Notes
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[1]
Avertissement : nous traduisons ici deux tapuscrits conservés aux Theodor W. Adorno Archiv sous les cotes TWAA Vt_017 et TWAA Vt_018. Nous n’avons signalé ni les corrections mineures qui apparaissent sur le document d’archive ni celles que nous lui avons apportées. Les chiffres entre crochets renvoient à la pagination originale dans TWAA Vt_017 (première conférence) et TWAA Vt_018 (deuxième conférence).
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[2]
Sigmund Freud, présenté par lui-même, Paris, Gallimard, 1987.
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[3]
Arthur Schopenhauer, Parerga et paralipomena. Petits écrits philosophiques, trad. J.-P. Jackson T. II, chap. XXXI, § 396, Coda, 2012, p. 979-980.
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[4]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Psychologie collective et analyse du moi, trad. Jankélévitch (1921), Paris, Payot, 1968. https://psychaanalyse.com/pdf/Psycho_collective_analyse_moi_freud_livre_telechargement.pdf [consulté le 29.11.2022]
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[5]
Group Psychology and the Analysis of the Ego, [désormais Strachey] trad. James Strachey, The International Psycho-analytical Library, ed. Ernest Jones, n° 6, Londres, 1922, p. 39-40.
Les passages en couleur correspondent, en bleu, aux annotations manuscrites de Theodor W. Adorno ; en orange, aux annotations manuscrites de Gretel Adorno ; les textes barrés le sont dans l’original. -
[6]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Psychologie collective et analyse du moi, op. cit.
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[7]
Strachey, p. 42-43.
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[8]
Strachey, p. 45-46.
-
[9]
Strachey, p. 46-47.
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[10]
Strachey, p. 87.
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[11]
Strachey, p. 60.
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[12]
Strachey, p. 61-62.
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[13]
Strachey, p. 65-66.
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[14]
Strachey, p. 79-80.
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[15]
Strachey, p. 99-100.
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[16]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Totem et Tabou (1912), trad. Jankélévitch (1923), Paris, Payot, 1988. URL : https://www.anthropomada.com/bibliotheque/Sigmund-FREUD.pdf [consulté le 21.09.2021]
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[17]
Strachey, p. 92-93.
-
[18]
Strachey, p. 99-100 ; p. 102.
-
[19]
Adorno cite le texte anglais dans l’édition suivante : Freud, Totem and Taboo, [désormais Brill] trad. Abraham Arden Brill, Londres, George Routledge & sons, 1919, p. 29.
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[20]
Brill, p. 39.
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[21]
Brill, p. 37-38.
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[22]
Brill, p. 45.
-
[23]
Brill, p. 45.
-
[24]
Brill, p. 46.
-
[25]
Brill, p. 46.
-
[26]
Brill, p. 58-59.
-
[27]
Brill, p. 84.
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[28]
Brill, p. 85-86. N.d.T. : le mot qui suit est illisible.
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[29]
Brill, p. 103-104.
-
[30]
Brill, p. 123-124.
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[31]
Brill, p. 149-150.
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[32]
Brill, p. 177.
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[33]
Brill, p. 218-219.
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[34]
Brill, p. 219-220.
[1] 1re conférence. 22/05/48
1 Je dois avouer que je suis quelque peu gêné car il est pratiquement impossible de traiter entièrement le sujet donné en deux conférences. Ce que je peux faire, c’est vous donner une idée de l’importance des écrits de Freud pertinents pour notre sujet. La conférence d’aujourd’hui sera consacrée à un certain nombre de remarques générales à propos des thèses qui sont à la base de la sociologie freudienne.
2 Si je souhaite m’attarder sur ces écrits, ce n’est pas seulement pour vous en donner un aperçu complet, ce qui serait, à vrai dire, très tentant ; compte tenu du temps restreint dont nous disposons, une telle entreprise ne serait pas justifiée. Cependant, nous croyons que les écrits sociologiques de Freud font partie intégrante de son œuvre et sont essentiels afin de comprendre véritablement ce qu’il avait en tête. Il y a à cela deux raisons. La première est que Freud concevait la psychanalyse en termes de philosophie. Il est vrai que, par la suite, il s’en est un peu moqué, et je ne cherche nullement à faire de Freud un philosophe coûte que coûte. Lui-même se considérait avant tout comme un scientifique. Je crois néanmoins qu’il doit être considéré comme un philosophe, mais pas au sens superficiel de quelqu’un qui philosopherait à ses heures perdues. Ce qui fait de Freud un philosophe, c’est plutôt autre chose : son universalité. Il a affirmé à plusieurs reprises, notamment dans sa Selbstdarstellung [2], qu’il n’aimait pas la profession médicale. Son intérêt le poussait toujours à mieux comprendre les choses [2], à regarder ce qu’il y a derrière, plutôt qu’à simplement s’enquérir des mesures thérapeutiques. Cette idée, me semble-t-il, implique que la thérapie psychanalytique ne peut être comprise comme une simple branche des sciences médicales, mais doit plutôt être considérée comme un champ à part de la recherche en psychologie. Laissez-moi vous démontrer cela à l’aide d’un exemple spécifique. La méthode de base de Freud consiste à interpréter des phénomènes culturels dans le cadre du développement de la personnalité individuelle. C’est aussi vrai dans le sens inverse. On ne comprend pleinement la thérapie freudienne qu’en la situant dans sa théorie de la culture : l’idée première est qu’une certaine forme de conscience de soi psychologique est corrélée aux méthodes thérapeutiques.
