Notes
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Chercheure au Conseil national de recherches scientifiques et techniques de l’Argentine.
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[1]
Traduction réalisée par Arlette Gautier.
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[2]
On peut mentionner la création du Programme national de santé sexuelle et de procréation responsable en 2002 (Loi n° 25673), la loi de l’accouchement humanisé en 2004 (Loi n° 25929), la loi de contraception chirurgicale (Loi n° 26130/2006) et la création du Programme national d’éducation sexuelle intégrale (Loi n° 26150) en 2006 ; l’inclusion de la contraception hormonale d’urgence dans le plan médical obligatoire en 2007 (recommandation 232 du ministère de la Santé de la nation) ; la loi pour prévenir, sanctionner et éradiquer la violence de genre en 2009 (Loi 26485), le droit au mariage pour les personnes de même sexe en 2010 (Loi 26618 et décret 1054/10), la loi d’identité de genre en 2012 (Loi n° 26743) et la loi de fécondation médicalement assistée en 2013 (Loi 28862).
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[3]
Cette réforme s’appuie sur le projet présenté en 1918 par le député socialiste Enrique Del Valle Iberlucea qui a introduit la possibilité de la non punition avec des objectifs thérapeutiques, eugéniques et aussi sentimentaux quand les grossesses étaient issues d’un viol [Becerra, 2009].
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[4]
Dans au moins un cas, l’État argentin a été condamné par le Comité des droits humains de l’ONU pour ne pas avoir garanti l’accès à un avortement légal à une adolescente handicapée mentale, enceinte à la suite d’un viol, que la mère avait demandé à un hôpital public en 2006. La demande a suivi toutes les instances judiciaires du fait qu’il s’agissait d’un avortement dans les conditions prévues par la loi ; le temps passant l’avortement n’a pu être réalisé dans un hôpital public mais dans une clinique privée, grâce à l’appui des organisations de femmes, et malgré le fait que la gestation arrivait à vingt semaines [Carbajal, 2011].
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[5]
La première enquête nationale de santé sexuelle et reproductive a été réalisée en 2014. Elle a été élaborée par les équipes techniques du ministère de la Santé de la nation et l’Institut national de statistiques et de recensements (INDEC). Elle est de type probabiliste, et a enquêté les hommes et les femmes de 14 à 49 ans résidents dans des centres urbains de 2 000 habitants ou plus dans 6 000 ménages représentatifs de 20 millions d’habitants, soit la population d’âge reproductif. Les questions portaient sur les connaissances et l’utilisation de méthodes de contraception, le suivi des grossesses et des accouchements, la connaissance des IST, mais pas les avortements. Les résultats sont disponibles sur http://www.indec/mecon.ar/fp/cuadros/sociedad_2013.pdf.
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[6]
Durant la présidence de George H.W. Bush (1989-1993), on interdit aux entreprises, fondations ou individus de financer des cliniques de planification familiale à l’étranger qui apporteraient des services liés à l’avortement. Cela causa des problèmes aux organisations latino-américaines qui travaillaient sur ces thèmes car ils dépendaient des fonds que l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) pouvait envoyer.
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[7]
Jusqu’à la réforme de la constitution en 1994, il fallait appartenir à la religion catholique et romaine pour accéder aux charges de président et vice-président. Menem dût ainsi se convertir de la religion musulmane à la catholique.
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[8]
En 1998, Menem établit par décret présidentiel (1406/98) le 25 mars comme jour de l’enfant à naître, date que le calendrier catholique reconnaît comme celle de l’Annonciation de l’ange Gabriel à la Vierge Marie. L’Argentine fut le premier pays à créer cette célébration.
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[9]
La réforme de la loi de suffrage qui reconnut le droit de vote et de candidature aux femmes fut voté pendant la présidence de Perón, en 1994. Le péronisme s’est approprié cette avancée et l’a associé avec la figure d’Eva Perón, occultant les luttes antérieures pour le vote féminin. Eva s’opposait explicitement au féminisme et se présentait comme une défenseure fervente de la famille suivant des rôles de genre traditionnels, mais sa position publique et sa non maternité contredisaient son discours. En plus de la propagande favorable à la division des sphères, le péronisme impulsa des mobilisations politiques et sociales des femmes de manière inédite, les emmenant au Congrès et créant le Parti péroniste féminin [Ramacciotti, Valobra, 2004].
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[10]
Les organisations civiles analysées sont : Familias del Mundo Unidas por la Paz (FAMPAZ), Defensoría de la Vida Humana Asociación civil, Movimiento Familiar Cristiano, Consorcio de Médicos católicos y Portal de Belén.
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[11]
« Nunca Mas » est le titre du rapport final de la Commission nationale sur les disparitions de personnes (CONADEP) qui a documenté les disparitions, enlèvements et tortures durant la dictature. Par la suite cette phrase a été utilisée pour refuser le terrorisme de l’état [Crenzel, 2011].
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[12]
En référence aux 343 femmes célèbres qui avaient déclaré avoir avorté dans le Nouvel observateur le 5 avril 1971. Ce manifeste, rédigé par des journalistes proches du thème et du Mouvement de libération des femmes (MLF) lui a donné un mot d’ordre unificateur et a mis en évidence un changement de stratégie : faire de l’avortement libre et gratuit un symbole de l’émancipation, de libération des femmes et plus seulement un problème de santé publique [Pavard, 2012].
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[13]
Il y avait 87 témoignages et 132 adhésions à la date de consultation [RIMA, 2013].
1Les dix dernières années, l’Argentine a vécu des changements très importants dans les politiques publiques, qui ont une implication directe sur les identités et les relations de genre, les configurations familiales, la sexualité et la reproduction. Un ensemble de lois et de programmes a commencé à implanter les droits sexuels et reproductifs pour toute la population, avec notamment, la gratuité pour la distribution des méthodes contraceptives et la stérilisation chirurgicale, l’éducation sexuelle obligatoire dans toutes les écoles du pays, le mariage avec une personne du même sexe et la reconnaissance légale de l’identité de genre telle que perçue par les individus eux-mêmes sans nécessité de diagnostic médical ou psychologique [2].
2Toutes ces avancées contrastent avec la situation de l’avortement. Depuis 1922 l’article 86 du code pénal argentin considère que l’avortement est illégal et ne peut être accepté que dans deux cas très précis : s’il a pour but d’éviter un risque pour la vie ou la santé de la mère et si ce risque ne peut être évité d’une autre façon et si l’avortement est le résultat d’un viol ou d’un attentat à la pudeur commis sur une femme faible d’esprit ou démente [3]. Ces deux cas génèrent d’intenses discussions car elles dépendent de la conception de la santé que l’on prend en compte, s’il s’agit de l’absence de maladie ou s’il faut prendre en compte le bien-être physique, mental et social de la femme. Face aux nombreuses situations où des avortements dans les conditions prévues par la loi n’ont pas pu se réaliser, du fait de recours judiciaires, d’objection de conscience des médecins et du manque d’information et de conseil reçu par les demandeuses [4], la Cour suprême de justice a précisé en mars 2012 la nature de l’avortement non punissable par un jugement selon lequel toute femme enceinte du fait d’un viol a droit à une interruption volontaire de grossesse sans avoir besoin d’une intervention judiciaire, en prêtant serment.
