Couverture de RAC_040

Article de revue

Étudier le care en infrastructure

Les « petites mains » de la biobanque hospitalière

Pages 399 à 427

Notes

« Car les uns sont dans l’ombre et les autres sous les feux des projecteurs. Et l’on voit ceux sous les projecteurs. Sur ceux dans l’ombre, aucun regard. »
Bertold Brecht, Die Dreigroschenoper (1928)

Introduction : Ces médiations qui soutiennent et connectent nos mondes

1En 1999, Susan Leigh Star lance un appel à l’étude des infrastructures (Star & Strauss, 1999). La sociologue voit à travers celles-ci la possibilité d’une « compréhension plus écologique de nos milieux de travail, de nos matérialités et de nos interactions » (Star, 1999, p. 379) ; de même, la possibilité d’une attention opportune pour l’organisation humaine qui les fait exister, composée de travailleurs bien souvent « négligés ou invisibilisés », à l’instar des agents d’entretien et de maintenance (Star, 1999, p. 379). Aujourd’hui, bien qu’encore largement focalisées sur les activités scientifiques, les enquêtes sur les infrastructures se sont multipliées et tendent à « se consolider en un véritable domaine de recherche » (Denis & Pontille, 2012, p. 2).

2Parmi elles, l’étude ethnographique de Jérôme Denis et David Pontille auprès des brigades d’intervention et de maintenance de la signalétique du métro de Paris (Denis & Pontille, 2015) a retenu notre attention. En suivant attentivement les opérations de ces travailleurs, les auteurs ont pu rendre manifeste une caractéristique essentielle et pourtant négligée des infrastructures, à savoir leur part de fragilité, vulnérabilité, instabilité et non-immuabilité. Ce travail gérant la fragilité matérielle des infrastructures a été qualifié par les auteurs de « care des choses » (Denis & Pontille, 2013, p. 14), en référence à la notion de matters of care théorisée par la philosophe Maria Puig de la Bellacasa (2011), à la suite des travaux de Bruno Latour et de sa notion de matters of concern (2004).

3En suivant Denis et Pontille, ce care des choses se lirait dans des pratiques de maintenance soucieuses, attentives, vigilantes, corporellement engagées et capables d’improvisation. Or la notion de care développée par Puig de la Bellacasa comprend des connotations éthiques et affectives plus fortes. Plus qu’une maintenance responsable (Puig de la Bellacasa, 2011, p. 86), le care serait un faire matériel quotidien qui revêtirait d’une obligation éthique, celle de demeurer responsable du devenir de la « chose » (Latour, 2004, p. 236). Cela requerrait des agents du care non seulement de prendre en considération tous les êtres associés et interdépendants à cette chose, autrement dit de prendre soin de l’assemblage fragile que constitue cette chose (1), mais aussi d’y être affectivement attachés (2).

4Ce travail de l’infrastructure et ce travail du care, dans les deux cas négligés ou invisibilisés (Puig de la Bellacasa, 2012, p. 198) mériteraient d’être remis au premier plan de nos analyses de façon à disposer de versions plus complètes et engagées de notre réalité, qui ne « masqueraient pas toutes les médiations qui soutiennent et connectent nos mondes » et, qui plus est, pourraient en générer de nouvelles (ibid., p. 210).

5En résonance à ce premier objectif, la présente étude se propose de donner une réponse empirique à la question posée par Puig de la Bellacasa : au sein d’une infrastructure, le care peut-il être quelque chose de plus qu’une maintenance responsable ? Pour y répondre, nous entrerons dans les coulisses d’une biobanque hospitalière et nous suivrons le travail de ses agents opérationnels, assistants médicaux et techniciens de laboratoire, en cherchant à déterminer si care il y a dans ce travail dit de « petites mains » (Denis et Pontille, 2012), ce sur quoi il porte et les formes qu’il revêt.

6Forsyth, Kerridge et Lipworth (2011) ont proposé un panorama des études sociologiques sur les biobanques. Aucune n’a semblé aborder les pratiques d’opérationnalisation de ces infrastructures. Fabien Milanovic dans un article sur les ressources biologiques a remarqué que le travail effectué pour fabriquer et/ou figurer ces ressources était loin d’être connu et « appelait des enquêtes pour le documenter et des analyses pour comprendre comment ce travail de mise en forme de ces ressources [était] lié aux utilisations ultérieures qu’il [rendait] possibles et [conditionnait] » (Milanovic, 2011, p. 192). David Pontille a contribué à cette documentation (Pontille, 2006) en entrant dans les coulisses d’une biobanque hospitalière et en suivant pas à pas le travail de mise à jour de la base de données associée à sa collection d’échantillons biologiques. Mettant en lumière les savoirs et savoir-faire qu’impliquait ce travail, la question du care, objet de la présente étude, n’y a toutefois pas été traitée.

7Par-delà ce premier objectif de mise en visibilité du potentiel care porté par les petites mains de l’infrastructure se trouve du reste pour l’enquête un enjeu plus global, traversant une bonne partie de la littérature des études sociales dédiées aux sciences et aux techniques. Cet enjeu concerne la responsabilité du chercheur envers le « monde qu’il étudie, qui est aussi le monde qu’il construit et le monde qu’il habite » (Martin, Myers & Viseu, 2015, p. 626). Il peut être en ce sens qualifié de politique et, en posant en définitive la question de la responsabilité du chercheur quant au devenir de la chose qu’il étudie, répond lui aussi d’une politique du care.

8Du point de vue de l’enquête, cette dimension politique implique la réalisation d’un compte rendu capable de circuler non seulement dans son univers académique mais également dans son univers d’enquête et dès lors de supporter des exigences différenciées : d’un côté, un univers académique exigeant clarté et netteté dans le propos, et parfois une voix critique sans détour ; de l’autre, un univers d’enquête escomptant le maintien d’un certain clair-obscur, de certaines nuances, leur mode d’existence étant au cœur du propos. Quel « style » de compte rendu (style au sens d’altération/individuation du modèle, susceptible de reprises-déprises) serait alors en mesure de porter ces exigences et de circuler, c’est-à-dire de se faire entendre à la fois par son univers académique et par son univers d’enquête, sans finir banal à la lecture du premier (objet d’indifférence) ni « ingrat » à la lecture des seconds (Viseu, 2015, p. 657) ?

9Voilà un second objectif auquel la présente étude souhaite proposer une réponse. Un essai appuyé sur une ethnographie réflexive : une narration terre à terre, c’est-à-dire descriptive, minutieuse, suivant les gestes, n’allant pas trop vite sur l’abstraction (au sein de laquelle les enquêtés auraient quelque chance de se reconnaître), mais aussi affectée (et potentiellement donc affectante), c’est-à-dire ne faisant pas l’économie des affects, qu’ils soient perçus chez les enquêtés ou vécus par l’enquêtrice. Partant, le compte rendu des moments dits de la récolte des données et des moments dits du travail d’analyse et d’écriture ne pourraient plus être opposés ni passés sous silence, comme cela est assez systématiquement le cas.

10Nous pensons que cette narration non détachée peut demeurer un lieu de production de connaissances valides autant qu’elles soient discutables et discutées par les « pairs » comme par les enquêtés (Paperman, 2015, p. 67).

Méthode : dans les coulisses de l’infrastructure biobanque

« Il y a un savoir ethnographique au-delà du fait d’observer et d’écouter […]. »
Pérez (2017, p. J)

Présentation de l’infrastructure

11L’étude a pour terrain d’analyse le Service de soutien à la recherche clinique (sSRC) du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV). Ouvert depuis janvier 2016, il se destine à aider « les chercheur-euse-s du CHUV et de l’Université de Lausanne (UNIL), ainsi que leurs partenaires, à réaliser tout type de projets de recherche clinique, en respectant un cadre légal strict » [1]. Résultant de la fusion d’un Centre de recherche clinique (CRC) inauguré en 2012 (a) et d’une biobanque hospitalière dénommée Biobanque institutionnelle de Lausanne (BIL) inaugurée en 2013 (b), il se structure à présent en cinq unités : une unité d’affaires réglementaires, une unité d’investigation clinique, une unité « consentement général », une unité « laboratoire pré-analytique » et une unité « IT-RC ».

12L’étude porte plus spécifiquement sur les unités « consentement général » et « laboratoire pré-analytique », constitutives de l’ancienne BIL et donc toutes deux fortement liées, dont une partie des activités consiste à recueillir un consentement général auprès de tout patient entrant au CHUV puis à alimenter une collection d’échantillons de sang, accompagnés de données pré-analytiques et personnelles et destinés à devenir des données biologiques, génétiques et non génétiques.

Sur le terrain

13L’étude a démarré fin mars 2015, au moment où se sont effectuées les premières revues de la littérature et documentaire et où s’est négociée l’entrée sur le terrain auprès de la directrice opérationnelle de la BIL. Elle s’est poursuivie durant les mois de juin et juillet 2015 au cours desquels ont été entretenues les principales responsables organisationnelles de la BIL, des entretiens suivis d’une lecture systématique des rapports annuels issus de la biobanque. Durant les mois de septembre et d’octobre se sont tenues deux séances de présentation du projet d’étude aux équipes de la BIL, ainsi qu’une rencontre avec deux chercheurs de l’UNIL qui avaient mené, entre 2013 et 2014, une étude portant sur les pratiques du consentement général et les motivations des patients à participer à la BIL. Durant ces mêmes périodes et jusqu’en avril 2016, il a aussi été question pour l’enquêtrice d’assister à quatre séances d’un groupe de travail dit « retour d’informations aux patients/participants », lequel avait pour objectif de mettre en place un premier processus de restitution des informations cliniques qui résulteraient des projets de recherche menés sous consentement général. Entre octobre 2015 et février 2016, huit journées d’observation directe des activités des équipes « unité consentement général » et « unité laboratoire pré-analytique » ont été menées, quatre jours au sein de chaque équipe. Ces observations, systématiquement reportées dans un journal de terrain, visaient à documenter leurs pratiques de travail, attentives aux savoirs et savoir-faire qu’elles impliquaient.

