Couverture de RAC_027

Article de revue

Transformer pour contrôler

Humains et moustiques à La Réunion, à l’ère de la biosécurité

Pages 213 à 236

Notes

  • [1]
    Le DDT est cependant remplacé par d’autres insecticides (Girod, 2001). Les résistances des moustiques, mais également la toxicité des produits justifient ces évolutions.
  • [2]
    À partir du 1er janvier 2006, la lutte anti-vectorielle relève légalement du Conseil général. Mais en pleine crise, le transfert du service de l’État au Conseil général n’est pas possible. Les municipalités doivent assurer la prophylaxie dans leur commune. Cette complexité légale, couplée à des difficultés de communication entre la DRASS et la Préfecture ralentit la prise en charge d’une épidémie qui enfle rapidement.
  • [3]
    L’alerte a été lancée en 1962 par Rachel Carson à l’occasion de la publication de son livre Silent Spring.
  • [4]
    Le service est agrandi en janvier 2007 (150 agents), puis en décembre 2007 (220 agents). Les nouveaux agents sont recrutés sur concours.
  • [5]
    Le service de lutte anti-vectorielle est intégré dans le Groupement d’Intérêt Public Lutte Anti-Vectorielle Service de prophylaxie Renforcée (GIP-LAV-SPR) qui réunit l’État (Préfecture, DRASS, service de lutte anti-vectorielle), le Conseil général, le Conseil régional, les intercommunalités, les communes et des associations (Préfecture de La Réunion, 2006). Il collabore étroitement avec les organes de veille sanitaire que sont la Cire (Cellule interrégionale d’épidémiologie), le réseau SEGA (Surveillance épidémiologique et gestion des alertes) et le CRVOI (Centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes de l’océan Indien), créé en 2007 suite à l’épidémie.
  • [6]
    Cette division tripartite des acteurs est imparfaite, mais met en évidence le principe de symétrie mobilisé.
  • [7]
    J’ai été impliquée, dans le cadre de ma thèse, financée par l’Université de La Réunion, dans le programme de recherche sur la TIS. J’ai été accueillie à ce titre au sein du CRVOI, qui hébergeait l’équipe. Mon implication dans le programme de recherche m’a sans cesse interrogé sur mon engagement professionnel et éthique au sein de l’équipe. De la même manière, ma double formation en biologie et en anthropologie a nécessité une prise de distance critique avec des pratiques de recherche et des représentations du monde et de la nature qui me semblaient de prime aller de soi.
  • [8]
    La kour est un espace que se partagent parfois plusieurs familles pour y construire leurs maisons, élever leurs animaux, faire pousser des plantes alimentaires et médicinales. Avec la généralisation de la famille nucléaire, la kour pourrait aujourd’hui être synonyme de jardin dans la plupart des cas.
  • [9]
    La fête kaf est le nom donné au jour de commémoration de la fête de la fin de l’esclavage à La Réunion. Elle a lieu le 20 décembre.
  • [10]
    Le baro désigne le portail de la kour.
  • [11]
    « Nous venons voir si vous n’êtes pas trop embêté avec les moustiques. Vous n’êtes pas trop embêtés par les moustiques ? » trad. pers.
  • [12]
    « Vous avez bétonné une partie de votre jardin ? » trad. pers.
  • [13]
    « Je peux faire un petit tour dans votre jardin ? » trad. pers.
  • [14]
    « Elle est sale, bouchée ! » trad. pers.
  • [15]
    « Un jardin mal entretenu » trad. pers.
  • [16]
    « Parfois, quand le papayer est coupé comme cela, il peut y avoir des moustiques dedans » trad. pers. Le papayer a un tronc creux et spongieux. Il peut accumuler de l’eau, dans laquelle les moustiques peuvent pondre.
  • [17]
    La « population » est une catégorie vernaculaire du service de lutte-anti-vectorielle, qui désigne les habitants de La Réunion comme une totalité large et indéfinie.
  • [18]
    La caz désigne la maison.
  • [19]
    Le traitement de nuit sert à limiter les effets indésirables de la deltaméthrine : démangeaisons, suffocations, irritations.
  • [20]
    Les zerbaj désignent les plantes médicinales. À La Réunion, elles sont largement utilisées.
  • [21]
    Les légumes lontan étaient utilisés quotidiennement avant l’exportation de produits et normes alimentaires français.
  • [22]
    Il est possible de diminuer la toxicité des insecticides en les mélangeant à une base aqueuse, plutôt qu’à une base huileuse ou en diminuant leur concentration dans ce mélange.
  • [23]
    Le Bti ou Bacillus thuringiensis israelensis, est fabriqué à partir d’un extrait de bactérie, ce qui lui vaut sa dénomination d’insecticide « biologique ».
  • [24]
    Les « agents » ne sont pas une entité homogène. Certains, rares, travaillaient auparavant dans le service de prophylaxie. D’autres ont été recrutés à l’occasion de l’épidémie comme contractuels, et deux concours de la fonction territoriale ont été ouverts en 2007 (janvier et décembre) pour former l’essentiel des équipes. N’étant pas du même niveau, il y a eu, lors du premier recrutement, essentiellement des personnes ayant un niveau d’études élevé, tandis que le second concours a permis de faire entrer des profils plus variés.
  • [25]
    « Une fois que vous aurez nettoyé les ravines, vous pourrez venir chez nous ! » Les ravines sont des cours d’eau généralement temporaires, dans lesquels des milliers de trous de rochers créent autant de lieux de pontes pour les moustiques. Elles sont donc souvent associées aux moustiques, et inversement.
  • [26]
    Ces revendications ont été portées par une personne qui a vu mourir ses lapins le lendemain de la démoustication et qui a convaincu ses voisins de signer une pétition contre les traitements de l’Agence de Santé. Lors du chikungunya, de tels dommages ont eu parfois lieu en raison des dosages non maîtrisés de produits chimiques plus toxiques.
  • [27]
    Ces recherches d’ingénierie sont essentiellement menées à Vienne (Autriche) à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, où travaille une partie de l’équipe. Mais les moustiques locaux ont leurs particularités qui nécessitent d’être connues pour passer d’un élevage de recherche à un élevage de masse.
  • [28]
    IRD (2012). Sciences au Sud. Le journal de l’IRD, 66, 1-2.
  • [29]
    Les moustiques prennent le nom de « souche » dès lors qu’ils se soumettent à l’élevage en insectarium.
  • [30]
    L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique est partenaire du projet. Elle soutient des recherches sur la TIS dans plusieurs pays du monde (Soudan, Maurice, Madagascar, etc.).
  • [31]
    SIT est l’acronyme de la Technique de l’insecte stérile en anglais.
  • [32]
    Voir la définition de l’élevage proposée par A.-M. Brisebarre dans le dictionnaire de Bonte et Izard (2007, pp. 225-226).
  • [33]
    Le ministère de la Santé finance le projet à hauteur de 700 000 €, de même que la Région Réunion et l’Union européenne. L’engagement de ces acteurs publics témoigne de l’intérêt politique de la technique. Le service de LAV de La Réunion a participé à l’écriture du projet et est en étroite collaboration avec les chercheurs du programme.
  • [34]
    SIT pour Sterile Insect Technique.
  • [35]
    Pour le service de LAV, la préservation de la biodiversité est un « argument commercial » (Comm. pers., entomologiste, avril 2015), mais ne participe pas de la stratégie de lutte du service.

Introduction

1La place de l’animal est fixée par la société (Staszak, 2002). Et les enjeux sanitaires placent indéniablement les moustiques vecteurs de maladies en dehors de la société, que ce soit par des mécanismes de mise à distance ou d’éradication. Si les insecticides ont longtemps rempli ces fonctions, leur inefficacité à long terme et leur toxicité ont remis en cause leur usage systématique. Ils ont pourtant constitué le pilier de la lutte contre les moustiques depuis le début du XXe siècle, depuis la découverte du rôle des moustiques dans la transmission d’un ensemble de maladies.