3Ce jugement a rendu possible la prise en charge des avortements non punissables dans les hôpitaux et les centres de santé publique. Un guide technique élaboré par le ministère de la Santé de la Nation explique comment procéder dans les cas d’avortements non punissables [Ministerio de la salud de la Argentina, 2010] et plusieurs provinces ont élaboré leurs propres protocoles pour ces cas. Cependant, très peu de médecins connaissent ce protocole et encore moins acceptent de le mettre en pratique. La peur de faire quelque chose d’illégal et l’objection de conscience empêchent très fréquemment la réalisation des avortements permis par la loi.
4Malgré tous ces obstacles, les femmes avortent. Bien qu’il n’y ait pas de statistiques précises du fait qu’il s’agit d’une pratique illégale, on estime généralement qu’il y a entre 335 000 et 500 000 avortements illégaux chaque année [5]. On inclut dans ce chiffre les femmes qui avortent dans des conditions sûres et généralement très chères parce qu’elles en ont les moyens, en recourant à un professionnel de santé qui pratique un avortement chirurgical. D’autres utilisent un médicament comme le misoprostol, conseillées par des professionnels de santé et par des femmes qui rendent publique l’information et accompagnent le processus. Mais de nombreuses femmes n’ont pas l’argent pour payer un avortement dans des conditions sûres et n’ont pas non plus accès à ces réseaux d’appui et d’accompagnement. Ces avortements peuvent conduire à l’hôpital et influent sur le taux de mortalité argentin. Selon les calculs d’organisations de droits humains, de féministes et de femmes, 300 femmes meurent chaque année en Argentine pour des causes liées à l’avortement non sécurisé, la grossesse, l’accouchement et les suites de couches [Observatorio de la salud sexual y reproductiva, 2013].
5Dans presque toute l’Amérique latine, sauf dans la ville de Mexico, l’avortement est illégal ; il y a des pays dans lesquels il est interdit quelle qu’en soit la raison. Au-delà de l’influence commune de la religion dans la région, les relations entre politique, religion et société sont différentes dans chaque contexte. Cet article propose de présenter les différentes périodes de l’histoire argentine du xxe siècle en ce qui concerne les politiques publiques relatives au contrôle de la natalité et à l’avortement, la position de l’Église catholique et les modes d’actions des associations civiles sur ce thème ainsi que les discours et stratégies du mouvement féministe.
6Il s’agit d’approfondir les significations qu’a acquise la lutte pour la légalisation de l’avortement dans un pays qui combine illégalité de ce dernier et mariage pour tous, qui a une femme présidente depuis 2007, un pape argentin à Rome depuis 2013 et une reconnaissance politique et sociale du discours des droits humains, qui est utilisé par tous les acteurs qui participent au débat. Pour cela, la méthodologie utilisera conjointement l’analyse qualitative de sources secondaires et primaires disponibles (normes, documents, notes de presse, sites web), la réalisation d’entrevues et des observations participantes dans des réunions et événements organisés pour appuyer la légalisation de l’avortement.
Le contrôle de la natalité comme question démographique
7En plus des questions morales et religieuses soulevées par l’avortement, sa signification comme expression du pouvoir féminin, le négoce économique que permet son illégalité et le problème de santé publique due à sa pratique clandestine, la position d’un pays sur ce thème relève également de ses politiques démographiques. À la fin du xixe siècle, alors que le modèle économique agro-exportateur se consolidait et que le système politique gagnait en stabilité, l’élite dirigeante dut affronter le problème de la faiblesse de la population. L’image du désert argentin n’était pas seulement une métaphore pour se référer à la Pampa, mais une réalité qui devait être modifiée. Du fait de quelques politiques explicites mais surtout à l’attrait du pays, plus de sept millions d’immigrants arrivèrent en Argentine entre 1870 et 1915, dans leur majorité des Européens.
8De façon paradoxale, ils accélèrent la croissance démographique tout en posant les bases de la transition démographique et en important les modèles reproductifs européens. Les circonstances locales conduisaient aussi au contrôle de la natalité, car il valait mieux suivre le modèle de la famille à deux pourvoyeurs et peu d’enfants pour limiter les effets de l’instabilité du marché du travail et pour profiter des possibilités d’ascension sociale. La population usa donc de différentes méthodes contraceptives : diaphragme, produits chimiques, stérilisations et surtout le coït interrompu [Nari, 2004 ; Barrancos, 2007]. Quand les femmes tombaient enceintes sans vouloir assumer le « devoir » de maternité, elles pouvaient recourir à l’avortement, à l’abandon ou à l’infanticide, toutes pratiques que l’État pénalisait.
9La chute de la natalité, dans un pays qui se considérait comme vide, préoccupait les élites qui commencèrent à impulser des politiques de soutien à la maternité et de répression de la contraception pour augmenter la population du pays et respecter la doctrine de l’Église. Ce discours populationniste n’était pas accompagné des moyens nécessaires, comme auraient pu l’être des incitations matérielles aux familles nombreuses, l’interdiction de la publicité et de la vente de contraceptifs et l’application des châtiments légalement prévus pour l’avortement. De toute façon, même si l’on emprisonnait rarement les médecins, les sages-femmes et les femmes qui demandaient l’avortement, sa menace suffisait à constituer une forme de contrôle ayant des conséquences négatives pour les femmes jouissant de peu de ressources économiques [Barrancos, 2007 ; Cepeda, 2011].
10Après la deuxième guerre mondiale, le contrôle de la natalité est devenu un thème central de la géopolitique internationale. Dans le climat de changements socioculturels des années 1960, la contraception et l’avortement furent reliés à deux scénarios distincts : celui de l’explosion démographique mondiale et celui de la révolution sexuelle. Les États-Unis jouèrent un rôle clé à partir de ses agences économiques et des agences internationales qui étaient sous son contrôle pour impulser des politiques démographiques qui cherchaient à contrôler la croissance démographique, spécialement dans les pays en développement et dans certains groupes racialisés des pays riches. Dans ce scénario, l’Argentine continuait à être un « pays vide », cette fois inséré dans un monde surpeuplé [Felitti, 2012a].