3 Par ailleurs – et ceci sera mon deuxième point –, une autre raison importante incite à approfondir notre connaissance des écrits sociologiques de Freud. Aujourd’hui, des courants importants tentent d’introduire des concepts sociologiques en psychanalyse (voir les écrits de Fromm, Horney, Alexander et French). Si Freud a également traité de questions sociologiques, son rapport premier à la sociologie différait de celui des personnes précédemment citées et que je nommerai ici les révisionnistes. Ces derniers ont ajouté des dimensions sociologiques aux facteurs psychologiques à proprement parler. Ils les ont ajoutées en tant que dimensions extra-libidinales. Ce n’est pas ce qu’a fait Freud. Ses écrits portent entièrement et strictement sur la théorie de la libido, et leur concept central est une théorie du complexe de la libido. Si Freud est parvenu à appréhender et expliquer des phénomènes sociologiques, culturels et psychologiques en leur appliquant les mêmes concepts de base, alors il est inutile de faire appel à l’élément sociologique comme à quelque chose d’extérieur. Il n’a pas négligé l’importance de la société dans le développement [3] de l’individu ; il ne considère ni l’individu ni la société comme donnés : il ne fabrique aucune sorte d’influence extérieure de la société sur l’individu.
4 Tout d’abord, laissez-moi vous exposer ma thèse selon laquelle Freud était un philosophe. J’aimerais présenter ici quatre points essentiels.
5 (1) Il faut savoir que Freud ne peut être compris comme sorti de nulle part. Il s’inscrit pleinement dans la tradition la plus large et la plus influente de la pensée occidentale. Il est l’un des derniers et meilleurs représentants des penseurs des Lumières. Les motivations de la psychanalyse concordent avec l’élan premier des Lumières européennes : l’émancipation des êtres humains vis-à-vis de toute forme d’asservissement, interne ou externe. Freud a tenté de briser les chaînes par lesquelles les pouvoirs répressifs les plus divers tenaient l’esprit humain prisonnier. Il a découvert que la répression sociale se poursuit à l’intérieur de l’individu lui-même. En un sens, la lutte de Freud est une lutte contre des époques passées survivant dans l’individu après qu’elles ont plus ou moins disparu dans le monde extérieur. Il a montré que l’oppression externe et la répression interne qui occupent la pensée sont dans une sorte d’interaction permanente. Le surmoi se forme originairement sur la base de l’image du père. Il s’agit d’un père intériorisé. Par conséquent, le surmoi vient d’une répression externe antérieure. Ces traits propres à une domination étrangère au moi sur le moi, domination par des forces qui ne sont pas conscientes, continuent d’en appeler à une domination extérieure. Selon Freud, on ne peut séparer la répression psychologique interne et externe ; au contraire, il faut les faire découler d’une même source. Ce qui relie tout particulièrement Freud aux penseurs des Lumières du xviiie siècle, c’est qu’il lutte en permanence contre la religion. De façon générale, il tend à expliquer les phénomènes religieux en termes de répression psychologique. Peut-être allez-vous objecter que tout cela appartient à une époque révolue ; [4] j’affirmerais toutefois que Freud, là encore, a prouvé qu’il était un grand penseur, dans ce domaine comme dans d’autres. Nous avons toutes les raisons de croire que ces vestiges des temps anciens ne sont pas simplement des restes inoffensifs, conservés du passé : le fait de ne plus y croire ne les rend pas moins dangereux. Je prendrais seulement ici l’exemple de la chasse aux sorcières. La période de la chasse aux sorcières a précisément coïncidé avec celle durant laquelle la religion catholique traditionnelle perdait son emprise sur le peuple. Si vous croyez que, de nos jours, la religion n’est plus une question pressante, j’aimerais vous rappeler ici qu’on ne peut dissocier la persécution des juifs par les nazis de l’idée de la communauté chrétienne – de l’endogroupe pour ainsi dire –, laquelle avait perdu de sa force. (Voir le Moïse de Freud : le problème fondamental des restes de la religion à notre époque). Chez Freud, la force originelle des Lumières comme outil au service de la liberté humaine avait encore toute sa vigueur ; il considérait les Lumières comme une affaire sérieuse, quelque chose à réaliser !
6 (2) La méthode de base de Freud consiste à ramener les superstitions, symptômes et névroses au sujet. C’est ce qu’ont fait tous les grands penseurs des Lumières : retracer tout ce qui a eu une emprise sur l’humain jusqu’à l’humain lui-même ; établir que ces choses sont produites par lui, façonnées par sa propre main ; si l’être humain s’en rendait compte, elles perdraient alors leur emprise sur lui. La théorie freudienne selon laquelle il faut considérer Dieu comme une image du père – théorie qui rejoint tout à fait la tradition des penseurs des Lumières du xviiie siècle – livre le meilleur exemple de cette opération qui consiste à traduire une image objective en processus humains subjectifs.
7 (3) Mon troisième point concerne la spécificité de Freud. Pour comprendre réellement ce que celui-ci a accompli en tant que penseur des Lumières, il faut déterminer le plus clairement possible dans quelle mesure il se démarque de leur tradition. Laissez-moi formuler une réponse sous forme de slogan : Freud, lui, n’a pas dissous la simple apparence d’objectivité [5] des images, il a mis au jour la nécessité de ces apparences. Il ne dit pas : Dieu est une image de mon père, il n’a pas d’existence objective. Au contraire, il souligne que ces apparences sont nécessaires : il explique pourquoi de telles images se sont formées et aussi qu’elles ne sont nullement fortuites. Il a tenté de montrer que toutes ces idées sont nées d’une nécessité profonde et n’a cessé d’évoquer la vérité inhérente à la religion. Mais en parlant de celle-ci, il faisait référence à une vérité d’un autre genre : un noyau d’expérience, de nécessité psychologique dont ces idées sont issues. C’est pour cela qu’un certain nombre d’idées religieuses survivent encore et continuent d’exercer sur certaines personnes une emprise considérable. Freud a cherché à montrer sur quelles puissantes sources émotionnelles elles s’appuient et pourquoi l’humanité ne peut s’en passer. Concernant la nécessité de ces idées, il se rattache à une tradition complètement différente : celle de Hegel – qui montre lui aussi la vérité dans la non-vérité – et celle de Marx – la conscience nécessairement fausse. Je n’ai pas l’intention d’affirmer que Freud a été influencé par ces deux penseurs ; en revanche, tous trois s’inscrivent sur ce point précis dans la même tradition. Freud a tâché d’étendre la loi de la rationalité au domaine de l’irrationalité proprement dite. Il voulait réhabiliter la nature évidente du ça, en réaction à sa disparition dans le règne de l’irrationnel. Freud a toujours pris parti pour le rationnel, mais il a mobilisé les forces de l’irrationnel et les a suivies jusqu’à ce qu’elles deviennent manifestes et « rationnelles ». C’est en cela que consiste la lutte du moi contre le ça refoulé, et Freud croyait qu’en dernière instance, le ça coïnciderait avec la rationalité.
