Notes
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[1]
Pour un compte rendu du colloque de lancement du 19 octobre 2011, « Énergies solaires : illuminer leur avenir sous l’éclairage de l’histoire », voir www.cnrs.fr/ComiHistoCNRS/spip.php?article50.
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[2]
Voir à ce sujet Trombe, Félix, Métallurgie : la chimie des hautes températures, Paris, Presses documentaires, 1945.
-
[3]
Rapport d’activité du CNRS, octobre 1957-octobre 1958, p. 106.
-
[4]
Rapport d’activité du CNRS, octobre 1962-octobre 1963, p. 396.
-
[5]
Procès-verbal de la séance du 29 octobre 1974 du conseil d’administration, p. 16, archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, G940035 Labos-24.
-
[6]
Ibid., p. 6.
-
[7]
Ibid., p. 17.
-
[8]
Voir Guthleben, Denis, « Coup de soleil au CNRS… La genèse du Pirdes », La revue pour l’histoire du CNRS, 17, été 2007, p. 36-39.
-
[9]
Rapport d’activité du Pirdes, juillet 1975-août 1976, p. 1.
-
[10]
Témoignage de Robert Chabbal conservé au Comité pour l’histoire du CNRS.
-
[11]
Pour plus de précisions sur le recueil, la conservation et l’exploitation de ces archives orales, on se reportera à l’excellent ouvrage de Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Éditions du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001.
1Les apparences sont trompeuses : ce projet historique n’est pas né sous le diktat des circonstances. Bien au contraire, il s’agissait alors, et il s’agit toujours, d’exhumer et de valoriser un héritage immense, constitué depuis plus de soixante-dix ans, et qui a laissé de nombreuses traces qu’il importe de suivre et d’étudier. Des traces physiques, tout d’abord, au travers des constructions et des instruments scientifiques qui ont marqué l’histoire des recherches sur les énergies solaires. Des traces documentaires, ensuite, constituées de publications tous azimuts et d’archives disséminées dans des fonds aussi nombreux que divers. Des traces mémorielles, enfin, qui peuvent être recueillies auprès de tous les acteurs ayant, de près ou de loin, participé à cette histoire.
2 Ce patrimoine scientifique, ces archives, ces témoignages relèvent en partie du CNRS lui-même, car l’établissement a longtemps joué un rôle pionnier et moteur dans l’essor des recherches sur les énergies solaires en France. Il y avait donc un sens tout particulier à voir naître ce projet historique au sein de l’établissement. Chemin faisant, le CNRS a également été rejoint par une multitude de partenaires, institutionnels, sociaux, industriels qui, en France et à l’international, ont contribué à la conduite, à l’expertise ou au financement des recherches menées au sein de l’organisme. De ce côté également, des expériences méritent donc d’être relatées, des témoignages recueillis et une documentation récoltée, afin de contribuer à écrire une histoire qui débute dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Le CNRS et l’énergie solaire : genèse d’une longue histoire
3 Les premiers travaux sur les énergies solaires au sein du CNRS remontent en effet à la Libération. En 1945-1946, le physicien Félix Trombe, qui dirige alors le laboratoire des terres rares à Meudon-Bellevue, parvient à concentrer la lumière du soleil à l’aide de deux miroirs de DCA – des « prises de guerre » abandonnées deux ans plus tôt par la Wehrmacht et saisies par le ministère français de l’Armement – et obtient de hautes températures en milieu confiné. Le rapport avec les terres rares ? Ce nom désigne un groupe de métaux aux propriétés proches et qui, contrairement à leur appellation, sont particulièrement répandus dans la nature. En concentrant la lumière du soleil, Félix Trombe cherche en réalité à obtenir les températures élevées – qu’il estime dès 1945 à plus de 3000 °C [2] – lui permettant de faire fondre le minerai et d’en extraire des matériaux purs.
