Couverture de RAC_009

Article de revue

Innovation par l'usage et objet-frontière

Les modifications de l'interface du jeu en ligne Mountyhall par ses participants

Pages 87 à 113

Notes

  • [1]
    Voir l’encadré ci-dessous pour une description du jeu dans ses grandes lignes.
  • [2]
    Voir notamment : hhttp:// www. wowinterface. com/ et http:// www. eq2interface. com/
  • [3]
    Les plus connus et débattus sont les « bots » – selon un nom dérivé du terme « robot ». Il s’agit d’automatisations qui jouent à la place du joueur. Mais cela concerne aussi tous les programmes permettant de créer de l’or, de dupliquer les objets, ou de téléporter le joueur.
  • [4]
    Pour un exemple d’une telle tentative de définition, sur le forum officiel français de World of Warcraft :
    http:// forums. wow-europe. com/ thread. html? topicId= 17792134&sid= 2
    Ces modifications sont donc des objets controversés, révélateurs des tensions entre acteurs, par exemple : http:// www. eq2interface. com/ forums/ showthread. php? t= 2417&highlight= hack
  • [5]
    Nous réservons l’appellation d’« espace social en ligne » à l’ensemble formé par les sites web et les communications entre les participants, tandis que nous désignons comme « terrain de jeu » le monde virtuel lui-même, c’est-à-dire l’espace de participation plus restreint que propose l’interface de jeu.
  • [6]
    Le terme de « jeux alternatifs » est utilisé notamment par les annuaires français du genre, eux-mêmes gratuits et associatifs : hhttp:// www. tourdejeu. com ;htttp:// www. jeux-web. com/  ;htttp:// www. gamersroom. com/ . Plusieurs traits inscrivent ces jeux dans la consommation engagée : une alternative au marché, qui s’appuie sur la participation des consommateurs à la production, à la fois par le don et par le bénévolat, et qui construit ainsi une résistance à – ou pour mieux dire ici une réappropriation de – la culture de masse (Dubuisson-Quellier, 2009).
  • [7]
    Warez : tout le domaine de la copie illicite de logiciels, des équipes aux réseaux de distribution.
  • [8]
    Abandonware : pratique illicite mais souvent tolérée consistant à mettre à disposition gratuitement des jeux qui ne sont plus distribués commercialement. Soulignons que, actuellement, le droit de propriété des œuvres intellectuelles inclut la possibilité de les refuser totalement au public.
  • [9]
    Modding : modifications de jeux commerciaux, donc utilisables uniquement par les possesseurs du jeu modifié.
  • [10]
    Machinima : le terme désigne aujourd’hui les films d’animation filmés à l’intérieur des mondes ludiques, c’est-à-dire ceux où le monde et les avatars du jeu sont utilisés comme décors et personnages du film.
  • [11]
    Par exemple, la moitié du contenu de l’encyclopédie contributive Wikipédia est rédigé par 1% des contributeurs (Kostakos, 2009). De même, l’immense majorité des projets de développement de logiciel libre, à quelques exceptions près, est le fait de « collectifs » ne reposant que sur une ou deux personnes (Von Hippel, 2005).
  • [12]
    L’évaluation que nous avions réalisée au début de notre ethnographie par le croisement des sources disponibles – discussions sur les forums, photographies des rencontres IRL, références culturelles mobilisées, etc. a été ensuite corroborée dans les résultats d’une enquête quantitative réalisée en 2006 auprès de 600 joueurs (Boutet, 2006).
  • [13]
    Nous avons recensé cette population – une centaine de participants environ – au cours de notre ethnographie, et entretenu une correspondance suivie par e-mail avec la plupart d’entre eux.
  • [14]
    Le permis de conduire fait exception – il illustre aussi le coût considérable de la certification d’un usage compétent.
  • [15]
    « Ce qui fait défaut dans l’approche du savoir à travers la notion de système (ou de champ), c’est une bonne conception de la dispersion spatiale du savoir dans la vie sociale ou, si l’on préfère, de l’implosion des processus du savoir dans la société » (Knorr Cetina K., 1998, p.3).
  • [16]
    Reprenons l’exemple cité plus haut à partir d’E. Von Hippel : celui qui, parmi les passionnés de vélo tout terrain, est par ailleurs ingénieur en aéronautique envisage ce vélo comme un objet aérodynamique, plutôt que comme un véhicule, ou encore un mécanisme résistant aux chocs.
  • [17]
    Dans l’exemple toujours d’E. Von Hippel, le concepteur de vélos aérodynamiques entre en relation avec ceux des pratiquants qui sont reconnus comme des experts du saut à vélo.
  • [18]
    J. Dewey a éclairci cette différence entre « avoir intérêt à » et « s’intéresser à » (Dewey, 2008 ; Bidet, 2008b). Ces développements ont alimenté notamment les travaux de D. A. Schön sur les phénomènes de réflexivité au sein des organisations et des activités professionnelles (Schön, 1983).
  • [19]
    http:// www. mountyhall. com/ Forum/ display_forum_topics. php? ForumID= 21
  • [20]
    http:// fr. groups. yahoo. com/ group/ Interfaces-Externes-pour-Mountyhall/
  • [21]
    http:// universitedestrolls. free. fr/
  • [22]
    Comme il s’agit de persistance plus que de représentativité, de rythmicité plus que de quantité, un tel phénomène pourrait échapper à une analyse construite autour des seules occurrences de termes.
  • [23]
    Nous présentons ailleurs les prolongements quantitatifs de cette analyse (Boutet, 2008).
  • [24]
    Nous détaillons ailleurs la façon dont certaines règles présentent, sur ces espaces, des enjeux « politiques » : elles déterminent les modes de vie compatibles avec l’engagement dans le jeu et, par là, décident indirectement avec qui l’on joue (Boutet, 2008).
  • [25]
    En décembre 2007, nous avons recensé et cartographié 555 sites (Boutet, 2008).
  • [26]
    http:// games. mountyhall. com/ mountyhall/ View/ PJView. php? ai_IDPJ= 1
  • [27]
    http:// games. mountyhall. com/ mountyhall/ View/ AllianceView. php? ai_IDAlliance= 10
  • [28]
    Sous forme de « fichiers publics » ((http:// ftp. mountyhall. com)et de « scripts publics » (http:// sp. mountyhall. com)
  • [29]
    http:// gros. keke. free. fr/ trolloscope/ packsMH/

INTRODUCTION

1Au cours de cinq années d’ethnographie du jeu en ligne « Mountyhall, la terre des trõlls » ((http:// www. mountyhall. com),nous avons observé ses participants expérimenter d’autres interfaces que l’interface officielle [1]. En particulier, le terrain de jeu commun a donné lieu à des représentations alternatives – nommées, selon les cas, « vues 2D », « cartes », « GPS », etc. Nous présentons l’histoire de ces expérimentations, qui séduisent certains, apparaissent à d’autres contestables, et enfin, selon les cas, déçoivent et/ou se banalisent. De telles modifications (Fig. 1), qui ne sont pas ici l’œuvre de l’« éditeur » ou « gestionnaire », mais de « participants » ou « joueurs », touchent aussi les jeux les plus diffusés aujourd’hui [2], en ligne comme hors ligne, industriels comme associatifs (Jeppesen, Molin, 2003 ; Zabban, 2007). Elles donnent alors lieu à de subtiles distinctions entre, d’une part, les « programmes tiers [3] », interdits car considérés comme des tricheries qui modifient les règles et, d’autre part les « modifications d’interface » autorisées, favorisées et régulées [4]. Et certains auteurs proposent d’y lire une tendance culturelle, propre à une culture de la participation (Raessens, 2005 ; Genvo, 2008). Nous avons rencontré, sur le terrain du jeu web Mountyhall, de telles modifications d’interface, bien qu’il soit marginal par rapport aux grandes productions de l’industrie du jeu vidéo. En effet, au cours de ses sept années d’existence à ce jour, l’espace social en ligne [5] constitué autour de ce jeu ne comprend qu’un peu plus de cinq cents sites, et n’est parcouru quotidiennement que par environ onze mille participants francophones (Boutet, 2008).

