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Article de revue

Qu'est-ce que l'inférence ? Une relecture du Tractatus logico-philosophicus

Pages 545 à 567

Notes

  • [1]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, traduction de Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1993.
  • [2]
    Dans sa version originale, chez Carnap, cette thèse porte sur les concepts : dans toute proposition portant sur un concept, celui-ci peut être représenté par son extension, que ce soit une classe ou une relation. (Voir R. CARNAP, Der logische Aufbau der Welt, Berlin, Weltkreis Verlag, 1928, p. 57.) L’expression « thèsede l’extensionalité »a par la suite désigné la thèse selon laquelle toute proposition est fonction de vérité de propositions élémentaires qui sont fonctions de vérité d’elles-mêmes. Pour l’attribution de cette thèse à Wittgenstein, voir, par exemple, M. BLACK, A Companion to Wittgenstein’s Tractatus, Ithaca, Cornell University Press, 1964, p. 298 ; D. FAVRHOLDT, An Interpretation and Critique of Wittgenstein’s Tractatus, Copenhague, Munksgaard, 1967, p. 11.
  • [3]
    Pour la tentative de définition de Carnap, voir R. CARNAP, Logische Syntax der Sprache, Vienne, Springer, 1934, p. 88 sqq. Pour la définition de Tarski, voir A. TARSKI, « Sur le concept de conséquence logique », in Logique, sémantique et métamathématique 1923-1944, Paris, Armand Colin, 1974, tome second, p. 141-152.
  • [4]
    G.H. von WRIGHT, « Modal Logic and the Tractatus », in Wittgenstein, Oxford, Basil Blackwell, 1982, p. 183-200 ; cet article contient des passages tirés de « Some Observations on Modal Logic and Philosophical Systems », in R. E. Olson & A. M. Paul (eds.), Contemporary Philosophy in Scandinavia, Baltimore, J. Hopkins University Press, 1972, p. 17-26. Pour les lectures « ontologiques » du Tractatus voir, par exemple, celle de R. BRADLEY (The Nature of All Being. A Study of Wittgenstein’s Modal Atomism, Oxford, Oxford University Press, 1992) ou celle de L. GODDARD et B. JUDGE (The Metaphysics of Wittgenstein’s Tractatus, in Australasian Journal of Philosophy. Monograph Series, vol. 1,1982).
  • [5]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, Paris, P.U.F., 1955. Parmi les travaux de Hertz et Jaskowski, voir P. HERTZ, « Über Axiomensysteme für beliebige Satzsysteme », Mathematische Annalen, vol. 101,1929,457-514 et S. JASKOWSKI, « On the Rules of Suppositionin Formal Logic », in S. McCall (dir.), Polish Logic 1920-1939, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 232-258.
  • [6]
    D. PRAWITZ, Natural Deduction. A Proof-Theoretical Study, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1965.
  • [7]
    W. A. HOWARD, « The Formulae-as-Types Notion of Construction », in J. P. Seldin & J. R. Hindley (dir.), To H. B. Curry : Essays on Combinatory Logic, Lambda Calculus and Formalism, Londres, Academic Press, 1980, p. 479-490.
  • [8]
    R. P. Nederpelt, J. H. Geuvers & R. C. de Vrijer (dir.), Selected Papers on Automath, Amsterdam, Elsevier, 1994.
  • [9]
    J.-Y. Girard, « Une extension de l’interprétation fonctionnelle de Gödel à l’analyse et son application à l’élimination des coupures dans l’analyse et la théorie des types », in J. E. Fenstad (dir.), Proceedings of the2nd Scandinavian Logic Symposium, Amsterdam, North-Holland, p. 63-92 ; J.-Y. GIRARD, P. TAYLOR & Y. LAFONT, Proofs and Types, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
  • [10]
    P. Martin-Löf, « An Intuitionistic Theory of Types », in H. E. Rose & J. Sheperdson (dir.), Logic Colloquium ’73, Amsterdam, North-Holland, 1973, p. 73-118 ; P. MARTIN-LÖF, Intuitionistic Type Theory, Naples, Bibliopolis, 1984 ; P. Martin-Löf, « Constructive Mathematics and Computer Programming », in C. A. R. Hoare & J. C. Shepherdson (dir.), Mathematical Logic and Programming Languages, Englewood Cliffs N. J., Prentice-Hall, p. 167-184 ; B. NORDSTRÖM, K. PETERSSON& J. M. SMITH, Programming in Martin-Löf’s Type Theory, Oxford, Clarendon Press, 1990 ; G. Sambin & J. M. Smith (dir.), Twenty-Five Years of Constructive Type Theory, Oxford, Clarendon Press, 1998.
  • [11]
    J. C. Reynolds, « Towards a Theory of Type Structure », in B. Robinet (dir.), Proceedings of the Colloque sur la Programmation, Berlin, Springer, 1974, p. 408-425.
  • [12]
    R. HARPER, D. MACQUEEN & R. MILNER, Standard ML, Report ECS-LFCS-86-2, Edinburgh University, 1986.
  • [13]
    R. L. CONSTABLE et. al., Implementing Mathematics with the NuPRL Proof Development System, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1986.
  • [14]
    J.-Y. Girard, « Linear Logic », Theoretical Computer Science, vol. 50,1987, p. 1-102 ; J.-Y. Girard, « Towards a Geometry of Interaction », dans J. Gray & A. Scedrov (dir.), Categories in Computer Science and Logic, Contemporary Mathematics, vol. 92, Providence, American Mathematical Society, 1989, p. 69-108 ; J.-Y. Girard, « Linear Logic : Its Syntax and Semantics », in J.-Y. Girard, Y. Lafont & L. Regnier (dir.), Advances in Linear Logic, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 1-42 ; J.-Y. GIRARD, P. TAYLOR & Y. LAFONT, Proofs and Types, op. cit.
  • [15]
    Pour s’en convaincre, il suffit de consulter de comparer J. Barwise (dir.), Handbook of Mathematical Logic, Amsterdam, North-Holland, 1978 et S. R. Buss (dir.), Handbook of Proof Theory, Amsterdam, Elsevier, 1998.
  • [16]
    M. MARION, Pertinence et actualité de la philosophie des mathématiques de Wittgenstein, à paraître.
  • [17]
    M. A. E. Dummett, Frege. Philosophy of Language; 2e éd., Londres, Duckworth, 1982, pp. 434-435.
  • [18]
    Ibidem, p. 432-433.
  • [19]
    Ibidem, p. 433-434.
  • [20]
    Je n’en donne qu’un seul exemple, soit une citation glanée dans un texte relativement récent de Nicolaas de Bruijn, l’inventeur d’« Automath » : « L’intuitionnisme [de Brouwer] fut très mal compris au début du siècle et il eut beaucoup de difficulté à vendre ses idées. Je crois maintenant en comprendre la raison principale. Si la méthode de la déduction naturelle avait été à l’époque l’entrée standard en logique, alors il eut été évident que la logique classique requiert des axiomes pour la négation, et qu’il est raisonnable de vouloir vivre sans eux » (« Reflections on Automath », dans R. P. Nederpelt, J. H. Geuvers & R. C. de Vrijer (dir.), Selected Papers on Automath, Amsterdam, Elsevier, 1994, p. 204-5).
  • [21]
    L. E. J. Brouwer, « Les principes logiques ne sont pas sûrs », trad. et intr. de J. Bouveresse, dans P. de Rouilhan & F. Rivenc (dir.), Logique et fondements des mathématiques. Anthologie (1850-1914), Payot, Paris, 1992, p. 379-392.
  • [22]
    P. Martin-Löf, « On the Meanings of theLogical Constants and the Justifications of the Logical Laws », in C. Bernardi & P. Pagli (dir.), Atti degli incontri di logica matematica, Scuola di Specializzazione in Logica Matematica, Dipartimento di Matematica, Universita` di Siena, vol. 2, p. 231.
  • [23]
    A. Heyting, « Die formalen Regeln der intuitionistischen Logik », in Sitzungsberichte der preussischen, Akademie der Wissenschaften, vol. 16 (1930), p. 42-71 & 158-69 ; N.A. Kolmogorov, « Zur Deutung der Intuitionistischen Logik », in Mathematische Zeitschrift, vol. 35 (1932), p. 58-65.
  • [24]
    Pour un exemple frappant de mécompréhension des idées de Brouwer à l’intérieur de la conception « axiomatique » de la formalisation, voir la discussion de l’intuitionnisme par Carnap au § 16 de Logische Syntax der Sprache, op. cit.
  • [25]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, op. cit.
  • [26]
    Ibidem, § 5.13.
  • [27]
    Ibidem, § 5.11. De Bruijn est certainement très sensible à ce genre de remarque, puisqu’il réclame la même affinité pour Automath. Voir, par exemple, N. G. de Bruijn, « Reflections on Automath », op. cit, pp. 205 & 215.
  • [28]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, op. cit.
  • [29]
    Cependant, il faut avouer que, généalogiquement, toutes ces conceptions de la conséquence logique semblent remonter à une source commune, Bolzano. La notion de conséquence logique introduite par Tarski dans son article de 1936, « Sur le concept de conséquence logique » (op. cit.), était en effet en quelque sorte déjà présente dans les travaux de Bolzano, comme le remarque Tarski lui-même dans une note en bas de page, où il cite les travaux de Heinrich Scholz (« Sur le concept de conséquence logique », op. cit., p. 150 n.). Les idées de Gentzen se trouvaient déjà préfigurées dans les travaux de Paul Hertz. (Voir en particulier P. Hertz, « Über Axiomensysteme für beliebige Satzsysteme », op. cit.; ou encore, pour une introduction, V. M. Abrusci, « Paul Hertz’s Logical Works. Contents and Relevance », in Atti del Convegno Internazionale di Storia de la Logica, San Gimignano, 4-8 dicembre 1982, Bologne, CLUEB, 1983, p. 369-374.) Par contre, K. Schröter a mis en lumière il y a déjà longtemps la relation entre ce qu’il appelle les notions de « Bolzanosche Folgern » et de « Gentzensche Folgern ». Voir K. Schröter, « Theorie des logisches Schliessens », in Zeitschrift für mathematische Logik, vol. 1,1955, p. 37-86 & vol. 4,1958, p. 10-65. Pour ce qui est de Wittgenstein, Jan Sebestik a montré dans « The Archeology of the Tractatus : Bolzano and Wittgenstein » (R. Haller & J. Brandl (dir.), Wittgenstein-Eine Neubewertung, Vienne, Hölder-Pichler-Tempsky, 1990, p. 112-18) qu’il est probable que Wittgenstein fut indirectement influencé par Bolzano, à travers la lecture de la Philosophische Propädeutik de Robert Zimmerman (étudiant et ayant-droit de Bolzano). On retrouve en effet l’analogue de beaucoup de notions typiquement bolzaniennes dans le Tractatus, dont en particulier la théorie de la probabilité (5.152), l’idée du « prototype » obtenu en transformant chaque composante de la proposition en une variable (3.315), l’opérateur N (5.502), l’idée que toute proposition a une analyse unique, (3.25), l’idée que la seule nécessité est la nécessité logique (6.375), etc. On peut ajouter à cette liste la notion de conséquence logique (5.12-5.122).
  • [30]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.127. Le commentaire de Max Black sur ce passage est un exemple frappant de ce dont je parle, i.e. d’une simple paraphrase. Voir M. BLACK, A Companion to Wittgenstein’s Tractatus, op. cit., p. 337-8.
  • [31]
    On y lit : «... il est remarquable qu’un penseur aussi rigoureux que Frege ait fait appel au degré d’évidence comme critère de la proposition logique » (6.1271). Il s’agit d’une attaque contre un aspect de la conception axiomatique, soit l’évidence comme seul critère de reconnaissance de la vérité des axiomes.
  • [32]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.127.
  • [33]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick. Vol. I, Textes inédits années 1930, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
  • [34]
    G. Baker, « Présentation des Dictées », in A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. XIII-XXXIII.
  • [35]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 93.
  • [36]
    Ibidem, p. 106.
  • [37]
    Il serait fastidieux de faire le détail des éléments de ce passage qui font écho au Tractatus. Je n’en donne qu’un exemple. La dernière phrase du passage des Dictées que je cite contient l’idée que le Modus Ponens, que Wittgenstein appelle ici le « schéma d’inférence S », fait partie de la grammaire et n’est donc pas une proposition du langage. Cette idée était déjà exprimée au 6.1264 : « le modus ponens ne peut être exprimé par une proposition ».
  • [38]
    B. RUSSELL, Écrits de logique philosophique, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 231-232.
  • [39]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 92-4.
  • [40]
    B. Russell, Écrits de logique philosophique, op. cit., p. 232.
  • [41]
    M.A.E. DUMMETT, Frege. Philosophy of Langage, op. cit., p. 434.
  • [42]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.1221 & 6.1223. Traduction légèrement modifiée.
  • [43]
    M.A.E. DUMMETT, Frege. Philosophy of Language, op. cit., p. 433.
  • [44]
    A. SOULEZ (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 106.
  • [45]
    Wittgensteinpréface ce passage par ces remarques : « Notre propos n’est pas ici d’entrer dans les détails de ce calcul. Que le système dans la forme existante aujourd’hui satisfasse à toutes les exigences, ou qu’il nécessite peut-être sur tel et tel point une amélioration, est une question technique que nous abandonnons au mathématicien. Nous nous interrogeons uniquement sur le sens qui revient à la construction d’un tel système. Et là effectivement il y a un problème. « (A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 104.) Ces remarques s’appliquent, bien sûr à mon propos. Il faut noter, cependant, que nous retrouvons ici un défaut bien typique de Wittgenstein, c.-à-d. son refus de faire le travail du mathématicien, qui l’a empêché de développer ses propres idées.
  • [46]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 105.
  • [47]
    Ibidem, p. 108. Voir aussi un passage tout à fait similaire, p. 101.
  • [48]
    Il y en d’autres, comme le § 6.126, qui est parfois lu comme présentant une description de l’inférence en accord avec la méthode axiomatique.
  • [49]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.12-5.121.
  • [50]
    A. Tarski, « Sur le concept de conséquence logique », op. cit., p. 150.
  • [51]
    J ’ai mis en valeur le rôle central de la notion d’opération au chapitre 2 de mon livre, Wittgenstein, Finitism and the Foundations of Mathematics (Oxford, Clarendon Press, 1998) et dans mon article « Operations and Numbers in the Tractatus » à paraître dans Wittgenstein Studies, in G. Oliveri (dir.), From the Tractatus to the Tractatus and other Essays, Berne, Peter Lang, 2001, p. 105-123.
  • [52]
    A. Church, « A Set of Postulates for the Foundation of Logic », Annals of Mathematics, vol 33 (1932), p. 346-366 & vol. 34 (1933), p. 839-864. Ce n’est que quarante ans plus tard qu’on s’en est rendu compte. Les premières remarques à cet effet se trouvent dans P. Hancock & P. Martin-Löf, « Syntax and Semantics of the Language of Primitive Recursive Functions », Preprint No. 3,1975, Département de mathématiques, Université de Stockholm. La reconstruction de la définition de Wittgenstein par Lello Frascolla met en lumière cette parenté. Voir P. FRASCOLLA, Wittgenstein’s Philosophy of Mathematics, Londres, Routledge, 1994, chap. 1 ; P. Frascolla, « The Tractatus System of Arithmetic », Synthese vol. 112 (1997), p. 353-378.
  • [53]
    Voir là-dessus les remarques philosophiques dans J. R. Hindley & J. P. Seldin, Introduction to Combinators and ?-Calculus, Cambridge University Press, Cambridge, 1986, chapitres 1 et 3. J ’ai discuté de ces questions dans Wittgenstein, Finitism and the Foundations of Mathematics, op. cit., et dans mon article « Operations and Numbers in the Tractatus »,op. cit.
  • [54]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.25.
  • [55]
    Ibidem, 5.132.
  • [56]
    Pour ne prendre qu’un exemple, il est très clair que la théorie intuitionniste des types de Martin-Löf est un langage explicite qui ne fait pas appel à la distinction langage objet/ métalangage. Pour des indications allant dans ce sens, voir A. Raanta, Type-Theoretical Languages, Oxford, Clarendon Press, 1994, pp. 17sq. Le locus classicus est ici P. Martin-Löf, « On the Meanings of the Logical Constants and the Justifications of the Logical Laws », op. cit.
  • [57]
    A. Church, Introduction to Mathematical Logic, Princeton, Princeton University Press, 1956, p. 53n. ; cité dans J. Dubucs, « La logique depuis Russell », in R. Blanché & J. Dubucs, La logique et son histoire, Paris, Armand Colin, 1996, p. 388.
  • [58]
    Voir là-dessus mon article « Operations and Numbers in the Tractatus », op. cit.
  • [59]
    L. WITTENGSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.113 & 6.1262.
  • [60]
    Ibidem, 6.1265.
  • [61]
    JacquesBouveresse avait déjà aperçu ce lien dans un de ses premiers articles, où il faisait déjà montre de beaucoup de perspicacité dans sa lecture de Wittgenstein. Voir J. Bouveresse, « La notion de grammaire chez le second Wittgenstein », Revue internationale de philosophie, vol. 23,1969, p. 319-338.
  • [62]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.122-5.123.
  • [63]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 103.
  • [64]
    L. WITTGENSTEIN, Remarques sur les fondements des mathématiques, Paris, Gallimard, 1983, I, § 19.
  • [65]
    Ibidem, I, § 21.
  • [66]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961, §§ 218-19.
  • [67]
    L. WITTGENSTEIN, Le Cahier bleu et le Cahier brun, Paris, Gallimard, 1996, p. 224. À propos de l’argument de Wittgenstein sur « suivre une règle », mes analyses font écho à celles de Crispin Wright, dans « Wittgenstein’s Rule-Following Considerations and the Central Project of Theoretical Linguistics », in A. George (ed.), Reflections on Chomsky, Oxford, Blackwell, 1989, p. 239sqq.
  • [68]
    Une première version de ce texte a été présentée lors d’une journée sur « Wittgenstein et la logique » en janvier 2000, à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences, et à l’Université de Genève, en avril 2001. J ’aimerais remercier Philippe de Rouilhan, Jacques Dubucs, Sandra Laugier, Kevin Mulligan et Göran Sundholm pour leurs commentaires.
Die logischen Operationenszeichen sind Interpunktionen.
L. Wittgenstein

