Notes
-
[1]
Pierre BAYLE, Continuation des Pensées diverses, in Œuvres diverses, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 1966, vol. III, ch. XXII, col. 217b-218a.
-
[2]
Voir CPD, ch. XXII, col. 218a ainsi que Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, P. Brunel et al., 17405, vol. III, art. « Pellisson », p. 643 et vol. IV, art. « Westphale », rem. I, col. 499b. Sur les limites de la pratique de l’examen en milieu réformé, voir Maria-Cristina PITASSI, « Pratiques de lecture de la Bible en milieu réformé au XVIIe siècle » in Les protestants à l’époque moderne. Une approche anthropologique, Olivier Christin et Yves Krumenacker éd., Rennes, PUR, 2017, p. 77-87.
-
[3]
Voir Maria-Cristina Pitassi, « Le paradoxe de l’examen au début du xviiie siècle », in Libertinage et philosophie au xviie siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2012, p. 149-161.
-
[4]
En reprenant Augustin (De utilitate credendi, XI.25), Arnauld écrit « [il y a trois choses en l’esprit de l’homme qui ont entr’elles un tres-grand raport, & semblent quasi n’estre qu’une mesme chose, mais qu’il faut neantmoins tres-soigneusement distinguer, sçavoir est : entendre, croire, opiner. Celuy-la entend, qui comprend quelque chose par des raisons certaines. Celuy-la croit, lequel, emporté par le poids et le credit de quelque grave et puissante autorité, tient pour vray cela mesme qu’il ne comprend pas par des raisons certaines. Celuy-la opine, qui se persuade ou plutost qui presume de sçavoir ce qu’il ne sçait pas. […] Doncques ce que nous entendons, nous le devons à la raison ; ce que nous croyons, à l’autorité ; ce que nous opinons, à l’erreur. » (Quatrièmes Objections in Œuvres de Descartes, éd. Charles Adam et Paul Tannery, Paris, Vrin, 1982, vol. IX-1, p. 168).
-
[5]
Voir Blaise PASCAL, Sur le traité du vide. Préface, in ID., Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. par Gérard Ferreyrolles et Philippe Sellier, Paris, Garnier, 2004, p. 85).
-
[6]
Loin d’être une notion statique, l’examen a beaucoup évolué depuis le temps où il a commencé à émerger dans les textes des Réformateurs (en tant qu’examen de la conformité d’une doctrine avec la Bible) jusqu’à celui où il a été formalisé par le protestantisme libéral du XIXe siècle en tant que « libre examen » (à savoir en tant que pratique purement subjective d’interprétation et critique de l’Écriture). Il est vrai qu’à l’époque de Bayle on assiste déjà à quelques glissements significatifs mais la doctrine officielle arrêtait l’examen au seuil de la révélation. Voir, pour une première approche, Joseph LECLER, « Protestantisme et ‘libre examen’. Les étapes et le vocabulaire d’une controverse », Recherches de science religieuse, 57, 1969, p. 321-374.
-
[7]
En pratiquant la voie de la rétorsion, Bayle ne faisait en réalité qu’emboîter le pas à des théologiens réformés tels que Jean Claude et Pierre Jurieu, qui avaient montré que la voie d’au-torité était exposée aux mêmes difficultés dont les catholiques accablaient celle d’examen. En reprenant à son compte un tel procédé et en en approfondissant les arguments, Bayle devait montrer que la Tradition, au lieu d’être une sinécure offrant à l’Église romaine un rempart inexpugnable, était en réalité un « Ocean » dans lequel faisaient naufrage les prétentions papistes à résoudre la question du juge des controverses (voir DHC, vol. III, art. « Nicolle », rem. C, col. 502b). Voir à ce propos Maria-Cristina PITASSI, « Fondements de la croyance et statut de l’Écriture : Bayle et la question de l’examen », in Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle. Éditions des « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique et études recueillies par Hubert Bost et Antony McKenna, Paris, Champion, 2010, p. 143-160.
-
[8]
Protestants convertis au catholicisme, Paul Pellisson (1624-1693) et Isaac Papin (1657-1709) avaient publié respectivement les Reflexions sur les différends de la religion (1686) et La Tolérance des protestans et l’autorité de l’Eglise (1692), que Bayle cite en tant qu’ouvrages ayant poussé très loin la critique de la notion d’examen.
-
[9]
DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503a.
-
[10]
Voir Pierre BAYLE, Pensées diverses sur la comète, in OD, vol. III, lettre XLVII, col. 35b ; Nouvelles lettres de l’Auteur de la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme, in OD, vol. II, lettre IX, col. 226b ; ibid., lettre XI, col. 240b ; DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503b ; vol. III, art. « Origene », rem. F, col. 545a ; vol. IV, art. « Ruffi », rem. C, col. 98b ; Supplément du Commentaire philosophique, in OD, vol. II, ch. XXII, col. 541b.
-
[11]
« […] on veut qu’un homme qui pese les raisons de part et d’autre, au lieu d’appliquer toutes ses lumieres à cet examen, soit distrait d’un côté par la vûë prochaine de sa famille ruïnée, exilée, encloîtrée, de sa propre personne dégradée de tout honneur, tourmentée par des soldats, enfermée dans un noir cachot ; et de l’autre par l’espérance de plusieurs biens tant pour lui que pour sa famille. Sans mentir le voilà bien en état de trouver qui a raison ; car s’il est bien persuadé que sa Religion soit bonne, et s’il a assez de crainte de Dieu pour avoir une grande répugnance à professer une Religion qu’il croit mauvaise, il se fortifiera davantage dans la sienne, par la haine qu’il concevra pour les moïens tiranniques qu’on veut emploïer contre lui : s’il aime le monde plus que Dieu et sa Religion, il fera de deux choses l’une ; ou il s’aveuglera le plus qu’il pourra, afin de se faire acroire que sa Religion n’est pas bonne, ou il la quitera sans voir que l’autre soit meilleure ; il se déterminera par les avantages temporels que celle-ci lui ofre, et par les persécutions où l’autre l’exposeroit » (Commentaire philosophique, II, ch. I, col. 394a).
-
[12]
« Si on me dit qu’un Hérétique qui veut conserver une charge, se défait de ses préjugez, je répondrai, qu’au lieu de ses préjugez il s’entête du désir de trouver nos raisons foibles, afin de conserver sa charge, et que son ambition ou son avarice l’aveuglant, il est impossible qu’il juge bien. Son esprit est la dupe de son cœur. Il n’aprouve pas l’Eglise Romaine parce qu’elle est la vraie Eglise, mais il croit qu’elle est la vraie Eglise, parce qu’il aime les avantages qu’elle confere. Je remarque en second lieu, que les Protestans de France ont un culte si opposé à celui de l’Eglise Romaine, qu’il n’est pas possible qu’ils ne croient qu’il y a de grands abymes entre les deux Religions. De sorte que plus ils se persuadent que leur Religion est bonne, plus aussi croient-ils que l’autre est mauvaise, et il arrive de là que la seule pensée d’y passer leur doit fait [sic] horreur. D’où vient donc que tant de personnes font ce trajet ? il faut sans doute que d’autres raisons s’en mêlent, que celles qu’un examen paisible leur fournit. » (Nouvelles lettres critiques, lettre XI, col. 240a-b).
-
[13]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 436b (c’est moi qui souligne). Voir aussi le passage suivant « Dieu ne nous demande sinon que nous cherchions sincerement et diligemment la vérité, et que nous la discernions par le sentiment de la conscience » (ibid., II, ch. X, col. 441a).