14En novembre 2015, date de l’ouverture officieuse du sSRC, une rencontre a été organisée avec sa nouvelle directrice opérationnelle, laquelle visait à renégocier la présence de l’enquêtrice sur le terrain et à fournir les garanties d’anonymat des personnes suivies et entretenues dans le cadre de son étude ainsi qu’une non-communication de ses résultats hors contexte scientifique. Enfin, entre avril et juin 2016, six entretiens supplémentaires ont pu être menés auprès du directeur et des anciennes et/ou actuelles directrices et responsables de la BIL-sSRC. Ces entretiens se sont structurés en trois parties : une première partie portant sur le contexte d’insertion de la BIL (trajectoire préalable des enquêtés et travail effectué en son sein, ce tenant compte des principaux acteurs qu’il leur avait fallu convaincre et/ou associer et de difficultés et/ou imprévus qu’il leur avait fallu surmonter pour assurer le fonctionnement et le déploiement de la biobanque) ; une deuxième partie portant sur son contexte de promotion (ses projets de développement et certains des enjeux/défis que ces projets soulevaient) ; enfin une succincte partie destinée à sa qualification par les enquêtés (ce que représentait la biobanque pour eux).

Méthode de restitution de l’enquête dans le texte

15Tout au long du présent article, nous aurons recours à une convention d’écriture particulière : toute citation extraite du journal de terrain prendra la forme italique et devra se distinguer des citations entre guillemets, seuls à assurer aux mots qu’ils enserrent le statut de verbatim.

16En outre, nous aurons recours à la figure de style des personnages fictifs, des personnages non pas sortis de l’imaginaire de l’enquêtrice mais composés à partir de ses observations de terrain. Cette figure de style aura présenté l’avantage : d’une part, de prévenir tout potentiel de surveillance-réprimande de la part du management à l’encontre de son équipe et, d’autre part, de préserver, parallèlement à l’enchaînement des actions, ces instants de care, apparus à l’enquête, logés dans le détail et distribués entre les enquêtés. Une telle composition aura consisté à passer outre les légères variations constatables dans le déroulement des actions, pour ne plus garder que les régularités, le paysage des choses et l’atmosphère des situations, en prenant soin de mettre entre crochets { } les instances enrôlées dans le cours des actions (comme en scansion, une forme donnée à lecture mais qui est aussi celle de l’infrastructure).

En suivant ses agents opérationnels

« […] With content and form thoroughly entangled, he enacts what he describes, sometimes to such an extent that the voice of the author and the voice of his informant are difficult to separate. »
(Schrader, 2015, p. 678)

17La présente section se structurera en quatre séquences intitulées « Screening », « Dans les étages », « Enregistrement des données » et « Routine » ; quatre séquences retraçant les grandes étapes du travail porté par les agents opérationnels de la biobanque hospitalière étudiée.

1re séquence : « Screening »

18Huit heures du matin. Commence la journée des assistants médicaux de l’unité consentement général. Au programme : procéder au screening des différentes bases de données de l’hôpital de façon à déterminer qui parmi les patients entrants au CHUV peut faire l’objet d’une présentation du consentement général et/ou d’une prise de sang pour la biobanque. Six étages du bâtiment hospitalier principal sont concernés, représentant plus d’une vingtaine de services. Pour donner à voir les gestes qu’implique cette première étape dite du screening, ainsi que les deux suivantes, nous prendrons appui sur la pratique d’Audrey, assistante médicale, figure d’une composition des pratiques effectives observées parmi les assistants médicaux de l’unité consentement général lors de nos quatre journées de suivi en leur compagnie.

19CHUV, bâtiment de la Maternité, bureau de l’équipe unité consentement général. Audrey, assise à sa place de travail, regarde sa feuille d’attribution de la semaine préparée à l’avance par la cheffe d’équipe. Au programme aujourd’hui, deux étages comprenant trois services d’hospitalisation. Sur son écran de gauche, Audrey ouvre {Appsec}, la bibliothèque des applications sécurisées du CHUV. Elle entre son nom d’utilisateur et son mot de passe. Les différentes applications s’affichent à l’écran sous forme d’onglets. Elle sélectionne {Datawarehouse}, la base de données regroupant toutes les personnes hospitalisées, et au bout de quelques clics parvient à deux listes PDF correspondant aux patients candidats pour le consentement général. Elle en commande une impression. Elle fait ensuite de même avec {Digistat}, la base de données regroupant toutes les planifications d’opération. Sur son écran de droite, elle ouvre un dossier personnel et en extrait un fichier Excel, sa feuille de route de la semaine. Elle sélectionne l’onglet correspondant au bon jour, {jeudi}. S’affichent déjà à l’écran les patients « reprises », à savoir :

  • des patients que l’on a déjà rencontrés, à qui l’on a déjà présenté le consentement général, mais qui voulaient réfléchir ou en discuter avec leur famille avant de donner leur réponse ;
  • des patients que l’on avait prévu de rencontrer mais qui étaient absents de leur chambre au moment des visites répétées de l’assistant médical, car en examen, aux toilettes, ou Dieu sait où ;
  • des patients que l’on avait prévu de rencontrer mais qui dormaient ou qui étaient aux mains du personnel soignant au moment des visites de l’assistant médical ;
  • des patients que l’on a reportés d’office, à trois jours après leur arrivée au CHUV, suivant la demande de certains de ses services, les considérant trop fragiles, à savoir déjà trop sollicités d’un point de vue médical, ou faisant déjà l’objet de projets de recherche spécifiques.

20Sur son écran de gauche, Audrey ouvre {Axya}, la base de données regroupant tous les dossiers administratifs des patients de l’hôpital. Depuis sa feuille de route, écran de droite, elle copie-colle un à un les IPP (Identifiants Permanents des Patients) de ses « reprises » sur {Axya}. Une émoticône en forme de lit s’affiche à l’écran permettant de savoir si le patient se trouve toujours au sein du bâtiment hospitalier. Lorsque le lit est vert, c’est qu’il est encore occupé. Dans tous les cas, Audrey sélectionne l’onglet {Localisation} lui permettant de s’assurer de la présence ou de l’absence du patient (à savoir son service d’hospitalisation) et d’obtenir parfois même son numéro de chambre. Bien souvent, ce dernier n’est pas disponible à l’avance et pour cause, les fréquents déplacements de chambre au sein du bâtiment hospitalier, presque toujours saturé. Audrey sélectionne ensuite l’onglet {Questionnaire} pour s’assurer du statut du patient : a-t-il déjà été rencontré pour le consentement général ? Oui – non ; a-t-il accepté le consentement général ? Oui – non ; une prise de sang lui a-t-elle été effectuée ? Oui – non. Si le patient n’a pas encore été rencontré, Audrey commande depuis {Axya} deux impressions de la feuille de consentement général, l’une pour l’unité, l’autre faisant office de « copie » pour le patient. Audrey commande également une impression d’étiquettes en vue de la prescription d’un prélèvement sanguin généralement effectué juste après la rencontre du patient et pour autant que ce dernier ait accepté le consentement général.

21Sur sa feuille de route, écran de droite, Audrey : (a) supprime les patients reportés mais finalement sortis de l’hôpital, (b) applique un pot de peinture rose aux patients reportés, toujours à l’hôpital et qu’il lui faut rencontrer, (c) un pot de peinture vert aux patients reportés, toujours à l’hôpital et pour lesquels il lui faut organiser une prise de sang. Si tant est qu’ils lui sont donnés, Audrey saisit les numéros de chambre des patients à rencontrer. Sous {commentaires}, elle note également les raisons de leur report ; tel patient avait souhaité prendre le temps de discuter du consentement général avec ses enfants, tel autre étant mal voyant attendait de pouvoir le remplir avec son épouse, etc. Dans tous les cas, il valait mieux s’en rappeler pour assurer une rencontre plus personnelle et éviter tout dérangement inutile au patient ; car enfin, celui-ci n’était pas un numéro.

22Au tour des nouvelles entrées. Audrey glisse sur son écran de gauche les PDF préparés en début de matinée, les listes des patients candidats. Elle copie-colle l’IPP, le code-barres, le nom et le prénom de chaque patient sur sa feuille de route, écran de droite ; puis entre manuellement, aidée de macros, le service, la collection et la provenance des patients (hospitalisation, consultation ambulatoire ou bloc opératoire ; en urgence ou en électif). La provenance des patients est une information importante pour les assistants médicaux puisqu’elle détermine la manière dont ils prépareront les pochettes accompagnant la prise de sang. Ainsi pour exemple, rapportera Audrey, au bloc opératoire ambulatoire, la pochette est déposée directement au desk ; au bloc opératoire principal, la pochette est déposée dans le dossier patient directement situé dans le service concerné. Un exemple parmi d’autres qui illustre le fait que l’unité consentement général a dû travailler à s’adapter au fonctionnement pluriel d’un hôpital lui préexistant depuis bien longtemps.

