Notes
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[1]
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer Jean-Marie LARDIC, La Contingence chez Hegel, Paris, Vrin, 1977 ; Bernard MABILLE, Hegel. L’épreuve de la contingence, Paris, Aubier philosophie, 1999 ; Emmanuel RENAULT, Hegel, la naturalisation de la dialectique, Paris, Vrin, 2001 ; Gilles MARMASSE, Penser le réel. Hegel, la nature et l’esprit, Paris, Kimé, 2008. Bien qu’il ne s’agisse pas particulièrement de la nature, le même désir de défier la thèse de la clôture de l’idéalisme au réel anime, d’un côté, Franck FISCHBACH, Du Commencement en philosophie. Étude sur Hegel et Schelling, Paris, Vrin, 1999, et encore différemment Catherine MALABOU, L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité, dialectique, Paris, Vrin, 1994. La réévaluation de la philosophie de la nature accompagne le travail de traduction du deuxième tome de l’Encyclopédie par Bernard BOURGEOIS : Encyclopédie des sciences philosophiques. T. 2 : La philosophie de la nature, Paris, Vrin, 2004.
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[2]
Comme par exemple Georges GUSDORF, Le Romantisme II, Paris, Payot & Rivages, 1984, p. 479-481.
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[3]
Philippe HUNEMAN, « From the Critique of judgment to the hermeneutics of nature: Sketching the fate of philosophy of nature after Kant », Continental Philosophy Review 39 (2006), p. 1-34.
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[4]
Les travaux en allemand et anglais excellent en histoire mais évitent les interprétations plus poussées. Parmi les plus intéressants sont Wolfgang BONSIEPEN, Die Begründung einer Naturphilosophie bei Kant, Schelling, Fries und Hegel. Mathematische versus spekulative Naturphilosophie, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1997 ; la traduction commentée par M. J. Petry de Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Philosophy of Nature, London, George Allen and Unwin Ltd., 1970, et d’autres travaux de Petry, et Timothy LENOIR, The Strategy of Life: Teleology and Mechanics in Nineteenth Century German Biology, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1982.
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[5]
Désormais un courant important, le réalisme spéculatif est né depuis Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006 et a été développé notamment par G. Harman, R. Brassier, T. García, I. H. Grant et L. Bryant.
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[6]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Von der Weltseele (Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Leipzig, Fritz Eckhardt Verlag, 1907, p. 455 (I, II, 455). Les numéros romains appartiennent à l’édition de référence : Friedrich Wilhelm Joseph von SCHELLING (1856-1861), Sämmtliche Werke. Hrsg von K. F. A. Schelling, Stuttgart, Augsburg.
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[7]
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Enzyklopedie der philosophischen Wissenschaften II. Die Naturphilosophie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1970. Traduit par B. Bourgeois, Encyclopédie des sciences philosophiques II. Philosophie de la Nature, op. cit., § 248, p. 28 / 187.
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[8]
Ibid.
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[9]
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Wissenschaft der Logik II, Werke 6, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969, p. 572 / Traduction par P. J. Labarrière et G. Jarczyk, Science de la logique. III, Paris, Aubier, 1972, p. 392. Par la suite, les références seront abrégées en séparant la pagination originale de celle de sa traduction par « / ».
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[10]
Logik II, p. 573 / 392-393.
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[11]
Enzyklopedie II, § 246 Anm. et § 247, p. 23-25/346-348.
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[12]
Enzyklopedie II, § 376 & Anm., p. 537-539/719-721.
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[13]
Enzyklopedie II, § 248, p. 27-28/187-188.
-
[14]
Enzyklopedie II, p. 12/336.
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[15]
Sur la périodisation de la philosophie de la nature de Schelling, voir Xavier TILLIETTE, Schelling. Une philosophie en devenir. T. I. Le système vivant. Paris, Vrin, 1970, p. 172, 323-324, et Wolfgang BONSIEPEN, op. cit., p. 147s. La présentation de la philosophie de la nature de Schelling par Richards est également utile et stimulante, sauf pour ce qui concerne son étrange affirmation que la matière serait dans Ideen… une création de la sensibilité : Robert J. RICHARDS, The Romantic Conception of Life. Science and Philosophy in the Age of Goethe, Chicago and London, University of Chicago Press, 2002, p. 127-166, notamment p. 132-133. Comme le dit Wirth, si tant est que la nature peut être dite un produit de l’imagination productrice, celle-ci n’est nullement humaine : « For Schelling, unlike Fichte’s delimitation of the productive imagination to the domain of human subjectivity, the productive imagination is the life of the Weltseele, the world anima, the animation of nature in its circular and demiurgic life. » (Jason M. WIRTH, The Conspiracy of Life. Meditations on Schelling and his Time, New York, State University of New York Press, 2003, p. 87).
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[16]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Die Weltalter (Die Vergangenheit, 1811), WA I, 51, in Ausgewählte Schriften Band 4, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1985, p. 263.
-
[17]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ideen zu einer Philosophie der Natur (Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Leipzig, Fritz Eckhardt Verlag, 1907), I, II, 192. Schelling s’appuie sur Kant ; voir Immanuel KANT, Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Frankfurt am Main, Meiner, 1997, chapitre sur « Dynamik ».
-
[18]
Je développe les considérations suivantes sur la philosophie de la nature de Schelling de manière plus détaillée dans mon article « The Legacy of Schelling’s Philosophy of Nature in 20th Century Phenomenology of the Elemental », in Das Elementale: Erde, Pan und Fleisch, Annette Hilt und Anselm Böhmer Hrsg., Würzburg, Königshausen und Neumann, 2008. Voir aussi Jean-François MARQUET, Liberté et existence. Étude sur la formation de la philosophie de Schelling, Cerf, Paris, 2006, p. 13 sq., et Emmanuel RENAULT, Philosophie chimique. Hegel et la science dynamiste de son temps, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, p. 66.
-
[19]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ideen zu einer Philosophie der Natur, I, II, 226.
-
[20]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Von der Weltseele, Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Fritz Eckhardt Verlag, Leipzig, 1907, I, II, 367, 371
-
[21]
Ibid., I, II, 527, 566.
-
[22]
Ideen zu einer Philosophie der Natur, I, II, 221.
-
[23]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Einleitung zu dem Entwurf eines Systems der Naturphilosophie, Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Bd. 1, Fritz Eckhardt Verlag, Leipzig, 1907, I, III, 283-284 et Entwurf, I, III, 12. Voir aussi Frank FISCHBACH et Emmanuel RENAULT, « Introduction » à Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, Paris, Livre de poche, 2001.
-
[24]
Einleitung, I, III, 290-300. Cf. Jean-François MARQUET, Liberté et existence, op. cit., p. 156.
-
[25]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Aphorismen zur Einleitung in die Naturphilosophie I, VII, 143 ; Aphorismen über die Naturphilosophie, I, VII, 198 ; les deux sont parus dans Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ausgewählte Schriften, Bd. 3, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1985, p. 632, 689 et traduits par J.-F. Courtine et E. Martineau dans Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Œuvres métaphysiques, Paris, Gallimard, 1980.
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[26]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Über das Wesen der menschlichen Freiheit, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1975, p. 53-55 (I, VII, 198-199). Le motif du « reste rebelle » a été admirablement expliqué par Vladimir JANKÉLÉVICH dans L’Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling, Paris, L’Harmattan, 2005, et le motif connexe du sans-fond développé par Jean-François COURTINE dans L’extase de la raison. Essais sur Schelling, Paris, Galilée, 1990.
-
[27]
Die Weltalter, VA I, 17, p. 229.
-
[28]
Enzykopädie II, § 216, p. 56/202.
-
[29]
Ibid., § 262, p. 61/204.
-
[30]
Ibid., § 312, p. 202/260.
