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Article de revue

Industrie du futur : les sciences de l’information et de la communication au cœur de la construction d’une recherche interdisciplinaire

Pages 81 à 94

Notes

  • [1]
  • [2]
    La fabrication additive repose sur des procédés de fabrication par ajout de matière, notamment grâce à des imprimantes 3D.
  • [3]
    Traduction : « L’industrie 4.0 se concentre sur la numérisation de bout en bout de tous les actifs physiques et leur intégration dans les écosystèmes numériques avec les partenaires de la chaîne de valeur »
  • [4]
    Nous nous appuyons ici sur les notices du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) : https://www.cnrtl.fr/
  • [5]
    Où il est question de « mutation des virus », par exemple.
  • [6]
    Institut de Mécanique et d’Ingénierie (UMR 5295) et Intégration du Matériau au Système (UMR 5418)
  • [7]
    Ces disciplines sont portées par sept laboratoires de recherche : MICA (Médiations, Information, Communication et Arts), IMS (Intégration du Matériau au Système)-groupe Cognitique, COMPTRASEC (Centre du droit comparé du travail et de la sécurité sociale), LabPsy (Laboratoire de Psychologie), GREThA (Groupe de Recherche en Economie et Théorie Appliquée) et EPICENE (Épidémiologie des Cancers et expositions environnementales) et ESTIA-Recherche.
    Les éléments rapportés ici sont le fruit de réflexions collectives impliquant Vincent Frigant (GREThA), Isabelle Daugareilh (COMPTRASEC), Alain Garrigou (EPICENE), Vincent Angel (LabPsy), Karine Chassaing (IMS-Cognitique), Johann Petit (IMS-Cognitique), Anne Lehmans et Vincent Liquète (IMS-Cognitique) et Pierre-Alexandre Favier (IMS-Cognitique).
  • [8]
    Traduction : « Une recherche en méthodes mixtes est un type de recherche dans laquelle un chercheur ou une équipe de chercheurs combine des éléments de méthodes qualitatives et quantitatives (par exemple, l’utilisation de points de vue qualitatif et quantitatif, la collecte de données, l’analyse, les techniques d’inférence) pour répondre à l’ampleur et à la profondeur des besoins de compréhension et de corroboration de l’étude ».

1. Introduction

1Les orientations socio-politiques actuelles font émerger de grands chantiers en lien avec les transformations impulsées par les technologies et le numérique. Ce processus engagé depuis un certain nombre d’année engendre des priorités identifiées au plan économique, des choix stratégiques de programmes et de financements, choix dans lesquels les imaginaires à l’œuvre sont évidemment puissants. Ainsi, l’intelligence artificielle se présente-t-elle aujourd’hui comme un axe d’innovation et d’investissement majeurs en France. Dans une moindre mesure, ce que l’on appelle « industrie du futur » ou « industrie 4.0 » constitue elle aussi un fer de lance important, non sans une vision performative sous-jacente et d’indéniables effets marketing. Derrière ces annonces, se jouent néanmoins de réels enjeux en matière de trajectoires de changements avec la présence croissante du numérique et des techniques dans les organisations mais aussi dans les écosystèmes environnants.

2En prenant comme point d’ancrage la construction en cours d’un programme de recherche multi-laboratoires autour de la vaste thématique de l’industrie du futur, l’objectif de ce texte est de montrer comment s’élabore une réflexion croisée autour des enjeux humains, organisationnels et sociétaux réflexion dans laquelle les sciences de l’information et de la communication (SIC) ont un indéniable rôle à jouer. Nous proposerons tout d’abord quelques éléments d’analyse sur les visions actuelles déclinées autour de l’industrie du futur. Nous présenterons ensuite, en guise d’exemple, la construction d’un axe de recherche s’intéressant à la place de l’humain, des organisations, du travail et des imaginaires du futur au cœur d’un projet orienté technologies et ingénierie. Les multiples problématiques pouvant être déclinées nécessitent une approche interdisciplinaire, dont les modalités d’élaboration, tant sur un plan empirique que sur un plan critique, seront exposées. Enfin, nous interrogerons la place et le rôle des sciences de l’information et de la communication (SIC) face à ces thématiques de recherche, que cela soit par le prisme de problématiques info-communicationnelles en lien avec la transition numérique des organisations mais aussi par la capacité des SIC à se positionner comme ce que nous proposons d’appeler « discipline-frontière ». Ces différents questionnements seront abordés non pas sous forme de retour d’expérience mais dans leur dynamique de constitution, et donc, dans leur plasticité évolutive.

2. Réalités et imaginaires de « l’industrie du futur »

3De façon concrète, derrière les termes d’industrie du futur, se nouent des enjeux économiques et politiques très actuels, qu’incarne par exemple en France l’Alliance Industrie du Futur, consortium multi-partenaires se donnant pour mission d’« accompagner les entreprises françaises et notamment les PMI dans la modernisation de leurs outils industriels et la transformation de leurs modèles économiques par les technologies nouvelles, digitales et non digitales » [1]. Le parti pris assumé est également de faire du salarié le pivot de cette transformation et bien entendu, d’améliorer à terme la compétitivité des entreprises françaises.