23Audrey ouvre ensuite {Axya} sur son écran de gauche. Copie-colle l’IPP de chaque patient se trouvant sur sa feuille de route. Enclenche {Questionnaire} puis {Localisation} : même procédure que dans le cadre des patients reportés. Aussi jette-t-elle un œil sur l’âge, la profession, voire encore l’adresse de ses patients, tout ce qui permettrait de se situer un peu avant d’aller les rejoindre en chambre ou box de consultation. Un troisième et dernier onglet {Agenda} est visité. Il concerne les patients prévus pour une opération, déterminant pour en connaître l’heure et donc la tranche horaire durant laquelle pourront se faire la rencontre et le dépôt de la pochette.

24Au final et comme à l’accoutumée, ce sera pour Audrey plus d’une quinzaine de patients à rencontrer et/ou pour lesquels il lui faudra organiser une prise de sang. Sans compter parfois d’autres tâches, telles que l’organisation d’envois postaux ou encore la prise en charge de « volontaires externes », à savoir des personnes n’étant pas des patients du CHUV mais des citoyens de la région souhaitant participer aux projets consentement général et biobanque, la première étape dite du « screening » s’arrêtera ici.

25Il est dix heures, heure idéale pour aller à la rencontre des patients hospitalisés, lesquels viennent tout juste de recevoir leurs soins et n’ont pas encore leur famille en visite (les visites n’étant autorisées que durant l’après-midi). Avant de partir dans les étages, quelques derniers préparatifs : archiver ses listes intermédiaires imprimées au cours de la matinée, mettre sa blouse blanche, vérifier sa boîte mail – au cas où le laboratoire informerait de la nécessité de « reprogrammer la prise de sang d’un patient », car parvenue de manière non conforme, c’est-à-dire coagulée, en quantité insuffisante ou encore hors délai – et préparer son classeur de route comprenant : a) les feuilles de consentement général (originale et copie marquée d’un tampon) des patients prévus pour une présentation, glissées dans les brochures officielles de l’unité ; b) quelques exemplaires de feuilles de consentement général en langue étrangère au cas où le patient ne comprendrait pas bien le français ; c) quelques réserves d’enveloppes préaffranchies au cas où le patient préférerait prendre le temps de réfléchir et renvoyer son consentement général par poste ; d) les pochettes des patients pour lesquels un prélèvement a été prévu et dans lesquels se trouvent une feuille de bon de laboratoire (spécifiant le type de prélèvement à effectuer) et une monovette – autocollants imprimés et accolés au bon endroit ; e) ses feuilles de route finalisées ; le tout classé dans deux fourres transparentes correspondant à ses deux étages attribués pour la journée.

26Que retenir de cette première séquence ? À suivre pas à pas Audrey dans ses tâches, il semblerait qu’aux opérations dites de screening soit aussi lié un important travail d’ajustement et d’anticipation (de situations réelles ou possibles) ; un faire-avec anticipant :

  • l’imprévisibilité d’un hôpital presque toujours saturé ;
  • la pluralité de fonctionnement de ses services ;
  • la variabilité des temporalités de ses patients (tantôt pris par leurs soins, tantôt visités, tantôt voulant prendre le temps de discuter avec leur famille avant de donner leur consentement) ;
  • les éventuels accidents de parcours de leurs échantillons (parvenus non conformes).

2e séquence : « Dans les étages »

27Direction le bâtiment hospitalier principal. Arrivée au {bon étage} et dans le {bon service}, Audrey se rend aussitôt au {desk}, l’espace réservé au personnel soignant. Elle doit réorganiser la prise de sang d’un patient. Son échantillon est parvenu au laboratoire pré-analytique en quantité insuffisante. Audrey s’arrête devant un grand caisson situé au centre de l’{espace desk}. Sur le dessus, un calendrier scotché permettant notamment de savoir si les patients sont toujours bien hospitalisés dans ledit service et de connaître si tel est le cas leur numéro de chambre. À l’intérieur, les classeurs de chaque patient, nom et prénom sur la couverture. Sans succès. Audrey longe les places de travail des infirmiers et infirmières. Le classeur du patient souhaité est entre les mains de l’un d’entre eux. Il discute avec un collègue. Audrey patiente. Quelques minutes s’écoulent. L’infirmier en question finit par se lever pour ranger le classeur. Audrey l’intercepte poliment, puis en extrait une feuille rose. Elle y annote à l’aide d’un autocollant la prise de sang pour la biobanque, 1 tube rouge 7,5ml à jeun. À planifier avant sortie et avant 16h à la réception des laboratoires du BH18 (pas la nuit, ni le week-end ou les jours fériés), inscrit la date d’aujourd’hui et ajoute un merci. Puis quelques feuilles plus loin, elle extrait une feuille d’autocollants, en prend un et le colle sur la feuille de bon de sa pochette tout juste sortie de son classeur de route, puis extrait de cette dernière deux autocollants qu’elle colle sur la monovette associée (le tout de façon à assurer le lien ininterrompu entre la feuille de bon, le patient et son échantillon sanguin). Elle relève la feuille rose de façon à la rendre visible par le personnel soignant puis referme et range le classeur. Sur sa feuille de route, elle notifie d’un vu son opération. Puis elle se rend à l’{arrière de l’espace desk} et vient ranger la pochette dudit patient dans la mangeoire dédiée à la biobanque.

28Maintenant les « présentations ». Retour à l’{espace desk central}. Pendant qu’Audrey regarde le calendrier de ses patients, pour en relever les numéros de chambre, un infirmier et une infirmière parlent à portée de voix : Tiens c’est la Bio ! Tu pourrais faire ça comme travail. – Hum, ouais, non. Moi, c’est pour les soins que je me suis engagé. Rires. Audrey reste rivée sur sa feuille de route et sourit un peu crispée à l’enquêtrice. Elle a pu relever presque tous les numéros de chambre de ses patients, sauf un. Il n’y a plus qu’à demander à la secrétaire. Pas de secrétaire en vue. Un coup d’œil rapide sur son calendrier personnel, scotché à sa place de travail. Non plus, bon, il faudra revenir plus tard. Pas la peine de déranger tout le staff. Soudainement un proche de patient : Excusez-moi, ma femme est en consultation actuellement. Savez-vous où je pourrais la trouver ? Audrey : Je ne suis pas du personnel soignant. Le patient semble faire mine de ne pas comprendre. Audrey : Mais je peux demander pour vous. Elle se dirige vers l’infirmière la plus proche. Lui rapporte la demande. L’infirmière se lève, répond au patient puis à l’adresse d’Audrey : Ce n’est pas un service de consultation ici ! En route pour la {première série de chambres}.

29Audrey jette un coup d’œil sur sa feuille de route puis lève les yeux sur le rebord gauche de l’embrasure de porte de sa {première chambre}. S’y trouvent généralement inscrits les noms de ses « résidents ». C’est le bon patient, elle se spraie les mains de désinfectant puis entre. Quatre lits se trouvent dans la pièce. Au-dessus de chaque lit, un bout de papier indiquant les noms et prénoms des patients. Le patient qu’Audrey souhaite rencontrer n’est pas dans son lit. Elle sort. {Deuxième chambre}, le patient dort. On pourrait le réveiller mais Audrey trouve plus judicieux de revenir plus tard. Dormir ainsi à poings fermés, en pleine journée, c’est que le patient se remet probablement d’une lourde opération. Il pourrait ne pas avoir toutes ses facultés, aussitôt réveillé. {Troisième chambre}, à nouveau, patient absent. Ce doit être l’heure des examens. Audrey décide de {changer d’étage}.

30Direction le {desk}. {Bureau de l’ICUS}, l’Infirmier Chef d’Unité de Soins. Dans ce service, il a été convenu qu’Audrey demande l’avis d’un soignant concernant la capacité de discernement des patients qu’elle souhaite rencontrer. Du reste, même si le service n’en a pas exprimé le besoin et si l’ICUS est disponible, mieux vaut toujours le consulter. Et s’il n’est pas là, au moins s’annoncer préalablement aux infirmières de service. Audrey frappe à la porte. L’ICUS l’invite à entrer. Elle lui tend sa feuille de route, l’ICUS y jette un œil et répond du tac au tac : oui, oui, oui, et non, parce que ce patient a un retard mental et que l’on ne comprend pas un mot de ce qu’il dit. Audrey remercie l’ICUS et notifie sa feuille de route en fonction de ses commentaires : « temporairement non éligible ». Retour au {desk}, caisson central, calendrier, relevé des numéros de chambre. Deuxième série.

31Dans ce service, pas de papier dans l’embrasure des portes indiquant les noms et prénoms des patients, parfois même pas de bouts de papier au-dessus des lits. Audrey n’a plus qu’à deviner en fonction de l’âge ou de la consonance du nom de famille de son patient et à lui demander oralement confirmation. {Quatrième chambre}. Une patiente âgée, allongée sur son lit. Audrey lui serre la main, se présente et lui demande si elle dispose d’un peu de temps. La patiente répond positivement. Audrey commence sa présentation.