8 Aux temps héroïques de la psychanalyse, le concept de surmoi était employé d’une manière extrêmement critique. Ferenczi est même allé jusqu’à prendre position pour la dissolution du surmoi grâce à l’éclairage de la psychanalyse. [6] Cette position a depuis été complètement revue.
9 Pour résumer ce point, je dirais que la nécessité de l’irrationnel constitue le noyau de la théorie de Freud. C’est un homme des Lumières, mais pas un rationaliste.
10 (4) Là encore, Freud s’inscrit dans le sillage des grands penseurs des Lumières : ceux qui soulignent l’importance de l’obscur, du mal, du négatif. Freud s’opposait aux concepts du socialisme, parce qu’il lui semblait que ceux-ci ne prenaient pas le mal suffisamment au sérieux. Il ne se positionnait pas comme réactionnaire, mais comme chercheur en sciences sociales (c’est aussi ce qu’il défend en s’opposant à la Science chrétienne).
11 (Faire référence à des penseurs de l’obscur qui avaient beaucoup en commun avec Freud : Hobbes, et Darwin pour faire le lien.) Hobbes posait deux instincts de base : l’appétit du pouvoir et le principe d’évitement de la mort. Vous retrouverez cette dichotomie presque à l’identique dans celle, freudienne, des pulsions partielles. Hobbes affirmait : « Pour se développer, la philosophie doit être libre, elle ne doit être contrainte ni par la peur ni par la honte. » Freud en ferait pour ainsi dire une devise.
12 Faire référence au marquis de Sade, à Schopenhauer, à Nietzsche.
13 Toute cette tradition remonte en fait à l’école stoïcienne.
14 Freud est en parfait accord avec eux. Son humeur philosophique est très pessimiste, avec un brin de mépris pour la nature humaine. (Citation de Schopenhauer) Le milieu du chemin : exemple des porcs-épics : être proches les uns des autres sans se faire de mal !
Par une froide journée d’hiver, quelques porcs-épics se serraient étroitement les uns contre les autres, de façon que leur chaleur mutuelle les protège du gel. Mais ils ressentirent bientôt l’effet de leurs piquants les uns sur les autres, ce qui les fit s’écarter. Quand le besoin de se réchauffer les eut à nouveau rapprochéśs, le même désagrément se répéta, si bien qu’ils se trouvèrent ballottés entre deux maux jusqu’à ce qu’ils aient trouvé la distance convenable à laquelle ils pouvaient le mieux se tolérer [3].
16 Nous arrivons maintenant à la théorie sociale freudienne proprement dite. Elle se divise en deux parties principales.
17 (1) L’application de la psychanalyse aux problèmes sociaux du monde moderne. [7]
Littérature de référence :
(a) La guerre et la mort ;
(b) Psychologie des foules (masse) et analyse du moi (ça) ;
(c) Malaise dans la civilisation ;
(d) Origine et développement de la religion ;
(e) Totem et tabou ;
(f) Moïse.
19 Il existe aussi un grand nombre d’essais plus courts, par exemple à propos de l’inquiétante étrangeté : thèse selon laquelle l’inquiétante étrangeté est en réalité ce qui est ou a été le plus proche de nous.
20 Il est impossible d’aborder tous ces écrits en détail et d’en développer ici le contenu théorique. Par conséquent, au lieu de les étudier les uns après les autres, je propose de simplement dégager le thème général de la sociologie de Freud. Tout d’abord, il n’existe d’elle aucune présentation générale actuellement, et je ne peux vous donner qu’une idée extrêmement vague des thèses de base. Chaque thèse prise individuellement est nécessairement incomplète et sujette à correction. On ne peut pas non plus dire que la sociologie freudienne forme un système. Cependant, Freud est en cela comparable à Nietzsche. Chez Nietzsche aussi, le système reste implicite, c’est-à-dire que ses théories forment un tout dont le but est d’expliquer notre culture dans sa totalité. Cela s’applique aussi à Freud (par exemple Moïse).
21 (1) Freud a insisté sur le fait qu’il n’existe pas, au fond, de rupture entre psychologie individuelle et déterminismes sociaux. La psychologie sociale de Freud s’est montrée très libérale vis-à-vis des instincts. Il a soutenu que la pluralité des instincts sociaux n’était pas tenable. La psychologie individuelle doit nous faire comprendre les dynamiques individuelles. Freud remplace l’idée générale d’un instinct social par le concept de base de la libido, et soutient que la nature de ce que l’on appelle l’instinct social est en dernière instance sexuelle, ce qui implique la destruction de l’instinct éthique. [8]
22 (2) La structure du développement de l’individu et celle de la société sont identiques : l’individu répète l’histoire sociale. En utilisant correctement certaines découvertes relatives aux névroses, on comprend mieux des aspects encore méconnus dans les développements sociaux. Même si la méthode consiste à faire des inférences depuis la psychologie sociale individuelle, il est également possible de renverser le processus. Thèse de l’atemporalité de l’inconscient. Dans ses écrits sociologiques, on trouve des éléments qui indiquent des dynamiques historiques au sein de ce champ de l’inconscient (citation de Totem et tabou). Ambivalence vis-à-vis des morts. Si cela est vrai, alors l’hypothèse de Freud est exacte. Il n’est pas juste de dire que l’âme humaine n’a subi aucun changement au cours de l’histoire !
