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Article de revue

Qu’est-ce qui détermine l’efficacité d’une psychothérapie ? Brève mise à jour scientifique

Pages 237 à 242

Notes

  • [*]
    Adresse de correspondance : Marine Jaeken, Psychological Sciences Research Institute (IPSY), Université catholique de Louvain-la-Neuve, Place Cardinal Mercier, 10, bte L3.05.01, B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
  • [1]
    Le terme « client » est utilisé plutôt que celui de « patient » pour souligner la démarche active et volontaire adoptée par la personne qui s’engage en psychothérapie pour se faire aider.
  • [2]
    Dans cet article, nous nous limitons aux études portant sur l’évaluation des effets des thérapies quant aux changements thérapeutiques) par la méthode « efficacy » (méta-analyses d’études comparant une intervention X à un groupe contrôle et/ou à une ou plusieurs autres interventions, où les variables sont bien contrôlées (randomized controlled trials, essais aléatoires contrôlés, RCT), car ce sont les études les plus nombreuses et les plus rigoureuses au niveau scientifique, qui se sont attachées à évaluer l’efficacité des psychothérapies (par exemple, Hill, Lambert, 2004 ; Wampold, 1997c).

Qu’est-ce qui détermine l’efficacité d’une psychothérapie ? Brève mise à jour scientifique

1Bonne nouvelle pour les psychothérapeutes et leurs clients [1] : le fait de suivre une psychothérapie est plus bénéfique que de ne pas en suivre ou de recevoir un placebo (Lambert, 2005). Mais, d’un point de vue scientifique, certains types de psychothérapies sont-ils plus efficaces que d’autres ? Plus précisément, qu’est-ce qui détermine l’efficacité thérapeutique ? Des éléments spécifiques, propres à des thérapies particulières ou des éléments communs, se retrouvent-ils dans tout type de thérapie (Ahn, Wampold, 2001) ?

2Cet article vise à présenter une brève mise à jour des résultats majeurs des recherches de ces dernières années relatives à l’évaluation de l’efficacité [2] des psychothérapies. Pour ce faire, nous tenterons de répondre brièvement aux questions énoncées ci-dessus. Tout d’abord, nous montrerons que, malgré la diversité des psychothérapies existantes, l’efficacité des psychothérapies semble, comparativement, équivalente. Ensuite, nous verrons que cette efficacité équivalente peut s’expliquer par la présence de facteurs communs à toutes les thérapies. Enfin, nous nous attarderons un peu sur ces facteurs communs, essentiels pour la réussite d’une thérapie. Nous conclurons en soulignant les implications pratiques de ces résultats pour les praticiens.

Mesurer l’efficacité d’une psychothérapie ?

3Évaluer l’efficacité d’une psychothérapie implique de bien cerner ce que désigne ce terme. Van Deth (2013) définit la psychothérapie comme étant une forme d’aide professionnelle qui, à travers l’application méthodique de connaissances psychologiques par une personne qualifiée, vise à aider les personnes à améliorer leur santé mentale. Derrière « une psychothérapie » se trouvent, en fait, pas moins de 400 méthodes différentes (Chiland, 2012), partageant quatre caractéristiques : 1° une relation intense, émotionnelle et confidentielle entre un client et une personne aidante, induisant la confiance ; 2° un cadre reconnu comme étant thérapeutique, renforçant la confiance et la sécurité ; 3° une théorie, un mythe, ou un cadre conceptuel apportant une explication aux plaintes ou problèmes du client, ainsi qu’un espoir de résolution ou de changement ; 4° un rituel, une procédure, une méthode ou une technique découlant de l’explication apportée par la théorie et requérant la participation active du client et du psychothérapeute pour améliorer ou résoudre le problème (Anderson, Lunnen, Ogles, 2012 ; Van Deth, 2013).

4La psychothérapie est donc un processus subjectif, subtil et individuel, difficile à quantifier (Inserm, 2004), ce qui entraine une série de difficultés méthodologiques, lorsque l’on cherche à l’évaluer (Gérin, 1984 ; Gérin, Dazord, Sali, 1991). Pourtant, la légitimité de la psychothérapie en tant que pratique de soin nécessite que l’on puisse l’évaluer, tant pour des raisons de santé publique que pour la dynamique des connaissances et des pratiques (Bonvin, 2006 ; Thurin, 2009).

