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Article de revue

Quelle politique criminelle en matière de droits de la défense dans les procédures pénales dérogatoires ?

Pages 41 à 68

Notes

  • [1]
    Jean Carbonnier, Instruction criminelle et liberté individuelle. Étude critique de la législation française, éd. de Boccard, 1939, p. 4.
  • [2]
    D’aucuns voient dans le principe du respect des droits de la défense l’un des principaux stabilisateurs ou balanciers de la procédure pénale (Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 3e éd., Economica, coll. Corpus Droit privé, 2013, n° 474, p. 341). Ces droits seront envisagés largement dans le cadre de la présente étude comme l’ensemble des garanties procédurales permettant à l’individu mis en cause de se défendre.
  • [3]
    Catherine Ginestet, « Les droits de la défense en procédure pénale », in Rémy Cabrillac (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 21e éd., Dalloz, 2015, p. 649.
  • [4]
    Éliette Rubi-Cavagna, « L’extension des procédures dérogatoires », Rev. sc. crim. 2008, p. 23.
  • [5]
    V. par ex. Delphine Thomas-Taillandier, Contribution à l’étude des procédures pénales dérogatoires, PUAM, coll. Laboratoire de droit privé & de sciences criminelles, 2014, n° 14, p. 30.
  • [6]
    Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd., PUF, coll. Quadrige, 2011, V° « Dérogatoire ».
  • [7]
    Le Code de procédure pénale regorge de procédures dérogatoires au droit commun : on peut citer par exemple la procédure de flagrance au stade de l’enquête policière, les procédures de composition pénale et de transaction pénale au stade des poursuites ou encore les procédures sommaires de jugement (comparution immédiate, ordonnance pénale et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). En dehors de ce Code, il existe par ailleurs des régimes dérogatoires pour les infractions commises en matière fiscale, douanière, maritime et de presse, ou encore par les mineurs, les militaires et les membres du Gouvernement. Pour une étude d’ensemble, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse, Procédure pénale de droit commun et procédures pénales spéciales, Université Montpellier 1, 2012, dactyl., 734 p.
  • [8]
    Raymond Gassin, « Considérations sur le but de la procédure pénale », in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire : Mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 119.
  • [9]
    La plupart des procédures d’exception opèrent par ailleurs des renvois à la procédure applicable à la criminalité organisée, en sorte qu’elles gravitent en réalité autour de cette « procédure dérogatoire commune » (Éliette Rubi-Cavagna, art. préc., p. 29-31).
  • [10]
    Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, Tome 1, 7e éd., Cujas, 1997, n° 128, p. 192.
  • [11]
    La notion de politique criminelle sera envisagée ici dans son acception la plus large, au sens où Mireille Delmas-Marty la définit comme « l’ensemble des procédés par lesquels le corps social organise les réponses au phénomène criminel » (Mireille Delmas-Marty, Modèles et mouvements de politique criminelle, Economica, 1983, p. 13).
  • [12]
    La loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 a substitué cette expression à celle de « politique d’action publique » qui figurait auparavant à l’article 30, alinéa 1er, du Code de procédure pénale. La politique pénale se distingue ainsi de la politique criminelle en ce qu’elle vise, plus précisément, « la stratégie de poursuite définie, au plus haut, par le garde des Sceaux chargé d’assurer l’exécution des orientations arrêtées par le Gouvernement et coordonnée localement par les parquets » (David Deroussin, « Politique criminelle et politique pénale », in Christian Bruschi et Xavier Moroz (dir.), Parquet et politique pénale depuis le XIXe siècle, Mission de recherche Droit et justice, 2001).
  • [13]
    L’article 30, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République ».
  • [14]
    Pour reprendre l’expression de Roger Merle et André Vitu (op. cit., n° 127, p. 191), qui fait elle-même écho à celle de Georges Ripert (Les forces créatrices du droit, 2e éd., LGDJ, 1955, 431 p.).
  • [15]
    Christine Lazerges, Introduction à la politique criminelle, L’Harmattan, 2000, p. 8.
  • [16]
    Le rôle politique joué par la Cour de cassation est accueilli diversement par la doctrine. Pour un regard critique, v. Emmanuel Dreyer, « La politique criminelle de la Cour de cassation, ou le moyen pour le juge suprême d’exister hors la loi », in Politique(s) criminelle(s). Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, Dalloz, 2014, p. 177.
  • [17]
    Pour un aperçu historique, nous renvoyons à notre thèse, op. cit., n° 123 et s.
  • [18]
    Que l’on songe aux dérives liées à l’emploi de la procédure extraordinaire sous l’Ancien Régime ou, plus près de nous, aux critiques émises à l’encontre de la procédure applicable aux crimes et délits contre la sûreté de l’État.
  • [19]
    En ce sens, v. Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, 10e éd., LexisNexis, 2014, n° 142, p. 165 ; Geneviève Giudicelli-Delage, « Justice pénale », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, p. 784.
  • [20]
    Christine Lazerges, La politique criminelle, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 2356, 1987, p. 59.
  • [21]
    Faustin Hélie, Traité de l’instruction criminelle, Bruylant-Christophe et compagnie, 1863, t. I, n° 8, p. 3. En ce sens, v. aussi René Garraud et Pierre Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, Sirey, 1907-1929, vol. 1, n° 1, p. 5 ; Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, op. cit., n° 925, p. 643.
  • [22]
    Sur la coexistence de ces objectifs et la relation « triangulaire » qu’ils entretiennent, v. Geneviève Giudicelli-Delage, « Conclusions », in Geneviève Giudicelli-Delage (dir.), Les transformations de l’administration de la preuve pénale. Perspectives comparées : Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni, SLC, UMR de droit comparé de Paris, vol. 12, 2006, spéc. p. 339.
  • [23]
    Jean Danet, « Le droit pénal et la procédure pénale sous le paradigme de l’insécurité, Arch. pol. crim., 2003, p. 38.
  • [24]
    Jean-Paul Jean, « De l’efficacité en droit pénal », in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire : Mélanges offerts à Jean Pradel, op. cit., p. 135.
  • [25]
    Maria Luisa Cesoni, « Paradigme de l’efficacité et désuétude des principes fondamentaux. Introduction générale », in Maria Luisa Cesoni (dir.), Nouvelles méthodes de lutte contre la criminalité : la normalisation de l’exception. Étude de droit comparé (Belgique, États-Unis, Italie, Pays-Bas, Allemagne, France), Bruylant, LGDJ, 2007, p. 5.
  • [26]
    Sur cette évolution, v. Julie Alix, Terrorisme et droit pénal. Étude critique des incriminations terroristes, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 91, 2010, spéc. n° 423-434, p. 339-349.
  • [27]
    Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, JORF n° 210, 10 sept. 1986, p. 10956.
  • [28]
    Yves Mayaud, « Terrorisme », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 1292.
  • [29]
    Jean Pradel, « Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal », D., 1987, chron. IX, p. 41.
  • [30]
    La procédure suivie à l’égard de ces infractions permettait notamment au ministère public près la Cour de sûreté de l’État de porter à dix jours la durée maximale de la garde à vue et de procéder à des perquisitions de nuit.
  • [31]
    En témoigne la proximité des formules utilisées pour définir le champ d’application de ces deux procédures. Tandis que la procédure relative aux crimes et délits commis en temps de paix contre la sûreté de l’État pouvait s’appliquer à un certain nombre d’infractions à partir du moment où elles étaient « en relation avec une entreprise individuelle ou collective consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à l’autorité de l’État » (anc. art. 698, al. 2, CPP), la procédure applicable au terrorisme a été associée à une liste d’infractions « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (anc. art. 706-16, al. 1er, CPP).
  • [32]
    Sur l’emploi de ce terme et la rhétorique guerrière dans la lutte contre le terrorisme, v. not. Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette, 2005, p. 164 et s. ; Mireille Delmas-Marty, « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », Rev. sc. crim., 2007, p. 461.
  • [33]
    Ainsi en a-t-il été avec l’allongement du délai de prescription de l’action publique des crimes et délits terroristes par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 et l’admission des perquisitions nocturnes par la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996.
  • [34]
    Reynald Ottenhof, « Le droit pénal français à l’épreuve du terrorisme », Rev. sc. crim., 1987, p. 618.
  • [35]
    Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF n° 59, 10 mars 2004, p. 4567.
  • [36]
    Projet de loi n° 784 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, AN, 9 avr. 2003, p. 4.
  • [37]
    Pour une étude des manifestations de la criminalité organisée en France, v. not. Gilles Aubry, « Panorama des organisations criminelles et de la criminalité organisée », in Jean Pradel et Jacques Dallest (dir.), La criminalité organisée. Droit français, droit international et droit comparé, LexisNexis, coll. Droit & professionnels, 2012, p. 35-55.
  • [38]
    Étienne Vergès, Procédure pénale, 3e éd., LexisNexis, coll. Objectif droit, 2011, n° 411, p. 253.
  • [39]
    Éliette Rubi-Cavagna, art. préc., p. 31.
  • [40]
    Catherine Ginestet, op. cit., n° 813, p. 664.
  • [41]
    Cela vaut aussi bien pour les individus majeurs que pour les mineurs âgés de plus de seize ans. La durée totale de la garde à vue peut même atteindre six jours en présence d’un acte de terrorisme reproché à un majeur. L’intervention de l’avocat peut quant à elle être repoussée pendant une durée maximale de soixante-douze heures en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants (art. 706-88, al. 6, et 706-88-1 CPP).
  • [42]
    Catherine Ginestet, op. cit., n° 815, p. 665.
  • [43]
    Cela concerne l’intervention de l’avocat en garde à vue, que ce soit pour l’entretien de trente minutes avec la personne suspectée, pour l’assistance aux auditions et confrontations ou encore pour l’accès du défenseur – ou de l’intéressé désormais – à certaines pièces du dossier.
  • [44]
    Dans un avis récent, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme rappelait à juste titre que « plus l’infraction est grave, plus la protection du suspect présumé innocent s’impose » et réitérait en conséquence « sa ferme opposition au maintien de tels régimes dérogatoires, dont la constitutionnalité est au demeurant discutable » (CNCDH, 29 avril 2014, Avis sur la refondation de l’enquête pénale, JORF n° 108, 10 mai 2014, texte n° 84, spéc. § 46).
  • [45]
    Christine Lazerges, La politique criminelle, op. cit., p. 54.
  • [46]
    Ibid., p. 33.
  • [47]
    Catherine Marie, « La montée en puissance de l’enquête », AJ pénal, 2004, p. 221.
  • [48]
    Christine Lazerges, « Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits fondamentaux », in Les droits et le droit : Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2006, p. 573.
  • [49]
    Jean Pradel, « Vers un “aggiornamento” des réponses de la procédure pénale à la criminalité. Apports de la loi 2004-204 du 9 mars 2004 dite Perben II. Seconde partie », JCP G, 2004, I, 134, p. 882.
  • [50]
    Une définition avait pourtant été proposée par la Convention internationale de Palerme contre la criminalité transnationale organisée (Résolution 55/25 sur la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, New York, Assemblée générale des Nations Unies, 15 nov. 2000). Aux termes de l’article 2 de cette convention, dont la ratification a été autorisée par le Parlement en 2002, l’expression « groupe criminel organisé » désigne « un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».
  • [51]
    Le dernier ajout en date provient de la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 avec les délits de travail dissimulé (art. 706-73, 20°, CPP).
  • [52]
    Depuis 2007 se sont ainsi ajoutées pas moins de huit infractions ou familles d’infractions (v. les articles 628-8, 628-10, 706-1, 706-1-1, 706-1-2 et 706-72 CPP).
  • [53]
    C’est par exemple le cas des délits de corruption et de trafic d’influence, des délits de fraude fiscale aggravée et de certains délits douaniers visés à l’article 706-1-1 du Code de procédure pénale, mais aussi des délits d’abus de biens sociaux visés à l’article 706-1-2.
  • [54]
    Si la liste principale prévue à l’article 706-73 permet l’application la plus large des techniques spéciales d’investigation, la plupart des dispositions disséminées dans le reste du livre quatrième excluent l’application des règles dérogatoires relatives à la garde à vue ou aux perquisitions.
  • [55]
    La présence des infractions de vol et d’aide au séjour irrégulier au sein de la liste prévue par l’article 706-73 du Code de procédure pénale a été admise à condition, pour la première, qu’il existe des éléments de gravité suffisants pour justifier l’application des mesures dérogatoires et, pour la seconde, qu’elle ne concerne pas les organismes humanitaires d’aide aux étrangers et soit appréciée à l’aune du principe selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre (Cons. const., 2 mars 2004, déc. n° 2004-492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, consid. 17-19 ; Rec., p. 66 ; JORF, 10 mars 2004, p. 4637).
  • [56]
    Denis Salas, op. cit., p. 172.
  • [57]
    Jacques-Henri Robert, « La politique pénale : ressorts et évolution », Pouvoirs, 2009, n° 128, p. 105.
  • [58]
    Sur ce point, v. Jean-Marie Brigant, « Faits divers & droit pénal », in Politique(s) criminelle(s). Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, op. cit., spéc. p. 125-128 où l’auteur procède à un recensement saisissant des manifestations de la « fait-diverisation » du droit pénal.