2Totalement gratuit, financé par les dons et la publicité, géré par une association belge sans but lucratif ((http:// jeuxweb. org/ ),Mountyhall témoigne néanmoins de la vitalité du secteur du jeu alternatif [6] qui n’a pas été jusqu’ici exploré par les Game Studies. En dehors de quelques références aux fans, le gratuit et l’associatif n’y sont jamais cités. Au sein de ce jeune champ de recherche international l’industrie reste en effet au cœur de la définition de l’objet étudié ; et ce, y compris chez les auteurs qui développent un point de vue critique et cherchent à s’en dégager, en considérant par exemple que « l’activité du joueur s’étend à travers les réseaux «warez» [7] et les archives d’ «abandonware» [8], la scène du «modding» [9], la production de machinima[10], et les tumultes des jeux en ligne massivement multijoueurs (MMOG) » (Coleman, Dyer-Witheford, 2007, p. 934, nous traduisons). Quoique la référence aux réseaux de copie soit provocante, le jeu vidéo reste alors défini comme un produit industriel, et non comme une pratique culturelle.

tableau im1
Figure 1 : En haut : la représentation officielle du terrain de jeu de Mountyhall. En bas : un fragment de la « vue 2D » de la guilde « Relais & Mago ».

3Les modifications d’interface, étudiées ici au sein de Mountyhall, sont donc un phénomène qui traverse tout le domaine des jeux vidéo. Elles font partie de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis les travaux d’économie industrielle menés dans les années 1980 par Eric Von Hippel, l’« innovation par l’usage » (Von Hippel, 1988). Au-delà d’un constat empirique clair selon lequel une partie des innovations industrielles ont pour origine non les producteurs mais les usagers, l’interprétation de ce phénomène a donné lieu aux hypothèses les plus contradictoires. D’un côté, des commentateurs enthousiastes y voient le signe que les technologies favorisent la créativité des usagers – rattachant cette thèse à l’« intelligence de la foule » ou aux « pro-ams » (ce dernier terme désignant des amateurs capables de concurrencer les professionnels sur leur terrain). À l’opposé, des travaux ont insisté sur la distance entre « créativité » et « innovation » et sur le faible nombre d’innovateurs parmi les usagers [11]. Le cas que nous étudions relève davantage de cette seconde catégorie : seuls quelques-uns des participants expérimentent et innovent.

4En nous intéressant aux « Vues » créées par des joueurs de Mountyhall, nous allons suggérer que la sociologie des phénomènes d’innovation par l’usage peut trouver dans la notion d’« objet-frontière » une conceptualisation ajustée. Après avoir introduit la question de l’innovation par l’usage et précisé notre méthode d’enquête et de recueil de données (1), nous présentons les acteurs de ces expérimentations (2), puis nous entrons dans l’analyse des « Vues » ainsi produites et de leurs trajectoires pour montrer l’intérêt de s’appuyer sur la notion d’objet-frontière (3).

1. INNOVATION PAR L’USAGE ET OBJETS FRONTIèRES

1.1 Caractériser les usagers innovateurs

5Précisons d’abord que si tous les joueurs n’innovent pas, c’est que les usagers innovateurs ne sont pas des usagers comme les autres. Nous avons étudié ailleurs les publics du jeu Mountyhall et leurs façons de jouer (Boutet, 2006). Notre objet ici est autre. L’étude de l’innovation ne rejoint en effet celle des publics qu’à long terme, d’un point de vue diachronique, dans les cas où certaines innovations, en se diffusant, transforment les usages ordinaires. Aussi, les expérimentations de ces participants particuliers doivent-elles être prises en compte pour comprendre comment ces espaces sont organisés et évoluent – ce qui est sans doute valable pour les jeux vidéo, comme pour Internet, qui est le théâtre d’incessantes expérimentations formelles. Reste qu’à plus court terme, et d’un point de vue sociologique, la population des innovateurs est assez différente de celle des joueurs de Mountyhall. La population des joueurs, avec une moyenne d’âge de 26 ans, est sensiblement plus âgée que ne le laissent penser les stéréotypes sur les jeux vidéo (Boutet, 2003) [12]. Cela inscrit ce jeu en ligne dans un mouvement d’élargissement du public des jeux vidéo hors du seul domaine des loisirs adolescents, élargissement qui semble correspondre au vieillissement des premières générations qui les ont pratiqués (Donnat, 2009, 38). Nos observations et nos entretiens ont ainsi dressé le portrait de pratiquants de jeux de société, jeux de rôle ou jeux vidéo cherchant à poursuivre cette activité alors qu’ils s’engagent dans leur premier emploi ou dans une vie familiale. En revanche, les innovateurs dont nous allons suivre les réalisations sont un peu plus âgés – avec une moyenne d’âge de 30 ans environ [13] et, surtout, les expérimentations autour du jeu sont pour eux une occasion de mettre en pratique, hors de leur milieu professionnel, une compétence qui en est issue. Ce sont de jeunes professionnels, ou des étudiants en fin d’études et, principalement, du moins pour les réalisations que nous allons présenter, des informaticiens et des dessinateurs. Une fois qu’ils ont mis en place les premières cartographies du jeu et écrit des tutoriaux, ils ont été rejoints par quelques adolescents apprenant à programmer. Relativement aux joueurs, la population des innovateurs est donc plus homogène, plus âgée, et recentrée sur les classes moyennes supérieures.

6Toutefois, et c’est là un argument central des travaux d’E. Von Hippel, il n’y a pas de raison pour qu’une population homogène sur le plan socio-démographique le soit également du point de vue de ses compétences. L’étude de l’innovation ne s’attache pas principalement à ce que les usagers ont en commun, mais à ce que seuls quelques-uns possèdent : parmi eux, se trouvent les spécialistes et les professionnels les plus divers, disposant des compétences les plus pointues. Autrement dit, les usagers innovateurs ont le plus souvent bien d’autres ressources que leur seule expérience d’usager. E. Von Hippel donne l’exemple des améliorations de vélos tout terrain issues de l’intervention d’un passionné pendant ses loisirs : il a permis aux vélos de sauter plus haut grâce à ses compétences d’ingénieur de l’aéronautique spécialisé en aérodynamique (Von Hippel, 2005). Si, dans nos sociétés, l’École et la législation contribuent à garantir qu’un professionnel possède certaines compétences, rien n’indique en revanche, dans le domaine des loisirs et de l’usage des techniques, que les usagers ont ou n’ont pas certaines compétences [14]. Ainsi, l’économie de l’innovation par l’usage explore les conséquences de ce que K. Knorr-Cetina désigne comme la dispersion du savoir dans nos sociétés [15]. L’originalité du raisonnement d’E. Von Hippel tient au contraste entre un argument macroscopique et structurel – l’hétérogénéité des compétences des usagers ; et un argument microscopique et écologique – il suffit d’une incongruité pour donner naissance à une innovation susceptible d’avoir, en se diffusant, des conséquences globales sans commune mesure avec son point de départ. Celui-ci peut tenir au rapprochement fortuit entre un usage et un savoir-faire qui semblait n’avoir aucun rapport avec lui avant l’innovation.