-
[14]
Voir aussi à ce propos DHC, vol. III, art. « Pellisson », rem. E, col. 643b.
-
[15]
Réponse aux questions d’un provincial, in OD, vol. III, III, ch. IX, col. 919. Voir aussi, entre autres, CPD, ch. IV, col. 194a ; ibid., XX, col. 215a ; DHC, art. « Pellisson », op. cit., rem. D, col. 643a et rem E, col. 643b.
-
[16]
Voir DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. D, col. 643a.
-
[17]
Voire même non requis : en effet Bayle n’oserait pas « taxer de mépris pour la vérité » ceux qui se refusent à l’examen des autres confessions soit parce qu’ils sont convaincus que leur religion est la vraie soit parce qu’ils sont déroutés par les difficultés et la longueur d’une telle procédure. Une telle attitude, imprudente sur le plan philosophique, n’est pas forcément mauvaise sur le plan moral (voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. XVII, col. 532a).
-
[18]
Nouvelles de la république des lettres, in OD, vol. I, avril 1686, art. I, col. 528b.
-
[19]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 438a.
-
[20]
« […] en matiere de Religion il ne faut point suspendre son consentement, jusques à ce que l’on ait acquis toute l’évidence que l’on attend dans la Philosophie de Monsieur Des-Cartes, avant que de prendre parti. Pour établir ce principe, il en faut poser un second, à peu près tel que celui-ci ; qu’en matiere de Religion, la regle de juger n’est point dans l’entendement, mais dans la conscience, c’est-à-dire, qu’il faut embrasser les objets non pas selon des idées claires, et distinctes, acquises par un examen sévere, mais selon que la conscience nous dicte qu’en les embrassant nous ferons ce qui est agréable à Dieu » (Nouvelles lettres critiques, « Éclaircissement », col. 334b).
-
[21]
Dieu « a voulu nous mortifier jusques dans la possession de ses véritez ; n’aiant pas permis que nous les discernassions par les voies d’un Examen philosophique, par lesquelles nous parvenons à la science de certaines choses » (DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 504a). Par ailleurs, un examen philosophique mené selon la méthode de Descartes ne s’applique pas seulement aux objets mais s’étend également aux pensées de celui qui examine « afin d’en éloigner toute l’influence de la préoccupation […] [et] d’être son propre juge avec la derniere sévérité, et avec un discernement exact de toutes ses préventions » (RQP, III, ch. XV, col. 939b-940a) ; or, nous venons de voir combien cela est ardu, voire impossible, pour le croyant.
-
[22]
CPD, ch. XX, col. 214b ; quelques chapitres plus loin, il reprochera à la preuve de sentiment de La Bruyère sur l’existence de Dieu d’être « un brodequin de Théramene, une chaussure à tout pied, une selle à tous chevaux » (ibid., ch. XXXVIII, col. 241a). Sur l’efficace de ces preuves sur l’esprit du peuple, voir Pierre BAYLE, Entretiens de Maxime et de Thémiste, in OD, vol. IV, p. I, col. 16b. Assimilées au goût de la vérité (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 441b), les preuves de sentiment se trouvent en opposition explicite avec l’examen ; voir DHC, vol. IV, art. « Simonide », rem. F, col. 201a ; art. « Socin (Fauste) », rem. I, col. 232a ; art. « Spinoza », rem. M., col. 259a.
-
[23]
Voir, entre autres, Nouvelles lettres critiques, lettre XI, col. 239b ; Supplément au Commentaire philosophique, ch. XV, col. 526b ; ch. XVII, col. 531b ; DHC, vol. I, art. « Ammonius (surnommé Saccas) », col. 189 ; RQP, I, ch. XXI, col. 535b ; III, ch. XIII, col. 933a ; CPD, ch. VI, col. 197a ; ch. XXI, col. 217a ; La Cabale chimérique, in OD, vol. II, II, ch. XI, col. 677a ; La Chimère de la cabale de Rotterdam, in OD, vol. II, art. VII, col. 759a.
-
[24]
Les effets de l’éducation « forment machinalement en nous des habitudes, dont il semble que nous ne soïons pas responsables, parce que nous les recevons sans y soupçonner aucun mal ; et avant que d’être capables de nous défier de ce que nos peres nous enseignent » (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 442b). Sur la difficulté à se défaire de ces préjugés même à l’âge adulte, voir CPD, ch. XXIII, col. 220a-b.
-
[25]
Bayle affirme qu’il ne veut pas exclure la grâce divine « de l’acte qui nous fait adhérer aux véritez révelées » (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 439a) même s’il ne consacre pas de longs développements au sujet. Il n’en demeure pas moins que ces références ne manquent pas de sembler factices, soit parce qu’il admet lui-même que la conviction du caractère révélé d’une vérité « sera un effet de la grace tant que l’on voudra », étant la même chez l’orthodoxe et chez l’hérétique (ibid.), soit parce qu’il reconnaît que les théologiens réformés ont été obligés d’y recourir sous l’effet de la controverse confessionnelle sans qu’ils se soient forcément rendu compte qu’il s’agissait d’un argument en faveur de la tolérance (cf. Supplément au Commentaire philosophique, « Préface », col. 504a).
-
[26]
Voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. XI, col. 522a. Voir aussi CPD, ch. LXIII, col. 279b.
-
[27]
CPD, ch. XXI, col. 217a-b.
-
[28]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 442b.
-
[29]
« Je réponds que cela n’empêche pas que l’Ecriture ne soit très-nécessaire, parce que dans les choses très-claires elle est la regle uniforme de la conscience de tous les Chretiens » (ibid., col. 442b-443a).
-
[30]
Voir Supplément au Commentaire philosophique, « Préface », col. 504b. Voir aussi Supplément au Commentaire philosophique, ch. XVI, col. 530a). Voir aussi ibid., ch. XXIII, col. 543b ; CPD, ch. IV, col. 194a ; ch. XXXV, col. 238b ; DHC, art. « Pellisson », op. cit., rem. D, col. 642b.
-
[31]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 437b-438a.
-
[32]
Bien au contraire puisque, comme Bayle devait le dire dans un passage célèbre du Dictionnaire, « le bourgeois et le païsan, l’homme de guerre, le Gentilhomme […] s’accommodent beaucoup mieux d’une doctrine mystérieuse, incompréhensible, élevée au dessus de la Raison : on admire beaucoup plus ce que l’on ne comprend point ; on s’en fait une idée plus sublime, et même plus consolante. Toutes les fins de la Religion se trouvent mieux dans les objets qu’on ne comprend point : ils inspirent plus d’admiration, plus de respect, plus de crainte, plus de confiance » (DHC, art. « Socin », op. cit., rem. H, col. 231b).
-
[33]
DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503b.
-
[34]
Ibid. Le contexte de ces développements est la polémique contre l’inconséquence de Pierre Jurieu qui, à partir d’une analyse de la foi subjectiviste, proche de celle de Bayle, n’avait pas su tirer les conséquences qui s’imposaient en faveur de la tolérance.
