Notes
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Ethnologue, chercheuse associée au Laboratoire d’Anthropologie Sociale (EHESS/CNRS/Collège de France – Paris), et chercheuse invitée à l’Université Libre de Bruxelles, dans le cadre du projet de droit et d’histoire comparés « genre, normes et sexualités » – Cathdes@club-internet.fr.
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[1]
Ce projet de loi est devenu la Loi pour la sécurité intérieure (LSI, dite « Loi Sarkozy »), publiée au Journal Officiel le 18 mars 2003 : le racolage sur la voie publique devient un délit, passible d’une peine de deux mois d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros.
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[2]
Sur les mobilisations des années 1970, voir Mathieu [2001]. Sur les mobilisations de 2002/2003, voir Deschamps [2005].
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[3]
Au départ, pour avoir accès aux personnes prostituées, trois associations d’idéologie différente, déambulant dans les zones de prostitution d’Île-de-France, ont servi de relais. Les observations « cadrées » ont duré de début 2002 à fin 2003, à raison de trois soirs ou nuits par semaine. Elles ont permis de connaître de premiers informateurs et informatrices privilégiés. Des rencontres in situ mais sans intermédiaires se sont poursuivies jusqu’au printemps 2005. Les gestes et les dires observés ont été consignés dans un cahier ethnographique. Ce cahier contient également les descriptions de nombreuses réunions militantes autour de la prostitution. Une méthode inductive a été adoptée. Les entretiens informels ont été préférés : la clandestinité qui entoure la prostitution se prête mal à laisser traces magnétiques.
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[4]
Trois termes sont utilisés pour caractériser la gestion par les États de la prostitution. Le « prohibitionnisme » interdit la prostitution en pénalisant l’ensemble des acteurs (personnes prostituées, clients et proxénètes). Le « réglementarisme » définit des règles strictes d’encadrement de la prostitution et promeut des lois particulières (c’est la période des maisons closes en France jusqu’en 1946, mais aussi aujourd’hui le modèle qui prévaut aux Pays-Bas, entre autres). « L’abolitionnisme », sous la houlette de l’irlandaise Joséphine Butler (qui fonde dans les années 1860 la « Fédération pour l’Abolition de la Réglementation Gouvernementale de la Prostitution »), proteste contre le harcèlement que les États font subir aux personnes prostituées. Il réclame l’abolition de la réglementation, donc l’abolition des lois portant spécifiquement sur la prostitution. En ce sens, il n’est pas loin de considérer que la prostitution, devant entrer dans le droit commun, est « un métier comme un autre ». Mais cette définition historique et juridique, que nous adoptons, s’est peu à peu vue détournée par des groupes de pression qui, usant de l’ambiguïté du terme, ne réclament plus « l’abolition de la réglementation » mais « l’abolition de la prostitution ». La FAI, au cours de son histoire séculaire, alterne entre la définition officielle de l’abolitionnisme et une acception morale, voire moraliste.
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[5]
À tel point que le sociologue Jean-Michel Chaumont, qui a dépouillé les archives confidentielles de ce comité, a décidé de traduire les informations recueillies en comédie, intitulée Les experts. La pièce de théâtre, mise en scène par Adeline Rosenstein, s’est jouée à Bruxelles en décembre 2006. Tous mes remerciements à Jean-Michel Chaumont pour m’avoir donné accès à sa retranscription des archives de la SDN. Voir également son article à ce sujet [Chaumont, 2005].
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[6]
La prostitution masculine préoccupait peu les experts du début du XXe siècle. D’ailleurs, lorsque la prostitution est associée à la traite ou à la dénonciation des méfaits de la mondialisation, la tendance actuelle reste de ne s’intéresser qu’aux femmes et aux mineurs des deux sexes. C’est pourquoi, le plus souvent, dans cet article, seule la prostitution féminine sera référée. La question des mineurs posant des problèmes spécifiques, notamment juridiques, elle ne sera pas abordée.
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[7]
Depuis 1999, la Suède pénalise aussi bien les proxénètes que les clients.
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[8]
Indépendamment de l’association des maires des grandes villes de France, la LSI établit une différence de traitement selon la nationalité des personnes prostituées. Dans sa circulaire d’application du 3 juin 2003, le ministère souligne que, concernant une prostituée en situation irrégulière ou en situation régulière avec un permis de séjour susceptible de lui être retiré, « il n’y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l’enquête, elle fasse l’objet d’une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales ».
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[9]
De fait, en France, la prostitution est considérée comme un échange de service, sans objet qui transite. Si le droit la considérait comme une marchandisation des corps, elle serait interdite (la vente de parcelle de corps est prohibée, par exemple la vente d’organes, de même que la vente de la totalité du corps, associée à l’esclavage – voir article 128 du code civil). Par contre, les détériorations irréversibles du corps par autrui sont pénalisables, ce qui peut intervenir lors de certaines passes mais aussi, indépendamment de la prostitution, lors de pratiques sado-masochistes extrêmes (voir article 16 du code civil). La notion juridique de « dignité humaine » rend alors viciée toute forme de consentement à la vente (ou à l’offre) de services sexuels.
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[10]
Comme les voiles cachent les visages : Christelle Taraud [2000, p. 221] observe que dans certains romans populaires de la période coloniale, en Algérie, la prostituée pouvait être nommée la « dévoilée ». Caché derrière des murs ou caché sous un fichu, affaire de déplacement des enveloppes, le corps de la femme « honnête » doit rester un corps invisible pour ceux qui ne font pas partie de son entourage immédiat.
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[11]
Il semble toutefois qu’au niveau mondial et à rebours des préjugés, les femmes soient aujourd’hui presque aussi nombreuses que les hommes à migrer (source : Fonds des Nations Unis pour la Population).
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[12]
Le nom de la rue où elle a été tuée a donné à l’écrivain Jean Rollin l’idée du titre métaphorique d’une autofiction – La Clôture [Gallimard, 2002]. Rollin y retrace ses déambulations sur les boulevards des Maréchaux du Nord et de l’Est parisien, à une époque où les jeunes prostituées d’Europe Centrale avaient commencé d’y élire « domicile ».
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[13]
Notons qu’à l’occasion de cet assassinat, elle fait partie des rares prostituées à retrouver un nom de famille au côté de son prénom. Même parmi les « traditionnelles » qui se sont mobilisées, rares sont celles dont une identité complète a été médiatisée (Claire Carthonnet, Claudia Gomez sont parmi les rares exceptions). Cette amputation identitaire est significative et du stigmate, et de son incorporation.
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[14]
Nous pourrions convoquer la notion de « carrière » d’Howard Becker [1985], et proposer des parallèles entre les personnes prostituées et toxicomanes.
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[15]
Au-delà de la prostitution, observons que la médiatisation des tueurs en série modernes relate souvent des épisodes où sont assassinées des femmes sorties de leur sphère privée. Cette médiatisation permet de passer sous silence que la plupart des meurtres de femmes sont des meurtres conjugaux, perpétrés au sein de leur habitat. Et ainsi de perpétuer la rumeur qu’investir l’espace public est dangereux pour les femmes.