1.2 La coordination et motivation de professionnels hors d’un cadre organisationnel clair

7L’innovation par l’usage, ainsi comprise, pose donc moins la question des compétences des usagers que de la coordination et de la motivation de ces professionnels hors de tout cadre organisationnel clair. Ceci peut nous amener à introduire la notion d’« objet-frontière ». Elle a été forgée en effet par S. L. Star et R. Griesemer pour étudier des activités collectives marquées par une « hétérogénéité » – en donnant à ce terme un sens très proche de celui que nous venons de mobiliser, puisqu’il s’agit d’étudier la coopération de « groupes d’acteurs extrêmement divers – des chercheurs de différentes disciplines, des amateurs et des professionnels, des hommes et des animaux, des fonctionnaires et des visionnaires » (Star, Griesemer, 2008, 233). Dans ce contexte, la notion d’« objet-frontière » désigne des objets « qui appartiennent à différents mondes sociaux qui se rencontrent », et « qui satisfont aux demandes d’information provenant de chacun de ces espaces » (Star, Griesemer, 2008, 242). En particulier, ils ont la propriété d’être « suffisamment flexibles pour s’adapter aux besoins particuliers, pour se plier aux contraintes des différents groupes qui les utilisent et cependant suffisamment robustes pour garder une identité commune sur leurs différents sites ». Quoique le contexte institutionnel soit bien distinct de celui de l’innovation scientifique étudié par S. L. Star et R. Griesemer, nous faisons l’hypothèse que, pour les usagers s’engageant dans une innovation, l’objet en usage peut jouer ce rôle de référence commune, tout en étant compris différemment par chacun [16]. Le caractère très concret et spécifique qu’acquièrent les objets de consommation, lorsqu’il en est fait usage, a été exploré par la sociologie française des usages (Jouët, 2000 ; Flichy, 2008 ; Boutet, 2009). Ces objets conservent néanmoins une identité générique d’objets de consommation (Breviglieri, 1999). Dans le cas du jeu Mountyhall, les participants s’entendent sur le fait qu’ils jouent au même jeu, tout en y jouant de façons parfois très différentes car ajustées à leurs situations particulières. Ainsi, les objets en usage ont la propriété qu’« utilisés par tous, ils présentent une structure lâche, alors que dans l’usage individuel, leur structure est très solide » (Star, Griesemer, 2008, 242). Dans le cours de l’innovation par l’usage, cela leur permet d’opérer comme autant d’objets frontières.

8Outre la question de la coordination, se pose celle de la motivation de ces usagers à investir des compétences professionnelles hors de leur cadre salarial et de leur mission professionnelle. Les travaux sur l’innovation par l’usage soulignent souvent un intérêt direct pour l’usage, et la reconnaissance obtenue auprès du groupe des pairs (Von Hippel, 2005). Quoique moins clairement mise en évidence, la reconnaissance de la part de figures prestigieuses de la communauté peut être déterminante : dans la plupart des domaines où l’innovation par l’usage a été étudiée, tels l’instrumentation scientifique, les sports de compétition ou les jeux vidéo, il existe des mesures de performance et des hiérarchies entre pratiquants [17]. Il ne faut pas néanmoins surestimer la possibilité pour les usagers d’acquérir de la reconnaissance ou une réputation grâce à leurs innovations. Dans le contexte très particulier de l’innovation par l’usage, le fait qu’un objet de consommation serve de référent commun confère en effet mécaniquement à son producteur (l’éditeur, l’industriel, le gestionnaire...) une légitimité quasi-exclusive. Il est difficile, et peut-être plus qu’ailleurs, d’y construire des intermédiations solides. Autour de Mountyhall, on observe très peu de processus d’« intéressement » au sens de la sociologie de l’innovation : des alignements d’acteurs amenant des traductions stables. En revanche, de nombreux usagers se trouvent enrôlés dans des projets d’innovation par l’usage, non tant parce qu’ils y auraient intérêt, mais parce qu’ils s’y intéressent[18].

1.3 Méthode d’enquête et matériaux

9Pour suivre le processus de conception des « Vues », nous nous appuyons sur les discussions menées : sur les forums du jeu, en particulier la rubrique Outils pour Mountyhall[19] ; au sein du groupe par mail Interfaces pour Mountyhall[20] ; et sur deux listes réservées, l’une aux seuls programmeurs du jeu ((dev_info@ mountyhall. com),et l’autre à toute l’équipe de gestion ((team_info@ mountyhall. com). Après avoir découvert l’existence de ces espaces de discussion, nous avons pu y négocier notre inscription grâce à une ressource précieuse : le travail de recensement qui accompagne la recherche, et dont le matériau brut est apprécié des innovateurs [21]. Cela nous a permis de lire quotidiennement ces listes et forums pendant cinq ans, et de voir le retour périodique de certains arguments, au milieu parfois de discussions où il est question de tout autre chose [22].

10Notre méthode est ethnographique. Suivre les acteurs implique, sur Internet, une attention particulière aux repères qu’ils se donnent en ligne [23], aux coulisses plus ou moins privatives qu’ils construisent (notamment en installant des mots de passe sur certaines pages et forums), et aux prolongements hors ligne des engagements dans le jeu. L’observation participante a été pour cela un outil important, suivant le principe qu’un monde social « est un laboratoire pour ceux qui y vivent avant de l’être pour ceux qui l’observent ou l’analysent » (Joseph, 2002, p. 84).

11Avant de présenter les acteurs des expérimentations que nous étudions ici, nous résumons dans l’encadré ci-dessous les quatre principales caractéristiques du jeu Moutyhall

Principales caractéristiques du jeu Mountyhall :