5Puisqu’il semble inévitable d’évaluer les psychothérapies, quelles variables évaluer et comment le faire ? Ces deux questions sont directement liées, puisqu’il est possible d’étudier, soit les processus, soit les effets cliniques des psychothérapies, soit les caractéristiques des psychothérapeutes et des clients (Gérin, Dazord, 1992). Les variables, ciblées par l’évaluation des processus, sont centrées sur ce qui se passe durant la psychothérapie : réactions du psychothérapeute et du client, techniques utilisées par le psychothérapeute et facteurs relationnels. Dans le cadre de l’évaluation des effets cliniques, ce sont les changements bénéfiques apportés aux clients qui sont étudiés, en les comparants à des clients soumis à d’autres traitements (ou à aucun traitement). Pour ce qui est des caractéristiques du psychothérapeute, on évalue, par exemple, son orientation théorique, sa formation, son expérience, etc. Enfin, les caractéristiques du client comprennent les informations démographiques, cliniques, psychologiques, etc. (Gérin, Dazord, 1992). L’idéal est, évidemment, de procéder à une évaluation multimodale, incluant l’ensemble de ces catégories et leurs relations, mais la majorité des études se limite à évaluer l’efficacité des psychothérapies, autrement dit, la catégorie des effets cliniques (Inserm, 2004).

6L’efficacité d’une psychothérapie est évaluée sur base de différents critères : « réduction des symptômes ; amélioration de la capacité à tenir des rôles sociaux et professionnels ; qualité de vie des patients et de leur famille ; sécurité ; effets secondaires ; problèmes éthiques ; rapport coût/efficacité comparé à d’autres traitements ; possibilité d’être appliquée dans des situations sociales variées et par différentes catégories de professionnels de la santé mentale ; risque de mésusage » (Sartorius et coll., 1993 ; cité par Inserm, 2004, p. 13). Les résultats issus de ces recherches sont univoques : la psychothérapie est efficace (Lambert, 2005).

La psychothérapie est efficace, mais laquelle l’est le plus ?

7Partant du constat positif que la psychothérapie est efficace pour traiter les troubles psychiatriques (Bonvin, 2006), pas moins de 2 000 études ont cherché à comparer les différents types de psychothérapies (individuel/groupe/couple/famille), quel que fût le courant d’appartenance (thérapie comportementale, thérapie cognitive, thérapie cognitivo-comportementale, thérapie psychodynamique, thérapie systémique et thérapie centrée sur la personne) afin de déterminer laquelle était la plus efficace. Celles-ci sont parvenues au même constat : les différences d’efficacité entre les psychothérapies ayant été comparées apparaissent comme étant faibles et non significatives (Luborsky et coll., 2002). Autrement dit, ce qui semble ressortir de ces recherches, c’est qu’aucune thérapie ne permet d’induire plus de changements thérapeutiques – évalués par le thérapeute, le client et des observateurs – que les autres (Lecomte, 2009). En anglais, c’est ce qu’on appelle le Dodo bird effect (Wampold et coll., 1997a), en référence aux aventures d’Alice au pays des merveilles, lorsque, au terme de la course cocasse, le Dodo dit : « tout le monde a gagné, et tout le monde aura un prix » (Carroll, 1972, p. 34).

8Étonnamment, malgré la diversité des thérapies examinées et des méthodologies utilisées pour comparer l’efficacité des psychothérapies, le constat est toujours le même : il n’y a pas de différence significative (Wampold et coll., 1997a).

9Une explication possible de cette absence de différence entre les psychothérapies est que celles-ci sont d’efficacité équivalente (par exemple, Lambert, Ogles, 2004 ; Luborsky, Singer, Luborsky, 1975 ; Rosenzweig, 2002 ; Wampold et coll., 1997a). Différents auteurs (par exemple, Crits-Christoph, 1997 ; Howard, Krause, Saunders, Kopta, 1997) rejettent cette hypothèse d’équivalence, en alléguant de multiples motifs (hypothèses différentes non testées, problèmes méthodologiques), sans parvenir à apporter de preuve scientifique (Wampold, Mondin, Moody, Ahn, 1997b). Cette obstination, face à l’évidence, amène Wampold et ses collaborateurs (1997b) à faire une analogie avec le xve siècle, lorsque certains continuaient à considérer que la terre était plate, malgré les preuves du contraire.

10Cette question continue à faire l’objet de débats animés dans la littérature scientifique, mais le fait est que des décennies de recherches n’ont pas permis de montrer la supériorité d’une intervention psychologique ou d’un ensemble de techniques pour le traitement de troubles spécifiques (Lambert, Ogles, 2004).