  • [59]
    Guy Carcassonne, « Penser la loi », Pouvoirs, 2005, n° 114, p. 40.
  • [60]
    Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF n° 171, 24 juill. 2008, p. 11890.
  • [61]
    On peut citer, par exemple, la loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme.
  • [62]
    Christine Lazerges, « La tentation du bilan 2002-2009 : une politique criminelle du risque au gré des vents », Rev. sc. crim., 2009, p. 689.
  • [63]
    Pour reprendre l’expression employée par Guy Carcassonne dans une interview accordée au journal Le Monde (http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/03/04/assemblee-le-gouvernement-abuse-t-il-de-la-procedure-d-urgence_1163251_823448.html#QxfFRBW4jUCmiTH5.99)
  • [64]
    En 1981, Marc Ancel déplorait déjà que « souvent – trop souvent même – la loi, imposée par des considérations urgentes, est improvisée et ne s’embarrasse pas de recherches préalables : il s’agit de donner une satisfaction immédiate à l’opinion publique – ou à une partie, parfois mal informée d’ailleurs, de cette opinion publique – et l’on édicte à la hâte de nouvelles mesures répressives […] Il en va tout autrement de la réforme soigneusement délibérée et méthodiquement préparée » (Marc Ancel, « Observations sur la philosophie moderne de la justice criminelle », RID pén., 1982, vol. 53, p. 590).
  • [65]
    Jacqueline Domenach, « Entretien avec Mme Christine Lazerges, Présidente de la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme (CNCDH) et M. Hervé Henrion-Stoffel, magistrat, conseiller juridique à la CNCDH », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 2014, n° 6, URL : http://revdh.revues.org/1023
  • [66]
    Denis Salas, op. cit., p. 12.
  • [67]
    Reynald Ottenhof, art. préc., p. 608.
  • [68]
    Guy Canivet, « Qui inspire les réformes pénales ? Propos introductifs », in Cour de cassation, La procédure pénale en quête de cohérence, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 62.
  • [69]
    V. en ce sens les propos univoques d’Alain Marsaud, rapporteur du projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme – qui devint par la suite loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 –, lors de l’ouverture des discussions à l’Assemblée nationale : « nous sommes aujourd’hui réunis pour réaffirmer notre conviction que la justice et le droit constituent notre meilleur rempart contre le terrorisme, mais l’efficacité du droit exige un souci constant d’adaptation et d’évolution des moyens juridiques mis à la disposition de la justice et de la police pour enrayer ce phénomène. Quelle serait d’ailleurs la force du droit s’il ne devait jamais s’adapter aux nouveaux moyens dont usent les terroristes ? » (JO AN, CR, 2e séance du 20 déc. 1995, p. 19).
  • [70]
    V. not. les déclarations de François Molins, alors Directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces, à propos de la procédure applicable à la criminalité organisée créée par la loi du 9 mars 2004 : « De la nécessité de lutter plus activement contre les nouvelles formes de criminalité », AJ pénal, 2004, spéc. p. 177-178.
  • [71]
    JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1986, p. 2414.
  • [72]
    Denis Salas, op. cit., p. 14.
  • [73]
    JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1986, p. 2418.
  • [74]
    Ibid. De façon analogue concernant un autre projet de loi antiterroriste porté en 2006, le ministre de l’Intérieur rappela, lors de son audition devant la commission parlementaire, que la Grande-Bretagne, présentée comme le berceau de la démocratie, accordait aux autorités de police un délai de quatorze jours et qu’elle envisageait de le porter à vingt-huit (Philippe Chrestia, « La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Premières observations », D., 2006, p. 1409).
  • [75]
    Projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Étude d’impact, NOR : IN TX1414166L/Bleue-1, 8 juill. 2014, p. 5.
  • [76]
    Ibid., p. 12. Tel était déjà le parti pris en 1986, lors de la discussion au Parlement du projet de loi à l’origine de la procédure applicable au terrorisme (JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1966, p. 2414).
  • [77]
    Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les projets de loi doivent être accompagnés d’une étude d’impact au moment de leur dépôt.
  • [78]
    Cela n’est pas pour surprendre quand on sait que, « concrètement, l’opportunité du texte est préalablement acquise lorsque s’engagent les investigations nécessaires à la réalisation de l’étude d’impact », de sorte que « le mécanisme de l’étude d’impact tend davantage à légitimer l’action gouvernementale qu’à s’élever en baromètre qualitatif des choix publics » (Sophie Hutier, « Retours sur un moyen récurrent : les malfaçons de l’étude d’impact dans les projets de loi », RFD Const., 2015, n° 101, p. 74).
  • [79]
    Denis Salas, op. cit., p. 173.
  • [80]
    En ce sens, Reynald Ottenhof, art préc., p. 619. On trouve des signes inquiétants d’un reflux des règles de la procédure pénale au profit d’une procédure « para-pénale » avec le projet de loi sur le renseignement actuellement en discussion au Parlement.
  • [81]
    Seront ici visés la CEDH et les institutions de l’UE sur le plan européen et le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur le plan national
  • [82]
    CEDH, 13 mai 1980, Artico c. Italie, req. n° 6694/74, § 33 ; Série A, n° 37. Pour des applications au droit français, v. CEDH, 2e sect., Makhfi c. France, 19 oct. 2004, req. n° 59335/00, § 32 ; CEDH, 5e sect., Faikalo (Safora) et autres c. France, 2 oct. 2014, req. n° 2871/11, § 49.
  • [83]
    CEDH, 26 mai 1993, Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, req. nos 14553/89 et 14554/89, § 43 ; Série A, n° 258-B.
  • [84]
    Sur le contrôle de cette double exigence, v. Delphine Thomas-Taillandier, op. cit., n° 102 et s.
  • [85]
    CEDH, gr. ch., 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, req. n° 18731/91, § 47 ; Rec. 1996-I.
  • [86]
    CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02, spéc. § 55.
  • [87]
    CEDH, 2e sect., 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, req. n° 7377/03, § 33-34.
  • [88]
    Depuis, elle n’hésite pas à rappeler la force de ce principe : v. not. CEDH, 2e sect., 28 août 2012, Simons c. Belgique (déc.), req. n° 71407/10, § 31 ; CEDH, 5e sect., 9 avr. 2015, A.T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13, § 65.
  • [89]
    V. not. CEDH, 5e sect., 14 oct. 2010, Brusco c. France, req. n° 1466/07, § 44-55.
  • [90]
    Afin de satisfaire aux exigences de la Cour de Strasbourg, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (JORF, 15 avr. 2011, p. 6610) a prévu que l’intervention de l’avocat ne pourrait désormais être différée qu’en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes (art. 706-88, al. 6, CPP).
  • [91]
    Pour une présentation, v. Stephano Manacorda, « Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté, sécurité et justice ? », Rev. sc. crim., 2010, p. 945.
  • [92]
    Art. 4, j), T. FUE.
  • [93]
    Art. 82, § 2 T. FUE.
  • [94]
    La directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 280, 26 oct. 2010), la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 142, 1er juin 2012) et la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 portant, notamment, sur le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 294, 6 nov. 2013).
  • [95]
    Sur le contenu de ces directives, v. Étienne Vergès, « Émergence européenne d’un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique », Rev. sc. crim., 2012, p. 635.
  • [96]
    Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, JORF n° 123, 28 mai 2014, p. 8864.
  • [97]
    Pour une analyse du contenu de cette loi, nous renvoyons à notre commentaire, « Le statut du suspect à l’ère de l’européanisation de la procédure pénale : entre “petite” et “grande” révolutions », Rev. sc. crim., 2015, p. 127.
  • [98]
    V. par ex. Cons. const., 20 janv. 1981, déc. n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, consid. 62 ; Rec., p. 15 ; JORF, 22 janv. 1981, p. 308.
  • [99]
    Au sens où il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense (v. par ex. Cons. const., 3 sept. 1986, déc. n° 86-213 DC, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, consid. 12 et 23 ; Rec., p. 122 ; JORF, 5 sept. 1986, p. 10786).
  • [100]
    Les droits de la défense étaient notamment concernés à travers la référence faite à l’article 16 de la Constitution.
  • [101]
    Cons. const., 2 mars 2004, déc. préc., consid. 6.
  • [102]
    Ibid., consid. 16 et 19.
  • [103]
    Cf. infra, II/B.
  • [104]
    Sur ce point, v. Julie Alix, op. cit., n° 441, p. 354.
  • [105]
    Cons. const., 30 juill. 2010, déc. n° 2010-14/22 QPC, M. Daniel W. et autres, consid. 14-29 ; Rec., p. 179 ; JORF, 21 juill. 2010, p. 14198.
  • [106]
    Ibid., consid. 13 ; Cons. const., 22 sept. 2010, déc. n° 2010-31 QPC, M. Bulent A. et autres, consid. 4 ; Rec., p. 237 ; JORF, 23 sept. 2010, p. 17291.
  • [107]
    Cons. const., 21 nov. 2014, déc. n° 2014-428 QPC, M. Nadav B., consid. 9 ; JORF n° 271, 23 nov. 2014, p. 19675.
  • [108]
    Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82.902 et 10-85.051 ; Bull. crim. nos 164 et 165.
  • [109]
    Cons. const., 30 juill. 2010, déc. préc., consid. 30.
  • [110]
    Olivier Bachelet, « L’inconventionnalité de la garde à vue : le quai de l’Horloge frappé par le “syndrome du lac” », Note sous Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82.306, 10-82.902 et 10-85.051, Gaz. Pal., 26 oct. 2010, p. 15.
  • [111]
    Cass. ass. plén., 15 avr. 2011, nos 10-17.049, 10-30.242, 10-30.313 et 10-30.316 ; Bull. ass. plén. nos 1, 2, 3 et 4.
  • [112]
    Cass. crim., 31 mai 2011, nos 11-80.034, 10-88.293, 10-88.809 et 11-81.412 ; Bull. crim. nos 113, 114, 115 et 116.
  • [113]
    Olivier Bachelet, « Garde à vue et avocat : la nullité n’est plus celle que l’on croit », Note sous Cass. crim., 7 févr. 2012, n° 11-83.676, Gaz. Pal., 21 févr. 2012, p. 17 ; ibid., « La peau de chagrin des nullités », Note sous Cass. crim., 14 févr. 2012, n° 11-84.694, Gaz. Pal., 6 mars 2012, p. 17.
  • [114]
    Mireille Delmas-Marty, « Légalité et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Droit pénal contemporain. Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, 1989, p. 151.
  • [115]
    CEDH, 7 juill. 1989, Soering c. Royaume-Uni, req. n° 14038/88, § 88 ; Série A, n° 161.
  • [116]
    Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2010, p. 162.
  • [117]
    CEDH, gr. ch., 27 sept. 1995, McCann et autres c. Royaume-Uni, req. n° 18984/91, § 147-150 ; Série A, n° 324. En dehors du cas de décès résultant d’actes licites de guerre, l’article 15 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme, de son côté, le caractère « indérogeable » du droit à la vie.
  • [118]
    V. not. CEDH, 28 oct. 1998, Assenov et autres c. Bulgarie, req. n° 24760/94, § 93 ; Rec. 1998-VIII ; CEDH, gr. ch., 28 juill. 1999, Selmouni c. France, req. n° 25803/94, § 95 ; Rec. 1999-V ; CEDH, gr. ch., 4 juill. 2006, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00, § 115-116 ; Rec. 2006-IX.
  • [119]
    Tel est le cas de l’article 5 relatif au droit à la liberté à la sûreté, dont la liste d’exceptions revêt, pour la Cour de Strasbourg, un caractère exhaustif (v. not. CEDH, 22 mars 1995, Quinn c. France, req. n° 18580/91 ; § 42 ; Série A, n° 311).
  • [120]
    Il s’agit, en l’occurrence, des articles 8 à 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
  • [121]
    La Cour a notamment consacré le droit à l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police à partir de l’interprétation combinée des articles 6 § 1 et 6 § 3, c) de la convention (CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, préc., § 63-70).
  • [122]
    Pour des illustrations du contrôle exercé par la CEDH sur les restrictions apportées aux droits relatifs en matière de lutte contre le terrorisme, v. Julie Alix, op. cit., n° 452, p. 362 et n° 455, p. 365-368.
  • [123]
    CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, préc., § 47.
  • [124]
    Pour reprendre l’expression employée par Xavier Pin, « Politique criminelle et frontières du droit pénal : enjeux et perspectives », Rev. pénit., 2011, p. 87.
  • [125]
    En ce sens, v. Mireille Delmas-Marty, « Légalité et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », art. préc., spéc. p. 157-158 ; Michel Danti-Juan, « Les adaptations de la procédure », Rev. pénit., 2003, p. 732.
  • [126]
    CEDH, 4e sect., 16 déc. 2014, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, req. nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, § 191.
  • [127]
    Ibid., § 206.
  • [128]
    Ibid., § 211.
  • [129]
    Ibid., § 213.
  • [130]
    V. les propos de Christine Lazerges dans l’entretien accordé à Jacqueline Domenach, art. préc.
  • [131]
    Christine Lazerges, « Le rôle du Conseil constitutionnel en matière de politique criminelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2009, p. 34.
  • [132]
    Cons. const., 4 déc. 2013, déc. n° 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, consid. 71-77 ; Rec., p. 1060 ; JORF, 7 déc. 2013, p. 19958.
  • [133]
    Cons. const., 9 oct. 2014, déc. n° 2014-420/421 QPC, M. Maurice L. et autre, JORF, 12 oct. 2014, p. 16578.
  • [134]
    Cons. const., 4 déc. 2013, préc., consid. 77 ; Cons. const., 9 oct. 2014, préc., consid. 13.
  • [135]
    Qu’il nous soit permis de renvoyer, là aussi, à notre commentaire de la décision : « “Retour vers le futur”, ou le remake inopportun d’une trilogie opéré par le Conseil constitutionnel dans l’approche des règles procédurales spécifiques à la criminalité organisée », Note sous Cons. const., 9 oct. 2014, déc. n° 2014-420/421 QPC, Revue des droits de l’homme (RevDH)/ADL, 30 oct. 2014, URL : http://revdh.revues.org/908