a) Un rythme quotidien
Le monde de jeu est « persistant », c’est-à-dire accessible à toute heure, et les personnages y sont présents en permanence. Le jeu a un rythme quotidien : chaque personnage dispose pendant douze heures de six « Points d’Action » ou « PA » à dépenser, au terme desquelles (la « Date Limite d’Action » ou « DLA ») un nouveau « tour de jeu » commence, avec à nouveau douze heures pour dépenser six nouveaux « PA », etc. Les déplacements sont coûteux : se déplacer d’une case coûte d’un à trois « PA ». Aussi, s’éloigner ou s’approcher prend du temps : on garde un moment les mêmes voisins.
b) Un thème classique : survivre dans un univers hostile
Quelques mots du vocabulaire indigène permettent d’introduire le cadre d’activité partagé. Chaque joueur joue un « trõll » (personnage) qui se déplace « dans les souterrains du Hall » (sur l’espace de jeu) « de caverne en caverne » (de case en case, chaque case étant repérée par ses coordonnées). Un « trõll » chasse des « monstres » (animés par le serveur de jeu), peut provoquer en duel d’autres « trõlls » (joués par d’autres joueurs), et gagner en « expérience » (des points, qui déterminent son « niveau ») au fil des combats. Il ramasse et troque des « trésors », et s’équipe notamment d’armes et d’armures. Le thème est donc classique : il s’agit de survivre dans un univers hostile.
c) Les personnages ne sont pas des chevaliers mais des créatures :
Les participants de Mountyhall jouent tous des personnages du type « trõll ». Le terme désigne à la fois des monstres géants dans le « médiéval fantastique » contemporain, et des lutins dans les mythologies nordiques. Dans les deux cas, il s’agit d’une créature monstrueuse, difforme, magique ; et son apparence précise varie, comme ses représentations picturales et littéraires. Cette ouverture à l’interprétation sur fond de riches références culturelles est renforcée par le fait que le jeu propose très peu de récits et d’iconographie préfabriqués (Fig.2). Elle s’accompagne également d’une touche d’autodérision : les personnages ne sont pas de preux chevaliers en armure, mais des créatures monstrueuses et laides. L’autodérision est redoublée par le fait que sur Internet, et les espaces de discussion en ligne, un « troll » désigne quelqu’un qui fait de la provocation, et plus précisément défend des points de vue outranciers, non par conviction, mais afin de pousser les autres à sortir de leurs gonds.
d) Une sociabilité tissée de rencontres et de groupements :
L’activité de jeu donne lieu à deux types de regroupements : des « groupes de chasse » (équipes de quatre à six personnages) ; et des « guildes » (alliances d’une vingtaine de membres en moyenne). Une « guilde » a un nom, qui apparaît dans la vue aux côtés de celui du personnage (Fig. 1 ; Fig.2). Elle dispose le plus souvent de son site, et d’un lieu de discussion réservé aux membres, souvent sous la forme d’un forum web. Outre ces regroupements, un « code de circulation » (Goffman, 1996, 21) se développe – en raison du grand nombre de participants et de la stabilité des voisinages. Occasionnellement de grandes batailles ont également lieu.

2. MOUNTYHALL ET LES ACTEURS DES EXPéRIMENTATIONS

12Pour rendre compte des dynamiques qui prennent place aux marges du jeu, nous devons décrire pour commencer l’acteur central de l’espace social du jeu : l’équipe gestionnaire.

2.1 Une équipe de gestion du jeu souveraine

13Yves Savonnet est le créateur du jeu. Appelé par les participants « le DM » (Maître du Donjon), il est initialement, et pendant quelques mois, le seul gestionnaire du jeu, avant d’être progressivement rejoint par d’autres développeurs, des enquêteurs arbitrant les tricheries, des animateurs, et des modérateurs de forums. À la fin de la troisième année d’existence du jeu, ces personnes seront appelées « l’équipe du jeu », dans une volonté de routinisation du fonctionnement. Au départ, chacune des personnes rejoignant le DM candidate spontanément en indiquant ce qu’elle pourrait faire ; les rôles au sein de l’équipe sont ainsi inventés au fur et à mesure. Après cette première phase, des cooptations s’ajouteront aux candidatures spontanées, afin de faire face à la charge de travail croissante avec le nombre de joueurs. Une association « Jeux Web », créée à la fin de la deuxième année, va fournir un cadre légal à la gestion financière des infrastructures informatiques (hébergement et serveurs) dont les revenus viennent des dons, de la publicité, et de la vente de « goodies » – des t-shirts et figurines, créés gratuitement par des joueurs qui sont également artistes professionnels, de même que des experts en bases de données et en code améliorent le jeu.

14Les frontières de l’équipe, quoique perméables, sont bien réelles. Premièrement, les seuls participants du jeu à candidater sont les plus impliqués. Les mails de candidature témoignent de solides références : ils ont un personnage de bon niveau, ayant une histoire dans le jeu, et appartenant à une guilde où il a assumé des responsabilités importantes. Notons d’emblée que cette logique d’affiliation et de responsabilité, qui vient couronner une carrière s’étalant souvent sur plusieurs années, est aux antipodes de l’innovation par l’usage, qui relève plutôt d’un opportunisme guidé par une bonne idée. Deuxièmement, le travail de l’équipe du jeu n’est pas public, ni son déroulement ni ses productions. En particulier, Mountyhall ne participe en rien d’un projet de logiciel libre : le code est secret. Les raisons avancées sont d’abord la sécurité, le DM ne s’estimant pas expert dans ce domaine. Ensuite un code libre, dans la mesure où il permettrait des clones du jeu et des variantes, est perçu comme porteur d’un risque d’éclatement du collectif. Enfin, les gestionnaires du jeu affirment que les joueurs veulent être surpris par les nouveautés, et des joueurs témoignent effectivement de ce souci. Avec ces arguments, se dessine surtout une gouvernance du jeu et de son espace social [24]. La légitimité de l’équipe est particulièrement forte, car elle est constituée d’un groupe de bénévoles travaillant gratuitement à entretenir et à améliorer un produit mis à disposition gratuitement, et sous le patronage de la figure charismatique du créateur du jeu – communément appelé « cher DM » sur les forums. Quoique le DM soit un gestionnaire de projet accueillant les initiatives, la gestion d’un espace social qui en vient à comprendre onze mille participants place les bénévoles sous une contrainte forte, nécessitant de hiérarchiser les objectifs et de définir clairement ce qui est important et ce qui ne l’est pas.

15Si ce fonctionnement attire les bonnes volontés, il laisse a priori peu de place aux expérimentations dilettantes, même autour de bonnes idées. Au cours du temps, l’interface va néanmoins changer. Les principaux changements concernent les groupes de joueurs (cf. encadré). Initialement prévu pour le jeu en solitaire, ou entre connaissances, le jeu ne prévoyait aucune règle concernant les groupes, laissant aux joueurs le soin de s’organiser. Face aux demandes répétées, la possibilité de créer une « guilde » est ajoutée dès la fin de la période de test du jeu ; le nom de cette « guilde » est inscrit à droite de celui du personnage (Fig. 1 ; Fig. 2). Des « rangs » et une page où déclarer publiquement des « diplomaties » (guildes amies et ennemies) sont également créés. D’autres modifications concernent enfin l’apparence de l’interface. Or tous ces changements sont préparés par ce qui se passe ailleurs sur l’espace social du jeu : hors du terrain de jeu, sur les centaines de sites créés par les joueurs [25]. Si des règles relatives aux groupes apparaissent et sont ensuite sans cesse enrichies c’est en effet parce que, sur ces sites, les joueurs discutent, s’organisent, et inventent de nouvelles manières de jouer ensemble – qui sont soutenues par les innovations de « Vues » que nous allons présenter. Or, bien que cela se passe sur d’autres sites, nous allons voir que l’interface de jeu joue le rôle d’un référent central.

2.2 Un terrain de jeu austère

16L’interface de Mountyhall est entièrement composée de pages web en html. Les participants accèdent au jeu à partir de leur navigateur web (browser game). Créée en 2001, cette interface est très proche, par certains traits, du « Web 2.0 » développé ultérieurement (Cardon, Aguiton, 2007) : elle propose une structure simple, dont le rôle est d’aménager la circulation parmi les contenus apportés par les usagers, et d’organiser l’attention collective qui leur est portée. Le cœur de cette interface est une représentation du « terrain de jeu » sous forme textuelle, sur une page titrée « Ma Vue » (Fig.2).

