Notes
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[1]
INVS, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 23 janvier 2006.
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[2]
Pierre Larcher, “Déterminants sociaux et inégalités de santé”, Projet, N° 304, 2008.
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[3]
A sa création, en 1983, le forfait hospitalier journalier avait été fixé à 20 Francs. Il est aujourd’hui de 16… Euros !
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[4]
Depuis le 1er mars 2007, tous les patients en médecine de ville doivent supporter une franchise de 18 euros dès lors que les actes dépassent 91 euros. Cette franchise, qui était demandée pour les soins hospitaliers depuis 2006, vient s’ajouter à la franchise d’un euro pour toute consultation en médecine de ville. Ces franchises ne sont en général pas remboursées par les mutuelles complémentaires, auxquelles, faute de moyens, 3 millions de français ne peuvent d’ailleurs pas adhérer.
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[5]
Valérie Bernaud, “Le conseil constitutionnel et les franchises médicales”, Droit Social, N° 3, Mars 2008.
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[6]
Certes, le dépassement d’honoraires est interdit lorsque le patient est bénéficiaire de la CMU, mais dans le contexte de la rémunération à l’acte, on pressent que cette précaution est porteuse d’effet pervers.
1En 2000, l’Organisation Mondiale de la Santé plaçait le système de soins français en tête de son classement mondial au vu de ses performances, notamment en matière de qualité et d’égalité d’accès. Cette distinction a pu laisser croire que, tant sur le plan de l’efficience économique que de l’équité sociale, les performances françaises étaient supérieures à celles des autres pays développés. Pourtant, si par rapport à d’autres pays développés la situation de la France est satisfaisante s’agissant des performances générales et de la qualité des soins offerts, il n’en va pas de même en ce qui concerne les inégalités de santé.
L’inégalité sociale, mère de toutes les autres
2Contrairement à ce que l’on prétend parfois, ces inégalités ne sont pas majoritairement la conséquence de comportements individuels “à risque” ; elles sont d’origine sociale et économique. Il n’est donc pas étonnant que ces inégalités vis-à-vis de la maladie croissent quand augmente le nombre de personnes socialement et économiquement fragilisées.
3Face à ces inégalités, le système de soins et d’assurance maladie a historiquement pour mission de garantir l’équité dans le recours aux soins. En effet, l’accès rapide à des soins de qualité contribue à la santé, notamment des personnes vivant dans des conditions difficiles. Mais, plus encore, parce que la santé est un des droits fondamentaux, inscrit comme tel dans la Constitution, l’accès aux soins est le symbole d’une véritable citoyenneté et d’une insertion économique et sociale réussie. Or, à l’encontre de ce droit, les menaces se font de plus en plus précises.
4L’Institut National de Veille Sanitaire (INVS) le rappelle, “les plus instruits, les catégories de professions les plus qualifiées et les ménages les plus aisés bénéficient d’une espérance de vie plus longue et se trouvent en meilleure santé” [1]. En effet, de nombreuses enquêtes montrent que, en France, les inégalités de santé restent fortes selon les catégories sociales. Certes, l’espérance de vie moyenne à la naissance est, avec 77 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes, l’une des plus élevées du monde. Mais les écarts sont de plusieurs années en défaveur des ouvriers et en faveur des cadres du public. A 35 ans, l’écart d’espérance de vie entre ces deux catégories socio-professionnelles est supérieur à 7 ans. Ces différences se retrouvent également dans la fréquence de la plupart des pathologies graves (cancer, maladies cardio-vasculaires, etc.).
5Qui plus est, ces écarts sont continus tout au long de l’échelle sociale. Les mêmes études montrent aussi que les conditions de vie et de travail apparaissent comme les principaux responsables de cet état de fait.
6Comme l’explique Pierre Larcher dans l’une des dernières livraisons de la revue “Projet”, “les inégalités sociales et territoriales en matière de santé révèlent clairement un lien entre la situation des populations plus ou moins discriminées et l’histoire économique et culturelle de leur région ou de leur groupe social… Il s’agit là de phénomènes collectifs, et non, comme on le pense le plus souvent, de la responsabilité personnelle de trajectoires chaotiques auxquelles on pourrait répondre par des mesures individuelles” [2].