-
[31]
Ibid., § 315, p. 217-220/468-469, la métamorphose § 249, p. 31-34/189, 352-355.
-
[32]
Ibid., § 323, p. 274/510.
-
[33]
Ibid., § 326, p. 288/521-522.
-
[34]
Ibid., § 339, p. 343/303 ; § 345-346, p. 280, 294/304-305, § 353-356, p. 436-463/317-321.
-
[35]
Ibid., § 250, p. 36/191.
-
[36]
Ibid., § 275, p. 111/230 ; § 278, p. 122/234.
-
[37]
Ibid., § 310, p. 200/453.
-
[38]
Ibid., § 315, p. 218/467.
-
[39]
Ibid., § 312, p. 202-203/260-261.
-
[40]
Ibid., § 314, p. 215/263.
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[41]
Ibid., § 326, p. 288/281.
-
[42]
Ibid., § 337, p. 338/553.
-
[43]
Ibid., § 250, p. 34/190.
-
[44]
Pour une explication plus détaillée, je me permets de renvoyer à mon article « Vivant à la limite », Les études philosophiques 76/1 (2006), p. 107-120.
-
[45]
Enzykopädie II, § 215, p. 36/191.
-
[46]
Ibid., § 248 et 250, p. 27-36/187-191.
1Vite oubliée après sa conception, longtemps méprisée comme la « partie honteuse du système » parce qu’argumentant à travers la conceptualité d’une science naturelle aujourd’hui périmée, la philosophie de la nature de l’idéalisme allemand a enfin été étudiée avec attention au tournant du XXIe siècle par des historiens de la philosophie explicitant le contexte historique, le sens systématique et tout simplement le contenu de cette philosophie très particulière. Grâce à ces travaux historiques, il devient aujourd’hui possible d’évaluer pour elle-même la problématique métaphysique ainsi portée au jour quant à son apport aux interrogations contemporaines. Dans ce qui suit, nous allons montrer comment cet apport dépend de la comparaison entre deux options interprétatives dont l’une pense que la nature doit être interprétée seulement comme une chute de l’esprit dans une extériorité, comme son aliénation, comme sa faiblesse et presque sa perte de soi dans ce qui lui est totalement autre, tandis que l’autre interprétation envisage la nature comme une chance, chance fournie essentiellement par la contingence inhérente des formations de la nature, voire par leur imprévisibilité et leur manque de sens.
2Ces deux types de lectures ont fait en France l’objet de débats intéressants à partir des années 1990, où plusieurs nouvelles lectures de Hegel ont défié l’opinion traditionnelle qui fait de la nature simplement la chute de l’esprit, en montrant en quoi on peut aussi voir dans la nature contingente la chance qui rend possible l’élévation de l’esprit (sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons citer par exemple des travaux, par ailleurs fort divers, de Mabille, Lardic, Renault, Marmasse, Fischbach et Malabou [1]). Cette perspective devient possible dès lors qu’on n’évalue plus la philosophie de la nature en termes de sciences naturelles [2] mais en termes métaphysiques et en tant que partie indispensable du système hégélien. Ontologie de la nature plutôt qu’épistémologie des sciences naturelles, la Naturphilosophie peut tout au plus fournir le fondement d’une herméneutique de la nature comme horizon de l’existence humaine [3], et c’est à ce titre que son influence se fait sentir en écho jusque dans certaines ontologies phénoménologiques du XXe siècle (Heidegger, Merleau-Ponty).
3Ces lectures qui réhabilitent quelque chose de la Naturphilosophie hégélienne sont une des particularités importantes de l’hégélianisme français contemporain, car on ne trouve rien de semblable ailleurs [4]. Les lectures « à la française » ont également un intérêt au-delà des études hégéliennes, dans la mesure où elles contribuent à la reconstitution de tout le domaine de l’ontologie aujourd’hui. De manière très générale, on peut dire que depuis les années 2000, l’ontologie est redevenue une question centrale dans tous les courants de la philosophie après un long purgatoire à l’ombre des philosophies du logos et de la langue : par exemple, la philosophie analytique se passionne aujourd’hui pour la métaphysique, tandis que la phénoménologie se mesure à la question ontologique en termes d’événement. Puis, quelque part entre la philosophie dite continentale et la philosophie analytique, des penseurs qu’on regroupe sous les termes de matérialisme ou de réalisme spéculatif [5] construisent également des systèmes métaphysiques qui se disent « spéculatifs » pour signifier leur refus d’appuyer leurs constructions sur la conscience, la connaissance et le langage. C’est ici – et non pas seulement dans l’usage du mot « spéculatif » – qu’on peut deviner une influence hégélienne, bien qu’elle soit une influence implicite, sinon reniée ou cachée derrière d’autres ancêtres tels que Spinoza et Hume. La discussion approfondie avec le réalisme spéculatif n’étant pas notre propos ici, nous souhaitions simplement faire observer, en passant, que le réalisme spéculatif répond sans doute à un besoin réel dans la mesure où il tente d’exposer la structure métaphysique de la vie contemporaine en termes non théologiques (c’est le danger qui guette la phénoménologie) et en prenant en compte la nature sans pour autant risquer le scientisme antiphilosophique (c’est le danger qui guette la philosophie analytique). Cependant, le nouveau matérialisme pâtit souvent d’une incapacité de rendre compte de son propre statut en tant que spéculation, théorie et construction métaphysique : il a tendance à demander ce qu’est l’être sans demander ce qu’est la pensée. En revanche, l’idéalisme allemand dans sa forme originaire ne souffre pas de ce manque, étant au contraire dès le départ un questionnement du rapport entre la pensée et l’être, entre la raison et la nature. Voici où le nouvel hégélianisme français prépare le terrain pour des questions qui sont très fortement dans l’air du temps (sans pour autant répondre directement au réalisme spéculatif, qui est apparu plus tard).
4L’objectif de cette contextualisation n’était pas d’ouvrir un nouveau champ d’études mais seulement d’orienter la lecture de la philosophie de la nature de l’idéalisme allemand qui va suivre. Elle nous montre notamment que lorsque la nature est un problème ontologique et non pas épistémologique, elle s’articule sur le fond de la question matérialiste, celle-ci entendue au sens antique de la nature contemplée plutôt qu’au sens marxiste de la nature absorbée dans la perspective du travail humain. Selon Schelling, la matière est l’énigme fondamentale de la nature et à ce titre le point de la philosophie de la nature : « De toutes les choses, la plus obscure est la matière. D’après certains, elle serait l’obscurité même. Et pourtant c’est de cette racine obscure et inconnue que sortent toutes les formations et tous les phénomènes vivants de la nature. Sans sa connaissance, la physique est sans fondement scientifique, et la science de la raison elle-même est dépourvue du lien par lequel l’idée est médiée avec la réalité [6]. » Hegel considère également que la nature examinée comme ensemble est « le négatif, à la manière dont les Anciens ont saisi la matière comme le non-ens [7] » : elle est la matière non pas substantielle mais abstraite, théorique, consistant fondamentalement en rapports logiques (« la nature est la contradiction non résolue », poursuit-il) et se déployant en guise de lois gouvernant la production du réel (gravitation, cristallisation, processus chimique, la vie, etc.).
5Évidemment, l’objectif de Hegel et de Schelling n’est pas d’inventer un nouveau matérialisme : ce ne sont pas des matérialistes mais des rationalistes qui demandent ce qu’est la nature par rapport à l’esprit absolu, et qui visent avant tout l’Aufhebung de la nature dans l’esprit, entendu davantage comme sa « suppression » que comme sa « relève ». Les idéalistes allemands comparaient la nature au mal et au diable (Schelling), au Christ incarné et mort (Hegel), à Dionysos également voué à la mort (avant tout Hölderlin), et cherchaient la possibilité de la résurrection et du retour à Dieu. La nature est hors-dieu ou plutôt dieu-en-manque-de-sa-propre-divinité, et il s’agit de la sauver ou de se sauver de la nature.