32

Je suis collaboratrice de recherche au CHUV. Je ne sais pas si vous le savez, mais au CHUV ont lieu à la fois des activités de soins et de recherche. C’est dans le cadre de la recherche que je viens vous voir [temps de pause, regard sur la patiente]. Je représente l’unité consentement général dans le cadre de laquelle a été mis en place un consentement qui, si vous l’acceptez, permettrait la conservation et la réutilisation des échantillons et des tissus récoltés dans le cadre de vos soins et autrement détruits à l’heure actuelle. Aussi notre unité a-t-elle mis en place une biobanque, à savoir des collections d’échantillons de sang qui permettront de promouvoir la recherche, notamment génétique, et des avancées dans la médecine, telle la mise au point de traitements plus ciblés, de nouveaux médicaments… Si vous acceptez ce consentement général, ce que l’on vous demanderait alors aussi, c’est de pouvoir vous prendre un tube de sang comme ça [sort de sa poche un exemplaire de monovette] en même temps que les autres prélèvements prévus dans le cadre de vos soins [temps de pause]. Cet échantillon de sang supplémentaire serait ensuite transformé en données non génétiques et génétiques qui ne seraient transmises à des chercheurs que sous forme codée et après avoir reçu l’aval d’un comité d’éthique. Seule notre unité pourra retrouver votre identité et elle ne le fera que si une information se révèle utile pour votre santé. Que si l’on peut faire quelque chose d’un point de vue préventif ou curatif [temps de pause]. Seriez-vous intéressée à participer ?

33La patiente qui jusqu’alors s’était montrée attentive, hochant par moment de la tête, répond à nouveau positivement. Si c’est pour la recherche, oui, je veux bien. Audrey sort alors la brochure et les deux feuilles de consentement général adressées. Elle lui demande si elle peut écrire. La patiente confirme, lui demande un peu d’aide pour se redresser, puis un stylo. Audrey s’exécute puis reprend son classeur en main, feuille de consentement général sur le dessus, l’originale aux mains de la patiente. Elle lui explicite une à une les cases à cocher de la feuille de consentement.

34

C’est dit sous forme codée, c’est-à-dire que vos échantillons et vos données ne seront ni conservés ni transmis avec votre identité.
Cette case, c’est si vous souhaitez que l’on vous informe si l’on trouve quelque chose d’utile pour votre santé. La patiente : qu’est-ce que vous me conseilleriez ? Audrey sourit gênée puis reprécise le concept de retour des résultats : si au moment des analyses, l’on trouvait quelque chose d’utile pour votre santé, quelque chose que l’on pourrait prévenir ou guérir, est-ce que vous souhaiteriez le savoir ?
Cette case, c’est si vous souhaitez être tenue informée par newsletter des activités de notre unité. Si oui, vous pouvez noter votre adresse e-mail ici. La patiente : ah non, c’est bon… Audrey : du reste, vous pouvez toujours vous tenir informée en allant sur notre site Internet dont vous trouverez l’adresse au dos de cette brochure.
Cette case enfin, vous pouvez l’ignorer. C’est si jamais vous n’aviez pas souhaité la réutilisation sous forme codée, mais étiez d’accord pour une réutilisation sous forme anonyme. Mais dans ce cas, nous ne pourrions plus remonter à vous et donc vous faire un retour d’informations utiles pour votre santé…

35Lieu, date, signature. Pendant que la patiente coche les cases, Audrey veille à recopier les informations sur la feuille de consentement général « copie » destinée à la patiente. Elle lui la tend pour signature, la remercie et lui laisse copie et brochure, lui réindiquant les coordonnées de l’unité à son dos. Puis ajoute : sachez que votre consentement est en tout temps révocable, il suffit de nous contacter. De même si vous aviez des questions qui vous venaient. Nous sommes à votre disposition. Une dernière question pour les statistiques. Qu’elle est/était votre profession ? Votre niveau d’études ? Pour Audrey, une question souvent délicate qu’elle préfère parfois faire passer sous le compte d’une étude sur les liens entre environnement social et santé, lorsqu’elle sent le ou la patiente gênée. Mais par moment, au contraire, le ou la patiente y voit une ouverture à la discussion. Raisons qui ont poussé à quitter le pays d’origine, nombre de petits-enfants, avis concernant le nouveau restaurant bâti au sortir de l’autoroute, tout près de chez soi, on écoute les récits de vie des patients parce que bien souvent on est les seules personnes avec lesquelles ils peuvent discuter ; au CHUV, infirmiers, médecins, aides-soignants, tout le monde est débordé.

36{Cinquième chambre}, une femme, sur son lit mais redressée. Audrey commence sa présentation. La patiente se rétracte physiquement, fronce les sourcils. Arrive la question : seriez-vous intéressée ? La patiente, d’une voix quelque peu tremblotante, comme s’excusant : j’ai beaucoup participé pour la recherche, mais là non, je ne veux plus. Et puis avec un consentement de ce type, on ne peut même plus contrôler le genre de projets qui s’en dégage. Sans parler qu’aucune retombée personnelle n’est garantie… Non, je ne veux pas participer. Audrey dit tout à fait comprendre, la remercie pour son temps et s’en va. Pour elle, c’est un refus clair. La plupart du temps, les patients n’osent même pas dire non. Ils restent muets. Je leur dis qu’ils peuvent refuser. Mais en général, ils préfèrent dire ben laissez-moi la documentation… je ne sais pas trop là. Je leur laisse donc brochure et copie du consentement général et je leur propose de venir le lendemain ou quelques jours plus tard. On les reporte et pour autant qu’ils soient encore à l’hôpital les prochains jours et dans un service attribué à l’un des membres de l’équipe. Donc oui, concernant cette dernière patiente, c’était clairement un refus.

37{Sixième chambre}, un homme, sa fille adulte en visite. Après s’être présentée, Audrey demande si la famille a un peu de temps à disposition. La fille : oui, oui. Audrey commence sa présentation, la fille du patient se met en retrait. Quant au patient lui-même, l’on sent bien une difficulté à se concentrer, comprendre les informations transmises. Et puis demain, une caméra va lui être insérée dans la gorge pour un projet de recherche justement. Audrey : pour la recherche ou plutôt dans le cadre de vos soins ? Le patient ne sait répondre. Audrey propose de ne pas déranger plus longuement et de revenir plus tard. Pour moi c’est une personne temporairement non éligible. Un indice en plus, c’est cette histoire de caméra dans la gorge. Je vérifierai, mais à mon avis, vu son âge, il s’agit d’une procédure de soin.

38Audrey retourne à l’{espace desk}. Elle souhaite organiser la prise de sang de la patiente ayant tout juste consenti. Debout contre le caisson central, une infirmière arrive, bougonnante : est-ce que vous ne pourriez pas faire ces prescriptions le matin ? On les fait normalement toutes au matin dans ce service ! Audrey tente d’expliquer pourquoi la prescription ne peut être organisée avant. Puis intervient soudainement l’ICS, l’Infirmière Cheffe de Service : ça suffit, on a assez parlementé. C’est comme ça. L’infirmière retourne rapidement à sa place de travail, toujours bougonnante. Audrey échange deux mots avec l’ICS puis s’en va le cœur un peu battant. Une interaction comme celle-ci avec le personnel soignant, pas la première fois. Certes le projet biobanque et plus généralement le projet consentement général représente une tâche en plus dans leur agenda, pas toujours au mieux adaptée, mais il y a d’autres raisons à cela. Notamment le fait que la recherche, ce n’est pas toujours bien vu par tout le monde. Il faut savoir qu’au CHUV beaucoup de recherches sont investies, qui pèsent sur les personnes en charge des soins des patients et parmi elles, nombreuses sont celles finalement avortées, faute de financements…

39Retour à l’{étage précédant}. {Première chambre}. Le patient désormais là. Audrey commence sa présentation. Le patient l’interrompt : j’ai déjà signé, j’ai déjà accepté. Audrey : Ah oui ? Êtes-vous sûr ? Il y a beaucoup de feuilles de consentement qui circulent. C’est peut-être pour un autre projet de recherche plus spécifique que vous avez donné votre accord ? Le patient : non, non. Attendez, je vais peut-être retrouver la copie dans mon tiroir. Il cherche, sans succès. Audrey : c’est étrange… Et qui vous a présenté le consentement ? Le patient : l’anesthésiste, je crois… Audrey : Ok. Seriez-vous néanmoins d’accord de revoir ça avec moi ? C’est d’accord pour le patient. En sortant, Audrey se rend au {desk} demander à la secrétaire de plus amples informations. La secrétaire n’en a pas la moindre idée. Audrey ouvre le classeur du patient tout juste rencontré. Un consentement général s’y trouve, dûment rempli et signé. Audrey : Quelle drôle d’histoire. Elle verra ça plus tard avec la cheffe d’équipe.

40La séquence ‘Dans les étages’ dans les services d’hospitalisation suivra son cours. Sur les dix patients prévus d’être rencontrés, cinq patients auront consenti, un patient aura refusé, deux patients auront été notifiés temporairement non éligibles et deux patients auront été reportés (le patient était absent, etc.). Audrey : toutes les journées ne sont pas toujours comme ça, mais des fois… tant de travail pour si peu de patients.