23 Une autre théorie est que le pouvoir de l’instinct sexuel semble lui-même diminuer progressivement ; il était bien plus puissant dans les temps archaïques, et ce changement ne peut être expliqué uniquement par la répression et les tabous. C’est le problème de la désexualisation, alors même que tous les tabous sexuels sont, à notre époque, moins stricts. Si telle est l’histoire de l’inconscient, alors nous pouvons supposer que l’élément historique en nous est bien plus puissant que nous ne voulons le croire. Les conflits de base que nous vivons aujourd’hui diffèrent complètement de ceux vécus par les gens du xixe siècle, et cela non seulement du point de vue des conditions et influences extérieures, mais aussi à un niveau inconscient. Les analystes vous diront qu’aujourd’hui les névroses sont très différentes de celles auxquelles on avait affaire dans la psychanalyse à ses débuts. Il semble qu’il s’agit maintenant surtout de conflits du moi et de narcissisme (cf. Dr Greenson). Tout cela a en grande partie à voir avec la position de Freud vis-à-vis de Jung. Ce n’est pas tant l’idée jungienne de la nature collective de l’inconscient. Freud a plutôt combattu [9] la désexualisation de l’inconscient telle que la défendait Jung.
24 (3) Si cette identité entre histoire et individu existe bel et bien, où faut-il chercher le lien ? (a) Le premier est celui de la tradition, c’est-à-dire le retour du refoulé au sein de la société humaine ; la tradition n’est pas visible mais inconsciente. (b) Le second est la mémoire héritée. Nous ne nous souvenons pas seulement de nos propres expériences, mais héritons aussi les souvenirs de nos parents et même de nos ancêtres.
25 (4) Ce qui a été réel autrefois dans la société est devenu par la suite imagination, partie intégrante de l’individu. Cela peut s’avérer particulièrement productif au regard des tentatives les plus récentes d’unifier la biologie, la sociologie et la psychologie.
26 (5) Le noyau aussi bien du développement culturel que du conflit entre société et individu est le complexe d’Œdipe.
27 (6) Ce que nous désignons généralement par crise culturelle est lié à des sentiments de culpabilité. L’explication principale donnée par Freud est que, si nos sentiments de culpabilité ont sur nous un tel pouvoir, c’est parce qu’ils naissent toujours du refoulement de nos pulsions d’agression.
28 (7) Le fait que nos sentiments de culpabilité croissent inévitablement à mesure que la civilisation se développe rend impossible une société sans conflits.
29 (8) En dépit de tous ces sacrifices, la valeur de la culture elle-même n’est jamais remise en question par Freud. Mieux vaut la culture que pas de culture. Il est inévitable de recevoir de la société moins que ce que nous lui sacrifions, et c’est principalement cela qui explique l’éternelle récurrence des crises. Malgré tout, nous devons accepter cette culture, et non la rejeter. La culture a besoin de la souffrance ; sans cette souffrance, nous souffririons encore plus ! Alors que Freud se range au côté des stoïciens, pour la nature et contre sa mutilation, il soutient aussi qu’il faut limiter la nature, sans quoi il n’y aurait pas de vie possible.
[1] 2e conférence
30 Avant de commencer, je voudrais ajouter quelque chose à la conférence d’hier soir.
31 Lorsque j’ai tâché de présenter Freud comme un homme des Lumières, j’aurais dû mentionner quelque chose qui, dans la situation intellectuelle présente, est d’une grande importance. On trouve chez Freud un trait typique du penseur des Lumières qui est aujourd’hui menacé : il osait penser. Malgré sa très grande passion pour les données empiriques, il n’a jamais bridé sa propension à spéculer ; aucun tabou ne pesait sur la pensée ! Aujourd’hui, on nous demande constamment : où est la preuve, la vérification ? J’ai l’impression que de ce point de vue spécifique Freud est de la plus haute importance pour notre pensée. La chose qui le rend si extraordinaire, c’est qu’il n’a jamais freiné ni arrêté sa capacité d’imagination intellectuelle. On peut légitimement se demander si, étant donné la façon dont se fait le travail intellectuel aujourd’hui, un quelconque concept freudien aurait encore pu se développer. On constate aujourd’hui une chose : le fait que Freud a vu clair dans un nombre relativement limité de cas qu’il a étudiés en profondeur se révèle d’une extrême importance, même au regard des résultats quantitatifs actuels. La place unique qu’occupe Freud dans notre présent intellectuel tient au fait qu’il est le seul penseur à avoir allié à une pensée autonome un rapport extrêmement étroit avec le donné empirique.
32 Je souhaite aujourd’hui aborder avec vous l’ouvrage Psychologie des foules et analyse du moi, car il témoigne de la productivité tout à fait extraordinaire de la pensée de Freud. Sa théorie psychologique du fascisme reste la plus satisfaisante jamais écrite. Si nous cherchons réellement à comprendre le phénomène du fascisme, il n’y a pas de meilleur guide que cet ouvrage de Freud. [2]
33 Mon approche sera simple. J’aimerais d’abord dégager les thèses centrales de cet ouvrage et examiner leur application aux problèmes modernes du fascisme. J’ai ensuite l’intention de parler d’un second livre : Totem et tabou. Les essais tardifs de Freud sont, d’une certaine façon, de simples élaborations à partir de la thèse contenue dans Totem et tabou.
