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Article de revue

Biologie et psychothérapie

Introduction

Pages 5 à 15

1Depuis une vingtaine d’années, les neuroscientifiques se penchent sur les possibles marquages biologiques des composantes psychologiques (cf. Vincent, 1986 ; Damasio, 1999 ; Jeannerod, 2002 ; Edelman, 2007 ; Kandel, 2007; Belzung, 2007). De leur côté mais peut-être plus frileusement, les psychothérapeutes font lentement (mais sans doute de plus en plus sûrement) le chemin en sens inverse, s’ouvrant aux concepts et aux résultats issus des recherches en neurobiologie.

2Pourtant, l’antagonisme a longtemps régné entre les deux domaines, soutenu d’un côté par le sentiment que les explorateurs de l’âme jargonnaient des élucubrations sans chercher à étayer leurs théories par des recherches rigoureuses, et alimenté de l’autre par les craintes de voir les neuroscientifiques réduire toute la psyché et l’esprit à des mécanismes physiologiques et biochimiques.

3Un seul type de références aux sciences dites dures semblait accepté par les psychothérapeutes : celles qui leur permettaient de baliser à partir de métaphores issues de la physique, de la thermodynamique ou de la cybernétique, la topologie du territoire psychique. Cette dernière attitude a d’ailleurs soulevé des mouvements d’humeur chez des universitaires comme Alan Sokal et Jean Bricmont, qui ont considéré qu’il y avait là « rapts » de concepts et qui, d’une certaine manière, se sont dressés tels des gardes rouges, pour interdire l’utilisation de termes scientifiques hors de leur lieu de conception. Ces intégristes du langage semblent ne pas pouvoir accepter l’usage des métaphores pour décrire l’imaginaire et le ressenti, n’attribuant au langage qu’une fonction de représentation tautologique d’une réalité démontrée et fondée sur des évidences.

4Cependant aujourd’hui, nous n’en sommes plus à cette lutte de territoires mais bien à l’aube d’un croisement de domaines passionnants où se rencontrent dans un échange respectueux et intéressé des représentants des deux arènes.

5Ainsi, le prix Nobel de médecine Kandel (2007) retrace cette évolution en rappelant que l’apparition de la psychanalyse au début du XXème siècle constitua une révolution dans la manière de penser l’esprit et ses troubles, qui influença la psychiatrie alors discipline médicale expérimentale étroitement liée à la neurologie. C’est de cette manière que la psychothérapie, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, prit de l’ampleur (vers les années 1950), réduisant de plus en plus l’influence de la psychiatrie biologique. En même temps, ajoute cet auteur, la médecine s’éloigna de « l’art thérapeutique » et se rapprocha d’une science thérapeutique fondée en particulier sur la biochimie et la biologie moléculaire.

6Pourtant, très tôt, Freud a évoqué l’importance des facteurs biologiques : « Comme précisément je me suis en général efforcé de maintenir à distance de la psychologie tout ce qui lui est hétérogène, et même la pensée biologique, je veux avouer ici expressément que l’hypothèse de pulsions du moi et de pulsions sexuelles séparées, et donc la théorie de la libido, repose pour une très petite part sur un fondement psychologique et s’appuie essentiellement sur la biologie. » (Freud, 1914).

7Mais ce sursaut est, semble-t-il, tombé dans l’oubli chez ses disciples et dans les générations de psychothérapeutes, même non psychanalystes, qui se sont succédées.

8Et pourtant, comme le souligne Catherine Belzung (2007, p. 8), docteur en neurosciences, « ce n’est pas parce que l’on observe que le taux de telle molécule est modifié lors de telle émotion que l’on peut déduire que l’émotion n’est rien d’autre que le résultat de la variation du taux de cette molécule. De même, ce n’est pas parce que telle aire cérébrale est activée lors de telle autre émotion que l’on peut en déduire que l’émotion en question peut se réduire à la variation de l’activité de cette région du cerveau. La seule chose que l’on peut dire est que telle émotion sollicite telle molécule ou telle aire cérébrale. »

9Depuis deux décennies, des chercheurs issus des domaines des neurosciences, de la physiologie ou de la biologie, s’interrogent sur la conscience et sur les aspects difficilement objectivables de la singularité des êtres vivants.