4Par ailleurs, de nombreux rapports et enquêtes proposent différents niveaux de lecture de cette industrie du futur, où certes domine une approche technologique mais où ne sont pas exclus les hommes et les femmes y travaillant. Ainsi, un rapport issu de Technopolis Group (Barneveld van, Jansson 2017) met en avant trois piliers technologiques de l’industrie du futur : la fabrication additive [2], la robotique industrielle avancée et l’internet des objets, soit des innovations dans la conception/production ainsi qu’un poids accru des données connectées dans le pilotage de l’action ou de la décision, comme par exemple dans le domaine de la maintenance prédictive. Dans un autre rapport (PWC 2016), présentant un enquête d’envergure internationale menée dans 26 pays, l’industrie 4.0 est présentée de la façon suivante : « Industry 4.0 focuses on the end-to-end digitisation of all physical assets and integration into digital ecosystems with value chain partners » [3]. A partir de ce cadrage, un ensemble d’outils sont identifiés par les quelques 2000 répondants à cette enquête : supports mobiles, plateformes orientées internet des objets, capteurs intelligents, impression 3D, approches de type Big Data, réalité augmentée, cloud computing, interfaces avancées homme-machine, etc. A cette panoplie d’outils, répond un ensemble de propositions en matière de progrès attendus via ces transformations des entreprises : sans surprise, on voit émerger la performance via la numérisation, le rôle stratégique de l’analyse des données et l’importance des investissements en matière de technologies, ainsi que de nouveaux équilibres global/local au plan économique. Sur des aspects en lien avec l’humain, on voit émerger une perception différente de la place du client, à la fois plus autonome et plus en relation avec l’entreprise via le numérique. Autre élément significatif : le rapport souligne que le défi principal n’apparaît pas comme étant d’ordre technologique mais plutôt d’ordre humain, notamment en ce qui concerne la culture numérique des salariés de l’entreprise.

5On peut donc circonscrire un contexte technologique pour l’industrie du futur à partir de quelques entrées majeures, tels les nouveaux procédés de fabrication, la robotique collaborative, les données connectées, le big data, ou encore les simulations avancées. Partant de là, les enjeux de l’industrie du futur, notamment pour les sciences humaines et sociales, concerneront les transformations en lien avec le numérique et les techniques. Cette notion de « transformation » nous rappelle à bon escient que ces évolutions sont inscrites dans des trajectoires, celles des entreprises industrielles, des organisations, des sociétés et des hommes/femmes qui y travaillent ou qui en utilisent les services ou produits. Derrière ce terme de « transformation », se dessine aussi la coexistence, d’autant plus vive en période intermédiaire, d’héritages de pratiques, de rôles, de métiers avec de nouveaux modèles (organisationnels, collaboratifs, professionnels…). Dans le Livre blanc proposé par l’Institut Mines-Télécom sur les enjeux de la transformation numérique pour l’entreprise du futur (Besson 2016), ce principe de transformation est inscrit à la croisée de trois facteurs principaux : l’automatisation (personnalisation de masse, par exemple), la dématérialisation (nouveaux canaux de communication et de distribution) et la désintermédiation/ réintermédiation (avec l’apparition de nouveaux acteurs).

6Néanmoins, ce terme de transformation n’est pas le seul élément de lexique mobilisé en la matière : d’autres sont régulièrement associés aux phénomènes en lien avec l’industrie du futur, en particulier, et aux innovations techniques, en général. Des termes comme « mutation », « évolution » voire « révolution », ou encore « transition » sont régulièrement utilisés. Or, bien entendu, le recours à tel terme plutôt qu’un autre n’est pas neutre. Le terme « transformation » renvoie étymologiquement [4] au fait de donner, à une personne ou une chose, une forme nouvelle ; le terme de « transition » renvoie à la notion de passage, notamment d’un état à un autre ; le terme de « mutation » fait écho à la notion de « changement », pas toujours dans une acception positive au demeurant [5] ; quant à l’« évolution », si le terme a une origine militaire (au sens de « manœuvre »), il est notamment utilisé pour faire état d’une « transformation graduelle assez lente », d’un processus continu de transformation », par opposition à « révolution » qui témoigne d’un « changement brusque », d’un bouleversement. A la lumière de ces différences, le terme d’« évolution » nous paraît le plus adapté car il marque la dynamique constante en cours et l’adaptation permanente qui en résulte, notamment pour les salariés des organisations concernées. Au-delà des discours d’accompagnement (Jeanneret 2001) et des utopies, s’opèrent en permanence des changements, faisant évoluer dans le temps les structures organisationnelles mais aussi le rapport des humains à un monde toujours plus occupé par les artefacts techniques. « L’artificialisation du monde par les projets humains est le résultat de l’évolution spontanée de l’humanité. Celle-ci est « augmentée » depuis son origine, depuis le premier « couplage entre cortex et silex » pour reprendre la belle expression d’André Leroy Gourhan (Le Moënne 2018, p.129). Nous nous situons bel et bien dans un continuum, même si les effets d’accélération contemporaine (accélération technique / accélération du changement social / accélération du rythme de vie – Rosa 2012) constituent un changement paradigmatique majeur.