6Ce qui nous intéresse ici n’est pas la Weltanschauung mais une question précise : comment la nature se rapporte-t-elle à la pensée ? L’idéalisme allemand répond en termes d’esprit absolu, mais cette réponse contient des ouvertures indiquant des possibilités pour une autre pensée. Dans ce qui suit, nous étudierons cette réponse tout en soulevant les ouvertures, afin de voir ce qu’elles pourraient donner au-delà de leur contexte historique immédiat, par exemple dans un contexte où l’esprit ne serait pas l’absolu, total et englobant.
1. La chute de l’idée selon Hegel
7On peut dégager deux perspectives opposées de la pensée sur la nature dans le système hégélien défini par l’Encyclopédie : la nature y apparaîtra comme la chute de l’esprit mais aussi comme sa chance.
8Hegel définit la nature comme la chute de l’idée (Abfall der Idee) dans le § 248 de la Philosophie de la Nature de l’Encyclopédie, où il décrit la détermination fondamentale de la nature, l’extériorité, qui est d’abord l’extériorité réciproque des singuliers sans lien essentiel entre eux ainsi que de leurs déterminations demeurant indifféremment côte à côte. Dispersée, la nature est la contradiction non résolue, le domaine de la nécessité et de la contingence, « le négatif, à la manière dont les Anciens ont saisi la matière comme le non-ens. Ainsi la nature a également été exprimée comme la chute de l’Idée à partir de et hors d’elle-même [8] ». Comment doit-on entendre cette « chute » ?
9La chute de l’Idée est généralement expliquée depuis la célèbre transition entre la Logique et la Philosophie de la Nature. À la toute fin de la Science de la Logique, Hegel était parvenu au point où l’idée est encore logique, enfermée dans des pensées pures, n’étant que la « science du concept divin [9] ». Étant encore enfermée dans la subjectivité, elle tend à subsumer/relever (aufheben) sa subjectivité et, en faisant cela, à passer à une autre sphère de la science où elle poserait l’unité de son concept pur et de sa réalité : la totalité de cette unité serait la nature. Hegel souligne que ce passage entre la logique et la nature n’est pas un simple devenir et transition mais « la libération absolue » (absolute Befreiung) :
[D]ans cette liberté, par conséquent, aucun passage n’a lieu, l’être simple à quoi se détermine l’idée lui demeure parfaitement transparent, et est le concept demeurant près de soi-même dans sa détermination. Le passer est donc ici plutôt à saisir de telle sorte que l’idée se déprend elle-même librement (frei entläßt), absolument sûre d’elle et en-repos dans soi. En raison de cette liberté, la forme de sa déterminité est aussi bien purement-et-simplement libre — l’extériorité de l’espace et du temps qui est absolument pour soi-même sans subjectivité. — Dans la mesure où celle-ci est seulement selon l’immédiateté abstraite de l’être et se trouve saisie par la conscience, elle est comme simple objectivité et vie extérieure ; mais dans l’idée elle demeure en et pour soi la totalité du concept, et la science dans la relation du connaître divin à la nature. Cette décision (Entschluss) prochaine de l’idée pure de se déterminer comme idée extérieure pose pourtant pour soi du même coup la médiation à partir de laquelle le concept s’élève comme existence libre allée dans soi à partir de l’extériorité, accomplit par soi la libération dans la science de l’Esprit, et trouve le concept suprême de lui-même dans la science logique, [entendue] comme le concept pur se comprenant [10].
11Cette transition a fait couler beaucoup d’encre parce qu’elle n’est effectivement pas une relève dialectique ordinaire mais une libération, une déprise de soi en un se-laisser-aller-librement : elle n’est la conséquence d’aucun jugement ou d’aucune réflexion dialectique mais la décision de l’idée pure elle-même d’exister réellement. Qu’est-ce qu’une décision de se déprendre de l’idéalité et de se laisser aller dans l’existence ? Mouvement unique qui règle le rapport entre l’idée et le réel, ou entre l’infini intemporel et la finitude contingente, elle est le moment spéculatif par excellence.
12On sait que l’illustration la plus évidente du concept encore en puissance est sa représentation théologique. La citation résonne comme une paraphrase spéculative de la création du monde, car Hegel y donne une version philosophique du logos de l’évangile selon st Jean – « au commencement était le logos… » – qui est présent dès le début de ce chapitre. Le logos se fait monde, il se parachève dans la création, parce que l’existence finie de la nature, et plus tard de l’homme, est conforme au désir mystérieux, par ailleurs éternel et extratemporel, du Dieu-Idée. Dans les additions introductives à la Philosophie de la nature, Hegel reprend cette idée en précisant notamment que la création n’a pas lieu dans le temps fini, car elle est éternelle, intemporelle et omnitemporelle :
Comment l’infini sort-il de lui-même pour faire être le fini ? Sous une forme plus concrète, la question est celle-ci : comment Dieu en est-il venu à créer le monde ? […] Dieu, [pris] en tant qu’une entité abstraite, n’est pas le vrai Dieu, mais il n’est tel que comme le processus vivant consistant, pour lui, à poser son Autre – le monde –, lequel, saisi sous forme divine, est son Fils ; et c’est seulement dans l’unité avec son Autre, dans l’Esprit, que Dieu est sujet.
14Hegel continue en disant que le but de la philosophie de la nature est que l’esprit trouve le concept dans la nature et, ainsi, l’étude de la nature est la libération de l’esprit en celle-ci :
C’est là tout autant la libération de la nature ; elle est en soi la raison, mais c’est seulement par l’esprit que cette raison vient comme telle en elle à l’existence. L’esprit a la certitude qui fut celle d’Adam lorsqu’il aperçut Ève : ‘voici la chair de ma chair, voici les os de mes os’. Ainsi la nature est la fiancée que l’esprit prend pour épouse.
16Comme telle, la nature est cependant aliénée :
Dans le Christ, la contradiction est posée et supprimée, en tant que vie, que passion et que résurrection : la nature est le Fils de Dieu, non pas cependant en tant qu’un tel Fils, mais en tant que persistance dans l’être-autre, – L’idée divine en tant que fixée, pour un instant, hors de l’amour. La nature est l’esprit en tant qu’il s’est rendu étranger à lui-même, qui, en elle, est seulement dissolu, un dieu à l’image des bacchantes, qui ne se réfrène et domine pas ; dans la nature, l’unité du concept se dissimule [11].
18Par métaphore, la nature est comparée au Christ et à Dionysos, aux deux divinités frères qui représentent la présence de l’idée dans la nature mais qui donnent aussi à comprendre que la nature est avant tout le domaine de la souffrance, du démembrement et de la mort, et que son but est le dépassement de la mort naturelle par la mort de la nature, représentée ici par la résurrection du Christ et par le recommencement du cycle éternel de la vie et de la mort de Dionysos, et à la fin de la Philosophie de la nature aussi par le Phénix [12]. La traduction philosophique de ces mythes est l’exposition de la nature dans sa dispersion gouvernée par la nécessité et par la contingence. Selon le § 248, la nature est « divine en soi, dans l’Idée, mais, telle qu’elle est, son être ne correspond pas à son concept ; elle est bien plutôt la contradiction non résolue […] la chute de l’Idée à partir de et hors d’elle-même ». Son essence est le négatif, la matière abstraite.
Dans la nature, non seulement le jeu des formes a sa contingence délivrée de tout lien, débridée, mais chaque figure, pour elle-même, est privée du concept d’elle-même. Le sommet auquel atteint la nature en son être-là, c’est la vie, mais celle-ci, en tant qu’Idée seulement naturelle, est abandonnée à la déraison de l’extériorité, et la vitalité individuelle est, à chaque moment de son existence, prise dans une implication avec une singularité qui lui est autre ; alors que, par contre, dans toute extériorisation spirituelle, est contenu le moment d’une libre relation universelle à soi-même [13].