2Dans quelle mesure leur mise à l’écart déstabilise-t-elle les pratiques et représentations des acteurs concernés par la lutte contre les moustiques ? Pour envisager cette question, il semble pertinent de mobiliser une approche biopolitique. Soit une politique qui prend en charge les phénomènes naturels, de manière à les contrôler par le biais de diverses techniques de gouvernementalité (Foucault, 2004).

3L’île de la Réunion, département et région d’outre-mer depuis 1946, est propice à l’appréhension des effets biopolitiques provoqués par une mise à l’écart des insecticides. En effet, depuis 2007, les acteurs en charge de la santé ont déployé un ensemble de stratégies visant à éviter leur usage. Pourtant, le service de lutte contre les moustiques était parvenu à éradiquer le paludisme en 1979, après avoir utilisé massivement le DDT depuis 1954 (Hamon et Dufour, 1954 ; Girod, 2001). Si, à la fin des années 1970, les premières résistances des moustiques aux insecticides étaient enregistrées, le succès de la lutte n’a pas remis en question leur usage [1]. En revanche, l’éradication du paludisme a fait perdre de la légitimité au service de lutte anti-vectorielle (LAV), qui est passé entre 1980 et 2005 de 200 à 20 employés. C’est donc avec les insecticides comme seule réponse opérationnelle (Metzger, 2009) et une équipe réduite de lutte que La Réunion fait face à une crise épidémique de chikungunya en 2005-2006. Près de 40 % de la population est touchée par un virus invalidant. Le manque de réactivité des pouvoirs publics [2] et la désorganisation de la lutte contre le vecteur ont provoqué un ensemble de crises, politique, économique et écologique (Ledegen et Simonin, 2008), auxquelles les usages et mésusages des insecticides ont participé. Les limites intrinsèques à ces molécules, pourtant reconnues depuis longtemps, sont pointées du doigt par des experts (Flahault et al., 2006). D’une part, les moustiques résistent de mieux en mieux aux effets létaux des insecticides. Ces derniers ne garantissent donc plus un bouclier suffisant entre les moustiques, les maladies qu’ils transmettent et les humains. Prendre en compte cette contrainte, c’est anticiper l’impossibilité d’agir en cas de crise épidémique. Cette approche tranche avec l’idéologie du progrès qui a longtemps prévalu en santé publique, et dont les certitudes ont laissé survenir des crises à répétition (Tabuteau, 2013). D’autre part, les insecticides affaiblissent la biodiversité [3] (Oliva et al., 2013). Ils mettent donc en péril le collectif d’êtres vivants non nuisibles élargi par les préoccupations environnementales des Occidentaux (Latour, 2004). Afin d’éviter que ces écueils empêchent de maîtriser une future crise épidémique, le service de lutte anti-vectorielle (LAV) – élargi [4], et restructuré [5] – développe de nouvelles pratiques de lutte, qui limitent le recours aux insecticides.

4Ce choix biopolitique relève d’une logique d’anticipation des crises – ici épidémiques et écologiques. Pour Collier, Lakoff, Rabinow (2004) et Torny, (2012), l’anticipation des crises est propre au régime biosécuritaire. D. Pécaud, quant à lui, considère la biosécurité comme un acte politique visant à protéger, à sécuriser le vivant désigné (Pécaud, 2009). La spécificité de ce régime biopolitique, par rapport au régime sécuritaire de Foucault (2004), est qu’il ne concerne plus seulement les humains, mais un ensemble d’êtres vivants non humains, désignés par les humains (ici, les potentiels futurs malades et la biodiversité). La préservation du vivant passe par la transformation des corps et des « âmes », favorable au contrôle des comportements des êtres vivants (Pécaud, 2009).

5Les stratégies de LAV ont été étudiées dans le cadre de la recherche sur la faisabilité de la technique de l’insecte stérile (TIS) à La Réunion, l’auteur étant membre de l’équipe de recherche mise en place à cette occasion. Cette technique de lutte vise à élever en masse des moustiques, à stériliser les mâles, puis à les relâcher par millions pour qu’ils entrent en compétition avec les moustiques mâles dits sauvages. Paradoxalement, cet élevage de masse doit permettre de diminuer peu à peu la densité de moustiques vecteurs. L’objectif premier de la participation d’une anthropologue était d’étudier l’« acceptabilité sociale » de la technique à La Réunion. L’approche déployée a été une étude parallèle des acteurs enrôlés dans la mise en place du projet (Olivier de Sardan, 2010 ; Barthe et al., 2013) : l’équipe de recherche, le service de lutte anti-vectorielle de La Réunion et des acteurs de la société civile [6]. Les responsables du service de LAV et mes collègues chercheurs ont accepté d’ouvrir leurs portes à une anthropologue, en dépit de l’étrangeté (et de la difficulté) que constituait pour eux l’idée d’être insérés dans un processus de recherche. Si l’étude des institutions (Abélès, 1990) et des laboratoires (Latour et Woolgar, 2006 ; Houdart, 2008) est admise en sciences sociales, elle ne va pas de soi en dehors de ces disciplines. Le recours à la réflexivité a été essentiel pour objectiver des données accumulées dans une proximité géographique, professionnelle et disciplinaire avec les chercheurs [7] et à l’occasion d’échanges fréquents avec les membres du service de LAV. Elle a permis de saisir ce que ces acteurs (et moi-même) mettaient en forme (Favret-Saada, 1978).

6Entre 2011 et 2012, il a ainsi été possible d’assister à des réunions d’échange entre le service de LAV et les chercheurs du programme de recherche sur la technique de l’insecte stérile, de partager dix journées de terrain avec les agents et de mener des entretiens groupés avec une vingtaine d’entre eux sur leurs représentations et pratiques de LAV d’hier, d’aujourd’hui et de demain. En parallèle, de juin 2010 à septembre 2013, une dizaine d’entretiens ont été menés auprès des biologistes et techniciens impliqués dans les recherches sur la faisabilité de la technique de l’insecte stérile. À cela s’ajoutent de nombreuses observations de leurs pratiques, un corpus de notes prises lors des réunions hebdomadaires de l’équipe locale et des réunions annuelles de l’équipe réunie au complet, et enfin des articles scientifiques produits au sein de l’équipe.

7Deux des nouvelles stratégies de lutte développées à La Réunion depuis l’épidémie de chikungunya visent à mettre les moustiques à distance sans mobiliser les insecticides. Elles s’appuient toutes deux sur la transformation des êtres vivants, que ce soit celle des « âmes » (ou subjectivités) des habitants de La Réunion ou celle des corps des moustiques (Pécaud, 2009). La première est le porte-à-porte des agents du service de LAV, qui allie l’éducation sanitaire à la surveillance des densités de moustiques dans les jardins privés. La surveillance des moustiques s’inscrit au cœur de rapports sociaux disciplinaires : pour surveiller les moustiques, il faut éduquer, discipliner et surveiller les humains. Ce dispositif central dans les politiques de lutte est mis en place depuis janvier 2007. La seconde stratégie, la Technique de l’Insecte Stérile, vise à transformer les politiques de lutte via la modification du corps et du comportement de reproduction des moustiques. Actuellement, cette stratégie est encore au stade de projet. Initiée en 2009, l’étude de sa faisabilité s’est achevée en 2014. Le projet doit faire l’objet d’une validation politique et de recherches complémentaires avant d’être appliqué sur l’île.

8C’est en observant les pratiques et discours des acteurs de la santé publique (opérateurs et chercheurs) engagés dans la mise en œuvre de ces stratégies que sera envisagé le tournant biosécuritaire à La Réunion. Ainsi que le prônait Foucault (2004), on parvient à analyser les logiques propres à un régime biopolitique en comparant des techniques hétérogènes de gouvernance du vivant. À l’instar de ce que proposent Collier, Lakoff et Rabinow (2004), cet article sera l’occasion d’observer les déséquilibres provoqués par le tournant biosécuritaire, puis d’interroger les ressorts politiques, axiologiques et techno-scientifiques sur lesquels s’appuient les acteurs de la santé publique pour amorcer cette transition.