7La question des imaginaires représente une autre forme de continuum dans lequel s’inscrit l’industrie du futur. De nombreux mythes associés au progrès et à l’innovation technique habitent depuis des siècles notre société, que cela soit dans ses dimension politiques, économiques, entrepreneuriales ou encore sociales. De nos jours, l’intelligence artificielle représente l’un des grands mythes en vigueur, en lien notamment avec la notion de « singularité » (Ganascia 2017), mais il faut souligner que cette mythologie de l’intelligence artificielle est loin d’être nouvelle (Dreyfus et al. 1984). Mythes et imaginaires du progrès s’inscrivent de façon continue dans l’histoire sociale des techniques… S’intéresser à l’industrie du futur, c’est donc questionner aussi la vision programmatique, ainsi que les imaginaires qui accompagnent cette expression « industrie du futur ». Davantage que l’industrie 4.0, dont la terminologie renvoie aux révolutions industrielles successives, l’industrie du futur ouvre sur des perspectives incluant non seulement les dimensions économiques et techniques mais aussi les imaginaires collectifs et les représentations sociales à l’œuvre notamment autour de la robotique, du travail ou encore des données…

8L’« industrie du futur » interroge donc à sa manière le numérique et les techniques, dans leur rapport à l’individu, au travail, au collectif, à la société, au cœur même de notre présent, en lien indissoluble avec le passé mais aussi dans une tension et tentation incarnées par une vision du « futur ». Les enjeux sont donc variés, complexes, sources d’hétérogénéité, d’incertitude et de conflits, tout en conservant un potentiel structurant. Les hommes et les femmes, travailleurs de cette industrie du futur, réelle et projective à la fois, ont à faire concrètement avec cette ambivalence, source d’opportunités comme de nouvelles inégalités, ravivant par exemple de nouveaux risques en matière de fracture numérique, de santé et modifiant très sensiblement le rapport au travail (Brynjolfsson et McAfee 2015).

Penser la place de l’humain, des organisations et des sociétés au cœur d’un projet d’ingénierie

9Nous illustrerons ces différents enjeux tels qu’ils se co-construisent actuellement dans un projet de recherche. Le programme BEST 4.0 est une initiative impliquant quatorze laboratoires de recherche du site bordelais et proposée dans le cadre des Grands Programmes de Recherche de l’université de Bordeaux pour la période 2021-2029. Porté par deux laboratoires [6] en lien avec le département des Sciences de l’ingénierie et du numérique, ce projet a pour ambition de poser les grands enjeux en lien avec le futur de l’industrie, dite encore « industrie du futur ». Dans ce projet autour de l’industrie du futur, une place conséquente a été donnée à une vision orientée sciences humaines et sociales, sur la base d’une coordination portée par les sciences de l’information et de la communication. Le projet s’articule en effet, selon une approche matricielle, autour de six axes de travail (fig. 1).

Figure 1 – Matrice du projet BEST 4.0

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Figure 1 – Matrice du projet BEST 4.0

10L’objectif de l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux » (WP4) est donc de penser et d’analyser ces dimensions de l’industrie du futur en articulation avec les enjeux scientifiques et technologiques du projet BEST4.0. Dans le cadre des travaux préliminaires menés, sept disciplines [7] composent actuellement ce partenariat très majoritairement SHS : sciences de l’information et de la communication, ergonomie, cognitique, droit, économie, psychologie du travail et informatique. Le périmètre des disciplines mobilisés dans cet axe n’est pas encore définitivement arrêté, d’autres sont amenées à rejoindre ce premier cercle, telles la sociologie, les sciences de gestion ou encore la philosophie (notamment en ce qui concerne les questions éthiques). Mais ce « premier cercle », encore restreint, a fourni plus de souplesse pour dessiner un positionnement scientifique interdisciplinaire.

11Une première série de travaux collectifs a permis de proposer une approche par échelle (micro, méso, macro) pour étudier ces enjeux (fig.2). A l’échelle micro, il s’agit d’envisager l’impact des technologies sur l’individu, et notamment l’humain au travail, en ce qui concerne par exemple le pilotage de son activité, la coopération homme/machine, les usages ainsi que les risques potentiels (en matière de santé, de vulnérabilités, etc.). A l’échelle méso, l’objectif est de comprendre les enjeux organisationnels posés dans/par l’industrie du futur : gouvernance par les data, accompagnement au changement en lien avec les transformations technologiques, nouveaux collectifs de travail, etc. Enfin, l’échelle macro s’intéresse aux grands défis sociétaux, leviers ou freins, accompagnant l’industrie du futur : cela concerne notamment les contraintes et opportunités environnementales, le cadre règlementaire et économique, ou encore les attentes et craintes sociétales.

Figure 2 – Positionnement scientifique par échelle

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Figure 2 – Positionnement scientifique par échelle

12Néanmoins, ce schéma par échelle, s’il présente l’avantage de réduire la complexité du chantier engagé et de surmonter certaines difficultés liées à la gestion de l’interdisciplinarité, dont nous reparlerons plus en détails, n’est pas sans risques. En particulier, en simplifiant par niveau d’observation, la tentation du dualisme et du repli par niveau est réelle, coupant ainsi court à une indispensable lecture systémique. Aussi, cette lecture par échelle a-t-elle été enrichie et re-située au sein d’un schéma scientifique global qu’a permis de faire émerger une deuxième série de travaux collectifs. En l’occurrence, la question de recherche majeure choisie par l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux » concerne l’analyse critique et l’accompagnement des continuités, changements et controverses à partir de différents objets d’études et à différentes échelles. C’est donc la dynamique des évolutions, des permanences et des résistances en lien avec les aspects principaux de l’industrie du futur qui représente le phénomène principal à observer. Ce prisme de lecture conduit à aborder de multiples éléments en lien avec les transformations de l’entreprise : la nature du changement (choisi, subi, projeté) ; le projet et sa conduite, que cela soit en matière de ressources mobilisées, de procédures ou encore de formes communicationnelles ; les cultures organisationnelles ; les résistances, tensions, contradictions et autres décalages. Bien entendu, les temporalités et les rythmes sont au cœur de ces démarches de changement. Mais d’autres éléments sont à prendre en compte également, en particulier les questions d’exclusion/inclusion et de diversité.