11En quelques années, l’Argentine entra dans une période marquée par l’instabilité politique, les conflits sociaux, des initiatives révolutionnaires et une répression étatique croissante. Dans ce contexte la révolution sexuelle fut discrète, c’est-à-dire que l’idéal conjugal fût contesté mais sans que cela remette en question le mariage, comme institution monogamique et lieu d’éducation des enfants ; l’assimilation de la femme à la mère fut discutée mais sans être dénaturalisée ; la double morale sexuelle fut critiquée mais ne disparut pas [Cosse, 2010]. Néanmoins, la remise en question fut suffisante pour générer une panique morale qui justifia des censures dans le champ culturel, de la vigilance et de la répression dans la vie quotidienne, en défense des principes de la « société chrétienne occidentale » menacée, selon la dictature militaire de la Révolution argentine (1966-1970), par la subversion et la dégénération marxiste [Manzano, 2014].
12Bien que le gouvernement ait maintenu un discours populationniste antérieur à la défense de la souveraineté nationale, au développement économique et à la morale catholique, il n’y eut pas tant de moyens qui empêchèrent la planification familiale, ni de châtiments effectifs de l’avortement. L’Association argentine de protection familiale (AAPF), organisation locale appuyée par la Fédération internationale de planification familiale (IPPF), est fondée en 1966 avec pour objectif de faciliter l’information et l’accès à l’éducation sexuelle et à la contraception pour les couples, cela pour éviter les avortements [Felitti, 2012a, 2007]. En 1968, les articles du code pénal qui prévoyaient l’impunité de l’avortement furent modifiés pour ajouter le mot « grave » pour les cas liés aux risques pour la santé alors qu’au contraire le viol ne fut plus seulement une raison d’obtenir un avortement lorsque la femme était imbécile ou démente [Hunt, 2003]. Les raisons de cette modification ne sont pas explicites mais on peut supposer qu’il s’agit d’un essai de modernisation du système légal, pour le rapprocher de ce qui était permis dans les autres pays développés. Ce changement ne dura pas longtemps, dès 1973, quand le péronisme gagna les élections, cette réforme, comme d’autres entamées sous la dictature, resta sans effet.
13En 1974, pendant la troisième présidence de Juan Domingo Perón, on émit pour la première fois une limite à la contraception : le décret 659/74 exigea la présentation d’une ordonnance pour la vente de contraceptifs et interdit toute activité de planification familiale dans les hôpitaux et les dépendances publiques. Bien que toutes les actions qui s’y déroulaient ne terminèrent pas immédiatement, cela généra cependant des craintes et introduisit des différences entre celles qui pouvaient obtenir des ordonnances lors d’une consultation médicale privée et celles qui ne le pouvaient pas. Ce décret d’État était en opposition avec les recommandations des agences internationales et la position des Nations unies, qui en 1968 avait déclaré que la planification familiale était un droit humain, confirmant cette position lors de la première Conférence mondiale de population à Bucarest (1974) et la première Conférence internationale de la femme à Mexico (1975) [Felitti, 2012a].
14Le 24 mars 1976, un nouveau coup d’État se produisit. Cette dernière dictature militaire construisit un système terroriste d’État fondé sur une planification systématique d’enlèvements, de tortures, de disparitions, et de mort de quiconque s’opposait ou menaçait son projet politique et économique. Grâce au décret n° 3938, rédigé à la fin de 1977, le gouvernement militaire confirma le décret péroniste, sans non plus surveiller son application. Lors des entretiens avec des médecins qui travaillaient dans ce domaine pendant la dictature, ils affirmèrent qu’ils avaient pu ouvrir leurs consultations dans les hôpitaux et que même l’Association argentine de planification familiale avait repris ses actions. Ils pensaient que cela avait été possible parce que la junte militaire avait d’autres préoccupations plus importantes et que de toute façon la planification familiale était fonctionnelle par rapport à leurs plans [Felitti, 2012a]. Les secteurs de la population qui se reproduisaient le plus étaient les plus actifs sur le plan social et politique ; qu’ils aient moins d’enfants pouvait donc constituer une solution. C’est ce qu’exprimait l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano quand il dénonçait les pressions des États-Unis et des autres agences de contrôle de la natalité : « Ils veulent justifier la distribution très inégale des revenus entre les pays et les classes sociales en convainquant les pauvres que la pauvreté est la conséquence d’une trop grande natalité et arrêter ainsi la furie des masses en mouvement et en rébellion. […] En Amérique latine, il est plus facile et plus hygiénique de tuer les guerilleros dans les utérus que dans les montagnes ou les rues. » [Galeano, 1971, p. 6.]
15Concernant l’avortement, une nouvelle réforme du code pénal en 1976 reprit le décret de 1968 : pour être dans la catégorie des avortements non punissables, le risque pour la santé de la mère devait être grave, et en cas de viol, il devait avoir fait l’objet d’une dénonciation pénale (Loi n° 21.338). Les raisons de ces changements ne sont pas claires. Le contexte de lutte contre la subversion, qui pour les militaires constituaient une guerre livrée dans la clandestinité mais néanmoins une guerre, pourrait l’expliquer. De même la défense de l’honneur selon le code militaire : une femme violée était souillée, ce qui expliquait qu’elle puisse demander l’avortement. Il est sur néanmoins que ces modifications entraient en tension avec les postures natalistes et chrétiennes de la dictature ; si l’avortement est un homicide, comme le prétend l’Église catholique, rien ne peut le justifier.
Le langage des droits dans l’État
16À partir de 1983, quand la démocratie fut de nouveau installée, le discours des droits prit possession de l’État. Ce discours, qui avait servi pour dénoncer les crimes commis par la dictature à l’extérieur, fut mis en pratique aussi pour exprimer des demandes liées à la famille, la reproduction et la sexualité, comme l’approbation de la loi du divorce de 1987 [Pecheny, 2010]. En 1986, comme résultat des actions des mouvements pour les droits humains et du féminisme ainsi que des accords signés à la Conférence mondiale de population à Mexico (1984), le nouveau gouvernement démocratique (1983-1989) enleva toutes les restrictions à la contraception qu’avait introduites le péronisme douze années auparavant, reconnaissant pour la première fois la planification familiale comme un droit [Boletin officiel, 1986]. Cela n’est pas arrivé pour l’avortement, un thème qui a généré des disputes depuis le début du xxe siècle, dans un contexte où il était plus facile de revendiquer des lois contre la violence que de mettre en débat des questions relatives au droit à la vie. Néanmoins, en révoquant les lois pénales de la dictature avec la loi de défense de la démocratie (n° 23077), on a repris le texte original du code pénal et rétabli les deux formes d’avortement non punissables de 1922.