41Que retenir de cette seconde séquence dite « Dans les étages » ? À nouveau, à suivre de près Audrey, il semblerait qu’aux opérations de récolte des consentements et de prescription des échantillons sanguins soit aussi associé un important travail situé d’écoute et d’ajustement ; un faire avec la variabilité des dispositions et des disponibilités :

  • du personnel soignant des étages (infirmiers, ICUS, ICS, secrétaires) qu’il vaut mieux tantôt consulter, tantôt ne pas déranger, mais vis-à-vis duquel on se montre toujours patient et compréhensif (vis-à-vis de leurs revendications, de leurs blagues, parfois peu respectueuses de son travail) ;
  • des patients, tantôt dormant à point fermé, tantôt fronçant le sourcil ; mais assurément que l’on écoute et dont il s’agit de donner un sens aux récits, aussi surprenants qu’ils soient (consentement co-signé par l’anesthésiste, caméra en gorge pour une recherche).

3e séquence : « Enregistrement des données »

42Direction la Maternité, bureau de l’unité consentement général. Audrey de retour à sa place de travail trie ses feuilles de consentement : ont accepté / ont refusé / sont reportés. Elle va scanner les consentements acceptés et/ou refusés après les avoir tamponnés. Sur son ordinateur, elle ouvre un dossier personnel et y enregistre en version PDF les consentements scannés à l’instant, libellés en fonction des noms et prénoms des patients. Puis elle lance sur son écran de gauche le logiciel {Sapphire}, la base de données utilisée pour enregistrer les consentements généraux. Entre son nom d’utilisateur et son mot de passe. Sur son écran de droite, {Axya}. Munie d’un barres-code scanner, elle entre l’IPP inscrit sur sa première feuille de consentement général. Une nouvelle page s’ouvre sur {Sapphire}. Elle entre manuellement aidée de macros : la nationalité du patient, son ethnie (Caucasien/Noir/Asiatique…), sa formation et sa profession. Là le patient a dit qu’il avait fait le gymnase, mais vu sa profession, conducteur de poids lourds, peut-être plutôt le gymnase voie Maturité professionnelle ? La catégorie n’existe pas. Audrey demande aux autres membres de l’équipe présents que faire. Personne ne sait. Bon… On nous a dit de mettre ce que le patient disait. Je vais donc cocher gymnase. Pour Audrey, inutile de rester bloquée. Cela fait partie du métier, il faut de temps en temps avoir un peu de jugeote et de débrouille, savoir s’ajuster à des situations qui, bien que répétitives, présenteront toujours un degré d’indétermination.

43Audrey poursuit sa saisie : entrée de ses initiales, date, collection, type de consentement et statut (oui – non – reporté), modalités cochées du consentement, adresse mail du patient pour autant que ce dernier ait accepté de recevoir les newsletters, lieu de signature du consentement, raisons invoquées par le patient en cas de refus ou report, numéro de visite (barres-code scanner), institution, service. Toujours sur la même page {Sapphire}, Audrey ajoute finalement le consentement scanné et vérifie qu’il s’agisse du bon patient. D’autres données seront automatiquement importées dans {Sapphire} depuis la base de données {Axya}, tels que le pays d’origine, la date de naissance, le statut marital ou encore la région de résidence du patient. Audrey répétera l’opération pour chaque patient inscrit sur ses feuilles de route. Elle copie-collera ensuite ses patients reportés sur ses feuilles de route des prochains jours, en vérifiant sur {Axya} qu’ils soient bien toujours au sein de l’hôpital d’ici demain, voire après-demain et dans un service attribué à un des membres de l’équipe. Tous les consentements acceptés et/ou refusés seront ensuite glissés dans une mangeoire dénommée CAM (centre des archives médicales), les consentements reportés dans un caisson spécialement dédié, placé au centre du bureau.

44Brève troisième séquence, mais tout de même, qu’en retenir ? Suivant toujours de près Audrey, il semblerait qu’aux dites opérations d’enregistrement des données soit imbriqué là encore un travail d’ajustement, un savoir être-souple à l’encontre des imprécisions du logiciel Sapphire, mais aussi un savoir être-rigoureux (contrôles réitérés de la correspondance entre consentements signés et patients).

4e séquence : « Routine »

45Pour donner à voir les gestes qu’implique cette dernière séquence dite de « Routine », nous prendrons appui sur la pratique de Camille, technicienne de laboratoire, figure d’une composition des pratiques effectives observées parmi les membres de l’équipe unité laboratoire pré-analytique lors de nos quatre journées de suivi en leur compagnie.

46CHUV, PMU, Policlinique médicale universitaire, laboratoire pré-analytique. Sept heures et demie du matin. Camille, assise à sa place de travail, {ouvre} sur son écran de gauche la base de données Molis dédiée au suivi des prélèvements opérés au sein de la cité hospitalière ainsi qu’à l’enregistrement des analyses effectuées sur ces derniers. Deux nouvelles arrivées pour la biobanque s’affichent à l’écran. Elle en {avertit} son collègue, lequel reviendra cinq minutes plus tard, pochettes en main. C’est que le département des laboratoires est situé treize étages plus haut. On s’y rend cinq fois par jour, en gros toutes les deux heures. Pendant ce temps, Camille {ouvre} Sapphire, {entre un à un} les IPP des patients correspondants et {vérifie} qu’ils aient bien consenti :

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ça peut arriver que le patient ait finalement révoqué son consentement ou bien que le patient n’a finalement pas pu être rencontré ou même qu’il a refusé… Oui parce que dans certains services ambulatoires de même qu’aux Urgences, on doit organiser la prise de sang avant la présentation du consentement. Du coup on reçoit parfois des échantillons qu’il nous faut détruire tout de suite [cas du refus ou de la révocation] ou un à deux mois plus tard [cas non rencontré].

48Feuille Excel, onglet « patients prélèvements ». À partir du logiciel Molis, Camille {génère} les informations des échantillons tout juste réceptionnés : IPP, Nom-prénom, Service, Date, Heure et lieu de prélèvement, Date et heure de réception au département des laboratoires, puis manuellement Date et heure de réception au laboratoire pré-analytique. Elle {place} ensuite une à une les monovettes dans un rack orange, par ordre alphabétique, et après avoir {estimé} à vue de nez leur volume respectif :

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dans certains services, ils collent toujours les étiquettes tout le long de la monovette, on ne peut plus y lire les volumes, faut alors soigneusement décoller et recoller, et avant la centrifugation, sinon ça devient difficile… Puis ça arrive aussi pas mal souvent qu’on reçoive des monovettes à moitié remplies voire complètement vides. Du coup on ne peut pas faire les deux buffy-coat requis. La raison ? Et bien, la prise de sang pour la biobanque hospitalière est souvent la dernière, il est donc possible que la veine du patient n’ait plus assez de sang… Après dans certains services c’est vraiment trop fréquent, là l’explication est ailleurs, mais je ne pourrais t’en dire plus. On a prévenu nos cheffes d’équipe, elles iront bientôt voir ça sur place.

50Après avoir {inséré} les volumes de chaque échantillon, {notifié} qu’il s’agissait d’une prise de sang à jeun, Camille {se lève}, rack en main et {ouvre} la centrifugeuse. Là quatre boxes avec chacun leur numéro d’attribution. Camille {range} les échantillons deux par deux par ordre alphabétique toujours, pour ne pas commencer à confondre les patients, et en pensant à bien refermer ensuite les couvercles de chaque box. La centrifugation va pouvoir commencer, 2’500 tours par minute, à vingt degrés et pendant dix minutes, grâce à quoi le plasma va pouvoir se séparer de la couche de leucocytes (ledit buffy-coat), elle-même de la couche de globules rouges.

51Camille {ferme} la centrifugeuse, {enclenche} la hotte – destinée surtout à protéger le technicien en cas d’agents infectieux mais aussi, si requis, au traitement stérile des échantillons – et vient {notifier} sur son fichier Excel l’heure de centrifugation et {entrer} son visa (ses initiales). Elle {enfile} une blouse blanche et ses gants bleus en latex. {Sort} un petit rack et un sachet rempli de « tubes 2D » (tubes à code-barres 2D) qu’elle vient {placer} dans le petit rack par rangée de quatre ou cinq, suivant le volume des échantillons {relevé} quelques instants plus tôt, et après avoir {passé leur partie inférieure au barres-code scanner}. Le code-barres de chaque tube 2D s’enregistre automatiquement sur sa feuille Excel, onglet « données échantillons ». Sur le petit rack, une inscription permettant de ne pas perdre le sens des tubes 2D, dit autrement de ne pas confondre les patients, puisqu’à chaque rangée correspond un patient. Puis Camille {commande une impression} de sa feuille Excel, sa « feuille de routine », y {note à la main} le numéro du petit rack à tubes 2D et sur le chemin du retour {ouvre} la centrifugeuse. Elle {replace} chaque échantillon dans le rack orange et se remet à sa place de travail {relever l’état du sang} de chaque échantillon – en contrôlant la condition du sang de chaque patient, c’est mon troisième contrôle. Vraiment au laboratoire pré-analytique peu de chance de confondre les patients – ; puis comme égayée, {rapporte} à l’enquêtrice :