Transformer les humains pour mettre à distance les moustiques. Mise en œuvre et résistances

Le porte-à-porte : de la surveillance des moustiques à la surveillance des humains

9

Carnet de terrain. 15 décembre 2011.
Nous sommes en décembre, le soleil est de plomb. J’accompagne deux agents du service de lutte anti-vectorielle. Comme eux, je porte un T-shirt de l’Agence Régionale de Santé, estampillé d’une « Marianne », rappelant qu’il s’agit d’un service de l’État. Au dos, le texte « Service de Prophylaxie / Lutte Anti-Vectorielle » achève de nous distinguer des équipes d’EDF, ou de la commune, avec lesquelles les agents sont souvent confondus. Nous marchons à travers les ruelles d’un quartier résidentiel, pour rencontrer tour à tour les habitants qui accepteront de nous laisser entrer dans leur kour[8] dans le cadre du protocole « Alizés ». Nous approchons de la fête kaf[9]. Les mangues à terre laissent une odeur suffocante et attirent des nuées de moustiques.

10Le protocole Alizés (Action de Lutte Intégrée sur les Zones d’Éducation Sanitaire) a été développé dès janvier 2007 sur l’île à partir des standards de l’OMS (Cire Océan Indien, 2010). Il réunit un ensemble de prescriptions qui permet d’organiser « l’éducation sanitaire » de la population et la surveillance des densités de moustiques présents dans les kours. Les agents s’appuient pour cela sur plusieurs supports : une carte du secteur dans lesquels ils interviendront au cours de la journée, une grille dans laquelle les densités de moustiques relevées dans chaque kour sont mises en correspondance avec l’adresse et le nom de leur propriétaire et un « avis de passage », laissé aux interlocuteurs des agents comme aux absents, qui permet de prolonger le lien entre le service de l’État et les administrés au-delà du porte-à-porte (figure 1). Avant 2011, les agents disposaient d’un pulvérisateur d’insecticide à main, mais il a été peu à peu proscrit. Depuis sa création, le protocole n’a eu de cesse d’évoluer pour aller vers plus de responsabilisation de la population et vers un retrait progressif des insecticides.

Figure 1

Avis de passage, laissé aux interlocuteurs des agents, ou glissés dans la boîte aux lettres des absents

Figure 1

Avis de passage, laissé aux interlocuteurs des agents, ou glissés dans la boîte aux lettres des absents

11


Il est 9 h du matin. Nous arrivons à la première maison. Un homme d’une cinquantaine d’années nous ouvre après quelques minutes d’attente devant le baro [10]. Un agent lui dit : «  Nou vien woir si ou lé pas embêté ek le moustik. Ou lé pas trop embêté ek moustik ? [11]  ». L’homme se déplace légèrement sur le côté, montrant qu’il est ouvert à la visite. Il nous entrouvre le portail, mais reste dans le passage. Nous restons près de l’entrée. Un des agents remarque à voix haute que l’avant de la kour est bétonné. «  Na caré béton ? [12]  », dit-il avec approbation. Ici, les moustiques ne peuvent pas pondre. Pour les agents, c’est « propre ». Mais il y a aussi une partie enherbée, plus loin. Tacitement, les agents se répartissent les rôles. L’un d’eux demande s’il peut faire un tour dans la kour  : «  Mi gagn fair un ti tour dann jardin ? [13]  » Après accord, il reste sur place et commence par jeter un œil autour de lui. Il remarque qu’il y a des soucoupes à vider, une gouttière bouchée «  Lé sal, lé bouché ! [14]  ». Il ne peut pas la vider lui-même, car elle est trop haute. Il suggère à l’homme de le faire dès que possible, afin qu’il ne soit pas envahi par les moustiques. Puis il s’éclipse, tandis que le second reste à discuter avec le locataire des lieux.

12Dans la terminologie des agents et des politiques publiques, on « fait de l’éducation sanitaire ». Bien souvent, ceux qui ouvrent leur baro évoquent les moustiques au stade adulte, et rapportent qu’ils proviennent des friches, des chemins mal entretenus, des « kour mal okipé » [15]. Or les agents cherchent à relocaliser l’origine des moustiques dans l’espace intime de leurs interlocuteurs. En effet, les déplacements d’Aedes albopictus sont considérés comme limités au cours de leur vie. Les œufs de moustiques pondus à proximité des habitations sont donc plus susceptibles de véhiculer des maladies d’une personne malade à une personne saine. La stratégie développée par le service pour limiter le risque épidémique est de centrer la lutte sur ces moustiques « domestiques ». Le travail des agents consiste donc à associer les moustiques non plus aux espaces marginaux mais aux pratiques humaines. La socialisation des moustiques (Keller, 2014), auparavant sauvages, implique de remanier les notions de propre et de sale (Douglas, 2001 ; Claeys Mekdade, 2002), de prôner une nouvelle forme d’ordre dans le jardin. Les innocentes et bien utiles coupelles deviennent source de nuisance, voire de danger et de menace. Les agents participent ainsi à transformer le statut des moustiques (Staszak, 2002) et les subjectivités des humains.

13En liant l’existence des moustiques aux pratiques humaines, les agents rendent la population responsable de la prolifération de moustiques. Tout le jeu pour les agents consiste donc à donner des conseils à leurs interlocuteurs pour limiter la prolifération des moustiques, sans les accuser de les produire. Une attitude, des mots, peuvent parfois faire la différence entre ces deux postures.

14


L’agent qui est resté avec notre hôte lui indique les gestes à adopter pour limiter le nombre de « gîtes » présents autour de l’habitation. Renverser les coupelles, mettre les plantes qui recueillent l’eau sous abri, ramasser les déchets… Tout en maintenant une attitude cordiale et ouverte, l’agent continue à regarder autour de lui. Il désigne, dans un moment de silence, le papayer, proche de l’entrée. «  Quand le papayer lé coupé comme ça, là, des fois, na des moustiques dedans [16] » Il explique comment couper le tronc de manière à ce que l’eau ne s’y accumule pas.

15À raison d’un peu moins d’un passage par an dans chaque kour, les agents ne sont plus là pour « lutter » contre les moustiques, mais pour « faire lutter » contre les moustiques. Ils sont là pour apprendre aux habitants à vider eux-mêmes leurs coupelles, à boucher leurs fosses septiques, à vider leurs piscines : « L’objectif n’est plus seulement d’informer, mais bien de convaincre la population [17] à adopter les bons gestes de prévention » (GIP-LAV, 2011, p. 3). L’élimination des gîtes larvaires a valeur d’« objectif comportemental » pour le service (GIP-LAV, 2014, p. 1). Le protocole impulse la transformation d’un modèle socio-politique où ce n’est plus l’État qui élimine les moustiques, mais l’ensemble de la population ; on assiste à une extension du domaine professionnel au domaine profane (Torny, 1998) où l’État organise le faire faire des administrés (Barbier, 2006). Chacun devient responsable de ses moustiques, de sa santé et de celle de ses voisins. Si l’État s’engage à garantir un droit à la santé, les individus doivent endosser des devoirs liés à son maintien (Dozon, 2001). Ici, le biologique justifie des transformations socio-politiques (Torny, 2012).

16


Pendant ce temps, le second agent va faire un tour de la kour en notant le nombre de contenants d’eau où se trouvent des larves de moustiques (appelés « gîtes positifs »), et le nombre de récipients où l’on pourrait trouver des larves (dits « gîtes potentiels »). Il rapporte ces informations dans un tableau, en distinguant les grands gîtes des petits. Car selon qu’il s’agisse d’une coupelle qui ne contient que quelques centilitres d’eau, ou d’un pneu plein, le nombre de larves d’Ae. albopictus peut radicalement changer. À chaque habitation visitée correspond une ligne de tableau. À la fin de l’entrevue, l’adresse de la caz [18] et le nom de la personne complètent la ligne de tableau.