34 Psychologie des foules et analyse du moi a été publié en 1921, c’est-à-dire à une époque où le danger du fascisme était encore quasiment impalpable, et il est fascinant de voir que Freud a consacré tant d’énergie à des problèmes qui ne se sont vraiment fait sentir que dix ans plus tard.
35 Le terme de « masse » a deux significations. Freud parle de « masses » au sens d’une cohérence et d’une désindividualisation. Il ne se réfère pas à la masse comme concept quantitatif mais comme phénomène indiquant que les gens, lorsqu’ils font partie d’une masse, se comportent différemment de la façon dont ils le font en tant qu’individus.
36 (À ce propos, je voudrais dire une fois encore qu’il faut entendre ici par « moi » la totalité de la personnalité.)
37 Freud part des caractéristiques des masses telles qu’elles apparaissent chez Gustave Le Bon. On peut, d’une part, penser à des masses complètement inarticulées ; d’autre part, les masses signifient des masses organisées, où les personnes sont consciemment intégrées dans un but de manipulation. Le Bon utilise la première de ces définitions. Freud, en revanche, se réfère plutôt à la seconde : les masses assemblées en armées, en églises (particulièrement l’Église catholique).
38 Le Bon donne trois caractéristiques différentes :
39 (1) les masses sont caractérisées par un sens inouï du pouvoir. Elles ne sentent aucune limitation, aucune peur ; accroissement du moi. [3]
40 (2) la caractéristique de la contagion. Les réactions des masses se répandent comme une traînée de poudre et les gens s’imitent mutuellement d’une manière qui ne peut en aucun cas se justifier rationnellement.
41 Freud accepte sans exception toutes les théories de Le Bon. Il ne rejette aucunement ses vues ; il les considère plutôt comme un début et les amende.
42 (3) La troisième caractéristique est celle de la suggestibilité. Suivez le chef. Dans ces conditions, les gens ne pensent plus aux dangers ; ils vont à l’encontre de leur propre intérêt, de leur autoconservation. Ils en oublient tout critère rationnel, et avalent bêtement n’importe quel discours idiot.
43 Freud n’aime pas le concept de suggestibilité. Peut-être des raisons biographiques expliquent-elles ce rejet. Il a commencé sa carrière avec l’hypnose et en a été déçu. La psychanalyse fut une sorte de contre-mouvement. D’une certaine façon, Freud s’est montré jusqu’au bout méfiant vis-à-vis de l’hypnose, même le mot lui déplaisait. Il a découvert qu’elle ne faisait en fait qu’effleurer les phénomènes de surface, lesquels recouvraient quelque chose de plus profond devant être dévoilé. Sa théorie de la suggestibilité est d’une nature complètement différente. Il affirme que ce qu’on appelle d’ordinaire suggestibilité correspond en réalité à une libération de la libido. Si certaines sources libidinales, d’ordinaire latentes, deviennent sensibles et manifestes, alors la suggestion peut opérer. C’est ce qui advient lorsqu’une personne devient membre d’une masse.
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45 Citation sur le sexe, l’autoérotisme, rien de quoi l’on doive avoir honte vis-à-vis du sexe. p. 26 [4], § 2, « Celui qui voit » à fin du premier paragraphe, « faire des concessions » [5].
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47 Comme je vous le disais précédemment, Freud considérait l’armée et l’Église comme les masses les plus intéressantes. Partant de là, il a formulé une théorie psychologique qui s’est révélée extrêmement stimulante et qui avait quelque chose [4] à voir avec le frère et le père.
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49 Citation sur l’Église p. 29 [6], début du deuxième paragraphe « Dans l’Église », jusqu’à l. 12 « il leur remplace le père » [7].
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51 L’idée selon laquelle le frère aîné est considéré comme un substitut du père est l’une des contributions les plus importantes de la psychanalyse relativement à l’étude du fascisme et des masses. Je ne résiste pas à la tentation de vous donner un aperçu de la façon extrêmement inventive dont Freud a abordé le problème des masses : par la théorie psychologique de la panique. Il serait très difficile d’expliquer, par des moyens superficiels et rationnels, pourquoi survient la panique. En cas d’incendie, par exemple, les gens n’agissent en général pas de façon rationnelle mais perdent la tête et en viennent à se piétiner les uns les autres. On explique habituellement cela par la peur. Cependant, Freud persiste à se méfier de toute explication communément admise. Au lieu de cela, il se lance dans une analyse du problème. Il ne tient rien pour acquis. (Les points obscurs de la société, tout comme ceux de la psychologie, se cachent en général sous les choses que l’on tient le plus pour acquises !)
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53 Citation sur la théorie de la panique. p. 31, 1er paragraphe – ligne 11, « considérations » [8]. Et p. 31, 1er §, l. 14 « Cette explication » jusqu’à fin du § [9].
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55 Vous allez maintenant me demander quelle était en réalité la théorie de Freud. En affirmant simplement que ce qui unit un groupe, ce sont des liens de nature libidinale, on ne dit pas grand-chose. Montrer qu’il ne faut accorder que très peu de crédit à certaines connotations idéologiques serait assez trivial. Freud ne se satisferait pas de cela. Lui formule une théorie de l’emprise qu’ont les masses sur les individus. Cela s’appuie sur l’idée d’identification. Selon lui, les gens deviennent une masse dans la mesure où chaque personne s’identifie avec celle au-dessus d’elle, qui est un substitut du père, et ces personnes, sur la base de l’identification [5] individuelle, finissent par devenir ensemble complètement identifiées.
56 (Exemple du chanteur !) p. 51, l. 13 « Songez à la foule » jusqu’à « pour le même objet » [10].
57 L’identification à l’image du père est tellement forte qu’une fois identifiés à lui, les gens sont en partie délivrés de leur jalousie ; ils s’identifient les uns aux autres comme s’ils étaient frères.