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si c’est tout rouge, c’est que les globules rouges ont sauté durant la prise de sang, c’est hémolysé. On ne va pas pouvoir traiter et va falloir réorganiser une prise de sang. Ça pourrait aussi être en raison du transport, mais maintenant qu’on n’utilise plus les pneumatiques, c’est peu probable. Quand le plasma est vert comme ça, c’est probablement que le patient a suivi un examen, on utilise souvent du bleu de méthylène alors… De même, quand c’est jaune laiteux comme ici, c’est probablement un patient lipémique, quelqu’un dont le corps contient trop de graisses. Chez les lipémiques, la couche leucocytaire est plus difficile à prélever. Au contraire des personnes avec un syndrome inflammatoire où la couche de « leuco » est bien plus grosse…

53Camille {place} le rack orange et le petit rack à tubes 2D sous la hotte. L’aliquotage des échantillons peut commencer. Des 7,5 ml de sang compris dans l’échantillon, l’on va extraire 3x400 microlitres de plasma et 2x250 microlitres de buffy-coat. Camille se {munit d’une grande pipette} qu’elle {règle sur 400}. Elle la {charge} d’un embout externe à usage unique disposant d’un filtre pour ne pas que ça s’infiltre dans la pipette. Elle {plonge} ce dernier dans la monovette et {répartit} le contenu dans les trois premiers tubes 2D. Elle {jette} l’embout dans une petite poubelle de hotte, {pose} sa pipette et {ferme} les tubes à l’aide de bouchons jaunes. Elle se {munit} ensuite d’une petite pipette à l’aide de laquelle elle vient {prélever} et {jeter} le surplus de plasma puis {délicatement prélever} la couche de leucocytes. Délicatement car la couche est en faible quantité et très fragile, ça se mélange facilement aux globules rouges. D’ailleurs si tu y vois des filaments en relief, c’est que le sang a coagulé, qu’on n’a donc pas bien secoué le tube pour que l’anticoagulant fasse effet. On ne va pas pouvoir traiter et puis ça boucherait la pipette. Le tout dans le quatrième tube 2D. Elle {reprend} ensuite sa grande pipette, munie d’un nouvel embout filtre et désormais réglée sur 250 et vient {répartir} la moitié du contenu du quatrième tube 2D dans le cinquième tube: faut bien mélanger le buffy-coat avant de le transvaser sinon il se met en amas et on n’aura pas les mêmes quantités de leuco dans les deux tubes. Embout filtre poubelle. Bouchons rouges. Monovette à la poubelle. Sa série terminée, Camille {ferme} le rack et le {dépose} dans une boîte de glace sèche du congélateur : du gaz compacté à très haute pression pour maintenir à – 80°C. Une fois les boîtes du congélateur pleines, celles-ci seront transférées au sous-sol dans deux grands congélateurs, l’un dit de routine, l’autre de backup, pour plus de sécurité. Camille {inscrit} sur sa feuille de routine l’heure de congélation, le numéro du bac de congélation et la position occupée par chaque tube 2D. Plus qu’à {reporter} toutes ces informations sur le fichier Excel et à {l’importer} sur Sapphire : les données s’importent automatiquement, heureusement. Enfin, {reprogrammer} les prises de sang des patients dont les échantillons seraient parvenus en quantité insuffisante, voire ne seraient pas parvenus du tout, ou sans étiquette nominative, hors délai, ou encore coagulés. Camille {ouvre} sur son écran de gauche Axya, {entre} les IPP des patients dont les échantillons de sang sont problématiques, et {vérifie} qu’ils soient toujours au CHUV. Si tel est le cas, elle {envoie un courriel} à l’unité consentement général en vue de re-planifier leurs prises de sang.

54Que retenir de cette quatrième séquence ? Par jour et en moyenne, sa « routine » consistera à centrifuger, aliquoter et congeler cinq à six échantillons de sang, toutes les deux heures, en y relevant minutieusement leurs données dites pré-analytiques. En plus de la routine, le laboratoire pré-analytique joue également un rôle d’Antenne consistant à réceptionner, mettre sous colis et documenter le suivi d’échantillons cliniques en provenance de toute la cité hospitalière. Ceux-ci sont ensuite récupérés par le service des transports du CHUV direction les services hospitaliers ou les laboratoires d’Épalinges.

Lecture transversale des séquences

55Les quatre séquences qui précèdent rendent compte du travail ordinaire et des multiples ajustements qu’opèrent les travailleurs de la biobanque face à la pluralité des situations, face aux inévitables aléas et imprécisions qui caractérisent l’infrastructure d’Audrey et de Camille et qui nous conduisent à qualifier de variables et de souvent fragiles les entités (personnel soignant, patients, échantillons, données et équipements) qui la composent. Ces propriétés de l’infrastructure exigent de ses travailleurs :

  • des savoir-faire spécifiques tels que l’écoute, l’ajustement et l’anticipation. Rappelons-nous d’Audrey faisant toujours preuve de respect pour le territoire expertal et/ou spatio-temporel du personnel soignant. Rappelons-nous d’Audrey faisant toujours preuve d’attention singulière pour le patient parfois accompagné par ses proches. Rappelons-nous d’Audrey comme de Camille faisant toujours preuve de rigueur souple pour leurs échantillons, leurs données et leurs équipements. Sans ces gestes discrets, répétés quotidiennement, la biobanque ne pourrait exister dans le respect de ses règles éthiques et de qualité ;
  • des savoir-faire, les mêmes, requérant aussi une compétence primordiale d’affect, des corps-émotions cherchant à faire sens. Rappelons-nous d’Audrey cherchant à comprendre l’attitude du personnel soignant et parvenant ainsi sans doute du même coup à mieux se départir de l’irrespect témoigné à l’égard de son activité – lesdites blagues du personnel soignant faisant sourire crispé. Rappelons-nous d’Audrey et de Camille se laissant embarquer par les histoires surprenantes des patients ou par les allures singulières de leurs échantillons, parvenant ainsi du même coup peut-être à dépasser le caractère répétitif de leur activité.

56Cette analyse minutieuse met en évidence un double régime de l’attention et de l’affect : un souci de maintenir ensemble avec soin des entités autrement disparates, un travail traversé d’affects, de corps-émotions cherchant à faire sens. Nous retrouvons bien ici, au prix d’un léger déplacement (de l’attachement affectif à l’affect), la notion de care telle que définie par Puig de la Bellacasa (2011).

Dans les coulisses de l’infrastructure recherche

« Contrairement au modèle disciplinaire, il n’y a pas deux temps dans la production des savoirs oppositionnels. Il n’y a pas d’abord la discussion « interne », « disciplinaire » puis, dans un second temps, la rencontre avec le « dehors ». Il n’y a pas l’élaboration de l’œuvre puis l’engagement dans l’espace public ou dans un dialogue avec les publics. Les publics sont toujours là, toujours déjà là : c’est à leur contact que les savoirs sont élaborés. Et c’est à eux aussi (pas seulement à eux bien sûr, mais à eux aussi) que, immédiatement, ils sont adressés et destinés »
(De Lagasnerie, 2017, p. 105).

57Suivant l’exigence que nous nous sommes fixée à la suite de Martin, Myers et Viseu (2015, p. 634) : « nos comptes rendus portés sur les pratiques de care en univers technoscientifiques ne devraient jamais être détachés d’une discussion de leurs politiques ou de leurs effets. » Il s’agirait donc que les chercheurs en STS « situent toujours comment et pourquoi ils portent du care » (ibid.) à leurs objets d’étude. Ceci suppose de rendre visibles les situations de travail individuelles ou collectives associées au travail de recherche. Nous proposons dès lors une lecture rétrospective de celles-ci, organisée en neuf courtes séquences retraçant la découverte des conditions de possibilité de traduction de cette exigence en pratique de recherche.

Accepter de bifurquer

58Mars 2015, l’enquêtrice entame son projet de mémoire. Tout juste initiée à la théorie de l’acteur-réseau et aux enjeux de la production des données numériques en sciences humaines et sociales, son vœu premier est celui de mener une ethnographie de laboratoire. Après bien des pas de côté, elle finit par proposer une étude portant sur les pratiques de mise en biobanque tirant parti de l’ouverture récente d’une biobanque locale ; un terrain d’enquête est donc à portée de main, il ne lui reste plus qu’à en négocier l’entrée au sein de ses laboratoires.

59Juin 2015, l’enquêtrice apprend que ladite biobanque n’en est qu’au stade de la récolte des données, lesquelles ne sont pour l’instant que des échantillons sanguins accompagnés de quelques données personnelles et pré-analytiques. Aucun génome n’a encore été séquencé et aucun Datawarehouse propre n’a encore été constitué. D’un point de vue opérationnel, la biobanque ne prend appui que sur le travail de deux équipes composées d’assistants médicaux et de techniciens de laboratoire. Pour saisir l’opportunité d’une étude située, l’enquêtrice se sépare aussitôt de l’idée de mener une seule ethnographie de laboratoire et privilégie progressivement une problématique infrastructure, plus générique, comme le lui suggérera un doctorant affilié au laboratoire STS de son université. Et puis si l’enquêtrice a bien retenu une chose de la théorie de l’acteur-réseau, c’est bien l’idée qu’aucun bon compte rendu – c’est-à-dire scientifiquement valide et politiquement pertinent – ne peut se réaliser sans prise de risque, c’est-à-dire – suivant l’enquêtrice – sans inclination à la bifurcation au gré du terrain.