20Le concept est dispersé, faible et impuissant (§ 250) dans la nature, et c’est pourquoi la nature doit n’être que le détour provisoire, destiné à être surmonté, de l’idée dans son chemin vers lui-même.
21Cette imagerie théologico-mythologique n’apprend rien de neuf. Plus intéressant est le mouvement contraire par lequel l’idée s’élève de la nature, et qui n’est pas prédéfini dès l’introduction mais vient seulement au jour dans la progression du livre. Ici, le discours mythologisant de la chute dominant dans les remarques de l’introduction sera écarté au profit de l’exposition d’une logique de la formation de la nature par elle-même en elle-même. Cette progression conceptuelle montrera comment les formations contingentes et dispersées de la nature ont leur propre nécessité, qui n’est pas du tout un décalque de l’Idée logique présentée dans la première partie de l’Encyclopédie, mais une nécessité naturelle qui frappe l’esprit d’abord comme une énigme [14], que l’esprit ne comprend justement pas, et dont la compréhension dans sa nécessité inhérente est l’objectif véritable de la Philosophie de la nature. L’enjeu n’est donc pas d’écarter la contingence de la nature afin de retrouver l’idée que l’esprit n’aurait jamais dû laisser ; l’enjeu est de trouver la nécessité de cette contingence même, en la saisissant comme la chance, la chance inouïe de l’esprit à qui l’idée se montre généreusement dans la nature, laquelle est à la fois énigmatique et manifeste : un secret sans secret.
2. La chute par la gravité et la chance de la lumière chez Schelling
22On comprend mieux ce mouvement contraire à la chute si on examine d’abord la logique générale de la philosophie schellingienne de la nature, que Hegel connaissait – et rejetait fortement. La véhémence du rejet de Hegel trahit aussi une rivalité dissimulée, car sa critique est réductrice, voire fausse, alors qu’on retrouvera l’élan spéculatif du geste schellingien tissé dans la trame même de la Philosophie de la nature hégélienne, comme nous le verrons plus loin. En fin de compte, la différence réelle entre les deux philosophies de la nature tient à ce que Hegel prend les sciences plus sérieusement que Schelling, qui les laisse peu à peu de côté au profit de la spéculation métaphysique, mais, derrière ces accentuations, ils voient la « même » nature.
23La philosophie de la nature de Schelling consiste en plusieurs phases successives qui ne forment pas un système unique [15]. Dans la première phase, en particulier dans Ideen zu einer Philosophie der Natur et Von der Weltseele, le point de départ est le problème de la matière. La matière est le principe obscur, nocturne, aveugle, dionysiaque, insensé – le célèbre « principe barbare [16] » – dont se sera tant moqué Hegel. Pour Schelling cependant, penser la matière ne veut pas dire se noyer dans une bacchanale primitive mais penser la rationalité qui est dans la matière. Schelling étudie la matière en termes de gravitation et de lumière, qu’il trouve d’abord chez Newton, bien qu’il rejette l’interprétation newtonienne des forces en leur préférant celle du dynamisme de Kant, qui sert de point de départ à sa propre interprétation plus spéculative [17]. Le principe de son interprétation de la matière se retrouvera aussi chez Hegel, à savoir que la matière ne consiste pas en choses soumises aux forces extérieures, car la matière elle-même n’est rien d’autre que la différence des forces : la matière est la différence physique originaire. Ce n’est pas le lieu ici de présenter les différentes phases de cette différence physique originaire [18], que Schelling expose à travers des sciences naturelles aujourd’hui désuètes, mais on peut juste nommer le principe philosophique ferme qu’il trouve grâce à ces idées bigarrées : la matière est le devenir de la différence réelle via l’opposition, l’antagonisme, l’équilibre, etc. C’est parce que la matière se différencie sans cesse qu’elle est dynamique, changeante et vivante – « l’aspect plastique de l’univers [19] ». L’intérêt du philosophe ne porte pas sur des principes abstraits mais sur la compréhension des choses matérielles réelles, dont il observe la différenciation à la fois comme principe d’organisation interne des choses et comme principe de leurs rapports aux choses extérieures, qui se définissent alors selon leurs rapports antagonistes les uns par rapport aux autres. Comme la gravitation universelle détermine les mouvements des corps célestes, la gravité nomme le principe général de l’interaction, qui détermine l’espacement et la temporalisation des choses ainsi que leur pluralité irréductible [20]. Les choses réelles évoluent selon un antagonisme réciproque dans lequel chaque chose est formée par les autres : les choses finies sont des résidus provisoires de l’antagonisme primitif, grâce auquel les choses sont leurs différences avec d’autres choses avant d’être quoi que ce soit par elles-mêmes. À tous les égards, la matière est métamorphose, force formatrice (Bildungskraft).
24Dans Die Weltseele, Schelling développe le même principe plus loin dans le contexte du monde organique, en arguant que l’organicité est la force la plus originaire de la nature. Les corps organiques sont animés par une pulsion formatrice (Bildungstrieb) qui est davantage que la force formatrice (Bildungskraft) que Schelling avait trouvée dans la nature inorganique, car la Bildungstrieb contient déjà une étincelle de liberté : un organisme est ce qu’il se fait être [21]. Ainsi, contre la matière morte newtonienne, Schelling finira par poser l’idée d’une nature vivante qui, envisagée comme totalité, est l’âme, anima, du monde.
25La pensée de cette nature n’est évidemment pas à la portée des sciences ordinaires : elle requiert une forme d’intuition intellectuelle, qui consiste en la capacité de voir l’unité dans la dispersion des choses et le mouvement de la vie universelle dans la nature morte [22]. La découverte de ce type de pensée permet le commencement de la Naturphilosophie proprement dite. L’évolution de la Naturphilosophie schellingienne est lente et tortueuse, et c’est pourquoi nous ne relevons ici que quelques repères principaux. Dans Entwurf eines Systems der Naturphilosophie de 1799, Schelling laisse les sciences de côté et pose directement la question philosophique de l’être de la nature. À cette phase, puisque la nature est pensée comme un organisme, son être est celui d’un sujet, qui est l’acte de se poser dans la réalité, pure action de venir-à-être. À partir de là, Schelling pense l’être comme action (Entwurf) ou comme production (Einleitung) dans laquelle la natura naturata et la natura naturans coïncident [23]. La nature ne peut pas être juste une force infinie de production ; pour être à la hauteur de son propre concept, la production doit produire quelque chose – une réalité finie. Or dès que la réalité se pose finie, elle cesse d’être conforme à l’infinitude de son concept, et c’est pourquoi elle doit se briser, se produire à nouveau, et ainsi de suite : la nature n’est pas mais devient, car toute forme de l’être est déjà la limitation de la force infinie qui est son essence, et c’est pourquoi elle est un devenir et une métamorphose infinis [24]. C’est la dialectique de la finitude et de l’infinitude qui anime l’idéalisme allemand en général. Cependant, bien que l’objectif de la philosophie soit de découvrir cette logique animant le Tout, Schelling souligne que la philosophie doit la trouver dans les existants singuliers et non pas dans la spéculation désincarnée : Schelling, notamment dans Aphorismen zur Einleitung in die Naturphilosophie et dans Aphorismen über die Naturphilosophie, souligne que la pure existence du singulier est la source véritable de l’étonnement philosophique et le lieu où l’infini philosophique doit être cherché [25].