1Dans un essai intitulé Instruction criminelle et liberté individuelle. Étude critique de la législation française (1939), le Doyen Carbonnier affirmait que « toutes les règles de la procédure pénale intéressent directement le droit de défense, parce que toutes concourent à la réalisation du but du procès pénal : la constatation de la vérité, et que toutes concourent par là même à empêcher que ne soit condamné un inculpé qui ne devait pas, selon le droit, être condamné » [1]. Ses propos pouvaient alors passer pour de sages mises en garde à l’attention des pouvoirs publics, car les droits de la défense étaient loin d’avoir acquis la reconnaissance dont il bénéficient aujourd’hui [2]. Si le respect de ces droits a fini par s’imposer comme une évidence [3], on ne peut guère en dire autant de leur application à toutes les règles de la procédure pénale. L’attention mérite à cet égard d’être portée sur les procédures dites « dérogatoires », tant il est vrai qu’elles connaissent un développement sans précédent [4].

2À la seule évocation de ce qualificatif, on pense, presque instinctivement, à la procédure applicable à la criminalité organisée ou à celles relatives au terrorisme, au trafic de stupéfiants et au proxénétisme [5]. Ces procédures permettent en effet d’écarter certaines règles d’investigation, de poursuite et de jugement prévues par la procédure pénale de droit commun au profit de règles renforçant considérablement les prérogatives des autorités publiques et restreignant les droits des individus qui en font l’objet. En cela, elles apparaissent incontestablement « dérogatoires » au droit commun, au sens où cet adjectif caractérise le fait pour une règle ou un ensemble de règles d’écarter, dans des limites déterminées, la ou les règles normalement applicables [6].

3L’association du terme « dérogatoire » à la procédure applicable à la criminalité organisée et à celles qui apparaissent aujourd’hui comme ses démembrements – les procédures spécifiques au terrorisme, au trafic de stupéfiants et au proxénétisme – peut néanmoins s’avérer trompeuse car elle donne à penser que seules ces procédures sont susceptibles de se substituer au droit commun. Or il existe bien d’autres régimes dérogatoires au sein de l’ensemble plus vaste formé par le droit spécial en procédure pénale [7]. Afin d’éviter toute confusion dans l’emploi du terme « dérogatoire » et parce que le substantif « exception » nous paraît davantage mettre l’accent sur la gravité des faits et enjeux soulevés par les procédures dont il va être question, nous privilégierons donc la qualification polémique, mais plus appropriée selon nous, de « procédures d’exception » dans le cadre de cette étude.

4Sous cette expression peuvent être envisagées les procédures spéciales qui tendent à durcir le traitement des infractions jugées les plus graves au moyen de règles exorbitantes du droit commun. Pour cette raison, il s’agit des procédures les plus dérogatoires au droit commun. Elles sont regroupées dans le livre quatrième du Code de procédure pénale, qui semble être devenu leur « réceptacle sans fond apparent » [8]. Depuis sa création en 1958, neuf procédures d’exception ont en effet intégré ce livre, si l’on admet de ranger dans cette catégorie l’ancienne procédure relative aux crimes et délits commis contre la sûreté extérieure de l’État (ancien titre XI) et celles actuellement applicables aux actes de terrorisme (titre XV), aux infractions en matière de trafic de stupéfiants (titre XVI), aux infractions en matière de traite des êtres humains, de proxénétisme ou de recours à la prostitution des mineurs (titre XVII), aux infractions de nature sexuelle (titre XIX), à la criminalité et à la délinquance organisées (titre XXV), aux infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive (titre XXXII), aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre (titre Ier) et, en dernier lieu, aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (titre XXIV). L’ampleur de cette évolution peut, certes, être nuancée lorsqu’on la met en perspective avec les trente-neuf procédures qui composent désormais ce livre [9].

5La montée en puissance des régimes d’exception n’en suscite pas moins de légitimes inquiétudes au regard de l’effectivité des droits et principes fondamentaux du procès pénal, parmi lesquels figure évidemment le respect des droits de la défense. Se pose dès lors la question de la réception de ces droits dans les procédures d’exception. L’objet de cette étude ne sera toutefois pas tant de jauger la place accordée aux droits de la défense par ces procédures que d’apprécier, à travers la manière dont ils sont pris en compte par les acteurs de la politique criminelle, les orientations, choix et stratégies qui président à l’élaboration et à la mise en œuvre des procédures d’exception.

6La procédure pénale revêt par nature des enjeux politiques dont l’importance n’est plus à démontrer. Ils concernent aussi bien les citoyens soucieux de connaître et de voir préservées leurs libertés les plus précieuses que les gouvernants chargés de définir les orientations politiques de la matière et de fixer des règles respectueuses de ces libertés. Roger Merle et André Vitu ne s’y étaient pas trompés en présentant la procédure pénale comme « la fidèle image des libertés reconnues, ou refusées, par l’État à ses sujets » [10]. Mais de quelle politique criminelle [11] peut-il être question au moment d’aborder les droits de la défense dans les procédures d’exception ?

7D’emblée, on pense à celle conduite au niveau étatique par les pouvoirs publics, à savoir le Gouvernement et le Parlement. Le premier détermine la « politique pénale » [12] du pays à travers l’action du ministre de la Justice [13], tandis que le second apparaît comme la source première de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution. Que l’on envisage ensemble ou séparément les politiques criminelles gouvernementale et législative, en particulier lorsque la majorité parlementaire n’est pas acquise à la cause du pouvoir exécutif, il est indispensable de s’interroger sur la manière avec laquelle ces « forces créatrices de la procédure pénale » [14] conçoivent et intègrent les droits de la défense dans l’élaboration des procédures d’exception.

8La politique criminelle ne se ramène toutefois pas seulement à « la sagesse de l’État légiférant », comme l’affirmait jadis Feuerbach [15]. À l’heure où la procédure pénale connaît ses mutations les plus sensibles sous la pression conjuguée des mouvements de « constitutionnalisation », d’« européanisation » – ou « communautarisation » jusqu’à l’adoption du Traité de Lisbonne – et de « conventionnalisation » de la matière, on ne peut ignorer le rôle déterminant des normes et instances à l’origine de ces évolutions. Il faut ainsi tenir compte de l’influence politique exercée par le Conseil constitutionnel, les institutions de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’ils sont amenés à se prononcer sur les procédures d’exception.

9Enfin, une politique criminelle est également à l’œuvre dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Bien qu’elle s’appuie souvent sur la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg lorsqu’elle est saisie de pourvois fondés sur la violation des droits de la défense, la Haute juridiction n’hésite pas, elle aussi, à imprimer sa vision du degré de protection de ces droits dans la mise en œuvre des procédures d’exception [16].

10Face à la multiplication de ces procédures et à la diversité des positions prises par les acteurs précités au sujet des droits de la défense, il serait vain de prétendre identifier une politique criminelle en ce domaine. L’on peut, en revanche, chercher si des tendances se dégagent des discours des représentants du pouvoir exécutif et législatif, des textes normatifs et des décisions rendues par les instances nationales et européennes en charge du respect des droits et libertés fondamentaux. L’analyse des réponses politiques proposées par ces acteurs amène à entrevoir, de façon assez prévisible, deux tendances contraires en matière de respect des droits de la défense dans les procédures d’exception.

11La première, regrettable, est à mettre sur le compte des politiques criminelles gouvernementale et législative qui ont promu les procédures d’exception. L’examen des travaux et débats ministériels et parlementaires trahit un manque évident de considération pour les droits de la défense dans l’élaboration des procédures d’exception. En contrepoint de cette fâcheuse tendance, on en trouve heureusement une autre, de la part des organes de contrôle des droits de l’homme, à accomplir des efforts pour imposer le respect de ces droits. À la dévalorisation des droits de la défense dans l’élaboration des procédures d’exception (I.) répond en somme la revalorisation issue du contrôle opéré par les organes protecteurs des droits de l’homme (II.).

I – La dévalorisation des droits de la défense dans l’élaboration des procédures d’exception

12Au risque de surprendre, on peut affirmer que nous sommes coutumiers, en France, des procédures d’exception. De tous temps notre pays a connu des régimes procéduraux ayant pour effet d’accroître les pouvoirs des autorités répressives et de réduire les droits des justiciables au nom de la nécessité impérieuse de lutter contre des périls jugés plus graves [17]. Si l’intensité des atteintes portées aux droits de la défense a pu varier selon les époques, leur souvenir est resté vivace [18] et explique pourquoi le terme « exception » conserve encore aujourd’hui une connotation péjorative en procédure pénale [19]. On aurait dès lors pu espérer que nos gouvernants tirent les leçons du passé et n’accueillent qu’avec la plus extrême vigilance toute procédure heurtant les droits fondamentaux des individus pour faciliter la mise à jour de certaines infractions, aussi graves soient-elles.

13Lorsqu’on cherche à « discerner une logique, un embryon de rationalité » [20] dans les politiques criminelles ayant conduit à l’adoption des procédures d’exception sous la Ve République, force est pourtant de constater que la tendance est restée peu ou prou la même : celle d’une attirance irréversible des pouvoirs publics pour le surarmement pénal et d’un désintérêt corrélatif pour les droits de la défense. Toute l’attention semble se focaliser sur le seul objectif qui semble alors réellement compter : l’efficacité répressive (A). L’expansion continue des procédures d’exception aboutit dès lors à une banalisation inquiétante des atteintes aux droits de la défense (B).

A – Une attention focalisée sur l’efficacité répressive

14Si la recherche de la vérité apparaît comme le but ultime de la procédure pénale [21], les notions de légitimité et d’efficacité constituent des objectifs sous-jacents et concurrents qu’il appartient au législateur de concilier en permanence afin de répondre aux attentes de la société [22]. À une époque où le sentiment d’insécurité pèse de tout son poids dans les discours normatifs, politiques ou scientifiques [23], l’exigence de résultats immédiats est cependant pressante pour faire face à l’augmentation réelle ou supposée de la délinquance. Aussi les pouvoirs publics sont-ils régulièrement tentés de mettre l’accent sur la nécessité de renforcer les prérogatives des autorités publiques pour faciliter la recherche et la répression des auteurs d’infractions, plutôt que de promouvoir le respect des garanties procédurales auxquelles ces derniers peuvent prétendre. Dans ce contexte, l’efficacité a pris une place de plus en plus importante pour évaluer le système de justice pénale à l’aune de son action répressive [24]. Elle trouve un terrain privilégié dans les procédures d’exception (1), où son exacerbation favorise une forme de défiance vis-à-vis des droits de la défense (2).

1 – Le primat de l’efficacité dans les procédures d’exception

15Le législateur a manifestement vu dans l’objectif d’efficacité un moyen de permettre des dérogations aux droits de la défense qui ne pourraient se justifier dans le cadre de la procédure de droit commun. Dans une recherche comparative consacrée aux nouvelles méthodes de lutte contre la criminalité, Maria Luisa Cesoni a bien montré que « les politiques criminelles font de l’efficacité – ou du moins de son évocation – le cœur même de leur stratégie, et de la dérogation aux règles communes un instrument de l’action politique. Il en découle, entre autres, le fait que […] les politiques criminelles font primer les impératifs de l’efficacité sur les droits des mis en cause, voire des simples suspects – et finalement de la population tout entière –, et recourent sans états d’âme, sinon en priorité, à des législations d’exception » [25]. À elle seule, la décision d’instituer un régime d’exception témoigne d’une volonté de durcir le traitement de certaines infractions qui ne semble guère laisser de place aux droits de la défense dans l’esprit des gouvernants.

16À l’instar de bon nombre d’États européens, la France a succombé à la tentation d’accroître la rigueur des formes procédurales devant la montée en puissance du terrorisme et des autres formes de criminalité organisée. Poussé en ce sens par différentes conventions internationales et recommandations du Conseil de l’Europe incitant les systèmes nationaux à adapter leur législation aux nécessités de la répression [26], le droit français a d’abord rejoint le mouvement avec la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État [27]. Cette réforme a été dictée par un objectif évident d’efficacité [28], comme en témoigne le choix du législateur de se tourner vers une procédure dérogatoire.

17Revenant sur la genèse de la loi du 9 septembre 1986, Jean Pradel a mis en avant les deux politiques qui s’offraient alors aux pouvoirs publics : « soit s’en tenir à l’application du droit commun en alléguant que notre droit contient déjà un dispositif suffisant (ce qui correspondait, selon l’auteur, à une politique de sévérité moyenne puisque les actes de terrorisme ne bénéficiaient déjà pas du statut bienveillant de l’infraction politique), soit présenter un projet de loi prévoyant pour les actes de terrorisme des dispositions particulières de fond et de procédure (ce qui correspondait selon lui à une politique de sévérité renforcée puisqu’on s’écartait alors du droit commun relativement libéral au profit d’un droit plus répressif). C’est cette deuxième voie qu’il a adoptée » [29]. Dès sa création, la procédure applicable au terrorisme s’est en effet sensiblement démarquée du droit commun en raison de son caractère coercitif marqué au stade de l’enquête policière et de l’instruction. Elle permettait notamment aux enquêteurs de porter la durée des gardes à vue à quatre jours, sans aucune possibilité pour le suspect d’accéder à un avocat, et d’effectuer des perquisitions en enquête préliminaire sans l’assentiment de l’individu concerné. Quelques années seulement après avoir abandonné la procédure d’exception applicable aux crimes et délits commis en temps de paix contre la sûreté de l’État [30], le législateur renouait ainsi avec un régime exorbitant du droit commun d’une troublante parenté [31].

18Soucieux de ne pas relâcher la pression exercée dans la « guerre » [32] contre le terrorisme, le législateur n’a cessé, depuis, d’enrichir le contenu de cette procédure [33] et de transposer certaines de ses dispositions « exceptionnelles » [34] à de nouveaux régimes spéciaux. Ce fut le cas avec la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 consacrant les procédures spécifiques aux infractions commises en matière de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, dont le contenu a été en partie calqué sur celui de la procédure applicable en matière de terrorisme. La création par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 [35] de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées a néanmoins marqué un véritable tournant dans l’évolution des procédures d’exception.

19Résolu à faire du renforcement de la lutte contre les formes modernes de criminalité organisée sa priorité [36], le législateur, encouragé en ce sens par la communauté internationale, a voulu élargir et faciliter les moyens d’action des autorités publiques confrontées à des groupes structurés à l’échelle nationale et internationale [37]. Pour cela, il a choisi d’articuler cette procédure autour d’une liste d’infractions commises en bande organisée ou qui relèvent, par leur définition, de la criminalité organisée [38]. Sous couvert d’une volonté d’unifier les différents régimes d’exception afin de simplifier la procédure pénale [39], le législateur a ainsi permis aux enquêteurs d’accéder à un large éventail de mesures exorbitantes du droit commun pour un grand nombre d’infractions. Le recours à une liste pour délimiter l’étendue de la procédure relative à la criminalité organisée a ouvert la voie à une extension progressive de son champ d’application, comme on le verra plus loin. À la lumière de l’évolution en présence, on peut déjà mesurer le désintérêt des pouvoirs publics pour les droits de la défense et comprendre, corrélativement, le déficit de protection dont ils souffrent dans les procédures d’exception [40].