11Bien que rien ne prouve qu’une approche soit plus efficace qu’une autre à un niveau global, un mouvement cherchant à montrer que certaines interventions sont plus adaptées à certains troubles (par exemple, la désensibilisation pour les phobies) a vu le jour. Les auteurs, qui s’inscrivent dans ce mouvement, effectuent des recherches sur les effets des interventions, afin de mettre en avant des traitements empiriquement validés et de les sélectionner préférentiellement selon les clients et leurs troubles. Cette tendance à vouloir établir une classification de tous les troubles avec, pour chacun d’entre eux, le traitement le plus efficace est largement influencée par un mouvement en médecine, la médecine fondée sur la preuve (Thurin, Thurin, Briffault, 2006). Des politiques, encourageant l’usage d’interventions empiriquement validées, ont même été créées aux États-Unis d’Amérique (Carpinello, Rosenberg, Stone, Schwager, Felton, 2002). Les enjeux sont largement politiques et économiques, puisque, sur cette base, certains traitements seront privilégiés pour certains troubles et feront l’objet de remboursements, au détriment des autres.

12C’est dans ce contexte que la direction générale de la santé (DGS) a commandé un rapport sur l’efficacité des psychothérapies à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), paru en 2004 (Inserm, 2004). Un groupe d’experts s’est attaché à comparer l’efficacité des méthodes psychodynamique, cognitivo-comportementale et familiale – de couple. Ce rapport, concluant à l’absence d’effets positifs pour la méthode psychodynamique, a lancé une polémique sans précédent, conduisant à son retrait du site ministériel par le ministre de la Santé (Fischman, 2009). En effet, une série de limites remettait en cause la validité de leur rapport (Thurin, 2005 ; Fischman, 2009). Au-delà de ce rapport, à un niveau général, les difficultés méthodologiques sont inhérentes au principe même de validation de toute intervention et remettent en cause la pertinence d’une telle conception de la psychothérapie. En outre, les interventions empiriquement validées ne semblent pas être plus efficaces que les autres types d’interventions à visée thérapeutique (de bonne foi) (Shapiro, 2009). Enfin, le risque est de priver les praticiens de la liberté de choisir l’intervention qu’ils vont utiliser selon les besoins individuels de leurs clients (Roth, Fonagy, 2005).

13Cependant, les résultats diffèrent pour la thérapie avec les enfants, où les interventions empiriquement validées donnent de meilleurs résultats que les autres interventions (Shapiro, 2009). Dans une méta-analyse, comprenant 32 comparaisons directes d’interventions empiriquement validées et d’interventions courantes, Weisz, Jensen-Doss et Hawley (2006) ont, en effet, découvert que les interventions empiriquement validées étaient plus efficaces. Selon ces auteurs, la supériorité des interventions empiriquement validées, par rapport aux autres, peut être interprétée de deux manières. La première interprétation pourrait être que ces résultats contredisent l’effet Dodo, et que certains facteurs spécifiques aux interventions empiriquement validées sont plus efficaces. La deuxième façon de comprendre ces résultats serait de dire qu’ils ne contredisent pas totalement l’effet Dodo, puisque leur effet est assez modeste. Dans cette deuxième perspective, les auteurs ajoutent que les interventions empiriquement validées mettent particulièrement l’accent sur des facteurs communs, comme l’alliance thérapeutique, et qu’il se pourrait que ce fût précisément ces facteurs qui les rendraient plus efficaces (Weisz, Jensen-Doss, Hawley, 2006).

14À ce jour, les données scientifiques ne permettent donc pas de montrer qu’un type de psychothérapie est plus efficace qu’un autre chez les adultes, même dans le cadre de troubles spécifiques.

Mais comment comprendre que des thérapies si différentes conduisent à un résultat si proche ?

15D’après Lambert et Ogles (2004), il y a trois explications principales possibles : 1° des thérapies différentes peuvent atteindre des objectifs similaires à travers des processus différents ; 2° des effets différents se produisent, mais ne sont pas décelés par les recherches (problèmes méthodologiques) ; et 3° différentes thérapies englobent des facteurs communs qui sont curatifs, bien qu’ils ne soient pas mis en évidence par les théories spécifiques de chaque école. Cette troisième perspective a fait – et fait encore – l’objet d’un grand nombre de recherches scientifiques, et est particulièrement légitimée par une étude de Lambert et Barley (2001), visant à mettre en évidence les variables responsables du changement thérapeutique. En effet, ils ont comparé quatre catégories de variables : les facteurs extra-thérapeutiques (rémission spontanée, événements fortuits, support social…) ; les attentes du client (par exemple, effet placebo, le fait que le client sache qu’il est en thérapie, le fait qu’il croit en l’efficacité des techniques et de la logique thérapeutiques) ; les techniques thérapeutiques spécifiques (par exemple, rétroaction biologique, hypnose, désensibilisation) ; et les facteurs communs (par exemple, l’empathie, la chaleur, la considération positive inconditionnelle, l’encouragement à la prise de risques, les caractéristiques du client et du thérapeute, la confidentialité de la relation client-thérapeute, l’alliance thérapeutique ou des facteurs liés au processus).

