Autrepart 2015/1 N° 73

Couverture de AUTR_073

Article de revue

La place des récits destinés aux touristes dans les jeux de pouvoir locaux (Santa Anita, Guatemala)

Pages 37 à 53

Notes

  • [*]
    Docteure en anthropologie, chargée de cours à l’université de Toulouse 2, LISST-Centre d’anthropologie sociale, Toulouse.
  • [1]
    Ce conflit, initié dans les années 1960 et poursuivi sous divers régimes dictatoriaux, a fait 200 000 victimes, en majorité parmi la population indigène qui a été massacrée à grande échelle par l’armée en raison de son soutien supposé à la guérilla. La violence de la répression militaire a amené la communauté internationale à faire pression pour rétablir un gouvernement démocratique puis pour organiser des négociations de paix qui se sont conclues en 1996 par la signature d’un traité de paix « ferme et durable ».
  • [2]
    La désignation et l’autodésignation identitaire dans le contexte guatémaltèque reposent en priorité sur l’appartenance à une localité d’origine (municipio) ainsi qu’à la désignation ethnique attachée au groupe linguistique. Le pays compte vingt-deux langues mayas.
  • [3]
    Il s’agit ici de l’identité affichée, qui est une identité homogénéisante construite sur l’image de l’ex-guérillero, même si l’expérience de la lutte armée n’est pas partagée par tous. Une partie des femmes et la génération des enfants n’y ont jamais participé.
  • [4]
    Ces enquêtes ethnographiques étaient réalisées dans le cadre de ma thèse de doctorat en anthropologie au cours de laquelle je me suis rendue plusieurs fois à Santa Anita, pour des séjours de trois à six mois, entre 2009 et 2011.
  • [5]
    Toutes les citations ont été traduites de l’espagnol par l’auteure. J’ai sélectionné les extraits cités ici, qui proviennent de plusieurs conférences, pour mettre en évidence les points marquants. La structure du discours, qui diffère peu d’une conférence à une autre, est respectée. Les phrases-clés sont répétées d’une fois sur l’autre, j’ai gardé ici les variations les plus explicites.
  • [6]
    Ce qui n’est pas le cas, par exemple, des plus jeunes ou d’une partie des femmes qui sont mariées à des guérilleros, mais n’ont pas elles-mêmes combattu.
  • [7]
    L’opposition entre « urbain » et « rural » est à replacer dans le contexte du Guatemala indigène. Il s’agit de différencier les habitants qui vivaient dans des agglomérations, parfois très petites, des paysans isolés. La « montagne » fait référence à l’expérience de la guérilla, où certains se sont incorporés dès les années 1960 tandis que les plus jeunes n’ont rejoint la lutte que quelques années avant la signature des accords de paix en 1996.
  • [8]
    Cette participation des touristes à la production du circuit peut prendre la forme de conseils ou d’un investissement personnel et matériel, lorsqu’ils contribuent à produire le matériel promotionnel, par exemple.
  • [9]
    Les années 1980 ont été marquées par la brutalité des tactiques de l’armée qui ont efficacement défait le soutien paysan à la guérilla en massacrant la population civile [Falla, 1992 ; Brett, 2007].
  • [10]
    Une position qui renvoie à la figure de la « victime innocente » (idéalement non combattante et non politisée) popularisée par certains discours des militants des droits humains, mais aussi à la catégorie de « population civile » maniée par les commissions de la vérité [Rodriguez Maeso, 2010].
  • [11]
    Au moment des négociations de paix, les quatre mouvements de guérilla guatémaltèques se sont unis pour former l’URNG, qui est devenu un parti politique après la démobilisation.
  • [12]
    La continuité des valeurs mise en scène dans le discours fait écho aux situations de « reconversions militantes » analysées par B. Moallic [Ibid.] en Amérique centrale.
  • [13]
    Je laisse ici de côté certaines différences de statuts entre les habitants dans la mesure où cette distinction apporterait une complication sans utilité pour notre propos. Nous prenons en compte ici la génération des adultes (les ex-guérilleros sont associés de droit, leurs épouses en bénéficient par alliance). La question de la participation de la génération des enfants à la direction de la communauté est l’objet de débats internes.
  • [14]
    L’ORPA (Organisation du peuple en armes) est l’un des quatre mouvements de guérilla qui a opéré au Guatemala dans les années 1970.
  • [15]
    Les organes de représentations électives de Santa Anita sont officiellement paritaires. Toutefois, le pouvoir politique reste essentiellement aux mains des hommes, même si l’on constate une nette différence dans la relation des femmes au pouvoir selon qu’elles ont été ou non combattantes dans la guérilla. Une femme avec une longue expérience combattante dans la guérilla sera beaucoup plus susceptible d’assumer de réelles fonctions de direction au sein d’un comité ou de l’équipe de direction.
  • [16]
    Le discours de représentation de la communauté élaboré au sein du circuit se retrouve également dans les matériaux produits par les visiteurs (tels que des films mettant en scène les témoignages de certains habitants, le matériel promotionnel touristique) qui circulent à l’intérieur et en dehors de la communauté.
  • [17]
    Cette instance locale est censée servir de relais entre les communautés et les autorités locales, départementales et étatiques pour les demandes de financements. Elle a une définition légale au niveau national, mais prend des formes diverses, plus ou moins formelles suivant les réalités locales.
  • [18]
    On peut avancer l’hypothèse que le fait que le conférencier soit payé pour son travail de représentation de la communauté dans le cadre touristique constitue un frein à la reconnaissance officielle de la dimension politique de ce rôle.

1Située sur la côte pacifique, au nord du Guatemala, Santa Anita la Unión est une communauté rurale d’ex-guérilleros devenus caféiculteurs. Elle fut fondée par une trentaine d’ex-guérilleros et leurs familles, revenues du Mexique où elles s’étaient réfugiées en 1998, deux ans après la signature des accords qui mettaient un terme à près de quarante ans d’affrontements entre l’armée et des mouvements de guérilla marxistes [1]. Les habitants de la communauté cultivent aujourd’hui le café en agriculture biologique et le vendent dans des réseaux de commerce équitable. Dans ce pays qui compte, avec la Bolivie, l’un des pourcentages de population indigène les plus élevés d’Amérique latine, la communauté de Santa Anita présente une identité particulière, car elle est construite, non pas sur une « indigénéité » articulée au municipio et au groupe ethnolinguistique [2], mais sur la qualité d’ex-guérilleros de ses habitants [3]. Ces derniers ont l’habitude de recevoir des étrangers, attirés par la singularité de leur histoire et désireux d’entendre leurs témoignages. L’accueil s’est peu à peu formalisé, conduisant au développement d’un projet de tourisme culturel et solidaire qui attire des visiteurs souvent familiarisés avec l’Amérique latine, proches des milieux militants et soucieux de se distinguer de la figure du « touriste » [Urbain, 1996]. Le passé de Santa Anita l’inscrit en effet dans un imaginaire révolutionnaire lié à l’histoire des luttes armées du continent latino-américain. Le cœur du circuit touristique est la « conférence » donnée par l’un des ex-guérilleros, qui prend la parole au nom de la communauté et incarne une « mémoire vivante », dans la logique du genre testimonial, également inscrit dans l’histoire des luttes latino-américaines [Ollé, 2005]. C’est essentiellement dans cette interaction entre le conférencier et les visiteurs que se construit « l’enchantement » [Winkin, 2006] de la rencontre.

