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Étonner pour séduire : l'électricité dans les grandes expositions du XIXe siècle

Pages 81 à 105

Notes

  • [1]
    Par convention, nous désignerons ces hommes d’origines professionnelles diverses sous le terme générique d’électriciens.
  • [2]
    Henri de Parville, Causeries scientifiques, exposition universelle de 1878, Paris, Rothschild, 1879, pp. 97-98.
  • [3]
    A. Gervais, « Les expositions nationales et universelles, 1799-1889 », Revue politique et littéraire, 24 août 1889, p. 245, cité par Adolphe Demy, Essai historique sur les expositions universelles de Paris, Paris, Picard, 1907, pp. 920-921.
  • [4]
    Octave Mirbeau, « Pourquoi des expositions ? », Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1895, p. 899.
  • [5]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications, exposition de Paris, Paris, Masson, 1882, p. 530.
  • [6]
    Alain Beltran et Patrice Carré, La fée et la servante : la société française face à l’électricité, XIXe – XXe siècle, Paris, Belin, 1991, p. 57.
  • [7]
    Rapport officiel de l’exposition, cité par Paul Janet, Notes et souvenirs, Gauthier-Villars, 1933.
  • [8]
    Alglave et Boulard, La lumière électrique : son histoire, sa production et son emploi, Paris, Firmin-Didot, 1882, p. VII.
  • [9]
    Léon Somzée, Électricité, Note présentée à la Commission de l’exposition d’Anvers, Bruxelles, Mertens, 1885.
  • [10]
    Edmond Hospitalier, « L’électricité à l’exposition universelle d’Anvers », L’électricien, N° 126, 12 septembre 1885, p. 610.
  • [11]
    Michel Corday, « La force à l’Exposition », Encyclopédie du siècle : L’exposition de Paris (1900), Paris, Montgredien et Cie, p. 273.
  • [12]
    Supplément à L’Éclairage électrique. 17 novembre 1900. p. LXXXII.
  • [13]
    Michel Corday, Op. cit. p. 274.
  • [14]
    Paris Exposition 1900 : guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition, Paris, Hachette, 1900, p. 287.
  • [15]
    Théodose du Moncel et Frank Geraldy, L’électricité comme force motrice, Paris, Hachette, 1883, p. 301.
  • [16]
    Hippolyte Fontaine, Exposition de 1889, Éclairage électrique, Monographie des travaux effectués par le Syndicat international des électriciens, Paris, Librairie polytechnique Baudry et Cie, 1890, p. 527.
  • [17]
    J. Fabre, « Le pouvoir structurant de l’électricité », Bulletin d’histoire de l’électricité, N° 1, juin 1983, pp. 23-36.
  • [18]
    J. Desvignes, « Actualités scientifiques : l’éclairage électrique », L’Exposition de 1878, journal hebdomadaire illustré, N° 48, 6 octobre 1877.
  • [19]
    Louis Figuier, L’année scientifique et industrielle 1881, Paris, Hachette, 1882, pp. 69-70.
  • [20]
    « L’Exposition internationale d’électricité », L’Illustration, N° 2010, 3 septembre 1881, p. 164.
  • [21]
    « Les merveilles de l’Exposition », La Revue universelle des lettres, des sciences, de l’histoire et des arts, Paris, La Grande Librairie française, vers 1889.
  • [22]
    Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes, Exposition internationale de Chicago en 1893, Rapports publiés sous la direction de M. Camille Krantz, Paris, Imprimerie nationale, 1895, Rapport administratif, p. 27.
  • [23]
    Selon d’autres sources, ce dispositif n’aurait jamais fonctionné : Gustave Babin, Après faillite, souvenirs de l’exposition de 1900, Paris, Dujarric, 1902, p. 287.
  • [24]
    Edmond Hospitalier et Jules Montpellier (sous la dir. de), L’Électricité à l’Exposition de 1900, Paris, Dunod, 1902, Tome I, fascicule 1, p. 72.
  • [25]
    Quantin, L’Exposition du siècle, Paris, Le Monde moderne [vers 1900], p. 213-214.
  • [26]
    Robert Fox, « Edison et la presse française lors de l’Exposition internationale de 1881 », Un siècle d’électricité dans le monde, Paris, AHEF, 1987, p. 229.
  • [27]
    Robert Fox, Op. cit. p. 233.
  • [28]
    Lucien Biart, Mes promenades à travers l’exposition, Paris, Hennuyer, 1890, p. 57.
  • [29]
    « En revenant de la revue... Quelques souvenirs de revues centraliennes de 1901 et 1902 », Bulletin d’histoire de l’électricité, N° 10, décembre 1987, p. 189.
  • [30]
    Wilfrid de Fontvielle, « En garde contre l’incendie », L’Encyclopédie du siècle : l’Exposition de Paris de 1900, Paris, Montgrédien et Cie, 1900, Tome II, pp. 170-171.
  • [31]
    Lucien Biart, op. cit., p. 68
  • [32]
    Octave Mirbeau, art. cit., p. 900.
  • [33]
    Théodose du Moncel, « Un coup d’œil rétrospectif sur l’Exposition », La Lumière électrique, N° 69, 26 novembre 1881, p. 277.
  • [34]
    Théodose du Moncel, « Un aspect de l’exposition anglaise », La Lumière électrique, N° 70, 30 novembre 1881, p. 299.
  • [35]
    Georges Dary, Tout par l’électricité, Tours, Mame, 1883, pp. 100-101.
  • [36]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications... pp. 15-16.
  • [37]
    Théodose du Moncel, « Un coup d’œil rétrospectif sur l’Exposition », art. cit. p. 277.
  • [38]
    Cité par Daniel Raichvarg et Jean Jacques, Savants et ignorants : une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Seuil, 1991, p. 207.
  • [39]
    Henri de Parville, op. cit. p. 539.
  • [40]
    Adolphe Brisson, Scènes et types de l’exposition, Paris, Montgredien, 1900, p. 19.
  • [41]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications : Exposition de Paris, Paris, Masson, 1881.
  • [42]
    Georges Dary, À travers l’électricité, Paris, Nony et Cie, 1901.
  • [43]
    Fabienne Cardot, op. cit. p. 21.
  • [44]
    Jules Armengaud jeune (sous la dir. de), Réunion internationale des électriciens : comptes rendus sténographiques, Paris, Lahure, 1882, p. 29.
  • [45]
    L’Illustration, numéro spécial sur l’Exposition de 1900.
  • [46]
    L’électricien : revue générale d’électricité, Tome 9, 1885, p. 272.
  • [47]
    Ibid. p. 232.
  • [48]
    Aimone et Olmo, op. cit. p. 75.
  • [49]
    Gaston Tissandier, « L’Exposition d’électricité », L’Illustration, 20 août 1881.
  • [50]
    Marquis Melchior de Voguë, « La défunte exposition », revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1900, p. 394.
  • [51]
    Pascal Ory, « L’expo universelle », 1889, la mémoire des siècles, volume D, Paris, Complexe, 1989, p. 22.
  • [52]
    Bruno Béguet (sous la dir. de), La science pour tous : sur la vulgarisation scientifique en France de 1850 à 1914, Paris, Bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers, 1990, p. 143.
  • [53]
    Ibid. p. 142.
  • [54]
    Grille et Falconnet, l’électricité industrielle à l’exposition de Chicago en 1893, troisième partie : électricité industrielle, Paris, E. Bernard, 1894, p. 143.
  • [55]
    Louis Figuier, op. cit. pp. 583-584.

1À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les grandes expositions universelles connaissent un certain paroxysme dans leurs ambitions et leur gigantisme. Cette période correspond à la première phase de diffusion de l’électricité dans le monde occidental : début de la commercialisation et de l’industrialisation des applications électriques, première vague d’électrification. L’électricité sort des laboratoires pour entrer de plain-pied dans la société industrielle. Les expositions universelles et d’électricité ont accompagné cette transition de façon très démonstrative.

2 La rencontre à grande échelle entre le monde nouveau de l’électricité et le public au sein de ces « olympiades du progrès » que sont les expositions universelles semble une évidence. On peut pourtant s’interroger sur bien des points : dans quelle mesure les expositions universelles ont-elles vraiment été un facteur concret d’électrification ? Le dialogue entre électricité et expositions fut-il aussi évident qu’on l’imagine ? Quels furent exactement les enjeux prévus et imprévus de cette relation ?

Premières apparitions

3 Commençons par brosser une rapide concordance chronologique entre les grandes expositions et les différentes phases de développement de l’électricité.

4 L’apparition de l’électricité dans une exposition universelle semble remonter à la première grande exposition universelle française à Paris en 1855. Mais jusqu’en 1881, l’électricité reste un ensemble d’applications hétérogènes et diluées dans l’ensemble des expositions : instruments de mesure, horlogerie, télécommunications, éclairage à arc et galvanoplastie principalement. Bien que marginale, elle est cependant remarquée pour son dynamisme.

5 Les expositions deviennent vite un terrain privilégié d’expérimentation et de médiatisation pour les scientifiques, inventeurs, ingénieurs et industriels de l’électricité. [1]

6 L’un des exemples les plus frappants est celui d’Hippolyte Fontaine qui profite de l’exposition universelle de Vienne (1873) pour démontrer la réversibilité des dynamos Gramme. La légende fait même naître (à tort) sa découverte sur le stand même de l’exposition. On pourrait aussi citer le chemin de fer électrique Siemens à l’exposition universelle de Berlin (1879) à l’origine des futurs tramways électriques. À l’exposition universelle de Paris en 1878, le téléphone ne rencontre qu’un faible succès. Le journaliste scientifique et vulgarisateur Henri de Parville ne le mentionne même pas dans ses Causeries scientifiques, mais égratigne au passage les moteurs : « Nous n’avons pas à nous arrêter non plus sur les moteurs électriques. Les quelques types que l’on rencontre à l’exposition ne sauraient plus induire personne en erreur. L’électricité coûte trop cher. » [2] L’éclairage électrique y réussit par contre son examen de passage : des lampes à arc illuminent pendant sept mois certains monuments parisiens et permettent à l’exposition d’ouvrir à temps en éclairant les travaux de nuit.