10Citons les apports du neurologue Damazio (1999) dans les domaines des émotions et de la conscience, des physiologistes comme Gérard Edelman (2007) et Eric Kandel (2007) – ces derniers sont tous deux prix Nobel, c’est dire l’intérêt porté à leurs travaux et l’enthousiasme et le sérieux qu’ils y ont mis. Des neurobiologistes comme Jean-Didier Vincent (1986) se sont également intéressés aux émotions. Pour les uns, l’intérêt était d’arriver à montrer la différence entre le monde computationnel et la mouvance non modélisable de la conscience, pour d’autres au contraire, il s’agissait de rapprocher de plus en plus ces deux champs.

11Tout récemment, les recherches de Giacomo Rizzolatti sur les neurones miroirs (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008) ont ouvert des perspectives nouvelles sur les interdépendances entre l’appareil neurologique perçu comme flexible et en interaction développementale, et l’environnement. Les résultats de ces études ont permis un éclairage différent des mécanismes d’imitation, d’identification, et d’empathie, composantes des interactions humaines, ouvrant ainsi à un enrichissement de la compréhension des mécanismes en jeu dans le processus thérapeutique.

12Une belle image est évoquée à ce propos par une citation de l’histologiste espagnol Santiago Ramon Y Cajal (né en 1852 et décédé en 1934) qu’Edelman (2007) met en tête d’un chapitre intitulé La conscience, le corps et le cerveau : « Tel l’entomologiste en quête de papillons aux couleurs lumineuses, mon attention s’est mise en chasse, dans le jardin que constitue la matière grise, des cellules possédant des formes délicates et élégantes, qui représentent les mystérieux papillons de l’âme. »

13Simultanément à toutes ces démarches, un certain nombre de psychothérapeutes ont tenté de rencontrer les neurobiologistes et participent même avec eux à des recherches et réflexions conjointes (comme par exemple François Ansermet & Pierre Magistretti, 2004).
Dans ce numéro des Cahiers, nous avons précisément demandé à différents thérapeutes et chercheurs d’illustrer les interrelations qui se tissent entre la biologie et la psychothérapie. Ces textes sont destinés, en premier lieu, aux psychothérapeutes curieux de ces domaines auxquels ils sont peut-être moins familiers. Nous savons d’ailleurs que Grégory Bateson, qui est l’un des référents dans notre domaine, a toujours été intéressé par la « structure qui relie », en particulier au niveau du vivant. Ce cahier se veut donc une variation sur ce thème….
Pour aider le lecteur non médecin, voici un schéma du cerveau auquel il pourra se référer pour situer les aires citées dans certains des articles.

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Le système limbique (Belzung, 2007, p.123)

14Nous ouvrons ce dossier par une interview de Boris Cyrulnik, lequel intègre différentes spécialités dont ce recueil voudrait étudier les interrelations. En effet, s’il est éthologue, il est aussi neurologue, médecin, psychiatre et psychanalyste. Étant donc situé à la croisée de plusieurs domaines, il nous a paru être particulièrement bien placé pour ouvrir la réflexion sur les rapports entre la neurobiologie et la psychothérapie. Au cours d’une interview menée en mai 2009 à Paris, il relève qu’on a aujourd’hui les moyens de rendre compte de certains effets d’une psychothérapie sur le cerveau et donc sur le corps. Il décrit le processus de résilience neuronale que la psychothérapie peut susciter très rapidement, où le cerveau se met au travail grâce à la plasticité neuronale. Boris Cyrulnik souligne l’apport des neurones miroirs pour ce qui concerne la compréhension de l’imitation et de l’empathie qui se développent parallèlement à la maturation du système nerveux, en lien avec l’entourage affectif et la « niche sensorielle ». Enfin, il clôture l’échange avec Edith Goldbeter en exprimant l’espoir que les rencontres entre les disciplines issues de la neurobiologie et celles évoluant autour de la psychothérapie pourront aider à précipiter la fin des clivages idéologiques entre ces différentes approches.