2 – La défiance corrélative à l’égard des droits de la défense

20Bien qu’il s’en défende vigoureusement, le respect des droits de la défense constitue pour le législateur une donnée d’importance secondaire par rapport à l’objectif prioritaire assigné aux procédures d’exception. On peut même affirmer sans exagération que ce dernier perçoit avant tout les droits de la défense comme une entrave à l’efficacité des investigations. Ainsi s’explique la protection a minima dont ils font l’objet. Un survol des mesures d’investigation susceptibles d’être employées dans le cadre de la procédure applicable à la criminalité organisée permet de s’en convaincre.

21Pour mettre à jour les crimes et délits entrant dans le champ d’application de cette procédure, les autorités en charge des investigations – services de police judiciaire, procureur de la République et juge d’instruction – ont la possibilité d’exercer, d’une part, des mesures spécifiques telles que la surveillance (art. 706-80 CPP), l’infiltration (art. 706-81 à 706-87 CPP), l’enquête sous pseudonyme (art. 706-87-1 CPP), la sonorisation et la fixation d’images de certains lieux ou véhicules (art. 706-96 à 706-102 CPP) et la captation de données informatiques (art. 706-102-1 à 706-102-9 CPP). Les enquêteurs peuvent, d’autre part, recourir à des méthodes renforcées par rapport à celles autorisées en droit commun. Ainsi en est-il de l’allongement de la durée de la garde à vue à quatre-vingt seize heures, assorti du report de l’intervention de l’avocat pendant une durée maximale de quarante-huit heures (art. 706-88 CPP) [41], de la pratique de perquisitions nocturnes (art. 706-89 à 706-94 CPP) – sous réserve qu’elles ne concernent pas des locaux d’habitation en enquête préliminaire – ou encore des écoutes téléphoniques pour une durée maximale de deux mois durant la phase policière (art. 706-95 CPP). Autant de mesures qui apparaissent particulièrement intrusives ou coercitives pour l’individu qui en fait l’objet, même si elles sont subordonnées, pour les plus dérogatoires d’entre elles, à l’autorisation d’un juge.

22Quelles sont les garanties offertes en retour à la personne soupçonnée ou poursuivie pour l’exercice de ses droits de la défense ? Si l’on admet que les mesures de surveillance et d’infiltration n’emportent, par nature, aucun droit pour l’individu visé [42], on constate que ce dernier voit ses droits « ordinaires » tantôt différés pendant l’exécution de la garde à vue [43], tantôt repoussés jusqu’à l’issue de la mesure concernant l’accès aux procès-verbaux de transcription des écoutes téléphoniques, sonorisations et autres captations de données informatiques. En tout état de cause, aucun droit propre aux techniques spéciales d’investigation n’est accordé à l’individu mis en cause dans le cadre de la procédure applicable à la criminalité organisée. Tout au plus a-t-il la certitude qu’il ne pourra faire l’objet d’une condamnation sur le « seul » fondement des déclarations faites par des officiers ou agents de police judiciaire ayant procédé à une opération d’infiltration… à moins que ces derniers ne déposent sous leur véritable identité (art. 706-87 CPP).

23Les seules garanties véritablement attachées à l’exercice des techniques spéciales d’investigation résident en fin de compte dans le contrôle d’un magistrat du siège et dans les causes de nullité textuelles relatives au déroulement des opérations. On peut y voir des garde-fous précieux pour l’intéressé, mais certainement pas des garanties propres à lui permettre d’exercer ses droits de la défense. Partant, l’on ne peut que dresser le constat de l’insuffisance des dispositions légales permettant aux individus mis en cause de mener activement leur défense. Ici plus qu’ailleurs, le législateur adopte une logique inverse à celle qui devrait s’appliquer en procédure pénale, puisqu’il considère que plus les faits visés sont graves, moins la protection des droits de la défense de l’individu – pourtant présumé innocent – importe [44]. Une telle logique mène irrémédiablement à une prise en compte a minima de ces droits, comme s’ils ne devaient être protégés qu’« en négatif », autrement dit pour autant qu’ils n’entravent pas la conduite des investigations.

24À l’arrivée, les droits de la défense apparaissent au mieux préservés, car seulement repoussés dans le temps, au pire occultés par les dispositions légales. Le législateur n’en continue pas moins de promouvoir l’expansion des procédures pénales d’exception. Il en résulte une banalisation inquiétante des atteintes aux droits de la défense.

B – La banalisation des atteintes aux droits de la défense

25Il y a trente ans déjà, Christine Lazerges soulignait la difficulté inhérente à toute entreprise d’identification d’une politique criminelle en expliquant qu’« aucune politique criminelle, aussi cohérente apparaît-elle, dans un état donné à un moment donné, ne renvoie à un unique modèle de politique criminelle. Pour chaque politique criminelle l’un ou l’autre des modèles [étatique ou sociétal] n’est qu’une référence principale. Ainsi en va-t-il de la politique criminelle française soumise au stade de son élaboration au poids des idéologies, d’idéologies compatibles avec le modèle État-société libéral. La référence dominante est une référence au modèle État-société libéral ; coexistent des renvois ponctuels au modèle État autoritaire et des formes sous-jacentes de réponses communautaires au phénomène criminel, caractéristiques des modèles sociétaux » [45]. Sous cet angle, la procédure pénale française, telle qu’elle résultait des politiques publiques, a pu renvoyer l’image d’une procédure somme toute équilibrée. Elle s’efforçait en effet de garantir les droits et libertés des justiciables pour le plus grand nombre d’infractions et n’effectuait que de faibles emprunts au modèle de l’État autoritaire, à travers la résurgence d’un système pénal « d’exception » [46] limité à quelques procédures spéciales.

26La politique criminelle actuelle ne se contente plus de ces renvois ponctuels au modèle de l’État autoritaire que traduisaient encore, jusqu’en 2004, les régimes d’exception ciblés contre les « bêtes noires » du législateur [47]. Depuis l’instauration de la procédure applicable à la criminalité organisée, le système procédural français accorde de plus en plus de place à des procédures qui s’écartent sciemment du modèle originel pour faire la part belle à l’efficacité répressive. La procédure de droit commun coexiste ainsi avec une procédure « bis » [48] à l’ampleur d’autant plus dangereuse (1) qu’elle fait l’objet de stratégies de légitimation par ses promoteurs (2).

1 – L’expansion continue des procédures d’exception

27À l’origine, la procédure applicable à la criminalité organisée avait vocation à s’appliquer à quinze infractions ou familles d’infractions énumérées à l’article 706-73 du Code de procédure pénale [49]. Parallèlement à cette liste principale d’infractions, la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 avait prévu à l’article 706-74 dudit code une liste « complémentaire » susceptible d’accueillir deux autres formes de comportements : les crimes et délits commis en bande organisée autres que ceux relevant de l’article 706-73 et les délits d’association de malfaiteurs autres que ceux relevant de l’article 706-73, 15°, du Code de procédure pénale.

28Si le caractère protéiforme de la criminalité organisée a légitimement pu être invoqué pour justifier le refus de retenir une définition juridique de ce phénomène [50], le choix du législateur de recourir à des listes d’infractions pour délimiter l’étendue de cette procédure était tout sauf anodin. Ce dernier ne pouvait ignorer qu’il favorisait ainsi l’élargissement potentiel de son champ d’application. Les réformes postérieures à la loi du 9 mars 2004 ont confirmé cette impression, puisque la liste principale prévue à l’article 706-73 du Code de procédure pénale est passée de quinze à vingt et unes infractions ou familles d’infractions en l’espace de dix ans [51]. Le législateur a par ailleurs étendu les dispositions de la procédure applicable à la criminalité organisée à un nombre croissant d’infractions prévues en dehors de cette liste [52], n’hésitant pas au passage à viser des crimes et délits dépourvus de la circonstance aggravante de bande organisée [53]. La lisibilité du dispositif procédural en ressort fortement contrariée. Il faut en effet naviguer de titres en titres, au sein du livre quatrième du Code de procédure pénale, pour connaître l’étendue exacte de cette procédure d’exception, tout en tenant compte de son applicabilité variable en fonction de la localisation des infractions [54].

29Le développement de la procédure applicable à la criminalité organisée confirme, s’il en était encore besoin, la tendance au durcissement du traitement d’un nombre sans cesse plus important d’infractions. Les règles dérogatoires qui en résultent s’appliquent toutefois à des catégories d’infractions qui ne revêtent pas toujours – loin s’en faut – la même gravité. Le recours à la procédure relative à la criminalité organisée permet aux enquêteurs de déployer les mêmes méthodes d’investigation pour des infractions aussi différentes que le meurtre, le proxénétisme, le vol ou l’aide au séjour irrégulier, à partir du moment où de tels agissements ont été commis en bande organisée. Même s’il faut tenir compte, à cet égard, des réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi du 9 mars 2004 [55], comment ne pas voir dans l’expansion continue de cette procédure une forme de « banalisation d’un droit d’exception » [56] en rupture avec l’objectif affiché d’une lutte ciblée contre la criminalité organisée ?

30À force d’encourager le développement des procédures d’exception, le législateur a perdu de vue l’importance qu’il convenait d’attacher à la compatibilité entre ces régimes spéciaux et les infractions auxquelles ils sont susceptibles de s’appliquer. L’exclusion des règles dérogatoires relatives à la prolongation de la garde à vue et aux perquisitions nocturnes pour certaines d’entre elles ne saurait faire oublier que ces procédures ont pour conséquence commune d’accroître les prérogatives des autorités publiques au détriment des garanties des justiciables. Par contrecoup, les atteintes aux droits de la défense sont tout à la fois exacerbées et banalisées en raison des stratégies déployées par les pouvoirs publics.

2 – Les stratégies de légitimation des procédures d’exception

31À partir de l’examen des travaux et débats ministériels et parlementaires, il est possible d’identifier plusieurs stratégies de légitimation dans l’élaboration des procédures pénales d’exception. Sans doute sont-elles d’inégale portée et plus ou moins présentes dans l’esprit des représentants des pouvoirs exécutif et législatif. Il n’en demeure pas moins intéressant de les recenser pour comprendre en quoi leurs politiques criminelles contribuent à banaliser les atteintes aux droits de la défense dans ces procédures.

32Les circonstances. La première stratégie à l’œuvre est celle de l’exploitation des circonstances propres à favoriser l’émergence ou le développement d’une procédure d’exception. De nos jours, chacun sait combien les faits divers ou les programmes électoraux influencent la politique pénale [57], quand ils n’inspirent pas directement l’écriture d’une loi ad hoc[58]. L’affirmation vaut sans doute plus qu’ailleurs pour les procédures d’exception. Ces procédures trouvent en effet toutes ou presque leur origine dans des événements tragiques ayant marqué l’opinion publique. L’exemple de la procédure applicable au terrorisme permet d’en rendre compte. L’instauration de cette procédure par la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 faisait suite à une série d’attentats ayant frappé Paris en 1985 et 1986. Elle s’est ensuite durablement installée dans le paysage procédural en raison de la recrudescence d’attaques terroristes sur le sol français ou de la crainte générée par des attentats commis à l’étranger. On peut citer entre autres réformes :

  • la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme et la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme, prises en réaction aux attentats du RER B dans les stations Saint-Michel et Port-Royal ;
  • la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, votée après les attentats du 11 septembre à New York ;
  • la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, adoptée après les attentats survenus à Londres en juillet 2005 ;
  • la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, votée à la suite des assassinats commis par Mohammed Merah à Toulouse et Montauban en mars 2012 ;
  • enfin, la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, adoptée quelques mois après la tuerie du Musée juif de Belgique, à Bruxelles.

33L’énumération de ces lois destinées à renforcer le dispositif procédural antiterroriste confirme le caractère éminemment circonstanciel des procédures d’exception. Les gouvernants qui les ont initiées ne s’en cachent d’ailleurs pas, comme en témoigne l’exposé des motifs de ces projets de loi ou leur présentation par les ministres compétents. Malgré la gravité des faits invoqués au soutien de ces réformes, l’on ne peut que rester sceptique devant cette tendance à brandir l’arme pénale dans la foulée d’une attaque terroriste, car la loi s’en trouve inexorablement vouée à être « une réponse, à défaut d’être une solution » [59].

34L’urgence. Le caractère circonstanciel des lois relatives aux procédures d’exception a pour corollaire la précipitation dans laquelle elles sont le plus souvent adoptées. Ministres et parlementaires ont bien conscience de l’intérêt d’agir vite lorsqu’ils entendent tirer profit des circonstances pour faire passer une réforme. Ce facteur temporel donne lieu à une stratégie particulièrement exploitée en ce domaine à travers le recours quasi-systématique du Gouvernement à la procédure d’urgence (devenue procédure accélérée suite à la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 [60]). À quelques exceptions près [61], les lois adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée l’ont été après engagement de cette procédure, autrement dit après une seule lecture devant chaque assemblée parlementaire, puis la réunion d’une commission mixte paritaire.

35L’exploitation de l’urgence, qu’elle soit ou non justifiée, favorise incontestablement l’adoption de réformes sur des sujets aussi sensibles que la conciliation entre la sécurité et les libertés dans les procédures d’exception. En l’utilisant pour montrer sa détermination, le Gouvernement peut ainsi faire pression sur les parlementaires qui hésiteraient à s’engager dans la voie qu’il souhaite leur faire prendre. Cette « marque de fabrique » des réformes pénales [62] n’en comporte pas moins, là aussi, de sérieux inconvénients. Outre le fait qu’elle se révèle souvent être un outil de pure communication [63], elle nuit nécessairement à la qualité du débat démocratique et, partant, à la qualité des lois [64]. Interrogée au sujet de la dernière réforme antiterroriste, Christine Lazerges, Présidente de la CNCDH, relevait ainsi que « la procédure a été si rapide que les rédacteurs de l’étude d’impact n’ont pas donné de justifications suffisantes sur la nécessité d’adopter de nouvelles mesures en matière de terrorisme. […] On doit considérer que si le Parlement et le Gouvernement se donnaient le temps nécessaire pour faire un bilan des textes existants, il ne serait souvent pas nécessaire d’adopter une loi nouvelle. L’accélération du temps nécessaire à l’adoption de dispositions législatives nouvelles ne peut être que préjudiciable à la garantie des droits et libertés fondamentaux » [65]. On comprend mieux pourquoi les droits de la défense se trouvent relégués au second plan dans l’élaboration des procédures d’exception.

