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Article de revue

Le CNRS, centre « international » de la recherche scientifique : histoire(s) d’une ouverture sur le monde…

Pages 75 à 86

Notes

  • [1]
    Docteur en histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Denis Guthleben est attaché scientifique au Comité pour l’histoire du CNRS, rédacteur en chef de la revue Histoire de la recherche contemporaine et membre du bureau de la Revue d’histoire des sciences. Auteur de plusieurs ouvrages, dont l’Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science (Armand Colin, 2013), il dirige également la collection « Histoire des sciences » aux éditions Nouveau Monde.
  • [2]
    2014, une année avec le CNRS, p. 18 [mis en ligne en juillet 2015, consulté le 1er mars 2016] : http://www.cnrs.fr/fr/pdf/RA2014/index.html
  • [3]
    On consultera pour cela Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science, Paris, Armand Colin, Coll. Poche, 2013 (2009 pour la première édition).
  • [4]
    Michel Morange, « L’Institut de biologie physico-chimique de sa fondation à son entrée dans l’ère moléculaire », La revue pour l’histoire du CNRS, 7, CNRS Éditions, novembre 2002, p. 32-40.
  • [5]
    Voir Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, Paris, CNRS Éditions, 2016 (1re édition 1994), en particulier p. 471-509.
  • [6]
    Louis Pasteur, Quelques réflexions sur la science en France, Paris, Gauthier-Villars, 1871.
  • [7]
    Jean Perrin, L’organisation de la recherche scientifique en France, Paris, Hermann, 1938.
  • [8]
    Pour en savoir plus, on pourra consulter Diane Dosso, Louis Rapkine (1904-1948) et la mobilisation scientifique de la France libre, thèse de doctorat sous la direction de Dominique Pestre, décembre 1998.
  • [9]
    Sur un oubli dans le Plan Monnet, Comité d’action pour la défense de la recherche et de l’enseignement scientifiques, 1947.
  • [10]
    Cité par Diane Dosso, Louis Rapkine (1904-1948)…, op. cit., p. 366.
  • [11]
    Voir Corine Defrance, « La mission du CNRS en Allemagne. Entre exploitation et contrôle du potentiel scientifique allemand », La revue pour l’histoire du CNRS, 5, CNRS Éditions, novembre 2001, p. 54-65.
  • [12]
    Note citée par Corine Defrance, ibid., p. 61.
  • [13]
    Lettre de Frédéric Joliot-Curie à la Fondation Rockefeller, 1945, citée dans Catherine Nicault, Virginie Durand (dir.), Histoire documentaire du CNRS, Tome 1, années 1930-1950, Paris, CNRS Éditions, 2005, p. 237.
  • [14]
    Voir John Krige, American Hegemony and the Postwar Reconstruction of Science in Europe, Cambridge, MIT Press, 2008, en particulier p. 75-111.
  • [15]
    Voir Denis Guthleben, « D’un bloc l’autre ? Le CNRS dans la Guerre froide », in Corine Defrance, Anne Kwaschik (éd.), La Guerre froide et l’internationalisation des sciences, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 91-104.
  • [16]
    Voir Denis Guthleben, « L’Allemagne, fer de lance de la politique européenne du CNRS ? », in Corine Defrance, Ulrich Pfeil (éd.), La construction d’un espace scientifique commun. La France, la RFA et l’Europe après le « choc du Spoutnik », Bruxelles, PIE Peter Lang, 2012, p. 99-114.
  • [17]
    Rapport d’activité du CNRS, octobre 1952-octobre 1953, p. 52.
  • [18]
    Bruno Marnot, « Le budget du CNRS de la Libération à 1968 », La revue pour l’histoire du CNRS, 25, CNRS Éditions, novembre 2010, p. 38-42.
  • [19]
    Alvin M. Weinberg, « Impact of Large-Scale Science on the United States », Science, n° 3473, 21 juillet 1961, p. 161-164.
  • [20]
    Pour en savoir plus sur l’histoire de l’ILL, voir Bernard Jacrot, Des neutrons pour la science. Histoire de l’Institut Laue-Langevin, Paris, EDP Sciences, 2006.
  • [21]
    Pour en savoir plus sur ces projets, Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours, op. cit.
  • [22]
    Sur le parcours d’Hubert Curien, voir le dossier « Hubert Curien, de l’amphithéâtre au ministère de la Recherche », Histoire de la recherche contemporaine, tome V, n° 2, Paris, CNRS Éditions, à paraître en décembre 2016.
  • [23]
    Brian Flowers, « La Fondation européenne de la science », Le Courrier du CNRS, n° 24, avril 1977, p. 48.
  • [24]
    Voir Jean-François Théry, Rémi Barré, La loi sur la recherche de 1982. Origines, bilan et perspectives du "modèle français", Paris, Éditions Quae, 2001.
  • [25]
    Jean-François Miquel, « Le CNRS et la coopération internationale », Le Courrier du CNRS, n° 54, janvier 1984, p. 8.
  • [26]
    Pour l’heure, seule cette dernière mission a fait l’objet d’une étude, voir Catherine Nicault, « Le CNRS dans l’Orient compliqué : le Centre de recherche français de Jérusalem », Revue pour l’histoire du CNRS, n° 5, novembre 2001, p. 24-35.