2À première vue, les discours énoncés dans le cadre du circuit touristique sont essentiellement tournés vers l’extérieur et semblent avoir des enjeux mineurs. Le conférencier s’adresse à des étrangers, auxquels il présente une image consensuelle de la communauté, qui tend à homogénéiser les différences au sein du groupe et qui s’appuie ici sur la figure du guérillero. Le nombre de visiteurs est peu élevé et ne génère pas d’importants bénéfices. L’argent du tourisme est considéré comme un bien communautaire. Les salaires des acteurs du projet, parmi lesquels figure le conférencier, sont donc volontairement bas. Cependant, l’importance du circuit, en tant qu’espace de parole publique, va bien au-delà du cadre touristique au sens strict. Cela tient à la fois à la place qu’occupent réellement les étrangers dans l’économie locale et à la position du conférencier dans les jeux de pouvoir locaux. Du fait de l’orientation solidaire du projet développé par les habitants de Santa Anita, les étrangers qui visitent la communauté ne sont pas uniquement des « touristes » (dans une acception de sens commun), mais peuvent devenir des partenaires pour la mise en œuvre de projets de développement. Ces bénéfices indirects, générés grâce aux connexions transnationales, représentent une part importante de l’économie locale. Toutefois, ils ne peuvent être obtenus que si les visiteurs adhèrent à l’image de Santa Anita que présente le conférencier et dépendent donc de l’efficacité dont il fait preuve dans l’élaboration de son discours sur la communauté.

3La singularité et l’importance de son rôle apparaissent mieux si l’on précise que l’exercice public de la parole est très inégalement partagé à Santa Anita. Comme j’ai pu le constater au cours de mes enquêtes [4], les habitants tracent une frontière nette entre la prise de parole publique et le discours privé. Cette frontière se manifesta, en particulier, lorsque je demandai à certains de mes interlocuteurs de m’accorder un entretien formel enregistré. Une partie d’entre eux récusa la demande et cela, comme je le compris avec le temps, parce qu’ils identifiaient ce type d’entretiens à une forme de parole publique. Alors qu’ils n’hésitèrent jamais à me répondre dans un cadre privé, plusieurs, avec qui j’avais pourtant établi des relations de confiance, déclinèrent mes demandes ou évitèrent d’y répondre, me renvoyant vers d’autres membres de la communauté. La parole publique était, à leurs yeux, réservée à certains.

4Cela conduit à se demander qui sont les conférenciers et quels sont les modes d’accès à cette position. Quelle est la place de la parole proférée dans le cadre du circuit touristique face aux autres types de parole publique, notamment le discours politique ? Quels sont, enfin, les enjeux sous-jacents du discours adressé aux touristes dans les stratégies politiques locales ?

5Dans cet article, je chercherai à montrer en quoi l’espace touristique, à Santa Anita, est un lieu d’exercice de la parole politique au sens où il constitue un lieu de production discursive de l’image de la communauté, dont la maîtrise est au cœur des stratégies de légitimation de l’exercice du pouvoir politique. Dans un premier temps, j’aborderai la fonction du circuit comme espace de production d’un discours sur la communauté qui renvoie à des enjeux économiques, mais aussi identitaires. Par la suite, je montrerai comment l’espace de parole publique, dont le circuit fait partie, s’articule au jeu politique. Enfin, nous verrons comment le discours adressé aux touristes réfléchit les oppositions politiques locales.

Le circuit touristique comme espace de mise en scène de la communauté : enjeux économique et identitaire

6Au moment de la conférence, l’orateur effectue un travail de mise en récit de l’histoire de la communauté qui construit et met en scène une identité locale adossée à la figure du guérillero. Pendant environ une heure, il s’adresse aux visiteurs et leur présente l’histoire et le fonctionnement actuel du groupe. « Mon nom est Rigo et je fais partie de la communauté. […] On m’a demandé de vous parler de notre expérience, de l’histoire et de l’expérience que nous avons vécues [5] » dit ainsi Rigoberto, qui occupait la fonction de conférencier au moment où j’ai fait mes enquêtes de terrain. Le statut de Rigoberto a trois facettes : il se présente comme un simple membre de la communauté, mais il assume explicitement le rôle de porte-parole du groupe et il en incarne implicitement les valeurs essentielles. En effet, si le rôle de conférencier peut théoriquement être assumé par n’importe quel membre de la communauté, il est en fait réservé à ceux ayant activement participé à la guérilla [6] et revient presque toujours à un homme. Rigoberto a une soixantaine d’années et avait le grade de commandant dans la guérilla. Il a donc été témoin des évènements qu’il décrit et il en a souvent été l’un des protagonistes principaux. Cependant, le sujet est toujours pluriel. L’orateur emploie le « nous » lorsqu’il décrit le cheminement du groupe après la fin de la lutte pour devenir caféiculteurs. « Nous sommes un groupe de paysans qui avons participé à la lutte révolutionnaire ici au Guatemala ». « À la fin de la guerre, deux ans après la signature les accords de paix, nous nous sommes installés ici ». « Nous avons lutté pour être autonomes, nous avons lutté pour être libres ». Bien qu’il évoque les origines diverses des habitants, son récit tend à dessiner une image homogénéisante de la communauté, autour de la figure de l’habitant de Santa Anita : un individu volontaire, héritier des valeurs de la révolution, mais intégré dans un nouveau projet collectif. « Nous venions de différents endroits, certains urbains, d’autres dans la campagne. Nous nous sommes connus dans la montagne ». « Nous avons été des révolutionnaires. En 1960, 1970, 1980, 1990… différentes générations, mais nous avons tous construit Santa Anita [7] ». Le récit ne s’attarde pas sur les différences ou les oppositions au sein de la communauté. Les décisions prises sont toujours présentées comme collectives et consensuelles. À de nombreuses occasions, c’est la communauté elle-même qui devient le sujet du discours :