7 Au fur et à mesure des années, les différentes expositions universelles connaissent un gigantisme croissant. De nombreuses voix s’élèvent alors pour s’opposer à leur ambition d’universalité, avec comme argument principal que leur immensité et leur cosmopolitisme les rend impossibles à visiter sérieusement. Il se crée un courant d’opinion estimant que « les expositions internationales dont les proportions sont devenues énormes se désagrégeront et il se formera un concours de spécialités. » [3] Dans un article de 1895 intitulé Pourquoi des expositions ? Octave Mirbeau rappelle que le rapport de l’exposition universelle de 1855 préconise déjà la « création d’expositions partielles, techniques, spéciales, plus fréquentes, mais retreintes à un choix judicieux parmi les produits qui sollicitent le plus, dans l’instant où elles fonctionneraient, l’attention du public et l’étude qu’en peuvent faire les visiteurs compétents ». [4] Il y a donc lutte perpétuelle entre les expositions universelles et leurs concurrentes présentant par exemple les progrès de l’agriculture d’un pays, de l’industrie d’une région, de la brasserie, de la photographie, du cyclisme, de la pêche, de l’hygiène etc. Par son actualité, l’électricité devient non seulement un thème potentiel d’expositions thématiques, mais elle deviendra même l’un des favoris.

L’exposition internationale d’électricité de 1881 : un événement fondateur

8 L’ampleur des préparatifs de l’exposition universelle de 1878 tue dans l'œuf le rêve de quelques passionnés d’organiser à Paris une exposition spécifiquement consacrée à l’électricité. Ce premier projet est fortement soutenu par le Comte Hallez d’Arros et son journal, L’électricien, dès son premier numéro en 1876. C’est en 1881 que l’exposition internationale d’électricité finit par se réaliser. Ceux qui en revendiquent l’idée originelle sont nombreux, de sorte qu’on ne peut dire avec certitude de qui en vient l’idée première. On sait cependant qu’un petit groupe informel d’ingénieurs et de scientifiques passionnés d’électricité finit par présenter le projet d’une exposition à Adolphe Cochery, ministre des Postes et Télégraphes, et reçoit son soutien.

9 La première exposition internationale d’électricité est donc une organisation née de la rencontre du privé et du public. Les électriciens en ont l’initiative, en trouvent les financements et l’organisent concrètement, réunis au sein de divers comités. Le ministère met le palais de l’industrie à disposition, subventionne partiellement l’exposition, apporte sa caution institutionnelle et y nomme ses hommes.

10 Du 10 août au 20 novembre 1881, la première exposition internationale d’électricité met donc en contact à Paris 880 545 visiteurs avec 1 768 exposants venus de 16 pays. Le palais de l’industrie qui contenait toute l’exposition universelle de 1855 est rempli en 1881 par la seule électricité, qui s’affirme pour la première fois dans sa globalité. C’est la première fois que l’électricité se montre au grand public à une telle échelle.

11 « L’exposition aura fait naître des applications considérables, qui étaient bien dans l’air si on veut, mais auxquelles il manquait une occasion pour se produire et s’affirmer. Il leur fallait le rayon de soleil qui échauffe les premiers germes, les vivifie et les force à éclore. Il se prépare de tous côtés, en ce moment, une évolution évidente dans les procédés de l’industrie. […] Nous sommes à l’aurore d’une époque nouvelle » [5], écrit cette fois Henri de Parville qui, trois ans auparavant, critiquait l’électricité.

Vue d’artiste (sans toiture) de l’exposition d’électricité de 1881.

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Vue d’artiste (sans toiture) de l’exposition d’électricité de 1881.

12 En effet, 1881 correspond à une étape très importante dans l’histoire de l’électricité. Si aucune invention électrique ne marque particulièrement cette année, c’est bien en 1881 que l’électricité quitte le monde confidentiel des laboratoires de recherche et des ateliers d’inventeurs pour prendre de façon démonstrative le statut d’industrie et présenter ses multiples applications à la société. En 1933 déjà, Arsène d’Arsonval, retraçant ses souvenirs sur l’arrivée de l’électricité en France, évoque la « révolution de 1881 ». [6]

13 Les contemporains saluent l’événement avec un enthousiasme unanime. Eleuthère Mascart, membre de la « vieille garde » des électriciens français (il est surnommé « le chevalier du potentiel » !) et futur président de la Société internationale des électriciens, décrit son étonnement : « Il y a quelques mois seulement, on pouvait encore douter que cette industrie fut capable de fournir les éléments d’une exposition universelle et d’attirer l’attention du public, mais les progrès accomplis de nos jours et presque sous nos yeux ont donné à l’ensemble des objets exposés un éclat incomparable. » [7]

14 Alglave et Boulard confirment que « l’exposition internationale de Paris a été une véritable révélation pour le public et peut-être même pour bien des savants. Malgré son caractère scientifique, le succès a dépassé toutes les prévisions, et sa popularité a prouvé que l’on commence à comprendre partout le rôle considérable que l’électricité remplit déjà dans la vie des sociétés, et à pressentir l’importance encore plus grande que lui réserve un avenir prochain. » [8] Pourtant, l’exposition de 1881 reste avant tout le manifeste d’une industrie nouvelle, bien plus qu’un événement économique et commercial.

« Électromanie » et « expomanie »

15 Elle n’en rencontre pas moins un succès international dont la meilleure preuve est qu’elle engendre dans son sillage de nombreuses rééditions. Ainsi s’organisent les expositions d’électricité de Londres et de Munich (1882), Vienne (1883), Philadelphie (1884), Turin (1884), Toeplitz (1884), celles de l’Observatoire de Paris, de Steyr et de Philadelphie (toutes en 1885), d’Edimbourg (1890, finalement proclamée exposition universelle) et enfin de Francfort (1891). Au fur et à mesure de leur multiplication, le rayonnement géographique de ces expositions semble cependant diminuer. Elles n’ont souvent d’international que leur titre, rassemblant très majoritairement des exposants nationaux, contre 45 % d’exposants étrangers de 16 pays différents à Paris en 1881. Certains règlements d’expositions interdisent d’ailleurs officiellement toute participation étrangère.

16 Techniquement, elles ne font souvent que remontrer dans une mise en scène attractive des inventions déjà vues auparavant. Seules les expositions de Turin et Francfort se distinguent. La première montre le premier transformateur de Lucien Gaulard, mais rencontre un faible écho international car la ville est sujette à une épidémie de choléra ! La seconde voit la mise en œuvre du premier transport de courant triphasé à longue distance, sur 175 km. La percée progressive du courant alternatif, qui triomphera à l’exposition colombienne de Chicago (1893), reste en effet la principale nouveauté de la décennie.

17 Par contre, la multiplication des expositions d’électricité affirme sa présence plus que toute autre industrie ne le fait à cette époque, tant par le nombre de manifestations que dans leur taille. Le phénomène des expositions d’électricité produit aussi une modification structurelle sur les expositions universelles : dans celles d’Anvers (1885) et de Barcelone (1888) l’électricité constitue pour la première fois une section à part entière.

18 Dès lors, les électriciens vont structurer leur action de façon de plus en plus unifiée. En effet, l’organisation administrative et technique d’une exposition est mise en œuvre sous la direction de différentes instances qui peuvent être par exemple : un comité d’admission du groupe « électricité », plusieurs comités d’admission de classe pour les différentes subdivisions thématiques de l’électricité, un comité supérieur de révision réglant les problèmes de cohérence générale, des comités d’installation de groupe et de classes régissant la mise en place concrète, ces derniers à nouveau subordonnés à un second comité de révision et à une commission technique.

19 Toutes ces instances fortement structurées et hiérarchisées représentent le milieu socioprofessionnel des électriciens. Ce sont elles qui décident des choix techniques, architecturaux et scénographiques. Lorsque l’exposition se déroule à l’étranger, elles relaient le message des électriciens auprès du comité français d’organisation, et contribuent donc à l’interface avec l’organisation locale. Une fois le groupe « électricité » institué (traditionnellement le groupe V) c’est donc bien le rassemblement des électriciens qui choisit ses architectes, ses décorateurs et définit la nature des présentations.

20 Une fois son identité affirmée, l’électricité va s’attacher à aller au-delà du succès de curiosité de 1881. Alors que se prépare l’exposition universelle d’Anvers (1885), l’ingénieur belge Léon Somzée avertit les électriciens : « Il ne suffit pas que l’électricité ait, à Anvers, le succès de curiosité qu’elle a partout. […] Il faut encore qu’elle marque l’époque d’un groupement des forces éparses, afin que l’on puisse marcher d’un pas ferme vers la réalisation d’applications sérieuses et industrielles. » [9] Cet « affinage » vers plus de qualité et de fiabilité est le travail à accomplir en France jusqu’à l’exposition universelle de 1889. Mais le spectaculaire n’y perd rien.

1885-1893 : répétition et perfectionnement

21 Les expositions universelles d’Anvers (1885) et de Paris (1889) ne peuvent donc plus tabler sur la seule nouveauté de l’électricité. Les équipements exposés sont surtout des perfectionnements de ceux qu’on a déjà vus en 1881. L’exposition d’Anvers rencontre un succès limité et « les nouveautés y sont trop clairsemées pour faire oublier les expositions précédentes ». [10]

22 Celle de Paris (1889) se distingue plus. Sur ses 96 hectares, 498 exposants forment la nouvelle classe « électricité ». Leur surface au milieu de la galerie des machines reste encore relativement modeste, comparée à celle de la future exposition de 1900. Mais l’électricité est omniprésente par la fourniture d’éclairage et de force motrice dans tous les secteurs de l’exposition. On la retrouve aussi dans des domaines spécifiques comme la chimie et la médecine.

23 L’exposition électrotechnique internationale de Francfort-sur-le-Main (1891) se fixe justement comme but de contrer la critique faite en 1889 d’une manifestation plus tournée vers le divertissement que vers l’émulation technologique. En fait, elle réalise un résultat totalement inverse, formant une sorte de parc d’attractions aux exposants presque exclusivement allemands. On y rencontre un petit train électrique, des courses de chevaux électriques, les incontournables débits de bière aux colombages pittoresques, labyrinthe, stand de tir, cirque etc. Les pavillons (payants) les plus fréquentées sont le panorama peint, le théâtre, le spectacle du plongeur sous-marin et la mine, une sorte de train fantôme !