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[16]
La Suède promeut en 1999 une loi qui pénalise les clients de la prostitution comme nous l’avons déjà vu, et la même année, les Pays-Bas, font un choix radicalement différent, par la loi « portant suppression de l’interdiction générale des établissements de prostitution ».
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[17]
In prospectus : Le silence tue, le marché du corps humain coté en bourse ? Malka Marcovitch ne parle jamais de prostituées mais de « survivantes de la prostitution ».
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[18]
Ainsi trouve-t-on des textes sur la prostitution signés par des personnes « morales » (et non « physiques ») avec des phrases étonnamment similaires à la « commission femme » des Verts, du PS, du CNDF (Centre National du Droit des Femmes), de la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception) ou d’ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières, pour l’Aide aux Citoyennes et aux citoyens). Ces similitudes « fortuites » évoquent un lobby de pression. Lorsque la Mairie de Paris, sous les hospices d’Anne Hidalgo, première adjointe de Bertrand Delanoë, commande fin 2002 une enquête sur la prostitution dans la capitale à une anthropologue (Marie-Elisabeth Handman) et une politologue (Janine Mossuz-Lavau), Trinquart et Marcovitch font initialement partie du comité de pilotage de l’enquête, tentant d’en diriger la teneur. À l’occasion du Mondial de football, c’est encore Malka Marcovitch et le MAPP qui sont à l’initiative, au printemps 2006, d’une attaque en règle contre la législation allemande en matière de prostitution.
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[19]
Dans le Dictionnaire critique du féminisme [Hirata, Laborie et alii, 2000], seule l’entrée sur la prostitution fait l’objet de deux articles distincts (l’un de Gail Pheterson, l’autre de Claudine Legardinier), preuve s’il en est que le sujet est particulièrement explosif, y compris au sein des milieux féministes universitaires.
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[20]
Femmes publiques est une association féministe née officiellement en mars 2003. Elle a immédiatement montré son opposition à la LSI, et sa solidarité envers les personnes prostituées. Le 15 mars 2005, elle organisait à l’assemblée nationale et grâce au soutien de quelques députés Verts, une journée de bilan de la LSI. Elle tentait alors de faire asseoir à une même table des associations féministes, abolitionnistes et des prostitué-es. Femmes publiques n’a toutefois pas un poids comparables aux grosses structures féministes françaises.
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[21]
Sur la prostitution, on distingue dans le monde occidental au moins trois prises de positions : celle du CATW qui lie traite et prostitution pour encourager à la disparition de la prostitution, celle du GAATW qui distingue prostitution libre et prostitution forcée et ne prône que la disparition de la seconde forme de prostitution, et enfin celle du Network of Sex Work Projects. Plus récente, cette organisation est issue du GAATW en termes idéologiques, mais ressemble au CATW dans sa volonté de faire équivaloir prostitutions libre et contrainte. Pour le Network of Sex Work Projects en effet, « cette distinction “prostitution volontaire/force” se trouve à maintenir la distinction “victime innocente/prostituée dégénérée”, marginalisant encore plus les travailleuses du sexe “volontaires”, qu’aucun droit ne protège. Une analyse raciste de l’industrie du sexe des pays en développement peut alors s’établir sur cette distinction » [Toupin, 2002, p. 38].
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[22]
Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si le changement législatif de 1946 en France, avec la fermeture des maisons closes et l’adoption d’un régime juridique abolitionniste, coïncide avec la découverte de la pénicilline, laquelle a permis de soigner la syphilis.
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[23]
Les politiques de réduction des risques, avant d’être appliquées à la prostitution, se sont illustrées en matière de drogues injectables, notamment avec les programmes d’échange de seringues.
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[24]
J’ai pu apprendre que telle ou telle « traditionnelle » avait un proxénète, mais je ne l’ai jamais vu sur le trottoir. Par contre, des « maquereaux » de femmes d’Europe de l’Est pouvaient être très visibles dans la rue : ainsi, régulièrement, lorsqu’ils venaient déposer, relever ou ramener leurs « protégées » ou, une seule fois, lorsque l’un d’eux a tenté de m’intimider en me poursuivant en voiture tout terrain à travers une voie interdite à la circulation. La prostitution des Africaines anglophones paraît pour sa part contrôlée par des « mamas », assez peu repérables sur l’espace public dans la mesure où, leur âge excepté, on les distingue peu des autres prostituées.
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[25]
En général, il semble que les travailleurs pauvres envoient une part plus importante de leurs revenus à la famille restée au pays que les travailleurs riches. Comme y enjoint Collette Guillaumin [1992], il faut croiser notions de classe, de race et de genre pour affiner la compréhension des logiques d’exploitation.
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[26]
À l’inverse, des victimes de cancer ont créé leurs associations, de même des toxicomanes, des séropositifs, des victimes d’attentat…
Deux grands types d’altercations donnent lieu à des injures : celles qui mettent en évidence des rapports de dépendance socio-économiques ; celles qui surgissent à propos d’une transgression dans les conduites privées.
1 En janvier 2002, je débute un terrain sur la prostitution de rue à Paris et dans sa banlieue. Nous sommes quelques mois avant les élections présidentielles qui ont conduit à un changement de majorité. Il est alors impossible de prévoir qu’un projet de loi [1], porté à la connaissance du public dès l’été de cette même année, produise une mobilisation des personnes prostituées, sans précédent en France depuis les années 1970 [2]. À une ethnographie classique des faits, gestes et dires des trottoirs, s’est adjoint jusqu’au printemps 2005 une attention à la teneur des débats médiatiques et politiques [3]. L’arrière-fond polémique qui a baigné cette recherche est peu à peu devenu un terrain dans le terrain, un matériau à part entière. Car il n’y a pas d’un côté des personnes prostituées qui seraient le strict « objet » de l’ethnologie, et de l’autre des acteurs ou des actrices de la pensée qui seraient des « sujets » rétifs à l’étude.