17Les agents dénomment fréquemment entre eux cette partie de leur travail « l’éval ». L’île est découpée en 993 zones, qui regroupent 200 à 500 maisons. Une division rationnalisée de l’espace, qui permet de créer des unités comparables d’une année sur l’autre et d’un point à l’autre de l’île. Le nombre et la typologie des gîtes relevés dans chaque jardin visité, dans chaque zone, servent à calculer une série d’indices qui traduisent les densités de larves de moustiques repérées dans les jardins. S’ils sont trop élevés, le service effectue une démoustication de nuit dans les jours qui suivent. Le seuil au-delà duquel l’« opération commando » est lancée dans les quartiers a fréquemment changé au cours de la période d’enquête, pour monter peu à peu, de manière à limiter les traitements insecticides.

18Ces indices sont aussi des outils de surveillance des humains. Une fois cartographiés, ils traduisent l’intégration de la discipline inculquée par les agents dans chaque zone : « L’indice Breteau, c’est plus un indice comportemental pour les gens », explique un entomologiste (avril 2012). Une nouvelle répartition des zones où programmer les « sorties Alizés » confirme le glissement de la surveillance des moustiques à celle des humains. Les zones où de fortes densités de larves sont relevées peuvent faire l’objet de 2 à 3 visites par an, contre une tous les ans ailleurs. La présence régulière des agents dans les zones considérées comme plus « à risque », permet de recommencer l’« éducation sanitaire » et de réévaluer ses effets.

19


L’agent revient vers l’entrée de la kour. La conversation dérive sur les nuisances provoquées par les moustiques. Son collègue parle du numéro vert à appeler en cas de problèmes de moustiques. Si la nuisance paraît trop forte, dit-il, il faut appeler au numéro inscrit sur l’avis de passage. Si plusieurs personnes se plaignent des moustiques dans un quartier, l’Agence de Santé pourra envoyer un camion la nuit[19] pour traiter.

20En 2011, la direction du service est réticente à ce que le numéro vert soit mis en avant lors du protocole Alizés, ce qui provoque nombre de débats au sein du service. Si la dénomination « numéro vert » constitue une première invisibilisation des traitements insecticides, cela ne suffit pas. Tout est fait pour que la « population se responsabilise », et que la lutte mécanique élude la lutte chimique.

21


La conversation s’éloigne du moustique. Le 20 décembre s’impose comme sujet de prédilection. Il y a comme de l’électricité dans l’air. Ils parlent de zerbaj [20], des cyclones qui arrivent, de patates douces et autres légumes lontan [21]. Ils évoquent le temps de partage entre amis et en famille qu’offre le 20 décembre. Nous quittons cet homme, pour aller interpeller son voisin, puis une quinzaine d’autres personnes. [Fin de l’extrait]

22Se passer d’insecticide induit une série de changements socio-politiques conséquents : transmission de nouveaux savoirs, transformation des perceptions du moustique et de l’espace, redéfinition de la citoyenneté et des relations entre la population et l’État. L’éducation sanitaire et la cartographie des densités de moustiques, qui reflète mieux les comportements des humains que ceux des moustiques, induit un déplacement de la surveillance vers les humains. Les techniques de gouvernance auxquelles recourt le service de LAV s’apparentent plus à des techniques sécuritaires – surveillance, évaluation, gestion du milieu et de la population – (Foucault, 2004), mais le projet qui guide ce dispositif de lutte est bel et bien biosécuritaire. L’objectif est d’éviter une reprise épidémique sans utiliser de produits toxiques pour les humains et les non humains.

Défendre les insecticides pour défendre un métier

23L’objectif du service est de limiter l’usage (en fréquence et dans l’espace) et la toxicité des insecticides [22], bien qu’ils restent utilisés dans quelques « missions », telles que la lutte contre le vecteur du paludisme, le traitement des ravines et les « opérations commando » (traitements préventifs dans les zones de fortes densités de moustiques et autour du lieu de résidence des personnes malades). Ils ne sont donc pas totalement proscrits. Les insecticides, jusque-là consubstantiels de la lutte anti-vectorielle, assuraient une identité, une autorité et une légitimité au service. Leur retrait progressif provoque débats, résistances et mal-être au sein du service.

24Les débats retransmis ici interviennent au moment où les responsables du service décident de retirer les pulvérisateurs à main du protocole Alizés. Ces « pulvés » contenaient du Bti, larvicide d’origine biologique [23] et étaient utilisés pour traiter les points d’eau présents dans les kours. Certains agents [24] souscrivent à ces nouvelles normes d’action, notamment par conviction écologique. Si la problématique de la santé au travail est parfois évoquée (crainte de cancers, de contamination de la famille par contact des vêtements), elle reste minoritaire dans le débat, centré sur la redéfinition du métier d’agent de lutte :

25

« Ces nouveaux protocoles impliquant à la fois plus d’actions administratives et d’éducation sanitaire, mettent en péril cette relation qu’on a avec les gens et vous font oublier ce pourquoi on a tous été recrutés à la base, c’est-à-dire comme agent de terrain et de traitement. »
(Lettre de revendications écrite par un agent, qu’il m’a remise en main propre, alors que les tensions étaient à leur comble dans le service, hiver austral 2011)

26

« On n’est plus un service de démoustication, c’est ça le problème ! On est un service de “je viens vous voir pour vider vos soucoupes” ! »
(Agent, juillet 2011, lors d’une discussion de groupe)

27Sans « pulvés », les agents essuient plus facilement des refus, se font insulter ou rabrouer : « Kan zot la netoy lé ravin, ou vien ché nou ![25] », vitupère un habitant, en juillet 2011.

28

« On le fait, nous [utiliser les pulvérisateurs en Alizés], parce que c’est ça qui facilite l’approche avec les gens. C’est ce que les gens veulent. Mais nous, on n’est plus là pour ça, maintenant. Si on doit respecter mot pour mot le protocole, on doit rentrer, expliquer aux gens comment nettoyer leur jardin. C’que les gens savent faire… Ce que les gens ne veulent pas faire. »
(Un agent, juillet 2011)

29Avec le pulvérisateur à main, les agents incarnent un État protecteur, qui prend en charge les nuisibles à domicile. Même si leur discours a une dimension morale évidente, ils participent à améliorer le quotidien de leurs interlocuteurs. C’est dans cette logique que l’État s’est inscrit pour lutter contre le paludisme depuis la départementalisation. Le service de prophylaxie d’alors s’est forgé une bonne image auprès des administrés. Sans produit, avec comme seule arme la parole, ils incarnent désormais un État néolibéral prescripteur (Hache, 2007), qui transfère sa responsabilité aux individus. L’observation sur le terrain confirme que les agents sont moins bien accueillis sans insecticide. Toutefois, cela n’entrave que rarement leur accès aux kours. L’autorité de l’État, matérialisée par les logos sur leurs T-shirts ou les voitures de service, suffit à convaincre les habitants de leur ouvrir, bon gré mal gré.

30Les tensions qui ont résulté de cette nouvelle politique ont donné lieu à des dérogations dans quelques secteurs, pour permettre aux agents de garder quelques mois de plus leurs pulvérisateurs. Si cela calme le jeu pour certains, d’autres pointent du doigt les incohérences de ces choix :

31

« Si on va au fond du raisonnement du nouveau protocole, le traitement ne sert plus à rien. On ne devrait pas faire de traitement, en fait. Mais ils veulent instaurer quand même un minimum de traitement, juste pour, peut-être pour la forme, je ne sais pas. »
(Un agent, lors d’une discussion de groupe, juillet 2011)

32Incohérences parfois perçues en dehors du service. Lors d’un débat public sur les démoustications de nuit, qui a été organisé par le maire d’une petite commune suite à une pétition signée dans un quartier pour dénoncer les effets des insecticides [26], l’entomologiste du service explique que les traitements sont de moins en moins nocifs et fréquents. Il explique que la démoustication qui a eu lieu dans le quartier peu de temps auparavant n’a pu avoir de répercussions nocives ni sur les habitants, ni sur les animaux de compagnie à sang chaud, ni sur les plantes. Une fois que l’entomologiste a convaincu les personnes présentes dans la salle du faible impact des insecticides, une femme derrière moi glisse à son voisin que les démoustications, ça « sert à faire du social », à donner l’illusion que l’État agit. Mais pas vraiment à démoustiquer. Au cours de ce débat, les insecticides sont critiqués, en même temps que leurs faibles toxicité et efficacité semblent être une aberration, voire les transforment en outil de manipulation.