-
[35]
Voir Éclaircissement sur les pyrrhoniens, in DHC, vol. IV, p. 642 ; ce recentrement du débat avec le philosophe est censé écarter la confrontation sur les mystères eux-mêmes, dont il suffira de savoir qu’ils se trouvent dans la révélation. Considérée par Bayle comme une vérité de fait, la divinité de l’Écriture n’est pas pour autant plus aisée à prouver puisque sa démonstration se heurte aux difficultés habituelles engendrées par l’examen des sources, du contexte historique, de la transmission textuelle, de la réception etc. (voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. X, col. 518a-519a ; voir Gianni PAGANINI, Analisi della fede e critica della ragione, Firenze, La Nuova Italia, 1981, en part. p. 118-122). Pour venir à bout de telles aspérités, le chrétien ne pourra pas compter sur la grâce qui notoirement « ne nous augmente point l’esprit, la mémoire, l’imagination, ne nous aprend point l’Hébreu ni le Grec, ni les regles du raisonnement, ni les solutions des Sophismes, ni les Faits historiques » (Supplément au Commentaire philosophique, ch. XXIII, col. 544b). Quant aux vertus qui devraient garantir une interprétation correcte de la Bible – telles qu’« un cœur droit et une intention sincere » – elles ont fait la preuve de leur inefficacité herméneutique, comme le montre la grande variété d’interprétation entre les différentes confessions (voir ibid., ch. XIII, col. 525a).
-
[36]
Voir CPD, ch. XXXIII, col. 237a-b. Voir Gianluca MORI, « Athéisme et philosophie chez Bayle », in Pierre Bayle dans la République des lettres. Philosophie, religion, critique, éd. Antony McKenna et Gianni Paganini, Paris, Champion, 2004, p. 381-410, en part. 384-386.
-
[37]
Il est intéressant de rappeler qu’à s’en tenir au récit tardif que Bayle a fait de sa propre conversion, ce serait en appliquant le principe de l’examen qu’il aurait buté justement sur la question du juge des controverses et, incapable de trouver des réponses satisfaisantes aux objections « si specieuses » des catholiques, aurait décidé en 1669 d’abjurer le protestantisme, avant d’y revenir l’année suivante ; voir La chimère de la cabale, cit., art. VII, col. 759a.
-
[38]
Ibid., col. 237a.
-
[39]
DHC, vol. III, art. « Maldonat », rem. L, col. 296a.
-
[40]
DHC, vol. IV, art. « Simonide », rem. F, col. 211a.
-
[41]
Ibid.
-
[42]
Sur la question complexe de la connaissance de Dieu chez Bayle, voir Jean-Jacques BOUCHARDY, Pierre Bayle. La nature et la « nature des choses », Paris, Champion, 2001, en part. p. 294-317 ; Frédéric BRAHAMI, « Le Dieu de Pierre Bayle », in Dieu au XVIIe siècle. Crises et renouvellements du discours, éd. Henri Laux et Dominique Salin, Paris, Éditions facultés jésuites de Paris, 2002, p. 67-83 ; Stefano BROGI, Teologia senza verità. Bayle contro i « rationaux », Milano, FrancoAngeli, 1998, en part. p. 77-141 ; Gianluca MORI, « Interpréter la philosophie de Bayle », in Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du « Dictionnaire », éd. par Hubert Bost et Philippe de Robert, Paris, Champion, 1999, p. 303-324 ; Gianni PAGANINI, Analisi della fede e critica della ragione, op. cit., en part. p. 274-374 ; ID., « L’“Éclaircissement sur les Manichéens” et les déterminations philosophiques de l’idée de Dieu », in Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle, op. cit., p. 331-346 ; Jean-Luc SOLÈRE, « Bayle et les apories de la raison humaine », in La raison corrosive. Études sur la pensée critique de Pierre Bayle, éd. par Isabelle Delpla et Philippe de Robert, Paris, Champion, 2003, p. 87-137.
-
[43]
NRL, juillet 1684, art. III, col. 89a-b.
-
[44]
CPD, ch. LXXIV, col. 294b.
Citer cet article
- Pitassi, M.-C.
- Pitassi, Maria-Cristina.
- PITASSI, Maria-Cristina,
https://doi.org/10.3917/aphi.814.0681
Notes
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[1]
Pierre BAYLE, Continuation des Pensées diverses, in Œuvres diverses, Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, 1966, vol. III, ch. XXII, col. 217b-218a.
-
[2]
Voir CPD, ch. XXII, col. 218a ainsi que Dictionnaire historique et critique, Amsterdam, P. Brunel et al., 17405, vol. III, art. « Pellisson », p. 643 et vol. IV, art. « Westphale », rem. I, col. 499b. Sur les limites de la pratique de l’examen en milieu réformé, voir Maria-Cristina PITASSI, « Pratiques de lecture de la Bible en milieu réformé au XVIIe siècle » in Les protestants à l’époque moderne. Une approche anthropologique, Olivier Christin et Yves Krumenacker éd., Rennes, PUR, 2017, p. 77-87.
-
[3]
Voir Maria-Cristina Pitassi, « Le paradoxe de l’examen au début du xviiie siècle », in Libertinage et philosophie au xviie siècle, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2012, p. 149-161.
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[4]
En reprenant Augustin (De utilitate credendi, XI.25), Arnauld écrit « [il y a trois choses en l’esprit de l’homme qui ont entr’elles un tres-grand raport, & semblent quasi n’estre qu’une mesme chose, mais qu’il faut neantmoins tres-soigneusement distinguer, sçavoir est : entendre, croire, opiner. Celuy-la entend, qui comprend quelque chose par des raisons certaines. Celuy-la croit, lequel, emporté par le poids et le credit de quelque grave et puissante autorité, tient pour vray cela mesme qu’il ne comprend pas par des raisons certaines. Celuy-la opine, qui se persuade ou plutost qui presume de sçavoir ce qu’il ne sçait pas. […] Doncques ce que nous entendons, nous le devons à la raison ; ce que nous croyons, à l’autorité ; ce que nous opinons, à l’erreur. » (Quatrièmes Objections in Œuvres de Descartes, éd. Charles Adam et Paul Tannery, Paris, Vrin, 1982, vol. IX-1, p. 168).
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[5]
Voir Blaise PASCAL, Sur le traité du vide. Préface, in ID., Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. par Gérard Ferreyrolles et Philippe Sellier, Paris, Garnier, 2004, p. 85).
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[6]
Loin d’être une notion statique, l’examen a beaucoup évolué depuis le temps où il a commencé à émerger dans les textes des Réformateurs (en tant qu’examen de la conformité d’une doctrine avec la Bible) jusqu’à celui où il a été formalisé par le protestantisme libéral du XIXe siècle en tant que « libre examen » (à savoir en tant que pratique purement subjective d’interprétation et critique de l’Écriture). Il est vrai qu’à l’époque de Bayle on assiste déjà à quelques glissements significatifs mais la doctrine officielle arrêtait l’examen au seuil de la révélation. Voir, pour une première approche, Joseph LECLER, « Protestantisme et ‘libre examen’. Les étapes et le vocabulaire d’une controverse », Recherches de science religieuse, 57, 1969, p. 321-374.
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[7]
En pratiquant la voie de la rétorsion, Bayle ne faisait en réalité qu’emboîter le pas à des théologiens réformés tels que Jean Claude et Pierre Jurieu, qui avaient montré que la voie d’au-torité était exposée aux mêmes difficultés dont les catholiques accablaient celle d’examen. En reprenant à son compte un tel procédé et en en approfondissant les arguments, Bayle devait montrer que la Tradition, au lieu d’être une sinécure offrant à l’Église romaine un rempart inexpugnable, était en réalité un « Ocean » dans lequel faisaient naufrage les prétentions papistes à résoudre la question du juge des controverses (voir DHC, vol. III, art. « Nicolle », rem. C, col. 502b). Voir à ce propos Maria-Cristina PITASSI, « Fondements de la croyance et statut de l’Écriture : Bayle et la question de l’examen », in Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle. Éditions des « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique et études recueillies par Hubert Bost et Antony McKenna, Paris, Champion, 2010, p. 143-160.