2 Une première étape de ma restitution a consisté à décrire au plus près les actes et les paroles des femmes, hommes et transgenres prostitués sur leur lieu d’activité [Deschamps, 2006], dans l’espoir ou l’illusion d’éviter le tir croisé des flèches dogmatiques. À rebours, la seconde étape consiste à prendre à bras-le-corps ce qui fait tension autour de la prostitution, d’essayer d’en comprendre les arcanes et d’en remonter le fil historique. La figure de la jeune prostituée étrangère occupe une place centrale dans la cristallisation des conflits ; elle est la chair de cet article. Elle n’en constitue pas pour autant la seule trace de terrain : la présentation des discours sur la prostitution, certes moins immédiatement vivants, en fait aussi partie. Avec Étienne Balibar [1995 : 9], soutenons que : « Pour que les intellectuels aient prise sur la violence et sur les violences, il faut peut-être qu’ils cessent de l’observer, et pour cela qu’ils découvrent qu’ils sont toujours déjà impliqués dans son économie. »
La lutte contre la traite, expression précoce de la peur de la mondialisation
Surveillées de près par des hommes de main volontairement repérables, trois jeunes femmes albanaises d’une porte de Paris, immobiles, mutiques, n’acceptent pour tout échange avec les travailleurs sociaux que de recevoir des préservatifs. À cinquante mètres de distance, elles côtoient sans leur adresser la parole cinq de leurs concitoyennes plus âgées, plus disertes, disant s’être libérées de leur souteneur ou avoir payé leur « dette » de passage. (Extrait de mon journal de terrain, juin 2002)
4 Le terme de « traite » a d’abord été associé à l’esclavage. À la fin du XIXe siècle, les ligues de morale ou de pureté sociale, telles la puissante Association Américaine d’Hygiène Sociale (ASHA) et la Fédération Abolitionniste Internationale (FAI) [4], contribuent à faire coïncider « traite » et « prostitution » : on passe de la lutte contre l’exploitation des noirs au combat contre la misère des blanches. En 1902, une première convention internationale est signée à Paris, ratifiée deux ans plus tard par 12 pays, dans laquelle les gouvernements s’engagent à empêcher « que l’on se procure des femmes et des jeunes filles à l’étranger dans un but immoral ». Au lendemain de la première guerre mondiale, la Société des Nations, de 1924 à 1927, charge un « Comité spécial d’experts » de réaliser une enquête sur « la traite des femmes et des enfants » dans la prostitution. Les retombées de cette « enquête », dont les dialogues des séances prêtent à la parodie tant ils sont contradictoires et, parfois, naïfs [5], ont inscrit durablement l’idée que la prostitution relèverait majoritairement de la « traite des êtres humains », et non d’un secteur informel d’activité. L’Organisation des Nations Unies, dans sa convention de 1949, appelée « Convention sur la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de la prostitution d’autrui », reprendra sans plus la discuter cette vision des choses, de même qu’on la retrouve dans les protocoles internationaux les plus récents et dans divers rapports nationaux.
5 La traite a d’abord été définie comme le fait de mener des femmes (ou des enfants) [6] à la prostitution « contre leur gré et dans l’ignorance de ce qui les attendait » [archives SDN, 1921] : ne se dégage de cette définition, ni que la prostitution serait réductible à la contrainte et à l’ignorance, ni que les femmes migrantes seraient davantage dupes et victimes. Mais au cours de la même décennie, son sens, pour faire accroire une existence massive et éperonner les bonnes consciences, s’élargit à la majeure partie des formes de prostitution. Par ailleurs, les illustrations de la traite se focalisent sur les cas où interviennent des migrations transfrontalières. Deux phénomènes se télescopent donc : d’abord, l’émergence d’une définition extensive de la traite qui tend à lui agréger la prostitution dans son ensemble ; ensuite, une association qui finit par devenir ontologique entre la traite et la figure de « l’étrangère ». En 2000 encore, le Protocole de Palerme, dans la continuité des accords onusiens de 1949 de lutte contre la prostitution, porte un titre révélateur : « Convention contre la criminalité transnationale organisée ».
6 L’intervention de dimensions transnationales dans la prostitution s’ancre tardivement dans les grands textes internationaux. Ce n’est toutefois pas un phénomène exclusivement contemporain. Par simples touches impressionnistes, rappelons que, dans la Grèce antique, à Rome, lors de conflits multiples et variés, les prostituées ont déjà parfois été, vis-à-vis des clients, des « étrangères », des « trophées » de guerre, etc. Soit qu’on les importe pour le plaisir des hommes, soit que des belligérants s’exportent vers elles – la syphilis, parfois appelée « mal de Naples », en étant la manifestation –, soit, plus récemment, que des touristes grivoisent autour des « petites femmes de Paris », que d’autres aillent se payer du sexe avec des enfants en Thaïlande ou, encore, que des clients suédois, depuis qu’ils sont pénalisés dans leur pays [7], se tournent vers les bordels finnois : des exemples attestent d’une fréquente altérité entre la région d’origine de ceux qui achètent des services sexuels et de celles qui les vendent. En ce sens, et bien que des prostituées « locales » aient toujours en proportions variables selon les époques cohabité avec des prostituées « exotiques », la prostitution est un domaine où s’exprime, avant l’heure, une forme de « mondialisation ». Et cette forme de mondialisation, plutôt que d’enjoindre à la défense des personnes démunies et à l’élaboration de textes qui définissent un cadre de travail protecteur, s’est confondue avec la peur de « l’autre », son rejet, jusqu’à en faire le bouc émissaire des dangers de la prostitution, sa métaphore. Ainsi, lors des comptes rendus du « Comité spécial d’experts » de la SDN, des pourparlers entre les membres témoignent du traitement singulier des « étrangères » : alors que le docteur William Freeman Snow, président du comité, préconise dans un rapport intermédiaire de poursuivre « la politique consistant à déporter les prostituées étrangères dans leur pays d’origine », la seule objection qui lui est faite, par Sidney West Harris, relève d’une bataille de mot : « Il serait aussi bien qu’on parle de rapatriement des prostituées et non de leur déportation », déclare-t-il. Et de poursuivre, à décharge : « Nous pouvons justifier le rapatriement dans l’intérêt des femmes elles-mêmes, puisqu’elles sont plus susceptibles d’être secourues chez elles qu’à l’étranger. »
7 Rassurés que ces propos soient presque centenaires, que le contexte ait changé, nous pourrions d’abord être tentés de sourire. Mais dans la France du début du XXIe siècle, de telles allégations, et une telle volonté de masquer des expulsions sous des termes apparemment plus cléments, gardent toute leur « fraîcheur ». En effet, lorsque des colloques abordent le thème de la prostitution et de la traite, les résolutions, à droite mais aussi à gauche, semblent toujours préconiser le retour des jeunes femmes étrangères dans leur pays de départ. C’est aujourd’hui derrière un « rapatriement familial » qui leur serait « bénéfique » que se cache ce qui, finalement, ne correspond ni plus ni moins qu’à des procédures d’expulsion. Les journées d’étude sur les « politiques urbaines face à la prostitution » en offrent une illustration de choix. Réunissant tous les deux ans (Nantes, juin 2003 ; Paris, juin 2005) l’association des maires des grandes villes de France et des spécialistes de la prostitution, elles se sont définies un double objectif : la « sécurisation » des personnes souhaitant fuir leur proxénète, mais aussi l’organisation de partenariats avec les pays d’origine pour faciliter leur retour. Là encore, la traite est imbriquée, de facto, à la figure de l’étrangère. Et alors que l’association des maires des grandes villes de France réunit des élus de toutes tendances politiques, on peut s’étonner que des maires socialistes ou communistes soutiennent sans sourciller, sous couvert de sauver des femmes, d’entamer à leur encontre des procédures d’expulsion [8]. Par comparaison, et concernant d’autres populations que les prostituées, les partis de gauche réclament en principe une régularisation des populations vivant et travaillant (au noir) depuis longtemps sur le territoire français. Quel sens revêt cette entorse à leur idéologie majoritaire dès qu’il s’agit de prostitution ?