33En suivant les agents du service de LAV dans leurs pratiques quotidiennes, leurs doutes et leurs stratégies d’adaptation à un métier en mutation, on saisit la difficile transformation de leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être, dans le tournant biosécuritaire. Il bouleverse les représentations et pratiques de la profession, mais aussi celles des habitants auxquels ils doivent faire face. Les insecticides ont marqué les relations entre humains et moustiques vecteurs et entre l’État et la population pendant plus d’un siècle à La Réunion. Leur abandon ne peut que déstabiliser les équilibres qu’ils avaient créés entre ces acteurs. « Hommes et animaux cohabitent dans l’espace, et ceci soulève des problèmes territoriaux, moins sans doute aujourd’hui entre les Hommes et les animaux qu’entre les Hommes à propos des animaux » (Staszak, 2002, p. 20)

Transformer les moustiques mâles en insecticides. Remaniements symboliques et spatiaux

34

« L’action de l’homme tire sa principale puissance des auxiliaires qu’elle mobilise dans le monde vivant : plantes de cultures, animaux domestiques ; car il met ainsi en branle des forces contenues, qui trouvent grâce à lui le champ libre et qui agissent. »
(Vidal de la Blache, 1921, p. 14)

L’insectarium, lieu de transformation physique et symbolique des moustiques

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Carnet de terrain. 29 décembre 2011. Insectarium (Illustrations, figure 2)
Dans le bâtiment de recherche où se côtoient plusieurs équipes, l’insectarium constitue un lieu d’échanges privilégié pour l’ « équipe TIS ». J’y viens parfois pour discuter avec mes collègues, demander un renseignement, nourrir les moustiques « au bras » de mon sang. Mais ce matin, un des techniciens prend le temps de me faire une visite plus approfondie de l’espace, pour mes recherches.

36L’insectarium est un espace central de la recherche sur la technique de l’insecte stérile. Il réduit la complexité du macrocosme à quelques variables d’intérêt (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001, p. 89) et remanie les relations entre humains et moustiques (Mauz, 2006). Ces caractéristiques permettent aux techniciens et chercheurs d’y développer un savoir-faire d’éleveurs. Leur production sert à analyser les caractéristiques biologiques des moustiques, à tester et à améliorer la compétitivité des moustiques mâles stériles et à accumuler un savoir-faire propice à la mise en œuvre opérationnelle de la TIS sur les moustiques locaux (élevage de masse, tri des mâles et des femelles, stérilisation des mâles) [27]. Ces trois opérations ne sont pas immédiatement visibles à la visite de l’insectarium, car elles mobilisent le même matériel et des procédés d’élevage similaires (1). Mais cet espace nous offre quelques clefs de lecture sur la nature des transformations symboliques et physiques des moustiques qui seront enrôlés dans des politiques de santé biosécuritaires.

Figure 2

Clichés de l’insectarium. Crédits photos : IRD [28] (photo 1), XX (photos 2 à 11)

Figure 2

Clichés de l’insectarium. Crédits photos : IRD [28] (photo 1), XX (photos 2 à 11)

Légende :
1/ L’élevage de moustiques dans l’insectarium.
2/ Frontière physique (récipient d’eau) empêchant les fourmis d’atteindre les cages.
3/ « Eau de ponte », mélange entre de l’eau distillée et des débris de canne à sucre.
4/ Matériel d’élevage (aliments, pipettes, pondoirs).
5/ Cage d’élevage d’Aedes albopictus.
6/ Intérieur d’une cage : eau sucrée et pondoir avec papier Kraft permettent aux moustiques de se nourrir et de pondre.
7/ Homéothèque : appareil permettant de distribuer du sang de mouton chaud dans les cages.
8/ Pontes (en noir) sur papier Kraft, stockées dans une enveloppe.
9/ Bac de développement des œufs, larves et nymphes.
10/ Congélateur : stockage des moustiques à analyser.
11/ Raquette électrique permettant de tuer les moustiques sortis des cages.
12/ Cages d’expérimentation en conditions semi-contrôlées.

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Nous entrons dans l’insectarium, après avoir franchi 4 portes successives, faisant office de sas. Un trait à peine visible d’insecticide dissuade les fourmis d’entrer et de se nourrir des moustiques morts dédiés à l’expérimentation. Des pots remplis d’eau, qui baignent les pieds des étagères où sont élevés les moustiques, achèvent de tracer une frontière entre ces deux insectes (2).
En face de nous, des étagères (4) contiennent le matériel d’élevage : des cages de (30x30x30 cm) démontées, en attente d’une augmentation de la production de moustiques pour resservir, des aliments pour poisson (pour les larves), pour lapin (pour les moustiques adultes), des pondoirs, des enveloppes où stocker les pontes d’Aedes albopictus, de « l’eau de ponte » (3), mélange entre des débris végétaux et de l’eau distillée. Mais également de quoi transformer les moustiques produits en données objectivables et comparables : des balances, des boîtes de pétri, des plaques d’observation, des tubes à essai.
Le congélateur à -80°C attenant (10) permet de tuer en quelques minutes des centaines de moustiques, ou de « fermer une cage » (un technicien, décembre 2011), sans altérer leurs tissus. Y sont classés et stockés les échantillons qui seront analysés par la suite à l’étage, dans les laboratoires de génétique ou de chimie, ou sur la paillasse d’en face. Les moustiques qui n’avaient pour carrière que de produire une nouvelle génération sont mis à la poubelle après congélation. En face, la paillasse est assez longue pour qu’une équipe de trois chercheurs et techniciens dissèque, insémine ou pèse des moustiques à la chaîne. L’évier permet le nettoyage à l’eau distillée de l’ensemble du matériel de l’insectarium, et l’élimination des biofilms sur le matériel, toxiques pour les moustiques.

38Les barrières physiques établies entre le moustique et le monde extérieur marquent une frontière symbolique. Dès lors que la porte de l’insectarium est franchie, les moustiques se muent en « outil de travail » (Biologiste, été 2012), en matériel biologique, en auxiliaires de lutte. Ils sont « enculturés » (Houdart, 2008). Tout est fait pour les préserver des attaques extérieures. Mais ce n’est pas leur valeur intrinsèque qui les rend si précieux. Car dès que l’un d’eux échappe à la place qui lui est assignée, il redevient un nuisible et est immédiatement tué (11). Les seuls moustiques qui sortent vivants de l’insectarium sont les moustiques mâles qui sont stérilisés par irradiation à l’Établissement Français du Sang, à quelques kilomètres de là. Et ceux qui alimentent les expériences en conditions semi-contrôlées, sous de grandes moustiquaires fixées à même le sol sous des arbres (12), de l’autre côté de la route. Pour les autres moustiques, ce ne sont que les données qui en sont extraites qui sortent de l’insectarium. « Toute cette “nature” dont il est question ici n’est rien d’autre qu’une “nature-bis”, une nature interne intégrée au processus de civilisation, et donc saturée de fonctions et de significations propres au système » (Beck, 2003, p. 148).

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De chaque côté de la pièce centrale, se trouvent les élevages d’Aedes albopictus et Aedes aegypti, d’un côté, et d’Anopheles arabiensis, de l’autre (1). Les deux premiers transmettent la dengue et le chikungunya, Aedes aegypti ayant aujourd’hui quasiment disparu de l’île. Le dernier transmet le paludisme, dont le risque de survenue sur l’île, bien que faible, est toujours présent.