17Cette page propose des outils qui permettent de circuler au sein de l’espace en ligne. D’abord, chaque participant y découvre ce qui se trouve à proximité de son personnage, et forme en quelque sorte son actualité dans le jeu, notamment les personnages joués par d’autres joueurs. Sur cette page, les noms des personnages sont des liens hypertexte vers les « profils » des personnages et de leur guilde. Chaque guilde, qui dispose également d’une page de profil pour se présenter et afficher sa « diplomatie », peut indiquer là l’adresse de son site web éventuel. Ensuite, cette interface est organisée comme un client mail, et la liste des noms des autres personnages peut apparaître comme autant d’occasions de contact. Au cours d’un entretien, quelques mois après la création du jeu, alors que le jeu totalisait quatre cent inscrits, le DM nous expliqua que son idée, en réalisant un jeu qui demandait peu de temps aux joueurs, était de laisser d’autant plus d’espace aux échanges de mails entre eux. Ceci est encore facilité par la possibilité de s’envoyer des « messages privés » dans le jeu (sans avoir à échanger d’adresses mails).

tableau im2
Figure 2. Le « terrain de jeu » tel qu’il est représenté dans le jeu Mountyhall.

2.3 Des dessinateurs portraitistes

18Cette interface très simple présente très peu de récit et d’iconographie préfabriqués. Elle propose par contre une page, appelée « profil », qui existe pour chaque trõll [26] et chaque guilde [27], où les décrire par le dessin et le récit. Le jeu invite ainsi les participants à inventer leurs personnages, et par ce biais également un monde imaginaire commun. Se développent là des formes de participation et des occasions d’inventivité qui ne sont pas notre objet ici. Il est important néanmoins de noter que le profil prévoit à côté des données calculées du personnage une case pour un « blason », positionné comme une photographie sur une pièce d’identité. Le plus souvent, ce sont des images recyclées qui sont utilisées par les joueurs. Toutefois, certains dessinateurs s’emparent de ce medium et proposent des créations originales, représentations de personnages qui réinterprètent au passage le thème du « trõll » (Fig.3). Nos entretiens avec ces dessinateurs indiquent qu’ils ont plus d’intérêt pour le dessin des personnages que pour tous les projets que nous allons évoquer plus bas, et auxquels ils se trouvent néanmoins associés. Les dessinateurs, ayant déjà une place qui leur convient, réinterprétant l’objet en usage à leur manière, ne sont pas faciles à mobiliser sur d’autres projets. Toutefois, leur activité les fait connaître ; il est donc facile de les solliciter.

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Figure 3. Deux interprétations du « trõll » (à gauche, par Olivier Fagnère ; à droite, par Laurent Martinet).

2.4 Des informaticiens insatisfaits

19Une catégorie particulière de participants s’emploie à proposer des alternatives à l’interface du jeu : les informaticiens. Il s’agit essentiellement de développeurs, mais non exclusivement. Les métiers informatiques semblent propices à la « perruque » : en réservant parfois de longues plages de temps inoccupé où le travailleur stationne devant son outil de travail, ils lui permettent de se mobiliser sur des projets personnels. La page « Ma Vue » concentre leurs efforts. On observe ainsi que tous les programmeurs inscrits au groupe Interfaces pour Mountyhall, à une ou deux exceptions près, ont inventé une « Vue » ou travaillé à en améliorer une. Pour un informaticien, la page « Ma Vue » ressemble à un affichage brut de base de données, presque sans mise en forme. Beaucoup nous disent avoir commencé leur projet en pensant qu’il serait aisé de faire beaucoup mieux. L’opportunité paraît séduisante, puisqu’il s’agit à la fois d’un beau projet : améliorer l’affichage d’un jeu vidéo à succès ; et, en même temps, d’un investissement à la portée d’un programmeur bénévole. Au cours de nos cinq années d’ethnographie, le projet de « vue » a été sans cesse réinventé et relancé. La figure 4 illustre les nombreuses variations de cette innovation, et l’étonnante insistance de certains participants à inventer de nouvelles « Vues » (Fig. 4).

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Figure 4a et b. À gauche : La vue de la guilde « Le Clan du Centre du Monde ».
À droite : celle conçue par « Garush ».

20Le terme « vue » qui ouvre, au sein de l’interface de Mountyhall, la page représentant le terrain de jeu, y est le point de départ d’une expérimentation collective. À travers sa polysémie, nous allons voir que ce sont des styles de jeu qui s’expriment et prennent corps. Les joueurs essaient en effet de coordonner ainsi, avec plus ou moins de bonheur, les différents registres de leur expérience de jeu : règles et relations, calcul et langage, information et esthétique, etc. La conception d’interfaces participe ainsi de la réflexivité des participants de cet espace social sur leur activité.

3. LES « VUES », UNE EXPÉRIMENTATION COLLECTIVE

21Les expérimentations sur les « Vues » se multiplient d’abord parce que les programmeurs les prennent pour un petit projet facile. Leur sentiment que la représentation du terrain de jeu proposée par l’interface officielle est simpliste est renforcé par trois facteurs. D’abord, cette représentation n’a qu’un lointain rapport avec le sens ordinaire du mot « vue ». Ensuite, la pratique des jeux vidéo contemporains habitue plutôt à une représentation en perspective dite « 3D ». Enfin, le terrain de jeu est formé de cases qui s’étendent dans trois directions (horizontalement et en profondeur), ce qui plaide également pour une représentation en 3D. Le créateur du jeu lui-même se demandera pendant un moment s’il aurait pu mieux faire.

22Des outils sont ainsi conçus à partir de cette idée : « s’y voir ». Mais ils n’apparaissent pas fonctionnels (Fig. 5). Certains projets sont abandonnés par leurs créateurs, qui précisent bien qu’il s’agit d’expérimentations inabouties avant d’accepter d’en donner l’adresse. Les projets qui sont rendus publics et utilisés opèrent tous des compromis entre réalisme et lisibilité. Par exemple, lorsque la 3D est conservée elle s’accompagne du plus grand symbolisme (Fig. 6). La 2D permet de réintroduire le dessin (Fig. 4 ; Fig.9). Plutôt qu’une représentation réaliste et graphique, c’est donc surtout le tableau qui s’impose. Entre la vue officielle et les vues alternatives, se joue finalement l’opposition entre deux façons d’organiser et de traiter l’information écrite : la liste et le tableau (Goody, 1998). Certains abandonnent l’idée même de graphisme, et conçoivent des aides de jeu avant tout fonctionnelles en affichant le texte sur une grille (Fig. 7).

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Figure 5. La première « vue 3D » en VRML, conçue par TilK, qui la juge inaboutie.
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Figure 6. La cartographie fonctionnelle en java 3D proposée par la guilde des Gloumfs.
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Figure 7. Des « Vues » renoncent à la métaphore visuelle et placent le texte sur une grille.

23Dans cette expérimentation collective, on remarque d’abord que les « Vues », quoique plébiscitées par certains programmeurs, ne sont pas développées par l’équipe de gestion du jeu. Quand E. Von Hippel se demande pourquoi une innovation est réalisée par les usagers et non par les producteurs, l’explication fournie correspond bien à notre cas : l’innovation a un intérêt direct pour des usages particuliers, qui sont très bien connus de ceux qui les pratiquent, mais non des producteurs.

243.1 Les « Vues », un outil pour jouer en équipe

25Si les « vues 2D » sont meilleures que la vue « en liste », c’est uniquement pour des situations de jeu en équipe et, plus particulièrement, celles où une très bonne coordination est recherchée. Dans ces situations-là, elles apparaissent en effet comme un outil de communication optimal car les positions réciproques sont visibles d’un seul coup d’œil (Fig. 8).