1 Le CNRS se place « au diapason de la “science-monde [2]” ». Chiffres et indicateurs, qui occupent désormais une place aussi capitale qu’envahissante dans la pratique et l’évaluation de la recherche scientifique, en témoignent. L’établissement compte près de 400 programmes de coopération scientifique, 172 laboratoires internationaux associés, une centaine de groupements de recherche internationaux, 35 unités mixtes internationales, huit bureaux à l’étranger… Ses chercheurs, dont un sur quatre est de nationalité étrangère, bénéficient d’une large palette d’outils de collaboration, de la mission la plus simple à la structure la plus pérenne ; au final, près de la moitié de leurs publications sont co-signées par un partenaire étranger… et l’on pourrait poursuivre sur des pages entières, en segmentant encore le monde en autant de régions spécifiques : l’Amérique du Nord, partenaire traditionnel mais toujours de premier plan, l’Asie, moteur actuel de la coopération scientifique, l’Afrique, son moteur d’avenir – et qui le restera ? –, l’espace européen et son nouvel Horizon 2020…

2 Toutes ces données, recueillies, commentées, promues à longueur de brochures institutionnelles et de tribunes de presse, renvoient à un constat familier : la recherche scientifique est, par essence, par nature, par tout ce que l’on voudra, résolument ouverte vers l’international. Et le CNRS, plus grand organisme public de recherche fondamentale en Europe, fait ici figure d’archétype. Rien d’étonnant, pour un établissement dont la devise est de « dépasser les frontières » – de la connaissance, mais on peut tout aussi bien entendre « territoriales ». Sauf qu’il n’en a pas toujours été ainsi : cette ouverture est le fruit d’une longue histoire, marquée par des débats, des réformes, des succès, mais aussi des hésitations et des revers, ainsi que par un contexte, national et international. Il ne saurait être question ici d’en faire le tableau complet [3]. Mais quelques jalons, accompagnés des références bibliographiques les plus récentes, permettront de revenir sur ses principales étapes.

Une ambition « nationale »

3 La création du CNRS, le 19 octobre 1939, marque l’accomplissement d’une grande « ambition nationale » en faveur de la recherche, portée par le prix Nobel de physique Jean Perrin. Elle vient couronner plusieurs initiatives, de la fondation à Paris en 1926 de l’Institut de biologie physico-chimique, qui s’apparente à « un coup d’essai du type d’organisation de recherche qui sera développée au niveau national » [4], jusqu’aux réformes portées par Jean Perrin et par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay sous le gouvernement de Front populaire [5]. Plus largement, cette création renvoie à une réflexion récurrente sur l’organisation de la recherche en France, et sur son retard réel ou supposé par rapport aux autres grandes nations scientifiques, notamment l’Allemagne : après la défaite de 1870, déjà, Louis Pasteur avait déploré que « les malheurs de la patrie [étaient] liés d’une manière si douloureuse à la faiblesse de notre organisation scientifique [6] ».