7

« Nous nous sommes développés dans deux directions : la communauté et le café. […] Ici, il n’y avait pas de maisons, la plantation était abandonnée. Il y a douze ans, nous avons commencé à travailler à construire notre communauté et notre vie. Santa Anita travaille à réaliser ses rêves et ses buts. Nous avons le label biologique. Nous sommes engagés dans le commerce équitable, juste. En étant exportateurs, nous combattons l’intermédiaire, nous ne nous sommes pas mis entre les mains du coyote. […] C’est un processus de développement. Stagner, non ! Grandir. Santa Anita veut grandir. »

8Face aux visiteurs, le conférencier trace ainsi l’histoire collective sur laquelle se construit le référent identitaire. Le fait que l’identité locale soit mise en scène dans le cadre touristique ne présume pas de son caractère « inauthentique », comme le montrent les travaux récents en anthropologie du tourisme [Picard, 1992 ; Lanfant, Allock, Bruner, 1995 ; Le Menestrel, 1999 ; Géraud, 2002]. La représentation de l’identité locale résulte d’un processus dynamique où les intermédiaires (médiateurs, guides, passeurs ou courtiers) jouent un rôle essentiel [Doquet, 2010]. L’Amérique latine offre quantité d’exemples de ces dynamiques locales où le développement de formes alternatives de tourisme s’articule à des processus de patrimonialisation, à des stratégies d’affirmation identitaire [Demanget, Dumoulin Kevran, 2010] ou encore à des processus de revendication mémorielle [Bilbija, Payne, 2011]. L’efficacité de la représentation (staging) de l’identité locale repose toutefois sur la compétence des acteurs à articuler la conscience réflexive de leur propre identité avec une bonne compréhension des attentes des visiteurs [Little, 2000 ; Picard, 2010].

9Contrairement à nombre de projets inscrits dans la mouvance du « fair tourism » [Cravatte, Chabloz, 2008], le circuit de Santa Anita n’est pas encadré par une organisation de type ONG, qui assumerait le rôle de médiation entre les locaux et les visiteurs et risquerait de lui imposer des modalités figées. La mise en place du circuit relève d’un « bricolage », auxquels les touristes eux-mêmes participent [8], mais qui repose sur l’implication d’un petit nombre d’acteurs locaux, dont le conférencier est ici le plus important [Duterme, 2013]. Comme dans le cas analysé par Emmanuel Grégoire [2006] chez les Touaregs nigériens, les réseaux touristiques et de solidarité s’entremêlent autour de certains personnages clés. La construction discursive de l’image de la communauté dans le cadre touristique fonctionne comme une « carte de visite » à destination des visiteurs étrangers. En tant que telle, elle constitue un élément essentiel du fonctionnement de l’économie locale, qui dépend entièrement, à Santa Anita, de son intégration à des réseaux internationaux.

10Le projet touristique est un des cas qui manifestent l’importance des ressources liées aux relations avec l’étranger, mais, comme nous l’avons signalé, les bénéfices économiques directs qu’il engendre sont limités si l’on ne tient compte que des recettes engendrées par la fréquentation du circuit. Son réel apport économique réside dans le fait qu’il crée un espace de rencontre avec les visiteurs étrangers. Les rencontres réussies entraînent régulièrement des collaborations à l’initiative des visiteurs. Celles-ci varient du simple coup de main pour repeindre l’école ou récolter le café jusqu’au développement de projets beaucoup plus ambitieux (construction d’un centre informatique, achat de matériel scolaire ou agricole), selon la capacité des partenaires à mobiliser leurs propres réseaux (familiaux, militants, mais aussi professionnels ou religieux) pour rassembler les fonds nécessaires. La frontière qui sépare la catégorie du touriste (au sens de simple visiteur) de celle, très vague, englobant les acteurs de l’aide au développement, institutionnalisé ou non, se révèle extrêmement flexible. Elle ne fait pas sens pour les acteurs locaux. Tous les visiteurs étrangers sont considérés (à juste titre) comme des partenaires potentiels. L’élaboration d’une forme de tourisme solidaire, non institutionnalisée et reposant sur le réseautage a montré aux membres de la communauté qu’un visiteur parmi d’autres peut se révéler un allié. Ainsi, un professeur d’université venu visiter la communauté amènera pendant plusieurs années des groupes d’étudiants ; un jeune touriste à la recherche d’un lieu où mettre sur pied un microprojet de développement choisira Santa Anita à la suite de son séjour ; un touriste américain se révélera être membre d’un groupe religieux rassemblant des fonds destinés à l’humanitaire. L’impact économique entre deux visiteurs, que rien ne permet a priori de distinguer, est énorme, depuis les 10 dollars que coûte une visite jusqu’aux projets de développements étalés sur plusieurs années. Cette flexibilité dans la définition du « touriste » entraîne la flexibilité de l’usage du circuit. Le circuit, de même que le discours sur la communauté qui s’y élabore, est mobilisé dans le cadre des relations avec les partenaires. Ainsi, Rigoberto profite de l’opportunité de rencontre avec les visiteurs pour nouer des liens qui mèneront éventuellement à l’établissement de projets. Parallèlement, lorsqu’il s’adresse aux représentants du commerce équitable, dont il est l’un des interlocuteurs principaux, il adopte la même posture et les mêmes expressions que dans le cadre touristique. L’adéquation entre la représentation de soi pour les touristes et celle de l’économie du café n’a rien d’étonnant, étant donné la relation dialectique entre la figure du « petit producteur » et la catégorie de « population locale » maniée dans le cadre du tourisme solidaire [Cravatte, 2006].

