, contribue fortement à la construction d’une relation caractérisée par la “continuité” et la “fiabilité”. Le changement induit par ce processus prolongé n’est pas décodable de fois en fois, mais il est façonné par l’activation, répétée dans le temps, de circuits neuronaux alternatifs qui doivent être progressivement "entraînés".
Comment faire, alors, pour que la rencontre thérapeutique devienne une source de bonnes expériences ?
Rôle actif du thérapeute
38Une première voie réside assurément dans l’implication personnelle du soignant à l’égard du patient. Cette attitude devrait l’amener à abandonner le mythe de la neutralité à la faveur de la recherche de l’authenticité et de l’accueil des formes multiples de la vie, et non seulement des chemins tortueux de la souffrance.
39L’encouragement adressé au thérapeute d’assumer un rôle actif peut être compris sur deux plans. Le premier consiste dans les références aux savoirs et au savoir-faire propres du thérapeute. La dimension spontanée de la rencontre s’articule avec un travail d’ordre cognitif, c’est-à-dire avec la réflexion autour de la théorie que le thérapeute doit posséder et autour des techniques qu’il emploie. Le thérapeute est, en principe, consciemment actif.
40Le deuxième concerne plutôt l’intentionnalité morale : il s’agit d’orienter le traitement en discriminant le nocif du bienfaisant, de suivre le paradigme de la responsabilité.
41Le psychothérapeute, d’autre part, s’insère activement dans le champ de la relation de manière non nécessairement consciente. Son interaction avec le patient est façonnée par son histoire personnelle, par ses propres résonances. Celles-ci sont activement stimulées par le patient ou par sa famille. Le thérapeute subit l’influence de la mémoire implicite qui concerne des schèmes intercorporels, sensori-moteurs et émotionnels non conscients de ses propres relations d’attachement et de ses expériences de soins reçus. L’histoire du thérapeute a un retentissement dans la rencontre avec les patients, retentissement auquel il doit activement prêter attention.
Rencontrer intersubjectivement le patient
42La relation thérapeutique constitue une figure particulière de la relation intersubjective. Celle-ci est considérée comme un processus à travers lequel des liens se nouent entre les êtres humains, liens qui contribuent à créer l’identité du sujet et sa dimension sociale. Dans la relation, nous apprenons qui nous sommes : notre sentiment d’identité est fondé sur la manière dont nous interagissons et sur l’appréciation que les autres nous adressent. C’est la voie par laquelle nous faisons l’expérience que notre subjectivité est originellement une intersubjectivité.
43L’intersubjectivité est le sens de l’expérience partagée, qui émerge de la réciprocité. Ce sens détermine une différenciation de base entre soi et l’autre à travers la capacité à comparer son expérience propre à celle de l’autre, et, en même temps, à se projeter dans la position l’un de l’autre pour arriver à l’émergence d’une conscience de soi intégrée à celle d’autrui (Rochat, 2003).
44L’intersubjectivité doit être considérée comme l’expérience qui se co-construit lorsque deux ou plusieurs personnes se rencontrent. Dans la relation, une série d’ajustements se met en œuvre pour que thérapeutes et patients puissent communiquer et se répondre l’un à l’autre. Ces ajustements sont rendus possibles justement par les capacités d’entrer en syntonie et de fournir des réponses corporelles spontanées et de ré - élaboration émotionnelle et cognitive.
45Lorsque cela advient, se crée un moment particulier que Stern appelle le moment présent. Ces moments surviennent le plus souvent de manière non consciente. Ils sont l’expression de notre mémoire procédural. Il importe pourtant, pour reprendre les termes de Stern (1997), que le thérapeute parvienne à saisir ces "moments présents" où émerge, chez le patient comme chez lui, une émotion significative, et qu’il cherche à en faire un “moment de rencontre”. Il y a – soutient Stern – une sorte d’adaptation immédiate, un ajustement à la singularité de la situation inattendue qui survient de manière non consciente et qui fait que le thérapeute, au moment du surgissement d’une émotion, donne une réponse personnelle et authentique. Cette réponse résulte de sa propre sensibilité et de sa propre expérience, elle porte la propre signature du thérapeute.