13Trois objets d’études ont été mis en évidence pour aborder cette dynamique des évolutions : l’humain en activité(s) ; les organisations et le travail ; les imaginaires et controverses à l’œuvre en lien avec l’industrie du futur. L’architecture générale ainsi construite permet non seulement de développer une vision systémique mais aussi processuelle afin de suivre la dynamique continue du changement (fig.3).

Figure 3 – Architecture fonctionnelle de l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux »

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Figure 3 – Architecture fonctionnelle de l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux »

14L’avantage de ce positionnement est de conserver une lecture globalement par échelle, tout en évitant les écueils de ce type de lecture. En effet, l’humain en activités concerne principalement le niveau micro ; la question des organisations et du travail se situe entre le méso et le macro ; enfin, l’approche par les imaginaires se positionne au niveau macro. Par ailleurs, deux postures intellectuelles, issues des cultures disciplinaires du groupe de travail, seront mobilisées pour traiter ces objets d’études : analyse critique d’une part, accompagnement et préconisations, d’autre part.

15En ce qui concerne le premier objet d’études, « L’humain en activités », le questionnement principal concerne les profonds changements des activités en lien avec l’industrie du futur ainsi que pour les humains confrontés à ces nouvelles situations de travail. L’humain en activité(s) peut être appréhendé à travers différents rôles, principalement ceux d’opérateur, de concepteur ou encore de pilote (maitrise intermédiaire). La porosité actuelle des frontières de l’industrie permet aussi d’envisager les micro-travailleurs externes à l’entreprise ainsi que les clients comme d’autres facettes de humains en activité(s) au service de l’entreprise. La vision de l’humain en activité(s) appréhendée dans l’industrie du futur est donc une vision complexe et multi-rôles, à partir de laquelle plusieurs axes d’études peuvent être envisagés. Tout d’abord, de nouveaux modes de collaboration émergent dans le cadre de l’industrie du futur (Humain/Technologies, Humain/Humain, Humain/Organisation, etc.), modifiant les activités traditionnelles et les formes d’organisation, et nécessitant de nouveaux apprentissages individuels comme collectifs. Dans le cadre de la collaboration Humain/Technologies, sont particulièrement concernés la cobotique industrielle (Moulières-Seban 2017), le recours à la réalité virtuelle, augmentée ou mixte pour des opérations de conception, fabrication ou maintenance, ou encore le développement des jumeaux numériques. L’enjeu est d’analyser et d’accompagner le déploiement et les ajustements de ces nouvelles formes de collaboration, mobilisant différents types d’acteurs (humains/non humains) et d’interactions, en mettant en avant les marges de manœuvre possédées par les travailleurs et la créativité dont ils peuvent faire preuve à travers leurs usages et leurs compétences en action. Par ailleurs, l’enregistrement de différents types d’activités humaines (production, conception, fabrication, etc.) en entreprise (via des capteurs ou les traces d’activité numérique, etc.) ou en lien avec des acteurs extérieurs (fournisseurs, clients) produit une quantité colossale de données. Il s’agit d’étudier les modalités de sélection, organisation, stockage et utilisation de ces données, pouvant participer à de nouveaux modes de gouvernance et de pilotage, notamment en lien avec l’IA (Rouvroy et Berns 2013). En particulier, se pose la question de la place de l’humain et de ses marges de manœuvre, dans les processus de décision en lien avec les données. Enfin, il est nécessaire de prendre la mesure des risques que les évolutions technologiques et numériques portées par l’industrie du futur peuvent générer en matière de sécurité, de santé ou par le renforcement d’inégalités numériques et technologiques (générationnelles, physiques, socio-culturelles). Par exemple, dans le cas de la fabrication additive, des risques émergent en relation avec l’exposition à des poudres métalliques et à leurs effets sur la santé.

16En ce qui concerne le deuxième objet d’études, « Organisations et travail », l’objectif est d’analyser de façon conjointe les nouvelles formes de stratégies organisationnelles en lien avec la montée en charge technologique des entreprises et les conséquences en matière de conception du travail (notamment sur un plan juridique) et de perception du travail (au niveau des acteurs individuels). A ce titre, il s’agit de voir comment la place de l’acteur individuel est envisagée mais aussi comment se redéfinit la problématique des collectifs (institutionnalisés ou informels). Dans cette perspective, il est intéressant également d’étudier la parole et l’engagement des fédérations de professionnels et des industriels, ou encore du positionnement des politiques publiques, qu’il soit incitatif (comme dans le cas de l’intelligence artificielle) ou préventif (dans le domaine de la santé par exemple). D’autre part, une question clef concerne les reconfigurations de la relation au travail. Va-t-on vers davantage de « sens » au travail, davantage de « travail décent » (OIT 2019) ou la réalité est-elle plus contrastée que les utopies qui alimentent certaines visions des évolutions des entreprises industrielles ? Plusieurs cas de figure sont envisageables ici, entre les nouvelles formations, compétences, expertises attendues (Bidet et al. 2017) et démultiplication de la figure du travailleur, hors des frontières structurelles de l’organisation, dans une porosité et des échanges toujours plus grands entre le client/consommateur et l’entreprise. Les exemples du digital labor (Cardon et Casilli 2015) et du micro-travail (Le Ludec, Tubaro, Casilli 2019) sont à ce titre éloquents dans les nouvelles formes de production (via des tâches fragmentées et ingrates ou via la collecte de traces numériques), révélatrices potentielles de formes inédites de précarité. Dans une acception plus positive, il est important de mettre aussi en évidence les espaces d’autonomies et de créativité, encouragés par ces nouveaux environnements de travail ou déclinés à la marge et dans les interstices.