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[8]
Protestants convertis au catholicisme, Paul Pellisson (1624-1693) et Isaac Papin (1657-1709) avaient publié respectivement les Reflexions sur les différends de la religion (1686) et La Tolérance des protestans et l’autorité de l’Eglise (1692), que Bayle cite en tant qu’ouvrages ayant poussé très loin la critique de la notion d’examen.
-
[9]
DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503a.
-
[10]
Voir Pierre BAYLE, Pensées diverses sur la comète, in OD, vol. III, lettre XLVII, col. 35b ; Nouvelles lettres de l’Auteur de la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme, in OD, vol. II, lettre IX, col. 226b ; ibid., lettre XI, col. 240b ; DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503b ; vol. III, art. « Origene », rem. F, col. 545a ; vol. IV, art. « Ruffi », rem. C, col. 98b ; Supplément du Commentaire philosophique, in OD, vol. II, ch. XXII, col. 541b.
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[11]
« […] on veut qu’un homme qui pese les raisons de part et d’autre, au lieu d’appliquer toutes ses lumieres à cet examen, soit distrait d’un côté par la vûë prochaine de sa famille ruïnée, exilée, encloîtrée, de sa propre personne dégradée de tout honneur, tourmentée par des soldats, enfermée dans un noir cachot ; et de l’autre par l’espérance de plusieurs biens tant pour lui que pour sa famille. Sans mentir le voilà bien en état de trouver qui a raison ; car s’il est bien persuadé que sa Religion soit bonne, et s’il a assez de crainte de Dieu pour avoir une grande répugnance à professer une Religion qu’il croit mauvaise, il se fortifiera davantage dans la sienne, par la haine qu’il concevra pour les moïens tiranniques qu’on veut emploïer contre lui : s’il aime le monde plus que Dieu et sa Religion, il fera de deux choses l’une ; ou il s’aveuglera le plus qu’il pourra, afin de se faire acroire que sa Religion n’est pas bonne, ou il la quitera sans voir que l’autre soit meilleure ; il se déterminera par les avantages temporels que celle-ci lui ofre, et par les persécutions où l’autre l’exposeroit » (Commentaire philosophique, II, ch. I, col. 394a).
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[12]
« Si on me dit qu’un Hérétique qui veut conserver une charge, se défait de ses préjugez, je répondrai, qu’au lieu de ses préjugez il s’entête du désir de trouver nos raisons foibles, afin de conserver sa charge, et que son ambition ou son avarice l’aveuglant, il est impossible qu’il juge bien. Son esprit est la dupe de son cœur. Il n’aprouve pas l’Eglise Romaine parce qu’elle est la vraie Eglise, mais il croit qu’elle est la vraie Eglise, parce qu’il aime les avantages qu’elle confere. Je remarque en second lieu, que les Protestans de France ont un culte si opposé à celui de l’Eglise Romaine, qu’il n’est pas possible qu’ils ne croient qu’il y a de grands abymes entre les deux Religions. De sorte que plus ils se persuadent que leur Religion est bonne, plus aussi croient-ils que l’autre est mauvaise, et il arrive de là que la seule pensée d’y passer leur doit fait [sic] horreur. D’où vient donc que tant de personnes font ce trajet ? il faut sans doute que d’autres raisons s’en mêlent, que celles qu’un examen paisible leur fournit. » (Nouvelles lettres critiques, lettre XI, col. 240a-b).
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[13]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 436b (c’est moi qui souligne). Voir aussi le passage suivant « Dieu ne nous demande sinon que nous cherchions sincerement et diligemment la vérité, et que nous la discernions par le sentiment de la conscience » (ibid., II, ch. X, col. 441a).
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[14]
Voir aussi à ce propos DHC, vol. III, art. « Pellisson », rem. E, col. 643b.
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[15]
Réponse aux questions d’un provincial, in OD, vol. III, III, ch. IX, col. 919. Voir aussi, entre autres, CPD, ch. IV, col. 194a ; ibid., XX, col. 215a ; DHC, art. « Pellisson », op. cit., rem. D, col. 643a et rem E, col. 643b.
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[16]
Voir DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. D, col. 643a.
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[17]
Voire même non requis : en effet Bayle n’oserait pas « taxer de mépris pour la vérité » ceux qui se refusent à l’examen des autres confessions soit parce qu’ils sont convaincus que leur religion est la vraie soit parce qu’ils sont déroutés par les difficultés et la longueur d’une telle procédure. Une telle attitude, imprudente sur le plan philosophique, n’est pas forcément mauvaise sur le plan moral (voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. XVII, col. 532a).
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[18]
Nouvelles de la république des lettres, in OD, vol. I, avril 1686, art. I, col. 528b.
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[19]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 438a.
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[20]
« […] en matiere de Religion il ne faut point suspendre son consentement, jusques à ce que l’on ait acquis toute l’évidence que l’on attend dans la Philosophie de Monsieur Des-Cartes, avant que de prendre parti. Pour établir ce principe, il en faut poser un second, à peu près tel que celui-ci ; qu’en matiere de Religion, la regle de juger n’est point dans l’entendement, mais dans la conscience, c’est-à-dire, qu’il faut embrasser les objets non pas selon des idées claires, et distinctes, acquises par un examen sévere, mais selon que la conscience nous dicte qu’en les embrassant nous ferons ce qui est agréable à Dieu » (Nouvelles lettres critiques, « Éclaircissement », col. 334b).
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[21]
Dieu « a voulu nous mortifier jusques dans la possession de ses véritez ; n’aiant pas permis que nous les discernassions par les voies d’un Examen philosophique, par lesquelles nous parvenons à la science de certaines choses » (DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 504a). Par ailleurs, un examen philosophique mené selon la méthode de Descartes ne s’applique pas seulement aux objets mais s’étend également aux pensées de celui qui examine « afin d’en éloigner toute l’influence de la préoccupation […] [et] d’être son propre juge avec la derniere sévérité, et avec un discernement exact de toutes ses préventions » (RQP, III, ch. XV, col. 939b-940a) ; or, nous venons de voir combien cela est ardu, voire impossible, pour le croyant.
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[22]
CPD, ch. XX, col. 214b ; quelques chapitres plus loin, il reprochera à la preuve de sentiment de La Bruyère sur l’existence de Dieu d’être « un brodequin de Théramene, une chaussure à tout pied, une selle à tous chevaux » (ibid., ch. XXXVIII, col. 241a). Sur l’efficace de ces preuves sur l’esprit du peuple, voir Pierre BAYLE, Entretiens de Maxime et de Thémiste, in OD, vol. IV, p. I, col. 16b. Assimilées au goût de la vérité (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 441b), les preuves de sentiment se trouvent en opposition explicite avec l’examen ; voir DHC, vol. IV, art. « Simonide », rem. F, col. 201a ; art. « Socin (Fauste) », rem. I, col. 232a ; art. « Spinoza », rem. M., col. 259a.