46Et c’est par ces réactions verbales et non verbales – surprenantes et immédiates – que chaque partenaire apporte quelque chose d’unique – et d’authentique – lui appartenant en propre en réponse au “moment présent”. Aucune technique ni aucune théorie, précise Stern, ne peut donner compte ou apprendre à répondre de la sorte. C’est une expérience que l’on vit. Probablement l’habileté du thérapeute consiste à rendre conscient, dans l’après-coup, cette émergence en en acceptant la surprise et l’émerveillement.
Il se peut que la qualité ou l’adéquation des réponses du thérapeute se révèlent insuffisantes. Il ne risque cependant pas forcément de compromettre l’issue du traitement. Dans une rencontre qui procède par essais et erreurs, par intuitions et égarements, il est inévitable que cela arrive. La relation est articulée par des ruptures et des processus de correction et de réparation. Seulement si l’inadéquation des réponses se produit trop souvent, les soins peuvent devenir inutiles et nocifs en réactivant le dommage traumatique jusqu’à son niveau neurobiologique, dommage pour lequel le sujet avait cherché un remède.
L’approche empathique
47L’empathie est à la fois un mouvement pulsionnel, pré-réfléchi et une compétence de réélaboration de ce qui émerge dans l’immédiateté de la relation avec l’autre.
48Nous faisons d’abord l’hypothèse que l’élaboration de l’émotion ne dépend pas uniquement de la qualité de son émergence ni de celle de son articulation aux représentations, mais de la réceptivité de l’autre à cet affect et à la réponse que, dans la relation intersubjective, l’autre est capable de nous donner.
49La dimension empathique qui nous habite est préprogrammée dans nos gènes et inscrite dans notre biologie ; elle nous prend en même temps qu’elle prend notre interlocuteur. Les émotions surgissent à notre insu, nous laissant souvent impréparés à cet événement. Nous postulons que l’émotion est au départ corporelle et que la réflexion suit dans l’après-coup.
50Pouvons-nous opérer une distinction entre ce qui est automatique, immédiat, spontané, pulsionnel et pré-réfléchi, comme une contamination affective, de ce qui est intentionnel et réfléchi ?
51L’effort de décoder sommairement ce qui est à l’œuvre de manière mystérieuse et complexe dans la relation intersubjective peut être inscrit dans une dimension intentionnelle réfléchie. Nous, les thérapeutes, faisons preuve d’empathie lorsque nous rencontrons les personnes et lorsque nous accueillons leur souffrance dans sa dimension pathique et dans sa valeur de vie.
52Fait encore partie de la dimension intentionnelle l’action, de saisir les moments d’authenticité qui émergent de manière inattendue et imprévisible dans la relation et qui suscitent l’émerveillement.
53Même si l’émotion émerge spontanément, pour approcher et comprendre le sujet de manière empathique, nous avons à mettre intentionnellement en acte une intelligence de l’autre, de son vécu ; nous avons à nous interroger sur la manifestation émotionnelle de notre interlocuteur et – d’ordinaire avec plus de peine – à chercher à élaborer l’émotion par laquelle nous avons été saisis.
54Un tel processus est certes conditionné par les épreuves qui ont marqué notre histoire et celle de notre famille. Ces manifestations dépendent en somme de l’histoire et des expériences précoces inscrites dans le corps de chaque membre du système en interaction et elles émergent en un moment particulier dans l’interaction elle-même. Nous, les thérapeutes, assumons une attitude authentiquement empathique dès lors que nous promouvons la reconnaissance du patient dans sa singularité, et dès que nous reconnaissons chez nous-mêmes nos propres réactions émotionnelles.
Dans la relation de soins, nous entendons par empathie ce sens qui permet au thérapeute à la fois de ressentir et de comprendre le mode de l’affection du patient en le mettant en relation au sien. L’exercice d’un tel sens de l’empathie suppose l’aptitude du thérapeute à s’engager personnellement et à répondre en son nom à celui qui lui confie sa souffrance, sa révolte ou sa demande de soins (Vannotti, 2006). Lorsque nous comprenons avec empathie, nous favorisons la construction d’une dimension fondamentale de la relation, celle de sa fiabilité.