60Début juillet 2015, l’enquêtrice découvre Denis et Pontille (2010) et décide d’en faire sa nouvelle trame méthodologique. Présentée à ses enquêtés, celle-ci est aussitôt accueillie positivement. On y voit un projet permettant de réfléchir, de penser, de prendre de la distance avec ce que l’on est en train de faire, voire même capable de rejoindre certaines de nos problématiques. On le juge inspirant et l’on se réjouit de le lire. Un enthousiasme qui n’ira pas sans s’accompagner d’une importante disponibilité, mais aussi d’une certaine confiance et transparence : directrice, responsables et surtout assistants médicaux et techniciens se montreront prêts à lui transmettre tout ce qui peut lui être utile, constructif. Car c’est important. On est content de pouvoir participer à son mémoire, à ses études.

Se laisser aller au trouble

61Novembre 2015, nouvelle direction à la biobanque hospitalière et premier instant de trouble chez l’enquêtrice qui apprend la nouvelle inquiétante en même temps que son personnel : suivant ses dires, l’équipe unité consentement général pourrait ne pas être pérennisée, alors que la structure, elle, tout juste requalifiée de sSRC, serait sur le point de poursuivre son déploiement dans toute la cité hospitalière. La priorité serait dorénavant de mettre à l’épreuve la structure et impliquerait de réorienter les investissements en direction de projets de recherche. La nouvelle direction aurait ainsi pris la décision de transférer à terme les tâches de l’unité consentement général directement au personnel hospitalier dans un mouvement de « nécessaire optimisation ». De son côté, l’enquêtrice ne peut s’empêcher de repenser à l’attitude plutôt réfractaire dudit personnel hospitalier, observée lors de ses premières journées de suivi. Cette attitude qui ne semblait pas seulement traduire une contrariété due au fait que la biobanque hospitalière représentait « une tâche en plus dans son cahier des charges », mais aussi une posture critique. Difficile pour l’enquêtrice de ne pas prendre en compte l’existence de telles tensions sur la rentabilité et l’efficience de l’infrastructure, mettant en porte-à-faux le travail porté par les travailleurs de l’infrastructure ; un travail attentif à son inscription écologique et avisé de son caractère parfois sensiblement disputé.

62Mars 2016, « atelier doctoral » du laboratoire STS, et deuxième instant de trouble chez l’enquêtrice invitée à présenter une première mise à plat de ses matériaux de recherche. Sa communication intitulée « Étude des pratiques de recueil, stockage et gestion des bio-données » cherche à rendre manifeste le caractère instable ou fluide de l’infrastructure étudiée, et partant, la nécessité de pratiques d’entretien non purement routinières ou mécaniques, mais souples, vivantes, à l’image de ce qui s’y trouve assemblé. Or, comme l’énoncera un des doctorants présents à l’atelier : si l’on « aime beaucoup [son] type de récit qui donne à voir tout le travail assez fastidieux pour capter le vivant, [on] pense que ce travail fastidieux là a surtout son intérêt pour poser des questions plus générales ». Énonciation fâcheuse pour l’enquêtrice et à double titre : d’une part parce qu’elle ne s’arrête sur le vivant qu’en tant qu’entité, alors que l’enquêtrice souhaite avant tout parler de vivant en tant que processus, mouvement organique, vital à l’infrastructure, pouvant être menacé par des formes « managérisées » du travail ; et d’autre part, parce que parler de ce travail fastidieux là n’a pas pour seul intérêt de poser des questions plus générales (sous-entendues plus académiques), en dépendent aussi la « bonne vie » de l’infrastructure, celle de ses travailleurs et par extension, la nôtre.

63Mai-juin 2016, entretiens avec la nouvelle direction de la biobanque et troisième instant de trouble chez l’enquêtrice qui peine à suivre la section de son guide d’entretien orienté difficultés et/ou imprévus rencontrés chemin faisant. Pour toute réaction, des réponses telles que des difficultés « oh oui, tout plein, tout plein, tout plein, […] mais quelque part il faut savoir les gérer, les unes après les autres et puis surtout s’entourer des bonnes personnes » ; voire des réponses contournées jusqu’à ce que l’entretien finisse par porter sur le manque de professionnalisme de l’enquêtrice aux questions par trop générales, n’ayant juste pas « du tout le background sur le sujet ». Au-delà de la petite pique, une conviction désormais chez l’enquêtrice que le projet biobanque-consentement général se trouve couvert d’un voile d’inquiétude. N’est-ce pas là d’ailleurs la raison pour laquelle l’enquêtrice a dû, au mois de novembre, suite à l’arrivée de la nouvelle direction, s’engager à ne surtout pas transmettre de résultats hors contexte scientifique ?

Faire sens de et tenir à ses affects

64Fin juin 2016, « petit atelier » du laboratoire STS dans le cadre duquel l’enquêtrice se voit invitée à présenter l’état de ses matériaux pour un soutien à leur problématisation. Somme toute, suivant ses doctorants, l’enquêtrice ne doit pas se faire tant de souci puisqu’il ne s’agit là que d’un mémoire ; discuter, dialoguer avec deux-trois auteurs et poser une bonne question de recherche suffit amplement (« quitte à garder le reste pour la thèse »). Et puis pas besoin non plus de nous faire tout l’historique de la biobanque. Enfin, point nécessaire, vraiment, de prendre le temps de retourner sur le terrain pour présenter, discuter de son rendu final. Son attention doit plutôt porter sur ses « pairs » évaluateurs. Non décidément pour l’enquêtrice, pas possible vraiment de tourner ainsi le dos à ses enquêtés. Comme si cela du reste allait permettre l’exercice d’un style plus assis, admis. En fin d’atelier, une doctorante lui conseille la lecture de Puig de la Bellacasa (2011) ; quelques jours plus tard, l’enquêtrice découvre Denis et Pontille (2015), qui prolonge l’ouvrage de 2010 qu’il lui avait été donné de lire une année plus tôt.

65Juillet-septembre 2016, l’enquêtrice se voit peu à peu perdre sa voix et son écriture. Comme si celle-ci n’osait plus son « type » de récit. Tentatives d’écrire comme un article scientifique, plus ou moins neutre, détaché, où l’objet de connaissances se distinguerait bien du sujet de connaissances. De là une première version de travail interrogeant froidement les différents objets du care des travailleurs de l’infrastructure, avec un bref examen porté sur les possibles enjeux sous-jacents à sa relative invisibilisation. Lecture attentive des proches : « Je préférais quand même ton premier article, on était plus dedans. » Quant à son directeur de mémoire, un souci de ne pas déceler d’hypothèses claires quant à sa question de recherche. Deuxième round. Interrogation cette fois-ci des possibles motivations et conditions au care porté par les travailleurs de l’infrastructure. Pas convaincant non plus. La logique causale « simple » (manquant bien souvent de « tact ontologique » ; Despret, 2015, p. 32) n’a pas été l’objet d’une suffisante attention de l’enquêtrice. Troisième round. L’enquêtrice qui commence à perdre patience et les proches qui s’essoufflent d’en entendre parler ; son directeur se faisant insistant : mais quel est donc ce care et à nouveau, quelle est la contribution ?

66Octobre 2016, la lecture de Martin, Myers et Viseu (2015) permet à l’enquêtrice de retrouver sa voix. Plus de doute, sa contribution sera celle-là même rapportée ici : cette narration, terre à terre (qu’il lui avait été plus ou moins donné de produire quelques mois plus tôt), descriptive, minutieuse, courbe et imparfaite, suivant les gestes, porteuse d’affects ; cette narration terre à terre à partir de laquelle un care pourra ou non se révéler, d’abord décrit puis conceptualisé ; cette narration terre à terre mais aussi affectée, en mesure de se faire entendre ; ni banale ni quelconque, car combien de fois l’enquêtrice s’était entendue dire : mmh parler de care. « C’est intéressant mais… mais à quoi bon » ? – À quoi bon ? Il en va des modalités de notre vivre ensemble.

67L’enquêtrice venait donc de frayer une voie possible en portant l’exigence d’un compte rendu sur les pratiques de care en univers technoscientifique non détaché de la question de ses politiques ou de ses effets, disant comment et pourquoi elle avait porté du care.

Conclusion : comment peut-on parler de care ?

« Il n’y a pas de concepts moraux univoques qu’il ne resterait qu’à appliquer à la réalité pour délimiter des objets, mais nos concepts dépendent, dans leur application même, de la vision du “domaine”, de la narration ou description que nous en donnons, de notre intérêt personnel et désir d’exploration (ce qui est important pour nous). »
(Laugier, 2011, p. 363)

Une question de qualification du rapport aux choses mais aussi de micropolitique des affects

68En usant de la notion de care des choses pour qualifier le travail des agents de la maintenance de la signalétique du métro de Paris, Denis et Pontille ont cherché à « faire remonter à la surface » une dimension largement négligée des infrastructures, à savoir leur caractère fragile, vulnérable et, ce faisant, la « quantité considérable de travail » nécessaire à leur (re)production (Denis & Pontille, 2013, p. 19) ; un travail consistant non pas en une série d’opérations exécutées mécaniquement (sans capacité réflexive) mais reposant sur la conduite d’une véritable enquête « traitant la signalétique non pas comme une suite d’items isolés et ordonnés de façon définitive, mais comme faisant partie d’une écologie [socio-] matérielle complexe » (Denis & Pontille, 2013, p. 10).