17Les projets qui prévoyaient la création de programmes spécifiques de santé reproductive n’ont pas été mises en œuvre au niveau national et les actions qui se mirent en place étaient davantage orientées vers la résolution du problème de la carence alimentaire et de la « surabondance d’enfants », que vers celui d’assurer le droit des femmes à décider de leurs grossesses. Il n’y a que quelques provinces et la ville de Buenos Aires qui commencèrent à développer des programmes publics de planification familiale [Felitti, 2009].
18Ce processus débutant de reconnaissance de droits de la part de l’État dans le champ de la reproduction se poursuivit pendant les gouvernements de Carlos Menem (1989-1999), qui adhérait à la position du gouvernement des États-Unis sur l’avortement [6] et renforça son alliance avec le Vatican, s’opposant à la création de normes qui permettraient l’accès à l’information anticonceptionnelle et aux moyens nécessaires pour la mettre en pratique [Esquivel, 2009] [7]. En 1994, à la suite de la réforme de la Constitution nationale, Menen voulait encore aller plus loin et introduire un article qui défende la vie depuis la conception. Cette initiative mobilisa contre elle de nombreuses femmes de plusieurs partis politiques, le mouvement des femmes et les féministes en général [Pecheny, 2006]. La réaction fut rapide et efficace et mit l’avortement au centre du débat politique car ce thème n’apparait que lorsque le mouvement féministe arrive à attirer l’attention [Petracci, 2004] [8].
19Après cette période d’absence de politiques publiques sur ces thèmes, durant le gouvernement de Néstor Kirchner (2003-2007), dirigeant du Front pour la victoire, de nouvelles lois et programmes nationaux de santé sexuelle et reproductive et d’éducation sexuelle furent approuvés, et le protocole facultatif de la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes fut ratifié, malgré l’opposition de la hiérarchie catholique qui la perçoit comme une avancée vers la légalisation de l’avortement. Pendant ce gouvernement, le discours des droits humains se diffusa dans toute la société, les lois de pardon furent annulées, permettant le jugement et le châtiment des responsables de la dernière dictature. Les bases sociales de soutien à des politiques de redistribution plus équitables exprimées en termes de justice sociale se développèrent. S’il y eut des tentatives de relancer le débat social et politique autour de l’avortement, il resta limité devant les difficultés d’avancer sur ce thème.
20Depuis 2003, Cristina Fernández de Kirchner est présidente du pays. Elle a toujours pris une posture claire en faveur des femmes dans ses messages, récupérant ainsi une tradition historique du péronisme [9], actualisée par les apports du féminisme et les études de genre. L’usage d’un langage non sexiste dans ses discours officiels – « Argentins, Argentines ; Compagnons, Compagnes ; Tous et Toutes », est une démonstration quotidienne de cet intérêt éducatif, mais cela n’a rien à avoir avec le droit à l’avortement. En 2003, quand « la présidente » était encore sénatrice nationale, en plus de Première dame, un journaliste lui demanda pendant un séjour à Paris ce qu’elle pensait de l’avortement. Elle répondit : « Je ne suis pas progressiste, je suis péroniste […]. Les sociétés ont leurs temporalités et je ne crois pas que l’Argentine soit prête pour cela. C’est à peine si nous avons pu faire approuver une loi d’éducation sexuelle et de reproduction responsable et il faut voir ce que cela a coûté. De plus, et au-delà, je suis contre l’avortement. » [Pisani, 2003.] Sa position n’a pas changé. Elle l’explique par des épisodes personnels : la perte d’un fœtus de 6 mois et le fait d’avoir été fille d’une mère célibataire [Russo, 2011]. Or, il est difficile, avec une tradition de gouvernement présidentiel et vertical, d’imaginer une indiscipline partisane sur ce thème. Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’une question de conjoncture. Le poids des discours populationnistes et l’exaltation de la maternité comme une valeur citoyenne, le manque d’expérience Étatique dans la gestion des politiques de reproduction et la valeur de la vie humaine dans un pays qui a vécu sous des dictatures féroces sont d’autres antécédents à prendre en compte.
De péché à crime contre l’humanité
21De même que l’illégalité de l’avortement ne peut pas s’expliquer seulement par le refus de la présidente actuelle, elle ne peut pas l’être non plus par le fait d’avoir un pape argentin. De fait, durant le gouvernement de Néstor Kirchner, les conflits avec l’Église catholique furent très forts – y compris avec Jorge Bergoglio, l’actuel pape Francisco – mais cela n’a pas suffit à autoriser l’avortement. Inévitablement les relations entre le pouvoir exécutif et le Vatican sont devenus plus fortes, de même d’ailleurs qu’avec les autres partis. Toute la société est devenue plus dévote à l’image papale, que l’on peut rencontrer dans tous les magasins pour touristes, à côté d’affiches de tango, le personnage de bande dessinée Mafalda, les tee-shirts de Maradona et de Messi, mais cela ne signifie pas que celui qui met sur la porte de son commerce des posters du pape va suivre sa doctrine dans sa vie sexuelle et reproductive.
22On sait que le catholicisme a été utilisé comme un élément de cohésion dans le processus de construction nationale et que comme contrepartie de cette légitimité offerte par l’Église catholique l’État lui a offert des privilèges [di Stefano, Zanatta, 2009]. La Constitution de 1853 assurait la liberté de cultes même si le soutien Étatique n’allait qu’à l’Église catholique, apostolique et romaine (article 2). Cette assignation de ressources économiques continue et les écoles catholique reçoivent des subventions, les cardinaux reçoivent des accréditations diplomatiques, les archevêques et les évêques obtiennent un passeport officiel, de même que les législateurs nationaux, les ministres de la Cour suprême et les gouverneurs des provinces. Le code civil spécifie dans son article 33 que l’Église catholique a un caractère public alors que les associations civiles ou religieuses – c’est-à-dire les autres cultes – ont un caractère privé. De nombreuses autres législations montrent la difficulté pour instaurer une culture laïque, non seulement à cause de l’ambiguïté des représentants politiques sur ce thème mais aussi à cause de la naturalisation de la présence publique de l’Église par la société [Esquivel, 2009]. Cette présence ne se traduit pas la plupart du temps par l’obéissance totale à ses décisions. Par exemple, quelques législateurs qui déclarent croire en Dieu et être « très religieux », voteraient en faveur de la dépénalisation de l’avortement [Esquivel, 2014]. On a déjà vu dans le cadre du « mariage égalitaire » qu’un législateur pouvait être religieux et être d’accord avec la réforme [Jones, Penas Defago, Godoy-Anativia, 2013].