1On assiste depuis quelques années à une recrudescence d’intérêt envers le Tractatus logico-philosophicus[1]. Un préjugé tenace a encore cours de nos jours à propos de cette œuvre : on y trouverait (en particulier au § 4.024) une conception réaliste de la sémantique vériconditionnelle ; plus précisément, Wittgenstein y adopterait une version de la thèse d’extensionalité de Carnap [2], et proposerait une définition de la conséquence logique (5.12-5.122), qui s’inscrit dans une tradition remontant à Bolzano et qui annonce celle de Carnap et celle de Tarski – cette dernière étant aujourd’hui universellement adoptée [3]. Les limites de cette lecture « extensionaliste » du Tractatus ont déjà été indiquées par Georg Henrik von Wright, qui en a fait ressortir les aspects « intensionnels » – modaux – dans un article par ailleurs très important pour le développement des lectures « ontologiques » du Tractatus[4]. J’aimerais faire ici un pas de plus – un pas beaucoup plus radical – dans la mise en cause de cette lecture « extensionaliste » : tandis qu’un Carnap reprend la conception axiomatique qu’il a héritée entre autres de Frege et Russell, Wittgenstein propose une conception de l’inférence qui, comme je vais le montrer, se rapproche de celle que présentera, à la suite des travaux de Hertz et Jaskowski, Gerhard Gentzen une douzaine d’années après la publication du Tractatus, en 1934 [5].

2Les critiques adressées par Wittgenstein à la conception axiomatique de la logique dans le Tractatus, par exemple celle du § 6.1271, sont bien connues. Cependant, nul ne semble avoir vu clairement qu’elles impliquent une conception radicalement différente de l’inférence. Cette différence est d’abord et avant tout philosophique, et je crois qu’elle est fondamentale, non seulement parce qu’elle permet de clarifier un nombre de problèmes d’exégèse du Tractatus causés principalement par l’usage que l’on fait des conceptions sémantiques issues de la tradition à laquelle appartiennent Carnap et Tarski, mais aussi parce qu’elle éclaire un bon nombre d’objections de Wittgenstein à l’endroit de Frege et Russell, et qu’elle permet de jeter un regard nouveau sur certains aspects notoirement difficiles de la philosophie de Wittgenstein, tels que l’argument sur « suivre une règle ».