4 Le dispositif imaginé à Meudon-Bellevue est encore rudimentaire : les deux miroirs, de deux mètres de diamètre et de 85 centimètres de distance focale, sont assemblés de manière à constituer un premier « poste de chauffage solaire ». Mais l’expérience se révèle concluante et permet à Félix Trombe d’obtenir du CNRS les crédits destinés à la construction d’un prototype de four solaire, nécessaire à cette recherche encore exclusivement « fondamentale ». Bien évidemment, Meudon n’est pas le site idéal pour poursuivre de tels travaux. Puisqu’il faut du soleil, beaucoup de soleil, Félix Trombe décide de s’éloigner de la grisaille parisienne. Cet héliotropisme scientifique le conduit à Mont-Louis, dans les Pyrénées orientales, où le prototype, doté cette fois-ci d’un miroir parabolique de 11,2 mètres de diamètre et de 6 mètres de distance focale, voit le jour en 1947 au sein d’un nouveau laboratoire de recherches sur « l’utilisation de l’énergie solaire ».
5 Jusqu’au milieu des années 1950, les travaux menés au sein de ce nouveau laboratoire s’inscrivent dans la continuité des recherches conduites auparavant à Meudon-Bellevue : traitement des terres rares, détermination de leurs points de fusion et de transformation, purification des oxydes réfractaires… Mais de nouvelles préoccupations apparaissent bientôt, parmi lesquelles le chauffage de l’habitat ou la réfrigération grâce à la transformation de l’énergie solaire – un dispositif est ainsi imaginé, qui permet de produire quotidiennement plus de 90 kg de glace. Dans la foulée, le laboratoire de Mont-Louis est en mesure d’organiser un « colloque international sur les applications thermiques de l’énergie solaire dans le domaine de la recherche et de l’industrie » du 23 au 28 juin 1958. Ces applications se sont considérablement multipliées : elles se rapportent « au chauffage et à la distillation de l’eau, à la climatisation des maisons, à la culture sous serre et à la transformation directe de l’énergie solaire en énergie électrique » [3].
6 Félix Trombe lui-même y annonce le dépôt d’un brevet relatif à l’habitat : un mur de béton – le « mur Trombe » – qui reçoit le rayonnement solaire en journée et restitue la chaleur accumulée pendant la nuit. Le dispositif a été expérimenté avec succès à Colomb-Béchar, en Algérie – et il est ensuite, pour des raisons que l’on imagine bien, rapatrié en métropole. Le physicien est également en mesure de présenter un projet ambitieux de four solaire de 1 000 kW. Un modèle réduit au 1/100 a été réalisé pour l’occasion, mais le directeur du laboratoire a préféré le présenter à l’Exposition universelle qui se tient alors à Bruxelles sur le thème « Pour un monde plus humain ». Bien lui en a pris, d’ailleurs : la maquette est couronnée par l’un des trois grands prix remportés cette année-là par le pavillon français. À défaut, les participants au colloque sont conduits sur le site retenu pour les travaux, à quelques kilomètres de là : Odeillo, qui va accueillir l’un des grands équipements les plus célèbres du CNRS. Sa construction, lancée en 1963 sous la direction de l’Aéroport de Paris et sous le contrôle des services des Ponts et Chaussées [4], est achevée en 1970.
7 Cette date marque la fin du premier chapitre de l’histoire des recherches sur les énergies solaires au CNRS. On pourrait y voir une allégorie de la recherche fondamentale, et du formidable potentiel d’applications qu’elle offre parfois : expérimenté à l’origine uniquement pour parfaire la connaissance des propriétés de certains éléments, le solaire a élargi son rayonnement au point de laisser entrevoir tout « un monde » nouveau. Quoi qu’il en soit, si ce chapitre peut désormais être relaté avec assurance, c’est précisément grâce aux sources identifiées et réunies depuis le lancement du projet historique : les archives du CNRS conservées à Gif-sur-Yvette, celles des laboratoires de Meudon-Bellevue, de Mont-Louis et d’Odeillo, de même que les publications – la Revue internationale des hautes températures et des réfractaires a vu le jour en 1963 – permettent de retracer les différentes étapes de cette période pionnière, les tâtonnements qui la caractérisent encore, de même que les espoirs – parfois immodérés – qu’elle a engendrés et qui ne feront que s’accentuer au fil de la décennie suivante.
