Autrepart 2007/3 n° 43

Couverture de AUTR_043

Article de revue

Genre, travail et solidarités dans l'ex-zone hénéquénera du Yucatan

Pages 73 à 88

Notes

  • [*]
    Démographe, Université de Bretagne Occidentale – Arlette. Gautier@univ-Brest.fr. Cette recherche a été réalisée au cours d’un accueil au Laboratoire Population, Environnement, Développement de l’IRD à Marseille. Elle a été permise par des conventions entre l’IRD, le Centre d’études démographiques et urbaines du Colegio de México et le Centre de recherches régionales Hideyo Niguchi de l’Université autonome du Yucatan.
  • [1]
    L’ejido, c’est-à-dire la propriété collective de terres d’usage collectif, a été la grande conquête de la révolution mexicaine, officialisée par l’article 27 de la constitution. Il était revendiqué par les paysans du Centre et du Nord, avec Zapata et Villa, mais aussi, bien que cela soit moins connu, par ceux du Yucatan.
  • [2]
    Le nombre de municipalités appartenant à la zone du henequen, est estimé entre 58 et 62 [Varquez Pasos, 1999].
  • [3]
    On pourrait dire que la comisaría est un hameau ; c’est aussi une collectivité locale qui n’a pas d’équivalent en France puisqu’elle forme un échelon en dessous des municipalités, pour des communautés humaines peu nombreuses. Elle dispose d’un commissaire qui la représente au conseil municipal.
  • [4]
    Je remercie Susana Lerner de m’avoir fournie l’annuaire des personnes enquêtées en 1980.
  • [5]
    Dès 1990, près de 144 000 résidents du Quintana Roo étaient originaires du Yucatan [Dufresne, 1999].
  • [6]
    Ce sont des ejidatarios qui travaillent individuellement leurs parcelles.
  • [7]
    Conséquences des programmes antérieurs ayant pour objet de développer les cultures maraîchères malgré un terrain très calcaire.
  • [8]
    Selon Lerner et alii, les deux tiers des maisonnées d’ejidatarios pratiquaient l’horticulture et élevaient des gallinacés (poulets et dindons notamment) [1980]. En 1987, à la suite de sécheresses, seule la moitié des familles en possédait [Gautier, Quesnel, 1993]. La situation s’est encore aggravée avec deux graves ouragans.
  • [9]
    Les deux tiers des défibreurs étaient aidés par leur famille, dont 17,5 % par l’épouse et 28 % par les enfants [Varquez Pasos, 1999].
  • [10]
    Le henequen exige un désherbage trois fois par an [Labrecque, 1981].
  • [11]
    Ce qui peut d’ailleurs signifier une sous-évaluation liée à un faible intérêt En effet, comme nous l’avons dit les cliniques étaient plutôt mal perçues. Les épouses d’ejidatarios accouchaient avec la partera(matrone) et on peut penser que ceux-ci n’allaient à l’IMSS qu’en cas de force majeure, c’est-à-dire souvent d’accident.
  • [12]
    En effet, les fils partis au Quintana Roo ou à Mérida peuvent avoir de meilleurs emplois.
  • [13]
    Le Programme d’Appuis Directs à la Campagne est un programme fédéral, créé en 1993, qui subventionne les paysans cultivateurs de maïs, haricot, blé, riz, sorgo, soja ou coton.
  • [14]
    Le nombre d’actifs est de 1,5 dans les familles nucléaires et de 2 dans les familles étendues. Il y a même 12 % de familles où il y 3 actifs et 5 % où il y en a plus.
  • [15]
    En 2004-2005, des biens comme un frigidaire, un ventilateur ou une cuisinière ne sont possédés que par la moitié des ménages et le téléphone que par un quart d’entre eux. Au total, 16 % possèdent quatre biens, 20 % respectivement cinq à sept, et 10 % de un à trois biens et autant huit à neuf biens. La radio est la possession la plus fréquente.
  • [16]
    10 % des femmes en union ont subi des violences physiques par leur conjoint dans l’année et le quart au cours d’une relation.
  • [17]
    20 % des hommes en union prennent une cuite au moins une fois par mois mais seuls 5 % n’ont pas entretenu leur famille.

1L’ex-zone henequénera du Yucatan semble être la zone idéale pour étudier les bouleversements qu’ont connus le travail et les solidarités familiales à la suite de la dérégulation néolibérale. En effet, comme dans la zone du café à Veracruz [Hoffmann, 1994], son économie rurale a longtemps été protégée et subventionnée par l’État. La privatisation de l’ejido[1] et la fin de la réforme agraire en 1992 ont fait perdre aux ejidatarios leur emploi et leur accès à la sécurité sociale. Aujourd’hui, l’État promeut le développement des maquiladoras, qui emploient surtout des jeunes femmes, et celles-ci auraient plus de facilités que les hommes à trouver un emploi bien rémunéré [Baños Ramírez, 2003 ; Varquez Pasos, 1999]. Les données du recensement de 2000 ne confirment pas ces analyses car seules le tiers des femmes ont un emploi [INEGI, 2004]. Par ailleurs, l’État développe de nouvelles institutions sanitaires et sociales, ayant souvent un langage féministe. Toutefois, des sociologues considèrent que ces institutions ne favorisent pas l’égalité entre les sexes mais plutôt qu’elles donnent de nouvelles charges aux mères [López Barajas, 2007]. Les habitants de l’ex-zone du henequen se retourneraient vers les solidarités familiales [Gravel, 2004].