26Enfin, dans une troisième phase de sa Naturphilosophie, développée surtout dans Die Weltalter (1811-1815), Schelling formule une métaphysique plus profonde encore. À ce moment-là, le mystère fondamental de la philosophie n’est ni la matière ni la production mais l’existence de l’existant. Corrélativement, la gravité et la lumière ne sont plus des lois physiques mais des puissances ontologiques (Potenz) – et c’est bien contre cette idée de puissance qu’il faudra évaluer l’idée hégélienne de l’impuissance de la nature. Par gravité, Schelling nomme alors la cause ontologique de l’existence des êtres singuliers, cause qui est à la fois manifeste et inexplicable. La gravité est le fait qu’il y a de l’existence : que ceci existe. Du point de vue de l’infini, la gravité est la pensée du fondement du Tout de la nature. C’est une pensée difficile, voire terrifiante. Selon Freiheitsschrift (1809), la nature est ce qui dans Dieu n’est pas Dieu, mais le désir infini d’engendrer dieu ; elle est l’absence de dieu, nuit éternelle, reste rebelle qui ne peut pas être converti en positivité idéelle de Dieu [26]. Die Weltalter la décrit en tant qu’un « autre désir », un « désir d’être qui produit le chaos terrifiant de la nature [27]. Ici, la nature n’est pas christique, aliénation provisoire de dieu de lui-même, comme chez Hegel : la nature est l’autre de dieu, peut-être Lucifer, en tous cas une force démonique et diabolique, une force du mal, qui entraîne vers les dieux infernaux, le Jupiter stygien, l’être barbare de Dionysos. La lumière, en revanche, s’élève depuis la gravité. La lumière y est tout simplement l’intelligibilité des choses. Elle n’est pas la visibilité sensible des choses à nos sens, ni la visibilité rationnelle de nos représentations, car elle ne dépend pas de nous. La lumière est ce qui dans la nature elle-même est idéel. D’un côté, elle est la lumière des choses en elles-mêmes – non pas le modèle auquel elles se conformeraient, mais l’affirmation pure de leur être. D’un autre côté, elle est la présence de l’absolu dans la nature : non pas une figure du Tout, où chaque chose aurait sa place, mais le se-rapporter réciproque sans fin des choses entre elles, par quoi les choses ne sont pas isolées mais se rapportent les unes aux autres comme dans l’imagination absolue. Qu’est-ce donc, chez Schelling, que la nature dans sa forme ultime ? La chance toujours renouvelée de la lumière, à savoir, de l’intelligibilité des êtres et des processus naturels ; et la chute toujours renouvelée au fond où les raisons se retirent et se refusent. La nature comme antagonisme de gravité et de lumière est le pouls vivant de cette chance et de cette chute.
3. La chance de la nature chez Hegel
27Nous avons suggéré l’idée que Hegel a hérité plus qu’il ne l’admet de la Naturphilosophie schellingienne. À certains égards, la philosophie de la nature de Hegel est à coup sûr plus accomplie, ne serait-ce que parce qu’elle forme un véritable système organisé en une suite de phases (Stufenfolge), alors que la Naturphilosophie schellingienne consiste en plusieurs esquisses qui ne font pas un tout mais recommencent chaque fois depuis le début afin de reformuler le principe général de la pensée de la nature. Cela étant, la logique qui produit la suite des phases de la nature chez Hegel n’est pas sans ressembler à la logique formulée par Schelling.
28La ressemblance la plus forte porte sur la première phase de la Naturphilosophie, où Schelling commente les sciences physiques et chimiques de son temps, parce que la démonstration hégélienne s’appuie également sur les sciences. Comme nous venons de le voir, Schelling montre comment les sciences naturelles de son temps présupposent en réalité une conception de la matière comme différence physique originaire se déterminant peu à peu en opposition, antagonisme, équilibre, etc. Les formes de plus en plus déterminées de la différence sont la loi des phénomènes de plus en plus concrets de la nature, qu’on trouve dans la mécanique du système gravitationnel, puis dans la chimie, le magnétisme et l’électricité, et enfin dans la différenciation maximale qui détermine l’être organique. Le même mouvement de différenciation croissante, expliquant la formation toujours plus concrète des êtres naturels, détermine la progression de la Philosophie de la Nature de Hegel. Nous ne suivrons pas le passage tortueux de Hegel dans ce qui apparaît aujourd’hui n’être que le cabinet des curiosités aujourd’hui discréditées par la science, mais nous relèverons quelques exemples essentiels. Comme Schelling, Hegel pense que l’espace et le temps n’appartiennent ni à notre sensibilité ni à l’idéalité mathématique, car leur vérité est d’être l’espacement et la temporalisation des choses matérielles elles-mêmes, leur lieu, lequel n’est donc pas la place vide qui peut être remplie par la matière mais la matière mouvante elle-même [28]. Comme Schelling, il critique l’idée newtonienne des forces, parce que Newton présenterait les forces gravitationnelles séparées des choses (les lois de la gravitation mouvraient les corps célestes indifférents de l’extérieur, comme des balles de billard), alors qu’elles seraient en réalité consubstantielles aux corps matériels eux-mêmes (les corps célestes sont constitués par leur pesanteur) [29]. Comme Schelling, il s’attarde longuement sur le « principe de configuration [30] » ou la force formatrice à l’œuvre dans les cristaux [31], dans l’électricité [32], dans les corps chimiques [33], et enfin dans les vivants [34]. L’essentiel, pour les deux philosophes, est de récuser l’idée platonicienne des formes idéalement données, dont les êtres concrets seraient des copies (par ex., les espèces n’ont aucune réalité [35]), et d’expliquer au lieu de cela la formation progressive des êtres concrets à même leur vie. Le développement de la nature est le développement de ses êtres particuliers, que Schelling analyse surtout en tant qu’ils sont singuliers, et dont Hegel étudie l’individuation ; mais les deux sont expliqués par une logique similaire du devenir progressif de la figure à travers des processus de plus en plus précis de différenciation.
29Dans la Naturphilosophie hégélienne, l’individuation commence par la lumière, dont la loi est la pure identité (reine Identität), l’égalité (Gleichheit) [36]. La lumière fournit l’illustration concrète du principe idéel d’égalité, car elle est l’élément de la manifestation, qui révèle toutes choses, lesquelles sont égales dans la mesure où elles sont manifestes, mais en même temps trop égales pour avoir des différences significatives entre elles. L’individualité spécifique ne peut pas émerger avant une différenciation qui permette l’apparition d’une forme ou d’une figure déterminée. Dans la Naturphilosophie hégélienne, tout comme dans la Naturphilosophie schellingienne, la forme n’est donc jamais une morphe prédéterminée et imposée sur une hyle passive : la loi de la forme est la Bildungskraft ou la Bildungstrieb ; la forme naît du processus actif de formation et existe comme trace du devenir de l’individu.