24 L’innovation vient des États-Unis où l’exposition colombienne de Chicago (1893) dédie pour la première fois un pavillon spécifique à l’électricité : l’electric building. Sur les 275 hectares de l’exposition, ce pavillon de 35 000 m2 se fait remarquer comme un point fort et lance dès lors la mode des palais de l’électricité qu’on voit à Anvers (1894), Bruxelles (1897), Paris (1900), Buffalo (1901) et Saint-Louis (1904). Techniquement, la vraie nouveauté de l’exposition de Chicago n’est pas le gigantisme de son illumination mais plutôt l’utilisation à grande échelle du courant alternatif promu par Tesla et Westinghouse.

1900 : le triomphe

25 Dans cette course aux records spectaculaires, le prochain triomphe est à nouveau parisien : l’exposition universelle de 1900. L’électricité en forme le symbole principal, comme le relèvent de nombreux observateurs. « L’exposition de 1889 […] consacrait le triomphe du fer. […] L’exposition de 1900 marquera le triomphe d’une science nouvelle qui donnera à la ville éphémère cette physionomie originale et cet attrait de curiosité que vous lui déniez ; une science qui a précisément fait d’énormes progrès depuis dix ans ; une science qui tient une large part dans ce siècle-ci, et qui en tiendra sans doute une plus large encore dans le siècle prochain : l’Électricité. » [11] Les progrès effectués ne sont pas si phénoménaux, mais l’électricité est devenue une technique centrale qui rayonne spatialement sur toute l’exposition à partir de son point névralgique qu’est le palais de l’électricité illuminé de mille couleurs : « L’industrie électrique n’était-elle pas représentée presque en tout point de cette vaste exposition ? [...] On a dit que cette dissémination était le résultat d’une mauvaise organisation. […] Nous estimons que la dispersion des applications était inévitable et montre l’énorme développement qu’elles sont appelées à prendre. » [12]

26 Le palais de l’électricité domine toute la perspective de l’exposition. « Par une disposition extrêmement heureuse, symbolique, les temples de science et d’industrie, qui bordent les jardins, dessinent une sorte d’immense avenue verte, dont le Palais de l’Électricité ferme la perspective. Ils semblent se ranger comme des sujets devant cette souveraine triomphante. Ils conduisent vers elle. C’est bien, en effet, le fond de décor d’une apothéose. » [13]

27 Mais au centre de 108 hectares d’exposition desservis par 40 km de câbles électriques, « le palais de l’électricité n’est pas destiné seulement à réjouir les yeux. Ce palais enchanté renferme l’âme vivante et agissante de l’exposition. C’est lui qui fournit à tout ce colossal organisme le mouvement et la lumière. Que le palais de l’électricité vienne, pour une raison ou une autre, à s’arrêter, et toute l’exposition s’arrête avec lui. […] Sans l’électricité, l’exposition n’est plus qu’un corps inerte, que n’anime plus le moindre souffle de vie. » [14]

28 Le triomphe électrique de 1900 est le dernier de son genre. L’électricité y déborde largement de l’exposition, tout en poursuivant de façon durable sa banalisation dans la ville. La gare électrique ultramoderne d’Orsay, la traction électrique des chemins de fer et le métro parisien sont autant de réalisations de l’exposition qui lui survivent durablement.

29 Après ce paroxysme, les illuminations des expositions universelles de Buffalo (1901) et Saint-Louis (1904) n’apportent pas grand-chose de neuf, sinon leur gigantisme et le fait que Buffalo soit alimentée en courant alternatif par une centrale placée à grande distance, sur les chutes du Niagara. Mais cette installation, pionnière en 1896, n’est plus récente et demeure bien loin des visiteurs de l’exposition. Seule l’affiche de l’exposition est illustrée d’un « esprit du Niagara » sans aucun caractère électrique. La centrale électrique, autrefois le cœur de l’exposition, s’en éloigne au fur et à mesure de sa banalisation. Les expositions universelles de Liège (1905), Bruxelles (1910) et San Francisco (1915) renoncent même au traditionnel palais de l’électricité.

Marseille 1908 : la fin d’un modèle

30 Si l’éclairage électrique se banalise, un domaine mettra cependant une génération supplémentaire à s’imposer : l’électrodomestique. Il fait son apparition à l’exposition de Chicago (1893), qui présente notamment une cuisine électrique avec cafetière, grill et réchaud. À l’exposition universelle de 1900, l’électricité domestique se montre en France, avec cafetière électrique, radiateurs allemands et américains, chauffe-plats, calorifères, cuisinière électrique du Familistère de Guise, allume-cigares, bouilloire, fers à repasser électriques etc., …

Les balançoires électriques à l’exposition d’électricité de Marseille (1908).

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Les balançoires électriques à l’exposition d’électricité de Marseille (1908).

31 Une exposition restée peu connue peut servir de conclusion à cette chronologie. Il s’agit de l’exposition d’électricité de Marseille en 1908. Seule exposition française et spécifiquement électrique depuis l’exposition d’électricité de l’Observatoire en 1885, son écho est moindre. Le Bulletin de la Société internationale des électriciens n’en fait même pas mention.

32 On peut pourtant voir à Marseille les spectacles classiques de l’électricité : fontaines lumineuses et illuminations féeriques. Mais une génération est passée depuis 1881. L’électrification du territoire est bien entamée et donne à une certaine proportion de la population la possibilité de « voir » l’électricité ou même de l’utiliser au quotidien. Quant aux professionnels, ils n’ont plus forcément besoin d’une manifestation qui rassemble moins par son intérêt technique que par des attractions dont l’intérêt électrique est vague, voire inexistant : concours horticoles et canins, balançoires électriques…

33 Cette « exposition - fête foraine » montre la fin d’un modèle. Après 1918, l’électricité ne construit plus ses propres expositions. La Première Guerre mondiale, première guerre industrielle, a jeté une ombre brutale sur la célébration de la science et de l’industrie. Les discours emphatiques de 1900 sur le bonheur de l’humanité par le progrès technique ne sont plus de mise.

34 Mais l’exposition de Marseille préfigure déjà les expositions d’après-guerre. Très axé sur le tourisme dans la région marseillaise, son contenu ressemble un peu à ce que sera l’exposition internationale de la houille blanche et du tourisme de Grenoble en 1925 : la réunion d’une exposition strictement industrielle et d’une sorte de salon du tourisme, sans que le lien entre les deux aspects puisse être clairement justifié par les organisateurs, si ce n’est par la promotion d’une identité régionale. L’apparition d’une « maison moderne » confirme l’éclosion à venir du marché de l’électrodomestique, dont le salon des arts ménagers deviendra la grande rencontre annuelle à partir de 1923.

L’exposition : un excellent réseau-test

35 Après cette introduction chronologique, attachons-nous à analyser de plus près les moyens concrets mis en œuvre par les électriciens et les effets qu’ils engendrent. Toute exposition nécessite en premier lieu une infrastructure qui met concrètement la nouvelle technologie en situation. Il s’agit de créer de toutes pièces un système provisoire de production, transport et distribution d’électricité. L’exposition de 1881, cité électrique miniature au sein d’un Paris encore non électrifié, possède ainsi sa propre centrale de près de 3 000 m2, avec 39 machines à vapeur et 12 moteurs à gaz de multiples fabricants, alimentant uniquement le palais de l’industrie.

36 La production et la fourniture d’énergie pour l’exposition fait l’objet d’un syndicat de 8 constructeurs, financé par un prélèvement sur les recettes de l’exposition. Ce syndicat conserve une surprenante lacune : sur abonnement, il fournit aux exposants force motrice ou vapeur… Mais pas le moindre Watt d’électricité ! Chaque exposant doit donc apporter ou louer ses génératrices. Ce manque résulte évidemment de l’absence de toute standardisation : comment alimenter des centaines d’exposants utilisant des tensions différentes ? Il est certes critiquable, mais doit être replacé dans son contexte : aucun véritable réseau électrique public n’existe encore à ce moment.

37 Le transport d’énergie reste d’ailleurs le problème principal des débats et des expériences de l’exposition. En ligne de mire, le système de transport du courant continu de Marcel Deprez réunit autour de lui partisans et contradicteurs plus acharnés les uns que les autres. Un circuit de deux kilomètres environ fait le tour du palais de l’industrie. 27 petits moteurs y sont branchés en dérivation et actionnent toutes sortes de machines-outils. Le fait qu’il soit concrètement mis en place est pour beaucoup dans le succès de ce système : « la solution proposée par M. Marcel Deprez […] a pour elle cet avantage sérieux qu’elle a été expérimentale. » [15] écrit une sommité, Théodose du Moncel.

38 Le rôle pratique des expositions est effectivement primordial. Nombreux sont les exemples de techniques électriques inaugurées dans les expositions : chemin de fer électrique Siemens (1879 et 1881), réversibilité de la dynamo Gramme (mise en scène à l’exposition universelle de Vienne, 1873), téléphone (1878 et 1881), transport à courant continu sur 57 km (Miesbach-Munich, 1882), transport en alternatif sur 174 km (Francfort, 1891) etc.

39 En 1889, le groupe des électriciens constitue à nouveau un syndicat de 27 membres chargé de l’éclairage et de la fourniture de force au sein de l’exposition. La mise au point d’un contrat avec l’organisateur de l’exposition (le Ministère du Commerce et de l’Industrie) débute dès 1887 avec des négociations laborieuses. Il était initialement prévu que le syndicat soit un associé de l’exposition, la mettant en valeur par un éclairage adéquat et prélevant en contrepartie la totalité des bénéfices nocturnes, plus 6 % des cartes d’abonnement. Finalement, l’accord est modifié au dernier moment et les électriciens deviennent « entrepreneurs d’éclairage » pour la somme forfaitaire de 1,8 million de francs. Ils assurent donc plus qu’un simple commerce : un véritable service public.

40 Il faut ici préciser que leur porte-parole, Hippolyte Fontaine, président du syndicat, s’est battu comme un lion pour en défendre les intérêts face à un État frileux, redoutant une débâcle financière. Parlant du projet de faire une exposition ouverte seulement le jour, il déclare que « ce n’était pas assez pour une corporation active, disposée à faire de grands sacrifices, prête enfin à entrer résolument en lutte contre tous les autres systèmes d’éclairage. » [16] D’ailleurs, le syndicat se montre bénéficiaire, donnant du même coup un bel exemple de rentabilité.