2Les conséquences des changements institutionnels font donc débat. Elles seront analysées du point de vue du travail, et non pas seulement de l’emploi [Maruani, 2006], en apportant une attention particulière aux relations sociales dans lesquelles le travail se réalise. De plus, le travail non rémunéré sera inclus. En effet, le travail domestique est trop souvent exclu de l’analyse comme s’il n’était pas susceptible de changements. C’est dire que l’angle d’analyse sera celui du genre, qui prête autant d’attention aux hommes et aux femmes. Pour ce faire, la présentation de la zone d’étude et des enquêtes sur lesquelles nous nous appuierons sera suivie par celle des transformations du travail et des solidarités.

Photo 1

Hoctum, Yucatan, Mexique, façade de la Mairie : « Équité et genre. Direction de la santé »

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Hoctum, Yucatan, Mexique, façade de la Mairie : « Équité et genre. Direction de la santé »


(photo Arlette Gautier)

Des recherches dans L’ex zone du henequen

Du henequen aux maquiladoras

3À la fin du XIXe siècle, la demande internationale de cordages pour les nouvelles machines agricoles provoque le développement de la monoculture du henequen (ou sisal) et du servage pour dettes au Yucatan. Les paysans mayas participent à la révolution mexicaine et luttent en faveur de l’ejido, c’est-à-dire de la propriété collective des terres. L’État du Yucatan devient une des zones où l’ejido occupe le plus de terres (37 % contre 27 % pour l’ensemble du Mexique), le plus souvent sous une forme collective dans la zone de monoculture du henequen [Gaultier, 2001]. Cependant, la mise en œuvre de l’ejido postule la subordination des communautés indiennes [Léonard, 2004], particulièrement au Yucatan où les terres destinées au henequen forment un « gran ejido », administré par d’ex-hacendados puis par la Banque rurale. Malgré la concurrence d’autres pays, puis des fibres synthétiques, l’État mexicain prend en charge, dans les années soixante, la culture et la transformation de l’agave et améliore les conditions de vie des producteurs.

4Cependant, la crise économique qui commence en 1982 et les programmes d’ajustement structurel conduisent à remettre en cause ce modèle. En 1984, le programme de reordenación de la zona henequenera y de desarrollo integral de Yucatán vise le développement industriel, la diversification agricole, la promotion de la pêche, le développement touristique et l’amélioration de l’accès aux soins de santé et de sécurité sociale. Entre 1990 et 1992, le marché du henequen est libéré et l’ejidoindividualisé. 30 225 ejidatarios sont licenciés avec 24 mois de salaire minimum comme viatique et 12 200 sont retraités prématurément avec une pension de 30 % du salaire minimum [Canto Saenz, 2001, p. 68]. Le processus de privatisation des terres n’avance que lentement, signe d’un attachement à l’ejido, mais aussi de la difficulté à vendre une terre pierreuse et calcaire quand elle est éloignée des villes.

Photo 2

Un champ de henequen abandonné

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Un champ de henequen abandonné


(photo Arlette Gautier)

5Pendant ce temps, le gouvernement essaie d’attirer les investisseurs étrangers en vantant le bas coût de la main-d’œuvre, sa docilité et les talents de couturières des Yucatèques, en offrant des formations gratuites aux futurs employés ainsi qu’en construisant des infrastructures (routes, parcs industriels, port d’eau profonde de Progreso). Ce programme n’a d’abord guère de succès, malgré la proximité avec les États-Unis, mais avec la signature de l’ALENA en 1994, les biens produits peuvent être réexportés sans taxes vers les États-Unis et le nombre de maquiladoras augmente alors fortement. Le gouverneur Cervera Pacheco, ancien dirigeant estudiantin puis paysan, accorde de fortes incitations économiques pour que les maquiladoras s’installent dans des bourgs ruraux de l’ancienne zone du henequen. Ces entreprises passent de 10 en 1990 à 144 en 2000. Les travailleurs (dont 75 % dans le textile) reçoivent en moyenne deux salaires minimum pour 48 heures de travail par semaine, soit plus que ne recevaient les anciens ejidatarios mais nettement moins que dans les maquiladorasdu Nord du Mexique [Gobierno de Yucatan, 2006]. La première maquiladorainstallée au Yucatan développe des méthodes japonaises de management et réussit à fidéliser et à mobiliser la main-d’œuvre [Castilla Ramos, 2004], mais la plupart de ces entreprises fonctionnent selon un taylorisme archaïque, avec un encadrement strict et des cadences élevées, qui provoquent arrêts de travail et turnover. Ces travailleurs sont souvent des jeunes femmes, ainsi les deux tiers sont des femmes et autant ont moins de 25 ans, bien que ces proportions tendent à diminuer [Labrecque, 2005]. Cependant, de nombreuses maquiladoras partent chercher des salaires plus bas en Amérique centrale ou en Chine. Il n’en reste plus que 76 en 2006 et le nombre d’employés, qui avait atteint 36 000, redescend à 27 000 [Diario de Yucatan, 2.09.2006].

6Que sont devenus les ejidatarios et leurs enfants ? Le travail des épouses, les solidarités publiques et familiales ont-ils remplacé les maigres avantages qu’ils avaient obtenus de haute lutte ?