26Vue de A, en liste :

27(Position de A : X=1, Y=2, Z=-3)

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tableau im9
Figure 8. Si le joueur du personnage A joue seul, la vue en liste lui indique que la situation a peu évolué pour lui, puisque B et C restent à distance. Si en revanche B est son co-équipier, la situation a radicalement changé : C, qui était éloigné de A comme de B, est maintenant très proche de B. Seule la vue en grille fait clairement apparaître ce changement.

28Dans le contexte, décrit plus haut, où Mountyhall est conçu pour le jeu en solitaire, l’aspect tactique du jeu est bien loin des préoccupations des gestionnaires du jeu. Dans le jeu en solitaire, le suivi des positions réciproques, des regroupements et des trajectoires n’est pas indispensable. Plus un élément est proche, plus il fait partie de l’actualité du joueur. Aussi, une liste des éléments en vue classée selon leur éloignement au personnage, telle que l’affiche la page « Ma Vue », est bien ajustée (Fig. 1 ; Fig. 2). Les « vues 2D » réinventent donc une page de vue pour le jeu d’équipe.

293.2 Les « Vues » encouragées par les guildes

30Après avoir vu pourquoi des programmeurs s’intéressaient à la programmation des « Vues », et non l’équipe de gestion du jeu, il faut tenter de comprendre l’intérêt qu’ils y trouvent, dans un contexte où leurs initiatives ne peuvent faire que pâle figure devant le travail de l’équipe du jeu. Observer que l’intérêt des « Vues » concerne surtout le jeu en groupe, nous donne un premier élément de réponse : même si quelques uns créent des « Vues » de leur propre chef et les mettent à disposition de tous, la plupart des inscrits sur Interfaces pour Mountyhall s’y présentent comme étant là pour leur guilde. Les « Vues » sont assurément utiles aux groupes de chasse, mais la relation entre guildes et informaticiens peut être comprise plus largement. La guilde peut offrir un public et une reconnaissance. S’attacher un informaticien présente aussi pour elle l’immense avantage de pouvoir disposer de quelqu’un pour installer, configurer et entretenir son site ou son forum. Or ces opérations de routine relèvent généralement du « sale boulot » au sens d’E. C. Hughes ; les informaticiens peuvent donc hésiter à faire état de leur compétence dans ce domaine. Si les « Vues » sont pour eux une bonne idée et un beau projet, qui les amène à révéler leur compétence en public, on voit combien ce projet peut être dès lors structurant, au-delà de ses réalisations même, en amenant des compétences au grand jour.

31Un second aspect amène à souligner que les « Vues » ne sont pas seulement une grille. La mise en regard du schéma de la figure 8 et des « Vues » de la figure 4 le montre bien : outre leur fonction de partage d’informations, les « Vues » témoignent d’une esthétique. Au sein d’une guilde, la conception d’une « Vue » est ainsi l’occasion non seulement de discuter de tactique, mais aussi de la façon de voir le jeu. Alors que les groupes de chasse sont organisés autour d’une activité précise, les guildes sont plutôt des groupes d’entraide et d’expériences partagées. Pour elles, le style compte, il engage l’atmosphère des rencontres, l’ambiance partagée. Ainsi, ce sont elles qui vont chercher des dessinateurs ou des graphistes pour contribuer aux « Vues ».

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Figure 9. La « Vue » de la guilde Relais & Mago, co-conçue par le dessinateur de BD Olivier Fagnère.

3.3 Les « Vues » et leurs rapports tourmentés avec l’équipe de gestion du jeu

32Collaborer avec l’équipe de gestion du jeu est nécessaire : pour afficher des « Vues », il faut disposer des données du jeu. Les premières « Vues » fonctionnaient en faisant un copier-coller de la page « Ma Vue » : une manipulation délicate, et au résultat variable selon le navigateur utilisé. Si des vues ont pu être développées et, après elles, d’autres sites et interfaces, c’est que le DM a mis les données du terrain de jeu à la disposition des programmeurs [28]. Cela désigne ce qu’E. Von Hippel nomme une « boîte à outils pour l’innovation ». Il était beaucoup moins coûteux pour le DM de distribuer les données (d’autant plus qu’elles sont déjà toutes formatées dans la base de données) et de laisser les joueurs en tirer parti, plutôt que de tenter de contrôler le processus, collecter des informations sur tous les usages, ou évaluer tous les projets de « Vues ».

33Dans un premier temps, le DM s’est demandé si l’interface du jeu pouvait être améliorée, et a encouragé ces projets avec l’idée que de reprendre éventuellement des éléments pour l’interface du jeu. Comme les développeurs lancés dans ce projet, il est dans une logique de substitution. Or les outils extérieurs vont davantage entretenir un rapport de complémentarité que de substitution. La page « Ma Vue » continue à être utilisée. Si les sites externes peuvent récupérer des informations sur le serveur de jeu, ils ne peuvent pas en effet lancer d’actions. Pour jouer, il faut toujours utiliser l’interface du jeu.

34Une fois les données devenues publiques, les appels de données depuis les sites externes ont constitué une charge nouvelle pour les serveurs du jeu. Des sources de tensions ont été pointées du doigt : des erreurs de programmation entraînant de trop nombreux appels ; le test par certains de versions inachevées de leurs programmes en appelant directement le serveur du jeu ; enfin, à plusieurs reprises, des données sont mises à jour très fréquemment par un programmeur, et il apparaît que ce n’est pas pour être précisément utiles à quelqu’un, mais plutôt pour avoir « une belle base de données à jour ». Il semble en effet qu’être « designer indigène » ne protège pas de l’erreur classique du design : une ingénierie qui ignore l’usage (Gauthier, 2005).

35Au sein de l’équipe du jeu, des voix hostiles ont prolongé ces critiques. En s’appuyant sur ces éléments, certains ont suggéré que les « Vues » ne seraient pas une invention de joueurs, mais seulement une affaire de débutants programmeurs. Leur légitimité paraît douteuse : ils semblent moins compétents, moins investis, et surtout moins respectueux du bien commun que les membres de l’équipe du jeu. Enfin, des voix du côté de l’animation s’élèvent pour voir là des développements inutiles, déloyaux (ils favorisent ceux qui en disposent par rapport aux autres), et néfastes pour autant qu’ils incitent les joueurs à s’affronter et calculer, plutôt qu’à écrire et échanger.

36Les menaces de fermeture des « scripts publics » incitent alors les programmeurs de « Vues » à s’organiser : des limites d’appels à respecter sont instaurées, et des documentations rédigées. Le groupe Interfaces pour Mountyhall est créé et devient un espace d’entraide où sont accueillies les nouvelles initiatives. Les données mises à disposition deviennent ainsi un outil qui « discipline » les développeurs extérieurs à l’équipe du jeu. Ils viennent au groupe pour obtenir des renseignements, alors accompagnés de consignes. Plus profondément, avec la socialisation des initiatives indépendantes, c’est tout le continent des programmes de triche qui disparaît. Les joueurs capables de programmer des « bots » (automates jouant à la place du joueur) abandonnent ces projets et s’engagent plutôt dans la conception d’outils améliorant l’expérience de jeu : une voie où ils sont accompagnés, aidés et respectés. La gouvernance de l’équipe du jeu s’étend ainsi à l’inventivité des programmeurs. Face à un tel enjeu, les objections soulevées ne font plus le poids.