58 Je pense que je dois ici vous donner plus de détails sur la théorie freudienne de l’identification, car elle est vraiment d’une importance capitale.
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60 Citation sur l’identification p. 38 [11].
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62 Cf. Ernst Simmel : théorie de la dévoration. p. 39, l. 9, « L’identification », jusqu’à la fin du paragraphe [12].
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64 ? Poursuivre la citation sur la relation d’objet.
65 -------
66 Résumer les trois types d’identification p. 40, dernier paragraphe en entier [13].
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68 Pour clore cet exposé du contenu central de l’ouvrage, voici une définition des masses selon Freud.
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70 Citation : constitution libidinale des groupes p. 47, dernier paragraphe [14].
71 -------
72 Théorie de l’instinct grégaire. Une fois de plus, Freud s’en prend à l’un des clichés de la théorie ordinaire de l’instinct. Il se demande ce qu’est cet instinct de meute. Il refuse la différence primaire entre psychologie des masses et psychologie individuelle. Il rejette toute explication psychologique qui postule de l’extérieur l’existence, au sein des groupes, de forces psychologiques qui ne pourraient être reformulées en termes de psychologie individuelle.
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74 Citation sur les meutes, p. 58, paragraphe entier [15].
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76 [6] En bref, Freud explique l’instinct grégaire comme une formation réactionnelle à partir de la haine originaire envers le frère.
77 J’en viens maintenant à l’application au fascisme des conclusions de Freud. J’aimerais indiquer ici quatre aspects.
78 (1) L’ensemble des techniques de l’agitateur fasciste peut entièrement être ramené aux mécanismes que Freud explique dans son livre. La pensée associative, par exemple, est une conséquence de la régression qui advient au sein des masses. Relâchement du contrôle du moi ! Encore une fois, il faut comprendre la tendance vers les extrêmes, si caractéristique du fasciste, à partir de la théorie freudienne. Celle-ci concerne le fait que l’agressivité est un dérivé de la pulsion de mort et que la pulsion de mort est totalitaire. Contrairement à la pensée rationnelle, la pensée régressive tend toujours vers les extrêmes. Tout ce qui relève de l’exagération et de la répétition est relié à la pulsion de mort. Un autre aspect important est l’existence simultanée, sur le mode de l’ambivalence, d’idées ou d’expériences complètement contradictoires.
79 (2) Le problème de l’endogroupe et de l’exogroupe. Il joue un rôle surtout là où le mécanisme d’identification ne fonctionne pas. Freud dit qu’en réalité, il s’agit d’une régression vers la meute primitive.
80 Quand on parle du fascisme, on ne doit pas commettre l’erreur de penser à tous ces processus inconscients continuellement à l’œuvre. La caractéristique nouvelle du fascisme à laquelle nous devons prêter attention réside en ce que ces mécanismes de régression sont désormais consciemment déclenchés, et consciemment manipulés. L’agitateur fasciste fait usage des découvertes de la psychanalyse dans le but de manipuler les masses consciemment et de manière rationnelle afin de servir ses intérêts. La manipulation consciente de l’inconscient est [7] le trait principal du fascisme (cela ne se limite pas au fascisme : on peut voir ça dans n’importe quel film !). On retrouve quelque chose du même ordre chez tous les démagogues. Le démagogue se sert toujours de manière rationnelle de l’irrationnel. Ce qui est nouveau cependant, c’est que depuis lors, cela a été systématisé, planifié et est devenu totalitaire. Tout ceci est appliqué à une échelle immensément grande. Tel est le danger qui nous guette, particulièrement dans ce pays où les techniques de manipulation des masses dont on fait usage sont, d’un point de vue psychologique, extrêmement proches de celles du fascisme.
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82 Citation de Leo Löwenthal : la technique de l’agitateur, c’est la psychanalyse à rebours.
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84 (3) Rôle du chef. Sa vie durant, Freud a cru de façon dogmatique dans les grands hommes ; peut-être a-t-il eu tort de mettre une telle emphase sur les chefs réels, mais l’importance de l’image du chef peut difficilement être contestée.
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86 Citation sur le chef, p. 54 [16], ligne 8 à partir du bas, « Individu » dernier § « Nous devons » – p. 55 « indépendant » [17].
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88 (4) Freud a vu bien davantage. Peut-être avez-vous remarqué que les chefs des pays totalitaires semblent de moins en moins être des images du père (Guillaume II, Mussolini… Hitler). Hitler ne ressemble en rien à un père. Je ne pense pas qu’il ait jamais été identifié, en Allemagne, à l’image du père.
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90 Citation à ce propos : le chef du groupe est toujours le père craint. [T. W. A. : p. 58, « Le meneur de la foule » – fin du §, ainsi que p. 60 « Nous avons essayé » jusqu’à fin du § [18]]
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92 [8] L’idée est que l’idéal de l’élite a la fonction d’image du père, mais est façonné plutôt d’après le moi que d’après le père. C’est une projection grandiose du moi.
94 Je vous recommande vivement de lire ce livre. Il a vraiment cette fraîcheur propre aux grandes découvertes. À vrai dire, on ne peut le lire aujourd’hui sans une certaine tristesse ; c’est l’un de ces rares livres dont le contenu a si complètement imprégné nos manières de penser, et toute notre atmosphère intellectuelle, qu’il n’en reste en fin de compte qu’une coquille vide ; ce contenu nous est devenu si familier qu’on est presque déçu en le lisant. Aujourd’hui plus que jamais, il mérite toute notre attention.
95 Il a pour sous-titre : relation entre névrosés et sauvages. L’individu présente, dans ses propres crises et conflits, de profondes ressemblances avec l’état d’esprit de certains sauvages. L’idée de base du texte est la suivante :
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97 ? Citation :
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99 L’ouvrage rassemble quatre essais vaguement liés entre eux. Le livre a un aspect improvisé qui rend sa lecture particulièrement plaisante.