Une comparaison 1980-2004

7Pour répondre à ces questions, deux enquêtes peuvent être comparées. La première a été réalisée par Lerner, et al. en 1980, donc au tout début des réformes néolibérales. 1 014 hommes ont été questionné dans les communes de la zone henequen, soit soixante villages  [2] et de nombreuses comisarías [3]. Le tirage probabiliste a été réalisé par l’INEGI, l’Institut de la Statistique du Mexique, à partir des données du recensement. L’enquête est donc représentative de la zone du henequen. La deuxième enquête a été réalisée en 2004-2005 par moi-même et une équipe de 18 personnes, dans les mêmes 60 municipalités henequéneras et dans 20 hameaux, choisis parmi ceux visités en 1980, ce qui correspond à un tirage stratifié par grappes. L’objectif initial était de retrouver les familles étudiées en 1980, toutefois, si les familles étaient presque toutes présentes près de Mérida, elles ne l’étaient plus au-delà  [4]. Des familles entières sont parties vers le Quintana Roo  [5], et particulièrement Cancún, ou vers Mérida, le District fédéral et, plus rarement, vers les États-Unis. Toutefois, certaines personnes ne sont jamais parties ou sont revenues, souvent les moins bien pourvues socialement et les plus attachées à leur terre.

8La population enquêtée en 2004-2005 n’est donc pas représentative de la population de 1980. En revanche, elle l’est de la population restée sur le territoire de référence. En effet, la proportion des personnes enquêtées a été calquée sur celle du recensement de 2000, que ce soit au niveau de la proportion des différentes communes, de la différence villages/hameaux (soit 70 %/30 %) ou des groupes d’âges. 988 femmes et 519 hommes ont été questionnés. Les premières ont un peu plus souvent moins de 45 ans que dans le recensement alors que les hommes sont un peu plus vieux, ce qui est significatif à la fois de la plus grande difficulté à rencontrer les hommes lorsqu’ils exercent un emploi et du fait qu’ils en ont moins souvent après cet âge. Des secteurs ont été attribués aux enquêteurs dans chaque village, grâce à des cartes, selon une technique aérolaire qui pose l’hypothèse que la répartition spatiale peut correspondre à une stratification sociale. 400 membres d’institutions sanitaires ont également été interrogés de façon semi-directive et des observations ont été menées dans les centres de santé. Ces entretiens et observations ont été comparés avec une enquête réalisée dans cinq communes de la zone en 1986-1987 [Gautier, Quesnel, 1993].

9L’enquête portait principalement sur la nuptialité et la santé de la reproduction, néanmoins la feuille de ménages listait tous les membres des ménages, leurs emplois et leur contribution. Ces données permettent donc de mesurer quelles ont été les évolutions dans le travail, notamment selon qu’il est rémunéré ou pas. Peut-on toujours parler de travail familial ou femmes et hommes vendent-ils désormais leur force de travail sur le marché ?

L’individualisation du travail

Les señores ejidatarios et la force de travail familiale

10On a dit parfois des ejidatarios qu’ils étaient « les fils privilégiés du régime ». C’est à la fois juste et faux. Juste, parce que la réforme agraire de 1920 n’accorde de terres qu’aux hommes et pas aux femmes, même cheffes de famille, malgré la demande de la ligue paysanne féminine Rita Gutierrez [Lemaître, 1998 ; Peniche Rivero, 2003]. Il a fallu l’intervention du gouverneur pour qu’ils concèdent quelques terres aux femmes dans les années 1980 [Labrecque, 1987]. Exact également, parce que les paysans étaient considérés comme des enfants, avec un paternalisme condescendant, par tous les échelons de la bureaucratie, même si les petits fonctionnaires en étaient souvent issus [Nadal, 2001]. Cependant, les ejidatarios étaient bien mal traités par les institutions. Ainsi, par exemple, les droits ouverts officiellement à des services sanitaires dès 1922, leur étaient souvent refusés. De plus, leurs revenus étaient toujours très en dessous de ceux des ouvriers. Ils ne percevaient que 23 % du salaire d’un travailleur de Mérida en 1939, 32 % en 1954 [Varquez Pasos, 1999], 66 % en 1967, 48 % en 1980 [Baños Ramirez, 1996]. Ils ont toujours revendiqué de meilleurs revenus, que ce soit dans les années 1930 ou 1970, mais en vain [Varques Pasos, 1999]. C’est donc à juste titre qu’on parlait d’ejiproletaria [Dufresne, 1999, p. 113]. Il faut d’ailleurs souligner que si l’on présentait parfois leurs salaires comme des subsides politiques, le prix du henequen était 65 % plus faible au Yucatán que sur le marché international [Labrecque, 1981].

11En 1980, la force de travail de la zone henequenera était constituée de 63 602 ejidatarios, 12 000 parcelarios [6], 2 000 horticulteurs  [7] et entre 7 000 et 10 000 salariés. Cependant, les deux-tiers des ejidatarios et la moitié des salariés combinaient plusieurs activités [Lerner et alii, 1980]. Les paysans de la zone henequenera participaient donc de l’économie informelle avant même les réformes néolibérales. Ils vivaient aussi de la chasse, de la culture du maïs, de cucurbitacées et de haricots sur la milpa, selon le principe d’une agriculture par brûlis fondée sur de longues jachères. Les épouses pratiquaient l’horticulture et l’élevage dans lesolar, le terrain qui entoure les maisons [8]. Les femmes travaillaient également le henequen ou la milpa lorsque l’homme en décidait ainsi, mais sans être payées, de même que les enfants quel que soit leur âge [Castilla Ramos, 2004 ; Dufresne, 1999 ; Varquez Pasos, 1999  [9] ; Rosado Rosado, 2003]. En 1980 d’ailleurs, le temps de travail des paysannes était plus long que celui des hommes, ainsi une femme travaillait en moyenne 13 heures par jour alors qu’un ejidatario travaillait25 heures par semaine [Villagómez Valdés, Pinto González, 1999]. Le faible salaire des henequéneros était donc rendu possible par le travail gratuit de la famille et particulièrement des épouses.