4 L’ambition qui anime les savants s’appuie, dès ces années, sur une prise en compte des enjeux internationaux, qu’ils soient politiques, militaires ou purement scientifiques, dans une perspective comparatiste et engagée. Il n’empêche que, malgré les liens individuels – de collaboration ou de rivalité – qu’ils entretiennent avec leurs homologues au-delà des frontières, l’heure n’est pas encore à la définition d’une politique internationale de relations scientifiques. Et cette dimension demeure toujours absente du projet que Jean Perrin bâtit jusqu’à la veille de la naissance du CNRS [7]. Elle n’est pas davantage en mesure de se développer au cours de ses premières années d’existence : pendant l’Occupation, si l’on excepte ses personnels qui ont fait le choix de l’émigration et ont souvent rejoint la bannière de la France libre [8], il subit un isolement complet, qui le tient à l’écart des grandes avancées scientifiques et techniques réalisées dans les pays anglo-saxons. Les prémices de l’ouverture de l’institution sur le monde ne commencent à se manifester qu’à partir de la Libération.

De la Libération aux années 1950 : missions et accords

5 Ces prémices demeurent modestes, répondant avant tout aux besoins les plus urgents d’un organisme en reconstruction, dans un contexte où la recherche apparaît comme un enjeu secondaire aux yeux des pouvoirs publics français – en 1947, Frédéric Joliot-Curie et le directeur du CNRS Georges Teissier se voient contraints de lancer un « cri d’alarme », au travers d’un manifeste, pour dénoncer cette situation [9]. Des besoins scientifiques et techniques, d’une part : dans cette perspective, le CNRS pérennise, par exemple, un bureau à Londres, hérité de la France libre, afin d’encourager les échanges de connaissances au profit des chercheurs français. Le biochimiste Louis Rapkine, cheville ouvrière de cette initiative, peut ainsi écrire aux autorités britanniques, au sujet de l’une des grandes innovations de la Seconde Guerre mondiale : « Nous ne désirons pas des informations de nature très secrète ; nous sommes si loin derrière vous sur la question du radar que n’importe quoi que vous puissiez montrer à mes collègues serait très apprécié par nous tous [10] ».

6 Des besoins en équipements, d’autre part, conduisent le CNRS à mener d’autres entreprises vers l’étranger. La « mission scientifique » qu’il inaugure en Allemagne dès mars 1945 lui permet ainsi de saisir – ou de récupérer – du matériel dans les laboratoires d’un Troisième Reich moribond [11]. À l’inverse des Américains, les chercheurs français n’entendent pas en revanche exploiter la "matière grise" allemande. Une note rédigée en août 1946 par le chef de la mission, le géophysicien Louis Cagniard, permet d’en prendre la mesure :

7

« Il ne faut pas se laisser gagner par un engouement dont nos alliés ont donné l'exemple, ni par le battage que les Allemands font autour de leurs personnes et de leurs travaux […] Notre politique vis-à-vis des savants allemands doit consister plutôt à en extraire des renseignements aussi étendus que possible sur les idées nouvelles qu'ils ont eues, les résultats qu'ils ont obtenus et les méthodes qui leur ont permis d'atteindre ces résultats. Les considérer comme des vaches à lait qu'on abandonnera après les avoir traites [12] ».