11Le conférencier a donc un rôle informel de « courtier en développement » [Olivier de Sardan, Bierschenk, 1993] qui passe par la mise en récit de l’identité locale. Excellent orateur, il captive généralement l’auditoire par son humour ainsi que par l’intensité qu’il met dans ses propos, même après les avoir si souvent répétés. Le rythme de parole est scandé, ponctué de pauses qui en soulignent les informations centrales. Rigoberto cherche en permanence le regard de ses auditeurs et adapte son discours, en parlant lentement et en utilisant souvent les verbes à l’infinitif pour aider les visiteurs non hispanophones. Ce parler quelque peu approximatif peut contribuer à mettre ses interlocuteurs à l’aise pour échanger et poser leurs questions à la fin du récit. L’ambiance est, le plus souvent, détendue : les visiteurs se voient offrir une tasse de café, réunis autour de Rigoberto dans le salon du principal bâtiment de la plantation. Il conserve un ton enjoué pour évoquer les valeurs centrales de son discours, prenant parfois ses interlocuteurs à contre-pied. « Que veut dire “durable” ? » demanda-t-il ainsi en mimant le fait de compter de l’argent « Eh ! Plus de billets dans la poche. Mais oui. Pour la maison, la santé, le foyer, la famille… et puis pour les bières ! Comment l’obtenir ? Avec une vision de travail, entrepreneuriale ». Rigoberto établit un sentiment de complicité avec ses auditeurs, autour de valeurs partagées. En redéfinissant le terme « durable », récurrent dans le vocabulaire de la solidarité internationale en fonction des attentes locales, il met l’accent sur la nécessité de gagner sa vie pour assurer l’accès aux besoins de la vie quotidienne. Cela fait écho à l’objectif du tourisme solidaire de bénéficier directement aux communautés locales, tout en mettant en avant l’humanité commune de tous les protagonistes en marquant la similitude des aspirations à garantir la vie et la santé de sa famille, autant que profiter de moments de détente. La volonté des locaux d’atteindre un meilleur niveau de vie est inscrite dans une approche volontariste, illustrée ici par le terme « entrepreneurial » et qui est explicitement exprimée par des formules comme « Santa Anita doit faire un pas en avant chaque année ». Ce mode de présentation de soi contraste avec l’emphase sur la tradition qui marque les discours touristiques des communautés mettant l’accent sur leur identité indigène. À Santa Anita, l’ambition d’amélioration des conditions de vie et d’innovation est revendiquée dans la continuité des idéaux révolutionnaires. Le conférencier retrace l’histoire du développement de la communauté en mettant en lumière ses avancées, malgré la difficulté inhérente au fait de reconstruire « de zéro » : « Il y a douze ans que la paix a été signée. Onze ans que nous vivons ici. Une nouvelle étape dans nos vies : l’incorporation à la vie civile ». « Nous sommes des paysans avec un faible niveau d’étude. Tenir la comptabilité n’est pas toujours facile. Avant, nous maîtrisions très mal les questions administratives, mais c’est un problème que nous corrigeons ».

12Le récit ancre l’identité collective de Santa Anita dans le nouveau statut de paysan exportateur et présente son mode de vie actuel comme une façon de poursuivre la lutte par d’autres moyens. Cette idée apparaît dans les formules récurrentes, scandées par Rigoberto, qui rapprochent l’engagement passé et l’engagement présent, en mobilisant le champ sémantique du combat. « À la fin de la guerre, dit-il, nous avons déposé les armes et empoigné les machettes ». La machette, outil polyvalent du paysan, s’oppose au fusil, dont l’abandon a symboliquement marqué le passage de la lutte armée à la vie civile. « Avant, nous nous réunissions dans l’odeur de la poudre, aujourd’hui c’est l’arôme du café ! ». La construction rhétorique qui met en parallèle le passé révolutionnaire et la revendication actuelle des valeurs du commerce équitable, dans lequel s’inscrit la communauté, dessine l’image type de l’ex-guérillero de Santa Anita : celle d’un paysan à la conscience éveillée, agissant dans la continuité des idéaux révolutionnaires, mais qui a adopté les valeurs démocratiques et pacifiques actuelles. L’idéal révolutionnaire est, par ailleurs, associé à une attitude combative et autonome, face aux enjeux passés et présents : « Avant, nous élaborions des stratégies offensives et défensives, aujourd’hui nous pensons [en termes de] stratégies de financement ». « À Santa Anita, nous combattons les attitudes pessimistes, les attitudes conservatrices. Pour un paysan qui s’en sort, un paysan avec une vision du futur ! » Les habitants de Santa Anita sont présentés d’abord comme des agriculteurs, certes, mais aussi comme des producteurs et des exportateurs de café indépendants, des spéculateurs, ce qui leur confère une identité nouvelle : ce n’est plus celle du paysan indien exploité (mozo), ni celle du grand propriétaire terrien, mais celle d’un paysan entrepreneur, propriétaire de sa terre. L’orateur souligne cette distinction lorsqu’il compare l’organisation actuelle de Santa Anita au fonctionnement passé, qui est encore celui des plantations voisines : « Avant, il y avait un patron [ici], mais maintenant nous sommes tous le patron ! », « Les fincas autour [c’est-à-dire les plantations voisines de Santa Anita] sont de vraies fincas, ici c’est une communauté ! ». « Santa Anita la Unión est une communauté construite par l’imaginaire de tous ses habitants, Santa Anita la Unión est une communauté avec une attitude combattante ». Le conférencier oppose l’organisation hiérarchisée et inégalitaire typique de la finca, au mode d’organisation communautaire actuel, où la gestion de la terre et de la production caféière est collective.

13La mise en récit de l’histoire de la communauté élaborée par le conférencier construit ainsi le sens et la continuité d’un parcours marqué, en réalité, par des ruptures. Revendiquer l’appartenance à la lutte armée comme une identité positive ne relève pas de l’évidence dans un contexte national où l’image du guérillero est dépourvue du romantisme qu’elle peut avoir pour une certaine partie des gauches européenne et américaine. Les commissions de la vérité ont déclaré l’armée coupable de l’immense majorité des exactions [9]. Toutefois, les guérilleros n’en sont pas pour autant apparus comme les vainqueurs ou les héros du conflit et l’image du « communiste » ou du « révolutionnaire » reste pour le moins ambivalente aux yeux de la population guatémaltèque. Si le débat sur une éventuelle part de responsabilité de la guérilla dans l’escalade de violence [Stoll, 1993] est surtout resté cantonné à la scène politique guatémaltèque et au champ académique, les discours locaux inscrits dans des logiques victimaires tendent à marquer la distance avec l’ensemble des acteurs armés [10] [Duterme, 2016]. Les anciens guérilleros qui avaient lutté pour une réforme agraire se sont vus, après leur démobilisation, contraints de retourner à la vie civile avec aussi peu, voire moins, de moyens qu’avant leur engagement [Sáenz de Tejada, 2007]. Au moment de la démobilisation, les leaders de la guérilla annonçaient la transition de l’action combattante à l’action politique [Laliberté, 2006], à l’image des cas salvadorien et nicaraguayen [Bataillon, 2004 ; Moallic, 2009], mais les désillusions politiques ont fortement entamé la confiance dans le parti issu de leur alliance [11]. Dans le récit de Rigoberto, la rhétorique de la transition est utilisée, mais la lutte prend une forme nouvelle, réinterprétée à travers l’engagement militant [12] et l’application des valeurs sociales et écologiques du commerce équitable.