30Ainsi, la figure (Gestalt) la plus simple est le cristal, qui est déjà le résultat d’une différenciation – bien que dans le cristal la différenciation soit une vibration et un tremblement passés, quelque chose de devenu mais qui ne devient plus. Pour Hegel comme pour ses contemporains, le cristal était une chose fascinante dans la mesure où il est inanimé mais témoigne néanmoins d’une certaine « vie ». Si le cristal « croît », ce n’est pas parce qu’il serait un objet sur lequel une forme s’imposerait, mais parce qu’il est déjà un proto-sujet qui se fait par lui-même : il est la concrétisation par excellence de la figure, déjà un corps qui a « dans lui-même un géomètre secret, silencieux, qui, en tant que forme entièrement pénétrante, l’organise vers le dehors comme vers le dedans [37] ». Ce « géomètre » est bien une force proto-subjective, pas encore une « âme » mais pourtant déjà un « maître d’œuvre de la forme », un « principe vital de la nature [38] ». Le principe de configuration (Gestaltung) naturel qui agit déjà dans le cristal est selon Hegel le magnétisme, qui n’est autre que la polarité de la relation trouvant son unité dans le point d’indifférence : opposition active et agissante, « l’aimant présente d’une manière naïve et simple la nature du concept, et en vérité de celui-ci en la forme développée qui est la sienne comme syllogisme [39] ». Le magnétisme présente ainsi ce qu’est dans la nature elle-même « [l]’activité de la forme [qui] n’est aucune autre que celle du concept en général, qui consiste à poser ce qui est identique comme différent et ce qui est différent comme identique [40] ». L’électricité est pure différenciation sans substances qui la porteraient. Dans le processus chimique, la contradiction de l’identité des corps non identiques devient manifeste, en sorte que leur relation est « par définition essentiellement un processus, qui a, conformément au concept, la détermination de poser le différencié en une identité, de l’indifférencier, et de différer l’identique, de l’animer du principe spiritualisant et de le scinder [41]. » Dans la nature, l’aboutissement de ce processus de la contradiction est la naissance de nouveaux corps chimiques. Enfin dans le vivant, la différenciation devient contradiction, et en particulier l’animal qui, étant la forme la plus haute de la nature, est la contradiction existante et le spéculatif existant [42]. Ainsi, l’individualisation toujours plus déterminée de la lumière, du magnétisme, de l’électricité, de la chimie et du vivant a été expliquée selon les déterminations logiques de l’identité, de la différence, de l’opposition et de la contradiction, qui étaient effectivement les phases du développement de la différence dans La logique de l’essence. En ce sens, on peut dire que, bien qu’à travers un matériel plus vaste et plus ordonné, Hegel présente le même mouvement logique que Schelling : celui de la différenciation toujours plus déterminée qui rend compte de la figuration comme d’un processus dynamique, voire vivant.
31Est-ce que ce rapprochement peut aller plus loin, à savoir jusqu’à la Naturphilosophie proprement dite de Schelling ? Il semblerait qu’on puisse condenser la différence entre les deux philosophies de la nature dans l’idée de la puissance. Pour Hegel, la nature est caractérisée par l’impuissance : « C’est l’impuissance (Ohnmacht) de la nature, que de ne conserver qu’abstraitement les déterminations conceptuelles et d’exposer la réalisation du particulier à une déterminabilité extérieure [43]. » Schelling, en revanche, pense la nature comme une puissance, et précisément comme puissance d’engendrer la « lumière », c’est-à-dire l’idée : il en est ainsi en particulier dans Freiheitsschrift et dans Die Weltseele, où la gravité et la lumière sont expliquées en tant que puissances (Potenz) ontologiques. De ce point de vue, chez Hegel l’interprétation de la nature comme chute l’emporte, alors que chez Schelling, c’est l’interprétation de la nature comme chance de l’idée qui domine. Mais cette opposition n’est pas si évidente, et pas seulement pour des raisons linguistiques (Macht ≠ Potenz).
32D’un côté, si on comprend la lumière schellingienne au sens de l’idée, on retrouve également dans la Philosophie de la nature de Hegel quelque chose du mouvement de l’émergence de la lumière depuis l’obscurité de la matière inanimée. Celle-ci est aussi la concrétisation progressive de la forme dans la différenciation déterminante passant par le magnétisme, l’électricité, la chimie jusqu’à aboutir dans l’animal, lequel est déjà un sujet pourvu d’un comportement pratique et théorique, et que seule la prise du logos sépare de l’être humain anthropologique – qui entrera en scène au début du troisième tome de l’Encyclopédie [44]. Cette concrétisation libère l’idée qui s’était déjà émancipée dans la nature ; cette fois, la libération de l’idée signifie qu’elle devient de plus en plus manifeste. Parce que l’idée s’élève, émerge et ainsi naît de la nature, on ne peut pas prendre la nature pour un simple détour provisoire de l’idée dans ce qui lui est autre, suivi du retour à soi sans perte. En effet, la chute de l’idée dans la nature est suivie d’une longue maturation dans la matérialité énigmatique de la nature, après quoi l’idée ne revient pas à soi inchangée. On peut par conséquent dire que la nature est également la chance de l’esprit, car c’est grâce à elle que l’idée acquiert sa concrétude et sa réalité, de sorte qu’elle est entièrement transfigurée par son passage dans l’extériorité naturelle lorsqu’elle ressurgit en tant qu’esprit (au début de la troisième partie de l’Encyclopédie).
33En ce sens, on peut donc dire que le principe général de la lumière selon Schelling n’est pas absent de la Philosophie de la nature de Hegel : chaque fois, la nature est la chance de l’émergence de l’idée. C’est moins la nature que l’idée elle-même qui est différente. Schelling l’appelle lumière, et ce terme correspond à sa façon de comprendre la pensée elle-même en termes d’intuition intellectuelle, qui est avant tout une attitude contemplative de l’idéation. Hegel, au contraire, ne valorise pas le terme de lumière. Il en parle uniquement dans le contexte de l’individuation en tant qu’élément le plus simple capable seulement d’égalité. Chez lui, le feu est un élément qui prend plus d’importance que la lumière car il contient à la fois la vie et la destruction. Mais au fond, l’idée qui ressort de la nature est l’idée de vie qui a, on le sait, aussi une signification spéculative profonde, déjà esquissée dans la Logique. Pour La philosophie de la nature :
La nature est en soi un tout vivant ; le mouvement à travers sa gradation consiste précisément en ce que l’Idée se pose comme ce qu’elle est en soi, – ou, ce qui est la même chose, en ce qu’elle sort de son immédiateté et extériorité – qui est la mort – pour aller dans elle-même, afin, tout d’abord, d’être en tant qu’un vivant, mais, en outre, en ce qu’elle supprime aussi cette déterminité dans laquelle elle est seulement vie, et se fait naître à l’existence de l’esprit, lequel est la vérité et le but final de la nature, et constitue l’effectivité vraie de l’idée [45].
35L’idée qui ressort du processus de la nature est l’idée de vie, l’idée qui est d’abord la contradiction qu’est le vivant en lui-même, la contradiction du vivant avec lui-même et avec son monde, le conflit permanent des êtres naturels les uns avec les autres, processus de la négativité et de la contradiction qui n’est justement pas très « lumineux », mais qui est au contraire empreint de négativité et pour cela difficilement compréhensible. Le processus réel de la nature n’est donc pas sa luminosité pour nous ou plus généralement pour la pensée : il est la dialectique de la vie et de la mort, la dialectique qui s’efforce de penser cette contradiction par excellence. Pour nos deux idéalistes allemands, la nature est toujours la seule chance de la pensée – mais pour Schelling, la pensée est contemplative, alors que pour Hegel elle est dialectique. Pour Schelling, la chute et la chance de la pensée est la gravité comme principe ontologique, alors que pour Hegel elle est la négativité des rapports naturels réels en tant qu’ils se déploient le long de divers processus de formation de la nature. C’est ici qu’une différence radicale se dessine au cœur d’une proximité après tout remarquable.
4. La monstruosité de la nature qui reste
36Pour finir, j’aimerais regarder de plus près la nature en tant qu’elle résiste à l’idée – car nos deux philosophes ont raison de souligner la force de résistance de la nature devant l’idée. Bien entendu, l’objectif premier de leurs pensées de la nature est l’explication de la situation de l’être humain entre la nature et dieu, et ensuite la révélation de la raison divine (Freiheitsschrift) ou spirituelle (Encyclopédie des sciences philosophiques). Du point de vue de cet objectif, la nature doit finalement apparaître comme la chance grâce à laquelle l’esprit peut se retrouver, et que l’esprit peut finalement dépasser. Mais cette acception de la chance reste limitée, car tout ce qui y relève du hasard s’en trouve écarté, et la nature se montre finalement comme le royaume de la nécessité dont l’esprit doit se libérer. Or, selon Hegel surtout (§ 248, 250), la nature est aussi le royaume de la contingence qui tombe en-dehors de la nécessité. C’est pourquoi quelque chose en elle reste toujours obscur, impénétrable et déraisonnable.