Pirdes et Thémis
8 Avec l’achèvement du four d’Odeillo, le CNRS dispose d’un outil exceptionnel pour les recherches sur l’énergie solaire. Il a donc une carte à jouer lorsqu’éclate le premier choc pétrolier en octobre 1973. Face à la facture énergétique qui explose, on lui reproche cependant de ne pas remplir son rôle avec suffisamment de célérité. Au cours de l’année suivante, les médias placent l’organisme sur la sellette. Certes, ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Mais, en 1974, les attaques sont très violentes. Elles sont d’ailleurs évoquées par le professeur Jean Lagasse devant le conseil d’administration du Centre, où il rappelle toutefois qu’« on ne saurait reprocher au CNRS la rigidité de ses structures et un temps excessif de réponse » [5]. « L’ampleur de la crise et ses conséquences au niveau national impliquaient la mobilisation de tout le potentiel scientifique et technique du pays », poursuit Jean Lagasse. Le Centre est concerné au premier chef : l’organisme scientifique est un gros consommateur d’énergie et, pour la seule année 1974, sa facture s’est alourdie de près de quatre millions de francs [6]. L’action du CNRS a en fait déjà suivi trois voies : un inventaire des moyens, le lancement de plusieurs actions concertées sur l’énergie et la mise en place d’« une quinzaine de groupes de réflexion et de prospective sur l’énergie » [7].
9 Une structure ad hoc est imaginée dans la foulée : le Pirdes, programme interdisciplinaire de recherche pour le développement de l’énergie solaire [8]. Conçu comme une véritable task force souple et légère, il est placé sous la responsabilité du directeur des sciences physiques au CNRS – et futur directeur général de l’établissement – Robert Chabbal. Les pistes de recherche qui y sont proposées sont nombreuses [9]. D’une part, il s’agit d’analyser les systèmes permettant la conversion de l’énergie solaire et à en déterminer les caractéristiques technico-économiques optimales. D’autre part, il convient d’étudier les composants de ces systèmes et d’en faire progresser les performances en élaborant des prototypes dans une perspective industrielle. Le CNRS, bien sûr, ne peut pas répondre seul à toutes les attentes. Des partenaires sont donc invités à le rejoindre : EDF, défini comme un allié capital dès la phase de recherche et de développement en amont, et comme un utilisateur potentiel des résultats en aval, le CEA où un petit noyau de thermiciens a déjà entrepris l’étude d’une filière basse température, le Cnes, qui a développé en parallèle une certaine expérience dans les énergies solaires embarquées dans l’espace, le ministère de l’Équipement, etc.
10 Robert Chabbal se souvient de la période qui a vu la création du Pirdes : « Nous formions au CNRS une petite équipe persuadée, ce qui maintenant paraît évident, de la nécessité de l’ouverture de la recherche sur le domaine socio-économique. Je pensais et je pense encore que c’est le rôle du CNRS, dans la mesure où il a su dans certains secteurs s’imposer comme l’interlocuteur de l’industrie et où il a reçu les crédits nécessaires à l’indépendance des laboratoires » [10]. Rapidement, sous son impulsion, le Pirdes prend de l’ampleur : son rapport d’activité pour l’année 1977 mentionne la mobilisation de 105 chercheurs et de 115 ingénieurs et techniciens, pour un budget de 19 millions de francs – soit, en valeur constante, quelque 11 millions d’euros 2012.
11 Parmi les nombreux projets développés au sein du programme figure notamment « THEM » (pour « thermo-hélio-électrique-mégawatt »). Une première expérience de production d’électricité est menée à Odeillo à l’aide du grand four solaire, qui chauffe à son foyer une huile minérale. Cette chaudière alimente un générateur de vapeur, une turbine et un alternateur. Le 19 novembre 1976, ce prototype de centrale thermodynamique solaire délivre pour la première fois du courant au réseau EDF, pour une puissance de 64 kilowatts et un rendement de conversion de 8 %. En parallèle, la direction des études et recherches d’EDF, à Chatou, décide d’étudier conjointement avec le CNRS un projet de centrale solaire à tour, bâtie sur le même principe que le champ d’héliostats du grand four solaire. Les deux partenaires entendent ainsi démontrer la faisabilité technique de telles centrales.