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[23]
Voir, entre autres, Nouvelles lettres critiques, lettre XI, col. 239b ; Supplément au Commentaire philosophique, ch. XV, col. 526b ; ch. XVII, col. 531b ; DHC, vol. I, art. « Ammonius (surnommé Saccas) », col. 189 ; RQP, I, ch. XXI, col. 535b ; III, ch. XIII, col. 933a ; CPD, ch. VI, col. 197a ; ch. XXI, col. 217a ; La Cabale chimérique, in OD, vol. II, II, ch. XI, col. 677a ; La Chimère de la cabale de Rotterdam, in OD, vol. II, art. VII, col. 759a.
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[24]
Les effets de l’éducation « forment machinalement en nous des habitudes, dont il semble que nous ne soïons pas responsables, parce que nous les recevons sans y soupçonner aucun mal ; et avant que d’être capables de nous défier de ce que nos peres nous enseignent » (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 442b). Sur la difficulté à se défaire de ces préjugés même à l’âge adulte, voir CPD, ch. XXIII, col. 220a-b.
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[25]
Bayle affirme qu’il ne veut pas exclure la grâce divine « de l’acte qui nous fait adhérer aux véritez révelées » (Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 439a) même s’il ne consacre pas de longs développements au sujet. Il n’en demeure pas moins que ces références ne manquent pas de sembler factices, soit parce qu’il admet lui-même que la conviction du caractère révélé d’une vérité « sera un effet de la grace tant que l’on voudra », étant la même chez l’orthodoxe et chez l’hérétique (ibid.), soit parce qu’il reconnaît que les théologiens réformés ont été obligés d’y recourir sous l’effet de la controverse confessionnelle sans qu’ils se soient forcément rendu compte qu’il s’agissait d’un argument en faveur de la tolérance (cf. Supplément au Commentaire philosophique, « Préface », col. 504a).
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[26]
Voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. XI, col. 522a. Voir aussi CPD, ch. LXIII, col. 279b.
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[27]
CPD, ch. XXI, col. 217a-b.
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[28]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 442b.
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[29]
« Je réponds que cela n’empêche pas que l’Ecriture ne soit très-nécessaire, parce que dans les choses très-claires elle est la regle uniforme de la conscience de tous les Chretiens » (ibid., col. 442b-443a).
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[30]
Voir Supplément au Commentaire philosophique, « Préface », col. 504b. Voir aussi Supplément au Commentaire philosophique, ch. XVI, col. 530a). Voir aussi ibid., ch. XXIII, col. 543b ; CPD, ch. IV, col. 194a ; ch. XXXV, col. 238b ; DHC, art. « Pellisson », op. cit., rem. D, col. 642b.
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[31]
Commentaire philosophique, II, ch. X, col. 437b-438a.
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[32]
Bien au contraire puisque, comme Bayle devait le dire dans un passage célèbre du Dictionnaire, « le bourgeois et le païsan, l’homme de guerre, le Gentilhomme […] s’accommodent beaucoup mieux d’une doctrine mystérieuse, incompréhensible, élevée au dessus de la Raison : on admire beaucoup plus ce que l’on ne comprend point ; on s’en fait une idée plus sublime, et même plus consolante. Toutes les fins de la Religion se trouvent mieux dans les objets qu’on ne comprend point : ils inspirent plus d’admiration, plus de respect, plus de crainte, plus de confiance » (DHC, art. « Socin », op. cit., rem. H, col. 231b).
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[33]
DHC, art. « Nicolle », op. cit., rem. C, col. 503b.
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[34]
Ibid. Le contexte de ces développements est la polémique contre l’inconséquence de Pierre Jurieu qui, à partir d’une analyse de la foi subjectiviste, proche de celle de Bayle, n’avait pas su tirer les conséquences qui s’imposaient en faveur de la tolérance.
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[35]
Voir Éclaircissement sur les pyrrhoniens, in DHC, vol. IV, p. 642 ; ce recentrement du débat avec le philosophe est censé écarter la confrontation sur les mystères eux-mêmes, dont il suffira de savoir qu’ils se trouvent dans la révélation. Considérée par Bayle comme une vérité de fait, la divinité de l’Écriture n’est pas pour autant plus aisée à prouver puisque sa démonstration se heurte aux difficultés habituelles engendrées par l’examen des sources, du contexte historique, de la transmission textuelle, de la réception etc. (voir Supplément au Commentaire philosophique, ch. X, col. 518a-519a ; voir Gianni PAGANINI, Analisi della fede e critica della ragione, Firenze, La Nuova Italia, 1981, en part. p. 118-122). Pour venir à bout de telles aspérités, le chrétien ne pourra pas compter sur la grâce qui notoirement « ne nous augmente point l’esprit, la mémoire, l’imagination, ne nous aprend point l’Hébreu ni le Grec, ni les regles du raisonnement, ni les solutions des Sophismes, ni les Faits historiques » (Supplément au Commentaire philosophique, ch. XXIII, col. 544b). Quant aux vertus qui devraient garantir une interprétation correcte de la Bible – telles qu’« un cœur droit et une intention sincere » – elles ont fait la preuve de leur inefficacité herméneutique, comme le montre la grande variété d’interprétation entre les différentes confessions (voir ibid., ch. XIII, col. 525a).
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[36]
Voir CPD, ch. XXXIII, col. 237a-b. Voir Gianluca MORI, « Athéisme et philosophie chez Bayle », in Pierre Bayle dans la République des lettres. Philosophie, religion, critique, éd. Antony McKenna et Gianni Paganini, Paris, Champion, 2004, p. 381-410, en part. 384-386.
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[37]
Il est intéressant de rappeler qu’à s’en tenir au récit tardif que Bayle a fait de sa propre conversion, ce serait en appliquant le principe de l’examen qu’il aurait buté justement sur la question du juge des controverses et, incapable de trouver des réponses satisfaisantes aux objections « si specieuses » des catholiques, aurait décidé en 1669 d’abjurer le protestantisme, avant d’y revenir l’année suivante ; voir La chimère de la cabale, cit., art. VII, col. 759a.
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[38]
Ibid., col. 237a.
-
[39]
DHC, vol. III, art. « Maldonat », rem. L, col. 296a.
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[40]
DHC, vol. IV, art. « Simonide », rem. F, col. 211a.
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[41]
Ibid.
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[42]
Sur la question complexe de la connaissance de Dieu chez Bayle, voir Jean-Jacques BOUCHARDY, Pierre Bayle. La nature et la « nature des choses », Paris, Champion, 2001, en part. p. 294-317 ; Frédéric BRAHAMI, « Le Dieu de Pierre Bayle », in Dieu au XVIIe siècle. Crises et renouvellements du discours, éd. Henri Laux et Dominique Salin, Paris, Éditions facultés jésuites de Paris, 2002, p. 67-83 ; Stefano BROGI, Teologia senza verità. Bayle contro i « rationaux », Milano, FrancoAngeli, 1998, en part. p. 77-141 ; Gianluca MORI, « Interpréter la philosophie de Bayle », in Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du « Dictionnaire », éd. par Hubert Bost et Philippe de Robert, Paris, Champion, 1999, p. 303-324 ; Gianni PAGANINI, Analisi della fede e critica della ragione, op. cit., en part. p. 274-374 ; ID., « L’“Éclaircissement sur les Manichéens” et les déterminations philosophiques de l’idée de Dieu », in Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle, op. cit., p. 331-346 ; Jean-Luc SOLÈRE, « Bayle et les apories de la raison humaine », in La raison corrosive. Études sur la pensée critique de Pierre Bayle, éd. par Isabelle Delpla et Philippe de Robert, Paris, Champion, 2003, p. 87-137.