Un alibi contemporain d’entrave au déplacement des femmes
8 Mais n’oublions pas que la traite, dans la prostitution, ne fait, à de rares exceptions près, que référence à des femmes et des mineurs. A contrario, lors des mobilisations des sans papiers, les leaders sont souvent des hommes adultes. C’est cette figure de « l’étranger masculin travailleur » que soutiennent les partis et associations de gauche dans leur volonté de rester en France. En somme, la dénonciation de la « marchandisation des corps » [9] dans la prostitution, notamment de la marchandisation du corps féminin étranger, ne pourrait être, en dernière instance, qu’une déclinaison contemporaine de l’injonction faite aux femmes, à toutes les femmes, de ne pas quitter les espaces définis qui leur sont concédés. Les crispations actuelles autour de la prostitution ne seraient alors que symptomatiques de normes toujours rampantes sous l’apparente libération sexuelle et des femmes. Plutôt que de dérégulation, c’est de confirmation qu’il faudrait parler.
9 Au niveau d’un pays, la sphère privée renvoie au domus, à la maison dont les murs cachent les corps [10]. Aujourd’hui encore, les femmes restent moins autorisées que les hommes à investir les espaces publics, qu’ils soient urbains ou politiques. La prostituée de rue entre en flagrant délit de rupture avec ce modèle. Au niveau international, le pays d’origine devient par extension le domus des femmes. Il n’est pas indifférent qu’on évoque, pour les prostituées étrangères, des rapatriements de nature « familiale », les ramenant de la sorte à leur rôle social initial et niant qu’elles puissent être des travailleuses. Ainsi, la gestion du temps, au travers la perpétuation des générations dans un sol fixe (réduit), continuerait d’être un domaine féminin, lorsque l’accaparation large de l’espace, au travers du déplacement, resterait une prérogative masculine. Paradoxalement, il n’est d’ailleurs pas à exclure, comme le soutient Jo Doezema [2000], que, dans un univers où les femmes doivent biaiser pour migrer [11], dans un monde où il faut de plus en plus payer de sa personne pour franchir durablement les frontières, surtout en l’absence de diplômes, surtout venant de pays pauvres, la prostitution soit devenue le principal mode féminin d’expatriation. Gail Pheterson [2001, p. 149] insiste : « le travail sexuel peut être le seul, ou le meilleur, débouché économique accessible aux femmes migrantes ». Dès lors, à vouloir quitter leur sol, à vouloir rompre le pacte social d’une prétendue complémentarité sexuée de l’espace et du temps, les femmes n’auraient d’autres possibilités que de devoir renforcer un stigmate général (parce qu’elles partent) par un opprobre spécifique (parce qu’elles se prostituent).
10 Même la couverture médiatique se mêle involontairement d’user du thème de la prostitution pour convaincre les femmes des dangers d’investir la rue ou de quitter leur pays. En particulier, les faits divers que relatent les journaux sont révélateurs. D’abord, souvenons-nous l’histoire de Jack l’Éventreur. Premier serial killer de manchettes, ses victimes étaient des prostituées londoniennes. Judith Walkowitz [1989, p. 136] ne se trompe pas lorsqu’elle écrit que depuis plus de cent ans ses « meurtres […] ont pris les proportions d’un mythe moderne de la violence masculine contre la femme. Les détails se sont estompés en devenant emblématiques, mais la portée morale de l’affaire est limpide : la ville est un lieu dangereux pour la femme dès lors qu’elle ose franchir le seuil de la maison et du foyer vers l’espace public ». Plus récemment, en France et en substituant la mère-patrie au domus (ou en renforçant l’un par l’autre), le traitement journalistique de l’assassinat de Ginka Trifonova relève du même registre. Jeune majeure, originaire de Bulgarie, cette prostituée a été lacérée de coups de couteaux rue de la Clôture [12], dans le 19e arrondissement de Paris. Survenu en décembre 1999, ce meurtre s’inscrit dans une reprise de la médiatisation sur la prostitution et un glissement de ses paradigmes d’analyse [13]. Les faits divers ont, dans notre monde contemporain, la même fonction qu’autrefois les récits mythiques ou les fables populaires pour provoquer l’édification des masses. Au départ, constitués de forfaits réels, ce qui fait leur force, certains d’entre eux, typiques de malaises en germes, se transforment en légendes urbaines à mesure que leur réalité se perd pour n’imprimer que la morale de l’histoire. Ainsi, lorsque les grands quotidiens nationaux couvrent et recouvrent l’assassinat de Ginka Trifonova, à la fois font-ils éclater sur la place publique des changements dans la prostitution parisienne (avec un accroissement, dès 1996- 1997, du nombre des femmes prostituées de rue venues de l’ancien bloc soviétique et des pays d’Afrique anglophone en prise à des conflits sanglants), mais aussi contribuent-ils à confondre la prostituée avec la figure de l’étrangère, à dépeindre les mafias d’Europe de l’Est comme singulièrement ingérables, sanguinaires, et, en fin de course, à faire de la violence rencontrée par la jeune bulgare l’amalgame avec la prostitution dans son ensemble.
11 Mais concrètement, la mort de Ginka Trifonova a été exploitée différemment selon les intérêts en présence. Alors que je débutais mon terrain sur la prostitution, des femmes installées de longue date sur le bitume parisien colportaient le meurtre à loisir pour convaincre les jeunes étrangères de la dangerosité de la rue, décourager les nouvelles impétrantes et, de la sorte, croire réduire leur concurrence. Par la répétition du fait divers, le souhait de ces « traditionnelles » était de se distinguer des nouvelles étrangères, trop jeunes à leur goût, arrivées en nombre et rompant la lenteur du renouvellement des générations dans la prostitution. Leur but était également de (se) persuader qu’à la différence des jeunes femmes d’Europe de l’Est, elles-mêmes ne faisaient jamais l’objet de trafic, qu’elles s’étaient départies des dépendances tierces et qu’en conséquence, elles pouvaient exercer librement, quasiment sans risques. Pourtant, si le proxénétisme a régressé dans les années 1980 et 1990, dans les années 2000, il est loin de ne plus jamais concerner les « anciennes », de nationalité française, algérienne, marocaine ou camerounaise : au-delà de l’intérêt que les groupes malmenés par le stigmate ont à opacifier [14], au-delà de leur embellissement ou de leur enlaidissement de la réalité, il apparaît que la contrainte est similaire que le « maquereau » vienne de Paris, de Varsovie, de Bastia ou d’un village albanais. Au demeurant, la violence existe indépendamment des critères de nationalité. À Lille, où la plupart des prostituées sont d’origine locale, Stéphanie Pryen [1999, p. 94] observe que 60 % des prostituées interrogées par questionnaire « ont été agressées au moins une fois dans les derniers six mois ». En outre, alors que la mort de Ginka a parfois été décrite comme emblématique de la dangerosité de la prostitution pour les nouvelles jeunes femmes étrangères, dans les statistiques policières, il y a proportionnellement autant d’assassinats de prostituées françaises que de prostituées d’une autre nationalité. Par contraste avec la médiatisation du meurtre de Trifonova, lorsqu’un de mes informateurs privilégié, prostitué Porte Dauphine et présent en France depuis de longues années, a été retrouvé torturé dans un bras de la Seine, sa mort n’a fait l’objet que de courts entrefilets dans la presse. N’étant pas femme [15], étant perçu comme un « ancien », son profil ne répondait pas aux exigences des représentations ré-émergentes de la prostitution.