8 Le CNRS multiplie aussi les démarches pour obtenir l’aide de grandes organisations, telles que la Fondation Rockefeller. Frédéric Joliot-Curie la sollicite dès la Libération : « Sans un apport d’appareils modernes et de produits chimiques venant de l’extérieur, notre retard dans la recherche s’accentuera à un tel degré que notre situation scientifique risque de devenir réellement dramatique [13] ». La Fondation est appelée à jouer un rôle important dans la remise en marche du CNRS au fil des années 1940 et 1950. Elle lui accorde 350 000 dollars pour l’équipement de ses laboratoires et l’organisation de grandes conférences internationales, malgré les réticences initiales de ses responsables, dues à l’appartenance de Frédéric Joliot-Curie au parti communiste et à ses prises de position publiques en faveur de l’URSS [14]. Le contexte international, marqué cette fois-ci par les débuts de la Guerre froide, continue en effet de peser sur l’ouverture de l’établissement [15].

9 Passées les premières années de la Libération, le CNRS inaugure une politique d’échanges plus pérennes, marquée par la signature de conventions bilatérales. L’analyse de ces documents dévoile que, en dehors des clauses spécifiques qu’ils renferment parfois, leur cadre général repose toujours sur des échanges de documentation, d’informations, de données scientifiques et de chercheurs. La première convention, en 1950, lie le CNRS à la Netherlands Organization for Scientific Research (NWO). Viennent ensuite le FNRS en Belgique, le Consiglio Nazionale delle Ricerche (CNR) en Italie, le Medical Research Council et le British Council en Grande-Bretagne, en somme tout d’abord avec les organisations scientifiques de ses voisins européens – à l’exception de l’Allemagne, pour l’heure encore, en raison des séquelles de la guerre [16]. Il ne s’agit toutefois pas d’une ouverture aveugle : des réticences sont parfois exprimées jusque dans les publications institutionnelles. Ainsi, dans le rapport d’activité paru à la fin de l’année 1953 :

10

« Le CNRS accueille temporairement un certain nombre de chercheurs étrangers et leur permet ainsi de faire un stage de recherches dans les laboratoires français sous la direction de maîtres réputés dans des disciplines diverses. Il est admis que ces travailleurs viennent dans notre pays pour y préparer une thèse ou effectuer un travail scientifique équivalent et qu’ensuite ils doivent rentrer chez eux après avoir profité de la culture de notre pays [17]. »

11 Malgré ces réserves, qui peuvent sembler surprenantes a posteriori mais qui indiquent bien que les relations scientifiques internationales relèvent davantage d’une construction que d’un acquis, les accords se succèdent à mesure que défilent les années 1950 : avec l’Espagne, la Suisse, la Pologne, de même qu’avec l’Académie des Sciences d’Union soviétique en 1958, au terme de négociations qui ont débuté l’année précédente, peu après le lancement du premier Spoutnik.

Du multilatéralisme aux premières initiatives communautaires

12 Cette même année 1958 marque une rupture dans l’ouverture internationale du CNRS. Avec le retour au pouvoir du général de Gaulle, la recherche est inscrite parmi les grandes priorités nationales. Le CNRS assiste, entre les exercices 1958 et 1960, au doublement de sa dotation publique. Cette nouvelle dynamique budgétaire est prolongée ensuite par une hausse annuelle moyenne – en annulant les effets de l’inflation – de près de 25% jusqu’à la fin des années 1960 [18]. Les échanges internationaux de l’organisme bénéficient de cette aisance financière : les crédits qui permettent de les financer quadruplent en un an, d’un million de nouveaux francs en 1959 à quatre millions en 1960, pour atteindre près de dix millions au milieu de la décennie. Ces moyens permettent de multiplier les missions des chercheurs et d’accroître les capacités d’accueil des laboratoires. Ils débouchent aussi sur la mise en place d’un « bureau des relations internationales ». Dans la foulée, la plupart des conventions sont remises sur le métier, afin d’être élargies et renforcées.