3Le paysage de la logique a beaucoup changé dans les trente dernières années. Il suffit pour s’en convaincre de citer quelques développement majeurs, dans la foulée de la réhabilitation des systèmes de déduction naturelle de Gentzen par Dag Prawitz [6] et de l’isomorphisme de Curry-Howard entre les démonstrations en déduction naturelle intuitionniste et un ?-calcul simplement typé, qui est un résultat d’une importance capitale [7]. Dans la foulée de ce résultat, sont apparus, entre autres, le système « Automath » de Nicolaas de Bruijn et ses variantes [8], le système F de Girard [9], la théorie des types intuitionniste de Martin-Löf [10], le ?-calcul du second-ordre de Reynolds [11], ainsi que, dans les années quatre-vingt, les langages de programmation ML de Milner [12] et NuPRL de Constable [13] et, last but not least, la logique linéaire de Girard [14]. Ces développements en théorie de la preuve ont considérablement transformé le paysage de la logique [15], au point que l’on pourrait parler, si le terme n’avait pas été tant galvaudé, d’un changement de « paradigme » entre la conception « axiomatique » de la formalisation et celle, plus « pragmatique », issue des travaux de Gentzen. C’est à la lumière de cette conception de la logique que j’aimerais proposer une relecture du Tractatus.

4Malheureusement, les quelques philosophes intéressés par les questions de philosophie de la logique et des mathématiques continuent en grande majorité d’ignorer ces développements et de se cantonner dans une discussion dont les termes sont hérités de la Grundlagenstreit des années vingttrente. Le changement de perspective que j’évoque ici n’implique pas nécessairement la disparition des positions traditionnelles, mais une reformulation des termes mêmes du débat. Les propos de Wittgenstein sur la logique et les mathématiques ont été très mal compris dans le passé, car ils cadrent mal dans les positions fondationnelles héritées de cette époque ; j’ai présenté ailleurs mes raisons de croire que le véritable obstacle à la compréhension des remarques de Wittgenstein sur la logique et les mathématiques vient du fait qu’il est lu à partir d’une conception de la logique appartenant à l’ancien « paradigme » [16]. La tâche de l’interprète est donc, selon moi, de relire Wittgenstein à partir de la conception de la logique qui émerge dans les développements de la logique que je viens de mentionner.

5Michael Dummett fut le premier philosophe à prendre acte, avec sa reformulation de la question du réalisme, de la « révolution » que provoque, en philosophie de la logique, l’adoption du point de vue de Gentzen. En voulant s’opposer dogmatiquement à l’antiréalisme de Dummett, plusieurs auront été aveugles à cet aspect révolutionnaire de sa philosophie. On trouve un exemple de celui-ci dans son Frege. Philosophy of Language :

6

On peut dire de Gentzen qu’il fut le premier à montrer comment la théorie de la preuve doit être faite. En remplaçant les vieilles formalisations axiomatiques de la logique par les calculs des séquents et, en particulier, par les systèmes sans coupures, il a non seulement corrigé notre perspective conceptuelle sur la logique, il a aussi redressé la balance entre le pouvoir technique des méthodes algébriques et celui des méthodes de la théorie de la preuve [...] L’usage, introduit par Frege, des formalisations axiomatiques des théories logiques, qui sont techniquement et conceptuellement peu satisfaisantes, a mené à une dépendance excessive envers les systèmes de distribution de valeurs comme technique algébrique, plutôt que sur les techniques bien plus puissantes de la théorie de la preuve conçues par après par Gentzen, ainsi qu’à une perspective faussée dans l’étude des logiques non-classiques et des systèmes de distribution de valeurs considérés sous leur aspect sémantique [17].

7Ce passage a de quoi surprendre, puisqu’au beau milieu d’un ouvrage consacré à son auteur fétiche, Frege, Dummett admet que celui-ci n’avait tout simplement pas la bonne « perspective conceptuelle sur la logique ». La raison en est, selon le diagnostic établi par Dummett, que Frege avait en tête une analogie « trompeuse » avec une théorie axiomatique :

8

La raison de l’intérêt soutenu pour les systèmes de distribution de valeurs [...] résidait dans l’état peu satisfaisant de la théorie de la preuve à cette époque. Les fondateurs de la logique mathématique moderne, Frege et, à sa suite, Russell, avaient formalisé les systèmes logiques en ayant en tête une analogie trompeuse avec une théorie axiomatique, c’est-à-dire en réduisant au minimum les règles d’inférence et en stipulant axiomatiquement la validité des formules d’une certaine forme. Dans une telle formalisation, l’attention se porte sur le fait de postuler des vérités logiques et sur la dérivation à partir de celles-ci d’autres vérités logiques. Cela était le résultat d’une attitude délibérée de la part de Frege et en ce sens (et en ce sens seulement) son approche de la nouvelle logique était rétrograde. Il caractérisa la logique en disant que, tandis que les sciences ont la vérité pour but, en logique la vérité n’est pas qu’un simple but mais l’objet d’étude. Cependant, la réponse traditionnelle à la question à savoir quel est l’objet de la logique est qu’il s’agit non pas de la vérité mais de l’inférence, ou, de façon plus précise, de la relation de conséquence logique. Ceci fut l’opinion partagée durant toute la période où la logique était dans le marasme, avant qu’elle ne soit revitalisée par Frege, et il s’agit certainement du bon point de vue [18].

9Toujours selon Dummett, « le premier à corriger cette perspective faussée et à abandonner l’analogie trompeuse entre la formalisation de la logique et la théorie axiomatique fut Gentzen » [19]. Mon argument sera tout simplement que Wittgenstein, à l’opposé d’un Carnap, ne partageait pas la conception de Frege et Russell telle qu’elle est décrite ici même par Dummett – on pourra le vérifier par les textes. Wittgenstein fut donc, selon moi, le premier à corriger cette « perspective faussée » et à abandonner l’analogie « trompeuse » dénoncée par Dummett. Bien sûr, cela ne diminue en rien l’importance de Gentzen, car c’est lui qui, dans les faits, a été le pionnier et a réellement corrigé notre perspective. Wittgenstein n’avait pas fait le travail logique nécessaire. Mais il faudra donc lui reconnaître, si j’ai raison, une acuité philosophique hors pair : il avait vu juste.

10Comme on l’a vu, Dummett reproche, dans un argument que je ne discuterai pas ici, à la conception « axiomatique » de la formalisation, le fait qu’elle introduit une « perspective faussée dans l’étude des logiques non-classiques ». En disant cela, Dummett a en tête la logique intuitionniste. En fait, on s’accorde de nos jours à reconnaître que ce sont les idées logiques mêmes de Brouwer qui furent mécomprises à l’intérieur de la conception axiomatique de la formalisation et non pas seulement les formalisations qu’on a pu en faire qui sont apparues sous un mauvais jour [20]. Brouwer pensait que les mathématiques étaient le résultat de constructions mentales du mathématicien et que celles-ci ne pouvaient être qu’imparfaitement représentées dans le langage. Tout naturellement, il se méfiait de la logique classique, qu’il associait au langage. Il fit part de ses méfiances dans un de ses premiers textes, « Les principes logiques ne sont pas sûrs » [21]. Mais la critique de la loi du tiers-exclu qui en découlait fut perçue comme étant basée sur une forme particulièrement mal équarrie de psychologisme. Il s’agit là d’une mécompréhension des idées de Brouwer : en fait, lorsqu’il disait d’une preuve qu’elle est une construction mentale, il voulait dire qu’elle est essentiellement un acte, comme l’a vu Per Martin-Löf, pour qui :

11

...une preuve n’est pas un objet, mais un acte. C’est ce sur quoi Brouwer insistait en disant qu’une preuve est une construction mentale car ce qui est mental, psychique, ce sont précisément nos actes. De fait, il aurait pu tout aussi bien dire que la preuve d’un jugement est l’acte de le prouver ou de le saisir. Et la preuve est d’abord et avant tout l’acte en tant qu’on l’accomplit. Ce n’est qu’ensuite, irrévocablement, qu’elle devient l’acte qui a été accompli [22].

12(On notera en passant que Wittgenstein disait la même chose dans son Tractatus, au 6.1261 : « En logique, procédure et résultat sont équivalents ».)

13Dans la foulée de Brouwer, Arend Heyting et Nicolai Kolmogorov ont proposé dans les années trente une interprétation des opérateurs logiques (appelée aujourd’hui l’interprétation BHK), qui consiste à définir l’acte capable de justifier l’assertion d’un énoncé en fonction des actes capables de justifier l’assertion de ses constituants immédiats [23]. Ainsi, pour ne prendre que deux exemples, l’acte qui justifie A&B est la donnée d’un acte de justification pour l’énoncé A et d’un autre acte de justification pour l’énoncé B, tandis qu’un acte qui justifie A? B est la donnée d’une construction capable de transformer tout acte justifiant A en acte justifiant B.

14Cette conception intuitionniste se trouvait très mal à l’aise dans le cadre dominant de la logique, celui de Frege, où l’on conçoit une démonstration comme une suite finie de formules vérifiant certaines propriétés combinatoires et qui ne fait qu’enregistrer le résultat des actes ; il n’y a donc pas vraiment place pour les actes au cœur même de la logique [24]. Tout au plus retrouve-t-on, dans la marge, la trace de la justification du passage d’un énoncé à un autre. Cette situation changea du tout au tout avec les travaux de Gentzen, qui proposa un mode d’exposition nouveau pour la logique dans lequel le concept central est celui de « déduction sous hypothèse » [25]. Celle-ci allait donner toute sa place aux idées intuitionnistes. Contrairement aux logiques considérées jusqu’alors, il n’y a pas d’axiomes comme point de départ et les règles logiques peuvent être appliquées à un stade où leur prémisses ne sont pas encore elles-mêmes prouvées, c’est-à-dire qu’elles sont encore des hypothèses. Dans de tels cas, leurs conclusions continuent de dépendre de ces hypothèses. Dans le cas d’une vérité logique, l’ensemble des hypothèses est vide. À chaque opérateur logique sont associées deux règles : une règle d’introduction, qui stipule à quelles conditions un énoncé dont l’opérateur considéré serait l’opérateur principal peut être obtenu à titre de conclusion – cette règle représente en quelque sorte la définition de l’opérateur [26] – et une règle d’élimination, qui définit ce qui peut être inféré d’un énoncé contenant cet opérateur comme opérateur principal. Ainsi, par exemple, la règle d’introduction de la conjonction &, qui se présente comme suit :

15

A B

A&B

16stipule que l’acte qui justifie A&B, consiste en deux actes, le premier justifiant A et le second, B. La règle d’introduction de l’implication, quant à elle, stipule que si B a été déduit de l’hypothèse A, il est possible de construire une nouvelle déduction dont la conclusion est A? B, qui ne dépend plus de l’hypothèse A, c’est-à-dire que l’hypothèse aurait été déchargée. C’est ce que l’on indique par l’usage des crochets :

17

[A]





A? B

18Du point de vue de la conception mise de l’avant par Gentzen, ce n’est plus la logique intuitionniste qui apparaît peu élégante ou carrément ésotérique. La situation est inversée. Je fais allusion ici à un phénomène déjà mis en lumière par Gentzen lui-même, selon lequel le système appelé NJ de la déduction naturelle intuitionniste possède une affinité avec le « raisonnement réel » des mathématiciens [27] tandis que le système NK de la déduction naturelle classique doit être obtenu de celui-ci par l’adjonction d’axiomes de la forme Av¬A ou d’une règle d’inférence pour l’élimination de la double négation :

19

¬¬A

A

20L’adjonction de cette règle d’inférence brise la symétrie que l’on retrouve dans le système NJ de la déduction naturelle intuitionniste [28].