69Ce que la perspective d’une étude embarquée des travailleurs de l’infrastructure a permis de révéler est l’idée que l’« ordre des choses » [comme ordre social situé] se présente moins comme donné et structurant que sans cesse (re)joué, négocié, en situation (Strauss, 1992). De là l’importance donnée au fait de qualifier le travail de cesdites « petites mains » aux prises avec l’infrastructure, par des termes comme « engagement matériel et corporel, vision qualifiée, adaptation, sens de la situation, capacité d’anticipation, improvisation, dévouement, discrétion, délicatesse ou encore minutie » ; des qualificatifs que l’on retrouve dans les études portées sur le travail invisible des « petites mains », notamment des biobanques et autres bases de données (voir par exemple : Pontille, 2006 ; Heaton & Proulx, 2012).

70Ce qui nous semble néanmoins avoir été peu traité par ces travaux est la part d’affects enchevêtrés dans ce travail, difficile à appréhender sans aussi engager les affects de l’enquêtrice quand il s’agit du care. Les corps des travailleurs de l’infrastructure, saisis habituellement à travers leurs gestes (ce que l’expression de « petite main » laisse transparaître) sont pourtant aussi des corps traversés d’émotions. Nombreuses sont celles que nous avons rencontrées au cœur de notre enquête : des émotions saisies, engagées dans un travail de raison, un vouloir faire sens, participant dès lors, elles aussi, au « maintien de la baraque » ; des émotions émergeant de moments de trouble, de moments d’altercation, voire d’indignation ; des émotions composantes d’un travail de care qui n’aurait plus grand-chose à voir avec le sentiment d’apaisement, de satisfaction, de protection et de soin avec lequel certains pourraient être tentés de confondre la notion (Molinier, 2010, p. 11). À ce travail de care-là pourrait même s’identifier une certaine forme de colère contenue, une « belle colère » dirait Marielle Macé : cette colère « où s’articule une certaine intensité d’attention, une vigilance presque procédurale quant aux formes si multiples de la vie et aux véritables idées qui s’y engagent » ; cette colère « contre les bâclages et les inattentions de tous ordres » ; cette colère qui est aussi ce « qui me dit (et c’est parfois une surprise), ce à quoi je tiens, ce pour quoi je suis prêt, prête, à m’engager, à entrer dans l’arène des conflits, des incertitudes et des justifications » (Macé, 2017, pp. 32-34).

71Ainsi défini, ce care désigne tout autant le travail du chercheur, sur le terrain jusqu’à sa restitution (suivant un principe de continuité des attachements). L’exploration ethnographique du care des choses, partant de l’infrastructure biobanque s’étend nécessairement à l’infrastructure recherche, conduisant à une forme d’expérimentation totale d’ethnographie située. Cette expérimentation constitue un certain style méthodologique reposant sur une démarche inductive forte, qui n’entend pas seulement confronter les enquêtés à des questions, mais au problème même de l’enquête (Despret & Stengers, 2011, p. 98) ; un parler non pas « sur » mais « avec » les enquêtés et impliquant dès lors un compte rendu capable de circuler tel quel au sein de leur univers ; c’est-à-dire un compte rendu sous la forme d’une narration affectée, intelligible, délicate dans ses énonciations mais susceptible de révéler les agencements enfouis dans l’ordinaire des tâches.

72

« Je crois qu’une vie est en effet inséparable de ses formes, de ses modalités, de ses régimes, de ses gestes, de ses façons, de ses allures… qui sont déjà des idées. Que pour un regard éthique, tout être est manière d’être. Et que le monde, tel que nous le partageons et lui donnons sens, ne se découpe pas seulement en individus, en classes ou en groupes, mais aussi en « styles », qui sont autant de phrasés du vivre. Mieux : qu’à certains égards il ne nous affecte et ne se laisse approprier qu’ainsi, animé de formes attirantes ou repoussantes, habitables ou inhabitables, c’est-à-dire de formes qualifiées : pas simplement des formes mais des formes qui comptent, investies de valeurs et de raisons d’y tenir, de s’y tenir, et aussi bien de les combattre ».
(Macé, 2016, p. 11)

Une question de style

73En définissant de la sorte un style de compte rendu, nous mettons ainsi l’accent sur les attachements et les affects, allant dans le sens de l’exigence de justice et de justesse scientifique que nous nous sommes fixée.

74De justice d’abord, car ce n’est peut-être que par relationalité et affects, en se laissant traverser en tant que chercheur par l’enquête, que nous garderons vivants les univers que nous étudions, lesquels sont aussi, nous l’avons vu, les univers que nous construisons et que nous habitons. Sans expression de nos relations et de nos affects, nous risquons de représenter des univers comme morts, figés, des univers n’intéressant finalement pas ou peu la « communauté » des chercheurs, et plus dommageable encore celle des enquêtés, à laquelle pourtant se rapporte notre production de connaissances. C’est donc de pertinence sociale du savoir académique dont il est aussi question ici, non pas en tant que prestation imposée à l’université par la société, ni en tant que détournement politique de la science, mais en tant que « champ d’expérimentation » comme le défendrait Puig de la Bellacasa (2012, p. 102). La science en tant que pratique qui transforme enquêtés, enquêteurs et lecteurs : « la réalité n’est pas supposée être fatale », dirait John Law (2009, p. 155).

75De justesse scientifique ensuite, car en donnant à voir nos relations et nos affects, nous reconnaissons sans détour le fait que nous prenons parti autant que nous prenons à partie (Haraway, 2009). Nous reconnaissons donc notre partialité (notre œil partiel et partial) mais une partialité qui réclame d’être questionnée, débattue. Nous mettons « ce que nous pensons ou ce dont nous faisons expérience à l’épreuve de ce que les autres pensent ou font comme expérience » (Despret, 2012, p. 237) ; le savoir est situé, incarné, la voix ne porte pas à l’infini et le débat reste ouvert.

76Finalement, plus justes en termes de justice comme de justesse seront peut-être les descriptions d’un monde non pas « fonction d’une logique de découverte “comme si la réalité précédait les pratiques ordinaires à travers lesquelles nous interagissons avec elle” (Mol, 1999, p. 75) mais d’un rapport social redoutable de dialogue » (Haraway, 2009, p. 349). En portant cette exigence de justice et de justesse, ce dialogue requiert du chercheur qu’il explicite pourquoi et comment il care.

Une question de retour vers les enquêtés

« […] Ontological politics is unlikely to come at rest once the accounts are closed – because they won’t be closed. Tolerating open-endedness, facing tragic dilemmas, and living-in-tension sound more like it. » [2]
Mol (1999, p. 83)

77À l’occasion de trois rencontres tenues entre décembre 2016 et janvier 2017 et en compagnie des responsables, des membres des équipes, et des anciennes directrice et responsable de la BIL-sSRC, nos travaux ont été présentés et discutés, conformément à notre engagement initial mais aussi à notre exigence. Nous proposons de terminer le présent compte rendu sur leurs appréciations respectives, structurées dès lors en trois dernières séquences.

78Décembre 2016, les responsables qui d’abord empruntées finissent par s’engager, précautionneusement. Pourquoi l’enquêtrice a-t-elle ainsi rapporté ses échanges avec la direction, des extraits d’entretien sortis de leur contexte, empêchant une vision globale des choses et donnant à penser à un règlement de compte ? Sans doute que là n’était pas son intention, mais alors attention aux termes. Qu’elle ne parle pas d’offense ni de contexte d’angoisse, mais plutôt de petite altercation et de souci ou de challenge. Pourquoi a-t-elle ensuite parlé de « petites mains ». On est tous des petites mains et on contribue à la même tâche, chefs comme équipes. Aussi, il est trompeur de supposer que le care porté par Audrey et Camille puisse permettre de conférer un sens supplémentaire à leur activité, rendant par là même plus soutenable sa part de pénibilité. Car enfin, le sens est ailleurs, dans la mission. Ils sont tous convaincus de ce qu’ils font. Parlons dès lors plutôt de richesse.

79Décembre 2016, les membres des équipes qui d’abord incertains finissent par se lancer, enthousiastes. On se reconnaît, ça parle, et puis c’est positif de voir que finalement on pratique tous de la même manière, avec un même ressenti. On estime la malléabilité de l’enquêtrice face au terrain, on est touché de son engagement, double donc si l’on a bien compris – ici mais aussi au sein de son propre domaine.

80Janvier 2017, les anciennes directrice et responsable qui d’abord hésitantes finissent par s’élancer, amusées. On est assez surpris du mode narratif et affecté du compte rendu, on a parfois même eu un peu mal au cœur. On a souri face au nombre de personnes qu’elle avait impliquées dans son parcours, proches, professeurs, doctorants. Mais au-delà de ça, on a surtout reconnu et apprécié sa démarche communicative. Dans cette démarche, « ne perds toutefois pas ton autonomie de pensée, tiens à ton point de vue, défends ton travail et ses visées premières. Car on sent que tu as une marque et quand on a une marque comme ça, c’est bien d’essayer d’aller jusqu’au bout. »

Remerciements

L’auteure remercie les membres de la biobanque du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, les membres du STSLab de l’Université de Lausanne ainsi que les membres du comité éditorial de la Revue d’anthropologie des connaissances pour tout le care qu’ils ont porté au présent article, contribuant de façon substantielle à son argument.

Bibliographie

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : care, agents opérationnels, responsabilité, STS, coulisses, infrastructure, enquête et compte rendu d’enquête, biobanque

Mise en ligne 28/09/2018

https://doi.org/10.3917/rac.040.0399

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