Le tricitaxiste et l’ouvrière

12Vingt ans plus tard, l’ex-zone henequenera n’a pas changé de façon spectaculaire. Néanmoins, les signes de transformations sont partout : les champs de henequen non désherbés [10], les maquiladoras aux abords des villages, les moulins denixtamal où les femmes font désormais moudre le maïs et les tricitaxis. Il s’agit de bicyclettes précédées de carrioles, pilotées par de jeunes hommes, où trônent le plus souvent des femmes, ramenant leurs emplettes du marché ou allant à la clinique. Les tricitaxis semblent symboliser les changements en cours dans la zone, notamment la transformation des relations entre les sexes, puisque les hommes sont au service des femmes.

13Ejidatarios et ouvriers du henequen ont disparu, sauf pour 4 000 d’entre eux. En effet, l’agriculture, qui occupait 86 % de la population active de la zone du henequen en 1940, 75 % en 1970 et encore 46 % en 1980, n’en emploie plus que 36 % en 1990, date à laquelle l’industrie en embauche 25 % [Lapointe, 2006, p. 300]. On voit ce basculement de l’agriculture à l’industrie ou aux services dans le tableau 1. Ces évolutions sont donc anciennes et plus liées à la baisse de la demande pour le henequen qu’à la dérégulation, cependant la manière dont elle se réalise et ses conséquences, elles, dépendent bien des nouvelles formes d’intervention étatique.

Photo 3

Siho, Yucatan, Mexique, défibreuse envahie par la végétation

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Siho, Yucatan, Mexique, défibreuse envahie par la végétation


(photo Arlette Gautier)
Tab. 1

Les occupations en 2004-2005 pour les 519 hommes, leurs pères ainsi que le pourcentage d’ayants droit de l’IMSS

Père des enquêtés
Ejidatario 45,5
% IMSS
62
Hommes enquêtés
1
% IMSS
Parcelario 5,4781
Salarié agricole 30691525
Ouvriers 8554648
Tinrfaovrmailelleur 1,5122440
Patron 6131132
Travailleur
familial non 3
rémunéré
1
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Les occupations en 2004-2005 pour les 519 hommes, leurs pères ainsi que le pourcentage d’ayants droit de l’IMSS



Gautier, 2005, enquête sur la politique de santé de la reproduction dans la zone henequénera, IRD, LPED.

14La comparaison des occupations des pères et des fils est biaisée puisque les expériences sociales varient beaucoup selon l’âge des individus, comme l’indique le tableau II, et que les fils ne sont pas forcément au même point dans le cycle de vie que leur père. Néanmoins, les hommes ayant au minimum 15 ans, on voit la disparition totale des ejidatarios et parcelarios. Si on leur ajoute les salariés agricoles, les pères des enquêtés travaillaient à 80 % la terre. 25 ans plus tard, seuls 15 % des fils le font encore, tous salariés agricoles. De plus, les deux tiers de ces pères travaillant la terre étaient ayants droit de l’IMSS  [11]. En 2004, seul le quart des salariés agricoles le sont. Les ouvriers sont passés de 8 % à 46 %, dont seulement la moitié appartiennent à l’IMSS. Les patrons ont presque doublé, de 6 % à 11 %. Les travailleurs informels ont explosé de 1 % à 24 %, presque 40 % sont couverts par l’IMSS sans doute grâce au travail formel d’un membre de leur famille. Les travailleurs familiaux non rémunérés, déjà peu présents, ont presque disparu. Au total, 41 % des hommes sont ayants droit de l’IMSS, un quart relevant d’IMSS-Oportunidades et le tiers du ministère de la santé publique. Si l’on regarde plus précisément la mobilité sociale des deux catégories les plus fréquentes : les ejidatarios et les salariés agricoles, 25 % de l’ensemble des fils restés dans la zone  [12]sont devenus travailleurs informels, alors que respectivement 58 % et 38 % sont ouvriers.

15L’emploi des hommes varie beaucoup avec l’âge (tab. 2) : 70 % des moins de 44 ans sont ouvriers et employés pour 31 % des plus de 45 ans. En revanche, les plus vieux sont deux fois plus nombreux que les plus jeunes à être travailleurs informels (30 % contre 15 %). Un quart des plus de 44 ans travaille comme salariés agricoles, tout en cultivant leur milpa avec l’aide de Procampo [13] [Baños Ramirez, 2003].

Tab. 2

Les trois principaux statuts des 519 hommes enquêtés de la base « hommes »

15-2930-4445 et +Total
Ouvriers et employés71 %56 %31 %57 %
Travailleurs informels15 %23 %30 %24 %
Salariés agricoles4 %5 %25 %15 %
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Les trois principaux statuts des 519 hommes enquêtés de la base « hommes »


Gautier, 2005, Enquête sur la politique de santé de la reproduction dans la zone henequénera, IRD, LPED.