17Enfin, le dernier objet d’études concerne « Les imaginaires et controverses » autour de l’industrie du futur. L’objectif est de mettre à jour pour l’industrie du futur le creuset des imaginaires dans lesquels se forgent des mythes, des valeurs et des représentations autour d’un « futur » nourri par des progrès au plan technologique. De nombreux penseurs se sont penchés sur cette articulation entre évolutions techniques et imaginaires (Flichy 1995, Scardigli 1992, Musso 2019 – pour ne citer qu’eux). Ces imaginaires s’incarnent de façon ambivalente, entre utopies, promesses, telles que celles défendues par le transhumanisme (Besnier 2019), ou craintes, inquiétudes sur le pouvoir aliénant de la technique vis-à-vis de l’humain (par exemple en lien avec la robotique). Des aspirations nouvelles, en lien avec l’urgence environnementale, se font également entendre de plus en plus fortement du côté de la société civile. Anciens et nouveaux imaginaires irriguent donc les trajectoires des innovations et des industries, au-delà du déploiement constant d’une offre technologique et d’une hybridation numérique toujours plus grande. Ils participent de la compréhension des logiques à l’œuvre et de la gouvernance dans un contexte de changement majeur, ainsi que des mécanismes de création et de participation.

18Les objectifs de de recherche proposés par l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux » au sein d’un projet d’ingénierie en lien avec l’industrie du futur sont donc ambitieux. Ils tentent de prendre la mesure des enjeux, au-delà et avec des techniques, concernant la place de l’humain dans l’industrie du futur. Dans ce cadre, une démarche interdisciplinaire s’impose comme une nécessité, démarche dans laquelle les sciences de l’information et de la communication peuvent tenir un rôle majeur.

Opportunités et risques de l’interdisciplinarité

19Malgré le recours désormais banalisé à la pluri-, inter- ou trans-disciplinarité dans les projets de recherche, ces approches continuent à susciter un certain nombreux de débats, du fait de la tension persistante entre cloisonnement par les biais des spécialités (légitimées et validées en terme académique) et partage de regards, concepts et méthodes par plusieurs disciplines (démarche stimulante et enrichissante, mais ayant du mal à accéder à une reconnaissance académique). Dans la terminologie proposée par B. Nicolescu (1996), « la pluridisciplinarité concerne l’étude d’un objet d’une seule et même discipline par plusieurs disciplines à la fois » (Nicolescu, p.64). L’interdisciplinarité permet de franchir un cran supplémentaire dans l’entrelacement des disciplines, puisqu’elle « concerne le transfert des méthodes d’une discipline à une autre », avec des bouleversements induits variables, du simple transfert applicatif à l’engendrement de nouvelles disciplines, en passant par des modifications de nature épistémologique (Nicolescu, p.65). Enfin, stade ultime, la transdisciplinarité, qui transcende les disciplines du fait de sa finalité, à savoir la compréhension du monde, « dont un des impératifs est l’unité de la connaissance » (Nicolescu, p.66).

20Cette classification peut être appréhendée de façon légèrement différente selon les auteurs. Ainsi, J.L. Le Moigne (in Kourilsky 2002, p.26-27) distingue l’interdisciplinarité de type pluri, soit l’emprunt par une discipline de méthodes validées issues d’autres disciplines (cf. le premier degré de l’interdisciplinarité chez Nicolescu) de l’interdisciplinarité de type trans qui « en affichant son postulat de « dépendance au contexte » assume le primat de l’intelligibilité systémique sur la prévisibilité analytique ». Des collaborations de recherche croisant différentes disciplines offrent l’opportunité de s’affranchir d’un cadre réducteur d’analyse pour s’inscrire dans une démarche compréhensive, autour des modèles, concepts et visions des disciplines mobilisées. En ce sens, on se rapproche de l’interdisciplinarité de type « trans » de Le Moigne en ayant pour objectif à terme « la conception de représentations riches des contextes considérés, modèles sur lesquels on puisse raisonner de façon à la fois ingénieuse et communicable, afin d’élaborer et d’argumenter des propositions pour l’action humaine » (Kourilsky 2002, p.25).

21Dans le contexte des humanités numériques, A. Bénel distingue trois dimensions pour l’interdisciplinarité : immersion, instrumentation et discussion épistémologique (Bénel 2014). L’immersion constitue la première dimension, renvoyant à une facette quasi ethnologique de l’interdisciplinarité. Elle suppose une temporalité longue de collaboration, permettant de transcender le strict cadre du travail pour construire une connaissance de l’autre participant de la compréhension des objets de recherche partagés. Le transfert de méthodes constitue la deuxième dimension proposée par A. Bénel et incarne la valeur instrumentale associée à ce transfert. Enfin, la discussion épistémologique représente la dernière dimension de l’interdisciplinarité et prend forme lors des débats et questionnements qui vont se poser à l’occasion de séminaires communs et des choix qui vont en résulter.