23De plus, une enquête réalisée dans tout le pays en 2008 confirme certes la présence majoritaire du catholicisme, mais montre également que le pluralisme religieux augmente. 76,5 % des enquêtés se disent catholiques, 11,3 % indifférents, 9 % évangéliques, les autres religions étant moins souvent déclarées. Parmi ceux qui disent croire en Dieu, 61 % ont une relation personnelle avec lui et seulement 23 % à travers une institution ecclésiastique. L’enquête démontre que des personnes peuvent croire en Jésus, en la Vierge mais aussi en l’énergie et ils peuvent aller voir un saint un jour et un sorcier un autre, sans en ressentir de conflits majeurs. De même, de nombreuses personnes qui s’identifient comme religieuses acceptent facilement l’avortement dans des situations spéciales, comme le viol ou des malformations du fœtus (64 %), mais beaucoup moins s’il s’agit de la décision volontaire de la femme (14 %) [Mallimacci, 2013].
24Cet exemple montre clairement qu’il n’y a pas de consensus social sur ce qu’implique un avortement. La vulnérabilité, « l’innocence », de victimes plus que de sujets, autorise à le pratiquer mais moins la seule volonté de la femme.Néanmoins, une autre enquête montre que la majorité des personnes interrogées considèrent qu’une femme qui a avorté ne devrait pas aller en prison, même si elle l’a provoqué « parce qu’elle ne voulait pas un enfant à ce moment-là de sa vie ». Dans ce cas 39,9 %ne veulent pas qu’elle aille en prison mais seulement 18,9 %souhaitent qu’il y ait un accès légal à l’avortement. Cet exemple montre clairement la différence d’opinion quand il s’agit de légalisation ou de dépénalisation et qu’il faut distinguer entre les deux [Pecheny, Andía, Brown, 2011]. Cependant, s’il s’agissait d’un homicide, comme le déclarent les groupes anti-avortement les plus radicaux, pourquoi cela serait-il acceptable dans un cas et pas dans l’autre ? Si l’on reprend quelques questions de la philosophe Laura Klein [2005] : combien connaissons-nous de femmes qui ont avorté ? Et combien d’assassins ? Est-ce le même chemin pour arriver à un médecin qui pratique des avortements que celui qui conduit un tueur à gages ?
25Si nous situons historiquement la position du Vatican par rapport à la contraception moderne, on peut voir qu’en Amérique latine, la réception de l’encyclique Humanae Vitae, proclamée par Paul VI en 1968, a constitué un fait politique. Ce document confirmait le refus de toute forme de planification familiale qui ne soit pas l’abstinence sexuelle, contredisant ce qu’avait accordé la commission créée pendant le Concile de Vatican II mais aussi ce que faisaient des millions de catholiques à travers le monde. Les secteurs les plus conservateurs appuyèrent l’annonce parce qu’elle servait à maintenir la morale sexuelle et les rôles de genre, en plus de s’aligner avec les objectifs démographiques étatiques ; mais ceux qui étaient en faveur de la lutte sociale et politique célébrèrent eux aussi l’encyclique. Pour eux, elle signifiait un frein aux exigences des États-Unis et de ses fondations pour réduire les naissances, et de plus elle reconnaissait la valeur des familles nombreuses comme signe de l’identité latino-américaine [Felitti, 2012b].
26Au-delà de ses coïncidences, ce sont les secteurs les plus liés à la dernière dictature militaire qui défendirent la vie depuis la conception comme une question centrale pour leur militantisme. Cette posture servit dans les années 1970 à essayer de délégitimer les réclamations de la Commission Interaméricaine des droits humains ou Amnesty International par rapport aux disparus. Les représentants de l’Église catholique disaient dans les medias que les États-Unis n’avaient pas le droit de défendre les droits humains alors qu’il y avait chez eux un million d’avortements par an. Au début de 2000, quand s’ouvrirent les procès pour la répression et que l’État organisa une politique de mémoire, l’avortement devint pour ces groupes de droite un synonyme de génocide, comme un autre crime de lèse-humanité qui devait être empêché et châtié.
27Différentes organisations de la société civile qui militent activement contre la promulgation et l’application des lois et programmes qui concernent les droits sexuels et reproductifs, comprennent l’avortement de cette façon [Felitti, 2011] [10]. Ces organisations non gouvernementales construisent leurs arguments sur une base légale et avec des références à la science et non à des textes sacrés ; elles ont des formes d’organisation, d’arguments et des stratégies de communications séculières [Vaggione, 2005]. Plusieurs prennent une posture anti-impérialiste et considèrent que l’avortement est utilisé pour éliminer les pauvres dès la naissance au lieu de s’attaquer à la pauvreté et ils comparent le fait d’interrompre un avortement avec les crimes de l’Allemagne nazie ou de la dictature argentine, avec le vol de bébés et d’enfants pendant la répression, avec une actualisation de la violence qui dénonce le « Nunca Mas [11] » (Jamais plus) [Felitti, 2011].
28Ces organisations n’attirent pas beaucoup d’adhérents mais elles sont efficaces pour influencer l’opinion publique. Les images sur les sites web et les affiches dans les rues montrent des fœtus découpés en morceaux, couverts de sang, des bébés qui ne tiennent pas dans la paume d’une main et sur lesquels est accroché une pince médicale, une stratégie qui est très utilisée à travers le monde [Petchesky, 1997 ; Morgan, 2008]. On peut dire qu’il s’agit de photos truquées ou qui ne correspondent pas aux situations réelles d’avortement, mais on ne peut pas nier que la couleur rouge fait partie de cette pratique. Ces images ne mentent pas dans la description de l’acte mais sur son intentionnalité, on peut dire que l’avortement est un acte sanglant mais pas sanguinaire [Klein, 2005].
29Les écographies sont également une composante du marché des biens et services des nouvelles maternités. L’ultrason recrée une scène de consommation ; la femme enceinte, son conjoint, sa famille, ses amis, sont invités à participer à la mise en spectacle du fœtus. On leur donne des calendriers et photos de quelqu’un/quelque chose, qui n’a pas d’existence juridique mais déjà un visage. L’image publique du fœtus, sortie de son contexte de production, c’est-à-dire retiré du corps de la femme qui le porte, peut être considérée comme un fétiche, au sens que Marx attribue à la marchandise, à lui donner une valeur qu’il n’a pas en lui-même. Ceci ne relève pas d’un débat moral mais de la marchandisation de la sexualité et de la reproduction exacerbée dans les dernières décennies.
30Ce panorama rapide indique que les relations entre État, religions et société sont complexes. Un État avec un faible niveau de laïcité et une société assez sécularisée qui aujourd’hui exalte l’image papale comme une réussite de plus pour l’Argentine, avec plus d’orgueil national que de mystique religieuse. De plus, il y a des organisations de la société civile qui se définissent comme catholiques – catholiques pour le droit à décider est l’exemple le plus cité – qui se manifestent en faveur de la légalisation de l’avortement et le font en tant que catholiques. Les groupes LGBT qui ont donné l’impulsion au « mariage égalitaire » se sont servis de ces dissidences religieuses et ont réussi à les associer à leur lutte, à la différence du champ ample des féministes, comme nous allons le voir.