21Pourquoi ce long préambule sur les conceptions de la logique de Frege et de Gentzen ainsi que sur l’intuitionnisme de Brouwer et sur l’éclairage que lui donna la déduction naturelle de Gentzen ? Parce qu’il s’agit d’un cas exemplaire : les idées logiques de Brouwer ne pouvaient être réellement comprises que grâce à la révolution conceptuelle provoquée par les travaux de Gentzen. La relecture du Tractatus que je propose vise à montrer que, de façon analogue, la conception de la logique – et donc de l’inférence – qu’on y trouve a été mal comprise, parce qu’elle n’avait pas non plus sa place à l’intérieur de la conception « axiomatique ». Établir un rapprochement entre la conception de la logique du Tractatus et celle qui émerge, plus d’une douzaine d’années après la publication de celui-ci, dans les Recherches sur la déduction logique de Gentzen, ne manquera de surprendre. Bien que les commentateurs de Wittgenstein aient longuement insisté sur la critique des Principia Mathematica de Whitehead et Russell dans le Tractatus, et sur la lecture erronée de certains passages de cet ouvrage par le Cercle de Vienne, l’image que l’on se fait de la conception de la logique – de l’inférence en particulier – dans le Tractatus reste pour l’essentiel liée à la conception « axiomatique » de Frege et de Russell, qui fut reprise entre autres par Carnap. Cela se renforce du fait que la seule contribution à la logique que l’on veut bien reconnaître à Wittgenstein, soit l’introduction des tables de vérité, permet de définir l’inférence comme une relation formelle entre les conditions de vérité des propositions ; nous sommes loin, ici, de la conception gentzenienne.

22Je ne veux bien sûr pas soutenir la thèse selon laquelle la conception gentzenienne de la logique était déjà préfigurée dans le Tractatus, thèse qui est, d’évidence, littéralement fausse [29]. Je voudrais plutôt soutenir la thèse selon laquelle la conception de la logique de Wittgenstein se rapproche sur certains points centraux de celle de Gentzen, et que ce sont ces aspects de la conception wittgensteinienne qui ont été mal compris, lorsqu’ils n’ont pas été tout simplement ignorés. Tous ceux qui ont lu le Tractatus peuvent savoir que selon Wittgenstein il n’y a pas de Grundgesetze en logique – puisque tous peuvent lire au 6.127 que « Toutes les propositions de la logique sont d’égale légitimité, il n’y a pas parmi elles de lois fondamentales essentielles et de propositions dérivées » [30]. Quoiqu’on ait souvent insisté sur la critique de la conception de Frege au paragraphe suivant, le 6.1271 [31], on ne fait guère attention à la véritable signification du 6.127. Tout comme dans le cas de Brouwer, se placer dans la perspective de Gentzen permet un éclairage nouveau sur la conception de la logique du Tractatus.

23Je vais donc exposer quelques points de contact cruciaux entre les deux conceptions, pour ensuite discuter deux difficultés exégétiques soulevées par ce rapprochement. Pour finir, je présenterai un des avantages évidents de cette relecture, en établissant un lien avec les remarques du second Wittgenstein sur la preuve et la règle. Dans ce qui suit, mon intention n’est que d’éclaircir la pensée de Wittgenstein, d’y établir quelques liens, de façon certes un peu intuitive. Il n’est pas du tout question de savoir si l’interprétation qu’il fait de Frege ou de Russell est adéquate, ni non plus de se demander si les arguments de Wittgenstein sont convaincants et encore moins de savoir si ce qu’il dit est vrai ou faux. Avant de se poser ces questions, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’il a vraiment dit.

24Le concept central des formalisations de Gentzen est la notion de « déduction sous hypothèse ». L’accent y est ainsi déplacé des axiomes aux règles d’inférence. On retrouve des traces d’une conception similaire de Wittgenstein dans le Tractatus. Outre le § 6.127, où Wittgenstein écrit qu’il n’y a pas d’axiomes (Grundgesetze) en logique, on pourrait citer le § 6.1224, où il s’oppose à la conception « axiomatique » de Frege et Russell : « La raison sera également claire pour laquelle la logique a été nommée théorie des formes et des déductions » [32]. Les remarques qui vont en ce sens dans le Tractatus sont peu nombreuses et la publication récente, sous la direction d’Antonia Soulez, du texte des Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick[33] apporte de nouveaux éléments d’un grand secours, puisque ces textes confirment selon moi les parallèles entre les conceptions wittgensteiniennes et gentzeniennes. Ces Dictées datent de l’époque du retour de Wittgenstein à la philosophie en 1928-1929. À cette époque, Wittgenstein avait des contacts réguliers avec certains membres du Cercle de Vienne, dirigé par Moritz Schlick. Wittgenstein accepta l’idée d’un projet de livre sur le Tractatus qui aurait été écrit conjointement avec Friedrich Waismann, l’assistant de Schlick. Wittgenstein dicta ses idées à Waismann, qui était chargé de les mettre en forme. Les fragments publiés sont le résultat de ces dictées. Il est impossible de dater précisément ces fragments, mais il doivent dater de la période 1929-34, année durantlaquelleWittgenstein mitfinàlacollaboration. Laprésentationdesdictées par Gordon Baker démontre clairement que, dans son travail de mise en ordre, Waismann s’en est tenu à des interventions minimales et que le texte des dictées est donc un reflet fidèle des pensées de Wittgenstein [34].

25Dans deux fragments de ces Dictées, intitulés « La logique de Russell » et « L’inférence », Wittgenstein présente une conception de la logique selon laquelle « les axiomes doivent être des hypothèses » [35], et selon laquelle « dans une inférence, il n’est jamais question de la vérité ou de la fausseté des axiomes, mais au contraire les axiomes doivent être supposés » [36]. Le contexte de ces remarques indique clairement qu’il s’agit sans nul doute d’une explication des conceptions du Tractatus, à tout le moins sur cette question, et non d’une nouvelle conception.

26Je ne citerai qu’un long mais très instructif passage du premier de ces fragments, « La logique de Russell », dont on peut reconnaître sans trop de difficulté qu’il exprime un point de vue déjà présent dans le Tractatus[37] :

27Une inférence ne peut être justifiée que par une règle, pas par une proposition. Je peux dire : « J ’ai fait une inférence correcte, car j’ai suivi telle règle » mais pas : « J ’ai fait une inférence correcte, parce que ceci ou cela est vrai. »

28Russell lui-même oppose aux axiomes, qui sont exprimés en signes, une règle d’inférence qui est énoncée en mots. Celle-ci stipule : si j’ai deux formules de la forme P et P? Q, je suis autorisé à écrire la formule Q. Elle est habituellement écrite :

29

P
P? Q

Q

30Nous l’appellerons la règle d’inférence S .

31Wittgenstein s’attaque donc, à travers ce qu’il appelle la règle d’inférence S, à la conception de l’inférence que l’on retrouve dans les Principia Mathematica. Celle-ci s’énonce : « une proposition ‘p’est affirmée, et une proposition ‘p implique q’ également, et il suit de là que la proposition ‘q’est affirmée »; Russell rend cela symboliquement dans un mélange langage/ métalangage qui lui est propre, en disant que nous sommes justifiés par ? p et par ? p ? q d’écrire ? q, à quoi il ajoute qu’il est préférable d’écrire ? p ? ? q[38]. Wittgenstein poursuit :

32

L’apparence trompeuse de la logique russellienne tient à ce qu’elle fait comme si dans une inférence on avait besoin non seulement de la règle d’inférence mais aussi des propositions, à savoir des axiomes. En réalité, cependant, les axiomes ne se présentent absolument pas, chez Russell, comme des prémisses mais comme des parties d’une règle d’inférence. C’est-à-dire : il ne peut nullement être question de la vérité et de la fausseté des prémisses mais au contraire la prémisse (le produit logique des axiomes A) conjointement avec la règle S représente la loi d’inférence. Cette loi d’inférence est une détermination grammaticale que nous donnons. En d’autres termes, ce qui est déterminé dans la logique russellienne est la loi d’inférence qui se compose des prémisses apparemment indépendantes A, et de l’instruction matérielle S. Que, cependant, les axiomes ne jouent qu’un rôle de partie d’une règle grammaticale – c’est ce qui ne ressort pas clairement de la présentation de ce système.

33L’argument de Wittgenstein est que p ? q doit être inséré afin que nous retrouvions le schéma d’inférence originel et qu’en tant que « pièce intercalaire », son rôle n’est pas du tout celui d’un axiome mais d’une « hypothèse » :
L’affaire se présente comme si l’instruction matérielle S était la règle et le système d’axiomes une prémisse à partir duquel on fait des inférences. Mais l’inférence au moyen des axiomes doit être justifiée, ainsi les axiomes doivent être des hypothèses (Annahme). Ils ne sont cependant pas les hypothèses qu’ils semblent être, c’est-à-dire que p? p n’est pas l’hypothèse que p implique p, mais il s’agit bien plutôt de la détermination (Bestimmung) qu’une transition de p à une autre proposition q n’est correcte que si elle s’effectue conformément à l’instruction matérielle S, à partir de p et de la prémisse apparente A.

34Nous allons maintenant éclaircir en quoi les axiomes russelliens sont des parties d’une règle. Si la proposition q doit être inférée de la proposition p, alors le schéma

35

p

q
doit être complété par une forme p? q pour retrouver le schéma d’inférence originel. La tâche des axiomes est maintenant de fournir ce chaînon manquant, en quelque sorte la pièce intercalaire. Les axiomes jouent ainsi le rôle de moyen de transformation, mais pas celui de prémisse. Ils permettent de mettre chaque inférence dans cette forme normale, que réclame l’instruction matérielle S. Si je veux éventuellement chercher la justification de l’inférence de r à r v s, je le fais par l’entremise d’une règle qui me permet d’adjoindre la pseudo-prémisse r.?.r v s.
Il est parfaitement clair à présent que les axiomes ne sont pas des propositions, à partir desquelles on infère, mais que leur fonction est tout autre : ils sont des pièces intercalaires dans le schéma d’inférence S, donc une partie de la grammaire, mais nullement des propositions du langage [39].