37Entre les joueurs innovateurs et l’équipe du jeu, on observe donc un processus similaire à celui observé vis-à-vis des guildes : la séduction que les « Vues » exercent sur ces joueurs les mène à se lier aux autres acteurs. Dans ce processus d’expérimentation collective, l’interface du jeu joue bien un rôle d’objet-frontière : l’interface du jeu est un objet dont, à chaque expérimentation, les joueurs qui programment des « Vues » redécouvrent, parfois avec étonnement, la robustesse ; un objet sur lequel ils s’appuient pour coopérer ; et auprès duquel ils découvrent leurs différences. Toute l’histoire de la conception des « Vues » est celle d’une expérimentation collective sur l’interface de jeu : ses données, sa présentation, ses options d’affichage, ses couleurs, etc. Cette expérimentation collective suscite une nouvelle réflexivité, qui va favoriser son essaimage, à travers une multitude d’autres innovations.

38Face au jeu, tous les joueurs sont égaux, et leurs différences sont ainsi masquées. Pour que des collaborations soient possibles, il faut que l’hétérogénéité des compétences soit publicisée, ce qui se produit au cours de la conception des « Vues ». Nous sommes restés à un niveau relativement général, mais ce sont des compétences précises qui sont reconnues : des langages de programmation, des domaines d’expertise, des styles graphiques, etc. Avec cette reconnaissance, les possibilités d’appariement sont multipliées. Une fois réalisées, les « Vues » sont utilisées, et s’intègrent aux pratiques de jeu quotidiennes, sortant du domaine de l’innovation pour entrer dans celui de l’usage. Néanmoins elles continuent à nourrir l’innovation autour des interfaces : en les utilisant, en essayant de les comprendre aussi, certains participants en tirent de nouvelles idées. Certains aspects des « Vues » sont repérés et isolés. Le projet de « Vue » ouvre alors sur une multitude d’innovations, moins ambitieuses, moins génériques, plus localisées, mais qui essaiment dans tous les domaines du jeu. Nous allons présenter les principales d’entre elles.

4. LA BANALISATION ET L’ESSAIMAGE D’UNE EXPÉRIMENTATION COLLECTIVE

39Les expérimentations sur les « Vues » ont montré aux participants qu’ils avaient les ressources pour expérimenter sur les interfaces, celle du jeu comme celles des sites web créés par les joueurs. Cette façon d’inscrire à l’écran ses choix dans des structures interactives devient ainsi l’un des modes de réflexivité des participants sur leur pratique.

4.1 Ambiances

40Les expérimentations autour des « Vues » et des sites de guilde démontrent qu’une expérience de jeu partagée peut s’appuyer sur la présentation des pages que les participants utilisent au quotidien. La possibilité de modifier son apparence va être ainsi intégrée à l’interface de jeu au moyen de « packs graphiques » (Fig. 10) [29].

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Figure 10. À gauche, le jeu est mis aux couleurs d’une Guilde. À droite, il est camouflé en tableur.

4.2 Récits

41Les grandes rubriques de la page « Ma Vue » (Monstres, Trõlls, Trésors) introduisent l’intrigue de base du jeu : les « trõlls » chassent des « monstres » pour leurs « trésors ». Des guildes ajoutent à leur « Vue » d’autres classements qui soutiennent d’autres récits, et notamment y signalent leurs ennemis et amis (Fig. 11). Ainsi, les membres de la « guilde » peuvent tenir compte de ces informations, même lorsqu’ils ne connaissent pas les raisons pour lesquelles tel ou tel est marqué ainsi.

tableau im12
Figure 11. Fragment de la « Vue » de la guilde de Relais & Mago : les ennemis apparaissent en rouge.

4.3 Territoires

42Si les « Vues » sont bien adaptées aux petits « groupes de chasse », il n’en est plus de même lorsque les guildes dépassent la cinquantaine de membres. Alors qu’un « groupe de chasse » est concerné par son voisinage, les grandes guildes sont concernées par tout l’espace de jeu. Cette imagination géographique engendre alors de nouvelles cartographies. La plus courante est le « GPS », une carte de l’ensemble du terrain de jeu où sont placés des points, représentant au choix les membres de la guilde, les lieux, ou encore les ennemis. D’autres cartographies affichent des densités pour construire une cartographie des ressources : proies pour la chasse, champignons pour la cueillette, etc. (Fig.12)

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Figure 12. Une carte des densités, qui permet de choisir son terrain de chasse.

4.4 Les « Vues » devenues infrastructures

43Après six années, le projet a perdu son caractère polémique. Le clivage qui avait pu exister vis-à-vis de l’équipe du jeu s’est effacé, d’autant que d’anciens chefs de guilde et créateurs de « Vues » l’ont rejointe. Les carrières au sein de cet espace social en ont ainsi renforcé la cohésion. Mais la disparition de ces tensions a eu aussi son revers. À l’automne 2008, un e-mail a ainsi circulé, qui proposait une journée d’interruption des aides de jeu. Sans revendication, il va même jusqu’à suggérer que

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Figure 13. Maquette du message à afficher sur les sites coupés pendant la « journée sans assistanat ».

44leur absence pourrait être appréciée : « Certains y verront un retour aux sources, un moment de nostalgie pour se rappeler comment était le hall avant ». L’objectif de cette action était alors manifestement la visibilité : les aides de jeu sont désormais utilisées sans être remarquées (« seen but unnoticed ») ; elles sont prises pour allant de soi (« taken for granted »).

45Les aides de jeu ont ainsi rejoint ce que S. L. Star appelle « l’infrastructure », laquelle est « souvent ordinaire jusqu’à l’ennui, incluant des choses telles que des branchements, des standards, et des règles bureaucratiques » (Star, 1999).

CONCLUSION

46Le modèle de « l’objet-frontière », avancé par S. L. Star et J. R. Griesemer, a guidé notre analyse des « Vues » créées par des participants du jeu en ligne Mountyhall. Conformément à notre hypothèse, l’objet en usage semble bien jouer le rôle d’objet-frontière. Toutefois, dans l’analyse classique, l’objet-frontière est avant tout un opérateur de mise en contact entre des mondes initialement disjoints. Or, dans le cas présenté, les participants sont tous initialement indifféremment des « joueurs ». Aussi, l’objet-frontière peut présenter ici un rôle nouveau de point de frottement et de mise en évidence des différences entre mondes sociaux.

47Il joue ce rôle en suscitant l’intérêt à son égard. Soulignons que les dessinateurs, comme les informaticiens, investissent initialement leurs forces là où leur manière de voir l’interface leur donne des idées d’intervention. Les dessinateurs trouvent intéressant de dessiner les protagonistes et de réinterpréter le thème du « trõll ». Les développeurs trouvent intéressant de reprogrammer la représentation du terrain de jeu. Il s’agit peut-être de défis, mais pas vraiment de problèmes à résoudre. Ils sont moins guidés par une gêne ou un empêchement qu’ils voudraient surmonter, que par une solution qui leur « saute aux yeux » en raison du regard qu’ils portent sur leur activité et d’une certaine manière de comprendre l’objet, étroitement dépendante de leurs connaissances et compétences professionnelles. Bien sûr, pour qu’il y ait « innovation », il faut aussi au final un gain du point de vue de l’usage, mais ce n’est pas ici ce qui guide les premiers mouvements par lesquels les acteurs se révèlent leurs compétences les uns aux autres, mais plutôt le fait qu’ils s’intéressent au même objet.