16Passer d’agriculteur à ouvrier peut être perçu comme une promotion, là où elle signifie un travail moins prenant et plus de sécurité. Ce n’est pas forcément le cas dans notre échantillon, où la moitié des ouvriers n’ont pas accès à la sécurité sociale, et donc non seulement aux soins, mais aussi aux pensions de retraite et autres avantages sociaux [Razavi, 2006].

17En 1980, alors que seules 16 % des épouses exerçaient un emploi rémunéré comme activité principale, 40 % d’entre elles avaient néanmoins une activité secondaire, principalement comme travailleuses informelles [Lerner et alii, 1980]. 24 ans plus tard l’emploi des femmes en général et des épouses en particulier a légèrement augmenté, puisqu’il est désormais de 31 % (dont le tiers à temps partiel), mais celui des épouses est de 24 % (contre 41 % des femmes qui ne sont pas mariées). 12 % des femmes sont employées ou ouvrières et 16 % à leur compte, comme vendeuses ou couturières à domicile. Les épouses travaillent un peu moins souvent qu’en 1980 dans le secteur informel, mais il y a plus de femmes que d’hommes parmi les travailleurs informels : 57 % contre 24 %. Toutefois, les femmes ont sans doute des petites activités qu’elles ne déclarent pas, comme fabriquer et vendre des plats cuisinés ou de l’artisanat [Noh Poot, 2003].

18La moitié d’entre elles ont travaillé avant de se marier et il y a peu de différences selon l’âge, qui influe par contre beaucoup sur le type d’emploi occupé. Ainsi, la moitié des femmes a été employée domestique, soit le tiers des plus jeunes et les deux tiers des plus âgées. Les plus jeunes ont souvent été ouvrières. Les deux tiers des femmes qui travaillaient ont continué après le mariage et autant ontcontinué après la naissance du premier enfant. C’est dire que 21 % de l’ensemble des femmes mariées a travaillé après le mariage et 14 % après la naissance d’un enfant. On voit que le travail féminin n’est pas majoritaire et qu’il est largement discontinu, comme dans le reste du Mexique [Ariza, Oliveira, 2004]. Le revenu des épouses, qui était de la moitié de celui des maris en 1980 [Lerner et alii, 1980], atteint aujourd’hui 60 % : il y a certes un progrès, mais bien modéré. Alors que des auteurs mettent en exergue le fait que les employées de maison gagnent plus que les travailleurs informels [Baños Ramirez, 2003 ; Varquez Pasos, 1999], seules 7 % des épouses de l’enquête perçoivent des revenus plus importants que leur mari. On ne peut donc pas dire que l’emploi féminin va permettre de compenser la dégradation de l’emploi masculin, il ne fait que limiter les dégâts.

19De plus, comme ailleurs et notamment en France, cette augmentation du travail rémunéré n’a pas entraîné un véritable partage du travail domestique. Hommes et femmes ne concordent d’ailleurs pas quant à l’importance de la participation masculine. Les hommes enquêtés disent être 2 % à effectuer seuls les tâches domestiques et entre 18 à 38 % selon les tâches à les faire « ensemble ». Les épouses, elles, considèrent qu’ils sont moins de 1 % à effectuer seuls les tâches domestiques et moins de 10 % à aider. Certes, les époux de femmes actives sont deux fois plus nombreux que les autres à participer, soit 14 % au lieu de 7 %, mais on est loin d’un partage du travail.

20On ne peut donc pas vraiment dire que le partage du travail a beaucoup progressé, ni que l’augmentation du travail féminin compense la précarité accrue du travail masculin. Les solidarités publiques et privées le permettent-elles ?

Solidarités publiques et familiales

21La baisse des dépenses sociales fait souvent retomber sur les femmes la charge des enfants, des personnes âgées et des malades [Gautier, Heinen, 1993]. Qu’en est-il au Yucatan, où la politique sociale se veut conforme à l’équité de genre ? Celle-ci peut signifier la volonté de mettre en œuvre des programmes pour combattre les discriminations envers les femmes, ou justifier que l’on donne moins à ces dernières parce qu’elles auraient besoin de moins.

Une féminisation des solidarités publiques ?

22Les ejidatarios appartenaient depuis 1972 à l’Institut Mexicain de Sécurité Sociale (IMSS), qui perçoit des cotisations de l’employeur. Certains d’entre eux avaient remercié le Président de la République mexicaine venu inaugurer la première clinique de l’IMSS, tout en soulignant qu’ils voulaient surtout du travail correctement payé [Varquez Pasos, 1999]. Cette appartenance à l’IMSS s’étendait d’ailleurs à leurs parents et beaux-parents ainsi qu’à leurs enfants. C’est dire que la solidarité publique était – et est toujours – construite sur une conception étendue de la notion de famille. En 1986-1987, les communes étaient toutes pourvues d’une clinique et quelques hameaux recevaient la visite d’un médecin et d’uneinfirmière [Gautier, Quesnel, 1993]. Les soins et les médicaments étaient gratuits, mais si l’on trouvait toujours des pilules contraceptives, ce n’était pas le cas des vaccins. Les ejidatarios se plaignaient beaucoup de la qualité des soins et de l’absence trop fréquente de médicaments. L’IMSS avait ouvert une clinique de COPLAMAR, programme d’aide sanitaire aux zones défavorisées, dans un village où de nombreux ex-ejidatarios avaient quitté ce statut. Les épouses gagnaient le droit à des soins médicaux de base pour toute la famille en nettoyant la clinique.