36À la lecture de ce passage, il apparaît clairement que la conception wittgensteinienne des axiomes comme Annahme était très proche de la notion gentzenienne de la « déduction sous hypothèse ». Pour Russell, « l’inférence consiste à laisser tomber une prémisse vraie ; c’est la dissolution d’une implication [40] » entre deux propositions, à l’aide d’une troisième proposition – l’axiome –; mais pour Wittgenstein ce n’est pas le cas, p ? q joue « le rôle de moyen de transformation, mais pas celui de prémisse ». De plus, puisque les axiomes jouent un tel rôle cela implique, selon Wittgenstein, qu’ils ne peuvent pas être des « propositions du langage » et donc, a fortiori, qu’il ne s’agit pas de vérités « éternelles » ou « analytiques », comme nous allons le voir.

37La conception de l’inférence qui prévaut en déduction naturelle a des conséquences sur la conception même de la vérité logique. Les mêmes conséquences se retrouvent chez Wittgenstein. Une première conséquence porte sur la définition même de l’ensemble des vérités logiques. Gentzen a montré comment il est possible de formaliser la logique sans postuler de vérités logiques, c’est-à-dire par la seule spécification des règles d’inférence. Seules celles-ci sont primitives et, comme le dit Dummett, « la reconnaissance d’énoncés comme étant logiquement vrais n’occupe pas une place centrale » :

38

Un ensemble de vérités logiques est certes obtenu, celui des énoncés qui peuvent être assertés comme étant dépendant de l’ensemble d’hypothèses vide : mais cet ensemble de vérités logiques n’est qu’un sous-produit des procédés requis pour la dérivation d’énoncés vrais à partir d’autres énoncés vrais ; étant donné ces procédés, il y aura certains énoncés dont on reconnaîtra qu’ils sont vrais en vertu uniquement de ceux-ci, mais dont la reconnaissance du fait qu’ils possèdent ce statut particulier ne joue aucun rôle dans la caractérisation de ces procédés. La génération de vérités logiques a donc été réduite à son rôle véritable, accessoire, comme sous-produit et non comme noyau de la logique [41].

39De façon assez extraordinaire, Wittgenstein avait tout aussi bien vu que, selon sa conception, l’ensemble des vérités logiques n’était qu’un « sous-produit » de l’adoption des règles d’inférence :

40

6.1221 – Si, par exemple, des deux propositions « p » et « q » dans leur connexion « p ? q » une tautologie résulte, il est alors clair que q suit de p.
Que par exemple « q » suive de « p ? q . p » nous le voyons sur ces deux propositions mêmes, en les liant dans « p ? q . p : ? : q », et en montrant là que c’est une tautologie.
6.1223 – La raison sera maintenant claire pour laquelle on a souvent eu le sentiment que les « vérités logiques » doivent être « postulées » par nous : nous pouvons en effet les postuler dans la mesure où nous pouvons postuler une notation convenable.
6.1224 – La raison sera également claire pour laquelle la logique a été nommée théorie des formes et des déductions [42].

41Il y a quand même des différences à ce niveau entre le Tractatus et les travaux de Gentzen. Il est vrai que le prix d’une formalisation de la logique sans postulation des vérités logiques par Gentzen consiste en une complication de la notion de règle d’inférence, puisque nombre d’entre elles ne sont en réalité que la reformulation des axiomes. Il n’y a aucune indication dans les textes de Wittgenstein, sauf peut-être au § 6.1271, du fait qu’il fut conscient de cela.

42Une deuxième conséquence concerne un des défauts rédhibitoires de la conception « axiomatique » de la logique, qui a été de faire porter l’attention sur le statut des axiomes donc sur la notion de vérité, plutôt que sur celle d’inférence, et d’avoir ainsi provoqué un long et inutile débat, à l’intérieur de la philosophie analytique, sur le statut des vérités analytiques. C’est ce qu’exprime Dummett en disant que cette conception a eu des effets « hautement délétères » sur la logique et la philosophie :

43

Le fait est que la représentation de la logique comme ayant affaire à une caractéristique des énoncés, la vérité, plutôt qu’à la transition d’énoncés à énoncés, a eu des effets hautement délétères à la fois sur la logique et sur la philosophie. En philosophie, elle a mené à une fixation de l’attention sur la vérité logique et sur sa généralisation, la vérité analytique, comme notions problématiques plutôt que sur la notion d’un énoncé comme étant une conséquence déductive d’autres énoncés, et donc sur des solutions impliquant une distinction entre deux sortes de vérités supposées être radicalement différentes, la vérité analytique et la vérité contingente, solutions qui seraient apparues ridicules et sans rapport si le problème central avait été dès le départ celui du caractère de la relation de conséquence déductive. La distinction entre ces sortes de vérités mena à son tour à une distinction entre sortes de significations, la signification empirique ordinaire et la sorte particulière de signification que possèdent les énoncés analytiques, [...] Cette conception divergeait largement de celle de Frege. [...] Malgré cela, ce point de vue divergent, qui en vint à dominer subséquemment la philosophie analytique, peut avec justice être perçu comme ayant son origine dans la caractérisation par Frege de la logique comme étude de la vérité et, plus particulièrement, du mode de formalisation de la théorie logique qu’il adopta par conséquent [43].

44Bien évidemment, lorsqu’on pense au Tractatus et à sa caractérisation des vérités logiques comme tautologies (6.1) – celles-ci étant analytiques (6.11) – et sa description des tautologies comme étant « inconditionnellement vraies » (4.461), ainsi qu’à l’usage qu’en firent des auteurs tels que Carnap, on a tendance à voir, tout naturellement, Wittgenstein comme ayant été lui-même victime des effets « hautement délétères » de la conception « axiomatique » de la formalisation logique dénoncés ici par Dummett. Pourtant, il n’en est rien. Pour s’en convaincre, il suffit une fois de plus de lire Wittgenstein, dans ses Dictées, où il dit de cette conception « axiomatique » qu’elle « place la logique sous un éclairage complètement faux » [44]. Dans un passage tout à fait éloquent des Dictées, consacré au système des Principia Mathematica de Whitehead et Russell, Wittgenstein rejette clairement la conception « axiomatique » qui a présidé à son édification [45] :

45

Représentons-nous brièvement la construction d’un tel système ! Au sommet de la logique, se trouvent quelques propositions fondamentales, les axiomes, à partir desquelles on progresse vers de nouvelles formules, les théorèmes, au moyen de consignes déterminées. La logique se présente donc à nous sous la forme d’une théorie déductive dont les propositions sont liées par des preuves et qui se ramènent en dernier lieu aux axiomes. De ce point de vue, elle rappelle d’autres systèmes comme la géométrie ou la mécanique. A la construction d’un tel système revient toujours le sens suivant : si les hypothèses concernant un domaine quelconque sont valables, c’est-à-dire si les axiomes s’avèrent des expressions vraies selon une interprétation correcte des concepts fondamentaux, alors l’ensemble du système des théorèmes construits à partir d’eux, est également vrai. Dans le cas de la logique cela voudrait dire que la garantie de la vérité du système dans son ensemble réside dans les axiomes. Une fois ceux-ci admis, tout le reste s’ensuit avec une inexorable nécessité. De fait, Frege et Russell ont considéré la logique de ce point de vue car ils cherchaient à soutenir la vérité des propositions fondamentales en faisant appel explicitement à leur évidence.
Cette conception méconnaît l’essence de la logique. Supposons que les hypothèses soient justifiées, qu’en conséquence l’ensemble du système soit un assemblage de vérités assurées, se poserait alors la question : qu’avons nous gagné par là ? Quelle est la finalité de tout cela ? Nous devons pourtant nous dire alors : pour ce qui est de la logique, les axiomes ne nous intéressent pas vraiment, au contraire, seul nous intéresse que le reste suive des axiomes [46].

46Le fragment sur « L’inférence » contient aussi un rejet de la caractérisation de la logique comme « science des propositions vraies », accompagné cette fois-ci d’une critique de la confusion, bien légitime et fréquente entre « tautologie » et « vérité éternelle, analytique » :

47

Nous avons dit que les formules du système sont des tautologies ; avec cela nous abordons un point qui, dans les discussions philosophiques, n’est pas toujours clairement compris. Après avoir expliqué le caractère tautologique des propositions logiques, on a argumenté ainsi : la logique est constituée de tautologies, les tautologies sont des propositions qui sont vraies quelles que soient les circonstances, par suite la vérité de la logique est fixée de manière inébranlable. Quoiqu’il suffirait pour l’éclaircissement de renvoyer à ce qui vient d’être dit, nous allons pourtant nous attarder un instant sur l’argument pour mettre en lumière le caractère erroné. La logique doit donc être un assemblage de vérités éternelles. Mais ce n’est rien qu’une mécompréhension. Car quelle signification cela a-t-il quand je dis que la tautologie est inconditionnellement vraie ? Est-ce que j’affirme par là la tautologie ? Si j’affirme d’une quelconque proposition p qu’elle est vraie, je ne dis rien de plus que p. Si donc j’avais dit en ce sens que la tautologie était vraie, je n’aurait rien fait de plus qu’énoncer la tautologie. Mais je ne le voulais pas. Par cette formule « la tautologie est inconditionnellement vraie », je voulais plutôt donner une propriété interne de la tautologie, je voulais dire quelle place la tautologie occupait dans la grammaire. Je n’ai donc absolument rien dit sur elle, mais j’ai seulement indiqué un trait déterminé de la tautologie elle-même ; j’ai décrit un symbole à peu près comme quand je dis : la proposition fa contient le signe a. Cette description grammaticale est à tort détournée de son sens dans la phrase : la tautologie est un jugement valide a priori, une vérité éternelle. En regard de cela, on doit dire très clairement que la tautologie n’est nullement un énoncé, elle n’est jamais employée de manière indépendante, mais seulement en liaison avec des énoncés authentiques : c’est pourquoi il est dépourvu de sens de désigner la logique comme une science des propositions vraies [47].

48On peut certes juger que les éclaircissements de Wittgenstein sont peu satisfaisants. En effet, lorsque Wittgenstein affirme n’avoir absolument rien dit sur la tautologie en écrivant que « la tautologie est inconditionnellement vraie », plusieurs lecteurs resteront perplexes. Ce passage est cependant on ne peut plus clair sur l’intention de Wittgenstein de rejeter comme « mécompréhension » l’idée selon laquelle il aurait voulu dire, en écrivant cette phrase, que les tautologies formeraient une classe d’énoncés « valides a priori » ou qu’il s’agirait de « vérités éternelles ». L’argument de Wittgenstein repose sur l’idée que le rôle (grammatical) des tautologies (tout comme celui des axiomes, dans un passage des Dictées cité ci-haut) empêche que l’ont puisse concevoir celles-ci comme des « énoncés authentiques ». Ce sont de très précieux éclaircissements sur le sens du Tractatus que nous offrent donc ces passages des Dictées.