14L’importance du discours identitaire développé dans le cadre du projet touristique ne se limite pas à son efficacité face aux visiteurs étrangers. La production d’un récit signifiant et cohérent de l’histoire de la communauté participe également à la production de l’identité collective de Santa Anita. Au-delà de la place ambiguë du guérillero dans l’imaginaire national, l’hétérogénéité et la jeunesse de la communauté contribuent à rendre difficile l’émergence d’une identité propre à laquelle tous les habitants puissent adhérer. La référence au passé commun est au cœur de la construction identitaire, ce qui n’a rien d’exceptionnel, mais elle a ici un poids particulier, en raison du caractère très récent de la communauté, qui n’existe, comme on l’a dit, que depuis une dizaine d’années. Le référent identitaire commun qui est au centre du récit, celui de la figure du guérillero, tend à masquer la réelle diversité du groupe. Plus de la moitié des habitants n’ont jamais été membres de la guérilla : la majorité des femmes n’étaient pas combattantes, mais réfugiées au Mexique. Elles ont rejoint leurs époux à Santa Anita après la fin du conflit. Les enfants et les adolescents n’ont bien sûr pas connu cette époque. La figure du guérillero est celle des membres fondateurs, des hommes qui ont pris la décision de s’installer dans la plantation. C’est à partir de leur expérience que se construit le récit qui fonctionne comme un mythe d’origine de la communauté, qui met en scène des valeurs et une identité commune, ancrées dans l’expérience de la guérilla. Le récit sert à « imaginer » la communauté au sens d’Anderson [1990] pour en construire le sentiment d’appartenance.

Espace touristique et représentation politique

15Le circuit touristique offre un espace de production et d’énonciation d’un discours qui s’adresse aux visiteurs étrangers, mais dont les enjeux touchent aussi à la construction de l’identité locale. L’efficacité du discours réside dans l’adhésion des auditeurs et repose donc sur la compétence oratoire du conférencier. Toutefois, l’efficacité performative du discours énoncé dans le cadre touristique doit se comprendre à la lumière des interactions entre ce discours et les autres espaces de parole publique. L’analyse de l’articulation entre l’espace touristique comme lieu de mise en scène identitaire et les espaces de représentation politique constitue un apport important des travaux récents sur le tourisme. Ils contribuent à mettre en lumière les dynamiques entre différentes échelles (collectivités locales, politiques étatiques et habitants) [Cousin, 2011] et la manière dont les reformulations du pouvoir politique peuvent s’articuler à la gestion touristique d’un territoire [Doquet, 2006]. C’est en s’arrêtant sur l’identité du conférencier que l’on peut comprendre les liens entre la parole adressée aux touristes et la parole explicitement politique. Un premier élément manifeste ce lien : si le poste de conférencier est théoriquement ouvert à n’importe quel habitant de Santa Anita, cette fonction est en réalité toujours réservée aux représentants élus de la communauté, c’est-à-dire à ceux qui appartiennent à l’équipe directrice.

16L’organisation politique de Santa Anita est construite sur le modèle associatif. Sans entrer ici dans la complexité des différents niveaux de gestion administrative et politique, notons que le groupe en tant que communauté rurale dispose d’un certain niveau de gestion autonome directe. Ses habitants relèvent d’une circonscription administrative plus large (le municipio), mais la terre qu’ils travaillent leur appartient en commun. Elle a été achetée à travers la figure légale de l’« association de petits producteurs mayas », dont les habitants [13] sont les gestionnaires (socios). Ils possèdent le droit de vote lors des assemblées générales, qui sont l’organe décisionnel par excellence. Tous les deux ans, l’assemblée générale élit une équipe de direction composée de cinq membres, qui représente le plus haut niveau du pouvoir politique local. Il ne s’agit pas là du seul mandat électif. Tous les dispositifs mis en place par la communauté dépendent d’une équipe de direction élue. Étant donné le nombre relativement restreint d’habitants, presque tous les adultes appartiennent à l’un ou l’autre comité. L’enjeu politique attaché à ces charges est lié à leur valeur symbolique et économique pour la communauté. Ainsi, le comité chargé de la commercialisation du café – auquel, comme nous allons le voir, appartient Rigoberto – est responsable d’un secteur d’une importance vitale, à la différence, par exemple, du comité qui gère la crèche communautaire.

17Le cas de Rigoberto permet d’éclairer l’entrelacement des enjeux de la représentation politique et de la représentation touristique à Santa Anita, ainsi que la force du lien entre la personne du conférencier et le récit qu’il élabore.

18Lorsqu’il prend la parole, Rigoberto le fait d’abord au nom de Santa Anita. Il s’attarde peu sur sa propre expérience et se présente le plus souvent simplement en tant que « membre de la communauté ». Pourtant, au moment où il occupait la fonction de conférencier, il faisait également partie de l’équipe de direction, dont il fut le leader, en fait, sinon en droit, pendant deux mandats successifs. L’aisance avec laquelle il endosse son rôle de porte-parole et sa capacité à susciter l’enthousiasme constituent des éléments importants de sa personnalité et lui ont servi aussi bien dans son parcours politique qu’au sein du circuit. Cette aisance s’explique par ailleurs au regard de son parcours personnel. Ayant intégré l’ORPA [14] très jeune, il était commandant guérillero dans cette organisation au moment des accords de paix. Au cours de sa carrière de guérillero, il a usé du discours autant que des armes. D’une part parce que l’ORPA favorisait les tactiques de « conscientisation » parallèlement aux raids armés [Le Bot, 1992], d’autre part parce que Rigoberto a été représentant de cette organisation, ce qui l’a amené à se rendre dans de nombreux pays, de la Russie à l’Espagne et bien sûr à Cuba, pour tenter d’y gagner des soutiens. L’expérience de la guérilla a aidé les ex-guérilleros, en particulier ceux qui ont assumé des postes de commandement, à devenir d’excellents orateurs, parfaitement conscients des enjeux explicites et implicites des discours qu’ils produisent dans les espaces politiques.

19Les caractéristiques qui contribuent à faire de Rigoberto un représentant légitime de la communauté aux yeux des visiteurs étrangers sont aussi celles que l’on retrouve chez les dirigeants élus. L’âge, le sexe [15] et l’expérience de la guérilla constituent en effet les caractéristiques personnelles qui fondent la légitimité politique locale. Faire preuve de compétence dans le cadre du courtage participe également à asseoir sa légitimité, tout comme l’est le talent oratoire. L’efficacité des dirigeants est en grande partie évaluée à l’aune de leur capacité à générer des projets qui bénéficieront à la communauté. Le fait d’occuper la place de conférencier au sein du circuit constitue donc un atout potentiel dans le jeu politique. La trame narrative élaborée par Rigoberto, qui construit l’identité communautaire en la fondant sur la continuité entre le passé guérillero et l’identité de producteur et exportateur de café est directement liée à sa propre expérience de dirigeant politique. La personnalité de Rigoberto marque la production du discours touristique qui lie l’identité locale au statut du producteur de café, et à une volonté d’autonomie héritée du passé guérillero. La gestion de la production et de la commercialisation du café constitue une grande réussite de l’équipe de direction à laquelle il appartient et une réussite personnelle. L’articulation avec l’identité de « petit producteur » maniée par les partenaires du commerce équitable vient renforcer l’efficacité du discours pour la pratique du courtage.