15Sensibles également à l’ouverture entre psychanalyse et neurosciences, Séverine Lestienne et Françoise Lotstra pointent l’intérêt de favoriser les échanges entre les deux domaines par le biais d’une approche interdisciplinaire rigoureuse et tolérante : seules des définitions claires des concepts neurologiques, cognitifs et psychanalytiques de l’inconscient permettront de se prémunir de tout amalgame et de respecter l’indépendance des champs du savoir, préviennent-elles. En particulier, ces auteurs abordent l’articulation entre la neuroplasticité et l’inconscient en rappelant que le cerveau ne doit plus être considéré comme un organe figé, déterminé et déterminant, mais bel et bien comme une structure dynamique en constante reconstruction. Elles relèvent que la trace psychique et la neuroplasticité représentent une articulation importante entre les deux champs.

16Nicolas Georgieff aborde à nouveau les connexions entre neurosciences et psychologie clinique ou psychanalyse en les décrivant comme à la fois distinctes mais devant être compatibles puisqu’elles décrivent un même objet même si les termes qu’elles utilisent sont différents. Il explore le lien irréductible qui les unit en organisant son propos autour d’une série de questions telles : dans quel but tente-t-on d’élaborer une « neuropsychologie de la psychothérapie » ? Est-ce pour prouver la réalité des psychothérapies, pour démontrer leur efficacité, ou afin de faire évoluer la pratique psychothérapique, de la rendre plus efficace ou de créer de nouveau modèles thérapeutiques ? Autrement dit, à quoi pourraient servir des données neuroscientifiques pour la pratique clinique ? L’auteur propose des réponses à ces questions en partant d’une démarche conceptuelle guidée par la curiosité, par une logique scientifique de découverte qui vise à confronter les points de vue et les modèles qui s’articulent autour d’une même réalité pour en enrichir la connaissance. Insistant sur le fait que la psychothérapie est biologique autant que psychologique, de même que l’action du médicament est psychologique autant que biologique, il conclut en déclarant que si tout est cérébral, tout est aussi cognitif et psychologique en matière de psychothérapies.

17Pour le thérapeute romain Luigi Onnis, retrouver le lien entre la psychologie, la psychothérapie et les neurosciences fait partie de la restauration de l’unité corps-esprit perdue depuis trop longtemps. Il attribue la responsabilité de ces antagonismes à l’épistémologie réductionniste qui a imprégné la pensée. Luigi Onnis présente ensuite un panorama détaillé de l’évolution des neurosciences dans le domaine de l’étude de l’esprit ainsi que les bénéfices qu’en a tirés la psychothérapie : il évoque les notions de mémoire implicite et explicite issues des travaux de Kandel et de LeDoux, l’esprit relationnel décrit par Siegel, la démarche de Damasio pour comprendre les liens entre les émotions et la rationalité, et enfin la découverte toute récente des neurones miroirs par Rizzolatti.

18Luigi Onnis complète ce panorama en montrant les implications particulières de ces recherches pour la psychothérapie systémique : elles renforcent certains de ses présupposés comme la fonction irremplaçable de la relation, ou permettent de soutenir et d’offrir une compréhension nouvelle des interventions thérapeutiques sur base de l’utilisation du langage implicite, ainsi que des effets de l’empathie et de la résonance.

19Justement, à propos de la résonance, Mony Elkaïm et Michaël Elkaïm, s’inspirant de recherches dans le domaine de la physico-chimie et de la biologie, avancent l’hypothèse que cette notion décrite dans les systèmes humains (Elkaïm, 1989) appartiendrait au champ plus large des synchronismes spontanés, champ dans lequel des oscillateurs couplés par des mécanismes divers s’influencent mutuellement. Cette réflexion pourrait ouvrir la voie à de nouvelles compréhensions du processus thérapeutique…

20De leur côté, le psychiatre psychothérapeute Marco Vannotti et le neurologue psychothérapeute Roberto Berrini se placent délibérément sur le versant de l’épistémologie en s’inspirant en particulier de la phénoménologie, c’est-à-dire de l’expérience vécue par le sujet. Ils relèvent qu’on peut considérer que la vie biologique s’incarne d’abord dans le corps propre de la personne. Lorsque celle-ci entre en relation, en particulier dans une relation thérapeutique, la communication instaurée impliquera l’ensemble du corps au travers des expressions faciales, des postures, du mouvement et des gestes, de la distance adoptée, etc. et donc, ajoutent les auteurs, la nature de cette relation sera intercorporelle et ne se limitera pas au verbe. En cas de traumatisme, des expériences relationnelles et émotionnelles peuvent devenir correctrices seulement dans leurs répétitions, dans leur reproductibilité, et cet effet est soutenu par la plasticité neuronale et par le mode d’apprentissage lié à l’imitation favorisée par les neurones miroirs. Les auteurs pointent aussi l’importance, dans ce processus, de la présence de la dimension empathique qui « nous prend en même temps qu’elle prend notre interlocuteur ».