16Les résultats montrent que, des trois catégories de variables liées à la psychothérapie (dans lesquelles le psychothérapeute joue un rôle), ce sont les facteurs communs, qui expliquent la plus grande part du changement thérapeutique (30 %). Les attentes du client au sujet de la thérapie et les techniques thérapeutiques spécifiques sont responsables, l’une et l’autre, de 15 % du changement thérapeutique. Enfin, la plus grande partie de l’efficacité d’une thérapie est déterminée par des facteurs extrinsèques à la thérapie (40 %). Notons que cette présentation séquentielle des catégories de variables est contestable, puisqu’elles sont, en vérité, interdépendantes et dynamiques (Hubble, Duncan, Miller, Wampold, 2012). Retenons surtout que ce modèle a pour mérite d’avoir fait ressortir l’importance des facteurs communs et relationnels, par comparaison aux aspects plus techniques et théoriques, jusque-là surestimés. Les facteurs communs étant les éléments de la psychothérapie les plus déterminants de l’efficacité thérapeutique, nous allons les présenter brièvement.

En quoi consistent ces facteurs communs ?

17D’après Rosenzweig (2002), quand un psychothérapeute choisit d’utiliser une méthode précise, fondée sur des bases théoriques spécifiques (facteurs spécifiques), il recourt inévitablement à certains facteurs, auxquels il ne pense pas consciemment, mais qui sont présents dans presque toutes les interventions psychologiques et sont encore plus importants que ceux qu’il a délibérément choisis (et auxquels il attribue le succès de la thérapie). Ce sont des dimensions du cadre de l’intervention psychothérapeutique (psychothérapeute, psychothérapie, client), qui ne sont pas spécifiques à une technique particulière, d’où leur appellation de « facteurs communs » (Lambert, 2005). Par exemple, l’alliance thérapeutique est le facteur commun ayant été cité le plus souvent comme tel, et les écoles de psychothérapie contemporaines le reconnaissent comme un point essentiel de leur l’efficacité (Roth, Fonagy, 2005 ; Wampold, 1997). L’alliance thérapeutique est une manière de penser à la façon dont le psychothérapeute et le client travaillent ensemble (Muran, Barber, 2010). Autrement dit, une bonne alliance thérapeutique signifie que les clients et leurs psychothérapeutes avancent bien ensemble vers les objectifs de la psychothérapie (Muran, Barber, 2010). Outre l’alliance thérapeutique, les facteurs communs ayant été les plus étudiés sont les éléments identifiés par la technique centrée sur la personne comme étant « les conditions nécessaires et suffisantes » pour le changement du client. Il s’agit de : l’empathie (percevoir le monde du client « comme si » on était à sa place) ; la considération positive inconditionnelle (le fait d’accorder de la valeur aux sentiments, opinions et croyances du client, sans poser de jugement) ; et la congruence (le fait d’être authentique, d’être soi-même en tant que thérapeute). Pour permettre un changement, ces attitudes doivent, à la fois, être présentes chez le psychothérapeute et être perçues par le client.

18Au-delà de ces éléments faisant l’unanimité, Lambert et Ogles (2004) soulignent la grande diversité de facteurs considérés comme étant des facteurs communs (conseils, caractéristiques du thérapeute, caractéristiques du client, compréhension, dépassement d’un problème…) et la nécessité de réaliser plus de recherches pour déterminer ce qui en fait partie. D’un autre côté, la distinction entre les éléments spécifiques et non spécifiques d’un type d’intervention n’est pas toujours évidente et pose certains problèmes, comme la décontextualisation de ces éléments du cadre thérapeutique et la non prise en compte des interactions entre ces éléments et d’autres variables (moment de la thérapie, personnalité du psychothérapeute, du client…) (Samstag, 2002).

19Ainsi, bien que l’importance des facteurs communs soit actuellement reconnue, des recherches sont encore nécessaires afin de préciser quels facteurs entrent dans cette catégorie. D’un autre côté, nous avons encore besoin d’études pour comprendre comment le changement se produit en psychothérapie, que ce soit à travers des mécanismes communs ou uniques (Lambert, Ogles, 2004) (recherches sur le processus).

Qu’est-ce que cela implique pour les praticiens ?