Tuberculose et diabète, nouveaux marqueurs sociaux
7Les différences les plus criantes concernent l’apparition ou le retour de pathologies que l’on croyait disparues ou éradiquées. Il en est ainsi de la tuberculose, dont la fréquence diminue en population générale depuis plus de vingt ans mais augmente de 8% chez les personnes en situation de précarité. On retrouve ces différences dans la plupart des pathologies dont les causes sont liées à la malnutrition (diabète) ou à des conditions de logement insalubres (maladies infectieuses). S’installe alors un cercle vicieux qui, de maladies en précarité économique et de situations de pauvreté en exclusion sociale, explique les écarts croissants entre la frange aisée de la population et les “désaffiliés”.
8En 2007, l’observatoire des inégalités rappelait en outre que ces inégalités ont désormais un caractère particulièrement précoce. Ainsi, dès l’âge de six ans, des différences significatives apparaissent en matière de caries dentaires, d’obésité, qui sont le signe annonciateur de problèmes cardio-vasculaires graves à l’âge adulte. Combinées à des situations de précarité sociale, les pathologies psychiatriques sont également plus fréquentes au sein des populations marginalisées.
9C’est sans doute pour améliorer la situation que la loi “relative à la politique de santé publique” de 2004 a inscrit la réduction des inégalités de santé parmi ses toutes premières priorités. Elle s’accompagne de la mise en œuvre de Plans nationaux et régionaux de Santé Publique qui sont censés ordonner les politiques de santé au-delà des seuls soins. Ce n’est donc pas un hasard si les Observatoires Régionaux de Santé (ORS) ont choisi les inégalités de santé comme thème de leur congrès 2008. Beaucoup reste à faire pour mieux les connaître, mieux les combattre, alors que, dans le même temps, le coût des soins à la charge des patients augmente, mettant en péril l’équité dans l’accès aux soins.
Les effets pervers de la “responsabilisation”
10L’augmentation des tickets modérateurs et du forfait journalier hospitalier [3], les menaces sur les remboursements des médicaments, y compris pour les assurés bénéficiant de la prise en charge à 100%, sont autant de décisions ou de projets qui mettent en péril la qualité des soins accessibles aux plus démunis.
11La justification de ces atteintes au droit aux soins est bien sûr la maîtrise des dépenses, la réduction du trop fameux “trou de la sécu”. Le moyen privilégié est, explicitement, de peser sur la demande de soins en “responsabilisant” les patients. Il s’agit d’un mauvais calcul. Non seulement ces mesures contribuent à l’accroissement des inégalités mais elles ne contribuent pas à diminuer les dépenses. En effet, augmenter le coût des soins pour les patients a pour première conséquence, maintes fois observée, de retarder le recours aux soins et donc d’en augmenter le coût total, y compris pour la Sécurité sociale !
12Ainsi par exemple, l’instauration en 2000 de la Couverture Médicale Universelle a-t-elle permis de réels progrès en la matière. Avant d’en être bénéficiaires, près de 43% des personnes qui ont accédé à la CMU en 2003 avaient renoncé à des soins au moins une fois dans les douze mois précédents.
13L’obtention de la CMU a permis de diviser par deux ce pourcentage sans augmenter significativement le coût total des soins mais aujourd’hui, toute forme d’assurance confondue, environ un quart des assurés renoncent à des soins pour des raisons financières. Mécaniquement, cette proportion sera amenée à croître à cause, notamment, des franchises médicales [4].
Une curieuse argumentation
14Arbitrée par le Conseil Constitutionnel, la passe d’armes entre la majorité et l’opposition illustre la nature de l’enjeu. Le projet de loi 2008 de financement de la Sécurité sociale, prévoyant l’instauration d’une “franchise médicale”, renvoyait au pouvoir réglementaire le soin d’en fixer le montant. Pour justifier son rejet du recours déposé par l’opposition, le Conseil constitutionnel a argué du caractère non discriminant de la mesure au motif que le montant de la franchise (finalement plafonné à 50 Euros par an) était faible. En conséquence, pour le Conseil, “il était loisible au législateur de laisser une franchise à la charge des assurés sociaux”. Notons que, sur sa lancée, cette franchise a été maintenue pour les victimes de maladies professionnelles et d’accidents du travail, au mépris de l’argument de responsabilisation… A moins de prétendre que c’est de son propre chef, que l’on se transforme en victime de l’amiante ou que l’on tombe d’un échafaudage. Faut-il préciser que les accidents du travail, notamment les plus graves, touchent d’abord les ouvriers et plus encore les travailleurs immigrés, précaires ou intérimaires ? Comme le note Valérie Bernaud, le Conseil constitutionnel a fait preuve d’une “belle mais problématique mansuétude. Les assurés sociaux les plus modestes et les accidentés du travail en conviendront certainement” [5].