41 Il aborde à grande échelle les problématiques des sociétés d’électricité : création d’un cadre juridique et financier, tarification, standardisation technique, gestion de la production et de la vente, concessions, contrats d’abonnement etc. Tout cela fait l’objet d’un dialogue des électriciens entre eux et avec les pouvoirs publics. Les liens et les méthodes mis en œuvre au moment des expositions sont autant de répétitions de la pièce que jouent et joueront encore politiques et électriciens au cours de l’électrification progressive du territoire. [17]

Deux vedettes : éclairage et transports

42 Pour le public, les expositions représentent, on l’a vu, la révélation à grande échelle des applications électriques. En 1881, deux applications sont particulièrement nouvelles et se disputent la vedette : la lampe à incandescence et le tramway électrique. L’exposition d’électricité présente les nouvelles lampes à incandescence pour la première fois en Europe et à grande échelle. Bien que numériquement faibles face à 51 fabricants de lampes à arc, les 4 inventeurs de lampes à incandescence (Maxim, Swan, Lane-Fox et bien sûr Edison) sont au centre de toutes les attentions.

43 Ils inaugurent enfin l’ère de l’éclairage domestique, que certains appellent l’invention de la « lumière de chambre » [18] : « La véritable et grande nouveauté, la révolution, on peut le dire, qui s’est révélée à l’exposition internationale d’électricité, c’est l’éclairage des appartements […]. C’est ce que les électriciens appellent le procédé par incandescence. » [19] Commence alors un partage des tâches qui dure plusieurs décennies : lampe à arc pour l’éclairage public et l’industrie, incandescence pour les espaces d’habitation.

44 L’exposition de 1881 permet aussi l’une des premières mises en service européennes de tramway électrique. L’invention de Siemens transporte 55 personnes à 17 km/h sur environ 500 mètres, de la place de la Concorde à l’intérieur même du palais de l’industrie. Ce tramway est emprunté par 26 000 visiteurs durant l’exposition.

45 Dans des expositions qui s’étendent sur des kilomètres, les visiteurs sont en général harassés, à force de marcher, monter et descendre des escaliers monumentaux parfois hauts de 8 mètres. On calcule que celui qui visite en 1889 la totalité des allées de la galerie des machines ne parcourt pas moins de 6 kilomètres à pied ! Aux expositions de Chicago (1893) et Paris (1900), se déplacer dans l’exposition devient l’objet de défis nouveaux et… électriques. 17 « chemins élévateurs » (escalators) apparaissent en 1900.

46 Ces expositions comportent en outre plusieurs lignes de tramway, de chemin de fer électrique et de trottoirs roulants. On embarque sur ces derniers par des stations à escaliers, d’où l’on accède à la plate-forme de petite vitesse (4 km/h) puis de grande vitesse (8 km/h). Les chutes y sont nombreuses. Les plates-formes n’avancent qu’avec des cahots et des grincements. De nombreux utilisateurs décident de ne plus y mettre les pieds. Les trottoirs roulants de 6 mètres de haut empêchent la lumière du jour de parvenir au rez-de-chaussée des maisons et produisent un bruit infernal…

47 Mais le succès du métro et du tramway de même que la première ligne ferroviaire électrique (Austerlitz-Orsay) annoncent la percée de la traction électrique urbaine et ferroviaire. Par leurs besoins impératifs en infrastructures, ce sont donc très souvent les expositions universelles et d’électricité qui lancent de façon concrète ces applications promises à un bel avenir.

Un éclairage féérique

48 L’application électrique la plus visible et la plus remarquée des expositions reste donc l’éclairage. Les expositions inversent pour quelques mois les habitudes des riverains et des visiteurs en devenant des lieux de promenades nocturnes inhabituelles. « On pouvait lire un journal au pied de l’obélisque [de la place de la Concorde] et au pied de l’Arc de Triomphe. » [20]

49 Les expositions sont largement ouvertes en soirée et souvent accompagnées de fêtes, de bals ou de festivals. Ces manifestations drainent un public massif dont les recettes rentabilisent les expositions. Le bal du 10 juillet 1889 n’attire pas moins de 34 000 personnes au milieu des orchestres, des buffets... et des lampes électriques.

50 À partir de 1883, les fontaines lumineuses figurent dans presque toutes les expositions. Elles demeurent l’un des plus grands succès de l’exposition universelle de 1889. Le spectacle de ces éclairages multicolores dure alors 20 minutes, trois fois par soirée. « Les jets d’eau se transforment en jets de lumière, la grande gerbe du bassin central devient un véritable feu d’artifice, et chaque goutte d’eau est rendue lumineuse au moyen de l’électricité. La coloration de l’eau varie à chaque instant. Toute la gamme des couleurs, depuis le rouge le plus intense jusqu’au blanc le plus éclatant, les lilas tendres et jaunes rutilants, tous les verts, tous les lilas, tous les violets, les cascades de flammes et les pluies d’or se succèdent comme dans les feux d’artifice les plus splendides. On regarde, on admire, on ne comprend pas. » [21]

51 Les membres de l’exposition coloniale se plaignent alors de la concurrence des fontaines lumineuses qui rendent leur secteur des Invalides complètement désert le soir. Ils sont obligés de relancer la fréquentation en organisant des « défilés d’indigènes » et autres truculences. Même constatation une fois la nuit tombée sur l’exposition universelle de Chicago, dont les fontaines lumineuses et le palais de l’électricité vident le reste de l’exposition, pourtant abondamment éclairé : « Plus tristes, les autres palais éclairés seulement par la lumière blafarde des lampes à arcs étaient, cependant, curieux aussi à visiter ; mais le grand silence qui y régnait éloignait le public, péniblement impressionné par l’immensité des allées désertes […] et dont la vie semblait s’être retirée comme d’une nécropole. » [22] L’éclairage de ces parties devient donc exceptionnel, alors que la totalité de l’exposition nécessite tout de même 74 482 lampes à incandescence et 4 838 lampes à arc. Ces lampes à arc qui faisaient courir les foules en 1881 et sont déjà boudées en 1893.

L’électricité mise en spectacle

52 Une grande exposition comporte toujours un théâtre pour la démonstration des effets scéniques de l’électricité. Il renforce la vie nocturne et le caractère festif de l’exposition. Cette dernière est tout entière un immense théâtre dont les nombreux pavillons, constructions provisoires faites de bois et de métal recouvert de stuc, forment le décor. Les décorateurs des grands théâtres parisiens sont d’ailleurs largement mis à contribution et réalisent par exemple les fresques de la galerie des machines de 1889.

53 Cette mise en spectacle à grande échelle induit sous la plume des contemporains l’utilisation abondante du champ lexical de la féerie. Les mots « palais des mille et une nuits », « enchantement », « merveilleux », « féerie » etc. reviennent sans cesse sous la plume des contemporains décrivant l’électricité et contribuent à l’élaboration de l’allégorie de la fée Électricité.

54 En 1900, sa statue de 6 mètres de haut domine toute l’exposition, depuis le sommet du palais de l’électricité. « Debout sur un char traîné par un Dragon et par un Pégase, ce génie tient une électrode de chaque main ; le soir, une étincelle d’un mètre de longueur jaillit constamment entre ces électrodes. [23] Une immense étoile aux multiples rayons est placée derrière la statue. » [24] La nuit, « le génie de l’électricité était éclairé en blanc par les rayons d’un projecteur placé sur le sommet de la tour Eiffel. Cet éclairage par reflet lui donnait un aspect d’irréalité qui l’enlevait dans les airs, comme il convient à un génie. L’effet produit était d’un poétique idéalisme. » [25]

55 La vie nocturne intense de ce centre densément électrifié qu’est une exposition est certes éphémère, les spectacles vus n’apportent certes rien à la connaissance de l’électricité, mais l’expérience visuelle est vécue et c’est là l’essentiel. L’aspect spectaculaire, festif et divertissant de ces fêtes de nuit contribue largement à orienter l’imaginaire collectif vers l’éclairage électrique.

Des performances critiquables et critiquées

56 Cependant, le souvenir triomphal laissé par les grandes expositions ne doit pas faire oublier que leur organisation est rarement performante à 100 %. Une exposition n’est jamais prête lorsqu’elle ouvre. Il arrive toujours des choses qu’on n’attendait pas et les choses qu’on attendait n’arrivent pas... En 1881, l’inauguration est repoussée de 10 jours. Mais malgré ce délai supplémentaire, presque aucun appareil ne fonctionne encore pendant la première semaine. Il faut attendre plus de deux semaines pour achever les installations d’éclairage et ouvrir en nocturne. Le Monde illustré évoque une « inauguration hâtive et ahurie ». [26]

57 Edison n’est pas le moins en retard. Son exposition ne fonctionne entièrement que deux semaines après l’ouverture. Les lampes Edison, stratégiquement destinées à éclairer l’entrée de l’exposition, sont abandonnées au dernier moment au profit d’autres constructeurs pouvant respecter les délais. Pour finir, ce n’est que deux mois après l’ouverture que sa grande dynamo arrive enfin du Havre.

58 L’exposition de 1889 ne commence pas non plus dans les meilleures conditions, à cause d’un certain nombre de défaillances : lors de l’inauguration, toutes les chaudières ne sont pas encore installées et l’éclairage s’avère par conséquent bien incomplet ; la puissance produite est insuffisante pour faire fonctionner en même temps les fontaines lumineuses et les 12 lustres de la galerie des machines ; les fontaines lumineuses ne sont pas encore tout à fait au point, etc.