100 Par rapport au reste, le premier essai est relativement simple et n’a rien de très nouveau : l’inceste. Le totémisme est une phase de l’humanité qui a précédé la mythologie en tant que telle et le développement des religions ; il consistait en des tribus organisées selon des unités appelées clans totémiques, et qui n’étaient pas nécessairement composées de membres de la même famille. Généralement, le clan trouve son unité dans un symbole commun qui en identifie les membres.
101 Là encore, Freud a fait ce qu’il fait toujours, c’est-à-dire mettre en question ce qui est en général tenu pour acquis. Il tente de découvrir les implications historiques et [9] psychologiques qui se trouvent derrière l’institution des totems. Afin de préciser le problème, il faut que je vous indique les deux éléments clés qui permettent de comprendre le clan totémique :
102 (a) La loi visant l’inceste. L’inceste est puni de mort ;
103 (b) La loi selon laquelle un membre d’un clan totémique ne doit jamais tuer un autre membre du même clan.
104 Ces deux lois définissent le totémisme partout sur ce continent ainsi qu’en Australie, et partout ailleurs où on l’a étudié. C’est la raison pour laquelle il nous semble légitime d’y chercher des explications à certains motifs psychologiques de base. Dans sa description, Freud ajoute simplement une chose : l’inceste est pour lui un trait infantile qui devient compulsif chez les névrosés. Ces personnes se comportent comme si elles étaient membres d’un clan totémique !
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106 Citation sur les névrosés etc., inceste. p. 18, ligne 5, « C’est pourquoi » – fin du § [20]
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108 Le tabou de l’inceste ne peut être compris comme un instinct naturel, il est même plutôt le contraire. S’il est devenu indispensable de légiférer contre l’inceste, c’est parce que le désir d’inceste était devenu trop pressant.
109 Autre problème : pourquoi était-ce interdit, et pourquoi est-ce considéré comme un crime – même encore aujourd’hui ?
110 L’objet principal du livre est d’expliquer pourquoi il en est ainsi.
111 Le deuxième essai traite du phénomène du tabou. C’est l’ouvrage de Freud qui a réellement popularisé le terme de tabou. Il s’agit d’un commandement négatif qui ne peut s’expliquer de façon rationnelle et qui est tellement puissant qu’il ne peut être enfreint. Par ailleurs, le tabou se caractérise également par le fait de ne pas pouvoir être transféré ; il correspond globalement à certains phénomènes que Freud [10] a mis au jour avec une grande sincérité. Il existe un certain nombre de mots qui dénotent à la fois ce qui est sacré et ce qui est maudit. Il est absolument certain que ce que nous appelons communément ambivalence trouve un équivalent fort dans le phénomène du tabou (le roi est sacré et tabou !).
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113 Citation : sur le problème du tabou, l’énigme du tabou p. 23 « Ce mot et le système » à fin du troisième § « de notre propre “impératif catégorique” [21] ».
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115 Analogies entre sauvages et névrosés :
116 Citation : (1) compulsion p. 26, 3e § « La première ressemblance… » à l. 3, « tout aussi énigmatiques [22] ».
117 (2) toucher p. 27, 2e § « La prohibition principale… délire de toucher [23] ».
118 (3) cérémoniel p. 27, 3e § « L’intention de quelques-unes [24] ».
119 (4) déplacement. p. 27, 4e § « Les prohibitions obsessionnelles […] » à l. 2 « à l’autre [25] »
120 Le résumé de l’analogie entre les névroses individuelles et le tabou des sauvages est formulé ainsi :
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122 Citation : p. 32, 2e § « Résumons maintenant… [26] » à fin du paragraphe
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124 Plus loin, Freud donne plusieurs exemples détaillés de ce qu’il considère comme le noyau sous-jacent du tabou : le phénomène de l’ambivalence. Il mentionne trois sphères principales :
125 (1) L’attitude envers l’ennemi. Partout où il existe un tabou, l’hostilité extrême envers l’exogroupe n’est pas le seul facteur. Il semble qu’aujourd’hui, ce soit précisément chez les personnes aux tendances nationalistes très marquées, focalisées de façon maladive sur la relation entre endogroupe et exogroupe, que l’on observe des traces marquées de cet amour de l’ennemi. Le fasciste sait très bien comment manipuler certains aspects régressifs de la société moderne en créant une sorte de nationalisme international. De fait, il serait très fécond d’étudier de façon systématique le complexe de l’apaisement, de l’amour masochiste de l’ennemi. [11]
126 (2) Le tabou du roi. L’ambivalence du roi. Il est aimé et craint, et même objet de mépris, et la façon dont on le protège équivaut souvent à lui infliger de mauvais traitements.
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128 Citation sur les rois des sauvages. p. 42, ligne 12 « Il n’est pas de psychanalyste […] hostilité inconsciente [27] ».
129 p. 42, 2e § « Un autre trait » – […] [28]
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131 (3) Le tabou du mort. L’interprétation commune est que les morts deviennent des démons hostiles qu’il faut apaiser d’une manière ou d’une autre. Là encore, Freud interroge ce qui semble aller de soi. Il pose la question suivante : comment est-il possible que les êtres aimés, une fois morts, se transforment presque en ennemis ? Les relations très étroites, lorsqu’elles sont particulièrement longues et à condition d’être intenses, manifestent une grande ambivalence. Ceci revient très souvent à souhaiter la mort et ce souhait, une fois la personne aimée décédée, se transforme en sentiment de culpabilité. Ces sentiments deviennent terriblement puissants et insupportables, et sont ensuite projetés sur le mort, afin de ne pas avoir à admettre que l’on a souhaité le décès la personne aimée. Dans cette perspective, Freud livre une autre théorie de l’origine de la conscience.