L’avortement dans l’agenda féministe
31En Argentine, la première vague du féminisme, lors des premières luttes pour l’obtention de l’égalité de droits civils et politiques, avait fondé ses demandes sur la condition maternelle des femmes et ne s’était pas préoccupée de thèmes liés au contrôle des naissances. Si les femmes avaient une tâche aussi importante que celle d’engendrer, élever et éduquer les citoyens, cette obligation devait s’accompagner de droits en reconnaissance de l’importance de leur fonction reproductive, biologique et sociale [Nari, 2004]. Les féministes de la seconde vague, au contraire, se sont focalisées sur des thèmes autrefois considérés comme relevant du monde privé, l’affirmation « le personnel est politique » synthétise en partie cette nouvelle perspective.
32Au début des années 1970, différents groupements de femmes se sont réunis, impulsées le plu souvent par des femmes qui avaient été en contact avec les mouvements féministes de France et des États-Unis, voyageuses qui transportaient des livres et des expériences et qui connaissaient les luttes pour le droit à la contraception et à l’avortement dans ces pays. L’Union féministe argentine (UFA) et le Mouvement de libération féminine (MLF) sont les plus connues. Elles dénonçaient l’exaltation sociale et commerciale de la maternité avec des manifestations et des affiches qu’elles collaient dans les rues [Felitti, 2009].
33On peut certainement retrouver les mêmes mots d’ordre dans d’autres pays, mais la situation locale était particulière : le féminisme essayait de se développer dans un contexte marqué par la multiplication des projets révolutionnaires et une répression incroyablement sanguinaire. Une militante de l’UFA se rappelle les réactions face aux revendications concernant la contraception et l’avortement. « La gauche nous accusait d’être en faveur du plan McNamara et de vouloir stériliser toutes les Latino-Américaines et la droite de pro-avortement. » (Rais, communication personnelle, 2005.) Leonor Calvera, autre militante de ce groupe le confirme : « La droite nous accusait d’être extrémistes et contestataires et la gauche d’être élitistes et bourgeoises. » [Calvera, 1990, p. 47.] De plus, il était difficile de défendre l’accès à la contraception et à l’avortement alors que l’État argentin renforçait la répression contre la planification familiale, avec l’aval de l’Église catholique et des secteurs de la gauche qui luttaient contre l’impérialisme [Felitti, 2009].
34Avec la démocratie, le féminisme a retrouvé sa place sur la scène publique, la même que celle des demandes pour la contraception et l’avortement. Lors de la première commémoration de la démocratie le 8 mars, journée internationale des femmes, il y avait de nombreuses affiches sur la place de mai où l’on lisait : « Légalisation de l’avortement », « ce corps est le mien », et « le plaisir est révolution » [La Nacion, 1984, p. 5]. Les manifestantes chantaient : « L’avortement clandestin n’est pas notre voie, nous voulons la légalisation. » [Lugar de Mujer, 1984.] L’Association travail et étude de la femme (ATEM) distribuait une feuille volante qui disait : « Nous voulons avorter mais nous ne voulons pas mourir d’avortement » et qui proposait la dépénalisation [Chejter, 1996, p. 42].
35Mabel Bellucci [2014] a reconstruit les actions des féministes pour obtenir le droit à l’avortement, en récupérant des récits d’expériences qui montrent la constance de cette demande. La réaction rapide à la proposition de réforme constitutionnelle de 1994 remit le sujet sur radar des medias. Quelques années plus tard, en 1997, la revue Très puntos (trois points), a publié les témoignages de vingt femmes qui affirmaient avoir avorté [12]. Devant ce fait, la commission pour le droit à l’avortement dirigée par Dora Codelesky, publia dans le journal Sur une demande d’appui, rédigée par une femme dont la grossesse était le fruit d’un viol et qui demandait à la justice de pouvoir avorter dans un hôpital public. Ce fut la première fois que l’avortement, toujours perçu comme privé, assuma une présence publique grâce à ces stratégies de visibilité développées par les groupements féministes [Bellucci, 2014].
36Nous avons vu que le droit à l’avortement peut être perçu comme une réponse à des problèmes de santé publique que génère la clandestinité ou qu’il peut se présenter comme un droit de la femme à disposer de son corps. La première forme est moins politisée car elle n’évoque pas les conditions structurales qui soutiennent l’illégalité pour n’évoquer que ses conséquences. Comme le dit Pecheny [2013], s’il n’y avait pas de mort dans la clandestinité : il n’y aurait pas besoin de le légaliser ? La campagne nationale pour le droit à l’avortement, légal, sûr et gratuit, impulsée depuis 2005 par des groupes féministes et du mouvement des femmes et par des femmes appartenant à des mouvements politiques et sociaux, présente la nécessité de l’avortement légal comme un problème de santé publique mais aussi de justice sociale et de droits humains des femmes. Son mot d’ordre est : « Éducation sexuelle pour décider, contraception pour ne pas avorter, avortement légal pour ne pas mourir ». Le projet d’Interruption volontaire de grossesse élaboré collectivement en 2006, propose la dépénalisation pour les 12 premières semaines de gestation et plus tard lorsqu’il y a un risque pour la santé et la vie de la femme, et en cas de viol ou de malformations fœtales graves. Ce projet a été présenté à la Chambre des députés de la Nation en 2007, 2009, en 2010 et plus récemment en mars 2012, sans avoir jamais été traité [Zurbriggen, Anzorena, 2013].
37Tout en essayant d’obtenir un débat législatif, le militantisme poursuit des actions pour réduire les risques puisque, même si c’est interdit, les femmes avortent. Dans ce type de contexte restrictif, l’Organisation mondiale de la santé recommande jusqu’à la douzième semaine l’utilisation de mifepristona suivie de misoprostol ou seulement ce dernier si l’on n’a pas le premier, ce qui est le cas en Argentine [OMS, 2012]. Il y a dans ce pays des conseils pré et post-avortement dans les hôpitaux publics et les centres de santé, surtout depuis le jugement de la Cour suprême et la rédaction de protocoles de suivi des avortements non punissables.
