1La jeunesse est à la fois âge et passage : elle constitue un âge de la vie marqué par le passage de l’adolescence vers l’âge adulte. Âge des possibles et des expérimentations, âge des engagements et des choix, la jeunesse est une période d’apprentissage des responsabilités, d’accès à l’indépendance matérielle et de construction identitaire de l’autonomie. Les rythmes et les caractéristiques de ce processus complexe sont variables selon les différents domaines qui concourent à définir les statuts et les rôles adultes. En même temps, la jeunesse est l’âge des classements sociaux et de la confrontation aux inégalités sociales. La jeunesse ne forme pas un ensemble homogène : elle est traversée par des différenciations sociales, liées tout particulièrement aux inégalités en matière de niveau d’études et de qualification.
La jeunesse est un passage
2La jeunesse est une réalité sociale : elle n’existe pas en soi, de façon stable et intemporelle. Elle est produite par la société dans des contextes historiques, sociologiques, économiques ou juridiques déterminés. Elle s’inscrit dans une stratification par âge de la société qui fixe les calendriers et les modalités de passage d’un âge à un autre et qui organise les statuts et les rôles sociaux selon l’âge. Positions occupées dans des espaces sociaux (étudiant à l’université, salarié d’une entreprise...), les statuts confèrent à leurs détenteurs un certain nombre de rôles, c’est-à-dire, des attitudes et des comportements ajustés à ces statuts et attendus comme tels par les membres de la société. Dès lors, la jeunesse peut être définie comme la phase de préparation à l’exercice des rôles professionnels, familiaux, mais aussi citoyens, conformes à l’âge adulte. Cinq étapes majeures ouvrent, à travers la socialisation, un apprentissage progressif de ces rôles : le départ de la famille d’origine, l’accès à un logement indépendant, l’entrée dans la vie professionnelle, la formation d’un couple et l’arrivée du premier enfant.
3Dans cette perspective, la jeunesse apparaît comme une catégorie d’âge qui s’intercale entre l’adolescence et l’âge adulte. Toutefois, de nos jours, la jeunesse ne forme pas une période de la vie clairement séparée et distincte des phases qui l’encadrent. La jeunesse se caractérise plutôt par une transition progressive, par l’établissement de continuités entre ces deux phases, dans la mesure notamment où les attributs de l’âge adulte sont rassemblés par étapes sur plusieurs années. Les principaux seuils d’entrée dans l’âge adulte ne se réalisent plus, comme auparavant, de façon simultanée et définitive. Complémentaires, ces seuils ne sont pas forcément cumulatifs ou indissociables : ils s’étalent sur une période plus longue, ils sont davantage graduels, discontinus et parfois réversibles.
Les âges de la jeunesse
4Peut-on préciser les bornes d’âge qui encadrent la jeunesse ? La classe d’âge des 15-24 ans a longtemps été retenue, et l’est encore dans divers sondages ou enquêtes, pour délimiter cette période de la vie. Toutefois, afin de prendre en compte l’allongement de la jeunesse, l’Insee a repoussé la borne supérieure de cette périodisation pour adjoindre aux 15-19 ans et aux 20-24 ans la classe quinquennale suivante : 25-29 ans. L’extension à la fois sociologique et statistique des frontières de la jeunesse conduit donc à retenir 15 ans et 29 ans pour délimiter la jeunesse.
5L’examen des statistiques montre en effet qu’aujourd’hui, lors du processus d’entrée dans la vie adulte, la classe d’âge des 20-24 ans constitue davantage une période médiane qu’un aboutissement, aussi bien en ce qui concerne le déroulement de la scolarité, la formation d’un couple ou l’insertion dans le monde du travail. En outre, des seuils comme l’arrivée du premier enfant ou le premier mariage sont marqués par des comportements de report qui les situent désormais autour de 29 ans. Si la borne d’âge supérieure de la jeunesse est reconsidérée, la borne inférieure apparaît moins questionnée. De façon générale, la quinzième année marque l’entrée au lycée et l’accès à une autonomie davantage reconnue dans le cadre du fonctionnement des institutions scolaires et familiales. En effet, la constitution de la jeunesse comme catégorie d’âge est aussi largement induite par le développement de la scolarisation. La massification scolaire, en opérant des regroupements par classe d’âge, contribue à faire du groupe des pairs la référence obligée et à donner aux jeunes une conscience de leur identité collective.
6La période précédant la quinzième année est considérée, d’un point de vue sociologique, comme recouvrant l’adolescence. Mais à partir de quel âge entre-t-on dans l’adolescence ? L’adolescence n’est pas encore l’âge de la construction de l’indépendance matérielle. Elle marque toutefois le début de la prise d’autonomie vis-à-vis du milieu familial - autonomie qui est recherchée de plus en plus tôt. Selon différents travaux, l’adolescence correspondrait globalement aux « années collège », à partir de la classe de cinquième (12-14 ans), tandis que la préadolescence tendrait à couvrir la première année de l’enseignement secondaire et la dernière année de l’école primaire (10-11 ans).
L’âge des classements sociaux
7La stratification par âge d’une société, c’est-à-dire, l’organisation des âges de la vie, se double d’une stratification sociale, d’une distribution des individus dans une structure socio-économique hiérarchisée et inégalitaire. Au fur et à mesure de leur insertion dans la vie professionnelle, en fonction de leur niveau d’études et de leurs acquis culturels, les individus construisent leur position sociale. Alors que le chômage frappe particulièrement les jeunes, la possession d’un diplôme facilite l’entrée sur le marché du travail et réduit les risques d’emploi faiblement rémunéré. Le chômage tend en effet à se concentrer sur les non diplômés : les postes non qualifiés régressent et, sur ceux qui restent, les jeunes sans formation sont concurrencés par des jeunes diplômés en début de carrière. Le devenir des jeunes qui poursuivent des études, même courtes, mais sanctionnées par un diplôme ou une formation professionnelle, et celui des jeunes qui abandonnent plus tôt leur scolarité sont ainsi de plus en plus divergents.
8Le faible niveau d’études et de qualification de certains jeunes influe, non seulement, sur leur difficile insertion professionnelle, mais aussi sur leur sentiment d’appartenance à la société. Alors que, globalement, les valeurs des jeunes et des adultes se rapprochent, les valeurs des jeunes diplômés, les plus nombreux, et des jeunes non diplômés tendent à diverger. L’unité de la jeunesse française est donc de moins en moins avérée. L’écart s’accroît entre deux jeunesses, dont l’une, minoritaire mais exclue de l’éducation et de la culture, se révèle beaucoup plus radicale et plus critique dans ses représentations de la société. Moins engagée socialement et moins active politiquement, plus détachée des valeurs universalistes et humanistes de tolérance, d’ouverture sur le monde et sur autrui, cette jeunesse ne partage pas les valeurs collectives d’une société qui tend à l’exclure.
9Ces formes de retrait social et politique sont liées au sentiment d’une fragilité sociale qui n’est plus compensée par des modes de socialisation syndicale, politique, associative. Ces modalités d’organisation collective, auparavant associées aux formes ouvrières d’encadrement social, ne sont plus un cadre efficace d’intégration sociale. Dès lors, outre le retrait social, cette jeunesse peut exprimer la radicalité de sa frustration dans d’éphémères mouvements de violence. Cette polarisation entre deux jeunesses, l’une intégrée et l’autre exclue, constitue probablement un défi important pour la société française dans les années à venir. Défi que se doivent de relever les politiques publiques, nationales et locales, développées en direction des jeunes.
Bibliographie
Références bibliographiques
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