1« Nous n’avons pas fini d’expier les crimes de nos ancêtres blancs, qui se crurent tout permis, imbus qu’ils étaient de leur “supériorité” », s’exprimait ainsi René Dumont dans L’Afrique noire est mal partie, publié en 1962 et actualisé en 1973. Ce livre a eu, lors de sa publication, un fort retentissement et a marqué pour longtemps l’idée que la France - et le monde occidental - se faisait du continent africain. Pour autant, il n’adopte pas une posture manichéenne. Il dresse des constats et émet des recommandations en direction des dirigeants africains. Le développement de l’industrie pour faire contrepoids à l’agriculture est une des préconisations sur lesquelles il insiste le plus. L’hypertrophie des administrations au détriment des activités productives alimente un diagnostic sans concession sur les causes du sous-développement. Le poids de la corruption induite par des activités de services ne créant aucune richesse est sous-jacent à cette analyse.
2C’est pour faire un bilan de l’évolution de l’Afrique, et surtout se projeter sur son avenir, qu’Après-demain s’est attelé à la production de ce numéro. Il fait écho au numéro 452-453 d’Après-demain de mars-avril 2003 consacré à « L’Afrique aujourd’hui ». Les auteur(e)s des articles qui le composent sont des spécialistes de l’Afrique : experts en géopolitique, historiens, scientifiques, économistes, acteurs de la société civile et du monde politique, écrivains… Le parti délibérément pris a été d’identifier les facteurs de développement et de progrès de l’Afrique, sans nier les problèmes, mais en refusant d’en faire une fatalité, un « malheur ».
3L’éducation est, pour l’Afrique, un enjeu primordial au regard de ses espoirs de développement. Le Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, est bien placé pour savoir ce que les nouvelles technologies peuvent apporter aux méthodes d’enseignement « classiques », et plus généralement à un continent dont la démographie est croissante et les infrastructures scolaires insuffisantes face aux besoins. Elle est également un levier essentiel pour l’amélioration de la santé publique. Savoir se prémunir des maladies et se soigner sont les conditions de la maîtrise des problèmes sanitaires. Symétriquement, la bonne santé est un préalable à la bonne instruction et à la bonne éducation (Amadou Gallo Diop).
4Le dossier contient des réflexions relatives à l’évolution des institutions (Céline Thiriot) et sur les espoirs suscités par le processus constitutionnel tunisien (Pierre Vermeren). Il s’interroge sur le poids de l’Union africaine en matière diplomatique (Samuel Nguembock). Deux pays font l’objet d’un article spécifique. Le Soudan, avec la remise en cause des frontières issues de la colonisation, ne semble pas être sur le point de devenir une zone de quiétude (Michel Raimbaud). L’évolution chargée d’espoirs et d’inquiétudes de l’Afrique du Sud mérite qu’on se penche sur son exemple (Lætitia Bucaille).
5Économiquement, l’Afrique reste confrontée à des enjeux de taille. Considérée comme un continent d’avenir, il faut que la prophétie laisse place au constat. La répartition et l’impact des investissements étrangers (Lionel Zinsou), les ressources minières et pétrolières (Donatien Njomo), le développement d’une agriculture durable (Philippe Hugon) et le problème de l’accès à l’eau et à l’assainissement (Jean-Bosco Bazié) illustrent la cohabitation, voire l’antagonisme entre les atouts, les forces de l’économie africaine et ses faiblesses, ses freins et ses risques.
6Au-delà des questions économiques, essentielles, il est indispensable de se pencher sur l’évolution des sociétés africaines. La question de l’existence d’une classe moyenne est souvent posée dans les pays en voie de développement. Sans elle, la stabilisation d’un pays n’est pas garantie. Pour le moment, certains pays d’Afrique comme l’Ouganda ont une classe émergente dans laquelle les habitants ne font que passer en fonction des circonstances (Anna Fichtmüller). Le rôle des femmes est essentiel pour le développement de l’Afrique. Il résulte souvent d’un combat de tous les instants (Sarah Zouheir).
7L’espoir pour l’Afrique et le combat contre les représentations afro-pessimistes sont subordonnés à la possession et au respect d’une éthique sans faille, sans compromission. Sans elle, la lutte contre la corruption, l’établissement d’un régime politique démocratique, le respect de chacun, sont condamnés d’avance (Amadou Elimane Kane).
8C’est donc pour permettre au lecteur de penser une Afrique en progrès que ce numéro d’Après-demain a été confectionné. Volontariste, il n’en ignore pas moins les réalités. Deux parmi d’autres sont susceptibles de rebattre les cartes dans un sens non souhaitable : la violence des mouvements fondamentalistes et la pandémie Ebola. Le risque de voir une crise majeure nationale ou régionale éclater n’est pas absent, loin de là. L’idée d’une fatalité africaine peut ressurgir à tout moment. Les populations africaines en seraient les premières victimes. Avec l’aide indispensable des pays riches, l’Afrique a des atouts pour traverser ces nouvelles épreuves. Souhaitons-lui de réussir.