49La relecture du Tractatus que je propose, selon laquelle la conception de la logique et de l’inférence qu’on y trouve n’est pas celle de Frege, Russell, ou Carnap, ne semble cependant pas aller de soi, et ce pour plusieurs raisons. Je n’en examinerai que deux [48]. Tout d’abord, il faut noter que la conception de la conséquence logique du Tractatus a toujours été perçue, non sans raison, comme étant modèle-théorétique :

50

5.12 – En particulier, la vérité d’une proposition « p » suit de la vérité d’une proposition « q » quand tous les fondements de vérité de la seconde sont des fondements de vérité de la première.
5.121 – Les fondements de vérité de l’une sont contenus dans ceux de l’autre : p suit de q. [49]

51Cette ébauche de définition est préfigurée par celle de Bolzano, et se trouve dans la lignée des définitions ultérieures de Carnap et de Tarski, cette dernière affirmant qu’une proposition X « suit logiquement » d’une classe K de propositions « si et seulement si tout modèle de la classe K est aussi un modèle de la proposition X » [50]. Il n’y a pas, selon moi, de réponse directe qui puisse totalement satisfaire le tenant d’une lecture modèle-théorétique de ces paragraphes. Je crois cependant qu’il faut insister sur le fait souvent ignoré que les concepts du Tractatus sont des concepts opératoires, tandis que ceux de la tradition sémantique ne le sont pas.

52On oublie en effet trop facilement que les fonctions de vérité du Tractatus sont définies au 5.23 en termes d’« opérations » et qu’une opération est définie à son tour comme « ce qui doit arriver à une proposition pour qu’une autre en résulte » [51]. Selon les 5.234 et 5.2341, les fonctions de vérité enregistrent le « résultat d’opérations » ayant des propositions comme base, qu’il nomme d’ailleurs « opérations de vérité » (Warheitsoperationen) et selon le § 5.3, toute proposition est « le résultat d’opérations de vérité sur des propositions élémentaires » et une opération de vérité est définie comme « la manière dont, à partir de propositions élémentaires, naît une fonction de vérité ».

53La notion d’opération est aussi au centre de la philosophie de l’arithmétique du Tractatus, puisque les nombres naturels sont définis aux §§ 6.02-6.021 en tant qu’« exposants » d’une opération et les opérations arithmétiques élémentaires sont définies au § 6.241 dans la même foulée. Ces définitions ont certes quelques défauts au niveau la notation mais, conceptuellement parlant, elles correspondent à celles que donnera Alonzo Church, dans le ?-calcul, en 1932 [52]. La notion de fonction dans le ?-calcul n’est pas, du moins à l’origine, conceptuellement équivalente à celle de la théorie des ensembles ; il s’agit d’une notion de fonction-comme-règle et non d’une notion non opératoire de fonctioncommeensembledepairesordonnées [53]. Selon moi, la notion d’opération dans le Tractatus est plutôt équivalente à celle du ?-calcul ; c’est ainsi que l’on doit lire le § 5.25 :

54

5.25 – L’occurrence de l’opération ne caractérise nullement le sens de la proposition.
L’opération en effet en dit rien, mais seulement son résultat,...
(Opération et fonction ne doivent pas être confondues [54].)

55Le § 5.25 montre bien, par ailleurs, que pour Wittgenstein une opération est un acte, en un sens proche de celui de Brouwer, puisque celle-ci n’est pas un fait que l’on pourrait « dire », seul le résultat de l’application de l’opération l’est. Selon moi, l’ébauche de définition au § 5.12 et § 5.121 est essentiellement neutre par rapport à ce caractère opératoire des concepts wittgensteiniens, tandis que la définition de la conséquence logique par Tarski ne préserve pas (volontairement) le caractère opératoire des conceptions du ?-calcul, de Brouwer ou de Wittgenstein.

56La deuxième difficulté porte sur le fait que Wittgenstein ne se contentait pas de nier, dans le Tractatus, qu’il y ait des Grundgesetze en logique, il dénonçait aussi au 5.132 les Schlussgesetze : « Des « lois de la déduction », qui – comme chez Frege et Russell – doivent justifier les déductions, sont vides de sens, et seraient superflues [55] ». Cette critique est difficile à comprendre, mais une analyse plus fine montrera que ce que Wittgenstein dénonce, c’est le mélange langage-objet/métalangage que l’on retrouve dans la conception « axiomatique » (et qui est plus ou moins abandonnée par les logiciens depuis l’apparition de langages tels que Automath ou encore la théorie intuitionniste des types ; en ce sens les idées de Wittgenstein sont beaucoup plus actuelles qu’on ne le pense [56] ) : pour expliquer le passage d’un énoncé à un autre dans une preuve on doit inscrire à quelque part sur la feuille une indication de la règle d’inférence conformément à laquelle celui-ci a été effectué. Ces inscriptions sont un peu dans les limbes, puisque le métalangage n’est pas formalisé. Wittgenstein aurait selon moi apprécié la remarque de Church selon laquelle « aussi longtemps qu’une part de la preuve reste écrite dans un métalangage non formalisé, l’analyse logique doit être tenue pour incomplète » [57]. Lorsque Wittgenstein niait, dans le Tractatus, la possibilité d’un métalangage, c’est selon moi tout simplement ce genre de mélange langage-objet/métalangage, qu’il trouvait chez Frege et Russell, qu’il rejetait. La source de ce rejet est, encore une fois, trop souvent laissée dans l’obscurité par les commentateurs. C’est que pour Wittgenstein l’inférence doit se faire littéralement sous nos yeux et il n’y a pas besoin de faire appel pour cela à un énoncé de la règle dont nous aurions à suivre à la trace mentalement. En effet, parmi les choses qui se montrent mais ne se disent pas au sens du § 4.1212, il y a les actes d’inférence. Cette idée se retrouve dans plusieurs passages où le terme utilisé est erkennen, il y en d’autres où Wittgenstein utilise le terme ersehen[58] :

57

6.113 – La marque particulière des propositions logiques est que l’on peut reconnaître sur le seul symbole qu’elles sont vraies, [...]
6.1262 – La démonstration en logique n’est qu’un auxiliaire mécanique pour reconnaître plus aisément une tautologie, quand elle est compliquée [59].
Je crois que c’est aussi en ce sens que l’on doit lire le § 6.125 :
6.1265 – On peut toujours concevoir la logique de telle sorte que chaque proposition soit sa propre démonstration [60].

58J ’aimerais, en dernier lieu, signaler une des conséquences les plus intéressantes de cette relecture du Tractatus. Elle concerne la notion de règle. La conception de l’inférence dans le Tractatus possède en fait un aspect non opératoire que Wittgenstein mettra à jour et critiquera dès l’époque ses Dictées. Selon moi, on peut voir ici non seulement un écho des remarques précédentes sur l’inutilité d’un appel à l’énoncé de la règle comme objet d’intellection, mais aussi une des sources principales de l’argument, dans ladite « deuxième » philosophie, sur « suivre une règle » [61]. Cet aspect de la notion de conséquence logique, qui n’est pas sans rappeler Leibniz, est présenté aux §§ 5.122 et 5.123 :

59

5.122 – Quand p suit de q, le sens de « p » est contenu dans le sens de « q ».
5.123 – Si Dieu crée un monde dans lequel certaines propositions sont vraies, il crée du même coup un monde dans lequel sont valables toutes leurs conséquences. [...] [62]

60Pour faire apparaître les réticences de Wittgenstein, il suffit de lire un autre passage des Dictées, tiré cette fois-ci du fragment sur « L’inférence » :

61

Nous en arrivons au point où nous pouvons éclairer une mécompréhension qui a assez souvent brouillé la pleine clarté concernant la nature de la relation inférentielle. C’est l’opinion qu’avec une proposition sont pensées toutes ses conséquences. La conclusion n’est pas originairement contenue d’une manière psychologique c’est-à-dire cachée. Assez souvent on entend affirmer que la conclusion ne dit rien de plus que ce qui était déjà dans la prémisse, même si elle était pensée obscurément et confusément. En quel sens était-elle donc pensée avec la prémisse ? Certainement pas explicitement. Si quelqu’un, par exemple, nous raconte qu’il s’est acheté un chapeau vert, normalement il ne pense pas qu’il n’est pas rouge, pas jaune, pas bleu, etc. Peut-être devons-nous en conséquence prétendre que ces propositions était pensées-avec (mitgedacht) « dans le sub-conscient » ? Une supposition très suspecte. Mais heureusement il n’est pas du tout nécessaire d’y souscrire. La conclusion n’est pas originairement contenue d’une manière psychologique c’est-à-dire cachée [...] Ce qui s’accorde avec la conception du « penser-avec » n’est que ce qu’exprime la règle d’inférence p. q = p; dans la mesure où cette règle est valable, on peut dire que la proposition q est contenue dans le sens de p; mais ce n’est évidemment pas un énoncé de psychologie, tout au contraire, c’est une relation logique entre les propositions [63].

62Wittgenstein s’en prend ici à l’idée selon laquelle « avec une proposition sont pensées toutes ses conséquences ». Autrement dit, il aborde la question de l’inférence sous son jour psychologique et il rejette cette conception comme erronée. Les fameuses remarques des Recherches philosophiques sur « suivre une règle » ont selon moi leur origine dans cette critique. Cela me semble évident à la lecture de certains passages tirés des Remarques sur les fondements des mathématiques. Nous lisons ainsi au I, § 19 :

63

On est souvent dans l’incertitude quant à savoir en quoi consistent véritablement suivre et inférer ; quant à savoir quel fait, quel processus ce sont. L’utilisation propre de suivre et inférer nous suggère que la conséquence est l’existence d’une relation entre propositions, que nous reproduisons dans l’inference. Ceci apparaît dans la présentation très instructive de Russell (Principia Mathematica). Ici, le fait qu’une proposition q suive d’une proposition p ? q . p est une loi fondamentale de logique : p ? q. p. ? q. Cela signifie que nous sommes justifiés d’inférer q de p ? q . p. Mais en quoi consiste cette déduction, la procédure à laquelle nous sommes justifiés [64] ?

64Wittgenstein ajoute un peu plus loin, au § 21 :

65

Avec ce principe, Russell semble dire d’une proposition : « elle suit déjà – je n’ai qu’à la déduire ». Ainsi chez Frege la droite qui relie deux points existe déjà avant que nous la tracions, et il en va de même quand nous disons que les passages de la série + 2 par exemple sont déjà effectués avant que nous les effectuions oralement ou par écrit, avant en quelque sorte que nous les tracions [65].