L’accueil
55Pour Roustang (2002), la relation thérapeutique ne serait pas le lieu du soin, mais le soin lui-même, ainsi que la seule source de changement. Elle serait également l’actualisation de la singularité du patient, de par la prise en compte de la totalité de sa personne. Pour cet auteur, cette posture serait une manière d’approcher le « facteur thérapeutique non spécifique », ce « quelque chose d’insaisissable qui circule entre un thérapeute et son patient [ 9]». Pour lui, chaque thérapeute pourrait faire le constat que ni sa personnalité ni ses caractéristiques propres ne sont en jeu, mais les dimensions humaines qu’il incarne, et qui constitueraient le fondement du soin (Jobin, 2009).
56Pendant les séances de thérapie, le patient (et le cas échéant, les membres de sa famille), expérimente dans son propre corps la valeur d’un milieu protecteur, d’un encadrement sûr qui l’aide à se situer sans honte avec ses propres vulnérabilités et à faire valoir ses propres ressources. Mais de quelle manière accueillir avec bienveillance la vulnérabilité du patient ? Comment lui apprendre à avoir confiance en ses propres ressources ?
57Il y a certes une condition préalable : celle de comprendre la souffrance, la douleur qui ont marqué le patient dans la texture de son corps, dans le déroulement de son histoire. Le thérapeute, à travers l’accueil de la dimension pathique de son patient, amène celui-ci à considérer sa vulnérabilité non pas comme une blessure innommable, mais plutôt comme l’une des caractéristiques de la condition humaine.
58Un tel accueil constitue l’une des tâches majeures du thérapeute. Il s’inscrit dans un paradigme de la responsabilité, qui puise ses sources dans l’œuvre philosophique de Jonas et de Lévinas. La perspective éthique que l’on préconise a d’importants retentissements sur le plan de l’intervention (Benaroyo, 2006). Elle implique notamment que le thérapeute, renonçant à se réfugier à l’égard des patients dans une position de puissance de soignant, développe des facultés d’accueil pour participer, comprendre – au sens phénoménologique du mot – la souffrance du patient ; pour l’encourager dans son parcours thérapeutique, pour mieux en prendre soin.
59Un tel chemin exige une deuxième condition : celle de travailler sur les ressources. Stern estime que les thérapeutes sont formés pour devenir des experts dans l’identification, la classification et la compréhension de tous les types de psychopathologies. Au contraire, dit Stern, ils ne possèdent pas une terminologie codifiée et significative pour les aspects positifs de la vie et doivent recourir aux vertus classiques présentes dans nos cultures. Celles-ci ont toujours existé, même en l’absence de la psychologie : le courage, l’honnêteté, la curiosité, la persévérance, le sens de l’humour et, ajoutons-nous, l’esprit de solidarité et un solide sentiment de responsabilité. Au fond, Stern nous invite à considérer que même la grave souffrance d’un sujet délirant est une expression de vie, de désir de rapprochement et de relation. Si, à la place de l’accueillir pour ce que ce symptôme est, nous sommes obnubilés par le besoin de formuler un diagnostic, de définir le type de psychopathologie, nous ne nous approchons pas de la personne, mais au contraire, nous la réifions comme étant différente de nous, nous thérapeutes apparemment sains.
Les manifestations pathiques que nous rencontrons lors du traitement d’un patient grave ne devraient plus être seulement perceptibles comme un déficit d’existence de l’individu, mais elles seraient mieux comprises dans une perspective relationnelle élargie. En allant encore plus loin : “il y a, en clinique, toute une attention à avoir, toute une pratique à exercer pour soigner la vie psychique à ce niveau de perturbation qui est si proche du phénomène de la vie comme telle” (Gennart, 2008).