L’internationalisation de la prostitution de rue en France met le feu aux poudres
12 Espérant réduire ce qu’elles estiment être une dérégulation, les « traditionnelles » ont exploité la mort de la jeune bulgare sur la crête de la peur à entretenir contre la pègre étrangère. D’autres, qui ont un meilleur accès aux médias que les personnes prostituées, s’en sont servi à des fins plus générales. Car en même temps que les journaux hexagonaux montent en épingle certains faits divers, des féministes françaises se réemparent de la question de la prostitution dès la toute fin du XXe siècle. Ainsi, Marie-Victoire Louis, qui joue de son statut de sociologue au CNRS pour asseoir un discours d’autorité, rédige en 1999 une pétition appelée « Appel à entrer en résistance contre l’Europe proxénète ». Seules La Croix et L’Humanité, d’une même voix symbolique des alliances entre mouvements catholiques et mouvements marxistes en matière de prostitution, relayent l’existence de ce texte. Sous couvert de l’explosion de la prostitution étrangère sur les trottoirs occidentaux, et dans le contexte des discussions qui ont accompagné les modifications législatives en Suède et aux Pays-Bas [16], il y est question de lutter contre les États qui reconnaissent l’existence du travail du sexe et en encadrent l’exercice. Aucune solution pragmatique n’est proposée pour réduire les violences rencontrées par certaines prostituées et proposer un cadre de travail protecteur. Ni, dans une logique abolitionniste, en terme de droit commun, encore moins, dans une optique réglementariste, en concevant un statut spécifique.
13 À la même époque, le Mouvement pour l’Abolition de la Prostitution et de la Pornographie (MAPP), branche française (ou européenne selon des sources rendues volontairement opaques) de la Coalition Against Trafficking in Women (CATW), regagne ses lettres de noblesse. La fondatrice américaine de la CATW, Kathleen Barry, affirme dans un tract de 1998 que « la prostitution victimise toutes les femmes, justifie la vente de chaque femme, et réduit toutes les femmes au sexe ». Elle fait coïncider prostitution et traite, en même temps qu’elle encourage à la disparition de la prostitution pour émanciper les femmes par miracle. La présidente du MAPP, Malka Marcovitch, poursuit sa pensée et la prolonge. En 1999, elle réclame « la création de structures de réadaptation sociales pour les personnes survivantes de la prostitution » [17]. Coordinatrice du rapport remis à Nicole Pery en 2003 pour l’assemblée nationale, elle rédige également, avec Marie-Victoire Louis, Judith Trinquart et quelques autres, des textes sur la prostitution pour ATTAC, certaines des commissions des partis de gauche, et pour les principales associations féministes. Ces femmes influencent nettement les débats sur la prostitution en France, infiltrant anonymement ou nominalement des instances de décision [18]. Pour ces militantes, même si la « pauvre étrangère » reste instrumentalisée pour provoquer l’émoi, la traite des femmes ne tend plus seulement à agréger la majorité des situations de prostitution comme c’était le cas pour les experts de la SDN : elle devient la prostitution, elle est la prostitution, exclusivement, seulement. Et de rester sourdes à d’autres arguments féministes comme ceux de la politologue canadienne Louise Toupin lorsqu’elle plaide pour une réextension de la notion de traite à d’autres champs que la prostitution :
Des femmes sont l’objet de trafic pour l’industrie du sexe, mais aussi pour l’industrie textile et agricole (des hommes aussi sont objets de trafic dans ces secteurs), comme travailleuses domestiques ou encore partenaires en mariage. Des enfants sont aussi objets de trafic, dans le secteur de l’adoption internationale illégale tout particulièrement. […] Les conditions de travail de ces migrants rappellent souvent l’esclavage. [Toupin, 2002, p. 6]
15 La plupart des féministes françaises ignore et rejette tout autant le parti pris de The Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW), qui soutient dans une de ses présentations de 1994 que :
le trafic des personnes et la prostitution forcée sont des manifestations de violence contre les femmes et le rejet de ces pratiques, qui sont le viol du droit à l’autodétermination, doit être différencié du respect à l’autodétermination des personnes adultes qui sont volontairement engagées dans la prostitution.
17 Si, à titre individuel ou collectif, quelques voix dissidentes se font entendre en France (Gail Pheterson [19] ; Femmes publiques [20]), les grandes associations féministes, altermondialistes et les porte-parole des partis de gauche adoptent un discours globalement monolithique [21]. Ce n’est cependant que depuis le dernier tiers des années 1990, avec la réaugmentation de la prostitution visible sur les trottoirs, qu’ils ont regagné leur audience. En effet, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la résorption des risques dans la prostitution, notamment des risques sanitaires présentés par le sida, préoccupe davantage que la lutte contre la prostitution. Comme la syphilis au XIXe siècle avait justifié l’émergence du modèle réglementariste coercitif théorisé par le docteur Alexandre Parent-Duchâtelet [22], la peur de l’épidémie à VIH a contribué à modifier l’encadrement de la prostitution. Aux anciennes structures, catholiques ou laïques mais identiquement préoccupées de prévenir les entrées dans la prostitution et d’en favoriser la sortie, se sont adjointes les associations dites de « santé communautaire », tels le Bus des femmes à Paris ou Cabiria à Lyon. Non seulement ces dernières associations travaillent en concertation avec les personnes prostituées, relégitimant les compétences issues de leur expérience, mais aussi elles visent à prévenir les dangers présents dans l’activité plutôt que l’activité elle-même. Le changement de paradigme, fondé sur ce qu’on a appelé les politiques de « réduction des risques » [23], est manifeste, même s’il est de courte durée. Car alors que les associations de santé communautaire ont d’abord pu faire taire les résistances en agitant le besoin d’une lutte contre la mort (figurée par le sida) prioritaire par rapport à la lutte contre « l’esclavage moderne des femmes » (figuré par la prostitution), la réapparition d’un proxénétisme visible [24] dans les grandes villes françaises a fait de nouveau pencher la balance en sens inverse. On peut affirmer que les arrivées massives de jeunes femmes d’Europe de l’Est et d’Afrique anglophone ont, non sans cynisme, servi les desseins de groupes féministes, de gauche et altermondialistes dans leur réappropriation du discours d’autorité. Ainsi, les dérégulations produites par l’explosion de l’ancien bloc soviétique et par les conflits africains ont fait le lit d’un retour en force de la confusion entre traite et prostitution. En maniant la culpabilité supposée des pays riches, il devient facile de plier l’ensemble des prostituées dans la boîte de pandore de la victime absolue, lui déniant toute agentivité. Non que les jeunes recrues ne soient, pour la plupart, contraintes de reverser une partie des bénéfices de leurs passes ou que des pressions ne s’exercent à leur encontre. Mais l’existence de contraintes n’est nullement incompatible avec des projets de vie que la prostitution, par défaut sans doute, permet de mettre en œuvre.