66J ’ai discuté ailleurs ces remarques, qui contiennent une critique de la conception platonicienne de la preuve (qui n’est, chez Frege et Russell, qu’un élément de leur conception « axiomatique » de la formalisation). Ce qui m’intéresse ici, c’est la référence que fait le § 21 à la série « +2 »; elle nous renvoie au célèbre argument sur « suivre une règle » des Recherches philosophiques. On pense ici aux §§ 218-219 des Recherches et à l’image de la règle comme des rails à l’infini qui détermineraient toutes les bonnes applications de la règle :

67

D’où vient l’idée que le commencement d’une suite serait telle qu’une section visible de rails posés invisiblement jusqu’à l’infini ? Eh bien, au lieu de la règle nous pourrions imaginer des rails. Et des rails longs à l’infini correspondent à une application illimitée de la règle. « Les transitions, à vrai dire, sont toutes effectuées ». Cela signifie : je n’ai pas de choix. La règle, une fois frappée d’une signification particulière, trace des lignes le long desquelles on doit suivre à travers tout l’espace [66].

68Ces passages ne font certes pas apparaître assez clairement l’origine de cette conception des « rails à l’infini » dans la critique de la conception « psychologique » de l’inférence dans les Dictées. Il n’est cependant pas difficile de trouver des passages plus explicites, tel celui-ci, tiré du Cahier brun :

69

« Mais assurément, si quelqu’un m’avait demandé quel nombre il devait écrire après 1958, je lui aurait répondu ‘1569’ », – Je n’en doute pas un instant, mais comment peux-tu en être sûr ? Ton idée, en réalité, c’est que d’une façon ou d’une autre, dans l’acte mystérieux où tu fixes une intention à la règle, tu as fait toutes les transitions sans vraiment les faire. Tu as traversé tous les ponts avant de les atteindre [67].

70On voit donc, à travers ces citations, que les remarques sur « suivre une règle » ont en partie leur origine dans une critique du Tractatus et qu’il s’agit là non pas d’un rejet complet de la conception à l’œuvre dans le Tractatus, mais seulement d’un aspect de celle-ci. S’il y a une leçon à tirer de cette critique, c’est que l’évolution de la pensée de Wittgenstein va dans le sens d’un approfondissement d’une conception « pragmatique » de l’inférence, proche de celle de Gentzen, par l’élimination de résidus non « pragmatiques » – tels que cet aspect psychologique et leibnizien – de sa conception du Tractatus. Voilà pourquoi Wittgenstein est un des penseurs les plus actuels de la logique [68].