36L’évidence. Si de nos jours les pouvoirs publics ont développé une fâcheuse tendance à légiférer de façon compulsive [66], ils n’en oublient pas pour autant d’insister sur la nécessité qu’il y a d’adopter leurs réformes. On est ainsi frappé par l’évidence avec laquelle ils présentent les projets de loi introduisant ou développant des procédures d’exception. À ce titre, c’est la gravité des enjeux qui commande avant tout d’agir sans plus attendre. Face aux menaces que constituent le terrorisme ou la criminalité organisée, il s’agit alors de faire admettre que « nécessité fait loi » [67].

37Un autre leitmotiv récurrent dans le discours des représentants du pouvoir exécutif ou législatif tient à l’inadaptation des techniques d’investigation mises à disposition des autorités publiques par le droit positif. Curieusement, ce sentiment semble toujours prompt à resurgir lorsqu’il est question de nouvelles formes de criminalité révélées par l’actualité [68]. Les exemples ne manquent pas, que ce soit à propos des lois visant à renforcer la lutte contre le terrorisme [69] ou la criminalité organisée [70].

38Nul ne conteste la nécessité qu’il peut y avoir d’adapter la loi à partir du moment où la preuve de son inefficacité a été rapportée dans un domaine. Il s’agit là tout à la fois d’un besoin et d’une vertu du droit. Mais lorsque cette nécessité est répétée à satiété alors même que la dernière réforme vient à peine d’entrer en vigueur et que les décrets d’application se font encore attendre, comment ne pas douter de l’inadaptation prétendue du droit positif et de l’opportunité réelle de le modifier ? Loin de se sentir obligés de fournir une quelconque justification, les gouvernants parviennent généralement sans mal à voir des insuffisances là où rien n’a pourtant été fait pour s’assurer de l’utilité d’une réforme. Au besoin, l’efficacité répressive tiendra lieu d’argument d’autorité. Quelle place peut-il bien rester pour les droits de la défense au milieu de ce champ d’évidence ?

39La persuasion. Il reste à aborder la stratégie qui nous semble être la plus décisive : celle de la persuasion. On entend bien entendu par là la capacité des promoteurs d’une réforme à convaincre leur auditoire de se rallier à la cause qu’ils défendent, mais aussi, dans une certaine mesure, leur capacité à se convaincre eux-mêmes du bien-fondé des réformes. Une première technique consiste à cet égard à proclamer « l’union sacrée » ou à s’en remettre à la nécessaire cohésion des représentants du peuple compte tenu, là encore, de la gravité des enjeux en présence.

40Cette technique présente un double intérêt pour les instigateurs de la réforme : s’assurer le maximum de suffrages en dissipant les doutes sur toute forme de division autour d’un sujet aussi sensible que le terrorisme ou la criminalité organisée ; fustiger ceux qui seraient tentés de critiquer le déficit de garanties résultant pour les justiciables du recours à des procédures d’exception. Lors des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi instituant la procédure applicable au terrorisme, Jacques Limouzy, rapporteur du texte n’avait pas hésité à déclarer : « Je n’ai pas a priori, mes chers collègues, le sentiment que ce texte soit susceptible de nous diviser fondamentalement. D’abord, nous sommes unanimes à condamner le terrorisme. Ensuite, quelles que soient nos hésitations sur sa définition, il parait évident que nous devons adapter nos procédures pour le combattre. […] Enfin, le texte proposé n’a rien d’un texte “scélérat”. Au contraire, c’est le rejeter, mesdames, messieurs, qui serait scélérat » [71]. On retrouve ici les éléments caractéristiques du discours du populisme pénal, au sens où il s’agit alors d’appeler « à punir au nom des victimes bafouées et contre des institutions disqualifiées » et de dénoncer « toute hésitation [qui] serait l’indice d’une faiblesse […] toute prudence, une marque de complicité » [72].

41Une deuxième technique consiste à minimiser l’ampleur des changements introduits par le projet de réforme pour mieux banaliser les procédures d’exception dont il est porteur. Le fait pour les instigateurs de la réforme de s’en remettre à certains précédents historiques ou à des législations étrangères leur permet, par exemple, de mettre en avant la modération dont ils font preuve au moment de légiférer. Tel fut le cas en 1986 lorsque le ministre de la Justice, Albin Chalandon, s’exprima à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État. Après avoir insisté sur le fait qu’il n’avait entendu recourir qu’aux « moyens normaux du droit », il prit soin de rappeler que les règles dérogatoires introduites pour la garde à vue et les perquisitions ne comportaient, « en réalité, aucune innovation puisque, en droit interne, elles existe[aie]nt déjà : dans le cas de la garde à vue, pour le trafic de stupéfiants, et dans celui de la perquisition, pour la lutte contre le proxénétisme » [73]. Il rappela par ailleurs qu’en Grande-Bretagne, « pays qui passe pourtant pour le champion historique de la démocratie, la garde à vue est [était] de sept jours en matière de terrorisme » [74]. Si de tels arguments s’efforcent de véhiculer l’image d’une politique criminelle mesurée, ils n’en participent pas moins d’une « politique du pire » que l’on ne peut se résoudre à admettre dès lors qu’elle revient à dénoncer ce qui se fait ailleurs pour mieux autoriser ce que l’on veut instituer chez nous. Cette politique sélective vise à couper l’herbe sous le pied des éventuels détracteurs de la réforme. Ce faisant, elle aboutit surtout à faire l’économie du vrai débat démocratique : celui de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions considérées.

42Une troisième technique consiste, enfin, à dénier toute possibilité d’atteinte aux droits et libertés fondamentaux, en commençant par rejeter la qualification même de procédure d’exception. Ainsi peut-on lire dans l’étude d’impact du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme – devenu loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 – que, « dès l’origine, le législateur a choisi de doter la puissance publique de pouvoirs dérogatoires du droit commun, par un dispositif particulier, mais permanent, qui maintient le juge au cœur de la lutte antiterroriste, tout en maintenant l’équilibre entre l’efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques » [75]. Les auteurs de ce texte se refusent néanmoins à admettre qu’un tel dispositif puisse être qualifié de procédure d’exception. N’hésitant pas à jouer sur les mots, ils présentent la législation anti-terroriste comme « un droit spécifique s’intégrant dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, soumis aux mêmes garanties procédurales admises pour toute infraction » [76].

43Alors même qu’il s’agissait là d’une étude d’impact dont la vocation aurait seulement dû être d’évaluer l’adéquation des mesures proposées aux objectifs poursuivis par le projet de loi [77], la volonté de ses auteurs de légitimer d’emblée l’opportunité de la réforme ne fait aucun doute [78]. Les affirmations sont péremptoires et s’efforcent de réduire le régime applicable au terrorisme à un simple « dispositif particulier » ou « droit spécifique ». Un tel discours est révélateur d’une volonté de banaliser la procédure applicable au terrorisme et, par voie de conséquence, les atteintes aux droits de la défense qui en découlent.

44L’analyse des politiques criminelles gouvernementale et législative montre en définitive qu’aucune place n’est réellement accordée aux droits de la défense dans le cadre des procédures d’exception. Tout cela constitue à l’évidence la marque d’une législation d’exception, quand bien même l’expression est déniée par ceux-là même qui l’ont instituée et qui favorisent continuellement son expansion.

45Sans doute faut-il se garder de confondre cette législation avec celle d’un État totalitaire et rappeler que « le droit reste la grammaire plus ou moins contraignante qui continue de régir l’action politique » [79] en ce domaine. Il est néanmoins à craindre qu’à ce rythme, la banalisation des procédures d’exception finisse par légitimer des atteintes toujours plus importantes aux droits et libertés fondamentaux, jusqu’au jour où se posera à nouveau la question du basculement de la lutte contre les infractions les plus graves dans le registre des dispositions exorbitantes du droit de la guerre [80]. Aussi peut-on accueillir avec un certain soulagement la revalorisation des droits de la défense issue du contrôle opéré par les organes protecteurs des droits de l’homme.

II – La revalorisation des droits de la défense dans le contrôle des procédures d’exception

46En contrepoint de la politique criminelle menée par les pouvoirs publics, les organes protecteurs des droits de l’homme [81] sont naturellement plus enclins à venir au soutien des droits de la défense dans les procédures d’exception. Cela peut sembler évident dans la mesure où leur mission est précisément de veiller au respect des droits et libertés fondamentaux, en particulier en matière pénale. Il n’en faut pas moins saluer le fait qu’en dépit de leur origine et de leurs compétences distinctes, ces instances manifestent un attachement commun pour le respect des droits de la défense dans les procédures d’exception (A). La vigilance dont elles font preuve reste néanmoins variable lorsqu’il s’agit de sanctionner le non-respect des droits de la défense par les procédures d’exception (B).

A – Un attachement commun pour le respect des droits de la défense

47Les instances européennes ont été les premières à prendre véritablement position en faveur du respect des droits de la défense dans les procédures pénales d’exception (1). Après quelques hésitations, les instances nationales ont fini par suivre ce mouvement pour aller vers une politique criminelle convergente, quoique poussive (2).

1 – L’impulsion donnée par les instances européennes

48Sur le plan européen, la CEDH n’a pas manqué de prendre position sur la question sensible du respect des droits de la défense dans les procédures pénales d’exception. Si elle considère depuis longtemps déjà que les droits de la défense doivent faire l’objet d’une protection concrète et effective en tant qu’ils dérivent du droit à un procès équitable [82], c’est de manière relativement récente qu’elle a été amenée à se prononcer sur leur degré de protection dans les procédures d’exception. La Cour ne conteste pas en soi l’existence de ces procédures et des dérogations qu’elles peuvent instituer pour conjurer des dangers graves tels que le terrorisme [83]. La marge d’appréciation qu’elle laisse aux États membres pour apprécier la nécessité d’adapter leur système répressif à certaines formes de criminalité trouve cependant une limite dans le respect, par ces derniers, d’un juste rapport entre la complexité et la gravité des infractions visées et les règles dérogatoires susceptibles de leur être appliquées.

49Pour apprécier le respect de cette double exigence de nécessité et de proportionnalité, la CEDH tient compte de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire [84]. Le contrôle des juges européens se limite en effet au cas concret qui leur est soumis. On ne peut dès lors pas attendre d’eux qu’ils dégagent des lignes directrices quant au degré attendu de protection des droits de la défense pour chaque type de procédure. La Cour a par exemple pu admettre qu’en présence de charges accablantes contre un individu poursuivi pour des faits de terrorisme, le juge pénal puisse tenir compte du silence opposé par l’accusé tout au long de la procédure, tout en considérant que le droit de ne pas s’auto-incriminer était manifestement incompatible avec le fait de « fonder une condamnation exclusivement ou partiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer » [85].

50À défaut de porter des appréciations générales sur les procédures d’exception des États membres, la CEDH s’est efforcée d’imposer des limites aux dérogations susceptibles d’entraver les droits de la défense pour certaines mesures d’investigation. On songe naturellement ici à la jurisprudence relative aux règles dérogatoires de garde à vue prévues dans le cadre des procédures d’exception. À travers les désormais célèbres arrêts Salduz et Dayanan c. Turquie, la Cour a érigé le droit à l’assistance d’un avocat en règle applicable même en présence des faits qualifiés de terrorisme.

51Dans la première affaire, elle a jugé que le droit à un procès équitable implique « en règle générale » que l’accès à un avocat soit consenti « dès le premier interrogatoire » par la police, « sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit ». La Cour a ainsi proscrit toutes les restrictions systématiques à ce droit et considéré qu’« il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation » [86]. Dans la seconde affaire, les juges strasbourgeois ont confirmé la position retenue dans l’arrêt Salduz c. Turquie en jugeant que le fait pour le requérant d’avoir été privé de l’assistance d’un conseil lors de sa garde à vue, parce que la loi y faisait obstacle de manière systématique, suffisait pour conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 de la Convention, alors même qu’il avait gardé le silence au cours de la mesure [87].

52Sur la base de ces arrêts, la CEDH a établi un principe qui présente le mérite incontestable de transcender les procédures pénales et contribue, par là même, à revaloriser les droits de la défense dans les procédures d’exception [88]. C’est principalement sous l’influence de cette jurisprudence et des condamnations prononcées à l’encontre de la France [89] que le législateur a d’ailleurs fini par se résoudre à modifier les règles dérogatoires de garde à vue applicables à la criminalité organisée [90].

53Du côté des institutions de l’UE, il faut souligner, dans le même sens, l’effort appréciable d’harmonisation des systèmes procéduraux nationaux engagé avec la feuille de route du Conseil visant à renforcer les droits des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales [91]. Depuis que le Traité de Lisbonne a intégré l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans les compétences partagées de l’UE [92], le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont été habilités à établir des règles minimales par voie de directives pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière [93]. Cela les a déjà conduits à adopter trois directives établissant des règles minimales en faveur des personnes suspectées ou poursuivies en application de la feuille de route précitée [94].

54Les droits de la défense sont au cœur de ces directives qui ne distinguent pas entre les régimes ordinaires et les régimes spéciaux de procédure pénale pour promouvoir leur renforcement [95]. La politique criminelle de l’UE a ainsi contraint les États comme la France, dont les législations prévoyaient des garanties en deçà des exigences européennes, à revoir leur corpus de règles afin d’atteindre les résultats contenus dans ces directives. Ce fut notamment le cas avec la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 [96], même si elle a essentiellement été tournée vers le renforcement des droits de la défense dans le cadre de la procédure de droit commun et n’a modifié qu’à la marge la procédure d’exception applicable à la criminalité organisée [97].

55Dans le prolongement de ces politiques européennes favorables aux droits de la défense, une tendance à revaloriser ces droits dans les procédures d’exception s’est également dessinée dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

2 – Le ralliement timoré des instances nationales

56Jusqu’à une époque récente, le Conseil constitutionnel refusait d’examiner l’opportunité du recours à des procédures d’exception afin de ne pas empiéter sur la compétence exclusive du législateur pour concilier les objectifs de la procédure pénale. La motivation avancée à cet égard reprenait la formule classique selon laquelle il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’exercice des libertés constitutionnellement reconnues et les besoins de la recherche des auteurs d’infractions et de la prévention d’atteintes à l’ordre public, nécessaires, l’une et l’autre, à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle [98]. Les sages s’autorisaient, certes, à porter une appréciation sur la garantie des droits de la défense au regard du principe d’égalité entre les justiciables [99], mais cela ne les amenait pas à exercer un véritable contrôle de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions dérogatoires soumises à leur appréciation. Il a fallu attendre la décision relative à la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 pour qu’ils s’intéressent de plus près au respect de cette double exigence dans l’élaboration des procédures d’exception.