59 Enfin, la fameuse exposition de 1900 commence elle aussi dans le noir. Deux semaines après l’ouverture, on lit dans L’Éclairage électrique : « Bien que les travaux soient partout poussés avec une fiévreuse activité, les visiteurs ne trouvent guère encore à admirer que la magnifique ordonnance des façades des Palais ; encore celles-ci sont elles de nouveau cachées en partie par les échafaudages qui avaient disparu comme par enchantement le jour de l’inauguration. » Partout on avance, mais « il n’en va pas de même dans le palais de l’électricité dont la partie centrale est encore entre les mains des ouvriers qui terminent le château d’eau. » Les constructeurs des groupes électrogènes « ont déclaré ne pouvoir fonctionner que lorsque l’atmosphère des deux usines génératrices serait un peu moins chargée de particules de plâtre. »

60 Les témoignages écrits contemporains des expositions ont tendance à passer sous silence les pannes, au grand dépit de l’historien cherchant à les débusquer. Mais on sait que sur les six lampes à arc de l’exposition universelle de 1878, on ne dénombre pas moins de 282 extinctions et ces pannes se font de plus en plus longues. Le célèbre système Edison connaît lui aussi de nombreuses pannes en 1881, pannes parfois habilement camouflées. La panne la plus remarquée se produit durant la visite des barons de Rothschild, visite après laquelle Alphonse de Rothschild se promet de rester fidèle à ses lampes à gaz. [27] Contrairement aux incidents du gaz, la panne d’électricité est subite, incompréhensible et déstabilisante. « Le gaz, écrit en 1889 Lucien Biart dans ses Promenades à travers l’exposition, n’a pas les soudaines défaillances de sa brillante rivale, et, s’il n’a pas son éclat qui fatigue les yeux, il ne plonge pas non plus à l’improviste dans une nuit noire, les gens qu’il est chargé d’éclairer. » [28]

61 En 1900 encore, une revue humoristique de l’École Centrale, intitulée On ferme, prend pour sujet l’exposition universelle :

62 « L’électricité, j’pense

63 N’y offre aucun danger,

64 Par mesur’ de prudence

65 Ell’ n’ veut jamais marcher ! » [29]

La sécurité électrique

66 Autre aspect que les grandes expositions testent et contribuent à mettre en débat : la sécurité électrique. Elle est évoquée à plusieurs reprises lors du congrès de 1881. Un débat s’instaure sur les risques ou la protection face à la foudre que représentent les lignes aériennes, sans que la question ne soit tranchée.

67 Le gigantisme des expositions exacerbe parfois la peur de l’électricité. Dans L’Encyclopédie du Siècle, qui résume l’exposition de 1900, Wilfrid de Fonvielle écrit « En garde contre l’incendie ». Il rappelle que l’exposition de Chicago (1893) s’est achevée après sa fermeture par un immense incendie de ses bâtiments en bois recouvert de stuc et fait le lien avec les célèbres incendies de l’opéra-comique et du bazar de la charité.

68 Selon lui, ce n’est pas des énergies traditionnelles que pourrait venir le danger à l’exposition universelle, mais bien de l’électricité :

69 « Les seuls dangers sérieux que l’on puisse redouter proviennent uniquement de cette force maniable, si douce, si obéissante, si subtile, si moderne à laquelle on a recours précisément parce qu’elle est beaucoup plus sûre que toutes les autres, parce qu’elle offre le moins de risques. C’est parce qu’elle a trop de qualités que l’électricité finit par avoir des défauts. [...] N’est-on pas surpris de l’audace humaine, qui fait circuler ce feu latent dans des artères de cuivre rouge, recouvertes d’une enveloppe de caoutchouc ou de gutta, c’est-à-dire les substances les plus combustibles peut-être que l’on tire des arbres des contrées tropicales. [...] Les électriciens qui les disposent ainsi sont aussi hardis que Jean-Bart lorsqu’il fumait sa pipe sur un tonneau de poudre, mais ce n’est pas toujours eux qui la fument... cette fameuse pipe. [...] Car c’est bien la foudre, la vraie foudre, que l’homme entreprend de mettre en cage ! La main n’est pas assez agile pour arrêter l’invasion qui se produit, torrentielle, brûlante, redoutable au moment où l’on s’aperçoit de l’erreur commise. » [30]

70 On signale en effet quelques incidents électriques. Une lampe Lane-Fox met le feu à quelques éléments de décor en 1881 et on déplore plusieurs autres débuts d’incendie. Le service médical de l’exposition semble surtout présent pour éviter les absences injustifiées du personnel et ne signale aucune électrocution. Toutefois, avec un montage hâtif et dans les conditions de sécurité du moment, on peut douter qu’il n’y en ait pas eu. Il est probable qu’elles n’aient pas été signalées, car sans gravité et ne nécessitant pas de soins particuliers.

71 Seul le fameux tramway Siemens tue un homme sur le cours la Reine au cours d’un accident de circulation, sans cause électrique. En 1900 encore, ce même tramway est tourné en dérision dans Le Rire, journal humoristique. Il publie sur une de ses couvertures la caricature d’un avocat en pleine plaidoirie : « Réfléchissez, Messieurs les jurés ! Quel besoin avions-nous de tuer cette femme ? Sa mort n’était-elle pas imminente ? M. l’avocat l’a reconnu lui-même : elle prenait tous les jours le tramway électrique ! » Il faut dire que les premiers essais du tramway parisien sont fâcheux : 120 accidents entre le 15 juin 1900 et le 20 février 1901.

72 En 1889, de nouveaux débuts d’incendie d’origine électrique sont à nouveau signalés dans l’exposition. Dans un jardin faisant face au palais des arts libéraux, un vélum s’enflamme par suite d’un court-circuit. Deux autres débuts d’incendie ont lieu dans les égouts et dans le vestibule du palais des machines, sous la coupole. « Comme toutes les servantes sur lesquelles manquent les renseignements, l’électricité joue souvent de mauvais tours à ses prétendus maîtres. » [31] écrit Lucien Biart.

73 Des règles de sécurité de plus en plus précises sont édictées au fil des expositions, mais leur adaptation et leur évolution vers plus d’efficacité semblent lentes en France. Les normes de l’exposition de Chicago en 1893 sont ainsi beaucoup plus contraignantes et précises que celles de Paris en 1900. Les expositions n’ont heureusement engendré aucune catastrophe, mais elles n’ont donc pas non plus réussi à assurer une sécurité parfaite, ni à vaincre totalement la peur de l’électricité.

L’exposition, bazar du progrès

74 L’une des principales critiques adressées aux expositions par leurs visiteurs est de se servir souvent des sciences et techniques en général et de l’électricité en particulier comme simple prétexte à des attractions ou des dioramas sans intérêt pratique ou éducatif. Octave Mirbeau reproche ainsi aux expositions le fait qu’elles « prennent des airs peu sérieux de bazars nomades, de déballages forains qui éloignent d’elles l’homme désireux de s’instruire pour n’attirer que l’éternel badaud, celui à qui il est indifférent d’aller ici ou là, pourvu qu’il aille quelque part. Sous prétexte d’électricité par exemple ou de cyclisme, les industries les plus disparates et les plus bizarres commerces les envahiront et les noieront. » [32]

75 Effectivement, on retrouve ça et là la présence de l’électricité comme prétexte à des expositions plus ou moins louches. Mais elle justifie aussi un certain nombre de salles dans lesquelles très peu de choses sont finalement électriques. Les « appartements témoins » de l’exposition de Munich (1882) où s’enchaînent une galerie d’art, une bibliothèque baroque, un pavillon de chasse ou encore une chapelle nous font sourire aujourd’hui. L’apport des arts décoratifs y est en effet plus important que celui de l’électricité, limité à quelques lampes.

76 Mais les électriciens de 1882 semblent y trouver leur compte. Si l’électricité y est si peu visible, leurs objectifs restent pleinement atteints : mettre l’électricité en œuvre dans tous les contextes possibles, et probablement aussi (mais cela n’est pas explicite) rassurer les tenants du bon goût dans les arts décoratifs en leur montrant qu’elle n’est pas incompatible avec leur intérieur.

Une immense bouée de fonte est exposée sur le stand Siemens, dans la partie anglaise de l’exposition d’électricité, en 1881.

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Une immense bouée de fonte est exposée sur le stand Siemens, dans la partie anglaise de l’exposition d’électricité, en 1881.

77 Si le langage des expositions du XIXe siècle nous semble parfois obscur, cela est déjà le cas d’une partie de leurs visiteurs. L’iconographie des expositions universelles nous montre de quelles manières le matériel électrique est présenté. Les stands d’expositions universelles se présentent sous la forme de panoplies d’appareils et d’objets, de photographies, de schémas, de graphiques, de plans etc. Les entreprises exposent souvent des schémas et photographies d’installations électriques que seuls les professionnels ou les éventuels amateurs éclairés savent interpréter.

78 Lorsqu’il ne s’agit pas d’une accumulation hétéroclite, le stand est une mise en scène esthétique célébrant la gloire d’une entreprise, souvent dans un ordonnancement géométrique : colonnes faites de tourets de câbles empilés, appareils alignés, panoplies de cadrans soigneusement disposés. Tout cela confère à l’exposition une image de « bazar du progrès », esthétique dans son décor, ordonné dans sa scénographie, mais au sens incompréhensible pour la majorité du public.

79 Les discours triomphaux des contemporains laissent peu de place à ce qui nous apparaît comme une limite. Mais on en retrouve la trace ici et là. Dans son Coup d'œil rétrospectif sur l’exposition [33], Théodose du Moncel avoue que le public aurait aimé en 1881 que des « étiquettes » indiquent la nature et le fonctionnement des appareils. On en déduit que le néophyte reste donc perdu au milieu d’une jungle d’appareils dont l’usage même lui est inconnu.

80 Exemple : une immense bouée de fonte est exposée sur le stand Siemens, dans la partie anglaise de l’exposition d’électricité. Elle sert à soutenir les câbles sous-marins au cours de leur pose. Cependant « beaucoup y croient voir un phare flottant […] alors que d’autres y trouvent un modèle de torpille ; mais on s’y intéresse et on voudrait avoir des explications qui manquent presque toujours. » [34]

81 Un autre exemple montre à quel point le langage de l’exposition est difficile à assimiler : « A l’exposition d’électricité de 1881, on pouvait voir, dans la section norvégienne, un pivert empaillé et placé sous un globe à côté d’un tronçon de bois percé de part en part. Bien des personnes s’arrêtaient sans comprendre et se demandaient ou pouvait être l’agent électrique. On aurait difficilement deviné, dans ce morceau de bois, l’extrémité d’un poteau télégraphique exposé comme pièce à conviction du méfait de l’oiseau. » [35]

82 Le gigantisme croissant des expositions amplifie la difficulté à en comprendre le contenu. Henri de Parville, lui-même grand auteur de vulgarisation, fait part de son scepticisme quant à l’exposition de 1881 :

83 « La question que se posait invariablement le visiteur, qui parcourait le palais des Champs Élisée, était toujours la même : il voyait bien les fils télégraphiques courir de toute part, les machines tourner, les lampes s’illuminer […]. Il était bien témoin des effets, mais c’est la cause qui lui échappait ; il cherchait le secret de ce rouage gigantesque qui donnait vie à toute l’exposition. Aussi on entendait le public réclamer un guide pour lui expliquer ce qu’il ne comprenait pas.