13 Au-delà des échanges traditionnels, de vastes projets bilatéraux ou multilatéraux se concrétisent au fil de la décennie. C’est le cas, par exemple, de l’Institut Laue-Langevin (ILL), un laboratoire équipé d’un réacteur à haut flux de neutrons, qui s’inscrit dans le cadre de cette Big Science qu’Alvin M. Weinberg vient tout juste de populariser dans la revue Science[19]. Sa construction, lancée à Grenoble dans le prolongement de la signature du traité de l’Élysée de 1963, constitue une étape dans la renaissance des relations scientifiques franco-allemandes [20]. De la même manière, la société scientifique EISCAT (European Incoherent Scatter Scientific Association) commence à être conçue en partenariat avec des organismes allemand, britannique, finlandais, norvégien et suédois, autour d’un projet de « sondeur à diffusion incohérente en zone aurorale » pour l’étude de la haute atmosphère, de l’ionosphère et du couplage entre le Soleil et la Terre. Et, lorsque ses associés européens lui font défaut, le CNRS peut s’unir avec des partenaires plus lointains : son directeur général Hubert Curien (1969-1973) est ainsi amené à se rapprocher du Conseil national de recherches canadien et de l’université d’Hawaï pour la construction d’un grand télescope de 3,60 m de diamètre optique, le « TCFH » (pour « télescope Canada-France-Hawaï »), toujours en activité au sommet du Mauna Kea, un volcan endormi situé sur l'île d'Hawaii [21].

14 Hubert Curien figure aussi parmi les principaux artisans de la Fondation européenne de la science, qui voit le jour en novembre 1974 [22]. L’ESF, dont le siège est établi à Strasbourg, est financée par des contributions des grandes agences ou des organismes nationaux. Elle vise à la coordination des activités de recherche des institutions membres, dans un contexte budgétaire plus contraint, ainsi que le relève son premier président, le physicien anglais Brian Flowers :

15

« La Fondation cherche donc, en cette période de restrictions financières, alors que le coût de la science ne cesse de croître, à promouvoir une affectation plus rentable des ressources disponibles, en évitant les doubles emplois inutiles et en favorisant une utilisation optimale des installations existantes par des systèmes d’échange et de coopération [23]. »

16 La participation du CNRS à ces premières opérations communautaires, préfigurant les programmes lancés à partir des années 1980, s’avère capitale à la fois dans des projets de science dite « lourde » – autour du rayonnement synchrotron, par exemple, qui aboutit dans les années 1980 à la création de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF) de Grenoble – et dans des thématiques moins onéreuses – l’un des premiers programmes lancés par l’ESF porte sur l’étude des vitraux des cathédrales médiévales en Europe.

Depuis 1982 : l’Europe et le monde…

17 L’entrée de la recherche parmi les préoccupations de l’Europe communautaire n’a fait que s’amplifier à mesure des années. Ce mouvement, qui s’est traduit par le lancement de grands programmes – ESPRIT, BRITE, RACE, BRIDGE ou EUREKA inauguré en 1985 pour tenter de faire face à l’Initiative de défense stratégique américaine – et a vu naître et grandir les programmes-cadres, est aussi perceptible au cœur même du CNRS. Dans la foulée de la loi d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France du 15 juillet 1982 [24], l’organisme se dote d’une nouvelle « direction des relations et de la coopération internationale » (DRCI). Ses archives, ouvertes aux historiens, n’ont pas encore fait l’objet d’une étude systématique. Mais certaines de ses initiatives témoignent de la manière dont les recommandations de la loi de 1982 dans le domaine des relations scientifiques internationales ont été prises en compte par le CNRS.