57Le Conseil a mis en évidence l’importance de ces critères à l’occasion de l’examen de la procédure spécifique à la criminalité organisée. Après avoir énoncé les normes constitutionnelles applicables [100], il a considéré que, « si le législateur peut prévoir des mesures d’investigation spéciales en vue de constater des crimes et délits d’une gravité et d’une complexité particulières, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs, c’est sous réserve que ces mesures soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que les restrictions qu’elles apportent aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité, proportionnées à la gravité et à la complexité des infractions commises et n’introduisent pas de discriminations injustifiées » [101]. Le Conseil a par ailleurs insisté sur la nécessité pour l’autorité judiciaire de veiller au respect de ces principes dans l’application des règles de procédure pénale spéciales. À la lumière de ces exigences, il a estimé que les infractions listées à l’article 706-73 du Code de procédure pénale étaient « susceptibles, pour la plupart, de porter une atteinte grave à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » Elles apparaissaient en conséquence « suffisamment graves et complexes pour que le législateur ait pu fixer, en ce qui les concerne, des règles spéciales de procédure pénale » [102].

58Au-delà du bien-fondé des critères de sélection retenus pour les infractions susceptibles de faire l’objet des règles spéciales d’investigation en matière de criminalité organisée [103], le contrôle du respect des exigences de nécessité et de proportionnalité est cependant resté minimaliste. Le Conseil se limite en effet pour l’essentiel à vérifier que les infractions faisant l’objet des règles dérogatoires répondent aux critères de gravité et de complexité et que le législateur n’a pas porté une atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement protégés [104]. Ce faisant, il n’aborde pas en substance les contours de ces droits pour poser des limites aux règles dérogatoires prévues dans les procédures d’exception. Une telle frilosité est patente dans l’examen des règles dérogatoires relatives à la garde à vue.

59À la différence de la CEDH, le Conseil n’a en effet expressément imposé le bénéfice de l’assistance effective d’un avocat que dans le cadre des gardes à vue de droit commun [105]. Refusant à plusieurs reprises de réexaminer la constitutionnalité des règles spéciales prévues en matière de criminalité organisée, en l’absence de changement de circonstances depuis la décision du 2 mars 2004 [106], il a considéré que le respect des droits de la défense n’interdisait pas le report de l’assistance de l’avocat pour permettre le recueil ou la conservation des preuves ou prévenir une atteinte aux personnes [107]. S’il a pris soin d’insister sur le fait qu’un tel report devait être motivé, au cas par cas, en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête ou de l’instruction, le Conseil a ainsi opté pour une protection par la négative des droits de la défense, à l’instar du législateur. De ce point de vue, sa position se situe incontestablement en retrait par rapport à la protection « positive » des droits de la défense promue par la CEDH.

60La Cour de cassation fait preuve d’une timidité comparable malgré l’influence de la jurisprudence européenne sur sa politique criminelle judiciaire. On en veut pour exemple les arrêts rendus le 19 octobre 2010 au sujet des règles dérogatoires applicables aux gardes à vues relatives aux infractions relevant de la criminalité organisée [108]. La chambre criminelle avait alors reconnu l’inconventionnalité des dispositions en cause au regard du droit au silence et du droit à l’assistance d’un avocat, tout en considérant de manière surprenante que ces dispositions devaient malgré tout continuer à s’appliquer jusqu’au terme fixé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 pour permettre au législateur de réformer le régime de la garde à vue [109].

61Les louvoiements [110] de la chambre criminelle trahissaient un certain malaise à l’idée de contrarier la décision prise par le Conseil constitutionnel – alors même que ce dernier n’avait pas remis en cause les dispositions dérogatoires applicables aux gardes à vue –, ce qui l’amena à faire le choix critiquable de différer la mise en œuvre des droits de la défense plutôt que de donner son plein effet à la jurisprudence européenne. C’est seulement lorsque l’assemblée plénière de la Cour de cassation imposa sans modulation le respect du droit à l’assistance effective d’un avocat [111] que la chambre criminelle accepta de se rallier sans plus attendre à la position de la CEDH [112]. Depuis, elle peine toutefois à conférer aux droits de la défense leur pleine effectivité, comme en atteste sa tendance à « verrouiller » [113] les nullités de procédure tirées du non-respect du droit à l’assistance d’un avocat dans les gardes à vue ordinaires.

62Malgré leur inégale vigueur, il faut saluer les efforts déployés par les organes protecteurs des droits de l’homme pour revaloriser les droits de la défense dans les procédures d’exception. Peu à peu, la jurisprudence des « cours suprêmes » et les normes européennes ont permis de faire émerger un socle de garanties applicable à toutes les procédures. C’est dans cette source « garantiste » que le législateur devrait puiser pour que nos régimes d’exception perdent leur caractère exorbitant du droit commun et apparaissent ainsi plus conformes aux valeurs d’un État de droit.

63Encore faut-il, pour cela, que les organes protecteurs des droits de l’homme n’hésitent pas à rappeler au législateur que, « même pénale, la loi n’a pas tous les droits » [114]. Or lorsqu’on pousse un peu plus loin l’analyse, on s’aperçoit que leur vigilance varie en présence de faits particulièrement graves, au point d’apparaître parfois toute relative.

B – Une attention variable aux atteintes aux droits de la défense

64À l’image de la politique criminelle législative ou gouvernementale, la politique des organes protecteurs des droits de l’homme connaît des soubresauts dans le contrôle du respect des droits de la défense dans les procédures d’exception. On peut relever des signes de relâchement aussi bien dans le contrôle de conventionnalité (1) que dans celui de constitutionnalité (2).

1 – Le relâchement du contrôle de conventionnalité

65À la lumière de l’interprétation combinée de certains articles relatifs aux droits et libertés et de l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui encadre les dérogations aux obligations prévues par la Convention en cas d’état d’urgence, la CEDH reconnaît en tout ou partie le caractère « indérogeable » des droits qui consacrent « des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe » [115]. Ainsi protège-t-elle de manière « quasi absolue » [116] le droit à la vie, prévu par l’article 2 de la convention [117], tandis qu’elle prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 3 de la convention, quel que soit le comportement de la personne concernée et même dans les circonstances les plus difficiles, telles la lutte contre le terrorisme et le crime organisé [118]. La protection absolue ou « quasi absolue » de ces droits fondamentaux signifie, dès lors, qu’ils ne peuvent être limités par des dérogations qui seraient institutionnalisées par le biais de procédures d’exception, quand bien même celles-ci paraîtraient indispensables pour lutter contre les formes les plus graves de criminalité.

66Les droits qui s’accompagnent d’une liste d’exceptions [119] ou d’une clause de sauvegarde de l’ordre public au sein de la Convention européenne des droits de l’homme [120], mais aussi ceux qui, sans être expressément énoncés par la Convention, sont garantis par la Cour de Strasbourg [121] bénéficient, en revanche, d’une protection relative. La CEDH admet à ce titre que des restrictions puissent être apportées à des garanties procédurales découlant du droit à un procès équitable à partir du moment où elles n’atteignent pas la substance même de ces droits et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime qu’elles poursuivent [122]. Elle a notamment pu affirmer, à propos du droit de ne pas s’auto-incriminer, qu’« il faut répondre par la négative à la question de savoir si ce droit est absolu » [123]. En excluant de la sorte les droits de la défense de la catégorie des droits « indérogeables », la CEDH reconnaît ainsi qu’il n’existe pas en la matière de « frontière infranchissable » [124] opposable aux autorités étatiques.

67Cette position ne peut que décevoir les partisans d’une protection « quasi absolue » de ces droits [125]. Elle permet néanmoins de mieux comprendre les infléchissements constatés à l’égard des formes les plus graves de criminalité. L’arrêt rendu dans l’affaire des attentats de Londres de 2005 en offre une illustration préoccupante. Dans cette affaire, la Cour a refusé de constater la violation des droits de la défense alléguée par les requérants du fait de l’admission à leur procès de dépositions faites durant les interrogatoires de police avant qu’ils aient pu avoir accès à un avocat. Après avoir rappelé que les dispositions qui garantissent le droit d’être assisté par un défenseur ne constituaient pas une fin en soi (« they are not an end in themselves » [126]), les juges européens ont notamment retenu à l’égard de trois d’entre eux que les policiers n’avaient mené ces interrogatoires qu’en vue d’obtenir des informations strictement nécessaires à la protection du public, sans qu’il n’ait été fait état d’aucun mauvais traitement, ni de questions qui allaient au-delà de ce qui était permis dans le cadre des « auditions de sécurité » (safety interviews) [127]. Pour minorer la portée des déclarations faites par les requérants au cours de ces auditions, les juges ont par ailleurs souligné que des preuves matérielles avaient été recueillies dans le cadre de l’enquête et suffisaient à les incriminer, même en l’absence de déclarations de leur part [128]. Enfin, ils ont noté que les requérants avaient eu la possibilité de contester ces aveux et la force probante des autres éléments à charge [129].

68À la lecture de cette motivation quelque peu déroutante, on peine à ne pas déceler un certain relâchement du contrôle du respect des droits de la défense en présence de faits particulièrement sensibles. Il semble que les juges strasbourgeois n’échappent pas à la tentation sécuritaire face au terrorisme. Si la crainte d’être taxés de laxisme explique pour une part cette décision, elle expose en retour la CEDH à celle de se voir accusée de laxisme au sujet des procédures dérogatoires [130]. Tel est, dans une autre mesure, le constat dressé depuis quelques années vis-à-vis du Conseil constitutionnel.

2 – Le relâchement du contrôle de constitutionnalité

69À la suite d’autres auteurs, il est permis de considérer que l’attention prêtée par le Conseil constitutionnel au respect des droits et libertés fondamentaux dans les procédures d’exception a, elle aussi, connu un relâchement ces dernières années [131]. On peut en mesurer la réalité à l’aune de son attitude vis-à-vis de l’élargissement du champ d’application de la procédure d’exception relative à la criminalité organisée. À l’occasion de deux décisions récentes, les sages ont été amenés à se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions autorisant le recours aux techniques spéciales d’investigation prévues en matière de criminalité organisée pour des infractions qui ne figuraient pas dans la liste initiale prévue à l’article 706-73 du Code de procédure pénale. Cela a d’abord concerné les délits aggravés de fraude fiscale, certains délits douaniers, les délits de corruption et de trafic d’influence ainsi que le blanchiment de ces différents délits [132], puis le délit d’escroquerie en bande organisée [133].

70Pour apprécier la constitutionnalité de l’extension de la procédure d’exception à ces infractions, le Conseil constitutionnel a choisi d’examiner distinctement les règles relatives à la garde à vue et celles relatives aux autres pouvoirs de surveillance et d’investigation et aux mesures conservatoires. S’agissant des premières, il a considéré que l’allongement possible de la durée de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures assorti du report de l’intervention de l’avocat jusqu’à la quarante-neuvième heure de la mesure portaient une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle et aux droits de la défense, dès lors qu’à l’exception des délits de contrebande, d’importation ou d’exportation de certaines marchandises, les délits concernés n’étaient « pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes » [134]. Malgré l’imprécision des notions de sécurité et de dignité, le Conseil constitutionnel a ainsi érigé de telles exigences en véritables critères de sélection des infractions susceptibles de faire l’objet des règles dérogatoires de garde à vue prévues en matière de lutte contre la criminalité organisée [135].

71Les autres mesures de surveillance et d’investigation – ainsi de l’infiltration, des écoutes téléphoniques ou des sonorisations et fixations d’images de certains lieux ou véhicules – ont en revanche échappé à ces critères sélectifs ainsi qu’à tout contrôle du respect des droits de la défense. Les sages ont considéré que les atteintes au respect de la vie privée et au droit de propriété résultant de la mise en œuvre de ces mesures spéciales ne revêtaient pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi par le législateur, compte tenu des garanties les entourant. Il en résulte une différence d’approche évidente entre les règles dérogatoires relatives à la garde à vue et celles relatives aux autres mesures. La réticence du Conseil à admettre l’allongement de la durée d’une garde à vue en présence de certaines infractions relevant de la criminalité organisée contraste en effet avec l’indulgence dont il tend à faire preuve vis-à-vis des autres mesures d’investigation applicables à ces mêmes infractions. Cette différence de traitement entre mesures privatives et restrictives de liberté peine à convaincre sur le plan du respect des droits de la défense, lorsqu’on constate que des mesures telles que les perquisitions nocturnes peuvent être autorisées par un magistrat du siège sans aucune possibilité pour le suspect de bénéficier d’un avocat ou d’exercer un recours contre la décision du juge.

72Dans ces conditions, il est difficile de se satisfaire des décisions rendues par le Conseil constitutionnel, même si elles contribuent à freiner l’expansion inconsidérée du champ d’application de la procédure d’exception prévue en matière de lutte contre la criminalité organisée. Il eût été préférable que les sages s’en tiennent à des critères objectifs, tenant à la gravité de l’infraction – mais en la liant alors à la sévérité des peines encourues plutôt qu’à des valeurs qui n’en traduisent qu’une vision réductrice – et à la complexité des investigations, pour juger si l’ensemble du régime procédural spécifique à la lutte contre la criminalité organisée, et non les seules dispositions relatives à la garde à vue, pouvait valablement s’appliquer aux faits d’escroquerie en bande organisée.

73* * *

74Au terme de cette incursion dans les politiques criminelles européennes et nationales, nombreuses sont les impressions dégagées par le tableau brossé à grands traits des positions prises à l’égard des droits de la défense dans les procédures d’exception. Nous retiendrons donc celle qui nous paraît être déterminante à l’heure actuelle. Elle s’exprime par le fait qu’au-delà du degré de protection effectif des droits de la défense, c’est la volonté de considérer ces droits pour ce qu’ils sont qui fait encore défaut. Les droits de la défense sont en effet trop souvent minimisés ou négligés par les acteurs en charge de l’élaboration ou du contrôle des procédures d’exception. La procédure pénale de droit commun est restée leur terre d’élection. Il serait temps qu’en la matière, l’exception se conforme au principe.