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[43]
NRL, juillet 1684, art. III, col. 89a-b.
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[44]
CPD, ch. LXXIV, col. 294b.
1C’est en évoquant « la fameuse controverse des Catholiques et des Protestans, au sujet du caractere de véritez du Christianisme » que Bayle écrit dans la Continuation des pensées diverses :
Ce caractere, selon les uns et les autres, est la conformité avec la parole de Dieu ; mais pour connoître cette conformité, les Protestans se contentent de comparer une doctrine avec l’Ecriture : les Catholiques Romains au contraire veulent qu’on la compare et avec l’Ecriture, et avec la tradition de tous les siecles. Ils veulent que cette tradition soit la véritable clef de l’Ecriture, et que pour être certain de la vérité d’un dogme, l’on soit obligé de savoir qu’il a été toûjours cru et enseigné dans l’Eglise. Ils dispensent les particuliers de la peine de vérifier si ce qu’on leur dit a cette marque. Ils leur ouvrent un chemin beaucoup plus court : il suffit, disent-ils, qu’on sache que l’Eglise a décidé ceci ou cela, car comme elle est infaillible, dès qu’on sait ses décisions, on conclut qu’elles sont vraies, et par conséquent qu’elles sont conformes à la tradition et à la foi de tous les siecles ; on n’a nul besoin après cela de consulter aucun Livre : on sait sans s’en informer ce qu’ont dit les Peres et tous nos prédécesseurs. Cette maniere de fixer la foi des simples est sans doute très-commode : elle réduit tout à un point de fait, qui est de savoir si le Concile de Trente a décidé telle ou telle chose. Un païsan qui sait lire s’en peut assûrer par ses propres yeux, et s’il ne sait point lire, il peut prier un notaire de lui délivrer un acte signé de témoins, et portant que tels et tels mots se trouvent dans une édition authentique du Concile de Trente. Voilà ce qu’il pourroit faire, s’il se défioit de son Curé [1].
3 On trouve beaucoup de passages comme celui-ci dans le corpus baylien : si tous n’évoquent pas les prouesses des paysans catholiques, les uns aisément plongés dans la lecture des décrets tridentins, les autres affairés à se procurer des actes notariés palliant leur analphabétisme, tous soulignent en revanche que c’est par la voie d’autorité que l’Église romaine prétend certifier la vérité religieuse. Il n’y a rien ici que de très banal après un siècle et demi de controverse confessionnelle qui a creusé les divergences ecclésiologiques entre le camp catholique, rangé sous la bannière de l’autorité, et le camp protestant, arrimé à l’examen. Une telle présentation n’est pourtant pas dénuée d’ambiguïté puisqu’elle peut exposer le binôme antinomique autorité/examen à des lectures erronées sur le plan épistémologique ; on pourrait ainsi s’imaginer que les catholiques seuls faisaient intervenir l’autorité dans le discours théologique alors que les protestants auraient conçu celui-ci comme un savoir construit librement et subjectivement, en dehors de tout référentiel devant le légitimer. L’on se tromperait lourdement, bien entendu, tant au niveau de la pratique qu’au niveau de la doctrine ; pour ce qui est de la première, moins importante pour notre propos, les protestants, selon le dire de Bayle, n’agissaient en réalité pas de manière très différente des catholiques dans la mesure où l’examen, revendiqué âprement face aux papistes, était remplacé de facto, sinon de jure, par l’autorité des pasteurs, auxquels s’en remettaient les fidèles pour décider du fondement scripturaire de tel ou tel dogme [2].
4En ce qui concerne la doctrine, il ne s’agissait pas d’une inconséquence mais du fait que les protestants aussi fondaient la théologie sur le socle de l’autorité, celle-ci étant identifiée avec l’Écriture, seuil infranchissable devant lequel l’examen était censé s’arrêter [3]. De ce point de vue, ils auraient pu souscrire, du moins partiellement, aux positions d’Arnauld qui, dans les IVe Objections aux Méditations de Descartes, en reprenant la distinction augustinienne entre entendre, croire et opiner, avait placé la croyance, fondée sur le crédit de celui qui parle, sous l’égide de l’autorité [4] ; ou même à celles de Pascal qui, dans la Préface au Traité du vide, avait lié la certitude des vérités religieuses à leur qualité de vérités de fait, présentes dans les livres sacrés inspirés par Dieu [5]. Le différend confessionnel ne concernait dès lors pas l’autorité en soi mais l’identité et la nature de cette autorité. Autorité humaine assimilée à la Tradition et au magistère, elle était fermement rejetée par les protestants ; autorité divine s’exprimant dans la révélation consignée dans la Bible, elle était aussi l’apanage des Églises issues de la Réforme, qui y faisaient reposer leur foi et leurs systèmes théologiques, en la considérant comme la pierre de touche quant à la croyance individuelle et communautaire et dont le caractère divin ne pouvait pas être remis en question. L’examen, du moins pour la plupart des théologiens réformés de la fin du XVIIe siècle [6], n’était donc pas assimilable au « libre examen » jugeant l’Écriture elle-même, tel qu’il sera exprimé par le protestantisme libéral du XIXe siècle, mais constituait plutôt le moyen d’authentifier les vérités religieuses par la mise à l’épreuve de leur conformité avec la parole de Dieu. Amplifiée par la controverse confessionnelle, son importance n’avait cessé de croître au cours du XVIIe siècle, au point de devenir un des principaux marqueurs identitaires du discours théologique protestant ; l’intensification de la politique anti-huguenote de Louis XIV dans les années 1670-1680 en avait fait par ailleurs également une arme polémique récurrente pour dénoncer la contrainte, psychologique ou physique, exercée à l’encontre des réformés. C’est pourquoi analyser la manière dont Bayle considérait l’examen constitue l’une des voies d’accès privilégiées pour comprendre non seulement son rapport au protestantisme mais aussi, et plus généralement, sa manière de concevoir la foi, l’Écriture, la théologie et, nous le verrons, les relations avec la philosophie.
5Disons-le d’emblée, Bayle place la question de l’examen sous le signe de la contradiction : si, en effet, d’un côté, il s’engouffre avec brio et dextérité logique dans la controverse confessionnelle en usant abondamment de la figure rhétorique de la rétorsion, qui lui permet de retourner contre la voie d’autorité les objections que les adversaires catholiques adressaient depuis le XVIe siècle à l’examen des protestants [7], il reconnaît, de l’autre, que « l’auteur du Commentaire sur contrain-les d’entrer » (à savoir lui-même) est de ceux qui, avec les prosélytes Paul Pellisson et Isaac Papin [8], « ont fait des Livres où ils ont montré de plus en plus les difficultez insurmontables de la voie de l’Examen [9] ». On ne saurait certainement pas lui donner tort puisque les obstacles sur lesquels il devait mettre l’accent atteignaient certes l’examen en tant que dispositif réalisable, censé établir ou démentir la conformité des doctrines avec l’Écriture mais, plus généralement et bien plus dangereusement, risquaient de mettre en question l’autorité ultime dont se réclamaient les protestants, à savoir la Bible elle-même. Et cela parce que les éléments intervenant dans l’examen tel qu’il était envisagé par les protestants à l’époque impliquaient la mise en relation d’au moins trois constantes : un sujet – le croyant –, un objet – les vérités religieuses – et un référent censé valider ou infirmer ces dernières – la Bible en tant que texte inspiré par Dieu. Les dispositions éthiques du sujet, la nature de l’objet et les conditions épistémologiques pour le connaître de même que le degré de fiabilité du référent étaient ainsi les éléments constitutifs qu’il fallait prendre en compte dans toute discussion concernant l’examen. Et c’est justement en analysant ces trois éléments que Bayle, on le verra, devait finir par ébranler les fondements mêmes de cette notion.