18 D’une manière générale, tout d’abord, le texte prévoit que l’ensemble des relations doivent être encouragées « pour maintenir le niveau de la recherche et des techniques françaises et pour valoriser l’image culturelle, scientifique et technique de la France dans le monde ». Ensuite, un effort particulier doit être produit dans le cadre de la CEE, « ouvrant la voie à un véritable espace scientifique et technique européen ». Enfin, il est prévu que « l’ensemble des capacités françaises de recherche et de technologie devront se mobiliser pour mettre en œuvre avec les pays du tiers-monde une coopération permettant d’assurer leur authentique développement national ». Dans ce registre, les relations débutent souvent de manière informelle, comme le relève le premier directeur des relations internationales du CNRS : « On espère toujours qu’un premier contact au cours d’un congrès, qu’une discussion où l’on découvre la complémentarité des approches va devenir la base d’une coopération. Cette graine est fragile, elle doit être protégée pour germer et grandir, arrosée pour porter des fruits [25] ». Ensuite, ces relations s’institutionnalisent parfois : on le constate pour les missions permanentes du CNRS, en Afghanistan, en Égypte, au Mexique et en Israël [26], ou pour les actions menées dans le cadre des programmes mobilisateurs initiés en 1982, en particulier le quatrième, « Recherche scientifique et innovation technologique au service du développement du tiers-monde ». Le CNRS fournit alors des moyens supplémentaires aux laboratoires pour financer des projets selon trois critères : un thème de recherche présentant un intérêt pour les pays en développement, l’identification d’un partenaire étranger et l’implication directe d’un organisme spécialisé tel que l’Office de la recherche scientifique et technique d’outre-mer (Orstom, ancêtre de l’IRD).

19  

20 En somme, bien des dispositifs élaborés au fil des années 1980 perdurent aujourd’hui, à l’image des programmes internationaux de coopération scientifiques (PICS), ou ont été précisés à mesure de la définition de nouveaux enjeux – ceux de l’Europe de la recherche, en particulier, qui apparaissent depuis une vingtaine d’années comme les plus marquants et les plus structurants. Ce bref – beaucoup trop bref – tour d’horizon n’a pour ambition que de rappeler que ces développements récents ne se produisent pas « hors-sol », mais s’appuient sur un terreau dont les strates initiales coïncident parfois avec les toutes premières années du CNRS. Toutes les « graines » qui y ont été semées mériteraient autant d’histoires particulières, où les considérations purement scientifiques seraient rapprochées des préoccupations géopolitiques dont on perçoit bien, à chaque fois, le rôle qu’elles ont pu jouer. Dans ce domaine, malgré les publications qui se succèdent depuis plusieurs années, tout reste à faire !


Mots-clés éditeurs : Recherche fondamentale, CNRS, Science, Collaboration internationale, Recherche publique