23Les ejidatarios ont perdu leur accès à l’IMSS en 1992 (sauf les retraités) et l’on peut donc se demander ce qu’il est advenu de leur accès à la santé. La réponse à cette question est nuancée, d’autant que les enfants peuvent inscrire leurs parents sur leur sécurité sociale. D’un côté, la couverture sanitaire a plutôt augmenté. L’IMSS a étendu le programme COPLAMAR, devenu Solidaridadpuis IMSS-Oportunidades (IO), à la plupart des localités de l’ex-zone henequénera. Un affilié à IMSS-Oportunidades doit prouver que l’épouse ou la mère a bien effectué le nettoyage de la clinique. Le ministère de la santé du Yucatan (SSY) a ouvert des cliniques et des centres de santé dans des zones isolées. Lorsqu’il n’y en a pas, des médecins et des infirmières passent généralement une fois par semaine ou par quinzaine. De plus, des assistantes rurales de santé, choisies dans la communauté et payées au minimum, ont été formées pour assurer les premiers soins et pourvues de médicaments de base (aspirine, alcool). Des étudiants, qui ont terminé leur dernière année de médecine, font souvent fonctionner ces dispensaires mais ne reçoivent qu’une bourse dérisoire. C’est au prix de ce travail gratuit – ou presque – que l’accès aux soins de santé ne s’est pas trop dégradé.

24D’un autre côté, les institutions médicales ont des budgets très différents : celui destiné aux assurés de l’IMSS est 2,5 fois plus élevé que celui des non assurés. L’IMSS soigne toutes les pathologies et dispose des équipements nécessaires, mais pas toujours des médicaments idoines. L’IO et la SSY n’assurent que les soins du cadre basique de santé, dont la protection materno-infantile et la planification familiale. La prévention réalisée par ces deux institutions (IO et SSY) est impressionnante. Dans chacune des 80 cliniques visitées (sauf une), une carte du village montre les lieux où habitent les femmes enceintes, les enfants en bas âge, les personnes utilisant une méthode de planification familiale ou souffrant de certaines maladies, dont le diabète. Un fichier indique les noms des patients et leurs dates de consultations. S’ils manquent, une assistante rurale de santé les visite. Cependant, IO ne traite pas les maladies graves éventuellement découvertes. Le cas du cancer manifeste les limites de cette approche : on montre aux femmes comment se palper les seins pour vérifier qu’elles n’ont pas de boules et près d’un tiers d’entre elles le font chaque mois. Or, le cancer est alors souvent trop avancé et il n’y a pas d’appareils pour faire des mammographies, sauf à Mérida et dans une grande ville (Acanceh).

Photo 4

Chapab, Yucatan, Mexique, plan dans le dispensaire du village

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Chapab, Yucatan, Mexique, plan dans le dispensaire du village


(photo Arlette Gautier)

25Enfin, le programme de transfert financier Oportunidades (qui n’a aucun rapport avec le programme sanitaire IMSS-Oportunidades) a pris la relève en 2000 des divers programmes fédéraux de solidarité, dont le premier a été créé en 1989. Près de 133000 familles yucatèques reçoivent une allocation d’Oportunidades[Gobierno de Yucatan, 2006, p. 180], comme la moitié des femmes dans notre enquête. Cette aide varie en fonction du nombre d’enfants et de leur sexe. Il peut ainsi être équivalent à dix jours de salaire minimum pour une famille de trois enfants ce qui, vu l’extrême pauvreté de la zone, est loin d’être négligeable. « Oportunidades a pour priorité de renforcer la position des mères de famille dans la famille et dans la communauté. Pour cette raison, ce sont les mères de famille qui sont titulaires du programme et qui reçoivent les transferts monétaires correspondants. Pour le milieu scolaire, à partir du secondaire, le montant des bourses est supérieur pour les femmes car leur indice de désertion commence à ce niveau. Dans les soins de santé, les femmes enceintes reçoivent une attention particulière, avec un protocole de consultation pour suivre la grossesse, la santé de la mère et prévenir les accouchements dangereux » [Oportunidades, 2006]. Le programme Oportunidades se dit en faveur de l’équité de genre. Molyneux [2006] écrit que le programme Oportunidades relève du féminisme maternaliste du début du XXe siècle, qui attribuait des droits aux femmes en tant que mères, et non pas du féminisme égalitariste qui les justifiait de leur humanité. De plus, ce maternalisme est lié à l’idée néolibérale d’assistance à des pauvres méritants. En effet, ces allocations ne sont pas universelles, les familles doivent à la fois prouver leur indigence et remplir certaines obligations – suivre des cours sur l’hygiène et la santé, réaliser des corvées – sinon elles perdent le bénéfice de ces allocations. L’État ne forme pas professionnellement les femmes, mais il se veut éducateur, voire prêcheur. Il donne de nombreuses « pláticas » (causeries) sur tous les thèmes et prend même le soin de les compter dans son annuaire statistique[INEGI, 2004]. « À l’intimation au nom de la loi tend à se substituer une obligation d’intérioriser la norme » [Fassin, Memmi, 2004, p. 20 et 25].