21Toujours dans le domaine des recherches centrées sur les interactions entre le psychologique et le neurobiologique, Ayala Borghini. Stéphanie Habersaat, Blaise Pierrehumbert, François Ansermet et Carole Muller-Nix, médecins, psychiatre et psychologues suisses, ont étudié les effets d’une intervention précoce, inspirée des thérapies en Guidance Interactive, sur la qualité de l’attachement ainsi que sur la réactivité neuroendocrinienne de stress chez des grands prématurés âgés de 12 mois, ainsi que chez leurs mères. Ils se basent sur la mesure des corrélations entre les taux de cortisol de la mère et de son enfant pour tenter de mieux comprendre les effets du stress vécu par l’enfant durant la période périnatale sur son devenir, et tout particulièrement, sur ses réponses neuroendocriniennes face à un stress secondaire. Ils partent de l’hypothèse qu’une intervention thérapeutique précoce auprès des parents, suite à la naissance d’un grand prématuré, aura un impact positif sur la qualité des relations parents-enfant et notamment sur la qualité de l’attachement de l’enfant.

22Leurs résultats indiquent que la qualité de l’attachement n’est que très partiellement affectée par la naissance prématurée et que la réactivité neuroendocrinienne de stress des enfants ne montre pas de modification spécifique. Par contre, les auteurs constatent un effet de l’intervention précoce en Guidance Interactive sur les mères et formulent alors l’hypothèse que l’intervention précoce permet aux mères d’élargir leurs compétences à percevoir les états émotionnels de leur bébé.

23Le thérapeute et théoricien américain Carlos E. Sluzki s’intéresse lui aussi aux tout-petits et à leur entourage. Il propose au lecteur un texte interactif où il dialogue avec lui en posant des questions à propos des bébés dits difficiles et des parents du même type. Petit à petit, il émerge de cette « discussion » que ce sont les adultes dont le langage et la vision d’ensemble sont plus articulés et dont les préjugés sont, par conséquences, plus importants et solides, qui déterminent le point de départ des problèmes attribués au bébé. L’auteur nous présente alors d’autres ponctuations possibles de l’interaction bébé/enfant–géniteurs, qui renvoient davantage à sa nature réciproque et fluide.

24Il souligne que lorsqu’on parle d’interaction avec des nouveaux-nés, il s’agit d’une progression qui va de la régulation des processus physiologiques à la gestion effective des comportements, des émotions et des interactions avec le monde physique et social, en un processus dynamique complexe où interviennent les diverses composantes du système nerveux central, en particulier le système nerveux autonome.

25Carlos Sluzki propose de dépasser la recherche des caractéristiques personnelles pour expliquer les difficultés de nourrissons ou de leurs parents, et d’entrer plutôt dans une épistémologie des influences réciproques, d’un calibrage entre les attributs du bébé et ceux de ses géniteurs afin de développer une typologie de « l’emboîtement réciproque », congruente avec une vision systémique.

26Une constante est apparue au travers de toutes ces recherches qui allient la neurobiologie et la psychologie ; l’un de leurs aspects communs est le fait de leur mobilité qui s’exprime en termes de : développement, plasticité, flexibilité, etc. Cette description sous forme d’états non figés de manière définitive dans le temps, est particulièrement précieuse lorsque ce sont les enfants qui sont désignés comme porteurs des symptômes.