Conclusion
60Nous avons vu que le développement des phénomènes mentaux est en lien avec les modalités à travers lesquelles se forment et se généralisent les schèmes relationnels unissant l’enfant aux figures d’attachement, aux personnes qui l’entourent, le soignent et y prêtent attention. Si nous avons fait ce lien entre l’expérience sociale, relationnelle et le fonctionnement mental, l’inverse pose quelques problèmes en raison de la complexité des éléments qui interférent dans la construction de la relation.
61La compréhension du fonctionnement neurobiologique des relations humaines peut-elle vraiment contribuer à penser différemment l’exercice de la psychothérapie ? Il s’agit là d’une question qui interpelle enseignants et formateurs. Nous croyons que le psychothérapeute peut bien se représenter le cerveau du patient, mais cela ne peut pas vraiment l’aider à faire son travail. Une telle préoccupation pourrait même le distraire de la rencontre avec la subjectivité de l’autre. Lorsqu’il cherche à se “syntoniser avec l’esprit (au sens de mind) du patient”, il tente de comprendre la manière particulière de ce dernier de souffrir et de désirer, de dominer ou de se soumettre, mais il ne réfléchit pas spécialement au fonctionnement de ses réseaux neuronaux.
62Nous postulons pourtant que la connaissance des corrélats neurobiologiques des schèmes relationnels du patient (Siegel, 2001) peut se révéler d’une certaine aide pour l’accomplissement d’un travail psychothérapeutique phénoménologiquement fondé.
63Quels rapports pourraient-ils exister alors entre les récentes acquisitions de la neurobiologie et le modèle relationnel et psychothérapeutique qui s’inspire de la phénoménologie ?
64La réponse s’esquisse en suivant trois plans. Le premier serait celui de la “normalité” des processus pathologiques ; le deuxième celui de la similarité et de l’intersubjectivité ; le troisième celui du temps.
65La perspective phénoménologique invite d’abord le thérapeute à renoncer à une représentation déficitaire de l’autre, marquée entre autres par une altération biologique de son fonctionnement mental. Et peu importe si une telle altération est génétiquement déterminée ou si elle est la conséquence d’interactions répétitivement négatives avec l’environnement. L’étroite interdépendance entre expérience existentielle et ajustements synaptiques fait référence à un modèle de développement normal.
66En deuxième lieu, la notion de similarité, comme présupposé pour la compréhension entre les êtres humains, s’enrichit d’aspects d’une plus grande spécificité. En effet, ce n’est pas seulement la conviction que nous sommes faits d’une même matrice organique qui nous permet d’approcher le vécu de l’autre. Pour que nous puissions, dans notre itinéraire personnel, apporter au patient notre solidarité dans un sentiment de compassion pour sa souffrance inscrite dans son itinéraire personnel, il faut d’abord que nous soyons mû par une expérience qui nous enseigne que nous sommes menacés sur un plan existentiel, par les mêmes risques.
67Les composantes innées, pré-câblées de notre substrat neuronal contiennent des principes régulateurs spécifiques qui interagissent continuellement avec ceux de l’autre. Ces phénomènes régulateurs partagés et mutuels sont rendus possibles par la nature même des cellules nerveuses (p.ex. les neurones miroirs) et par leur manière de s’ajuster par rapport aux stimuli relationnels (p.ex. plasticité neuronale).
68C’est un pas en avant dans la connaissance de la nature intime de l’être humain qui accroît la conscience de l’appartenance commune à une même humanité dans une profonde identité et en constant commerce avec l’autre. C’est la voie empruntée par le psychothérapeute dans la construction d’un lien visant le changement qui se révélera forcément réciproque.
69En troisième lieu, la connaissance du fonctionnement neuronal du patient met en avant la nécessité du temps et de l’intensité émotionnelle dont les soignants et les soignés ont besoin pour l’avancement du processus thérapeutique. Dans cette optique, les résistances, les défenses, les rechutes peuvent être comprises non seulement par rapport à leur signification psychique de stratégies d’évitement de la conscience et de la douleur, mais elles peuvent encore être saisies à la lumière de leur substrat biologique.