48On le voit, notre approche part de la façon dont les participants s’y retrouvent, en particulier, des repères qu’ils se donnent dans une écologie complexe (Boutet, 2008 ; Bidet, 2008a). Le cas des « Vues » montre les efforts que les participants peuvent consacrer à cette recherche d’un équilibre : s’y retrouver, se frayer un milieu. L’entreprise n’est toutefois ni aisée, ni dénuée de polémiques. Un outil d’orientation – parce qu’il promeut une certaine interprétation, et guide les nouveaux participants – est toujours politique. Plus généralement, notre étude signale l’intérêt d’étudier la genèse des formes socio-techniques sur Internet. En effet, les « Vues », les « Forums », les « Chats », les « Blogs » ne sont pas des formes figées, mais qui connaissent de multiples variations, dans le temps et dans l’espace. De même que Mountyhall avait dès 2001 la forme que l’on associe aujourd’hui au « Web 2.0 », les formes socio-techniques sur Internet ont une histoire qui reste à écrire : celle de la co-évolution des communautés et des techniques. Ce processus mêle indissociablement innovation technique et structuration politique de ces espaces.

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Mots-clés éditeurs : mods, usage, ihm, web, temps libre, innovation par l'usage, jeu vidéo, innovation, jeu en ligne, sociologie visuelle

Date de mise en ligne : 01/07/2010

https://doi.org/10.3917/rac.009.0087

Notes

  • [1]
    Voir l’encadré ci-dessous pour une description du jeu dans ses grandes lignes.
  • [2]
    Voir notamment : hhttp:// www. wowinterface. com/ et http:// www. eq2interface. com/
  • [3]
    Les plus connus et débattus sont les « bots » – selon un nom dérivé du terme « robot ». Il s’agit d’automatisations qui jouent à la place du joueur. Mais cela concerne aussi tous les programmes permettant de créer de l’or, de dupliquer les objets, ou de téléporter le joueur.
  • [4]
    Pour un exemple d’une telle tentative de définition, sur le forum officiel français de World of Warcraft :
    http:// forums. wow-europe. com/ thread. html? topicId= 17792134&sid= 2
    Ces modifications sont donc des objets controversés, révélateurs des tensions entre acteurs, par exemple : http:// www. eq2interface. com/ forums/ showthread. php? t= 2417&highlight= hack
  • [5]
    Nous réservons l’appellation d’« espace social en ligne » à l’ensemble formé par les sites web et les communications entre les participants, tandis que nous désignons comme « terrain de jeu » le monde virtuel lui-même, c’est-à-dire l’espace de participation plus restreint que propose l’interface de jeu.
  • [6]
    Le terme de « jeux alternatifs » est utilisé notamment par les annuaires français du genre, eux-mêmes gratuits et associatifs : hhttp:// www. tourdejeu. com ;htttp:// www. jeux-web. com/  ;htttp:// www. gamersroom. com/ . Plusieurs traits inscrivent ces jeux dans la consommation engagée : une alternative au marché, qui s’appuie sur la participation des consommateurs à la production, à la fois par le don et par le bénévolat, et qui construit ainsi une résistance à – ou pour mieux dire ici une réappropriation de – la culture de masse (Dubuisson-Quellier, 2009).
  • [7]
    Warez : tout le domaine de la copie illicite de logiciels, des équipes aux réseaux de distribution.
  • [8]
    Abandonware : pratique illicite mais souvent tolérée consistant à mettre à disposition gratuitement des jeux qui ne sont plus distribués commercialement. Soulignons que, actuellement, le droit de propriété des œuvres intellectuelles inclut la possibilité de les refuser totalement au public.
  • [9]
    Modding : modifications de jeux commerciaux, donc utilisables uniquement par les possesseurs du jeu modifié.
  • [10]
    Machinima : le terme désigne aujourd’hui les films d’animation filmés à l’intérieur des mondes ludiques, c’est-à-dire ceux où le monde et les avatars du jeu sont utilisés comme décors et personnages du film.
  • [11]
    Par exemple, la moitié du contenu de l’encyclopédie contributive Wikipédia est rédigé par 1% des contributeurs (Kostakos, 2009). De même, l’immense majorité des projets de développement de logiciel libre, à quelques exceptions près, est le fait de « collectifs » ne reposant que sur une ou deux personnes (Von Hippel, 2005).
  • [12]
    L’évaluation que nous avions réalisée au début de notre ethnographie par le croisement des sources disponibles – discussions sur les forums, photographies des rencontres IRL, références culturelles mobilisées, etc. a été ensuite corroborée dans les résultats d’une enquête quantitative réalisée en 2006 auprès de 600 joueurs (Boutet, 2006).
  • [13]
    Nous avons recensé cette population – une centaine de participants environ – au cours de notre ethnographie, et entretenu une correspondance suivie par e-mail avec la plupart d’entre eux.
  • [14]
    Le permis de conduire fait exception – il illustre aussi le coût considérable de la certification d’un usage compétent.
  • [15]
    « Ce qui fait défaut dans l’approche du savoir à travers la notion de système (ou de champ), c’est une bonne conception de la dispersion spatiale du savoir dans la vie sociale ou, si l’on préfère, de l’implosion des processus du savoir dans la société » (Knorr Cetina K., 1998, p.3).
  • [16]
    Reprenons l’exemple cité plus haut à partir d’E. Von Hippel : celui qui, parmi les passionnés de vélo tout terrain, est par ailleurs ingénieur en aéronautique envisage ce vélo comme un objet aérodynamique, plutôt que comme un véhicule, ou encore un mécanisme résistant aux chocs.
  • [17]
    Dans l’exemple toujours d’E. Von Hippel, le concepteur de vélos aérodynamiques entre en relation avec ceux des pratiquants qui sont reconnus comme des experts du saut à vélo.
  • [18]
    J. Dewey a éclairci cette différence entre « avoir intérêt à » et « s’intéresser à » (Dewey, 2008 ; Bidet, 2008b). Ces développements ont alimenté notamment les travaux de D. A. Schön sur les phénomènes de réflexivité au sein des organisations et des activités professionnelles (Schön, 1983).
  • [19]
    http:// www. mountyhall. com/ Forum/ display_forum_topics. php? ForumID= 21
  • [20]
    http:// fr. groups. yahoo. com/ group/ Interfaces-Externes-pour-Mountyhall/
  • [21]
    http:// universitedestrolls. free. fr/
  • [22]
    Comme il s’agit de persistance plus que de représentativité, de rythmicité plus que de quantité, un tel phénomène pourrait échapper à une analyse construite autour des seules occurrences de termes.
  • [23]
    Nous présentons ailleurs les prolongements quantitatifs de cette analyse (Boutet, 2008).
  • [24]
    Nous détaillons ailleurs la façon dont certaines règles présentent, sur ces espaces, des enjeux « politiques » : elles déterminent les modes de vie compatibles avec l’engagement dans le jeu et, par là, décident indirectement avec qui l’on joue (Boutet, 2008).
  • [25]
    En décembre 2007, nous avons recensé et cartographié 555 sites (Boutet, 2008).
  • [26]
    http:// games. mountyhall. com/ mountyhall/ View/ PJView. php? ai_IDPJ= 1
  • [27]
    http:// games. mountyhall. com/ mountyhall/ View/ AllianceView. php? ai_IDAlliance= 10
  • [28]
    Sous forme de « fichiers publics » ((http:// ftp. mountyhall. com)et de « scripts publics » (http:// sp. mountyhall. com)
  • [29]
    http:// gros. keke. free. fr/ trolloscope/ packsMH/

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