Date de mise en ligne : 01/11/2016

https://doi.org/10.3917/bipr1.044.0075

Notes

  • [1]
    Docteur en histoire de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Denis Guthleben est attaché scientifique au Comité pour l’histoire du CNRS, rédacteur en chef de la revue Histoire de la recherche contemporaine et membre du bureau de la Revue d’histoire des sciences. Auteur de plusieurs ouvrages, dont l’Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science (Armand Colin, 2013), il dirige également la collection « Histoire des sciences » aux éditions Nouveau Monde.
  • [2]
    2014, une année avec le CNRS, p. 18 [mis en ligne en juillet 2015, consulté le 1er mars 2016] : http://www.cnrs.fr/fr/pdf/RA2014/index.html
  • [3]
    On consultera pour cela Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science, Paris, Armand Colin, Coll. Poche, 2013 (2009 pour la première édition).
  • [4]
    Michel Morange, « L’Institut de biologie physico-chimique de sa fondation à son entrée dans l’ère moléculaire », La revue pour l’histoire du CNRS, 7, CNRS Éditions, novembre 2002, p. 32-40.
  • [5]
    Voir Pascal Ory, La belle illusion. Culture et politique sous le signe du Front populaire, Paris, CNRS Éditions, 2016 (1re édition 1994), en particulier p. 471-509.
  • [6]
    Louis Pasteur, Quelques réflexions sur la science en France, Paris, Gauthier-Villars, 1871.
  • [7]
    Jean Perrin, L’organisation de la recherche scientifique en France, Paris, Hermann, 1938.
  • [8]
    Pour en savoir plus, on pourra consulter Diane Dosso, Louis Rapkine (1904-1948) et la mobilisation scientifique de la France libre, thèse de doctorat sous la direction de Dominique Pestre, décembre 1998.
  • [9]
    Sur un oubli dans le Plan Monnet, Comité d’action pour la défense de la recherche et de l’enseignement scientifiques, 1947.
  • [10]
    Cité par Diane Dosso, Louis Rapkine (1904-1948)…, op. cit., p. 366.
  • [11]
    Voir Corine Defrance, « La mission du CNRS en Allemagne. Entre exploitation et contrôle du potentiel scientifique allemand », La revue pour l’histoire du CNRS, 5, CNRS Éditions, novembre 2001, p. 54-65.
  • [12]
    Note citée par Corine Defrance, ibid., p. 61.
  • [13]
    Lettre de Frédéric Joliot-Curie à la Fondation Rockefeller, 1945, citée dans Catherine Nicault, Virginie Durand (dir.), Histoire documentaire du CNRS, Tome 1, années 1930-1950, Paris, CNRS Éditions, 2005, p. 237.
  • [14]
    Voir John Krige, American Hegemony and the Postwar Reconstruction of Science in Europe, Cambridge, MIT Press, 2008, en particulier p. 75-111.
  • [15]
    Voir Denis Guthleben, « D’un bloc l’autre ? Le CNRS dans la Guerre froide », in Corine Defrance, Anne Kwaschik (éd.), La Guerre froide et l’internationalisation des sciences, Paris, CNRS Éditions, 2015, p. 91-104.
  • [16]
    Voir Denis Guthleben, « L’Allemagne, fer de lance de la politique européenne du CNRS ? », in Corine Defrance, Ulrich Pfeil (éd.), La construction d’un espace scientifique commun. La France, la RFA et l’Europe après le « choc du Spoutnik », Bruxelles, PIE Peter Lang, 2012, p. 99-114.
  • [17]
    Rapport d’activité du CNRS, octobre 1952-octobre 1953, p. 52.
  • [18]
    Bruno Marnot, « Le budget du CNRS de la Libération à 1968 », La revue pour l’histoire du CNRS, 25, CNRS Éditions, novembre 2010, p. 38-42.
  • [19]
    Alvin M. Weinberg, « Impact of Large-Scale Science on the United States », Science, n° 3473, 21 juillet 1961, p. 161-164.
  • [20]
    Pour en savoir plus sur l’histoire de l’ILL, voir Bernard Jacrot, Des neutrons pour la science. Histoire de l’Institut Laue-Langevin, Paris, EDP Sciences, 2006.
  • [21]
    Pour en savoir plus sur ces projets, Denis Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours, op. cit.
  • [22]
    Sur le parcours d’Hubert Curien, voir le dossier « Hubert Curien, de l’amphithéâtre au ministère de la Recherche », Histoire de la recherche contemporaine, tome V, n° 2, Paris, CNRS Éditions, à paraître en décembre 2016.
  • [23]
    Brian Flowers, « La Fondation européenne de la science », Le Courrier du CNRS, n° 24, avril 1977, p. 48.
  • [24]
    Voir Jean-François Théry, Rémi Barré, La loi sur la recherche de 1982. Origines, bilan et perspectives du "modèle français", Paris, Éditions Quae, 2001.
  • [25]
    Jean-François Miquel, « Le CNRS et la coopération internationale », Le Courrier du CNRS, n° 54, janvier 1984, p. 8.
  • [26]
    Pour l’heure, seule cette dernière mission a fait l’objet d’une étude, voir Catherine Nicault, « Le CNRS dans l’Orient compliqué : le Centre de recherche français de Jérusalem », Revue pour l’histoire du CNRS, n° 5, novembre 2001, p. 24-35.

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