6Deux conditions semblent principalement requises pour que l’examen soit « paisible », « judicieux », « sincère », « tres-exacte et tres-poursuivi », « tres-désintéressé et attentif » ou « sévère », pour reprendre certains des qualificatifs dont use Bayle [10] : qu’il soit exempt de contrainte et qu’il soit entrepris dans un esprit impartial. Pour ce qui est de la première exigence, son non-respect fait de l’acte lui-même un simulacre vidé de sa substance ; Bayle dénonce, avec ses coreligionnaires, les conversions forcées accomplies sous la menace, qui transforment l’acte de discernement devant précéder le choix entre fidélité et abjuration en un calcul d’intérêts physiques et financiers [11]. Dans toutes les situations où la perspective d’avantages matériels vient polluer l’examen religieux, « l’esprit devient la dupe [du] cœur » et l’examen se transforme en un geste convenu dont l’issue est facilement prévisible [12]. Or, dans de telles circonstances, se réclamer d’un choix religieux pondéré et serein signifiait surtout poser un geste de solidarité confessionnelle et de résistance politique dénonçant des pratiques sournoises ou brutales, telles que la caisse des pensions prodigue d’argent et d’avantages sociaux, l’enlèvement des enfants, les abjurations au papisme autorisées en bas âge ou, pire que tout, les dragonnades. De tels cas ne constituaient pas, à proprement parler, une mise en question de l’examen religieux dans la mesure où son échec était pour ainsi dire programmé et ne préjugeait pas de sa possibilité en tant qu’instrument légitime de discernement religieux.
7Est-ce à dire que dans des situations affranchies d’entraves politiques, l’examen pouvait se dérouler pour Bayle dans cette impartialité qui constituait une des conditions de sa faisabilité ? À s’en tenir aux ouvrages les plus engagés sur le plan de la controverse confessionnelle, la réponse semblerait à première vue affirmative, au point que, dans le Commentaire philosophique en particulier, la recherche sincère de la vérité garantit que l’ignorance de la conscience errante est invincible et que de ce fait elle exige qu’on la respecte. « […] la seule loi que Dieu, selon son infinie sagesse, ait pû imposer à l’homme à l’égard de la vérité, est d’aimer tout objet qui lui paroîtroit véritable, après avoir emploïé toutes ses lumieres pour le discerner [13] ». Et pourtant, dans le même ouvrage, Bayle fera état des difficultés auxquelles se heurtent de telles dispositions : non seulement le poids de l’éducation, les préjugés et les passions constituent des obstacles à l’exercice serein du discernement [14], mais la nature même du sentiment religieux éloigne le fidèle d’un examen impartial de sa croyance, ressenti comme une trahison et une tiédeur coupable, comme il devait l’expliquer clairement quelques années plus tard dans la Réponse aux questions d’un provincial :
Il n’y a guere de gens qui ignorent que pour bien examiner une question, il faut se défaire de tout intérêt de parti, et mettre à l’écart tous ses préjugez. On ne cesse de représenter cette maxime à ceux qu’on veut engager à la recherche de la vérité. Rien n’est plus facile que de faire cette exhortation, ni rien de plus mal aisé que de la réduire en acte. […] Il est principalement dificile d’examiner sans nul préjugé les matieres de Religion. Les personnes les plus pieuses sont les moins capables d’un tel examen ; car elles auroient plus de crainte que les autres de commettre un crime, si elles abandonnoient pour un moment l’afirmation de leurs articles de foi, et la rejection formelle de ce qui leur a toûjours paru impie [15].
9 Contrairement à l’opinion courante, ce n’est donc pas le dérèglement moral qui constitue l’entrave majeure à la recherche de la vérité, mais plutôt la conviction de professer la vraie religion que tous, hérétiques et orthodoxes, partagent et qui les pousse à agir comme des plaideurs persuadés d’avance de la justice de leurs opinions [16]. Ce sont dès lors paradoxalement des vertus telles que la sincérité et la bonne foi, censées garantir une croyance digne de respect même quand elle est erronée, qui compromettent la possibilité même d’un examen impartial puisque le fidèle intimement et profondément convaincu du bien-fondé de sa foi sera en définitive le moins apte à examiner celle d’autrui.
10 Inadéquat sur le plan moral [17], l’examen risque de l’être encore davantage sur le plan épistémologique, puisque tant le mode de la connaissance religieuse que la nature des objets transcendants semblent en compromettre la légitimité. Pour ce qui est du premier, en remontant à la « raison primitive » qui fonde la foi – ce en quoi réside son analyse [18] – Bayle ancre la croyance dans le sentiment de la conscience :
[…] comme la foi ne nous donne point d’autres marques d’Orthodoxie que le sentiment intérieur, et la conviction de la conscience, marque qui se trouve dans les hommes les plus hérétiques : il s’ensuit que la derniere analise de notre croïance, soit orthodoxe, soit hétérodoxe, est que nous sentons et qu’il nous semble que cela ou cela est vrai. D’où je conclus que Dieu n’exige ni de l’Orthodoxe, ni de l’Hérétique, une certitude acquise par un examen et une discussion scientifique ; et par conséquent il se contente, et pour les uns et pour les autres, qu’ils aiment ce qui leur paroîtra vrai [19].
12En affirmant que la seule validation possible de la croyance est celle fournie par le sentiment que nous avons de sa vérité et que celle-ci se sent et se goûte bien davantage qu’elle ne se prouve, Bayle écarte l’examen de la trajectoire de la connaissance religieuse. Il le fait d’autant plus aisément qu’il assimile celui-ci à la procédure cartésienne qui authentifie la certitude d’une connaissance par la règle de l’évidence [20]. Il n’est dès lors pas surprenant qu’un tel examen philosophique, astreint à ne donner son assentiment qu’aux idées claires et distinctes, ne trouve pas de place dans l’épistémologie baylienne de la croyance [21]. Ce seront dès lors les preuves de sentiment fournies par la conscience qui assureront la certitude de la foi, sans pour autant pouvoir en établir la vérité. Enfermées dans les limites de la conscience individuelle, elles n’ont de valeur que subjective et, comme Bayle le dira dans la Continuation, ce sont en définitive des preuves qui « ne concluent rien. On en a en Saxe touchant la présence réelle, tout comme en Suisse touchant l’absence réelle. Chaque peuple est pénétré de preuves de sentiment pour sa religion : elles sont donc plus souvent fausses que vraies [22] ». Sans d’autre rapport avec la vérité que la persuasion de la posséder, la foi, sucée avec le lait maternel [23], s’affermit à la faveur de l’éducation, qui façonne l’individu de telle sorte qu’il acquiert des habitudes dont il n’est pas responsable et qu’il ne pourra que très difficilement songer à remettre en question [24]. C’est l’éducation, accompagnée ou non de la grâce [25], qui rend dès lors possible au fidèle d’adhérer aux objets transcendants qui lui paraissent clairs en vertu du système symbolique auquel il a été formé dès son enfance [26]. De propriété de l’objet, la clarté devient ainsi une perception du sujet rendu apte à l’éprouver par l’appartenance à une communauté familiale et religieuse qui lui a transmis certains dogmes et lui en a attesté la vérité. Deux conséquences s’ensuivent : la première, que l’évidence biblique des dogmes dont chaque parti se réclame est en réalité une qualité translative qu’on prête à l’Écriture mais dont celle-ci est intrinsèquement dépourvue [27]. Certes, acculé par des objections qu’il a lui-même formulées – « si Dieu se contentoit que chacun aimât ce qui seroit vérité à son égard, pourquoi nous auroit-il laissé une Ecriture [28] ? » –, Bayle plaide la nécessité de la Bible ainsi que la clarté de certaines de ses parties [29]. Or force est de constater que la manière dont il envisage la foi, les difficultés qu’il soulève contre l’examen ainsi que le pessimisme quant à l’impartialité du croyant font de ce plaidoyer obligé pro perspicuitate une coquille vide. Non pas que la vérité que chacun se forge en suivant le sentiment de sa conscience ait perdu le lien avec l’Écriture ; celui-ci demeure mais chacun reconnaîtra dans la Parole de Dieu comme vrai ce à quoi son inclination l’aura porté. Ou pour mieux dire, et c’est la seconde conséquence, ce sera finalement l’autorité – des parents, des pasteurs ou des prêtres etc. – qui orientera le goût dès l’enfance et nourrira la persuasion que telle croyance est véritable et telle autre fausse [30].