20Cette revue de la littérature nous montre que les différentes psychothérapies sont toutes efficaces, et, apparemment, dans une mesure équivalente. Une explication possible de ce constat est que les psychothérapies partagent toute une série de facteurs, inhérents au cadre même de la psychothérapie, et que ces facteurs communs en déterminent l’efficacité. Cette conclusion semble difficile à rejeter du fait de sa solidité empirique. Mais cela revient-il à dire que les interventions et techniques utilisées n’ont aucune importance et qu’il n’y a plus besoin de se former à un courant spécifique ? Qu’il suffit d’avoir des intentions thérapeutiques pour qu’un client aille mieux ?

21Non ! Cela signifie que le fait de se centrer uniquement sur des techniques spécifiques empiriquement validées est insuffisant pour former des thérapeutes efficaces, comme nous le montre la littérature. Néanmoins, il est toujours utile d’apprendre des techniques spécifiques à l’un ou l’autre cadre conceptuel, tout en sachant que leur succès dépendra aussi de l’alliance thérapeutique. En effet, si un thérapeute utilise rigoureusement un manuel d’intervention sans s’adapter à son client, il risque de causer des ruptures d’alliance et, ainsi, de mettre à mal le changement thérapeutique (Ahn, Wampold, 2001). À cet égard, la notion de réactivité, de Norcross et Lambert est intéressante. Selon Norcross et Lambert (2011), celle-ci représente le processus par lequel le psychothérapeute adapte son intervention au client et à sa situation particulière, dans le but de créer une relation de collaboration optimale et de maximiser l’efficacité de son intervention.

22Ce bref compte rendu met ainsi en évidence l’importance de l’apprentissage de compétences thérapeutiques communes, permettant l’utilisation de facteurs communs (par exemple, compétences d’interview, établissement d’une relation thérapeutique, conditions facilitatrices principales) (Ahn, Wampold, 2001 ; Jaeken, Zech, Van Broeck, Verhofstadt, Mikolajczak, 2014).

23Ainsi, le psychothérapeute efficace combine l’utilisation de compétences communes avec celle de techniques spécifiques indiquées pour la problématique de son client, qu’il adapte aux besoins et particularités individuelles de ce dernier. L’efficacité du psychothérapeute est donc étroitement liée à ses capacités d’adaptation et à sa flexibilité.

24La flexibilité du psychothérapeute semble également importante pour Boswell, Nelson, Nordberg, Mcaleavey et Castonguay (2010), qui proposent de pratiquer la psychothérapie dans une perspective intégrative pour tenir compte de l’importance des facteurs communs. Selon ces auteurs, pour qu’un psychothérapeute puisse effectuer une conceptualisation du cas de son client et mettre en place des projets d’intervention dans une visée d’efficacité optimale, il faut que cette conceptualisation et ces projets d’intervention soient ancrés dans une perspective théorique spécifique (le diagnostic, la compréhension et l’interprétation des symptômes ou difficultés du client, et les pistes de traitement envisagées doivent être orientées par le courant spécifique auquel il a été formé). D’un autre côté, il doit également incorporer des compétences et techniques issues d’autres orientations psychothérapeutiques, susceptibles de dépasser les limites de cette conception théorique préférentielle. Ces auteurs utilisent, ainsi, le terme d’assimilation, pour représenter un tel processus : des éléments nouveaux ou étrangers (compétences, techniques, interventions exogènes) sont incorporés dans un schème existant ou prédominant (théorie préférentielle).

25En conclusion, le psychothérapeute compétent et efficace est, avant tout, quelqu’un de flexible. En effet, il intègre des éléments utiles, issus de courants différents de la perspective privilégiée, tout en restant en accord avec sa personnalité, son style relationnel et ses compétences, en instaurant des conditions facilitatrices et en s’adaptant, en permanence, aux particularités et aux besoins de son client (Boswell et coll., 2010).

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 07/07/2015.

https://doi.org/10.3917/bupsy.537.0237

Notes

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  • [2]
    Dans cet article, nous nous limitons aux études portant sur l’évaluation des effets des thérapies quant aux changements thérapeutiques) par la méthode « efficacy » (méta-analyses d’études comparant une intervention X à un groupe contrôle et/ou à une ou plusieurs autres interventions, où les variables sont bien contrôlées (randomized controlled trials, essais aléatoires contrôlés, RCT), car ce sont les études les plus nombreuses et les plus rigoureuses au niveau scientifique, qui se sont attachées à évaluer l’efficacité des psychothérapies (par exemple, Hill, Lambert, 2004 ; Wampold, 1997c).
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