37Dans Die Weltalter et dans Freiheitsschrift, Schelling donne le nom de « gravité » précisément à cet aspect de la nature qui ne peut pas être converti à la lumière. Une tension éternelle règne entre la gravité et la lumière, car la gravité est à la fois le fondement (Grund) d’où la lumière peut surgir, et le sans-fond (Abgrund) qui se retire de la lumière, se refuse à la clarté et reste éternellement rebelle, obscur et insensé. Fondamentalement, ce sans-fond est l’absence de pourquoi de l’existence du singulier : rien ne peut rendre compte de l’existence de ce singulier-ci. Pour Schelling, la gravité n’est pas juste impuissante à s’éclaircir : il y a en elle aussi une puissance contraire à la volonté de lumière, quelque chose de dionysiaque et de diabolique à la fois dans cette volonté d’obscurité qui contredit la volonté de lumière.
38Rien de tel chez Hegel. Après tout, la nature est impuissante devant l’idée ; et si toutes les formations de la nature ne sont pas à la hauteur de l’idée, c’est qu’elles sont contingentes, à vrai dire inessentielles et indifférentes. Les passages suivants (§ 248 et 250) devraient maintenant parler d’eux-mêmes :
Dans cette extériorité, les déterminations conceptuelles ont l’apparence d’une subsistance indifférente et de la singularisation isolante les unes vis-à-vis des autres ; c’est pourquoi le concept est en tant qu’[un] intérieur. La nature ne montre, par suite, dans son être-là, aucune liberté, mais de la nécessité et de la contingence.
40Hegel poursuit en disant que tel qu’il est, l’être de la nature ne correspond pas à son concept ; la nature est bien plutôt la contradiction non résolue.
Dans la nature, non seulement le jeu des formes a sa contingence délivrée de tout lien, débridée, mais chaque figure, pour elle-même, est privée du concept d’elle-même. Le sommet auquel atteint la nature en son être-là, c’est la vie, mais celle-ci, en tant qu’Idée seulement naturelle, est abandonnée à la déraison de l’extériorité, et la vitalité individuelle est, à chaque moment de son existence, prise dans une implication avec une singularité qui lui est autre […]
La contingence et la déterminabilité par le dehors a, dans la sphère de la nature, son droit. […] C’est l’impuissance de la nature que de ne conserver qu’abstraitement les déterminations conceptuelles et d’exposer la réalisation du particulier à une déterminabilité extérieure.
42Hegel poursuit en disant qu’on a glorifié la richesse infinie et la multiplicité variée des formes, mais qu’il faut imputer à la manière sensible de se représenter les choses, de tenir la contingence, l’arbitraire, l’absence d’ordre, pour de la liberté et de la rationalité :
Assurément, on pourra suivre des traces de détermination conceptuelle jusqu’au cœur de ce qui est le plus particulier, mais ce dernier ne se laissera pas épuiser par elles. […] [Et c’est cette] impuissance de la nature à tenir ferme le concept [qui fait que] la nature mêle partout les limites essentielles au moyen de formations intermédiaires et mauvaises [et produit ainsi des monstruosités, à savoir, des formations défectueuses, mauvaises et difformes ; quoique pas par rapport à un type fixe car, dans la mesure où on peut le postuler, il produit aussi ces monstruosités, mais qu’on doit quand même regarder comme étant défectueuses] [46].
44Selon Hegel, la nature n’est pas tant incompréhensible quant à son être (comme chez Schelling) que difforme et déraisonnable quant à sa forme rationnelle. Comme le disait Goya, le sommeil de la raison engendre des monstres ; et les êtres naturels sont nécessairement et essentiellement monstrueux, car contradictoires, contingents, pris dans des implications avec des singularités qui leur sont autres, et formés par ces rencontres singulières sans nécessité. L’idée choit dans la nature monstrueuse, impuissante à s’y réaliser proprement, écartelée comme Dionysos par les Bacchantes.
45Or, il y a des raisons pour penser que notre temps est marqué par un besoin de se pencher de nouveau sur cette « monstruosité », et de se demander si la monstruosité même de la contingence ne serait pas aussi une chance de la pensée, et non pas uniquement sa chute. C’est la question qui a été ouverte, de plusieurs manières, dans les interprétations françaises récentes de Hegel mentionnées au début de cette étude. Elles ont révélé les brèches de l’argumentaire hégélien qui permettent d’accorder plus de droits à la contingence, dans la mesure justement où c’est elle qui donne à penser, présente l’énigme qu’est selon Hegel la nature, explique justement cette énigmaticité sans laquelle il n’y a pas de pensée de la nature ni, a fortiori, de réel du tout. Il ne s’agit certes pas de nier la rationalité comme objectif de la pensée hégélienne, mais d’éclaircir l’irrationalité à sa source et par là de penser la rationalité elle-même de manière plus fine.
46Une autre voie de pensée commence à la limite même où on se demande si la prise en compte de la monstruosité contingente de la nature est encore un geste hégélien ou pas : à savoir, qu’elle le soit ou pas, cette pensée est intéressante et utile aussi indépendamment des questions d’héritage. Il est indispensable aujourd’hui de trouver des moyens pour penser philosophiquement les formations contingentes de la nature, par exemple la plasticité des êtres naturels, leur capacité de métamorphose, leur formation par implication avec d’autres êtres, etc. Ces processus, que Hegel taxe de monstruosité et aimerait « relever » (aufheben), sont au cœur de la biotechnologie moderne, mais aussi de l’anthropotechnique qui s’en sert, et des sociotechniques complexes qui en découlent. Si un détour par la philosophie idéaliste de la nature semble encore et toujours utile, ce n’est pas pour expliquer ces nouvelles technologies du vivant ni pour évaluer les sciences qui les accompagnent, mais pour penser en philosophe le réel qui nous entoure, y compris la monstruosité du réel. Mais la réelle confrontation avec la contingence de la nature requiert probablement un changement dans la pensée elle-même – car aux yeux du rationalisme systématique de l’idéalisme allemand, elle ne peut paraître que monstrueuse.
Mots-clés éditeurs : chute, Hegel, Schelling, nature, chance
Date de mise en ligne : 04/08/2020
https://doi.org/10.3917/aphi.833.0081Notes
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[1]
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer Jean-Marie LARDIC, La Contingence chez Hegel, Paris, Vrin, 1977 ; Bernard MABILLE, Hegel. L’épreuve de la contingence, Paris, Aubier philosophie, 1999 ; Emmanuel RENAULT, Hegel, la naturalisation de la dialectique, Paris, Vrin, 2001 ; Gilles MARMASSE, Penser le réel. Hegel, la nature et l’esprit, Paris, Kimé, 2008. Bien qu’il ne s’agisse pas particulièrement de la nature, le même désir de défier la thèse de la clôture de l’idéalisme au réel anime, d’un côté, Franck FISCHBACH, Du Commencement en philosophie. Étude sur Hegel et Schelling, Paris, Vrin, 1999, et encore différemment Catherine MALABOU, L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité, dialectique, Paris, Vrin, 1994. La réévaluation de la philosophie de la nature accompagne le travail de traduction du deuxième tome de l’Encyclopédie par Bernard BOURGEOIS : Encyclopédie des sciences philosophiques. T. 2 : La philosophie de la nature, Paris, Vrin, 2004.
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[2]
Comme par exemple Georges GUSDORF, Le Romantisme II, Paris, Payot & Rivages, 1984, p. 479-481.
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[3]
Philippe HUNEMAN, « From the Critique of judgment to the hermeneutics of nature: Sketching the fate of philosophy of nature after Kant », Continental Philosophy Review 39 (2006), p. 1-34.