22Dans le cadre du projet BEST 4.0, la mise en œuvre des objectifs d’études s’appuie sur une double approche interdisciplinaire : d’une part, à l’intérieur de l’axe « Enjeux humains, organisationnels et sociétaux » où sont représentées six disciplines de SHS ; d’autre part, en relation avec les autres disciplines mobilisées dans les autres axes du projet BEST 4.0. La complexité est donc avérée… Si l’on reprend les trois dimensions de l’interdisciplinarité en contexte d’humanités numériques proposées par A. Bénel (ibid.), la dimension de l’immersion, bien que dans une déclinaison simplifiée, se manifeste dans les différentes réunions au sein de l’axe ou entre les axes. Celles-ci permettent de faire émerger un cadrage scientifique ainsi que des potentialités d’actions, sur la base d’un dialogue marqué et enrichi par des itérations et des ajustements constants. Présentations croisées des disciplines, thématiques de recherche et laboratoires, discussions à partir d’une étude de cas sur le processus de fabrication additive, séminaire projet d’un jour et demi à l’issue duquel l’architecture générique du programme scientifique a été élaborée à partir de mots-clefs transversaux (travail, changement, innovation, inclusion, besoins, usages, santé au travail, industrie du futur…), telles sont les formes qui ont permis de circonscrire un périmètre scientifique. En l’occurrence, la dimension présentielle de ces différentes réunions a été un élément crucial pour permettre la co-construction de sens partagé. La production de documents intermédiaires (compte-rendus, schémas, supports de présentation, cartes conceptuelles) a elle aussi largement contribué à l’instauration d’un dialogue fondé sur un principe de réciprocité. Ainsi l’on peut considérer que la phase d’immersion a servi également d’amorçage à la discussion épistémologique, en tant que troisième dimension de la proposition de A. Bénel. Cette dimension épistémologique est évidemment à inscrire dans un temps long, celui du projet et de la collaboration interdisciplinaire. En l’occurrence, le recours à des objets-intermédiaires (Vink 2009) et des objets-frontières (Star, Griesemer 1989) constituera un appui précieux et constant pour équiper l’action et le partage des connaissances dans l’axe de recherche, voire dans le projet global. Ainsi, l’on peut imaginer in fine la production d’une ontologie partagée sur les concepts clefs mobilisés et les connaissances produites tout au long du projet.

23La deuxième dimension proposée par A. Bénel, le transfert de méthodes, correspond à une prochaine étape. D’ores et déjà, un certain nombre de méthodes ont été recensé auprès des chercheurs de l’axe : modélisations, enquêtes (qualitatives / quantitatives), observations, études de cas, analyses de contenus, analyses de traces d’activité, scénarios, simulation, expérimentations, design thinking, tests utilisateurs, etc. Appuyés sur des terrains d’application (encore à déterminer), les principaux résultats attendus à partir de la mobilisation de ces méthodes concerneront la caractérisations des freins sociétaux et des résistances individuelles, l’identification de leviers (sociaux, économiques, psychologiques, réglementaires…), des analyses comparées au plan international, des modèles, des recommandations, des retours d’expériences, des analyses de situations, de comportements, ainsi que des trajectoires technologiques et sociales. Ce transfert de méthodes, dans un paysage interdisciplinaire complexe, s’opèrera selon une approche orientée « méthodes mixtes ». « Mixed methods research is the type of research in which a researcher or team of researchers combines elements of qualitative and quantitative research approaches (e.g., use of qualitative and quantitative viewpoints, data collection, analysis, inference techniques) for the broad pur- poses of breadth and depth of understanding and corroboration » [8] (Johnson et al. 2007, p.123).

24Cette phase (longue) de montage de projet a donc fait émerger un dialogue fructueux entre chercheurs de disciplines différentes, en dehors de contingences pouvant contraindre et limiter les possibles. Ainsi, le projet Best 4.0, en tant que projet scientifique, s’appuiera principalement sur des co-directions de thèse. Comment construire une interdisciplinarité véritable dans le formalisme et les contraintes d’une production académique, inscrite dans une école doctorale et par un étudiant d’origine monodisciplinaire ? Cette difficulté est d’autant plus forte lorsque les disciplines sont a priori relativement « orthogonales » (mécanique et sciences de l’information et de la communication, par exemple). Cette même question se pose sur les publications conjointes et les lieux de ces publications, problème d’interdisciplinarité classique dans une culture française marquée par l’inscription dans une discipline.

Rôle(s) des Sciences de l’information et de la communication dans le cadre de ce projet

25Au-delà d’une interdisciplinarité dont on voit bien à quel point elle est nécessaire dans des projets de cette ampleur, embrassant différentes dimensions, enjeux et niveaux d’échelle, la question qui se pose est celle de la place spécifique des sciences de l’information et de la communication (SIC). En l’occurrence, nous pouvons identifier deux niveaux principaux d’intervention.