84 Il ne faut pas se dissimuler que, même avec un guide, les personnes étrangères à la science auraient eu quelque peine à se rendre compte de ce qui les entourait. On parlait une langue qui était loin d’être familière à tout le monde ; on ne pouvait la déchiffrer à livre ouvert ; une instruction préalable est absolument nécessaire : on ne saurait s’étonner du désappointement que paraissaient témoigner les visiteurs, qui essayaient inutilement de saisir la clef d’un phénomène ou le mécanisme d’une machine. » [36]

Entre vulgarisation technique et fête foraine

85 Pourtant, on ne peut mettre en cause la bonne volonté des organisateurs. Dès leur origine, les expositions universelles revendiquent une vocation vulgarisatrice qui s’inscrit dans le grand mouvement de vulgarisation des sciences qui se développe à la fin du XIXe siècle. À chaque exposition, les électriciens proposent un programme de conférences-promenades et de visites guidées. Les 40 conférences de 1881 obtiennent un succès inattendu, alors « qu’on avait cru dans l’origine ne pouvoir réussir. [Elles] ont eu un résultat si heureux, que les différentes écoles de Paris ont cru devoir les répéter pour leurs élèves, dans le palais même de l’électricité. » [37] Les conférenciers sont les spécialistes les plus éminents du moment dans le domaine électrique : Arsène d’Arsonval, Hippolyte Fontaine, Edmond Hospitalier, Théodose du Moncel, etc.

86 Mais il est facile d’estimer que la fréquentation de ces conférences est infime en regard des masses de visiteurs que drainent les expositions. La majorité des visiteurs continue probablement à s’intéresser davantage aux applications les plus spectaculaires de l’électricité qu’à leur fonctionnement. Gaston Tissandier remarque dès 1881 qu’à l’exposition « le simple passant [ne] prend qu’une idée générale et suffisante des merveilles toujours en progrès. » [38] C’est là une analyse probablement assez réaliste.

87 Sans cesse, les organisateurs des expositions universelles se targuent de réunir instruction et divertissement. Le succès des attractions les force à multiplier fontaines lumineuses, mises en scènes exotiques et grandes roues de fête foraine, souvent sous le nom de « divertissements scientifiques ». Cet alibi sert par exemple pour les parois translucides et les miroirs du palais des illusions de 1900, dessiné par Hénard, le même architecte que le palais de l’électricité. Mais le caractère électrique du palais des illusions n’est qu’un vague faire-valoir.

88 De nombreux contemporains dénoncent le pari d’apprendre en s’amusant comme restant une pure utopie. Dans la pratique, le grand écart demeure entre une exposition aux divertissements racoleurs et son discours technique pointu. Ce reproche se retrouve constamment chez certains contemporains : « On décrète des concours universels et l’on bâtit des caravansérails. Le spectacle a tué l’étude et les comparaisons fructueuses ; le cadre a écrasé le tableau. D’ailleurs, la scène est trop étendue, pour qu’on puisse l’embrasser avec profit dans tous ses détails. » [39] Ou encore en 1900 : « Il fallait organiser deux expositions : l’exposition sérieuse… et l’autre… et ne pas les loger au même endroit… et ne pas mélanger la danse du ventre, l’industrie et les beaux-arts... » [40] Malgré les bonnes intentions parfois proclamées, aucune exposition ne prend le risque d’un choix décisif dans ce domaine, car il y va de son succès. L’électricité ne captiverait pas autant sans le spectacle de ses palais lumineux multicolores.

Les expositions survivent sur le papier

89 Le domaine dans lequel les expositions sont le mieux vulgarisées est finalement celui de l’édition. Fabienne Cardot a démontré que l’exposition d’électricité de 1881 déclenche une inflation de publications de vulgarisation électrique, qui élargissent du même coup le public initial des visiteurs à celui des lecteurs. Les « merveilles » des expositions font l’objet de nombreux ouvrages qui en prolongent l’existence sur le papier, restant à la fois souvenirs et livres de référence.

90 Pour 1881, on répertorie un important rapport officiel, un catalogue (17768 exemplaires vendus), des rapports étrangers très développés et un livre de vulgarisation sous le titre L’électricité et ses applications.[41] Au-delà de ses 1800 exemplaires vendus durant l’exposition, ses nombreuses rééditions en font rapidement un classique de l’électricité. À travers l’électricité de Georges Dary [42] connaît le même succès lors de l’exposition universelle de 1900. Aujourd’hui encore, les marchands de livres anciens le proposent régulièrement.

91 Les premières revues spécialisées jouent aussi pleinement leur rôle. Elles commentent chaque stand avec grande précision. Durant l’exposition de 1881, La Lumière électrique double d’ailleurs son rythme de parution. L’exposition de Munich y fait également l’objet de comptes rendus nombreux et détaillés dont la parution se prolonge bien au-delà de la fin de l’exposition. Enfin, de nombreux exposants offrent des livres ou brochures souvent assez luxueux présentant leur stand. Ces publications occasionnelles n’ont rien à voir avec leurs catalogues courants. En effet, le règlement des expositions interdit le plus souvent de mentionner les prix.

92 Les livres et nombreuses publications par abonnement destinés au grand public et qui fleurissent à chaque grande exposition se distinguent par des illustrations particulièrement abondantes. La presse, les photographies et les gravures, les cartes postales, les objets publicitaires et les souvenirs divers rapportés de l’exposition en reprennent les points forts. Là encore, l’électricité s’y voit surtout par ses manifestations les plus brillantes : le palais de l’électricité devient une représentation classique sur des supports aussi variés que des chromos publicitaires, des tasses à café, des cendriers et des partitions musicales.

Carte postale de l’exposition de 1900 dont les illuminations « s’allument » lorsqu’on le regarde à contre-jour.

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Carte postale de l’exposition de 1900 dont les illuminations « s’allument » lorsqu’on le regarde à contre-jour.

93 L’impact visuel et social des expositions se retrouve dans les œuvres de fiction. Émile Zola photographie le palais de l’électricité et la galerie des machines de 1900, qu’il décrit dans Travail (1900). Jules Verne décrit le monde des expositions dans Robur le Conquérant, qui survole les illuminations du Champ de Mars et de sa tour métallique, non encore construite à la parution du roman (1886). Albert Robida nous distrait avec Le Vingtième siècle (1883) et La vie électrique (1890), ouvrages d’anticipation sur le ton de l’humour, respectivement inspirés par les expositions de 1881 et 1889.

94 On remarque avec amusement que les romans gardent prudemment un aspect mystérieux aux détails techniques de l’électricité, tout en laissant supposer ses immenses possibilités. Cela sonne comme un écho des expositions universelles : on voit, on rêve, on imagine... Mais on ne comprend pas toujours. Livres, journaux et romans n’ont pas forcément vulgarisé l’électricité de façon massive. Mais ne serait-ce que par leur nombre, ils entretiennent une effervescence permanente autour du sujet. Ils contribuent aussi à amplifier l’image des spectacles électriques dans l’imaginaire collectif.

Une sélection par la pratique

95 Bien que l’une des vocations de départ des expositions universelles soit de stimuler le commerce, on peut s’interroger sur ses retombées sur l’industrie. En dehors des bénéfices ou déficits liés à son organisation elle-même, l’exposition universelle ou d’électricité est-elle vraiment un succès économique pour ses exposants ? L’absence de sources à ce sujet nous laisse dans le doute.

Stand Felten et Guilleaume à l’exposition de Francfort (1891).

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Stand Felten et Guilleaume à l’exposition de Francfort (1891).

96 En dehors du succès bien connu d’Edison, les rapports officiels des expositions restent incapables de trancher la question. La commission française de l’exposition de Chicago affirme clairement ne pas être en mesure de dire si le déplacement des entreprises françaises s’est avéré rentable. Mais les bénéfices à court terme sont-ils vraiment l’objectif principal des exposants ? Un questionnaire adressé aux exposants d’Amsterdam en 1883 semble indiquer que non. [43] Le résultat atteint semble apparemment moins de vendre que d’avoir pu tester en grandeur réelle les réactions du public.

97 Il s’agit de découvrir, sinon ce qu’il achèterait, du moins ce qui éveille le plus sa curiosité. Dans les années 1880, l’électricité est une industrie balbutiante qui doit créer de toutes pièces son marché et ses débouchés. Dans la décennie 1890- 1900, cette situation évolue et le marché se structure, entre autres parce que la mise en situation concrète et la critique publique que permettent les expositions guident l’électricité vers de meilleures performances, parmi la multiplicité et la disparité des inventions exposées.

98 Parmi les 51 modèles de lampes à arc présentés en 1881, la mise au point de certains est nettement insuffisante. La qualité des différentes lampes à incandescence est elle-même sujette à de nombreuses controverses. Jules Sarcia, ingénieur de la société Jablochkoff aux États-Unis, résume bien la situation : « Je ne demande pas mieux que de me lancer comme simple soldat dans la lutte pour l’électricité contre toute espèce d’autre éclairage, mais […] je déclare que je ne suis pas encore en état d’affirmer à qui que ce soit que tel ou tel système vaut mieux que tel ou tel autre, et si celui-ci exige une plus grande dépense de force motrice, et si celui-là produit une plus grande intensité lumineuse. » [44]

99 Des expériences et des mesures comparatives sont donc menées dans le cadre de l’exposition d’électricité et suivies avec grand intérêt. Les conditions de ces études, leur impartialité et la qualité de leurs résultats sont l’objet de débats acharnés encore bien après la clôture de l’exposition, cette dernière restant le point de départ de toute controverse.

100 Lorsque l’électricité se montre, c’est donc aussi avec ses imperfections. Bien qu’en plein essor, elle n’est pas encore une technique performante à 100 % et reste irrésolue dans certaines questions. La fièvre du « tout électrique » vient seulement de démarrer et il faut attendre quelques années pour voir se différencier les innovations promises à un bel avenir des autres, parfois même à la limite de l’élucubration. Citons en vrac : un mesureur électrique de la ration des chevaux, un compteur œnologique (destiné à contrôler le débitage de vin par les domestiques !) et la toise électrique pour mesurer les conscrits. Dans un domaine plus sérieux, la navigation aérienne et maritime à l’électricité rencontre un fort succès d’estime dans les expositions des années 1880, mais sans effet à long terme.

101 Pour les applications électriques dans leur ensemble, le résultat de cette « épuration » par l’usage est qu’en 1889, l’exposition universelle montre une gamme plus restreinte mais plus performante qu’en 1881. En 1900 enfin, l’électricité est devenue une technique éprouvée et fiable qu’il est possible de vendre potentiellement à une fraction de visiteurs-consommateurs.