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[4]
Les travaux en allemand et anglais excellent en histoire mais évitent les interprétations plus poussées. Parmi les plus intéressants sont Wolfgang BONSIEPEN, Die Begründung einer Naturphilosophie bei Kant, Schelling, Fries und Hegel. Mathematische versus spekulative Naturphilosophie, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1997 ; la traduction commentée par M. J. Petry de Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Philosophy of Nature, London, George Allen and Unwin Ltd., 1970, et d’autres travaux de Petry, et Timothy LENOIR, The Strategy of Life: Teleology and Mechanics in Nineteenth Century German Biology, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1982.
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[5]
Désormais un courant important, le réalisme spéculatif est né depuis Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006 et a été développé notamment par G. Harman, R. Brassier, T. García, I. H. Grant et L. Bryant.
-
[6]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Von der Weltseele (Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Leipzig, Fritz Eckhardt Verlag, 1907, p. 455 (I, II, 455). Les numéros romains appartiennent à l’édition de référence : Friedrich Wilhelm Joseph von SCHELLING (1856-1861), Sämmtliche Werke. Hrsg von K. F. A. Schelling, Stuttgart, Augsburg.
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[7]
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Enzyklopedie der philosophischen Wissenschaften II. Die Naturphilosophie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1970. Traduit par B. Bourgeois, Encyclopédie des sciences philosophiques II. Philosophie de la Nature, op. cit., § 248, p. 28 / 187.
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[8]
Ibid.
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[9]
Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Wissenschaft der Logik II, Werke 6, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1969, p. 572 / Traduction par P. J. Labarrière et G. Jarczyk, Science de la logique. III, Paris, Aubier, 1972, p. 392. Par la suite, les références seront abrégées en séparant la pagination originale de celle de sa traduction par « / ».
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[10]
Logik II, p. 573 / 392-393.
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[11]
Enzyklopedie II, § 246 Anm. et § 247, p. 23-25/346-348.
-
[12]
Enzyklopedie II, § 376 & Anm., p. 537-539/719-721.
-
[13]
Enzyklopedie II, § 248, p. 27-28/187-188.
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[14]
Enzyklopedie II, p. 12/336.
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[15]
Sur la périodisation de la philosophie de la nature de Schelling, voir Xavier TILLIETTE, Schelling. Une philosophie en devenir. T. I. Le système vivant. Paris, Vrin, 1970, p. 172, 323-324, et Wolfgang BONSIEPEN, op. cit., p. 147s. La présentation de la philosophie de la nature de Schelling par Richards est également utile et stimulante, sauf pour ce qui concerne son étrange affirmation que la matière serait dans Ideen… une création de la sensibilité : Robert J. RICHARDS, The Romantic Conception of Life. Science and Philosophy in the Age of Goethe, Chicago and London, University of Chicago Press, 2002, p. 127-166, notamment p. 132-133. Comme le dit Wirth, si tant est que la nature peut être dite un produit de l’imagination productrice, celle-ci n’est nullement humaine : « For Schelling, unlike Fichte’s delimitation of the productive imagination to the domain of human subjectivity, the productive imagination is the life of the Weltseele, the world anima, the animation of nature in its circular and demiurgic life. » (Jason M. WIRTH, The Conspiracy of Life. Meditations on Schelling and his Time, New York, State University of New York Press, 2003, p. 87).
-
[16]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Die Weltalter (Die Vergangenheit, 1811), WA I, 51, in Ausgewählte Schriften Band 4, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1985, p. 263.
-
[17]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ideen zu einer Philosophie der Natur (Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Leipzig, Fritz Eckhardt Verlag, 1907), I, II, 192. Schelling s’appuie sur Kant ; voir Immanuel KANT, Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft, Frankfurt am Main, Meiner, 1997, chapitre sur « Dynamik ».
-
[18]
Je développe les considérations suivantes sur la philosophie de la nature de Schelling de manière plus détaillée dans mon article « The Legacy of Schelling’s Philosophy of Nature in 20th Century Phenomenology of the Elemental », in Das Elementale: Erde, Pan und Fleisch, Annette Hilt und Anselm Böhmer Hrsg., Würzburg, Königshausen und Neumann, 2008. Voir aussi Jean-François MARQUET, Liberté et existence. Étude sur la formation de la philosophie de Schelling, Cerf, Paris, 2006, p. 13 sq., et Emmanuel RENAULT, Philosophie chimique. Hegel et la science dynamiste de son temps, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2002, p. 66.
-
[19]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ideen zu einer Philosophie der Natur, I, II, 226.
-
[20]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Von der Weltseele, Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Erster Band, Fritz Eckhardt Verlag, Leipzig, 1907, I, II, 367, 371
-
[21]
Ibid., I, II, 527, 566.
-
[22]
Ideen zu einer Philosophie der Natur, I, II, 221.
-
[23]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Einleitung zu dem Entwurf eines Systems der Naturphilosophie, Schellings Werke, Auswahl in drei Bänden, Bd. 1, Fritz Eckhardt Verlag, Leipzig, 1907, I, III, 283-284 et Entwurf, I, III, 12. Voir aussi Frank FISCHBACH et Emmanuel RENAULT, « Introduction » à Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, Paris, Livre de poche, 2001.
-
[24]
Einleitung, I, III, 290-300. Cf. Jean-François MARQUET, Liberté et existence, op. cit., p. 156.
-
[25]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Aphorismen zur Einleitung in die Naturphilosophie I, VII, 143 ; Aphorismen über die Naturphilosophie, I, VII, 198 ; les deux sont parus dans Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Ausgewählte Schriften, Bd. 3, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1985, p. 632, 689 et traduits par J.-F. Courtine et E. Martineau dans Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Œuvres métaphysiques, Paris, Gallimard, 1980.
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[26]
Friedrich Wilhelm Joseph SCHELLING, Über das Wesen der menschlichen Freiheit, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1975, p. 53-55 (I, VII, 198-199). Le motif du « reste rebelle » a été admirablement expliqué par Vladimir JANKÉLÉVICH dans L’Odyssée de la conscience dans la dernière philosophie de Schelling, Paris, L’Harmattan, 2005, et le motif connexe du sans-fond développé par Jean-François COURTINE dans L’extase de la raison. Essais sur Schelling, Paris, Galilée, 1990.
-
[27]
Die Weltalter, VA I, 17, p. 229.
-
[28]
Enzykopädie II, § 216, p. 56/202.
-
[29]
Ibid., § 262, p. 61/204.
-
[30]
Ibid., § 312, p. 202/260.
-
[31]
Ibid., § 315, p. 217-220/468-469, la métamorphose § 249, p. 31-34/189, 352-355.
-
[32]
Ibid., § 323, p. 274/510.
-
[33]
Ibid., § 326, p. 288/521-522.
-
[34]
Ibid., § 339, p. 343/303 ; § 345-346, p. 280, 294/304-305, § 353-356, p. 436-463/317-321.
-
[35]
Ibid., § 250, p. 36/191.
-
[36]
Ibid., § 275, p. 111/230 ; § 278, p. 122/234.
-
[37]
Ibid., § 310, p. 200/453.
-
[38]
Ibid., § 315, p. 218/467.
-
[39]
Ibid., § 312, p. 202-203/260-261.
-
[40]
Ibid., § 314, p. 215/263.
-
[41]
Ibid., § 326, p. 288/281.
-
[42]
Ibid., § 337, p. 338/553.
-
[43]
Ibid., § 250, p. 34/190.
-
[44]
Pour une explication plus détaillée, je me permets de renvoyer à mon article « Vivant à la limite », Les études philosophiques 76/1 (2006), p. 107-120.
-
[45]
Enzykopädie II, § 215, p. 36/191.
-
[46]
Ibid., § 248 et 250, p. 27-36/187-191.