20La mise en récit de l’histoire de la communauté se construit dans la dynamique des enjeux présents, d’une part parce que les représentations actuelles déterminent le regard porté sur un passé idéalisé, d’autre part parce que la sélection des individus en charge de la mise en récit s’inscrit dans les jeux de pouvoir. Sa position de conférencier est à la fois une conséquence officieuse de l’accession de Rigoberto au poste de direction et un atout pour renforcer sa légitimité politique. Qui plus est, les discours sur la communauté destinés aux touristes et ceux qui sont construits pour les jeux politiques locaux relèvent des mêmes logiques de représentation. Dans les deux cas, il s’agit de faire communauté et de se présenter soi-même comme un représentant légitime pour garantir l’efficacité du discours. La parole de l’un des membres de la communauté vaut pour les autres. Le conférencier doit en quelque sorte incarner la communauté dans la logique du genre testimonial [Ollé, 2005 ; Volek, 2001], s’en faire le porte-parole dans ses relations avec les touristes et les partenaires étrangers qui veulent à travers lui collaborer avec Santa Anita, imaginée comme une entité homogène. Les habitants élus aux postes de direction n’obtiennent en rien un pouvoir absolu. Leur légitimité repose sur le mandat accordé par l’assemblée générale et sur leur volonté affichée de servir les intérêts de la communauté plutôt que les leurs.

21Dans le contexte du Guatemala, profondément marqué par la corruption des élites dirigeantes et le passé dictatorial, il y a une méfiance systématique envers les individus ayant un pouvoir politique [Benson, 2004 ; Benson, Fischer, Thomas, 2008]. Il s’agit donc pour les représentants politiques locaux de convaincre de leur compétence et de leur légitimité. Le cadre touristique offre un espace d’élaboration d’un discours qui légitime l’action du locuteur, en replaçant son action au cœur de l’histoire de la communauté et de l’affirmation de son identité. Rigoberto mobilise les mêmes formules rhétoriques qui marquent la continuité de la communauté actuelle avec le projet révolutionnaire dans son rôle de responsable de la commercialisation, lors des assemblées générales de la communauté ou lors des réunions des gestionnaires des différents projets locaux. Les habitants racontent ainsi fièrement la façon dont Rigoberto s’est un jour adressé à un représentant de l’association guatémaltèque de caféiculteurs, affirmant : « nous ne sommes pas des paysans du passé, nous sommes modernes ! ». Cette déclaration constitue une réponse à l’impression d’être pris de haut par une institution composée majoritairement de grands propriétaires. Elle permet de revendiquer un statut autonome et valorisant, en rupture avec l’image du mozo exploité. L’affirmation reste toutefois diplomate, en mettant l’accent sur l’idée de modernité sans revendiquer explicitement l’ancrage dans le passé révolutionnaire. Lors des assemblées générales, au contraire, la continuité avec l’expérience de la guérilla constitue un élément central et Rigoberto, dans son rôle de membre de l’équipe dirigeante, reprend volontiers des passages de son discours touristique, mobilisant également un vocabulaire stratégique et guerrier qui lui permet de mettre en valeur son action à la tête de la communauté : « Nous avons lutté pour être autonomes, nous avons lutté pour être libres. Aujourd’hui, nous sommes une communauté organisée, avec une équipe directrice et des comités qui ont pour tâche d’assumer leurs responsabilités. […] Santa Anita est une communauté avec une attitude combative. Il nous faut exécuter ce qui a été prévu, coordonner activement le travail à accomplir, penser la gestion, la communication, la diplomatie vis-à-vis des relations internationales pour fortifier la coopération. Pour aller de l’avant. » Lorsque l’équipe dirigeante dont il fait partie reçoit des partenaires étrangers, c’est systématiquement lui qui prend la parole, assumant un discours qui ne se distingue de celui produit dans le cadre du tourisme que par l’emphase plus prononcée sur la dimension qui intéresse son interlocuteur. Il s’étendra alors plus longuement sur la production de café face aux partenaires du commerce équitable, sur l’importance de l’éducation et l’apprentissage de la gestion face à des membres d’ONG de développement, etc. Le fait que le discours identitaire élaboré dans le cadre du tourisme circule également dans les autres espaces de parole publique à travers des individus qui occupent la position de porte-parole dans ces différents espaces est ce qui lui donne sa dimension performative [16]. L’image de Santa Anita en tant que communauté « active », « combattante », réalisant l’héritage de la guérilla dans l’action présente est récurrente dans la bouche du conférencier lors des assemblées générales ou des assemblées particulières. Les logiques de la représentation politique croisent ici celles de la représentation dans le cadre touristique. Les personnes en charge doivent susciter l’adhésion à la représentation de la communauté qu’ils construisent pour la faire exister.

La parole touristique comme arène et enjeu des luttes politiques locales

22Le circuit comme espace de représentation de la communauté, lieu d’énonciation et de construction symbolique de l’identité locale et plate-forme de la rencontre avec des visiteurs constitue un enjeu des luttes politiques locales. Même si la parole qui y est énoncée n’est pas explicitement politique, sa construction et la maîtrise s’inscrivent directement dans les rapports de pouvoir. Les situations de conflit politique au sein de la communauté mettent en évidence ces enjeux du circuit. La fin de mon enquête a coïncidé avec l’exacerbation des tensions entre l’équipe dirigeante de Rigoberto et un groupe antagoniste qui cherchait à se faire élire à la direction de l’association.

23Les racines de l’opposition entre les groupes rivaux remontent aux premiers temps de l’installation de la communauté ; les responsables de l’un et l’autre groupe ont alternativement occupé les fonctions de direction. Un moment symbolique a cependant marqué la rupture franche, qui a entraîné la division puis la scission de la communauté : celui de la division de la terre, jusque-là cultivée en commun.