Notes

  • [1]
    Jean Carbonnier, Instruction criminelle et liberté individuelle. Étude critique de la législation française, éd. de Boccard, 1939, p. 4.
  • [2]
    D’aucuns voient dans le principe du respect des droits de la défense l’un des principaux stabilisateurs ou balanciers de la procédure pénale (Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 3e éd., Economica, coll. Corpus Droit privé, 2013, n° 474, p. 341). Ces droits seront envisagés largement dans le cadre de la présente étude comme l’ensemble des garanties procédurales permettant à l’individu mis en cause de se défendre.
  • [3]
    Catherine Ginestet, « Les droits de la défense en procédure pénale », in Rémy Cabrillac (dir.), Libertés et droits fondamentaux, 21e éd., Dalloz, 2015, p. 649.
  • [4]
    Éliette Rubi-Cavagna, « L’extension des procédures dérogatoires », Rev. sc. crim. 2008, p. 23.
  • [5]
    V. par ex. Delphine Thomas-Taillandier, Contribution à l’étude des procédures pénales dérogatoires, PUAM, coll. Laboratoire de droit privé & de sciences criminelles, 2014, n° 14, p. 30.
  • [6]
    Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd., PUF, coll. Quadrige, 2011, V° « Dérogatoire ».
  • [7]
    Le Code de procédure pénale regorge de procédures dérogatoires au droit commun : on peut citer par exemple la procédure de flagrance au stade de l’enquête policière, les procédures de composition pénale et de transaction pénale au stade des poursuites ou encore les procédures sommaires de jugement (comparution immédiate, ordonnance pénale et comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). En dehors de ce Code, il existe par ailleurs des régimes dérogatoires pour les infractions commises en matière fiscale, douanière, maritime et de presse, ou encore par les mineurs, les militaires et les membres du Gouvernement. Pour une étude d’ensemble, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse, Procédure pénale de droit commun et procédures pénales spéciales, Université Montpellier 1, 2012, dactyl., 734 p.
  • [8]
    Raymond Gassin, « Considérations sur le but de la procédure pénale », in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire : Mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 119.
  • [9]
    La plupart des procédures d’exception opèrent par ailleurs des renvois à la procédure applicable à la criminalité organisée, en sorte qu’elles gravitent en réalité autour de cette « procédure dérogatoire commune » (Éliette Rubi-Cavagna, art. préc., p. 29-31).
  • [10]
    Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, Tome 1, 7e éd., Cujas, 1997, n° 128, p. 192.
  • [11]
    La notion de politique criminelle sera envisagée ici dans son acception la plus large, au sens où Mireille Delmas-Marty la définit comme « l’ensemble des procédés par lesquels le corps social organise les réponses au phénomène criminel » (Mireille Delmas-Marty, Modèles et mouvements de politique criminelle, Economica, 1983, p. 13).
  • [12]
    La loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 a substitué cette expression à celle de « politique d’action publique » qui figurait auparavant à l’article 30, alinéa 1er, du Code de procédure pénale. La politique pénale se distingue ainsi de la politique criminelle en ce qu’elle vise, plus précisément, « la stratégie de poursuite définie, au plus haut, par le garde des Sceaux chargé d’assurer l’exécution des orientations arrêtées par le Gouvernement et coordonnée localement par les parquets » (David Deroussin, « Politique criminelle et politique pénale », in Christian Bruschi et Xavier Moroz (dir.), Parquet et politique pénale depuis le XIXe siècle, Mission de recherche Droit et justice, 2001).
  • [13]
    L’article 30, alinéa 1er, du Code de procédure pénale dispose que « le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République ».
  • [14]
    Pour reprendre l’expression de Roger Merle et André Vitu (op. cit., n° 127, p. 191), qui fait elle-même écho à celle de Georges Ripert (Les forces créatrices du droit, 2e éd., LGDJ, 1955, 431 p.).
  • [15]
    Christine Lazerges, Introduction à la politique criminelle, L’Harmattan, 2000, p. 8.
  • [16]
    Le rôle politique joué par la Cour de cassation est accueilli diversement par la doctrine. Pour un regard critique, v. Emmanuel Dreyer, « La politique criminelle de la Cour de cassation, ou le moyen pour le juge suprême d’exister hors la loi », in Politique(s) criminelle(s). Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, Dalloz, 2014, p. 177.
  • [17]
    Pour un aperçu historique, nous renvoyons à notre thèse, op. cit., n° 123 et s.
  • [18]
    Que l’on songe aux dérives liées à l’emploi de la procédure extraordinaire sous l’Ancien Régime ou, plus près de nous, aux critiques émises à l’encontre de la procédure applicable aux crimes et délits contre la sûreté de l’État.
  • [19]
    En ce sens, v. Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, 10e éd., LexisNexis, 2014, n° 142, p. 165 ; Geneviève Giudicelli-Delage, « Justice pénale », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004, p. 784.
  • [20]
    Christine Lazerges, La politique criminelle, PUF, coll. Que sais-je ?, n° 2356, 1987, p. 59.
  • [21]
    Faustin Hélie, Traité de l’instruction criminelle, Bruylant-Christophe et compagnie, 1863, t. I, n° 8, p. 3. En ce sens, v. aussi René Garraud et Pierre Garraud, Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, Sirey, 1907-1929, vol. 1, n° 1, p. 5 ; Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer, op. cit., n° 925, p. 643.
  • [22]
    Sur la coexistence de ces objectifs et la relation « triangulaire » qu’ils entretiennent, v. Geneviève Giudicelli-Delage, « Conclusions », in Geneviève Giudicelli-Delage (dir.), Les transformations de l’administration de la preuve pénale. Perspectives comparées : Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France, Italie, Portugal, Royaume-Uni, SLC, UMR de droit comparé de Paris, vol. 12, 2006, spéc. p. 339.
  • [23]
    Jean Danet, « Le droit pénal et la procédure pénale sous le paradigme de l’insécurité, Arch. pol. crim., 2003, p. 38.
  • [24]
    Jean-Paul Jean, « De l’efficacité en droit pénal », in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire : Mélanges offerts à Jean Pradel, op. cit., p. 135.
  • [25]
    Maria Luisa Cesoni, « Paradigme de l’efficacité et désuétude des principes fondamentaux. Introduction générale », in Maria Luisa Cesoni (dir.), Nouvelles méthodes de lutte contre la criminalité : la normalisation de l’exception. Étude de droit comparé (Belgique, États-Unis, Italie, Pays-Bas, Allemagne, France), Bruylant, LGDJ, 2007, p. 5.
  • [26]
    Sur cette évolution, v. Julie Alix, Terrorisme et droit pénal. Étude critique des incriminations terroristes, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, vol. 91, 2010, spéc. n° 423-434, p. 339-349.
  • [27]
    Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, JORF n° 210, 10 sept. 1986, p. 10956.
  • [28]
    Yves Mayaud, « Terrorisme », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, op. cit., p. 1292.
  • [29]
    Jean Pradel, « Les infractions de terrorisme, un nouvel exemple de l’éclatement du droit pénal », D., 1987, chron. IX, p. 41.
  • [30]
    La procédure suivie à l’égard de ces infractions permettait notamment au ministère public près la Cour de sûreté de l’État de porter à dix jours la durée maximale de la garde à vue et de procéder à des perquisitions de nuit.
  • [31]
    En témoigne la proximité des formules utilisées pour définir le champ d’application de ces deux procédures. Tandis que la procédure relative aux crimes et délits commis en temps de paix contre la sûreté de l’État pouvait s’appliquer à un certain nombre d’infractions à partir du moment où elles étaient « en relation avec une entreprise individuelle ou collective consistant ou tendant à substituer une autorité illégale à l’autorité de l’État » (anc. art. 698, al. 2, CPP), la procédure applicable au terrorisme a été associée à une liste d’infractions « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (anc. art. 706-16, al. 1er, CPP).
  • [32]
    Sur l’emploi de ce terme et la rhétorique guerrière dans la lutte contre le terrorisme, v. not. Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Hachette, 2005, p. 164 et s. ; Mireille Delmas-Marty, « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », Rev. sc. crim., 2007, p. 461.
  • [33]
    Ainsi en a-t-il été avec l’allongement du délai de prescription de l’action publique des crimes et délits terroristes par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 et l’admission des perquisitions nocturnes par la loi n° 96-647 du 22 juillet 1996.
  • [34]
    Reynald Ottenhof, « Le droit pénal français à l’épreuve du terrorisme », Rev. sc. crim., 1987, p. 618.
  • [35]
    Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF n° 59, 10 mars 2004, p. 4567.
  • [36]
    Projet de loi n° 784 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, AN, 9 avr. 2003, p. 4.
  • [37]
    Pour une étude des manifestations de la criminalité organisée en France, v. not. Gilles Aubry, « Panorama des organisations criminelles et de la criminalité organisée », in Jean Pradel et Jacques Dallest (dir.), La criminalité organisée. Droit français, droit international et droit comparé, LexisNexis, coll. Droit & professionnels, 2012, p. 35-55.
  • [38]
    Étienne Vergès, Procédure pénale, 3e éd., LexisNexis, coll. Objectif droit, 2011, n° 411, p. 253.
  • [39]
    Éliette Rubi-Cavagna, art. préc., p. 31.
  • [40]
    Catherine Ginestet, op. cit., n° 813, p. 664.
  • [41]
    Cela vaut aussi bien pour les individus majeurs que pour les mineurs âgés de plus de seize ans. La durée totale de la garde à vue peut même atteindre six jours en présence d’un acte de terrorisme reproché à un majeur. L’intervention de l’avocat peut quant à elle être repoussée pendant une durée maximale de soixante-douze heures en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants (art. 706-88, al. 6, et 706-88-1 CPP).
  • [42]
    Catherine Ginestet, op. cit., n° 815, p. 665.
  • [43]
    Cela concerne l’intervention de l’avocat en garde à vue, que ce soit pour l’entretien de trente minutes avec la personne suspectée, pour l’assistance aux auditions et confrontations ou encore pour l’accès du défenseur – ou de l’intéressé désormais – à certaines pièces du dossier.
  • [44]
    Dans un avis récent, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme rappelait à juste titre que « plus l’infraction est grave, plus la protection du suspect présumé innocent s’impose » et réitérait en conséquence « sa ferme opposition au maintien de tels régimes dérogatoires, dont la constitutionnalité est au demeurant discutable » (CNCDH, 29 avril 2014, Avis sur la refondation de l’enquête pénale, JORF n° 108, 10 mai 2014, texte n° 84, spéc. § 46).
  • [45]
    Christine Lazerges, La politique criminelle, op. cit., p. 54.
  • [46]
    Ibid., p. 33.
  • [47]
    Catherine Marie, « La montée en puissance de l’enquête », AJ pénal, 2004, p. 221.
  • [48]
    Christine Lazerges, « Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits fondamentaux », in Les droits et le droit : Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2006, p. 573.
  • [49]
    Jean Pradel, « Vers un “aggiornamento” des réponses de la procédure pénale à la criminalité. Apports de la loi 2004-204 du 9 mars 2004 dite Perben II. Seconde partie », JCP G, 2004, I, 134, p. 882.
  • [50]
    Une définition avait pourtant été proposée par la Convention internationale de Palerme contre la criminalité transnationale organisée (Résolution 55/25 sur la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, New York, Assemblée générale des Nations Unies, 15 nov. 2000). Aux termes de l’article 2 de cette convention, dont la ratification a été autorisée par le Parlement en 2002, l’expression « groupe criminel organisé » désigne « un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».
  • [51]
    Le dernier ajout en date provient de la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 avec les délits de travail dissimulé (art. 706-73, 20°, CPP).
  • [52]
    Depuis 2007 se sont ainsi ajoutées pas moins de huit infractions ou familles d’infractions (v. les articles 628-8, 628-10, 706-1, 706-1-1, 706-1-2 et 706-72 CPP).
  • [53]
    C’est par exemple le cas des délits de corruption et de trafic d’influence, des délits de fraude fiscale aggravée et de certains délits douaniers visés à l’article 706-1-1 du Code de procédure pénale, mais aussi des délits d’abus de biens sociaux visés à l’article 706-1-2.
  • [54]
    Si la liste principale prévue à l’article 706-73 permet l’application la plus large des techniques spéciales d’investigation, la plupart des dispositions disséminées dans le reste du livre quatrième excluent l’application des règles dérogatoires relatives à la garde à vue ou aux perquisitions.
  • [55]
    La présence des infractions de vol et d’aide au séjour irrégulier au sein de la liste prévue par l’article 706-73 du Code de procédure pénale a été admise à condition, pour la première, qu’il existe des éléments de gravité suffisants pour justifier l’application des mesures dérogatoires et, pour la seconde, qu’elle ne concerne pas les organismes humanitaires d’aide aux étrangers et soit appréciée à l’aune du principe selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre (Cons. const., 2 mars 2004, déc. n° 2004-492 DC, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, consid. 17-19 ; Rec., p. 66 ; JORF, 10 mars 2004, p. 4637).
  • [56]
    Denis Salas, op. cit., p. 172.
  • [57]
    Jacques-Henri Robert, « La politique pénale : ressorts et évolution », Pouvoirs, 2009, n° 128, p. 105.
  • [58]
    Sur ce point, v. Jean-Marie Brigant, « Faits divers & droit pénal », in Politique(s) criminelle(s). Mélanges en l’honneur de Christine Lazerges, op. cit., spéc. p. 125-128 où l’auteur procède à un recensement saisissant des manifestations de la « fait-diverisation » du droit pénal.
  • [59]