38Avant cela, c’était le féminisme qui diffusait l’information pour l’avortement médicamenteux avec la création en 2009 de la ligne téléphonique : « plus d’information, moins de risques » par le groupement Lesbiennes et féministes pour la dépénalisation de l’avortement. Elles se présentaient comme « un groupe de personnes appartenant à différents espaces politiques, féministes, du mouvement des Lesbiennes, Gays, Travestis, Bisexuels (LGTB), de droits humains et de gauche qui sommes unis pour ce projet. Nous sommes convaincues du pouvoir de l’organisation populaire et pour cela nous choisissons l’action directe plutôt que le lobbying ». [Lesbianas y feministas por la descriminalización del aborto, 2009.] L’année suivante, elles éditèrent un livre Tout ce que tu veux savoir sur comment faire un avortement avec des pilules, qui va être édité pour la seconde fois et qui peut aussi se télécharger gratuitement sur internet [Lesbiennes et féministes pour la dépénalisation de l’avortement, 2010]. On trouve aussi des informations sur les avortements médicamenteux dans les locaux du parti politique Nouvelle rencontre dans la ville de Buenos Aires, avec l’objectif de désacraliser la médicalisation et de diminuer le coût économique des avortements clandestins et avancer plus facilement vers la dépénalisation [Carbajal, 2013].
39Sans doute cette optique est beaucoup plus sûre que les autres pratiques mais il n’est pas toujours simple de trouver ce médicament, car les médecins sont plus que réticents à rédiger l’ordonnance et que son prix a beaucoup augmenté. De plus, après l’avoir utilisé il est nécessaire de faire un contrôle médical pour confirmer que l’avortement a réussi. Aussi le droit des femmes à décider sur ses maternités devient plus autonome mais il n’est toujours pas libre. L’avortement avec le misoprostol est l’option qui reste parce qu’il n’y en a pas d’autre.
40Il est important de tenir compte du fait que lorsque l’on parle de droit à l’avortement pour les femmes, il y a de nombreuses réalités sous cette formule. Même si nous partageons toutes la même situation de clandestinité, quelques-unes peuvent mieux s’en sortir. Pour connaître ces diversités, la recherche sociale et le militantisme ont donné la parole aux protagonistes. Ces récits rendent visibles les dimensions micro-politiques qu’impliquent la décision d’avorter : on voit apparaitre les périls, le mal-être, les insécurités mais aussi les réseaux de solidarité et de sororité mobilisés [Chaneton, Vacarezza, 2001]. On peut citer aussi le réseau d’informatif des Femmes d’Argentine (RIMA) qui en 2004, en pleine discussion avec le Président Menem, a affiché sur sa page web une réplique du « j’ai avorté [13] ». Le film de Carolina Reynoso Yo Aborto, Tu abortas, Todx callamos (J’ai avorté, tu as avorté, nous nous taisons toutes), sorti en 2013, présente le récit de sept femmes – une photographe bolivienne qui vit à Buenos Aires, une psychologue sociale, une psychologue, une chanteuse populaire et femme au foyer, une ancienne députée et la propre réalisatrice du film – est un moyen de sortir du dilemme « avortement oui ou non » pour penser au pourquoi, au comment, aux conséquences. La femme qui avorte dit que, même si elle n’a pas le droit de le faire, elle a le pouvoir de le faire et elle le fait. Avec ses témoignages, on sort du silence, malgré la menace de la condamnation l’avortement devient public.
Conclusion
41J’ai montré tout au long de ce texte que le maintien de l’illégalité de l’avortement en Argentine ne s’explique pas seulement par le refus de l’actuelle présidente du pays ni parce que le nouveau pape est argentin ; il y a tout un enchaînement socio-historique de circonstances qui complexifient le diagnostic et oblige à prendre en considération différents niveaux d’analyse.
42Si l’on tient compte de la faible action publique étatique sur les questions reproductives et de son manque d’appui à la contraception et à la planification familiale en général et qu’on le compare avec le déclin soutenu des taux de natalité, on voit qu’au delà des normes en vigueur durant tout le xxe siècle, une bonne partie de la société contrôle sa fécondité. Ce scénario produit un système de double discours et ceux qui auraient pu être des promoteurs de changements n’ont pas assumé ce rôle puisqu’ils savaient que leurs propres nécessités seraient satisfaites malgré les politiques publiques [Shepard, 2000]. On peut supposer que si tous les couples et si toutes les femmes avaient été empêchées d’accéder à des services et des méthodes de contrôle de la fécondité, dont l’avortement, la contestation aurait été multiple ou le taux de natalité exorbitant. Actuellement, du fait de la structure sociale inégalitaire, quelques femmes se sortent bien des périls de la clandestinité alors que d’autres paient de leur santé ou de leur vie la volonté de sortir de la norme.
43Quant à l’influence de l’Église catholique dans la politique, elle joue certes un rôle important, mais cela n’exonère pas les politiques de leurs devoirs de fonctionnaires publics dans un État qui se prétend laïque. Par ailleurs, une croyance religieuse n’est pas toujours un obstacle pour avancer sur la question des droits sexuels et reproductifs. La stratégie de recherche d’alliés utilisée par le mouvement LGBT pourrait être utile. La théologie de la libération et la théologie féministe ont ouvert des espaces de débat et de questionnement pour beaucoup de femmes qui ont choisi de devenir féministes sans cesser d’être catholiques, bien qu’elles ne soient pas d’accord avec les ordres du Vatican et militent en sens contraire. Si l’on reprend un mot d’ordre féministe : « Peut-être l’Église qui illumine n’est pas celle qui s’embrase. »
44Dans ce discours belliqueux, nécessaire pour la véhémence des résistances mais parfois contreproductif, la centralité que le féminisme attribue à l’avortement finit par exclure ou soumettre d’autres droits reproductifs, comme l’accès à un accouchement respectueux, ou à des moyens qui appuient la maternité, hétérosexuelle ou lesbienne, comme des congés plus longs ou de meilleures options pour les services de soin. Le fait d’ignorer ou de relativiser ce type de demandes établit une tension entre l’idée de la mère scindée entre son rôle de reproductrice et celle qui choisit cette option et recherche les meilleures conditions pour réaliser ce rôle.
45Comme je l’ai déjà argumenté, le discours libéral sur les droits humains est le langage de la politique actuelle, et il est clair qu’il peut être utilisé pour appuyer le droit de la femme à interrompre un avortement ou pour défendre le droit à la vie du fœtus. La liberté ou la vie, valeurs qui prennent une valeur particulière dans un pays qui a traversé une dictature militaire sanguinaire, qui a capturé, assassiné et volé l’identité de centaines de bébés et d’enfants. Penser l’avortement comme un conflit entre les droits de la femme et ceux du fœtus ne permet pas de réfléchir à cela, ni au fait que durant la grossesse la notion moderne d’individu se défait. « La femme enceinte met en question les contours trop nets de l’individu, elle rend évidente notre interdépendance, elle manifeste la composante sexuelle de la maternité et nous confirme comme sujets incarnés et contingents. » [Imaz, 2010, p. 279.] D’un autre côté, penser le droit à l’avortement comme un droit humain et pas seulement comme un droit de la femme permettrait d’intégrer les hommes et les trans, ces derniers pouvant avorter sans avoir un état civil féminin [Petracci et al., 2012].