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133 Citation : base des sentiments ambivalents p. 50, 2e § ligne 3 « Si nous admettons » à ligne 11 « le démon hostile [29] ».
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135 Freud fait un constat général sur le rapport entre la culture et les névroses, qu’il formule ainsi :
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137 Citation p. 58 4e § « D’une part » à « individuelle [30] ».
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139 L’essai suivant porte sur l’animisme, la magie et l’omnipotence de la pensée.
140 Le point d’analogie réside en ce que l’idée de magie est l’idée de télépathie.
141 Freud indique que cela se retrouve cela chez les névrosés et repose sur le narcissisme.
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143 Citation p. 69 5e § « Rien ne paraît donc » jusqu’à p. 70 « idées [31] ».
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145 [12] L’étude la plus importante de toutes, qui comprend la théorie freudienne du totémisme, s’intitule le retour infantile du totémisme.
146 La théorie du totémisme consiste simplement en ceci : le totémisme repose essentiellement sur la révolte de la meute des frères contre le père primitif. Le père primitif a été tué. Darwin l’a montré. Freud pense que le totem a pris la place du père tué. Cependant, il y a un aspect des plus élémentaires que Freud n’aborde pas : pourquoi les sauvages ont-ils introduit des animaux comme totems ? C’est évident pour Freud, mais je trouve cela très difficile à comprendre (voir Goldberg qui considère que l’humain ne s’est pas développé à partir de l’animal, mais que les animaux sont des déformations de l’homme !). Tout cela simplement pour montrer à quelles spéculations extraordinaires mène ce problème des animaux.
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148 Citation sur la conséquence de cette substitution p. 82 [32] ?
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150 On en arrive ensuite au résumé que fait Freud en lien à la théorie du sacrifice de l’animal totem.
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152 Citation p. 95 sq. p. 100 dernier § « Nous compléterons… » à p. 101, ligne 6 « ancêtre. [33] » ; p. 101 2e § « Si l’animal totémique » à p. 101 « Œdipecomplexe [34] »
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154 Autrement dit, notre culture tout entière ainsi que nos conceptions morales nous viennent des tribus primitives. La théorie présentée ici se trouve à la base de toute la théorie freudienne de la religion. Dans celle-ci, Moïse est considéré comme l’image du père primitif, mais Freud en déduit jusqu’au christianisme lui-même : nos sentiments de culpabilité à l’égard du père tué devenant de plus en plus forts, ils ne peuvent être soulagés que si le meurtre du père est expié par le meurtre du fils.
Notes
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[1]
Avertissement : nous traduisons ici deux tapuscrits conservés aux Theodor W. Adorno Archiv sous les cotes TWAA Vt_017 et TWAA Vt_018. Nous n’avons signalé ni les corrections mineures qui apparaissent sur le document d’archive ni celles que nous lui avons apportées. Les chiffres entre crochets renvoient à la pagination originale dans TWAA Vt_017 (première conférence) et TWAA Vt_018 (deuxième conférence).
-
[2]
Sigmund Freud, présenté par lui-même, Paris, Gallimard, 1987.
-
[3]
Arthur Schopenhauer, Parerga et paralipomena. Petits écrits philosophiques, trad. J.-P. Jackson T. II, chap. XXXI, § 396, Coda, 2012, p. 979-980.
-
[4]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Psychologie collective et analyse du moi, trad. Jankélévitch (1921), Paris, Payot, 1968. https://psychaanalyse.com/pdf/Psycho_collective_analyse_moi_freud_livre_telechargement.pdf [consulté le 29.11.2022]
-
[5]
Group Psychology and the Analysis of the Ego, [désormais Strachey] trad. James Strachey, The International Psycho-analytical Library, ed. Ernest Jones, n° 6, Londres, 1922, p. 39-40.
Les passages en couleur correspondent, en bleu, aux annotations manuscrites de Theodor W. Adorno ; en orange, aux annotations manuscrites de Gretel Adorno ; les textes barrés le sont dans l’original. -
[6]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Psychologie collective et analyse du moi, op. cit.
-
[7]
Strachey, p. 42-43.
-
[8]
Strachey, p. 45-46.
-
[9]
Strachey, p. 46-47.
-
[10]
Strachey, p. 87.
-
[11]
Strachey, p. 60.
-
[12]
Strachey, p. 61-62.
-
[13]
Strachey, p. 65-66.
-
[14]
Strachey, p. 79-80.
-
[15]
Strachey, p. 99-100.
-
[16]
Cette pagination correspond à celle de l’édition numérique de la référence suivante : Freud, Totem et Tabou (1912), trad. Jankélévitch (1923), Paris, Payot, 1988. URL : https://www.anthropomada.com/bibliotheque/Sigmund-FREUD.pdf [consulté le 21.09.2021]
-
[17]
Strachey, p. 92-93.
-
[18]
Strachey, p. 99-100 ; p. 102.
-
[19]
Adorno cite le texte anglais dans l’édition suivante : Freud, Totem and Taboo, [désormais Brill] trad. Abraham Arden Brill, Londres, George Routledge & sons, 1919, p. 29.
-
[20]
Brill, p. 39.
-
[21]
Brill, p. 37-38.
-
[22]
Brill, p. 45.
-
[23]
Brill, p. 45.
-
[24]
Brill, p. 46.
-
[25]
Brill, p. 46.
-
[26]
Brill, p. 58-59.
-
[27]
Brill, p. 84.
-
[28]
Brill, p. 85-86. N.d.T. : le mot qui suit est illisible.
-
[29]
Brill, p. 103-104.
-
[30]
Brill, p. 123-124.
-
[31]
Brill, p. 149-150.
-
[32]
Brill, p. 177.
-
[33]
Brill, p. 218-219.
-
[34]
Brill, p. 219-220.