12 L’intervention du politique permet d’accélérer le projet : en juin 1979, un an après la création du Commissariat à l’énergie solaire, le président de la République Valéry Giscard d’Estaing donne son feu vert à la construction de « Thémis », première centrale « électrosolaire » française à tour, d’une puissance de 2500 kilowatts. Un site d’implantation est trouvé à Targasonne, à proximité d’Odeillo, à 1700 mètres d’altitude et avec un ensoleillement estimé à 2400 heures par an. Le projet rencontre toutefois de sérieuses difficultés. En particulier, une tempête vient détruire le champ des héliostats peu après sa livraison, provoquant un retard important – Thémis n’entre en fonction qu’en 1983 – et un surcoût colossal – le budget prévisionnel est de 128 millions de francs, le coût final de 320 millions. La centrale fait l’objet de tests pendant trois ans, avant d’être fermée en 1986. Cette expérience aura permis de valider une technologie et de caractériser son coût. Mais sa fermeture a laissé une impression de gâchis, scientifique, financier et humain, notamment auprès des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens pour qui elle a marqué le début d’une longue traversée du désert.
En guise de premier bilan…
13 Les lignes qui précèdent doivent être prises pour ce qu’elles sont : un bilan d’étape très imparfait d’un projet en cours, destiné à retracer une histoire qui, elle-même, continue de s’écrire sous des auspices désormais meilleurs – le développement des programmes de recherche sur les énergies solaires et leur sélection dans les projets d’excellence, « équipex », « labex » et autres « idex » en témoignent. Beaucoup a été fait, par le Comité pour l’histoire du CNRS et par d’autres équipes d’historiens, pour parvenir à faire revivre cette histoire, notamment au travers des archives qu’elle a léguées et dont la plupart sont désormais sauvegardées. Mais beaucoup reste à faire, en particulier dans une direction que le Comité a suivie dès le lancement de son projet : le recueil des témoignages des acteurs.
14 Certes, la tâche est ardue : les témoins, venant qui de l’industrie, qui du monde académique, qui des milieux politiques, sont très nombreux. Pour le seul CNRS, chercheurs, ingénieurs et techniciens, ils sont plus d’une centaine à avoir participé aux projets, mené des expériences, endossé des responsabilités, en somme contribué à écrire l’histoire de ces recherches. Par ailleurs, chaque entretien représente un investissement considérable, en amont – pour la préparation – et en aval – pour la transcription, la validation et la préservation du témoignage, ainsi que pour sa diffusion ultérieure – soumise aux règles strictes des archives orales, et notamment au consentement explicite des intéressés [11]. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer un rythme supérieur à un ou deux recueils de témoignages mensuels, un « tempo » que le Comité pour l’histoire du CNRS s’est imposé depuis janvier 2012… sans toutefois parvenir toujours à le tenir ! Mais ces expériences méritent d’être conservées, non seulement pour les historiens eux-mêmes, mais aussi pour celles et ceux qui s’engageront dans les recherches sur les énergies solaires et écriront les prochains chapitres d’une histoire qui a été, est et demeurera avant tout une aventure humaine.
Notes
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[1]
Pour un compte rendu du colloque de lancement du 19 octobre 2011, « Énergies solaires : illuminer leur avenir sous l’éclairage de l’histoire », voir www.cnrs.fr/ComiHistoCNRS/spip.php?article50.
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[2]
Voir à ce sujet Trombe, Félix, Métallurgie : la chimie des hautes températures, Paris, Presses documentaires, 1945.
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[3]
Rapport d’activité du CNRS, octobre 1957-octobre 1958, p. 106.
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[4]
Rapport d’activité du CNRS, octobre 1962-octobre 1963, p. 396.
-
[5]
Procès-verbal de la séance du 29 octobre 1974 du conseil d’administration, p. 16, archives du CNRS, Gif-sur-Yvette, G940035 Labos-24.
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[6]
Ibid., p. 6.
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[7]
Ibid., p. 17.
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[8]
Voir Guthleben, Denis, « Coup de soleil au CNRS… La genèse du Pirdes », La revue pour l’histoire du CNRS, 17, été 2007, p. 36-39.
-
[9]
Rapport d’activité du Pirdes, juillet 1975-août 1976, p. 1.
-
[10]
Témoignage de Robert Chabbal conservé au Comité pour l’histoire du CNRS.
-
[11]
Pour plus de précisions sur le recueil, la conservation et l’exploitation de ces archives orales, on se reportera à l’excellent ouvrage de Florence Descamps, L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Éditions du Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001.