18 Car si la prostitution est rarement décrite par les principales intéressées comme une partie de plaisir, elle est parfois aussi interprétée comme un moyen, officiel ou officieux, de s’élever de sa classe économique, de redistribuer les cartes du destin.
Des victimes coupables et sans visibilité politique
19 Contre toute attente, les souteneurs de prostituées étrangères, notamment venues de pays d’Europe de l’Est, font autant partie de l’entourage immédiat de ces jeunes femmes, que des « filles » françaises connaissent leur proxénète. Au cours de mon terrain, la distorsion frappait entre la diabolisation des nouvelles mafias, présentées comme une grande internationale tentaculaire et opaque, et les paroles que laissaient échapper les jeunes femmes sous leur coupe, lesquelles dépeignaient des hommes connus, parfois violents, mais navigant en quantité repérable autour d’elles. Comme si la peur ancestrale de l’étranger avait relégué les femmes d’ailleurs dans la rubrique des « pauvres victimes », en compensation de quoi les hommes d’autre part devaient rester « d’immondes bourreaux », bien pires et barbares que les bons maquereaux français d’antan. Une exacerbation de ce mécanisme est résumée au travers de la prostitution chinoise, la plus récemment établie dans les rues de Paris. Arrivées au début des années 2000 dans le 10e arrondissement, les « marcheuses », ainsi nommées en raison des longs va et vient qu’elles font le panier de provision au bras, ont été décrites par les associations, la police et les prostituées plus anciennes comme soumises et brutalisées au point qu’il y aurait eu danger absolu à les aborder, tant pour leur propre sécurité que pour celle des enquêteurs : les triades étaient soi-disant derrières, prêtes à trancher la tête de quiconque oserait montrer de la curiosité ou de la compassion, les métaphores sanguinaires allant bon train. À peine quelques années plus tôt, c’était la mafia albanaise qui était décrite avec la même emphase. Pourtant, alors que je conduisais ma recherche, elle était déjà en voie d’être disciplinée, de devenir plus familière. Et les jeunes femmes albanaises arrivées les premières sur les trottoirs parisiens, dès le milieu des années 1990, de raconter avec plus de facilité qu’on veut croire leur itinéraire d’entrée dans la prostitution : si toutes ne se doutaient pas devoir tapiner – certaines se sont fait leurrer par de prétendus « fiancés » –, la plupart souhaitait bel et bien migrer, fuir la corruption de leur pays, voire valoriser leur diplôme.
20 Car une proportion non négligeable des femmes d’Europe de l’Est ou Centrale a fait des études supérieures, souvent en sciences sociales, langues ou psychologie, ce qui les distingue du profil des prostituées de rue plus âgées. Lynn McDonald et alii [2000, p. 4] observe au Canada un phénomène comparable à propos des prostituées venues de l’ancien bloc soviétique : « Environ 98 % d’entre [elles] sont alphabétisées et beaucoup possèdent une formation universitaire ». Et, en France, ces jeunes femmes d’expliquer que, si le communisme leur a permis d’entreprendre une formation, dans leur pays, elles doivent verser des pots de vin pour obtenir des emplois en rapport avec leur niveau de qualification. Aussi, le départ vers un pays occidental, eldorado parfois bien décevant, s’inscrit soit dans une étape nécessaire à l’acquisition de la somme qui permettra ensuite de rentrer « au pays » avec les honneurs, soit dans un projet définitif de changement, avec l’espoir que les démocraties de l’Ouest offrent aux femmes de meilleures armes pour accéder à l’autonomie, quitte à en passer par des situations de contrainte préalables.
21 Si les « conséquences différentielles de la mondialisation selon les sexes restent encore largement à analyser » [Hirata, Le Doaré, 2000, p. 10], bien des indices suggèrent que, lettrées ou non, les femmes migrantes, notamment issues de zones sinistrées, sont plus souvent que les hommes migrants cantonnées aux secteurs informels de l’économie, telle la prostitution ou les tâches domestiques non déclarées. Or dans ces domaines obscurs, tout concoure, y compris les dogmes déjà évoqués, à éviter qu’on réfléchisse en termes de droit social. Que les activités concédées aux femmes migrantes ne soient pas, officiellement ou moralement, jugées de l’ordre d’un travail réduit les possibilités d’en améliorer les conditions d’exercice. Le modèle anglais est à cet égard édifiant : les lois sur l’immigration légale interdisent aux prostituées l’accès au sol britannique sous prétexte de lutter contre le trafic des femmes. En conséquence, elles ne peuvent être que sans papier, et les tracas liés aux risques incessants de reconduite à la frontière limitent les recours en cas d’agressions et de vols, en même temps qu’ils multiplient les motifs de rejet social.
22 Que certaines nouvelles prostituées des trottoirs occidentaux veuillent regagner leur pays une fois enrichies est parfois une réalité : l’expatriation définitive, pour personne, n’est chose facile. Elles ne souhaitent pourtant jamais un retour à la case départ, ce que signifient les procédures d’expulsions. Que leurs espoirs soient déçus ou non, qu’elles aient été parfois manipulées, elles ont en effet été décisionnaires dans leur envie de s’extirper des carcans de la domination, qu’ils soient économiques, culturels ou sexués. Bien que l’université soit ouverte au plus grand nombre, ce sont des hommes qui le plus souvent continuent de contrôler l’accès aux emplois reconnus dans les pays sous ancienne influence communiste. Encore, ce sont des hommes de leur entourage qu’elles sont obligées de solliciter pour entamer des démarches administratives ou franchir les frontières, et ces « micro-entrepreneurs » qu’elles remboursent pour les risques qu’ils ont pris en entrant dans l’illégalité. L’émancipation des femmes paraît peu avancée en Europe de l’Est ou Centrale, et toute velléité de quitter le foyer doit leur coûter pour devenir faussement admissible. Car il n’y a pas que les proxénètes patentés qui profitent des désirs d’autonomie et jouent de la culpabilité à ne pas se conformer. C’est à leurs familles restées au pays que les prostituées envoient une part non négligeable des revenus des trottoirs [25]. Ces familles figurent d’ailleurs à merveille une sorte « d’artisanat » prostitutionnel : plus encore que les truands qui appartiennent à l’entourage sociétal des prostituées, leurs frères, pères et mères se comptent sur le doigt d’une main. Ils peuvent en outre d’autant mieux exercer des pressions que, au nom d’un honneur à préserver, le non-dit domine la relation avec leurs filles parties. Ainsi, les migrations des jeunes prostituées sont à la fois volonté d’émancipation et assignation de genre. Même de loin, ces jeunes étrangères sont plus captives que les hommes, se croient plus redevables. Ainsi, se retrouvent-elles sous le coup d’une double violence : celle d’une famille en dernière instance complice du trafic, mais aussi celle d’États occidentaux, français en particulier, qui cherchent à les renvoyer dans cette famille. Gail Pheterson [2001, p. 144] résume la situation comme suit : « Le fonctionnement sexiste va discréditer une femme comme pas-assez-politique lorsqu’elle cherche asile dans un pays étranger, et l’accuser d’être trop-politique lorsqu’elle est dans son pays. Il en résulte l’exil forcé de chez soi et l’expulsion forcée de l’étranger. » Or, en agitant le spectre d’une lutte contre le trafic première par rapport à la lutte contre les risques compris dans la prostitution, ce paradoxe se voit confirmé. La victime absolue que certains discours contemporains font des prostituées en général a pour pendant le sort qui est réservé aux étrangères en particulier. Wendy Chapkis [2003] montre cette ambiguïté : entre la dite « traite des êtres humains », qui détermine des victimes, et les lois de l’immigration, qui désignent des coupables, point de salut. Car les coupables, encore moins que les victimes, ont droit à la parole. Ni les unes ni les autres ne sont en position de réclamer que la prostitution, qu’elle soit ou non considérée comme un « métier comme un autre », puisse devenir moins sauvage pour les principales intéressées. Et la « victime de la traite » a ceci de singulier par rapport aux autres catégories victimaires souvent étudiées par les sociologues ou ethnologues qu’elle n’occupe pas le terrain politique pour inverser un stigmate ou se réemparer de son histoire [26] : lors des mobilisations de 2002/2003, non seulement, des femmes étrangères, celles évidemment contraintes étaient exclues par les « traditionnelles » de la lutte mais encore, si quelques-unes ont malgré tout réussi à s’infiltrer dans le corps du combat, elles l’ont fait au prix de la réinvention d’une autobiographie adéquate, où l’existence des proxénètes devait être tue ou niée.