    Guy Carcassonne, « Penser la loi », Pouvoirs, 2005, n° 114, p. 40.
  • [60]
    Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF n° 171, 24 juill. 2008, p. 11890.
  • [61]
    On peut citer, par exemple, la loi du 22 juillet 1996 tendant à renforcer la répression du terrorisme.
  • [62]
    Christine Lazerges, « La tentation du bilan 2002-2009 : une politique criminelle du risque au gré des vents », Rev. sc. crim., 2009, p. 689.
  • [63]
    Pour reprendre l’expression employée par Guy Carcassonne dans une interview accordée au journal Le Monde (http://www.lemonde.fr/politique/article/2009/03/04/assemblee-le-gouvernement-abuse-t-il-de-la-procedure-d-urgence_1163251_823448.html#QxfFRBW4jUCmiTH5.99)
  • [64]
    En 1981, Marc Ancel déplorait déjà que « souvent – trop souvent même – la loi, imposée par des considérations urgentes, est improvisée et ne s’embarrasse pas de recherches préalables : il s’agit de donner une satisfaction immédiate à l’opinion publique – ou à une partie, parfois mal informée d’ailleurs, de cette opinion publique – et l’on édicte à la hâte de nouvelles mesures répressives […] Il en va tout autrement de la réforme soigneusement délibérée et méthodiquement préparée » (Marc Ancel, « Observations sur la philosophie moderne de la justice criminelle », RID pén., 1982, vol. 53, p. 590).
  • [65]
    Jacqueline Domenach, « Entretien avec Mme Christine Lazerges, Présidente de la Commission Nationale Consultative des droits de l’homme (CNCDH) et M. Hervé Henrion-Stoffel, magistrat, conseiller juridique à la CNCDH », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 2014, n° 6, URL : http://revdh.revues.org/1023
  • [66]
    Denis Salas, op. cit., p. 12.
  • [67]
    Reynald Ottenhof, art. préc., p. 608.
  • [68]
    Guy Canivet, « Qui inspire les réformes pénales ? Propos introductifs », in Cour de cassation, La procédure pénale en quête de cohérence, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2007, p. 62.
  • [69]
    V. en ce sens les propos univoques d’Alain Marsaud, rapporteur du projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme – qui devint par la suite loi n° 96-647 du 22 juillet 1996 –, lors de l’ouverture des discussions à l’Assemblée nationale : « nous sommes aujourd’hui réunis pour réaffirmer notre conviction que la justice et le droit constituent notre meilleur rempart contre le terrorisme, mais l’efficacité du droit exige un souci constant d’adaptation et d’évolution des moyens juridiques mis à la disposition de la justice et de la police pour enrayer ce phénomène. Quelle serait d’ailleurs la force du droit s’il ne devait jamais s’adapter aux nouveaux moyens dont usent les terroristes ? » (JO AN, CR, 2e séance du 20 déc. 1995, p. 19).
  • [70]
    V. not. les déclarations de François Molins, alors Directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces, à propos de la procédure applicable à la criminalité organisée créée par la loi du 9 mars 2004 : « De la nécessité de lutter plus activement contre les nouvelles formes de criminalité », AJ pénal, 2004, spéc. p. 177-178.
  • [71]
    JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1986, p. 2414.
  • [72]
    Denis Salas, op. cit., p. 14.
  • [73]
    JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1986, p. 2418.
  • [74]
    Ibid. De façon analogue concernant un autre projet de loi antiterroriste porté en 2006, le ministre de l’Intérieur rappela, lors de son audition devant la commission parlementaire, que la Grande-Bretagne, présentée comme le berceau de la démocratie, accordait aux autorités de police un délai de quatorze jours et qu’elle envisageait de le porter à vingt-huit (Philippe Chrestia, « La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Premières observations », D., 2006, p. 1409).
  • [75]
    Projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Étude d’impact, NOR : IN TX1414166L/Bleue-1, 8 juill. 2014, p. 5.
  • [76]
    Ibid., p. 12. Tel était déjà le parti pris en 1986, lors de la discussion au Parlement du projet de loi à l’origine de la procédure applicable au terrorisme (JO AN, CR, 2e séance du 24 juin 1966, p. 2414).
  • [77]
    Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les projets de loi doivent être accompagnés d’une étude d’impact au moment de leur dépôt.
  • [78]
    Cela n’est pas pour surprendre quand on sait que, « concrètement, l’opportunité du texte est préalablement acquise lorsque s’engagent les investigations nécessaires à la réalisation de l’étude d’impact », de sorte que « le mécanisme de l’étude d’impact tend davantage à légitimer l’action gouvernementale qu’à s’élever en baromètre qualitatif des choix publics » (Sophie Hutier, « Retours sur un moyen récurrent : les malfaçons de l’étude d’impact dans les projets de loi », RFD Const., 2015, n° 101, p. 74).
  • [79]
    Denis Salas, op. cit., p. 173.
  • [80]
    En ce sens, Reynald Ottenhof, art préc., p. 619. On trouve des signes inquiétants d’un reflux des règles de la procédure pénale au profit d’une procédure « para-pénale » avec le projet de loi sur le renseignement actuellement en discussion au Parlement.
  • [81]
    Seront ici visés la CEDH et les institutions de l’UE sur le plan européen et le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sur le plan national
  • [82]
    CEDH, 13 mai 1980, Artico c. Italie, req. n° 6694/74, § 33 ; Série A, n° 37. Pour des applications au droit français, v. CEDH, 2e sect., Makhfi c. France, 19 oct. 2004, req. n° 59335/00, § 32 ; CEDH, 5e sect., Faikalo (Safora) et autres c. France, 2 oct. 2014, req. n° 2871/11, § 49.
  • [83]
    CEDH, 26 mai 1993, Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, req. nos 14553/89 et 14554/89, § 43 ; Série A, n° 258-B.
  • [84]
    Sur le contrôle de cette double exigence, v. Delphine Thomas-Taillandier, op. cit., n° 102 et s.
  • [85]
    CEDH, gr. ch., 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, req. n° 18731/91, § 47 ; Rec. 1996-I.
  • [86]
    CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02, spéc. § 55.
  • [87]
    CEDH, 2e sect., 13 oct. 2009, Dayanan c. Turquie, req. n° 7377/03, § 33-34.
  • [88]
    Depuis, elle n’hésite pas à rappeler la force de ce principe : v. not. CEDH, 2e sect., 28 août 2012, Simons c. Belgique (déc.), req. n° 71407/10, § 31 ; CEDH, 5e sect., 9 avr. 2015, A.T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13, § 65.
  • [89]
    V. not. CEDH, 5e sect., 14 oct. 2010, Brusco c. France, req. n° 1466/07, § 44-55.
  • [90]
    Afin de satisfaire aux exigences de la Cour de Strasbourg, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 (JORF, 15 avr. 2011, p. 6610) a prévu que l’intervention de l’avocat ne pourrait désormais être différée qu’en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le recueil ou la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes (art. 706-88, al. 6, CPP).
  • [91]
    Pour une présentation, v. Stephano Manacorda, « Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté, sécurité et justice ? », Rev. sc. crim., 2010, p. 945.
  • [92]
    Art. 4, j), T. FUE.
  • [93]
    Art. 82, § 2 T. FUE.
  • [94]
    La directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 280, 26 oct. 2010), la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 142, 1er juin 2012) et la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 portant, notamment, sur le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 294, 6 nov. 2013).
  • [95]
    Sur le contenu de ces directives, v. Étienne Vergès, « Émergence européenne d’un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique », Rev. sc. crim., 2012, p. 635.
  • [96]
    Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, JORF n° 123, 28 mai 2014, p. 8864.
  • [97]
    Pour une analyse du contenu de cette loi, nous renvoyons à notre commentaire, « Le statut du suspect à l’ère de l’européanisation de la procédure pénale : entre “petite” et “grande” révolutions », Rev. sc. crim., 2015, p. 127.
  • [98]
    V. par ex. Cons. const., 20 janv. 1981, déc. n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, consid. 62 ; Rec., p. 15 ; JORF, 22 janv. 1981, p. 308.
  • [99]
    Au sens où il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, pourvu que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense (v. par ex. Cons. const., 3 sept. 1986, déc. n° 86-213 DC, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État, consid. 12 et 23 ; Rec., p. 122 ; JORF, 5 sept. 1986, p. 10786).
  • [100]
    Les droits de la défense étaient notamment concernés à travers la référence faite à l’article 16 de la Constitution.
  • [101]
    Cons. const., 2 mars 2004, déc. préc., consid. 6.
  • [102]
    Ibid., consid. 16 et 19.
  • [103]
    Cf. infra, II/B.
  • [104]
    Sur ce point, v. Julie Alix, op. cit., n° 441, p. 354.
  • [105]
    Cons. const., 30 juill. 2010, déc. n° 2010-14/22 QPC, M. Daniel W. et autres, consid. 14-29 ; Rec., p. 179 ; JORF, 21 juill. 2010, p. 14198.
  • [106]
    Ibid., consid. 13 ; Cons. const., 22 sept. 2010, déc. n° 2010-31 QPC, M. Bulent A. et autres, consid. 4 ; Rec., p. 237 ; JORF, 23 sept. 2010, p. 17291.
  • [107]
    Cons. const., 21 nov. 2014, déc. n° 2014-428 QPC, M. Nadav B., consid. 9 ; JORF n° 271, 23 nov. 2014, p. 19675.
  • [108]
    Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82.902 et 10-85.051 ; Bull. crim. nos 164 et 165.
  • [109]
    Cons. const., 30 juill. 2010, déc. préc., consid. 30.
  • [110]
    Olivier Bachelet, « L’inconventionnalité de la garde à vue : le quai de l’Horloge frappé par le “syndrome du lac” », Note sous Cass. crim., 19 oct. 2010, nos 10-82.306, 10-82.902 et 10-85.051, Gaz. Pal., 26 oct. 2010, p. 15.
  • [111]
    Cass. ass. plén., 15 avr. 2011, nos 10-17.049, 10-30.242, 10-30.313 et 10-30.316 ; Bull. ass. plén. nos 1, 2, 3 et 4.
  • [112]
    Cass. crim., 31 mai 2011, nos 11-80.034, 10-88.293, 10-88.809 et 11-81.412 ; Bull. crim. nos 113, 114, 115 et 116.
  • [113]
    Olivier Bachelet, « Garde à vue et avocat : la nullité n’est plus celle que l’on croit », Note sous Cass. crim., 7 févr. 2012, n° 11-83.676, Gaz. Pal., 21 févr. 2012, p. 17 ; ibid., « La peau de chagrin des nullités », Note sous Cass. crim., 14 févr. 2012, n° 11-84.694, Gaz. Pal., 6 mars 2012, p. 17.
  • [114]
    Mireille Delmas-Marty, « Légalité et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », Droit pénal contemporain. Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, 1989, p. 151.
  • [115]
    CEDH, 7 juill. 1989, Soering c. Royaume-Uni, req. n° 14038/88, § 88 ; Série A, n° 161.
  • [116]
    Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, coll. La Couleur des idées, 2010, p. 162.
  • [117]
    CEDH, gr. ch., 27 sept. 1995, McCann et autres c. Royaume-Uni, req. n° 18984/91, § 147-150 ; Série A, n° 324. En dehors du cas de décès résultant d’actes licites de guerre, l’article 15 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme, de son côté, le caractère « indérogeable » du droit à la vie.
  • [118]
    V. not. CEDH, 28 oct. 1998, Assenov et autres c. Bulgarie, req. n° 24760/94, § 93 ; Rec. 1998-VIII ; CEDH, gr. ch., 28 juill. 1999, Selmouni c. France, req. n° 25803/94, § 95 ; Rec. 1999-V ; CEDH, gr. ch., 4 juill. 2006, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00, § 115-116 ; Rec. 2006-IX.
  • [119]
    Tel est le cas de l’article 5 relatif au droit à la liberté à la sûreté, dont la liste d’exceptions revêt, pour la Cour de Strasbourg, un caractère exhaustif (v. not. CEDH, 22 mars 1995, Quinn c. France, req. n° 18580/91 ; § 42 ; Série A, n° 311).
  • [120]
    Il s’agit, en l’occurrence, des articles 8 à 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.
  • [121]
    La Cour a notamment consacré le droit à l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police à partir de l’interprétation combinée des articles 6 § 1 et 6 § 3, c) de la convention (CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, préc., § 63-70).
  • [122]
    Pour des illustrations du contrôle exercé par la CEDH sur les restrictions apportées aux droits relatifs en matière de lutte contre le terrorisme, v. Julie Alix, op. cit., n° 452, p. 362 et n° 455, p. 365-368.
  • [123]
    CEDH, 8 févr. 1996, John Murray c. Royaume-Uni, préc., § 47.
  • [124]
    Pour reprendre l’expression employée par Xavier Pin, « Politique criminelle et frontières du droit pénal : enjeux et perspectives », Rev. pénit., 2011, p. 87.
  • [125]
    En ce sens, v. Mireille Delmas-Marty, « Légalité et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales », art. préc., spéc. p. 157-158 ; Michel Danti-Juan, « Les adaptations de la procédure », Rev. pénit., 2003, p. 732.
  • [126]
    CEDH, 4e sect., 16 déc. 2014, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, req. nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, § 191.
  • [127]
    Ibid., § 206.
  • [128]
    Ibid., § 211.
  • [129]
    Ibid., § 213.
  • [130]
    V. les propos de Christine Lazerges dans l’entretien accordé à Jacqueline Domenach, art. préc.
  • [131]
    Christine Lazerges, « Le rôle du Conseil constitutionnel en matière de politique criminelle », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2009, p. 34.
  • [132]
    Cons. const., 4 déc. 2013, déc. n° 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, consid. 71-77 ; Rec., p. 1060 ; JORF, 7 déc. 2013, p. 19958.
  • [133]
    Cons. const., 9 oct. 2014, déc. n° 2014-420/421 QPC, M. Maurice L. et autre, JORF, 12 oct. 2014, p. 16578.
  • [134]
    Cons. const., 4 déc. 2013, préc., consid. 77 ; Cons. const., 9 oct. 2014, préc., consid. 13.
  • [135]
    Qu’il nous soit permis de renvoyer, là aussi, à notre commentaire de la décision : « “Retour vers le futur”, ou le remake inopportun d’une trilogie opéré par le Conseil constitutionnel dans l’approche des règles procédurales spécifiques à la criminalité organisée », Note sous Cons. const., 9 oct. 2014, déc. n° 2014-420/421 QPC, Revue des droits de l’homme (RevDH)/ADL, 30 oct. 2014, URL : http://revdh.revues.org/908
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