Mots-clés éditeurs : Preuve, Inférence, Règle, Mathématique, Logique

Mise en ligne 01/06/2008

https://doi.org/10.3917/aphi.643.0545

Notes

  • [1]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, traduction de Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1993.
  • [2]
    Dans sa version originale, chez Carnap, cette thèse porte sur les concepts : dans toute proposition portant sur un concept, celui-ci peut être représenté par son extension, que ce soit une classe ou une relation. (Voir R. CARNAP, Der logische Aufbau der Welt, Berlin, Weltkreis Verlag, 1928, p. 57.) L’expression « thèsede l’extensionalité »a par la suite désigné la thèse selon laquelle toute proposition est fonction de vérité de propositions élémentaires qui sont fonctions de vérité d’elles-mêmes. Pour l’attribution de cette thèse à Wittgenstein, voir, par exemple, M. BLACK, A Companion to Wittgenstein’s Tractatus, Ithaca, Cornell University Press, 1964, p. 298 ; D. FAVRHOLDT, An Interpretation and Critique of Wittgenstein’s Tractatus, Copenhague, Munksgaard, 1967, p. 11.
  • [3]
    Pour la tentative de définition de Carnap, voir R. CARNAP, Logische Syntax der Sprache, Vienne, Springer, 1934, p. 88 sqq. Pour la définition de Tarski, voir A. TARSKI, « Sur le concept de conséquence logique », in Logique, sémantique et métamathématique 1923-1944, Paris, Armand Colin, 1974, tome second, p. 141-152.
  • [4]
    G.H. von WRIGHT, « Modal Logic and the Tractatus », in Wittgenstein, Oxford, Basil Blackwell, 1982, p. 183-200 ; cet article contient des passages tirés de « Some Observations on Modal Logic and Philosophical Systems », in R. E. Olson & A. M. Paul (eds.), Contemporary Philosophy in Scandinavia, Baltimore, J. Hopkins University Press, 1972, p. 17-26. Pour les lectures « ontologiques » du Tractatus voir, par exemple, celle de R. BRADLEY (The Nature of All Being. A Study of Wittgenstein’s Modal Atomism, Oxford, Oxford University Press, 1992) ou celle de L. GODDARD et B. JUDGE (The Metaphysics of Wittgenstein’s Tractatus, in Australasian Journal of Philosophy. Monograph Series, vol. 1,1982).
  • [5]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, Paris, P.U.F., 1955. Parmi les travaux de Hertz et Jaskowski, voir P. HERTZ, « Über Axiomensysteme für beliebige Satzsysteme », Mathematische Annalen, vol. 101,1929,457-514 et S. JASKOWSKI, « On the Rules of Suppositionin Formal Logic », in S. McCall (dir.), Polish Logic 1920-1939, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. 232-258.
  • [6]
    D. PRAWITZ, Natural Deduction. A Proof-Theoretical Study, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1965.
  • [7]
    W. A. HOWARD, « The Formulae-as-Types Notion of Construction », in J. P. Seldin & J. R. Hindley (dir.), To H. B. Curry : Essays on Combinatory Logic, Lambda Calculus and Formalism, Londres, Academic Press, 1980, p. 479-490.
  • [8]
    R. P. Nederpelt, J. H. Geuvers & R. C. de Vrijer (dir.), Selected Papers on Automath, Amsterdam, Elsevier, 1994.
  • [9]
    J.-Y. Girard, « Une extension de l’interprétation fonctionnelle de Gödel à l’analyse et son application à l’élimination des coupures dans l’analyse et la théorie des types », in J. E. Fenstad (dir.), Proceedings of the2nd Scandinavian Logic Symposium, Amsterdam, North-Holland, p. 63-92 ; J.-Y. GIRARD, P. TAYLOR & Y. LAFONT, Proofs and Types, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
  • [10]
    P. Martin-Löf, « An Intuitionistic Theory of Types », in H. E. Rose & J. Sheperdson (dir.), Logic Colloquium ’73, Amsterdam, North-Holland, 1973, p. 73-118 ; P. MARTIN-LÖF, Intuitionistic Type Theory, Naples, Bibliopolis, 1984 ; P. Martin-Löf, « Constructive Mathematics and Computer Programming », in C. A. R. Hoare & J. C. Shepherdson (dir.), Mathematical Logic and Programming Languages, Englewood Cliffs N. J., Prentice-Hall, p. 167-184 ; B. NORDSTRÖM, K. PETERSSON& J. M. SMITH, Programming in Martin-Löf’s Type Theory, Oxford, Clarendon Press, 1990 ; G. Sambin & J. M. Smith (dir.), Twenty-Five Years of Constructive Type Theory, Oxford, Clarendon Press, 1998.
  • [11]
    J. C. Reynolds, « Towards a Theory of Type Structure », in B. Robinet (dir.), Proceedings of the Colloque sur la Programmation, Berlin, Springer, 1974, p. 408-425.
  • [12]
    R. HARPER, D. MACQUEEN & R. MILNER, Standard ML, Report ECS-LFCS-86-2, Edinburgh University, 1986.
  • [13]
    R. L. CONSTABLE et. al., Implementing Mathematics with the NuPRL Proof Development System, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1986.
  • [14]
    J.-Y. Girard, « Linear Logic », Theoretical Computer Science, vol. 50,1987, p. 1-102 ; J.-Y. Girard, « Towards a Geometry of Interaction », dans J. Gray & A. Scedrov (dir.), Categories in Computer Science and Logic, Contemporary Mathematics, vol. 92, Providence, American Mathematical Society, 1989, p. 69-108 ; J.-Y. Girard, « Linear Logic : Its Syntax and Semantics », in J.-Y. Girard, Y. Lafont & L. Regnier (dir.), Advances in Linear Logic, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 1-42 ; J.-Y. GIRARD, P. TAYLOR & Y. LAFONT, Proofs and Types, op. cit.
  • [15]
    Pour s’en convaincre, il suffit de consulter de comparer J. Barwise (dir.), Handbook of Mathematical Logic, Amsterdam, North-Holland, 1978 et S. R. Buss (dir.), Handbook of Proof Theory, Amsterdam, Elsevier, 1998.
  • [16]
    M. MARION, Pertinence et actualité de la philosophie des mathématiques de Wittgenstein, à paraître.
  • [17]
    M. A. E. Dummett, Frege. Philosophy of Language; 2e éd., Londres, Duckworth, 1982, pp. 434-435.
  • [18]
    Ibidem, p. 432-433.
  • [19]
    Ibidem, p. 433-434.
  • [20]
    Je n’en donne qu’un seul exemple, soit une citation glanée dans un texte relativement récent de Nicolaas de Bruijn, l’inventeur d’« Automath » : « L’intuitionnisme [de Brouwer] fut très mal compris au début du siècle et il eut beaucoup de difficulté à vendre ses idées. Je crois maintenant en comprendre la raison principale. Si la méthode de la déduction naturelle avait été à l’époque l’entrée standard en logique, alors il eut été évident que la logique classique requiert des axiomes pour la négation, et qu’il est raisonnable de vouloir vivre sans eux » (« Reflections on Automath », dans R. P. Nederpelt, J. H. Geuvers & R. C. de Vrijer (dir.), Selected Papers on Automath, Amsterdam, Elsevier, 1994, p. 204-5).
  • [21]
    L. E. J. Brouwer, « Les principes logiques ne sont pas sûrs », trad. et intr. de J. Bouveresse, dans P. de Rouilhan & F. Rivenc (dir.), Logique et fondements des mathématiques. Anthologie (1850-1914), Payot, Paris, 1992, p. 379-392.
  • [22]
    P. Martin-Löf, « On the Meanings of theLogical Constants and the Justifications of the Logical Laws », in C. Bernardi & P. Pagli (dir.), Atti degli incontri di logica matematica, Scuola di Specializzazione in Logica Matematica, Dipartimento di Matematica, Universita` di Siena, vol. 2, p. 231.
  • [23]
    A. Heyting, « Die formalen Regeln der intuitionistischen Logik », in Sitzungsberichte der preussischen, Akademie der Wissenschaften, vol. 16 (1930), p. 42-71 & 158-69 ; N.A. Kolmogorov, « Zur Deutung der Intuitionistischen Logik », in Mathematische Zeitschrift, vol. 35 (1932), p. 58-65.
  • [24]
    Pour un exemple frappant de mécompréhension des idées de Brouwer à l’intérieur de la conception « axiomatique » de la formalisation, voir la discussion de l’intuitionnisme par Carnap au § 16 de Logische Syntax der Sprache, op. cit.
  • [25]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, op. cit.
  • [26]
    Ibidem, § 5.13.
  • [27]
    Ibidem, § 5.11. De Bruijn est certainement très sensible à ce genre de remarque, puisqu’il réclame la même affinité pour Automath. Voir, par exemple, N. G. de Bruijn, « Reflections on Automath », op. cit, pp. 205 & 215.
  • [28]
    G. GENTZEN, Recherches sur la déduction logique, op. cit.
  • [29]
    Cependant, il faut avouer que, généalogiquement, toutes ces conceptions de la conséquence logique semblent remonter à une source commune, Bolzano. La notion de conséquence logique introduite par Tarski dans son article de 1936, « Sur le concept de conséquence logique » (op. cit.), était en effet en quelque sorte déjà présente dans les travaux de Bolzano, comme le remarque Tarski lui-même dans une note en bas de page, où il cite les travaux de Heinrich Scholz (« Sur le concept de conséquence logique », op. cit., p. 150 n.). Les idées de Gentzen se trouvaient déjà préfigurées dans les travaux de Paul Hertz. (Voir en particulier P. Hertz, « Über Axiomensysteme für beliebige Satzsysteme », op. cit.; ou encore, pour une introduction, V. M. Abrusci, « Paul Hertz’s Logical Works. Contents and Relevance », in Atti del Convegno Internazionale di Storia de la Logica, San Gimignano, 4-8 dicembre 1982, Bologne, CLUEB, 1983, p. 369-374.) Par contre, K. Schröter a mis en lumière il y a déjà longtemps la relation entre ce qu’il appelle les notions de « Bolzanosche Folgern » et de « Gentzensche Folgern ». Voir K. Schröter, « Theorie des logisches Schliessens », in Zeitschrift für mathematische Logik, vol. 1,1955, p. 37-86 & vol. 4,1958, p. 10-65. Pour ce qui est de Wittgenstein, Jan Sebestik a montré dans « The Archeology of the Tractatus : Bolzano and Wittgenstein » (R. Haller & J. Brandl (dir.), Wittgenstein-Eine Neubewertung, Vienne, Hölder-Pichler-Tempsky, 1990, p. 112-18) qu’il est probable que Wittgenstein fut indirectement influencé par Bolzano, à travers la lecture de la Philosophische Propädeutik de Robert Zimmerman (étudiant et ayant-droit de Bolzano). On retrouve en effet l’analogue de beaucoup de notions typiquement bolzaniennes dans le Tractatus, dont en particulier la théorie de la probabilité (5.152), l’idée du « prototype » obtenu en transformant chaque composante de la proposition en une variable (3.315), l’opérateur N (5.502), l’idée que toute proposition a une analyse unique, (3.25), l’idée que la seule nécessité est la nécessité logique (6.375), etc. On peut ajouter à cette liste la notion de conséquence logique (5.12-5.122).
  • [30]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.127. Le commentaire de Max Black sur ce passage est un exemple frappant de ce dont je parle, i.e. d’une simple paraphrase. Voir M. BLACK, A Companion to Wittgenstein’s Tractatus, op. cit., p. 337-8.
  • [31]
    On y lit : «... il est remarquable qu’un penseur aussi rigoureux que Frege ait fait appel au degré d’évidence comme critère de la proposition logique » (6.1271). Il s’agit d’une attaque contre un aspect de la conception axiomatique, soit l’évidence comme seul critère de reconnaissance de la vérité des axiomes.
  • [32]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.127.
  • [33]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick. Vol. I, Textes inédits années 1930, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
  • [34]
    G. Baker, « Présentation des Dictées », in A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. XIII-XXXIII.
  • [35]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 93.
  • [36]
    Ibidem, p. 106.
  • [37]
    Il serait fastidieux de faire le détail des éléments de ce passage qui font écho au Tractatus. Je n’en donne qu’un exemple. La dernière phrase du passage des Dictées que je cite contient l’idée que le Modus Ponens, que Wittgenstein appelle ici le « schéma d’inférence S », fait partie de la grammaire et n’est donc pas une proposition du langage. Cette idée était déjà exprimée au 6.1264 : « le modus ponens ne peut être exprimé par une proposition ».
  • [38]
    B. RUSSELL, Écrits de logique philosophique, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, p. 231-232.
  • [39]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 92-4.
  • [40]
    B. Russell, Écrits de logique philosophique, op. cit., p. 232.
  • [41]
    M.A.E. DUMMETT, Frege. Philosophy of Langage, op. cit., p. 434.
  • [42]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.1221 & 6.1223. Traduction légèrement modifiée.
  • [43]
    M.A.E. DUMMETT, Frege. Philosophy of Language, op. cit., p. 433.
  • [44]
    A. SOULEZ (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 106.
  • [45]
    Wittgensteinpréface ce passage par ces remarques : « Notre propos n’est pas ici d’entrer dans les détails de ce calcul. Que le système dans la forme existante aujourd’hui satisfasse à toutes les exigences, ou qu’il nécessite peut-être sur tel et tel point une amélioration, est une question technique que nous abandonnons au mathématicien. Nous nous interrogeons uniquement sur le sens qui revient à la construction d’un tel système. Et là effectivement il y a un problème. « (A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 104.) Ces remarques s’appliquent, bien sûr à mon propos. Il faut noter, cependant, que nous retrouvons ici un défaut bien typique de Wittgenstein, c.-à-d. son refus de faire le travail du mathématicien, qui l’a empêché de développer ses propres idées.
  • [46]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 105.
  • [47]
    Ibidem, p. 108. Voir aussi un passage tout à fait similaire, p. 101.
  • [48]
    Il y en d’autres, comme le § 6.126, qui est parfois lu comme présentant une description de l’inférence en accord avec la méthode axiomatique.
  • [49]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.12-5.121.
  • [50]
    A. Tarski, « Sur le concept de conséquence logique », op. cit., p. 150.
  • [51]
    J ’ai mis en valeur le rôle central de la notion d’opération au chapitre 2 de mon livre, Wittgenstein, Finitism and the Foundations of Mathematics (Oxford, Clarendon Press, 1998) et dans mon article « Operations and Numbers in the Tractatus » à paraître dans Wittgenstein Studies, in G. Oliveri (dir.), From the Tractatus to the Tractatus and other Essays, Berne, Peter Lang, 2001, p. 105-123.
  • [52]
    A. Church, « A Set of Postulates for the Foundation of Logic », Annals of Mathematics, vol 33 (1932), p. 346-366 & vol. 34 (1933), p. 839-864. Ce n’est que quarante ans plus tard qu’on s’en est rendu compte. Les premières remarques à cet effet se trouvent dans P. Hancock & P. Martin-Löf, « Syntax and Semantics of the Language of Primitive Recursive Functions », Preprint No. 3,1975, Département de mathématiques, Université de Stockholm. La reconstruction de la définition de Wittgenstein par Lello Frascolla met en lumière cette parenté. Voir P. FRASCOLLA, Wittgenstein’s Philosophy of Mathematics, Londres, Routledge, 1994, chap. 1 ; P. Frascolla, « The Tractatus System of Arithmetic », Synthese vol. 112 (1997), p. 353-378.
  • [53]
    Voir là-dessus les remarques philosophiques dans J. R. Hindley & J. P. Seldin, Introduction to Combinators and ?-Calculus, Cambridge University Press, Cambridge, 1986, chapitres 1 et 3. J ’ai discuté de ces questions dans Wittgenstein, Finitism and the Foundations of Mathematics, op. cit., et dans mon article « Operations and Numbers in the Tractatus »,op. cit.
  • [54]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.25.
  • [55]
    Ibidem, 5.132.
  • [56]
    Pour ne prendre qu’un exemple, il est très clair que la théorie intuitionniste des types de Martin-Löf est un langage explicite qui ne fait pas appel à la distinction langage objet/ métalangage. Pour des indications allant dans ce sens, voir A. Raanta, Type-Theoretical Languages, Oxford, Clarendon Press, 1994, pp. 17sq. Le locus classicus est ici P. Martin-Löf, « On the Meanings of the Logical Constants and the Justifications of the Logical Laws », op. cit.
  • [57]
    A. Church, Introduction to Mathematical Logic, Princeton, Princeton University Press, 1956, p. 53n. ; cité dans J. Dubucs, « La logique depuis Russell », in R. Blanché & J. Dubucs, La logique et son histoire, Paris, Armand Colin, 1996, p. 388.
  • [58]
    Voir là-dessus mon article « Operations and Numbers in the Tractatus », op. cit.
  • [59]
    L. WITTENGSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 6.113 & 6.1262.
  • [60]
    Ibidem, 6.1265.
  • [61]
    JacquesBouveresse avait déjà aperçu ce lien dans un de ses premiers articles, où il faisait déjà montre de beaucoup de perspicacité dans sa lecture de Wittgenstein. Voir J. Bouveresse, « La notion de grammaire chez le second Wittgenstein », Revue internationale de philosophie, vol. 23,1969, p. 319-338.
  • [62]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, op. cit., 5.122-5.123.
  • [63]
    A. Soulez (dir.), Dictées de Wittgenstein à Waismann et pour Schlick, op. cit., p. 103.
  • [64]
    L. WITTGENSTEIN, Remarques sur les fondements des mathématiques, Paris, Gallimard, 1983, I, § 19.
  • [65]
    Ibidem, I, § 21.
  • [66]
    L. WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus suivi de Investigations philosophiques, Paris, Gallimard, 1961, §§ 218-19.
  • [67]
    L. WITTGENSTEIN, Le Cahier bleu et le Cahier brun, Paris, Gallimard, 1996, p. 224. À propos de l’argument de Wittgenstein sur « suivre une règle », mes analyses font écho à celles de Crispin Wright, dans « Wittgenstein’s Rule-Following Considerations and the Central Project of Theoretical Linguistics », in A. George (ed.), Reflections on Chomsky, Oxford, Blackwell, 1989, p. 239sqq.
  • [68]
    Une première version de ce texte a été présentée lors d’une journée sur « Wittgenstein et la logique » en janvier 2000, à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences, et à l’Université de Genève, en avril 2001. J ’aimerais remercier Philippe de Rouilhan, Jacques Dubucs, Sandra Laugier, Kevin Mulligan et Göran Sundholm pour leurs commentaires.
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