Bibliographie
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Notes
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[*]
Ethnologue, chercheuse associée au Laboratoire d’Anthropologie Sociale (EHESS/CNRS/Collège de France – Paris), et chercheuse invitée à l’Université Libre de Bruxelles, dans le cadre du projet de droit et d’histoire comparés « genre, normes et sexualités » – Cathdes@club-internet.fr.
-
[1]
Ce projet de loi est devenu la Loi pour la sécurité intérieure (LSI, dite « Loi Sarkozy »), publiée au Journal Officiel le 18 mars 2003 : le racolage sur la voie publique devient un délit, passible d’une peine de deux mois d’emprisonnement et d’une amende de 3750 euros.
-
[2]
Sur les mobilisations des années 1970, voir Mathieu [2001]. Sur les mobilisations de 2002/2003, voir Deschamps [2005].
-
[3]
Au départ, pour avoir accès aux personnes prostituées, trois associations d’idéologie différente, déambulant dans les zones de prostitution d’Île-de-France, ont servi de relais. Les observations « cadrées » ont duré de début 2002 à fin 2003, à raison de trois soirs ou nuits par semaine. Elles ont permis de connaître de premiers informateurs et informatrices privilégiés. Des rencontres in situ mais sans intermédiaires se sont poursuivies jusqu’au printemps 2005. Les gestes et les dires observés ont été consignés dans un cahier ethnographique. Ce cahier contient également les descriptions de nombreuses réunions militantes autour de la prostitution. Une méthode inductive a été adoptée. Les entretiens informels ont été préférés : la clandestinité qui entoure la prostitution se prête mal à laisser traces magnétiques.
-
[4]
Trois termes sont utilisés pour caractériser la gestion par les États de la prostitution. Le « prohibitionnisme » interdit la prostitution en pénalisant l’ensemble des acteurs (personnes prostituées, clients et proxénètes). Le « réglementarisme » définit des règles strictes d’encadrement de la prostitution et promeut des lois particulières (c’est la période des maisons closes en France jusqu’en 1946, mais aussi aujourd’hui le modèle qui prévaut aux Pays-Bas, entre autres). « L’abolitionnisme », sous la houlette de l’irlandaise Joséphine Butler (qui fonde dans les années 1860 la « Fédération pour l’Abolition de la Réglementation Gouvernementale de la Prostitution »), proteste contre le harcèlement que les États font subir aux personnes prostituées. Il réclame l’abolition de la réglementation, donc l’abolition des lois portant spécifiquement sur la prostitution. En ce sens, il n’est pas loin de considérer que la prostitution, devant entrer dans le droit commun, est « un métier comme un autre ». Mais cette définition historique et juridique, que nous adoptons, s’est peu à peu vue détournée par des groupes de pression qui, usant de l’ambiguïté du terme, ne réclament plus « l’abolition de la réglementation » mais « l’abolition de la prostitution ». La FAI, au cours de son histoire séculaire, alterne entre la définition officielle de l’abolitionnisme et une acception morale, voire moraliste.
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[5]
À tel point que le sociologue Jean-Michel Chaumont, qui a dépouillé les archives confidentielles de ce comité, a décidé de traduire les informations recueillies en comédie, intitulée Les experts. La pièce de théâtre, mise en scène par Adeline Rosenstein, s’est jouée à Bruxelles en décembre 2006. Tous mes remerciements à Jean-Michel Chaumont pour m’avoir donné accès à sa retranscription des archives de la SDN. Voir également son article à ce sujet [Chaumont, 2005].
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[6]
La prostitution masculine préoccupait peu les experts du début du XXe siècle. D’ailleurs, lorsque la prostitution est associée à la traite ou à la dénonciation des méfaits de la mondialisation, la tendance actuelle reste de ne s’intéresser qu’aux femmes et aux mineurs des deux sexes. C’est pourquoi, le plus souvent, dans cet article, seule la prostitution féminine sera référée. La question des mineurs posant des problèmes spécifiques, notamment juridiques, elle ne sera pas abordée.
-
[7]
Depuis 1999, la Suède pénalise aussi bien les proxénètes que les clients.
-
[8]
Indépendamment de l’association des maires des grandes villes de France, la LSI établit une différence de traitement selon la nationalité des personnes prostituées. Dans sa circulaire d’application du 3 juin 2003, le ministère souligne que, concernant une prostituée en situation irrégulière ou en situation régulière avec un permis de séjour susceptible de lui être retiré, « il n’y aura que des avantages à ce que, pendant la durée de l’enquête, elle fasse l’objet d’une procédure administrative destinée à permettre sa reconduite à la frontière, ce qui évitera ainsi des poursuites pénales ».
-
[9]
De fait, en France, la prostitution est considérée comme un échange de service, sans objet qui transite. Si le droit la considérait comme une marchandisation des corps, elle serait interdite (la vente de parcelle de corps est prohibée, par exemple la vente d’organes, de même que la vente de la totalité du corps, associée à l’esclavage – voir article 128 du code civil). Par contre, les détériorations irréversibles du corps par autrui sont pénalisables, ce qui peut intervenir lors de certaines passes mais aussi, indépendamment de la prostitution, lors de pratiques sado-masochistes extrêmes (voir article 16 du code civil). La notion juridique de « dignité humaine » rend alors viciée toute forme de consentement à la vente (ou à l’offre) de services sexuels.