27Ainsi, Alison Mary, Hichem Slama et Isabelle Massat, toutes trois chercheuses (psychologues ou médecin) en neuropsychologie, abordent le champ de l’enfance en se centrant sur le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, avec l’objectif d’éclaircir davantage le lien entre la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives. En effet, ce trouble est presque toujours associé à des troubles exécutifs et à un dysfonctionnement du comportement social. Ces auteurs soulignent par conséquences le rôle majeur des connaissances neuro-développementales pour mieux comprendre le trouble TDA-H et le traiter. Elles illustrent aussi la complexité et la rigueur des recherches plus directement dirigées sur la neuropsychiologie.

28La question de l’introduction de médications dans les traitements à visées thérapeutiques a parfois fait l’objet de controverses, surtout pour ce qui concerne les enfants.

29Le pédopsychiatre Philippe Kinoo décrit précisément un mode de prise en charge d’enfants âgés de quelques mois à 12-13 ans, présentant des psychopathologies lourdes, sur base d’une psychothérapie institutionnelle qui ne fait pas l’impasse sur les médicaments.

30Selon cet auteur, les psychopathologies et autres troubles du développement des enfants (autisme et troubles envahissants du développement, psychoses infantiles et prépsychoses ou dysharmonies évolutives) devraient être accompagnés et traités principalement à travers la structure institutionnelle et la relation avec des soignants qui intègrent la psychothérapie et des médications comme par exemple des neuroleptiques. La pratique présentée dans son texte ne fait pas de hiérarchie entre les fonctions de symbolisation et de pare-excitation, mais y ajoute une troisième fonction essentielle aux yeux de l’auteur : la fonction de construction. Celle-ci peut notamment faire appel à l’approche psycho-éducative qui, selon Philippe Kinoo, se justifie parfois d’un point de vue biologique par la primauté du travail sur la plasticité neuronale par rapport à la recherche de « l’équilibre neurobiologique » par le psychotrope. L’auteur souligne que le mode de prise en charge par la pratique de la psychothérapie institutionnelle qu’il présente, se fonde sur la capacité d’un (re)façonnement neuronal chez l’enfant.

31Travaillant avec des patents adultes, Hélène Dellucci aborde les prises en charge des patients souffrant de séquelles post-traumatiques d’événements potentiellement traumatisants auxquels ils n’ont pas été directement exposés. Elle avance l’hypothèse que les contenus de la mémoire iconique sont transmis par les neurones miroirs et que la transmission de traumatismes d’adultes vers leurs enfants ou leurs petits-enfants a lieu dans la mesure où ces derniers témoignent d’une empathie importante. C’est ainsi que si un traumatisme a été vécu à une génération antérieure, il se peut qu’un descendant en perçoive un contenu trop envahissant pour lui sur le plan émotionnel, et soit amené à se couper d’une partie de lui-même, c’est-à-dire de son fonctionnement cérébral, de manière à rester en contact (empathique) sans être davantage blessé.

32Dans une perspective élargie, nous pouvons considérer nos comportements comme liés à nos motivations émotionnelles et intellectuelles, mais aussi à notre fonctionnement neurobiologique et biochimique au sein des systèmes ouverts dont nous faisons partie ; de plus, nous sommes nous-mêmes, rappelons-le, en tant qu’individus, des systèmes ouverts, ensemble d’éléments émotionnels, physiques, neurologiques, biochimiques, etc. en interaction.