40Le choix des espèces élevées dans l’insectarium est politique, plus que scientifique. Deux d’entre elles contrarient les projets que l’on a pour (ou contre) elles. L’élevage d’Aedes aegypti est difficile à maintenir et les anophèles réunionnais refusent de pondre en captivité. L’insectarium est un lieu de coopération et d’affrontement entre les institutions (politiques et de recherche) et les moustiques qui se révèlent être des acteurs capables de résistance (Latour, 2004).

41


Dans la pièce dédiée aux Aedes, des cages contenant d’une dizaine à quelques centaines de moustiques sont alignées sur des étagères (1, 5). Ils sont nourris à l’eau sucrée (6) et les femelles sont gorgées de sang de mouton distribué par une hémothèque (7), ou « au bras », lorsqu’il faut « relancer une cage » qui ne produit pas assez. Après leur repas de sang, les femelles pondent dans un « pondoir » (6), petit récipient d’eau dans lequel est introduit un papier kraft, où viennent se fixer les œufs. Le papier est retiré, mis à sécher pour accélérer le cycle de reproduction de la génération suivante, puis recouvert d’eau dans des bacs couverts d’un plexiglas (9). Les nymphes ne pourront s’échapper dans l’insectarium en cas d’émergence précoce et risquer de « brouiller les générations et les souches » (stagiaire, insectarium, avril 2013). Elles sont réintroduites dans de nouvelles cages pour entamer un nouveau cycle. Une partie des œufs est stockée dans une enveloppe (8) au cas où « il n’y a pas de génération correcte », me dit mon interlocuteur. Le stockage des œufs prolonge la maîtrise de l’élevage dans le temps et dans l’espace.

42Des milliers de moustiques vivent leur cycle de vie d’animaux de laboratoire : transformation des œufs en larves (9), des larves en nymphes, émergence des adultes, nourrissage (4, 6), repas de sang pour les femelles (7), pontes (6, 8), mort (10) et extraction de données biologiques. Le tout en conditions contrôlées (de température, d’humidité et de lumière), qui simplifient la complexité du macrocosme et rendent les données reproductibles.

43L’élevage des moustiques s’inscrit au-delà du temps présent, et constitue un objet de recherche à part entière. Chaque intervention est consignée dans un cahier pour faciliter le suivi de l’élevage au sein de l’équipe et la traçabilité des opérations en cas de mortalité inattendue. Les étapes du cycle sont maîtrisées et ont fait l’objet d’expérimentations pour augmenter la production de moustiques.

44


Dans la pièce d’élevage des anophèles, ceux qui habitent les quelques cages de la pièce viennent d’être capturés sur le « terrain » ou proviennent de la souche[29] GSS (Genetic Sexing Strain) ramenée de l’insectarium autrichien de l’AIEA[30], où travaille une partie de l’équipe. Cette souche se soumet parfaitement aux expérimentations des chercheurs sur la TIS, après avoir passé plus de cent générations en insectarium : élevage intensif, tri des mâles et des femelles par traitement insecticide, capacité à subir une stérilisation par irradiation sans être trop affecté, compétitivité des mâles stérilisés.

45En dépit des intérêts de la souche GSS, elle ne pourra servir aux lâchers de moustiques mâles stériles : ils conservent des résidus de dieldrine, un insecticide très toxique utilisé pour trier les mâles des femelles, qu’ils pourraient disséminer dans l’environnement : « La méthode du SIT [31] étant relativement propre, utiliser une GSS ça pose problème » (Un entomologiste, réunion d’équipe, avril 2012). Ni les moustiques locaux ni les GSS ne peuvent être enrôlés dans la stratégie de lutte par TIS. Ils gardent malgré tout un intérêt pour l’équipe : « C’est de la science, ça reste dans le cadre de la science, ce n’est pas de l’appliqué » (Un responsable du programme, réunion d’équipe, avril 2012).

46


Les cages sont différenciées les unes des autres par des codes, inscrits sur des scotchs de couleur (5). Ils indiquent le nombre de générations depuis lesquelles les moustiques ont été retirés de leur milieu naturel, la souche présente dans la cage (Albo ou GSS), la date du dernier repas de sang ou celle de « lancement de la cage » (un stagiaire, avril 2013), selon les besoins. Cet encodage est maintenu de la cage aux données finales produites par les chercheurs, en passant par les stocks de pontes (8) et les tubes à essais dans lesquels passeront les moustiques. [Fin de l’extrait]

47Si les moustiques fascinent les chercheurs, ils n’établissent aucune relation individuelle avec eux. L’unité de référence est non pas l’individu, mais la cage, définie par une souche et une génération. « Priver quelqu’un de son nom, le réduire à un matricule, c’est le rejeter dans le néant » (Zonabend, 1980, p. 18). Chaque cage correspond soit à un projet d’expérience précis, soit à une étape dans le maintien d’un élevage de moustiques en conditions contrôlées. L’élevage a pour fin à court terme de produire des données scientifiques et comme objectif à long terme d’élaborer une stratégie de contrôle de la population de moustiques. Non pas de produire des individus qui se reproduiront à leur tour :

48

« Quand tu empêches un moustique de vivre, biologiquement, pour moi, c’est… c’est l’empêcher de se reproduire, donc euh… À partir du moment où il est stérilisé, il ne vit plus vraiment… »
(Un biologiste, entretien, été 2012)

49Il présente une dimension biopolitique plus que de production [32], car il permet aux chercheurs d’établir une relation de pouvoir sur les moustiques. En cherchant à transformer les moustiques en auxiliaires, ils étendent leur pouvoir sur le vivant au-delà de la seule acquisition de savoirs (Keck, 2003). Ces moustiques d’élevage servent à cultiver la nature, à maîtriser un monde sauvage, à rétablir les frontières entre humains et moustiques.

50Ce court passage dans l’insectarium indique les multiples transformations que subissent chercheurs et moustiques, qui ne sont qu’une étape avant la transformation des pratiques de LAV, pour peu que les moustiques coopèrent. Les moustiques sauvages sont domestiqués, les mâles sont stérilisés, pour devenir des auxiliaires d’une lutte ciblée contre leur propre espèce, des outils biopolitiques. Les chercheurs deviennent des éleveurs de moustiques, acquièrent des savoirs sur la nature, et font de la politique (Beck, 2003, pp. 148-149).

La TIS : un programme de recherche ou une politique de santé publique ?

51Plutôt que de chercher à éliminer les moustiques, la stratégie de la technique de l’insecte stérile vise à les produire par millions pour s’approprier – en les détournant – les comportements de reproduction de l’espèce. En utilisant les moustiques stériles comme des auxiliaires, le champ d’action du service de LAV est profondément réorienté. L’élimination des moustiques des kours limite l’action de lutte aux zones habitées, tandis que les moustiques stériles peuvent se déplacer partout où se trouvent leurs congénères, jusque dans les endroits les plus inaccessibles. De plus, la TIS promet de reconstituer des rapports de pouvoir liés à l’usage des insecticides : on répand des moustiques stériles sur le territoire comme on répand des insecticides. En lâchant des moustiques, le service de LAV pourrait retrouver son identité perdue depuis l’abandon des insecticides, et ne serait plus soumis à l’appropriation des gestes de lutte quotidienne de la population. Le faire reprenant le pas sur le faire-faire (Barbier, 2006), la gouvernance des moustiques redeviendrait centrale et la maîtrise de la lutte par les autorités sanitaires a priori facilitée. Enfin, avec les lâchers de moustiques mâles stériles, la biodiversité de l’île, excepté les moustiques « sauvages », peut être préservée et le collectif d’êtres vivants à protéger (Pécaud, 2011, p. 95) élargi au maximum. C’est là l’intérêt central de la TIS : articuler maintien de la biosécurité et préservation de la biodiversité :

52

« Le programme d’entomologie TIS […] Justification : le développement des résistances aux insecticides et la réglementation de plus en plus contraignante pour l’usage de ces produits posent à moyen terme un problème grave pour les futurs programmes de contrôle vectoriel et justifient des recherches pour le développement de méthodes alternatives plus respectueuses de l’environnement. »
(Préfecture de La Réunion, 2011, p. 53)