24Malgré son intensité et contrairement aux craintes d’un certain nombre d’observateurs extérieurs, le conflit n’a donné lieu à aucune altercation physique ni action violente. L’attitude des leaders de l’un et l’autre groupe marquait leur volonté de s’inscrire dans un respect des règles démocratiques et juridiques. Les affrontements entre les deux parties relevaient de la joute verbale et visaient à valoriser leurs propres compétences de dirigeants, à décrédibiliser leurs adversaires et à gagner un maximum d’indécis à leur cause. La compétition pour le pouvoir passait par le débat politique et l’investissement des organes de représentation. Alors que Rigoberto et son équipe occupaient le bureau de direction, les opposants ont investi un autre niveau de l’organisation locale, le comité de développement [17]. À travers celui-ci, ils ont mis en place un projet d’accès à l’eau potable, financé par la coopération internationale. Cette réussite venait qualifier leurs compétences de dirigeants. Elle a permis de contrebalancer le poids symbolique du projet phare du groupe dirigé par Rigoberto : le développement de la production et de l’exportation du café. L’investissement du comité par les opposants leur ouvrait également l’opportunité d’appeler à des réunions publiques officielles, ce qui a rendu possible l’organisation du vote entérinant le changement de direction. La prise de pouvoir par le groupe opposant a entraîné non seulement le renouvellement de l’ensemble du bureau directeur de l’association, mais aussi le remplacement complet de l’équipe en charge du projet touristique. Ce type de nettoyage par le vide n’est pas surprenant dans le contexte politique guatémaltèque, où la pratique permet une redistribution des postes dans une logique clientéliste. Cependant, elle se combine ici à une stratégie de gestion de la parole publique et des fonctions de représentations de la communauté.

25La confrontation des récits élaborés par Rigoberto et son successeur, Alejandro, permet de souligner comment les tensions politiques locales se traduisirent concrètement dans le discours touristique. La construction narrative élaborée par Rigoberto présente le choix de procéder à la répartition de la terre comme le résultat d’une opposition entre une classe « dirigeante » (qui correspond à ses opposants politiques) et une classe de travailleurs, se conformant à une lecture marxiste qui est aussi celle qu’il applique au conflit qui l’oppose au groupe concurrent. Il inscrit l’abandon de la communauté de la terre dans la continuité d’un projet révolutionnaire visant à démettre le pouvoir élitiste :

26

« Nous avons vécu [à Santa Anita] deux systèmes administratifs et politiques. En premier lieu, collectivité. Unité par la collectivité : tout est à tous. La plantation a vécu six ans ainsi. Ce n’est ni bien ni mal. Je l’ai vécu et je suis convaincu que le collectivisme est une bonne chose. [Mais] tout ça s’arrête quand la politique s’en mêle. Le système collectif n’est pas mauvais, il est bon. [Le] problème [fut] avec certaines personnes. C’était mauvais, parce qu’un groupe a pris l’habitude de diriger et de ne pas travailler. Nous avons créé des groupes opposés : une classe de travailleurs et ceux qui dirigent. Confrontation. […] La classe dirigeante se croyait la plus capable… C’est difficile de construire une démocratie. [Et soudain] en 2005 : révolution agraire. Changement. Nouvelle unité, unité stratégique. Divisés, mais unis par le café. On a donné à chaque agriculteur la responsabilité de sa terre. […] Six ans plus tard, la plantation va de mieux en mieux ».
[Rigoberto]

27La division de la terre est présentée comme l’acte qui éveille chacun à sa responsabilité et entraîne les premières réelles améliorations de la production, ouvrant la possibilité aux habitants de devenir les « paysans exportateurs » de Santa Anita. Cette narration valorise, indirectement, l’action de Rigoberto et décrédibilise ses opposants, pour qui possède les clés pour déchiffrer les allusions, car le discours ne met en scène aucun acteur individuel.

28Le groupe opposant, une fois arrivé au pouvoir, produira à l’inverse un discours d’où le conflit est absent, mettant l’accent sur l’unité de la communauté et sa continuité depuis les premiers temps de l’installation. Comme le récit de Rigoberto avant l’exacerbation des tensions, cette construction narrative met l’accent sur les difficultés surmontées par la communauté en tant que collectif, mais le projet d’eau potable mené par le groupe nouvellement en place vient remplacer le discours sur l’importance du café :

29

« Cette plantation était en vente, et la personne […] était d’accord pour nous la vendre à nous. Parce que… […] pour certains, être communiste, à l’époque, était vu comme une mauvaise chose. Communiste… [C’est] lutter, travailler pour le bien commun. Mais…. [Il exprime, d’un geste, le décalage avec la façon dont les gens, en dehors de la guérilla, percevaient le communisme]. Notre communauté a travaillé, sans salaire. C’était très difficile pour nous. Et nous avons dû faire face au problème [du manque] d’eau potable. […] Il fallait quatre personnes pour amener l’eau jusqu’ici. […] Alors, nous avons dormi ensemble, mangé ensemble, c’était bien organisé. […] Et ainsi nous nous sommes mis au travail ».
[Alejandro]

30Ici, le « mythe d’origine » de la communauté qui est constitué par le récit met en scène la force du collectif et de l’organisation pour surmonter les difficultés, ainsi que la continuité ininterrompue de la communauté depuis l’installation. Cette construction reflète ici encore les enjeux présents puisque la légitimité politique du groupe d’Alejandro s’appuie sur le soutien de la majorité. Il s’agit ici de faire apparaître un groupe soudé, dont l’unité n’a été que momentanément perturbée par des éléments perturbateurs (Rigoberto et ses partisans). Ce discours est cohérent avec la stratégie mise en place par le groupe d’Alejandro, qui a tenté de rallier le plus grand nombre possible de membres de la communauté, avant de provoquer le vote qui traçait en quelque sorte la ligne finale de démarcation entre les soutiens et les opposants.

31La confrontation des deux visions de la communauté revendiquées par les leaders des groupes opposés où chacun renvoie à l’autre la responsabilité de la division de la communauté et la rupture d’avec les idéaux révolutionnaires se traduit ainsi dans le récit adressé aux touristes, même si ces derniers ne peuvent pas toujours en décoder le sens. La maîtrise de l’espace de parole touristique est un enjeu politique reconnu par les deux groupes. La référence au passé guérillero qu’ils partagent reste au cœur de la production discursive de l’identité locale. Toutefois, chacun des conférenciers, comme on l’a vu, construit sa version de l’histoire de la communauté de Santa Anita, appuyée sur des valeurs révolutionnaires emblématiques : d’un côté la « réforme agraire » de Rigoberto, de l’autre l’« idéal collectif » d’Alejandro. La question de la terre touche aux fondements de l’organisation politique et symbolique. C’est l’achat de la terre et l’installation sur la plantation qui fonde Santa Anita. L’association qui en constitue la figure légale a été créée pour permettre d’acheter la terre et c’est elle qui forme la structure de l’organisation locale. Le passé révolutionnaire idéalisé et le projet politique collectif du groupe fondent le socle d’une identité commune encore en cours d’élaboration.