70Enfin, nous avons avancé que la recherche de l’authenticité, l’accueil de la souffrance d’autrui, l’émergence de moments de rencontre, l’approche empathique, sont autant de moments qui nous indiquent comment une approche phénoménologique ne peut se baser ni sur la communication verbale, ni sur celle non verbale, mais sur le partage d’un vécu qui apparaît dans un moment particulier et qui résonne et s’amplifie chez le thérapeute en fonction de sa propre histoire.
71La composante implicite de la mémoire relationnelle ne peut pas être approchée uniquement par un processus d’introspection. Le problème existentiel du patient n’est pas inscrit dans un code crypté qui nécessite de trouver une clef de traduction dans des mots compréhensibles. L’accent mis sur l’expérience réciproque s’offre à une conception du patient comme malade mental et, comme tel, prêt à répondre à la magie de l’introspection.
Non, c’est vraiment une rencontre intersubjective, inter-corporelle, qui peut amener vers un processus de co-construction mutuelle. La tâche du thérapeute est celle de favoriser un échange humain tout au long du processus thérapeutique. Ce processus au sein d’une relation thérapeutique rigoureuse peut conduire, avec le temps, à modifier d’une manière significative le vécu des expériences et leur fondement neurobiologique chez tous les sujets en présence, et donc aussi chez le thérapeute.
Ce postulat implique une responsabilité supplémentaire pour les thérapeutes : celle d’évaluer en eux-mêmes la croissance de la dimension de l’être favorisée par le travail thérapeutique. Cela revient à dire la responsabilité pour le thérapeute de parcourir avec le patient un cheminement lent et escarpé vers l’accomplissement de sa propre existence. [ 10]
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : neurobiologie, phénoménologie, psychothérapie, vie biologique
Mise en ligne 01/02/2010
https://doi.org/10.3917/ctf.043.0097Notes
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[1]
Psychiatre, psychothérapeute, professeur associé. Département de Psychiatrie de la Faculté de Biologie et Médecine à Lausanne, Suisse. Formateur au Cerfasy à Neuchâtel, Suisse et à « Scuola di psicoterapia Mara Selvini Palazzoli » à Milan.
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[2]
Médecin, spécialiste en neurologie, psychothérapeute, formateur à « Scuola di psicoterapia Mara Selvini Palazzoli » à Milan.
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[3]
Les structures cérébrales ne peuvent pas éclairer seules le vécu intersubjectif qui est dépendant de bien d’autres éléments tels que l’environnement et la culture. Nous ne pouvons pas passer du neurobiologique au relationnel sans prendre en compte la complexité infinie des variables intervenant dans la relation intersubjective. Les modèles sociaux donnent aussi un éclairage riche sur la construction des relations intersubjective que nous avons décidé de ne point aborder ici.
-
[4]
La mémoire explicite peut être évoquée dans la conscience et son contenu peut être verbalisé par les paroles. On la divise d’ordinaire en mémoire sémantique et épisodique. Nous faisons appel à ce type de mémoire pour reconstruire notre propre histoire.
-
[5]
Passer de la plasticité neuronale aux changements psychothérapeutiques constitue un saut énorme, eu égard à la complexité du vivant et de ses racines culturelles et sociales ; pourtant, des avancées intéressantes ont été ouvertes par Paris (2008), Ratcliffe (2008) et Kandel (2005).
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[6]
Nous nous référons ici à la place importante qu’a la vision dans l’ensemble des perceptions ; elle n’est cependant pas exclusive (Merleau-Ponty, 1945).
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[7]
Cette intersubjectivité est liée aussi au sentiment d’appartenance à une même communauté : si « ce que tu fais est similaire à ce que je fais ou que je pourrais faire, alors je deviens d’une certaine manière ton semblable ».
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[8]
La théorie générale des systèmes postule que les éléments d’un système se réorganisent en fonction de l’introduction du sujet dans des nouveaux contextes.
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[9]
Roustang (2002)
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[10]
Nous remercions chaleureusement les personnes qui ont relu le manuscrit et qui nous ont fait bénéficier de leurs critiques et de leurs encouragements : M. Gennart, C. Marin, Z. Stokart.