53Les perspectives biopolitiques qu’ouvre la TIS en font une stratégie de lutte providentielle, à l’inverse du porte-à-porte, à laquelle elle est régulièrement opposée, bien que les deux techniques doivent être utilisées de manière complémentaire :

54

« Aujourd’hui, la LAV régulière et efficace est une utopie ! Contrairement à la technique TIS. »
(Un responsable du service de LAV, Comité de suivi du programme, avril 2012)

55Les échanges fréquents entre les chercheurs du programme et personnels du service de LAV favorisent l’élaboration d’un discours commun sur l’évaluation des risques, comme le montre cet extrait d’article écrit par un biologiste de l’équipe :

56

« La LAV classique ne pourra pas à elle seule maîtriser toutes les populations de moustiques vecteurs. Il y a une absolue nécessité et une réelle urgence de trouver de nouvelles alternatives de LAV moins polluantes, plus ciblées, moins coûteuses, mieux acceptées par les populations et avec un effet durable dans le temps ».
(Boyer, 2012, p. 62)

57Le ton catastrophiste du chercheur ne nous permet pas de distinguer ce qui relève dans son discours de l’appréciation scientifique, d’opinions ou d’intérêts liés à l’opération (Hermitte, 1997, p. 88 ; Tutton, 2008). La frontière entre expertise et politique est ténue (Beck, 2003 ; Barbier, Cauchard, Joly, Paradeise et Vinck, 2013). Si la technique de l’insecte stérile est un programme de recherche à part entière, comme le revendiquent certains des chercheurs de l’équipe, il n’existe que grâce à une volonté politique forte [33]. Les attentes politiques qui pèsent sur le programme de recherche sont importantes. Il s’insère déjà dans une politique de santé publique biosécuritaire.

58Lorsque l’appréciation scientifique reprend le dessus, les chercheurs laissent apparaître un doute qui tranche avec ces discours de justification :

59

« Moi je pense que ça vaut le coup d’être tenté, parce que j’pense, c’est… c’est presque le dernier recours ! […] Après… c’est vrai que la densité est énorme, et les ravines ne facilitent pas. »
(Biologiste, entretien, mai 2012)

60

« À l’heure actuelle, il est utopique de penser que la SIT [34] pourra marcher sur Albopictus, vu la densité colossale qu’on a à La Réunion. »
(Biologiste, réunion d’équipe, avril 2012)

61Pour pallier cette faiblesse, les biologistes du programme projettent de mettre en place des « cordons sanitaires » matérialisés par des lâchers plus nourris de moustiques stériles, autour des zones habitées :

62

« Vu les échanges de population d’Aedes entre les ravines et villes, vu les densités et des possibilités de recolonisation des aires habitées, un déploiement de la TIS ciblant seulement les zones les plus à risque (cordon sanitaire autour des zones habitées) devrait être efficace. »
(Compte rendu du comité d’orientation, avril 2012)

63Ces frontières biologiques consistent à augmenter la probabilité de rencontre entre les moustiques femelles en provenance des ravines, attirées par la présence d’humains des zones habitées, et les moustiques mâles stériles. Les cordons sanitaires servent alors à réactiver une division de l’espace qui suit des principes hygiénistes (Vigarello, 1993). Ils dessinent des frontières entre ce qui doit rester sain et ce qui peut être malsain, entre l’urbain et les ravines. Les lâchers permettent alors de recourir à des logiques de confinement, qui datent de la fin du XIXe siècle (La Berge, 1992) où, au lieu de contrôler les flux de personnes – défavorables à la libéralisation des échanges (Keck, 2010 ; Hinchliffe, Allen, Lavau, Bongham et Carter, 2013) –, on limite les conséquences des flux de moustiques.

64Des perspectives biopolitiques contenues dans le projet de mise en place de la TIS émane une impression de retour à des formes de gouvernance issues du passé. Mais la TIS s’inscrit résolument dans une logique biosécuritaire : elle promet de limiter les risques d’épidémies en favorisant le contrôle des densités de moustiques, tout en protégeant la biodiversité. Le recours à d’anciennes formes de biopolitique (centralisation de l’action par l’État, confinement) témoigne avant tout de ce que la transformation d’animaux nuisibles en auxiliaires permet, plutôt que d’un retour à d’anciennes formes de gouvernance. Agir sur et à travers les animaux soulève moins de questions éthiques que d’agir sur et à travers les humains.

Conclusion

65Penser ensemble deux stratégies de lutte anti-vectorielle qui ne s’appuient pas sur les mêmes leviers d’actions (la surveillance des comportements de lutte de la population vs la stérilisation des moustiques mâles), qui ne sont pas développées par les mêmes acteurs (service de LAV vs équipe de recherche) et qui n’affichent pas les mêmes objectifs (responsabiliser la population dans la lutte vs préserver la biodiversité), peut sembler contre-productif. Pourtant, ces deux stratégies de lutte sont développées en parallèle et sont appelées à être utilisées de manière complémentaire. De plus, elles répondent à un même objectif : juguler le risque épidémique, en limitant autant que possible l’usage des insecticides. En cela, elles marquent l’entrée de la lutte anti vectorielle à La Réunion dans un régime biosécuritaire.

66La réponse la plus évidente de l’État à l’évitement des insecticides en 2006 a été l’enrôlement de la population dans la LAV. Cette stratégie s’appuie sur la transformation des subjectivités des administrés par l’éducation sanitaire, qui deviennent des acteurs de la lutte. La surveillance des densités de moustiques effectuée lors du porte-à-porte se mue en surveillance du comportement de lutte des habitants de l’île. Le déplacement de la responsabilité de l’État vers la société civile et la surveillance de la population caractérise l’idéologie néolibérale qui réoriente les pratiques de gouvernance en France (Hache, 2007). Ce cadrage idéologique a facilité le déploiement d’une telle stratégie, pourtant coûteuse et déstabilisante. L’État, les moustiques et les administrés acquièrent un nouveau statut, au risque de provoquer des résistances de la population et une crise identitaire au sein du service de LAV.

67La TIS s’appuie sur la transformation des moustiques sauvages en auxiliaires de lutte. Ces opérations de transformation changent dans le même temps les chercheurs en éleveurs et en politiciens. La frontière entre science et politique est floue, car en manipulant les moustiques, c’est le monde des possibles que manipulent les chercheurs (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). Les moustiques ainsi produits portent en eux plusieurs promesses, qui sont en accord avec les attentes biopolitiques actuelles (Keck, 2003). Ainsi, ces moustiques sont la garantie d’une lutte efficace sans impact sur la biodiversité [35]. Les zones de contrôle des densités de moustique seront étendues aux espaces inaccessibles à l’homme. Enfin, les moustiques pourront se soumettre plus facilement aux exigences de l’État que les administrés. Mais ces potentialités ne pourront être confirmées qu’à la mise en place de cette stratégie. Dès lors, les résistances des moustiques à l’élevage et leur extrême densité sur l’île affaiblissent ces « espoirs de vérité » (Keck, 2003, p. 183).

68Ce que nous montrent ces deux techniques, au-delà des transformations socio-politiques qu’elles induisent ou promettent, c’est l’entremêlement entre humains et moustiques (Haraway, 2008 ; Nading, 2012) : la surveillance des moustiques engendre la mise en place d’une surveillance des humains et la transformation des moustiques transforme les humains qui sont à leur contact. C’est pourquoi, dans les deux cas, les acteurs des politiques de santé établissent de nouvelles frontières, symboliques – dans le cadre du protocole Alizés – et biologiques – pour rendre efficace la TIS – entre les ravines et les zones habitées. Entre les espaces où sont admis les moustiques et ceux qui doivent rester spécifiquement humains.