Photo 5

Izamal, Yucatan, Mexique, assistance à un cours d’oportunidades sur la santé

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Izamal, Yucatan, Mexique, assistance à un cours d’oportunidades sur la santé


(photo Arlette Gautier)

26De plus, les femmes – et pas les hommes – doivent également nettoyer la clinique et le village ainsi que participer aux actions de prévention. Tout le village est divisé en sections avec des femmes responsables de vérifier que chacune fait bien sa part. Ces corvées, base de l’organisation économique dans la Méso-Amérique préhispanique, mais utilisées par le pouvoir colonial puis par les municipalités, ont maintenant disparu pour les hommes, sauf dans quelques comisarías. En plus de leur dur travail, au sein de la famille et souvent dehors, les femmes sont payées pour devenir les « mères sociales » de la communauté, celles qui font le ménage, non seulement chez elles, mais pour tout le village. Il est frappant de retrouver là les fonctions dévolues aux femmes pauvres dans les publications de l’ONU : « Ce qu’on attend des femmes pauvres, c’est qu’elles produisent des biens publics qui profitent à l’ensemble de la société… Pour ces dernières, il s’agit certes de s’émanciper en obtenant un statut d’égalité et de droits y afférant mais aussi d’un alourdissement des tâches et des responsabilités, ainsi que de la confirmation de leur fonction reproductive en tant que mères sociales » [Mestrum, 2003, p. 43].

27Le suivi sanitaire est donc réel, mais comment survit l’accidenté du travail sans pension, le retraité qui gagne 30% du salaire minimumou le chômeur non déclaré ? Leurs familles les aident-elles à survivre ?

Renforcement ou affaiblissement des solidarités familiales ?

28Le chib’hal, ou lignage paternel dirigé par l’homme le plus âgé, a longtemps a été l’armature de la famille étendue maya [Peniche Moreno, 2001]. Il était dirigévers la production, pour la subsistance et l’échange. En 1980 encore, 43 % desejidatarios – mais 30 % des travailleurs informels – vivaient dans des familles étendues. La vie dans une famille étendue relevait plus d’une stratégie de partage des ressources pour la survie ou pour l’accumulation nécessaire à la construction d’une maison que de nécessités productives. En 2004-2005, le pourcentage de familles étendues n’est plus que 20 %, sans différentiation sociale.

29Pourtant, la famille étendue reste valorisée par plusieurs enquêtés  [14]. Ils expliquent comment la mise en commun de la maison, construite lorsque le père étaitejidatario, et des revenus irréguliers des enfants, constitue la seule possibilité de survie. De fait, alors que seuls le tiers des familles nucléaires disposent de 7 à 9 biens, c’est le cas de 55 % des familles étendues  [15]. Les jeunes hommes restent souvent au foyer parental après le mariage jusqu’à ce qu’ils aient assez d’argent pour construire leur propre maison. Ainsi, en 2004-2005, 28 % des femmes ont commencé leur vie matrimoniale seules avec leur conjoint, avec une différence de seulement 3 points entre les plus jeunes et les plus âgées. Cependant, ce passage dans la belle-famille ne dure pas. Malgré ces avantages économiques, les conflits sont relativement fréquents, particulièrement entre belles-mères et belles-filles. Dans notre échantillon, le fait de vivre dans une famille étendue constitue le facteur explicatif le plus important des violences conjugales  [16].

30L’aide économique, toujours forte, entre les membres de la famille se fait désormais plutôt sur une base poly-résidentielle. Les réseaux de parenté restent essentiels pour trouver un emploi, que ce soit dans les maquiladoras ou dans le travail à domicile [Castilla Ramos, 2004]. Les liens se resserrent sur la famille de descendance et la terminologie maya pour les membres éloignés de la famille tend à se perdre [Baños Ramirez, 2003].

31Quant à la solidarité au sein du couple, elle reste forte. Peu de femmes se plaignent de l’absence de prise en charge par leur conjoint, malgré un alcoolisme assez fort  [17]. De 30 à 59 ans, 86 % des femmes vivent en couple, 11 % sont veuves, divorcées ou séparées et seulement 3 % n’ont jamais vécu avec un homme. En fait, la famille conjugale reste le principal amortisseur de la précarité généralisée, même si les femmes semblent avoir gagné un peu de liberté.

Photo 6

Dzytia, Yucatan, Mexique, peinture murale représentant un couple yucatèque dans un village d’artisanat

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Dzytia, Yucatan, Mexique, peinture murale représentant un couple yucatèque dans un village d’artisanat



(photo Arlette Gautier)

Conclusion : la précarité sans l’égalité

32Analyser ces évolutions en termes de travail ou d’emploi conduit donc à des conclusions différentes. En termes de travail, il y a eu poursuite d’évolutions entamées depuis bien longtemps, avec la perte de débouchés pour le henequen yucatèque. Les ejidatarios ne sont pas devenus des travailleurs informels, puisqu’ils l’étaient déjà. La part du secteur primaire a diminué au profit du secteur tertiaire et le travail féminin a légèrement augmenté. Les jeunes femmes ont bénéficié indirectement de l’appui des États aux maquiladoras pour des emplois qui ne sont pas pérennes, du fait de la priorité accordée au rôle éducatif des mères mais aussi de l’instabilité propre à ce type d’entreprises. Il n’y a pas eu réellement de partage du travail, ni rémunéré ni domestique. Il y a eu par contre bouleversement, du moins pour les hommes, en termes de relations sociales. Les ejidatarios ont perdu un statut social plus qu’un emploi. Aujourd’hui, ils ne sont plus des señores, mais des chômeurs prêts à prendre n’importe quel petit job, ou des retraités. Ils ont souvent perdu leur droit à la Sécurité sociale, et ce sont les épouses ou les enfants qui permettent l’accès à des soins basiques de santé. Ils ont perdu leur place dans la société tout autant qu’un emploi sûr. De plus, la famille étendue, qu’ils dirigeaient, est devenue moins fréquente depuis 1980. Elle n’en conserve pas moins un rôle de refuge en cas de problème.