102 Si l’on est alors parvenu à un certain partage des tâches et des marchés avec les autres énergies, on constate au niveau de l’éclairage que les lieux les plus prestigieux sont toujours réservés à l’électricité. La Tour Eiffel est éclairée extérieurement au gaz jusqu’à la première plate-forme, alors que l’électricité conquiert les plateformes supérieures et les projecteurs du sommet. « [L’électricité] a laissé au gaz la tâche banale d’éclairer et elle s’est donné mission d’illuminer ! » [45]

Un public gigantesque mais mal identifié

103 Il reste à évoquer les relations entre l’électricité et le gigantesque public des expositions universelles. Ces dernières durent environ 6 mois, du printemps à la fin de l’automne, soit entre 150 et 200 jours d’ouverture. Les expositions d’électricité sont plus courtes : un peu plus de trois mois pour celle de Paris ; celle de Munich est ouverte un mois seulement, à partir du 15 octobre 1882. Leur fréquentation est de l’ordre du million de visiteurs, ce qui ñ sans être négligeable - reste faible comparativement à celle des expositions universelles.

Les fontaines lumineuses de l’exposition de 1900, lors d’une fête de nuit.

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Les fontaines lumineuses de l’exposition de 1900, lors d’une fête de nuit.

104 Les entrées de ces dernières se montent en général à 20 ou 30 millions, le record de notre période étant détenu par l’exposition universelle de 1900 avec plus de 50 millions d’entrées, qui correspondraient à 45 millions de visiteurs réels. À Chicago, on enregistre un record journalier de 700 000 entrées.

105 Une exposition universelle forme pendant plusieurs mois une véritable ville dans la ville, rassemblant des dizaines de milliers d’exposants sur plusieurs dizaines, voire centaines d’hectares. L’entrée est payante, de même que l’accès à certains pavillons, à payer en supplément. Le tarif de l’exposition Edison de 1889 suscite par exemple des récriminations. Si les pavillons gratuits sont parfois rares, un visiteur peut par contre se contenter de visiter l’extérieur de l’exposition et ses spectacles (jardins, kiosques à musique, fontaines lumineuses etc.).

106 Toujours en 1889, les tarifs sont d’un à deux francs selon les horaires. Pour mémoire, deux francs équivalent environ au salaire journalier d’une couturière ou d’une ouvrière. Mais, sur les 32 millions d’entrées enregistrées à l’exposition, 7 millions environ sont des entrées gratuites.

107 Nombreuses sont en effet les opérations de gratuité, comme lors des deux derniers jours de l’exposition d’électricité de 1881. Le succès en est immense, avec deux files d’attente plus longues que le palais de l’industrie. Pourtant, la fréquentation de ces journées et en dessous de la moyenne de l’exposition (plus de 8 000 visiteurs/jour) et de son record (18 982). 4 500 écoliers parisiens la visitent gratuitement, en plus des 30000 billets offerts et des 57 000 cartes permanentes distribuées à la presse, au personnel de l’exposition, dans les entreprises, les administrations etc. Certaines opérations de gratuité attirent un public totalement ignorant des choses électriques, dont le comportement et la naïveté font les délices des observateurs avertis. [46] La gratuité attire aussi des visiteurs indésirables, parfois créateurs d’incidents. [47] On peut donc estimer très globalement que le tarif d’entrée ne constitue pas un obstacle infranchissable à la découverte d’une exposition universelle.

108 Ceci étant, il est très difficile de donner une analyse qualitative du public, aucune évaluation contemporaine des expositions n’ayant été entreprise à notre connaissance. On peut toutefois dégager quelques constantes. L’exposition attire d’abord un public venu de loin : province et étranger. Il est de tradition que les compagnies de chemin de fer offrent systématiquement des tarifs promotionnels pour se rendre aux grandes expositions. En 1889, on estime à 5 millions le nombre de provinciaux et 1,5 million d’étrangers qui font le déplacement.

109 Souvent aussi, le visiteur fait partie d’un groupe constitué : étudiants, écoliers, instituts de charité, délégations ouvrières, syndicats, voyages d’études etc. Les expositions s’accompagnent de nombreuses réunions. 130 congrès se tiennent à Paris en 1900 et totalisent 67000 participants. [48] En 1901, la Société internationale des électriciens organise elle-même un grand voyage pour visiter l’exposition panaméricaine de Buffalo.

110 Pour les électriciens, les groupes constitués forment une cible intéressante. En 1900, l’électrification est ainsi au programme du congrès international des tramways et du congrès international d’art théâtral. Le congrès des maires de France réunit 12 000 édiles en 1889. Apôtres potentiels de l’électrification, ils sont particulièrement courtisés. Au contraire, les électriciens se montrent très déçus lorsqu’en 1881 le président Grévy visite l’exposition au pas de course en une petite heure.

L’industrie électrique occupe le terrain

111 Les chiffres cités plus haut prouvent certes l’importance du phénomène. Mais apprécier l’impact réel des expositions sur la diffusion de l’électricité et de ses inventions est plus difficile. Il existe d’abord un décalage flagrant entre l’exposition et le monde qui l’entoure. Que pensent les Parisiens de l’appartement témoin complètement équipé avec « tout ce que l’électricité peut fournir au confort de la vie moderne » [49] et qu’ils peuvent visiter en 1881 ? La lumière magique, qui s’allume automatiquement lorsqu’on ouvre une porte, les émerveille. Mais Paris ne sera électrifiée qu’à partir de 1889 ! Les 30 000 mètres carrés du palais de l’industrie, comme toute grande exposition, forment une sorte de monde parallèle où règnent luxe et confort. Ce luxe peut être rêvé, mais reste matériellement inaccessible, ne serait-ce que par l’absence de réseau électrique public. « Nous sortîmes de la galerie des machines en 1889, écrit M. de Voguë, avec la persuasion que la future décennale nous montrerait […] des emplois faciles et fréquents de la force électrique empruntée aux sources naturelles à longues distances : il a fallu rabattre de nos présomptions. » [50]

112 D’un point de vue à la fois social et technique, il est en effet irréaliste d’établir trop tôt un lien direct entre la visite d’une exposition universelle et le début d’une consommation électrique chez un particulier. En 1881 le Français ne peut pas avoir l’électricité. En 1889 il peut éventuellement l’avoir et en rêve parfois. En 1900, il est déjà un consommateur qui la désire s’il n’en dispose pas déjà.

113 Dans ce processus, Pascal Ory écrit avec discernement que l’exposition réalise plus « un travail d’exaltation collective » que « d’illumination personnelle ». [51] « L’exposition universelle est avant tout un spectacle, où priment la sensation et le divertissement. Les « merveilles de la science » chères à la vulgarisation y sont prises au pied de la lettre : on en sort plus émerveillé qu’éclairé. » [52] Mais, pour un public qui n’a jamais été en contact avec l’électricité, c’est déjà beaucoup.

114 On a vu que les attractions et les spectacles visuels attirent la faveur du public. Les contemporains ne cessent d’ailleurs de s’en plaindre : « Les merveilles de l’industrie et des arts sont le prétexte, leurs galeries sont désertes ou vivement parcourues par acquit de conscience, parce qu’il faut les connaître et qu’il est de bon goût d’en parler : la rue du Caire est le but et la foule s’y presse. » [53] On pourrait ajouter à la rue du Caire, la maison hantée de l’exposition de Chicago, mais aussi le palais des illusions de Paris 1900 ou encore les fontaines lumineuses et les palais de l’électricité successifs… Ces installations ne vendent pas l’électricité, mais lui construisent une image positive de plaisir et de facilité, en attendant de pouvoir concrètement l’acclimater.

115 Dès l’exposition de Chicago (1893), la Western Electric Company fait bien la part des choses en proposant deux présentations : l’une sous forme de « temple égyptien » (ou prétendu tel) présente de nombreuses attractions, dont une tour lumineuse changeant de couleur et donnant des illusions visuelles, selon le principe actuel du chenillard, tandis que l’autre partie de l’exposition reste purement technique. Nous avons là deux expositions distinctes, nettement ressenties par les contemporains comme s’adressant à deux publics différents [54], sans malheureusement savoir si ce choix a été consciemment fait par les organisateurs.

« On admire, mais on ne comprend pas »

116 La partie plus technique des expositions continue cependant d’impressionner une frange du grand public, en exerçant une autre fascination : celle de l’inconnu et du mystérieux. Il est encore trop tôt pour parler de science-fiction, mais lisons Le Temps du 21 août 1881 :

117 « En rentrant dans le palais des Champs Élysées devenu le palais de l’électricité, la plupart des gens - Parisiens, mondains, curieuses - éprouvent une impression toute particulière. Ils se trouvent tout à coup en face d’un monde nouveau. C’est l’inconnu. C’est l’au-delà ? Cela se touche et cela, pourtant, ne se devine pas. Ces phares, ces engins, ces instruments de précision, ces bobines, ces machines magnéto ou dynamo-électriques, ces télégraphes-signaux aux disques de couleur, d’un ton cru, jaune d’ocre ou vermillon, ces fils télégraphiques, ces tintements rapides et grêles de sonnettes invisibles, ces écussons, ces drapeaux, ces installations de nationalités diverses donnent à la grande nef du palais quelque chose d’américain, de Yankee, de chinois. C’est le triomphe même de la science. »

118 Lors des journées gratuites de l’exposition de 1881, le rapport officiel observe que le public fait son entrée silencieusement, parlant à voix basse, comme dans un temple de la science, avant qu’au bout d’un quart d’heure tout s’anime frénétiquement. En exhibant les appareils électriques, les expositions légitiment donc leur utilité sociale, l’encouragent et la valorisent, à tel point que cette mise en scène fait naître chez le visiteur néophyte le respect irrationnel réservé aux phénomènes inconnus. Encore une fois : on admire, mais on ne comprend pas.