-
[10]
Comme les voiles cachent les visages : Christelle Taraud [2000, p. 221] observe que dans certains romans populaires de la période coloniale, en Algérie, la prostituée pouvait être nommée la « dévoilée ». Caché derrière des murs ou caché sous un fichu, affaire de déplacement des enveloppes, le corps de la femme « honnête » doit rester un corps invisible pour ceux qui ne font pas partie de son entourage immédiat.
-
[11]
Il semble toutefois qu’au niveau mondial et à rebours des préjugés, les femmes soient aujourd’hui presque aussi nombreuses que les hommes à migrer (source : Fonds des Nations Unis pour la Population).
-
[12]
Le nom de la rue où elle a été tuée a donné à l’écrivain Jean Rollin l’idée du titre métaphorique d’une autofiction – La Clôture [Gallimard, 2002]. Rollin y retrace ses déambulations sur les boulevards des Maréchaux du Nord et de l’Est parisien, à une époque où les jeunes prostituées d’Europe Centrale avaient commencé d’y élire « domicile ».
-
[13]
Notons qu’à l’occasion de cet assassinat, elle fait partie des rares prostituées à retrouver un nom de famille au côté de son prénom. Même parmi les « traditionnelles » qui se sont mobilisées, rares sont celles dont une identité complète a été médiatisée (Claire Carthonnet, Claudia Gomez sont parmi les rares exceptions). Cette amputation identitaire est significative et du stigmate, et de son incorporation.
-
[14]
Nous pourrions convoquer la notion de « carrière » d’Howard Becker [1985], et proposer des parallèles entre les personnes prostituées et toxicomanes.
-
[15]
Au-delà de la prostitution, observons que la médiatisation des tueurs en série modernes relate souvent des épisodes où sont assassinées des femmes sorties de leur sphère privée. Cette médiatisation permet de passer sous silence que la plupart des meurtres de femmes sont des meurtres conjugaux, perpétrés au sein de leur habitat. Et ainsi de perpétuer la rumeur qu’investir l’espace public est dangereux pour les femmes.
-
[16]
La Suède promeut en 1999 une loi qui pénalise les clients de la prostitution comme nous l’avons déjà vu, et la même année, les Pays-Bas, font un choix radicalement différent, par la loi « portant suppression de l’interdiction générale des établissements de prostitution ».
-
[17]
In prospectus : Le silence tue, le marché du corps humain coté en bourse ? Malka Marcovitch ne parle jamais de prostituées mais de « survivantes de la prostitution ».
-
[18]
Ainsi trouve-t-on des textes sur la prostitution signés par des personnes « morales » (et non « physiques ») avec des phrases étonnamment similaires à la « commission femme » des Verts, du PS, du CNDF (Centre National du Droit des Femmes), de la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception) ou d’ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières, pour l’Aide aux Citoyennes et aux citoyens). Ces similitudes « fortuites » évoquent un lobby de pression. Lorsque la Mairie de Paris, sous les hospices d’Anne Hidalgo, première adjointe de Bertrand Delanoë, commande fin 2002 une enquête sur la prostitution dans la capitale à une anthropologue (Marie-Elisabeth Handman) et une politologue (Janine Mossuz-Lavau), Trinquart et Marcovitch font initialement partie du comité de pilotage de l’enquête, tentant d’en diriger la teneur. À l’occasion du Mondial de football, c’est encore Malka Marcovitch et le MAPP qui sont à l’initiative, au printemps 2006, d’une attaque en règle contre la législation allemande en matière de prostitution.
-
[19]
Dans le Dictionnaire critique du féminisme [Hirata, Laborie et alii, 2000], seule l’entrée sur la prostitution fait l’objet de deux articles distincts (l’un de Gail Pheterson, l’autre de Claudine Legardinier), preuve s’il en est que le sujet est particulièrement explosif, y compris au sein des milieux féministes universitaires.
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[20]
Femmes publiques est une association féministe née officiellement en mars 2003. Elle a immédiatement montré son opposition à la LSI, et sa solidarité envers les personnes prostituées. Le 15 mars 2005, elle organisait à l’assemblée nationale et grâce au soutien de quelques députés Verts, une journée de bilan de la LSI. Elle tentait alors de faire asseoir à une même table des associations féministes, abolitionnistes et des prostitué-es. Femmes publiques n’a toutefois pas un poids comparables aux grosses structures féministes françaises.
-
[21]
Sur la prostitution, on distingue dans le monde occidental au moins trois prises de positions : celle du CATW qui lie traite et prostitution pour encourager à la disparition de la prostitution, celle du GAATW qui distingue prostitution libre et prostitution forcée et ne prône que la disparition de la seconde forme de prostitution, et enfin celle du Network of Sex Work Projects. Plus récente, cette organisation est issue du GAATW en termes idéologiques, mais ressemble au CATW dans sa volonté de faire équivaloir prostitutions libre et contrainte. Pour le Network of Sex Work Projects en effet, « cette distinction “prostitution volontaire/force” se trouve à maintenir la distinction “victime innocente/prostituée dégénérée”, marginalisant encore plus les travailleuses du sexe “volontaires”, qu’aucun droit ne protège. Une analyse raciste de l’industrie du sexe des pays en développement peut alors s’établir sur cette distinction » [Toupin, 2002, p. 38].
-
[22]
Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si le changement législatif de 1946 en France, avec la fermeture des maisons closes et l’adoption d’un régime juridique abolitionniste, coïncide avec la découverte de la pénicilline, laquelle a permis de soigner la syphilis.
-
[23]
Les politiques de réduction des risques, avant d’être appliquées à la prostitution, se sont illustrées en matière de drogues injectables, notamment avec les programmes d’échange de seringues.
-
[24]
J’ai pu apprendre que telle ou telle « traditionnelle » avait un proxénète, mais je ne l’ai jamais vu sur le trottoir. Par contre, des « maquereaux » de femmes d’Europe de l’Est pouvaient être très visibles dans la rue : ainsi, régulièrement, lorsqu’ils venaient déposer, relever ou ramener leurs « protégées » ou, une seule fois, lorsque l’un d’eux a tenté de m’intimider en me poursuivant en voiture tout terrain à travers une voie interdite à la circulation. La prostitution des Africaines anglophones paraît pour sa part contrôlée par des « mamas », assez peu repérables sur l’espace public dans la mesure où, leur âge excepté, on les distingue peu des autres prostituées.
-
[25]
En général, il semble que les travailleurs pauvres envoient une part plus importante de leurs revenus à la famille restée au pays que les travailleurs riches. Comme y enjoint Collette Guillaumin [1992], il faut croiser notions de classe, de race et de genre pour affiner la compréhension des logiques d’exploitation.
-
[26]
À l’inverse, des victimes de cancer ont créé leurs associations, de même des toxicomanes, des séropositifs, des victimes d’attentat…