46Les questions présentées dans cet article indiquent que de nombreux dilemmes autour de l’avortement ne disparaitront pas avec la dépénalisation et la légalisation. Même si l’on veut dédramatiser l’acte, il y a un drame antérieur qui résulte d’une grossesse que l’on ne veut pas ou ne peut pas continuer et à propos duquel il faut prendre une décision. Il s’agit d’une déviation par rapport à un rôle socialement attendu, même dans les cas où la femme qui décide d’interrompre sa grossesse est déjà mère ou le sera dans le futur. En même temps, prendre en charge le contrôle des naissances répond à une idée ancienne qui fait des femmes les responsables de sa descendance, pour l’élever ou pour éviter qu’elle ne naisse. Vieux commandements, nouvelles stratégies, cris et silences marquent cette longue, difficile et complexe lutte pour la légalité de l’avortement dans l’Argentine contemporaine.
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Mots-clés éditeurs : religions, avortement, politique, droits humains
Mise en ligne 24/02/2015
https://doi.org/10.3917/autr.070.0073Notes
-
[*]
Chercheure au Conseil national de recherches scientifiques et techniques de l’Argentine.
-
[1]
Traduction réalisée par Arlette Gautier.
-
[2]
On peut mentionner la création du Programme national de santé sexuelle et de procréation responsable en 2002 (Loi n° 25673), la loi de l’accouchement humanisé en 2004 (Loi n° 25929), la loi de contraception chirurgicale (Loi n° 26130/2006) et la création du Programme national d’éducation sexuelle intégrale (Loi n° 26150) en 2006 ; l’inclusion de la contraception hormonale d’urgence dans le plan médical obligatoire en 2007 (recommandation 232 du ministère de la Santé de la nation) ; la loi pour prévenir, sanctionner et éradiquer la violence de genre en 2009 (Loi 26485), le droit au mariage pour les personnes de même sexe en 2010 (Loi 26618 et décret 1054/10), la loi d’identité de genre en 2012 (Loi n° 26743) et la loi de fécondation médicalement assistée en 2013 (Loi 28862).
-
[3]
Cette réforme s’appuie sur le projet présenté en 1918 par le député socialiste Enrique Del Valle Iberlucea qui a introduit la possibilité de la non punition avec des objectifs thérapeutiques, eugéniques et aussi sentimentaux quand les grossesses étaient issues d’un viol [Becerra, 2009].
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[4]
Dans au moins un cas, l’État argentin a été condamné par le Comité des droits humains de l’ONU pour ne pas avoir garanti l’accès à un avortement légal à une adolescente handicapée mentale, enceinte à la suite d’un viol, que la mère avait demandé à un hôpital public en 2006. La demande a suivi toutes les instances judiciaires du fait qu’il s’agissait d’un avortement dans les conditions prévues par la loi ; le temps passant l’avortement n’a pu être réalisé dans un hôpital public mais dans une clinique privée, grâce à l’appui des organisations de femmes, et malgré le fait que la gestation arrivait à vingt semaines [Carbajal, 2011].
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[5]
La première enquête nationale de santé sexuelle et reproductive a été réalisée en 2014. Elle a été élaborée par les équipes techniques du ministère de la Santé de la nation et l’Institut national de statistiques et de recensements (INDEC). Elle est de type probabiliste, et a enquêté les hommes et les femmes de 14 à 49 ans résidents dans des centres urbains de 2 000 habitants ou plus dans 6 000 ménages représentatifs de 20 millions d’habitants, soit la population d’âge reproductif. Les questions portaient sur les connaissances et l’utilisation de méthodes de contraception, le suivi des grossesses et des accouchements, la connaissance des IST, mais pas les avortements. Les résultats sont disponibles sur http://www.indec/mecon.ar/fp/cuadros/sociedad_2013.pdf.
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Durant la présidence de George H.W. Bush (1989-1993), on interdit aux entreprises, fondations ou individus de financer des cliniques de planification familiale à l’étranger qui apporteraient des services liés à l’avortement. Cela causa des problèmes aux organisations latino-américaines qui travaillaient sur ces thèmes car ils dépendaient des fonds que l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) pouvait envoyer.
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Jusqu’à la réforme de la constitution en 1994, il fallait appartenir à la religion catholique et romaine pour accéder aux charges de président et vice-président. Menem dût ainsi se convertir de la religion musulmane à la catholique.
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En 1998, Menem établit par décret présidentiel (1406/98) le 25 mars comme jour de l’enfant à naître, date que le calendrier catholique reconnaît comme celle de l’Annonciation de l’ange Gabriel à la Vierge Marie. L’Argentine fut le premier pays à créer cette célébration.
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La réforme de la loi de suffrage qui reconnut le droit de vote et de candidature aux femmes fut voté pendant la présidence de Perón, en 1994. Le péronisme s’est approprié cette avancée et l’a associé avec la figure d’Eva Perón, occultant les luttes antérieures pour le vote féminin. Eva s’opposait explicitement au féminisme et se présentait comme une défenseure fervente de la famille suivant des rôles de genre traditionnels, mais sa position publique et sa non maternité contredisaient son discours. En plus de la propagande favorable à la division des sphères, le péronisme impulsa des mobilisations politiques et sociales des femmes de manière inédite, les emmenant au Congrès et créant le Parti péroniste féminin [Ramacciotti, Valobra, 2004].
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Les organisations civiles analysées sont : Familias del Mundo Unidas por la Paz (FAMPAZ), Defensoría de la Vida Humana Asociación civil, Movimiento Familiar Cristiano, Consorcio de Médicos católicos y Portal de Belén.
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« Nunca Mas » est le titre du rapport final de la Commission nationale sur les disparitions de personnes (CONADEP) qui a documenté les disparitions, enlèvements et tortures durant la dictature. Par la suite cette phrase a été utilisée pour refuser le terrorisme de l’état [Crenzel, 2011].
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En référence aux 343 femmes célèbres qui avaient déclaré avoir avorté dans le Nouvel observateur le 5 avril 1971. Ce manifeste, rédigé par des journalistes proches du thème et du Mouvement de libération des femmes (MLF) lui a donné un mot d’ordre unificateur et a mis en évidence un changement de stratégie : faire de l’avortement libre et gratuit un symbole de l’émancipation, de libération des femmes et plus seulement un problème de santé publique [Pavard, 2012].
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Il y avait 87 témoignages et 132 adhésions à la date de consultation [RIMA, 2013].