119 Donnons la parole à Louis Figuier pour décrire avec l'œil du vulgarisateur les appareils exposés en 1881 :

120 « Sans doute, [le public] n’en sait pas la construction, n’en donnerait pas la théorie - qui la sait d’ailleurs ? - mais il en connaît l’existence et les effets. Il l’a entendu à l’exposition. N’est-ce pas quelque chose ? Il a vu tourner une machine dynamoélectrique et il sait comment se fait l’électricité. Il a l’idée d’un foyer électrique. […] Tous ceux qui sont entrés au palais de l’industrie, et ils se comptent par centaines de mille, ont emporté une notion de l’électricité, petite ou grande, claire ou obscure, mais en tout cas nouvelle, et d’ailleurs acquise avec plaisir ». [55]

121 L’objet électrique était de nature purement scientifique avant sa présentation publique. Avec les expositions universelles, il devient objet d’admiration, d’imagination et de rêve avant de devenir très progressivement objet de consommation, au tournant du XXe siècle seulement. Dans les années 1880 les masses ne sont pas encore mûres pour acheter directement ce produit encore trop nouveau et peu disponible. Encore loin de pouvoir vendre l’électricité dans tous les foyers, les électriciens occupent donc le terrain et développent à travers les expositions une politique de séduction à travers une véritable mise en spectacle de l’électricité.

122 Si ce mode d’action a été concerté par les électriciens membres des comités d’organisation des expositions, rien n’indique cependant de manière explicite que leur stratégie ait été pleinement consciente. L’auteur émet l’hypothèse qu’elle ait simplement été la conséquence de l’adaptation d’une énergie nouvelle et invisible aux codes spécifiques des expositions.

123 Un survol général des expositions universelles désigne l’industrie électrique comme l’un des domaines qui en ont exploité au mieux les possibilités. On pourrait certes citer d’autres activités ayant largement bénéficié de « l’engrais » des expositions, telles que l’architecture métallique, la construction mécanique ou les arts décoratifs. Mais la diffusion de l’électricité semble rester un phénomène d’une ampleur unique dans le contexte, et ce pour plusieurs raisons. Elle possède d’abord la particularité de pouvoir intervenir directement dans un éventail de milieux extrêmement étendu, comprenant aussi bien les industries que le monde du quotidien, ce qui n’est pas le cas d’une machine à vapeur, aussi révolutionnaire soit-elle. Elle est aussi un phénomène impalpable dont la nature intime échappe encore aux scientifiques eux-mêmes jusqu’à la mise en évidence de l’électron (1897). Par conséquent, elle possède, plus que tous les autres produits du temps, le besoin de se rendre visible pour convaincre. Enfin, bien que le débat ne soit pas toujours à son avantage, elle jouit au maximum de l’aura de la nouveauté et donc des honneurs de la médiatisation.

124 Par conséquent, les efforts des électriciens contribuent fortement à fonder un imaginaire collectif de l’électricité qui leur prépare le terrain. Le personnage allégorique de la Fée Électricité en reste aujourd’hui encore une conséquence. Il y a donc certainement un peu de fontaine lumineuse et de palais de l’électricité dans les yeux de celui qui fixe une lampe à son plafond. Mais la lampe est, elle aussi en partie, le résultat des tests et confrontations au public des expositions internationales, lieu central dans l’acculturation électrique occidentale.

Notes

  • [1]
    Par convention, nous désignerons ces hommes d’origines professionnelles diverses sous le terme générique d’électriciens.
  • [2]
    Henri de Parville, Causeries scientifiques, exposition universelle de 1878, Paris, Rothschild, 1879, pp. 97-98.
  • [3]
    A. Gervais, « Les expositions nationales et universelles, 1799-1889 », Revue politique et littéraire, 24 août 1889, p. 245, cité par Adolphe Demy, Essai historique sur les expositions universelles de Paris, Paris, Picard, 1907, pp. 920-921.
  • [4]
    Octave Mirbeau, « Pourquoi des expositions ? », Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1895, p. 899.
  • [5]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications, exposition de Paris, Paris, Masson, 1882, p. 530.
  • [6]
    Alain Beltran et Patrice Carré, La fée et la servante : la société française face à l’électricité, XIXe – XXe siècle, Paris, Belin, 1991, p. 57.
  • [7]
    Rapport officiel de l’exposition, cité par Paul Janet, Notes et souvenirs, Gauthier-Villars, 1933.
  • [8]
    Alglave et Boulard, La lumière électrique : son histoire, sa production et son emploi, Paris, Firmin-Didot, 1882, p. VII.
  • [9]
    Léon Somzée, Électricité, Note présentée à la Commission de l’exposition d’Anvers, Bruxelles, Mertens, 1885.
  • [10]
    Edmond Hospitalier, « L’électricité à l’exposition universelle d’Anvers », L’électricien, N° 126, 12 septembre 1885, p. 610.
  • [11]
    Michel Corday, « La force à l’Exposition », Encyclopédie du siècle : L’exposition de Paris (1900), Paris, Montgredien et Cie, p. 273.
  • [12]
    Supplément à L’Éclairage électrique. 17 novembre 1900. p. LXXXII.
  • [13]
    Michel Corday, Op. cit. p. 274.
  • [14]
    Paris Exposition 1900 : guide pratique du visiteur de Paris et de l’Exposition, Paris, Hachette, 1900, p. 287.
  • [15]
    Théodose du Moncel et Frank Geraldy, L’électricité comme force motrice, Paris, Hachette, 1883, p. 301.
  • [16]
    Hippolyte Fontaine, Exposition de 1889, Éclairage électrique, Monographie des travaux effectués par le Syndicat international des électriciens, Paris, Librairie polytechnique Baudry et Cie, 1890, p. 527.
  • [17]
    J. Fabre, « Le pouvoir structurant de l’électricité », Bulletin d’histoire de l’électricité, N° 1, juin 1983, pp. 23-36.
  • [18]
    J. Desvignes, « Actualités scientifiques : l’éclairage électrique », L’Exposition de 1878, journal hebdomadaire illustré, N° 48, 6 octobre 1877.
  • [19]
    Louis Figuier, L’année scientifique et industrielle 1881, Paris, Hachette, 1882, pp. 69-70.
  • [20]
    « L’Exposition internationale d’électricité », L’Illustration, N° 2010, 3 septembre 1881, p. 164.
  • [21]
    « Les merveilles de l’Exposition », La Revue universelle des lettres, des sciences, de l’histoire et des arts, Paris, La Grande Librairie française, vers 1889.
  • [22]
    Ministère du Commerce, de l’Industrie, des Postes et des Télégraphes, Exposition internationale de Chicago en 1893, Rapports publiés sous la direction de M. Camille Krantz, Paris, Imprimerie nationale, 1895, Rapport administratif, p. 27.
  • [23]
    Selon d’autres sources, ce dispositif n’aurait jamais fonctionné : Gustave Babin, Après faillite, souvenirs de l’exposition de 1900, Paris, Dujarric, 1902, p. 287.
  • [24]
    Edmond Hospitalier et Jules Montpellier (sous la dir. de), L’Électricité à l’Exposition de 1900, Paris, Dunod, 1902, Tome I, fascicule 1, p. 72.
  • [25]
    Quantin, L’Exposition du siècle, Paris, Le Monde moderne [vers 1900], p. 213-214.
  • [26]
    Robert Fox, « Edison et la presse française lors de l’Exposition internationale de 1881 », Un siècle d’électricité dans le monde, Paris, AHEF, 1987, p. 229.
  • [27]
    Robert Fox, Op. cit. p. 233.
  • [28]
    Lucien Biart, Mes promenades à travers l’exposition, Paris, Hennuyer, 1890, p. 57.
  • [29]
    « En revenant de la revue... Quelques souvenirs de revues centraliennes de 1901 et 1902 », Bulletin d’histoire de l’électricité, N° 10, décembre 1987, p. 189.
  • [30]
    Wilfrid de Fontvielle, « En garde contre l’incendie », L’Encyclopédie du siècle : l’Exposition de Paris de 1900, Paris, Montgrédien et Cie, 1900, Tome II, pp. 170-171.
  • [31]
    Lucien Biart, op. cit., p. 68
  • [32]
    Octave Mirbeau, art. cit., p. 900.
  • [33]
    Théodose du Moncel, « Un coup d’œil rétrospectif sur l’Exposition », La Lumière électrique, N° 69, 26 novembre 1881, p. 277.
  • [34]
    Théodose du Moncel, « Un aspect de l’exposition anglaise », La Lumière électrique, N° 70, 30 novembre 1881, p. 299.
  • [35]
    Georges Dary, Tout par l’électricité, Tours, Mame, 1883, pp. 100-101.
  • [36]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications... pp. 15-16.
  • [37]
    Théodose du Moncel, « Un coup d’œil rétrospectif sur l’Exposition », art. cit. p. 277.
  • [38]
    Cité par Daniel Raichvarg et Jean Jacques, Savants et ignorants : une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Seuil, 1991, p. 207.
  • [39]
    Henri de Parville, op. cit. p. 539.
  • [40]
    Adolphe Brisson, Scènes et types de l’exposition, Paris, Montgredien, 1900, p. 19.
  • [41]
    Henri de Parville, L’électricité et ses applications : Exposition de Paris, Paris, Masson, 1881.
  • [42]
    Georges Dary, À travers l’électricité, Paris, Nony et Cie, 1901.
  • [43]
    Fabienne Cardot, op. cit. p. 21.
  • [44]
    Jules Armengaud jeune (sous la dir. de), Réunion internationale des électriciens : comptes rendus sténographiques, Paris, Lahure, 1882, p. 29.
  • [45]
    L’Illustration, numéro spécial sur l’Exposition de 1900.
  • [46]
    L’électricien : revue générale d’électricité, Tome 9, 1885, p. 272.
  • [47]
    Ibid. p. 232.
  • [48]
    Aimone et Olmo, op. cit. p. 75.
  • [49]
    Gaston Tissandier, « L’Exposition d’électricité », L’Illustration, 20 août 1881.
  • [50]
    Marquis Melchior de Voguë, « La défunte exposition », revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1900, p. 394.
  • [51]
    Pascal Ory, « L’expo universelle », 1889, la mémoire des siècles, volume D, Paris, Complexe, 1989, p. 22.
  • [52]
    Bruno Béguet (sous la dir. de), La science pour tous : sur la vulgarisation scientifique en France de 1850 à 1914, Paris, Bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers, 1990, p. 143.
  • [53]
    Ibid. p. 142.
  • [54]
    Grille et Falconnet, l’électricité industrielle à l’exposition de Chicago en 1893, troisième partie : électricité industrielle, Paris, E. Bernard, 1894, p. 143.
  • [55]
    Louis Figuier, op. cit. pp. 583-584.
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