13Une telle épistémologie ne pourra dès lors pas fonder une vérité absolue et sera incapable de fournir des critères permettant de distinguer la vraie religion de la fausse ; elle certifiera en revanche une vérité subjective dont le caractère relatif tient au manque de toute marque certaine – épistémologique, théologique ou morale – en mesure de guider le discernement :
tout ce que nous pouvons faire est d’être pleinement convaincus, que nous tenons la vérité absoluë, que nous ne nous trompons point, que ce sont les autres qui se trompent, toutes marques équivoques de vérité, puis qu’elles se trouvent dans les Païens, et dans les Hérétiques les plus perdus : il est donc certain que nous ne saurions discerner à aucune marque assûrée ce qui est effectivement vérité quand nous le croïons, de ce qui ne l’est pas lors que nous le croïons. Ce n’est point par l’évidence que nous pouvons faire ce discernement, car tout le monde dit au contraire que les véritez que Dieu nous révele dans sa parole, sont des misteres profonds qui demandent que l’on captive son entendement à l’obéïssance de la Foi. Ce n’est point par l’incompréhensibilité, car qui a-t’il de plus faux et de plus incompréhensible tout ensemble qu’un cercle quarré, qu’un premier principe essenciellement méchant, qu’un Dieu pere par la génération charnelle, comme le Jupiter du Paganisme ? Ce n’est point par la satisfaction de la conscience ; car un Papiste est aussi satisfait de sa Religion, un Turc de la sienne, un Juif de la sienne, que nous de la nôtre. Ce n’est point par le courage et par le zele qu’une opinion inspire, car les plus fausses Religions ont leurs martirs, leurs austéritez incroïables, un esprit de faire des prosélites qui surpasse bien souvent la charité des Orthodoxes, et un attachement extrême pour leurs cérémonies superstitieuses. Rien en un mot ne peut caractériser à un homme la persuasion de la vérité, et la persuasion du mensonge. Ainsi c’est lui demander plus qu’il ne peut faire, que de vouloir qu’il fasse ce discernement. Tout ce qu’il peut faire, c’est que certains objets qu’il examine lui paroissent faux, et d’autres vrais. Il faut donc lui commander qu’il tâche de faire que ceux qui sont vrais le lui paroissent ; mais soit qu’il en vienne à bout, soit que ceux qui sont faux lui paroissent vrais, qu’il suive après cela sa persuasion [31].
15Ni les vérités religieuses exprimées dans la Bible, incompréhensibles, ni les comportements zélés de ceux qui s’en réclament, ni le contentement de sa propre religion qu’inspire la conscience ne constituent donc des signes univoques dont on puisse se servir pour s’assurer du bien-fondé de sa croyance. La foi, qu’elle soit produite par la grâce ou par l’éducation, ne peut rendre raison d’elle-même. Si cette absence totale de substrat argumentatif n’affecte pas le degré de persuasion ni la ferveur avec laquelle le croyant adhère aux mystères [32], elle le prive en revanche de la possibilité de défendre ses choix religieux et de convaincre l’adversaire, incapable qu’il est « de donner de bonnes preuves que Dieu révele clairement l’existence de ses mysteres dans sa parole [33] ». Face à l’hérétique, prêt pourtant « de sacrifier ses idées les plus distinctes, dès qu’il paroîtra clairement que l’autorité de Dieu le demande », il se reconnaîtra « incapable de le lui faire paroître » et sera convaincu que « la grâce pourra bien l’en persuader, mais non pas le lui découvrir évidemment [34] ». Face au philosophe, qui ne manquera pas d’arguments pour démontrer le caractère aporétique des mystères chrétiens, il sera tout aussi démuni, ayant de la peine à prouver le seul objet sur lequel devrait porter la confrontation avec celui-ci, à savoir la nature révélée des dogmes et leur interprétation [35].
16Radicale, la critique baylienne l’est, en conclusion, parce qu’elle laisse entendre que la voie d’examen – cette marque identitaire forte du protestantisme réformé – est en réalité un leurre et qu’elle est telle parce que l’examen religieux est en définitive un oxymore qui veut tenir ensemble ce qui est antithétique : d’un côté, l’examen philosophique, qui ne forme son jugement qu’après avoir analysé profondément les objets et qui fait dépendre la certitude de l’évidence et non pas de l’opinion [36], de l’autre, la croyance, qui adhère, par sentiment plutôt que par démonstration, à des vérités intrinsèquement opaques. Sur le terrain de l’examen tant les catholiques que les protestants sont perdants : les premiers parce que leur critique, tout en ciblant une faiblesse réelle des adversaires [37], fait long feu dans la mesure où elle peut être retournée contre la Tradition dont ils se réclament, les seconds parce que leur foi est finalement aussi redevable à l’autorité humaine que celle des papistes et que, de même que les croyants des autres religions, ils ne peuvent pas remplir les conditions d’un examen impartial. Quant aux philosophes, à l’instar du juste qui vit de sa foi, ils doivent vivre de la leur, ce qui veut dire qu’« ils doivent juger des choses [38] » et examiner tout comme s’ils étaient « une table rase [39] ». Ce faisant, à moins que « la grace de Dieu » ou « l’éducation de l’enfance, soient de la partie [40] », loin de pouvoir confirmer les vérités du christianisme, ils en démontreront les contradictions insolubles puisqu’« il n’y a aucune Hypothese contre laquelle la Raison fournisse plus d’Objections que contre celle de l’Evangile [41] ». Ils ne pourront même pas prouver avec certitude une question aussi fondamentale que celle de l’existence et de la nature de Dieu [42]. Au mieux ils pourront produire des preuves morales, qui ne convainquent que « les gens du commun » qui sont déjà persuadés et non pas les esprits forts qui n’y trouvent pas « toute la vertu nécessaire [43] » ; au pire, ils convertiront « les preuves en objections, et les objections en preuves » et s’embarrasseront « quelquefois dans le mauvais pas du Naturalisme [44] ».
Mots-clés éditeurs : Bayle (Pierre), Bible, Certitude, Croyance, Examen philosophique, Examen religieux
Date de mise en ligne : 07/11/2018
https://doi.org/10.3917/aphi.814.0681