26A un premier niveau, la place des SIC est légitime par les problématiques info-communicationnelles présentes dans ces projets, en lien avec des dispositifs numériques pluriels. Ceux-ci s’inscrivent dans des trajectoires organisationnelles, soit un « long processus de négociations et d’ajustements » (Jemine 2017, p.58) entre stratégies, acteurs, usages et techniques, processus non exempt d’imaginaires ou d’idéaux/idéologies (connectivité, ubiquité, autonomie, etc.), dans lesquels les SIC peuvent et doivent apporter leur(s) regard(s). Sans prétendre tenter un recensement exhaustif des différentes problématiques pouvant être traitées par les SIC, dont ce numéro de la revue ATIC se fait aussi l’écho, quelques thématiques peuvent cependant être mises particulièrement en évidence ici.

27Ainsi, l’on peut s’intéresser à la redéfinition des métiers et compétences, notamment à l’articulation entre compétences techniques et communicationnelles (Bouillon 2015) ou encore aux formes d’invisibilité et de banalisation (Andonova 2015) indissociables de la présence de dispositifs numériques info-communicationnels. La restructuration des collectifs de travail (Zacklad 2015, 2019), dans et hors « les murs » de l’organisation, entre participatif appuyé par des dispositifs numériques et responsabilité individuelle accrue, ouvre des perspectives intéressantes. La question des data s’impose également comme une question vive, dont les SIC pourraient encore davantage s’emparer. Comment se remodèle la prise de décision, notamment du fait des nouveaux modes de management par les données et les traces (Rouvroy et Berns 2013, Vayre 2018) ? Comment sont prises en charge (ou pas) les interrogations éthiques soulevées par les dispositifs numériques en lien avec la captation, l’enregistrement de multiples traces (Balicco et al. 2018) ? A un niveau stratégique, on peut s’interroger sur les dynamiques en matière de management ou d’accompagnement au changement en lien avec les transformations et transitions technologiques. En particulier, il peut être opportun d’explorer les formes d’alignement ou de dés-alignement entre stratégies, dispositifs numériques et usages (Pinède 2017). Enfin, sans pour autant clore une liste qui reste totalement ouverte, la question des vulnérabilités est une question particulièrement sensible et importante, que ces vulnérabilités émergent du fait de comportements déviants ou inadéquats en lien avec l’usage de dispositifs numériques (Carayol et al. 2017) ou que des vulnérabilités initiales (situations de handicap, illectronisme numérique) soient plus que jamais renforcées dans des écosystèmes professionnels où l’injonction techno-numérique est toujours plus forte.

28Cette approche par les vulnérabilités numériques et les risques d’exclusion associés fera partie des problématiques info-communicationnelles abordées dans le cadre du projet BEST 4.0. D’autres objectifs de recherche ont également été identifiés, tels l’analyse des usages et des représentations ainsi que les imaginaires, la culture et la circulation des data, en lien avec des modèles et des architectures orientées vers la décision. L’analyse des processus info-communicationnels accompagnant (ou pas) ces changements/évolutions dans les organisations représentera une autre focale importante.

29Outre cette légitimité d’un discours scientifique sur les problématiques info-communicationnelles en lien avec les dispositifs numériques organisationnels, les SIC ont aussi une légitimité à valoriser pour la coordination de projets interdisciplinaires sur ces sujets. Si l’on revient aux origines des SIC, il est avéré qu’elles s’inscrivent dans un creuset composite (cf. par exemple Boure 2002) et d’une genèse foncièrement pluridisciplinaire (littérature, sémiologie, documentation, etc.). On peut donc dire, à la suite de B. Miège (2004) que « ce que les SIC ont en propre, c’est donc de pouvoir appliquer des méthodologies inter-sciences à des problématiques transversales, permettent d’appréhender l’information et la communication non de façon globale (comme prétendent le faire un certain nombre de théories générales), mais dans ses manifestations marquantes » (p.227). B. Miège distingue, tout comme B. Nicolescu, inter-, trans- et pluri-disciplinarité, mais il situe davantage la transdisciplinarité du côté de la transversalité, portée par des débats et échanges scientifiques, alors que l’interdisciplinarité permet de faire « inter-agir » des méthodologies issues de différentes disciplines et à ce titre, concerne tout particulièrement les SIC.

30Au-delà des méthodes, on peut même considérer que « l’interdisciplinarité est ici l’effort d’articuler entre eux les concepts, les outils et les résultats d’analyse de différentes disciplines. Cela ne peut se faire avec plusieurs disciplines à la fois car, pour pouvoir procéder à une interrogation ou un emprunt entre plusieurs concepts, il faut pouvoir les considérer dans leur cadre théorique afin de ne pas les déformer, les interroger à la lumière d’une autre discipline et expliquer dans quelle mesure et à quelles fins d’analyse ils peuvent être empruntés et intégrés dans l’autre discipline » (Charaudeau 2010, p.205). P. Charaudeau propose donc d’envisager les intersections disciplinaires deux à deux, quitte à « démultiplier cette opération ». Dans le cadre d’un projet interdisciplinaire aussi complexe que BEST 4.0, il est nécessaire de trouver les modalités d’un dialogue conjoint entre de nombreuses disciplines, sans réduire la problématique de l’interdisciplinarité à celle (bien qu’importante) du croisement de méthodes, mais en cherchant à « faire bouger » des lignes aux plans méthodologique et épistémologique, à provoquer une véritable rencontre.