Conclusion

32Comme nous avons tenté de le montrer, les discours destinés aux touristes ont des enjeux fondamentaux, tant sur le plan économique que symbolique, dans la mesure où ils contribuent à construire l’image que la communauté veut donner d’elle à la fois aux autres et à elle-même, et par conséquent à légitimer une option politique, comme le révèle le conflit que nous venons d’évoquer. Les questions abordées dans les discours des conférenciers traduisent ainsi des enjeux fondamentaux de l’identité et des rapports de pouvoir au sein de la communauté. Les interactions entre jeu politique et discours adressé aux touristes correspondent au caractère protéiforme du rôle de « représentant de la communauté » qui définit le pouvoir politique local. Certes, l’importance de la fonction de conférencier et de l’espace de parole qu’elle permet à son titulaire de maîtriser n’est pas officiellement reconnue. Le poste est décrit comme un simple emploi salarié que pourrait théoriquement occuper n’importe quel habitant de la communauté, mais il se révèle de fait réservé aux représentants politiques [18]. Il est aisé, par ailleurs, de méconnaître la dimension politique d’une parole énoncée hors des lieux clairement dévolus au débat politique, comme les assemblées générales. Mais, en réalité, on constate que la fonction du conférencier est éminemment politique, dans la mesure où son discours a une action sur la vie et le devenir de la communauté. Cette fonction illustre, à sa manière, l’importance de la parole dans l’accès au pouvoir politique dans ces communautés et dans son exercice.

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Notes

  • [*]
    Docteure en anthropologie, chargée de cours à l’université de Toulouse 2, LISST-Centre d’anthropologie sociale, Toulouse.
  • [1]
    Ce conflit, initié dans les années 1960 et poursuivi sous divers régimes dictatoriaux, a fait 200 000 victimes, en majorité parmi la population indigène qui a été massacrée à grande échelle par l’armée en raison de son soutien supposé à la guérilla. La violence de la répression militaire a amené la communauté internationale à faire pression pour rétablir un gouvernement démocratique puis pour organiser des négociations de paix qui se sont conclues en 1996 par la signature d’un traité de paix « ferme et durable ».
  • [2]
    La désignation et l’autodésignation identitaire dans le contexte guatémaltèque reposent en priorité sur l’appartenance à une localité d’origine (municipio) ainsi qu’à la désignation ethnique attachée au groupe linguistique. Le pays compte vingt-deux langues mayas.
  • [3]
    Il s’agit ici de l’identité affichée, qui est une identité homogénéisante construite sur l’image de l’ex-guérillero, même si l’expérience de la lutte armée n’est pas partagée par tous. Une partie des femmes et la génération des enfants n’y ont jamais participé.
  • [4]
    Ces enquêtes ethnographiques étaient réalisées dans le cadre de ma thèse de doctorat en anthropologie au cours de laquelle je me suis rendue plusieurs fois à Santa Anita, pour des séjours de trois à six mois, entre 2009 et 2011.
  • [5]
    Toutes les citations ont été traduites de l’espagnol par l’auteure. J’ai sélectionné les extraits cités ici, qui proviennent de plusieurs conférences, pour mettre en évidence les points marquants. La structure du discours, qui diffère peu d’une conférence à une autre, est respectée. Les phrases-clés sont répétées d’une fois sur l’autre, j’ai gardé ici les variations les plus explicites.
  • [6]
    Ce qui n’est pas le cas, par exemple, des plus jeunes ou d’une partie des femmes qui sont mariées à des guérilleros, mais n’ont pas elles-mêmes combattu.
  • [7]
    L’opposition entre « urbain » et « rural » est à replacer dans le contexte du Guatemala indigène. Il s’agit de différencier les habitants qui vivaient dans des agglomérations, parfois très petites, des paysans isolés. La « montagne » fait référence à l’expérience de la guérilla, où certains se sont incorporés dès les années 1960 tandis que les plus jeunes n’ont rejoint la lutte que quelques années avant la signature des accords de paix en 1996.
  • [8]
    Cette participation des touristes à la production du circuit peut prendre la forme de conseils ou d’un investissement personnel et matériel, lorsqu’ils contribuent à produire le matériel promotionnel, par exemple.
  • [9]
    Les années 1980 ont été marquées par la brutalité des tactiques de l’armée qui ont efficacement défait le soutien paysan à la guérilla en massacrant la population civile [Falla, 1992 ; Brett, 2007].
  • [10]
    Une position qui renvoie à la figure de la « victime innocente » (idéalement non combattante et non politisée) popularisée par certains discours des militants des droits humains, mais aussi à la catégorie de « population civile » maniée par les commissions de la vérité [Rodriguez Maeso, 2010].
  • [11]
    Au moment des négociations de paix, les quatre mouvements de guérilla guatémaltèques se sont unis pour former l’URNG, qui est devenu un parti politique après la démobilisation.
  • [12]
    La continuité des valeurs mise en scène dans le discours fait écho aux situations de « reconversions militantes » analysées par B. Moallic [Ibid.] en Amérique centrale.
  • [13]
    Je laisse ici de côté certaines différences de statuts entre les habitants dans la mesure où cette distinction apporterait une complication sans utilité pour notre propos. Nous prenons en compte ici la génération des adultes (les ex-guérilleros sont associés de droit, leurs épouses en bénéficient par alliance). La question de la participation de la génération des enfants à la direction de la communauté est l’objet de débats internes.
  • [14]
    L’ORPA (Organisation du peuple en armes) est l’un des quatre mouvements de guérilla qui a opéré au Guatemala dans les années 1970.
  • [15]
    Les organes de représentations électives de Santa Anita sont officiellement paritaires. Toutefois, le pouvoir politique reste essentiellement aux mains des hommes, même si l’on constate une nette différence dans la relation des femmes au pouvoir selon qu’elles ont été ou non combattantes dans la guérilla. Une femme avec une longue expérience combattante dans la guérilla sera beaucoup plus susceptible d’assumer de réelles fonctions de direction au sein d’un comité ou de l’équipe de direction.
  • [16]
    Le discours de représentation de la communauté élaboré au sein du circuit se retrouve également dans les matériaux produits par les visiteurs (tels que des films mettant en scène les témoignages de certains habitants, le matériel promotionnel touristique) qui circulent à l’intérieur et en dehors de la communauté.
  • [17]
    Cette instance locale est censée servir de relais entre les communautés et les autorités locales, départementales et étatiques pour les demandes de financements. Elle a une définition légale au niveau national, mais prend des formes diverses, plus ou moins formelles suivant les réalités locales.
  • [18]
    On peut avancer l’hypothèse que le fait que le conférencier soit payé pour son travail de représentation de la communauté dans le cadre touristique constitue un frein à la reconnaissance officielle de la dimension politique de ce rôle.
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