33Albert Goldbeter, chercheur en biophysique théorique et spécialiste de la modélisation mathématique des rythmes biologiques, nous présente des exemples de processus périodiques à composante psychologique. Il rappelle d’abord que les rythmes biologiques sont liés aux mécanismes de régulation qui gouvernent la dynamique des systèmes vivants et que des troubles apparaissent lorsque les rythmes de l’organisme ne sont plus en phase avec les périodicités du monde environnant.
Ce chercheur se demande si, au-delà de l’influence exercée par l’horloge circadienne, et de la nature rythmique des processus cérébraux fondée sur les propriétés d’excitabilité et d’oscillation des cellules nerveuses et des réseaux de neurones, les rythmes biologiques trouvent un prolongement dans certains types de comportement humain de nature plus ou moins périodique. Ceux-ci peuvent-ils se rattacher aux rythmes du vivant, même si leurs racines sont de nature psychologique plutôt que moléculaire ? Pour aborder ces questions, Albert Goldbeter nous décrit certains rythmes comportementaux de nature individuelle ou familiale, à composante psychologique : les troubles bipolaires, les variations cycliques du poid, et les interactions au sein d’une famille. Il conclut en rappelant que même s’il faut rester prudent lorsqu’on traverse la frontière entre le biologique et le psychologique, il est éclairant de pouvoir établir un tel lien, sans pour autant perdre de vue les différences de nature dans les niveaux de description des divers phénomènes oscillants.
La biologie peut être abordée aussi à partir de l’impact des vécus qu’elle engendre chez les individus soumis à certains de ses aspects douloureux. Ainsi, la maladie impose au système de vie du patient qui en souffre toute une série de bouleversements qui touchent tant le malade que son entourage, tant le corps que l’esprit. Conscients de l’importance de cet effet et des conséquences de la manière de le métaboliser, Sophie Beugnot et Linda Roy ont proposé à des patients cancéreux et à leur famille de participer à un groupe axé sur différents thèmes, qui vise à aider le patient et sa famille à comprendre la crise qu’ils traversent. Ces deux auteures canadiennes précisent qu’en aucun cas, cette approche ne signifie qu’elles postulent l’existence d’un lien de cause à effet entre le cancer et les relations ou tensions du patient avec les membres de son réseau et précisent : il faut se méfier de l’idée selon laquelle il suffirait de vouloir guérir et de pacifier sa vie pour survivre à un cancer.
Elles relèvent que la crise de la maladie active fréquemment des enjeux de différenciation au sein de la famille du malade et que, dès lors, le groupe thérapeutique, en favorisant une réorganisation adaptative des relations intrafamiliales et sociales durant la maladie, facilite l’adaptation du patient et des membres de son réseau après le traitement. Elles ajoutent que ce même processus peut aussi enrichir le processus de fin de vie et faciliter le deuil chez les proches de patients atteints de cancer incurable.
Dans ce numéro des cahiers consacré au thème « Biologie et Psychothérapie », nous avons voulu présenter des démarches témoignant de l’ouverture de domaines longtemps cloisonnés et situés sur des planètes différentes défendues par de nombreux préjugés.
On ne peut que se féliciter de l’enrichissement apporté par les échanges actuels et les recherches conjointes qu’ils suscitent. Si la lecture de ces textes a éveillé votre curiosité et votre sympathie pour la découverte de territoires qui vous étaient encore méconnus, l’objectif de cette publication sera atteint.

Références

  • ANSERMET F. & MAGISTRETTI P. (2004) : À chacun son cerveau. Plasticité cérébrale et inconscient. Odile Jacob, Paris.
  • BELZUNG C. (2007) : Biologie des émotions. De Boeck, Bruxelles.
  • CYRULNIK B. (2006) : De chair et d’âme. Odile Jacob, Paris.
  • DAMASIO A.D. (1999) : Le sentiment même de soi. Odile Jacob, Paris.
  • EDELMAN G.M. (2007) : La science du cerveau et la connaissance. Odile Jacob, Paris.
  • ELKAIM M. (1989) : Si tu m’aimes, ne m’aime pas. Seuil, Paris.
  • FREUD S. (1914) : Pour introduire le narcissisme. In JOSEPH L. & MASSON C. (Dir) (2008): Résumé des œuvres complètes de Freud 1914-1920 - Tome III, Hermann, Paris.
  • JEANNEROD M. (2002) : La nature de l’esprit. Odile Jacob, Paris.
  • KANDEL E. (2007) : À la recherche de la mémoire. Une nouvelle théorie de l’esprit. Odile Jacob, Paris.
  • PIRARD R. (2006) : Préface. L’œuvre au noir de la psychanalyse. In METTENS P. : Psychanalyse et sciences cognitives. Un même paradigme ? De Boeck, Bruxelles.
  • RIZZOLATTI G. & SINIGAGLIA C. (2008) : Les neurones miroirs. Odile Jacob, Paris.
  • SOKAL A. & BRICMONT J. (1997) : Impostures intellectuelles. Odile Jacob, Paris.
  • VINCENT J-D. (1986) : Biologie des passions. Odile Jacob, Paris.

Date de mise en ligne : 01/02/2010

https://doi.org/10.3917/ctf.043.0005

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