31Cette « nature », cette « essence » des SIC offre, selon nous, les conditions idéales pour animer un dialogue interdisciplinaire complexe, tel qu’il peut se décliner à travers le programme BEST. L’habitude qu’ont les SIC de solliciter des approches conceptuelles multiples, de mobiliser différents outils méthodologiques, de circuler entre plusieurs niveaux d’échelle, du micro au macro, apporte l’ouverture nécessaire, une forme de « qualité d’écoute » indispensables à la bonne conduite des travaux. A ce titre, et en écho aux objets-frontières précédemment évoqués, l’on pourrait aller jusqu’à dire des SIC que, sans renier pour autant leur cœur disciplinaire, elles ont un véritable rôle à jouer en tant que « discipline-frontière », médiatrice des articulations disciplinaires pour de nouvelles modalités de construction du sens.

3. Conclusion

32La problématique dite de l’industrie du futur ouvre donc de multiples perspectives pour appréhender tant les évolutions en matière de modes de production (collaboratifs, serviciels, circulaires), de modèles d’affaires que de processus opérationnels. C’est donc un terrain privilégié d’observation de la transition numérique des organisations. Ainsi que nous l’avons établi d’emblée, les différents éléments présentés dans ce texte résultent d’un travail en cours, d’une démarche de co-construction dans le cadre d’un projet d’ingénierie de la recherche. Même si nous ne pouvons à ce stade présenter encore de résultats concrets, il nous semble pour autant qu’en soi, la démarche est intéressante. Elle vient non seulement contribuer utilement aux réflexions sur les thématiques de la transition numérique des organisations mais aussi permettre de porter un regard réflexif sur les rôles que peuvent y tenir les sciences de l’information et de la communication.

33Deux éléments principaux émergent. Tout d’abord, en ce qui concerne la démarche projet associée à ce type d’investigation, le choix d’une approche interdisciplinaire multi points de vue s’avère indispensable au vu de l’ambition globale du projet BEST et de la dynamique longue qui lui est associée (8 ans). Les échanges qui ont eu lieu se sont révélés stimulants et prometteurs, que cela soit entre les disciplines estampillées SHS ou avec des disciplines orientées ingénierie. Cette interdisciplinarité et cette présence des SHS dans un projet d’ingénierie ne sont évidemment pas nouvelles (Caelen, Brun 2013). Cependant, quelques modalités d’intégration des SHS dans le projet BEST sont à souligner. Tout d’abord, le statut accordé dans le projet à cet axe de recherche, ayant à la fois son autonomie scientifique et une transversalité avec les autres axes, permet de travailler dans de réelles conditions d’équité scientifique. D’autre part, les différentes problématiques abordées à partir des disciplines mobilisées apportent des regards relativement inédits dans ce type de projet, inédits car ne se réduisant pas à des approches orientées conception et guidées par l’ergonomie. En l’occurrence, la question des imaginaires des techniques est posée dans le cadre du projet comme élément d’irrigation mais aussi comme élément perturbateur (au sens positif du terme) des réflexions communes. D’autre part, dans cette démarche de projet interdisciplinaire, la présence des SIC constitue un réel atout, que cela soit par la lecture info-communicationnelle des logiques et évolutions technologiques actuelles dans le contexte des organisations ou par la prise en charge de la coordination des travaux de recherche.

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Sciences de l’information et de la communication, interdisciplinarité, Industrie du futur, transition numérique

Date de mise en ligne : 28/12/2020.

https://doi.org/10.3917/atic.001.0081

Notes

  • [1]
  • [2]
    La fabrication additive repose sur des procédés de fabrication par ajout de matière, notamment grâce à des imprimantes 3D.
  • [3]
    Traduction : « L’industrie 4.0 se concentre sur la numérisation de bout en bout de tous les actifs physiques et leur intégration dans les écosystèmes numériques avec les partenaires de la chaîne de valeur »
  • [4]
    Nous nous appuyons ici sur les notices du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) : https://www.cnrtl.fr/
  • [5]
    Où il est question de « mutation des virus », par exemple.
  • [6]
    Institut de Mécanique et d’Ingénierie (UMR 5295) et Intégration du Matériau au Système (UMR 5418)
  • [7]
    Ces disciplines sont portées par sept laboratoires de recherche : MICA (Médiations, Information, Communication et Arts), IMS (Intégration du Matériau au Système)-groupe Cognitique, COMPTRASEC (Centre du droit comparé du travail et de la sécurité sociale), LabPsy (Laboratoire de Psychologie), GREThA (Groupe de Recherche en Economie et Théorie Appliquée) et EPICENE (Épidémiologie des Cancers et expositions environnementales) et ESTIA-Recherche.
    Les éléments rapportés ici sont le fruit de réflexions collectives impliquant Vincent Frigant (GREThA), Isabelle Daugareilh (COMPTRASEC), Alain Garrigou (EPICENE), Vincent Angel (LabPsy), Karine Chassaing (IMS-Cognitique), Johann Petit (IMS-Cognitique), Anne Lehmans et Vincent Liquète (IMS-Cognitique) et Pierre-Alexandre Favier (IMS-Cognitique).
  • [8]
    Traduction : « Une recherche en méthodes mixtes est un type de recherche dans laquelle un chercheur ou une équipe de chercheurs combine des éléments de méthodes qualitatives et quantitatives (par exemple, l’utilisation de points de vue qualitatif et quantitatif, la collecte de données, l’analyse, les techniques d’inférence) pour répondre à l’ampleur et à la profondeur des besoins de compréhension et de corroboration de l’étude ».
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