Remerciements

Je remercie l’ARS-OI et « l’équipe TIS » de m’avoir permis de réaliser des enquêtes au sein de leur structure. Je remercie les agents du service de Lutte Anti-Vectorielle de m’avoir accueillie dans leur quotidien au travail, et d’avoir partagé un peu de leur île avec moi. Je remercie les membres du séminaire Anthropologie et Politique(s) de la Nature, M. Roué, A.K. Levain, N. Fortané et F. Keck, les reviewers et l’équipe de la RAC pour leurs relectures, discussions et conseils avisés. Je remercie Samuel, Annie et Jean-Pierre pour leur soutien logistique et moral sans faille.

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Mots-clés éditeurs : biosécurité, moustiques, transformation du vivant, biodiversité, surveillance

Mise en ligne 17/06/2015

https://doi.org/10.3917/rac.027.0213

Notes

  • [1]
    Le DDT est cependant remplacé par d’autres insecticides (Girod, 2001). Les résistances des moustiques, mais également la toxicité des produits justifient ces évolutions.
  • [2]
    À partir du 1er janvier 2006, la lutte anti-vectorielle relève légalement du Conseil général. Mais en pleine crise, le transfert du service de l’État au Conseil général n’est pas possible. Les municipalités doivent assurer la prophylaxie dans leur commune. Cette complexité légale, couplée à des difficultés de communication entre la DRASS et la Préfecture ralentit la prise en charge d’une épidémie qui enfle rapidement.
  • [3]
    L’alerte a été lancée en 1962 par Rachel Carson à l’occasion de la publication de son livre Silent Spring.
  • [4]
    Le service est agrandi en janvier 2007 (150 agents), puis en décembre 2007 (220 agents). Les nouveaux agents sont recrutés sur concours.
  • [5]
    Le service de lutte anti-vectorielle est intégré dans le Groupement d’Intérêt Public Lutte Anti-Vectorielle Service de prophylaxie Renforcée (GIP-LAV-SPR) qui réunit l’État (Préfecture, DRASS, service de lutte anti-vectorielle), le Conseil général, le Conseil régional, les intercommunalités, les communes et des associations (Préfecture de La Réunion, 2006). Il collabore étroitement avec les organes de veille sanitaire que sont la Cire (Cellule interrégionale d’épidémiologie), le réseau SEGA (Surveillance épidémiologique et gestion des alertes) et le CRVOI (Centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes de l’océan Indien), créé en 2007 suite à l’épidémie.
  • [6]
    Cette division tripartite des acteurs est imparfaite, mais met en évidence le principe de symétrie mobilisé.
  • [7]
    J’ai été impliquée, dans le cadre de ma thèse, financée par l’Université de La Réunion, dans le programme de recherche sur la TIS. J’ai été accueillie à ce titre au sein du CRVOI, qui hébergeait l’équipe. Mon implication dans le programme de recherche m’a sans cesse interrogé sur mon engagement professionnel et éthique au sein de l’équipe. De la même manière, ma double formation en biologie et en anthropologie a nécessité une prise de distance critique avec des pratiques de recherche et des représentations du monde et de la nature qui me semblaient de prime aller de soi.
  • [8]
    La kour est un espace que se partagent parfois plusieurs familles pour y construire leurs maisons, élever leurs animaux, faire pousser des plantes alimentaires et médicinales. Avec la généralisation de la famille nucléaire, la kour pourrait aujourd’hui être synonyme de jardin dans la plupart des cas.
  • [9]
    La fête kaf est le nom donné au jour de commémoration de la fête de la fin de l’esclavage à La Réunion. Elle a lieu le 20 décembre.
  • [10]
    Le baro désigne le portail de la kour.
  • [11]
    « Nous venons voir si vous n’êtes pas trop embêté avec les moustiques. Vous n’êtes pas trop embêtés par les moustiques ? » trad. pers.
  • [12]
    « Vous avez bétonné une partie de votre jardin ? » trad. pers.
  • [13]
    « Je peux faire un petit tour dans votre jardin ? » trad. pers.
  • [14]
    « Elle est sale, bouchée ! » trad. pers.
  • [15]
    « Un jardin mal entretenu » trad. pers.
  • [16]
    « Parfois, quand le papayer est coupé comme cela, il peut y avoir des moustiques dedans » trad. pers. Le papayer a un tronc creux et spongieux. Il peut accumuler de l’eau, dans laquelle les moustiques peuvent pondre.
  • [17]
    La « population » est une catégorie vernaculaire du service de lutte-anti-vectorielle, qui désigne les habitants de La Réunion comme une totalité large et indéfinie.
  • [18]
    La caz désigne la maison.
  • [19]
    Le traitement de nuit sert à limiter les effets indésirables de la deltaméthrine : démangeaisons, suffocations, irritations.
  • [20]
    Les zerbaj désignent les plantes médicinales. À La Réunion, elles sont largement utilisées.
  • [21]
    Les légumes lontan étaient utilisés quotidiennement avant l’exportation de produits et normes alimentaires français.
  • [22]
    Il est possible de diminuer la toxicité des insecticides en les mélangeant à une base aqueuse, plutôt qu’à une base huileuse ou en diminuant leur concentration dans ce mélange.
  • [23]
    Le Bti ou Bacillus thuringiensis israelensis, est fabriqué à partir d’un extrait de bactérie, ce qui lui vaut sa dénomination d’insecticide « biologique ».
  • [24]
    Les « agents » ne sont pas une entité homogène. Certains, rares, travaillaient auparavant dans le service de prophylaxie. D’autres ont été recrutés à l’occasion de l’épidémie comme contractuels, et deux concours de la fonction territoriale ont été ouverts en 2007 (janvier et décembre) pour former l’essentiel des équipes. N’étant pas du même niveau, il y a eu, lors du premier recrutement, essentiellement des personnes ayant un niveau d’études élevé, tandis que le second concours a permis de faire entrer des profils plus variés.
  • [25]
    « Une fois que vous aurez nettoyé les ravines, vous pourrez venir chez nous ! » Les ravines sont des cours d’eau généralement temporaires, dans lesquels des milliers de trous de rochers créent autant de lieux de pontes pour les moustiques. Elles sont donc souvent associées aux moustiques, et inversement.
  • [26]
    Ces revendications ont été portées par une personne qui a vu mourir ses lapins le lendemain de la démoustication et qui a convaincu ses voisins de signer une pétition contre les traitements de l’Agence de Santé. Lors du chikungunya, de tels dommages ont eu parfois lieu en raison des dosages non maîtrisés de produits chimiques plus toxiques.
  • [27]
    Ces recherches d’ingénierie sont essentiellement menées à Vienne (Autriche) à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, où travaille une partie de l’équipe. Mais les moustiques locaux ont leurs particularités qui nécessitent d’être connues pour passer d’un élevage de recherche à un élevage de masse.
  • [28]
    IRD (2012). Sciences au Sud. Le journal de l’IRD, 66, 1-2.
  • [29]
    Les moustiques prennent le nom de « souche » dès lors qu’ils se soumettent à l’élevage en insectarium.
  • [30]
    L’Agence Internationale de l’Énergie Atomique est partenaire du projet. Elle soutient des recherches sur la TIS dans plusieurs pays du monde (Soudan, Maurice, Madagascar, etc.).
  • [31]
    SIT est l’acronyme de la Technique de l’insecte stérile en anglais.
  • [32]
    Voir la définition de l’élevage proposée par A.-M. Brisebarre dans le dictionnaire de Bonte et Izard (2007, pp. 225-226).
  • [33]
    Le ministère de la Santé finance le projet à hauteur de 700 000 €, de même que la Région Réunion et l’Union européenne. L’engagement de ces acteurs publics témoigne de l’intérêt politique de la technique. Le service de LAV de La Réunion a participé à l’écriture du projet et est en étroite collaboration avec les chercheurs du programme.
  • [34]
    SIT pour Sterile Insect Technique.
  • [35]
    Pour le service de LAV, la préservation de la biodiversité est un « argument commercial » (Comm. pers., entomologiste, avril 2015), mais ne participe pas de la stratégie de lutte du service.
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