33Conformément à l’idéologie néolibérale, les États mexicain et yucatèque ont quitté la sphère de la production au profit d’un appui aux femmes pauvres. Des allocations familiales visent à favoriser l’éducation, particulièrement des filles, et à les inciter à prendre soin de la santé de tous et à limiter les naissances. L’État, loin d’avoir disparu des villages, semble au contraire s’y être installé en profondeur dans un rôle d’éducateur. Toutes les femmes pauvres sont supposées l’aider dans son travail, moyennant quelques subsides, en veillant sur la propreté des lieux et le suivi des traitements. Les « mères sociales » soutiennent, par leur travail gratuit, l’État social, mais aussi leur famille, d’origine et de descendance. Ainsi, les solidarités publiques appuient toujours la famille étendue, même si celle-ci n’est plus résidentielle. Là aussi, il s’agit plus d’évolutions que de bouleversements, et elles accroissent le pouvoir des femmes plus que leur autonomie.

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Mots-clés éditeurs : travail, famille, politiques néolibérales, politiques sociales, Mexique, genre

Mise en ligne 01/03/2010

https://doi.org/10.3917/autr.043.0073

Notes

  • [*]
    Démographe, Université de Bretagne Occidentale – Arlette. Gautier@univ-Brest.fr. Cette recherche a été réalisée au cours d’un accueil au Laboratoire Population, Environnement, Développement de l’IRD à Marseille. Elle a été permise par des conventions entre l’IRD, le Centre d’études démographiques et urbaines du Colegio de México et le Centre de recherches régionales Hideyo Niguchi de l’Université autonome du Yucatan.
  • [1]
    L’ejido, c’est-à-dire la propriété collective de terres d’usage collectif, a été la grande conquête de la révolution mexicaine, officialisée par l’article 27 de la constitution. Il était revendiqué par les paysans du Centre et du Nord, avec Zapata et Villa, mais aussi, bien que cela soit moins connu, par ceux du Yucatan.
  • [2]
    Le nombre de municipalités appartenant à la zone du henequen, est estimé entre 58 et 62 [Varquez Pasos, 1999].
  • [3]
    On pourrait dire que la comisaría est un hameau ; c’est aussi une collectivité locale qui n’a pas d’équivalent en France puisqu’elle forme un échelon en dessous des municipalités, pour des communautés humaines peu nombreuses. Elle dispose d’un commissaire qui la représente au conseil municipal.
  • [4]
    Je remercie Susana Lerner de m’avoir fournie l’annuaire des personnes enquêtées en 1980.
  • [5]
    Dès 1990, près de 144 000 résidents du Quintana Roo étaient originaires du Yucatan [Dufresne, 1999].
  • [6]
    Ce sont des ejidatarios qui travaillent individuellement leurs parcelles.
  • [7]
    Conséquences des programmes antérieurs ayant pour objet de développer les cultures maraîchères malgré un terrain très calcaire.
  • [8]
    Selon Lerner et alii, les deux tiers des maisonnées d’ejidatarios pratiquaient l’horticulture et élevaient des gallinacés (poulets et dindons notamment) [1980]. En 1987, à la suite de sécheresses, seule la moitié des familles en possédait [Gautier, Quesnel, 1993]. La situation s’est encore aggravée avec deux graves ouragans.
  • [9]
    Les deux tiers des défibreurs étaient aidés par leur famille, dont 17,5 % par l’épouse et 28 % par les enfants [Varquez Pasos, 1999].
  • [10]
    Le henequen exige un désherbage trois fois par an [Labrecque, 1981].
  • [11]
    Ce qui peut d’ailleurs signifier une sous-évaluation liée à un faible intérêt En effet, comme nous l’avons dit les cliniques étaient plutôt mal perçues. Les épouses d’ejidatarios accouchaient avec la partera(matrone) et on peut penser que ceux-ci n’allaient à l’IMSS qu’en cas de force majeure, c’est-à-dire souvent d’accident.
  • [12]
    En effet, les fils partis au Quintana Roo ou à Mérida peuvent avoir de meilleurs emplois.
  • [13]
    Le Programme d’Appuis Directs à la Campagne est un programme fédéral, créé en 1993, qui subventionne les paysans cultivateurs de maïs, haricot, blé, riz, sorgo, soja ou coton.
  • [14]
    Le nombre d’actifs est de 1,5 dans les familles nucléaires et de 2 dans les familles étendues. Il y a même 12 % de familles où il y 3 actifs et 5 % où il y en a plus.
  • [15]
    En 2004-2005, des biens comme un frigidaire, un ventilateur ou une cuisinière ne sont possédés que par la moitié des ménages et le téléphone que par un quart d’entre eux. Au total, 16 % possèdent quatre biens, 20 % respectivement cinq à sept, et 10 % de un à trois biens et autant huit à neuf biens. La radio est la possession la plus fréquente.
  • [16]
    10 % des femmes en union ont subi des violences physiques par leur conjoint dans l’année et le quart au cours d’une relation.
  • [17]
    20 % des hommes en union prennent une cuite au moins une fois par mois mais seuls 5 % n’ont pas entretenu leur famille.
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