15L’exemple des franchises médicales montre que, sous couvert d’idéologie libérale et de “maîtrise de la demande”, les mesures consistent, plus prosaïquement, à faire supporter par les malades une part croissante des dépenses de santé.
16Or, du côté de l’offre de soins aussi, des inégalités persistent ou s’accroissent, qui rendent difficile l’accès à des soins de qualité.
Où il y a des riches, il y a des médecins
17Ainsi, par exemple, la répartition des médecins sur le territoire est-elle largement déséquilibrée au profit des Régions riches (Ile-de- France et PACA). C’est que le naturel professionnel, qui consiste à s’installer dans des zones déjà à très haute densité et où la population est solvable, n’est pas facile à combattre. Plus que les réformateurs, ce sont les médecins et les professionnels de santé eux-mêmes qui sont responsables de cette inégalité-là, que renforcent les possibilités de dépassement d’honoraires [6].
18Toujours du côté de l’offre, hospitalière cette fois, la restructuration doit être envisagée avec circonspection, de façon à conserver des soins de proximité sans diminuer la qualité. Il faut donc une nouvelle politique hospitalière qui évite cette alternative délétère : maintenir en activité des établissements peu sûrs et peu efficients ou les fermer contre l’avis des populations concernées. La transformation, annoncée, des Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) en Agences régionales de santé (ARS) pourrait créer les conditions de ce changement. Ici encore, la solution réside dans le décloisonnement des secteurs (hôpital/médecine de ville, privé/public, long séjour/court séjour, médical/social).
Egalité, fraternité : des valeurs qui vont mal
19Le paradoxe de la situation française est frappant. D’un côté, émerge une salutaire prise de conscience qui conduit à mettre l’accent sur la Santé publique (la prévention, l’éducation pour la santé, etc.) et sa nécessaire planification, loin des lois du marché. De l’autre, les attaques contre l’accès aux soins pour tous s’intensifient au nom de l’idéologie du chacun pour soi.
20Pour sortir de ce paradoxe, il est nécessaire d’organiser davantage l’exercice médical lui-même autour d’actions collectives. Cela passe sans doute par une modification des modes de rémunération des praticiens et des établissements de santé. En effet, le paiement à l’acte ou “à l’activité” n’encourage pas ce genre de pratiques. Cela passe aussi par un engagement des citoyens-usagers dans la définition des priorités. Cela passe, enfin et surtout, par un changement de perspective et une vision à long terme.
21En effet, les dépenses de santé ne sont une charge pour la Nation que si on les mesure à l’aune du pur exercice comptable. En réalité, il s’agit à la fois d’un investissement et d’une expression de la solidarité entre les générations, entre les malades et les bien portants, entre les plus démunis et les plus riches. C’est bien parce que cet investissement est social avant d’être financier qu’il demande une politique mettant en son centre les valeurs d’égalité et de fraternité.
22On le voit, mettre en cause la santé c’est toucher au cœur les valeurs qui fondent notre République. Et si, pour les maintenir, la France perd quelques places au prochain classement de l’OMS, qui s’en plaindra ?
Notes
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[1]
INVS, Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 23 janvier 2006.
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[2]
Pierre Larcher, “Déterminants sociaux et inégalités de santé”, Projet, N° 304, 2008.
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[3]
A sa création, en 1983, le forfait hospitalier journalier avait été fixé à 20 Francs. Il est aujourd’hui de 16… Euros !
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[4]
Depuis le 1er mars 2007, tous les patients en médecine de ville doivent supporter une franchise de 18 euros dès lors que les actes dépassent 91 euros. Cette franchise, qui était demandée pour les soins hospitaliers depuis 2006, vient s’ajouter à la franchise d’un euro pour toute consultation en médecine de ville. Ces franchises ne sont en général pas remboursées par les mutuelles complémentaires, auxquelles, faute de moyens, 3 millions de français ne peuvent d’ailleurs pas adhérer.
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[5]
Valérie Bernaud, “Le conseil constitutionnel et les franchises médicales”, Droit Social, N° 3, Mars 2008.
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[6]
Certes, le dépassement d’honoraires est interdit lorsque le patient est bénéficiaire de la CMU, mais dans le contexte de la rémunération à l’acte, on pressent que cette précaution est porteuse d’effet pervers.